Breath of the Wild : La grande histoire de la Princesse d'Hyrule
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Revenir victorieuse. C'était la seule promesse qu'elle devait tenir. Pour elle, et pour son père.
Ce fut une pression monstrueuse qui s'abattit sur ses épaules lorsqu'elle passa les portes du château, pour partir vers Akkala cet après-midi-là. En y réfléchissant, la prochaine fois qu'elle allait retourner dans l'enceinte de la forteresse, ce serait avec son pouvoir du sceau éveillé... Il le fallait. Car oui, Zelda avait réussi, elle avait fait en sorte que Link l'accompagne encore, malgré le fait qu'il n'était plus son chevalier servant. La princesse avait, tout bien réfléchi, fait part au roi de sa volonté infaillible d'être escortée par le héros. La colère de son père un peu retombée, la blonde lui avait tout expliqué et avait donné des arguments qui prouvaient qu'il était préférable pour elle comme pour le royaume tout entier que ce devait être Link, et personne d'autre. Ainsi, Rhoam Bosphoramus était peut-être un père dur, il accorda finalement cette faveur à sa fille. À une seule condition : son voyage ne devait pas être vain. Vous ne vous représenterez devant moi qu'avec vos pouvoirs divins. Tels avaient été ses mots qui résonnaient encore dans la tête de Zelda, le visage fermé.
C'était sur cette idée de ne pas rentrer bredouille que la blonde prit le chemin de l'est d'Hyrule avec le héros. Leur voyage se passa très bien, d'abord dans un silence qui se faisait tout de même de plus en plus rare entre les deux jeunes Hyliens, mais les discussions n'avaient pas tardé à reprendre le dessus. Link avait dû engager bon nombre d'entre elles face à son amie qui restait plongée dans ses pensées. Il avait raconté deux anecdotes de son enfance auxquelles il ne pensait plus songer un jour, d'ailleurs... Cela détendit l'atmosphère et avait été plutôt plaisant.
Les heures de route passèrent, le crépuscule arriva au moment où ils atteignirent la forteresse d'Akkala et la nuit tomba rapidement ensuite. Les deux élus des déesses venaient d'arriver à la source de la Force. Il devait être vingt-deux heures, et l'air se faisait doux. Akkala était une région à l'aspect très automnal malgré le changement de saison, et sa température était en général assez agréable à toute période de l'année. Un poids se forma dans la poitrine de Zelda lorsqu'elle perçut le bruit des cascades qui entouraient la source. Ils étaient arrivés, tout allait se jouer dans les heures qui suivraient. Et la princesse ne voulait surtout pas décevoir son père qui ne lui pardonnerait pas, cette fois.
- La première fois, je suis venue en ce lieu sacré, accompagnée d'Urbosa. J'étais toute petite.
De vieux souvenirs lui revinrent en tête, des souvenirs qui lui rappelaient à la fois sa grande amie et son tout premier échec. C'était il y avait si longtemps et pourtant, Zelda s'en souvenait toujours, comme s'il s'agissait de la veille. Elle posa ses yeux sur les reflets de la lune formés dans l'eau de la source, prête à y plonger un premier pied.
- Disons que c'est un peu ici que tout a véritablement commencé, ajouta la prêtresse dans un soupir.
- Dans ce cas, c'est peut-être aussi ici que tout peut recommencer, répondit Link qui se tenait un peu en retrait.
Elle se retourna vers lui et lui sourit.
- J'admire ton optimisme.
Link ne pouvait rien faire de plus que l'encourager, mais cela suffisait à la princesse pour se motiver à se lancer dans cette session de prière. Il ne fallait pas perdre espoir qu'importe ce qui se passait, le blond en était persuadé.
- Prenez le temps qu'il vous faudra. Je crois en votre persévérance, termina le héros avant de prendre une posture droite et tourner le dos à son amie, pour monter la garde.
Sans plus attendre, Zelda s'engagea dans l'eau froide qui la fit frémir instantanément. C'était toujours aussi désagréable d'immerger presque la moitié de son corps dans une source à une température si basse, surtout à cette heure-ci. Il n'y avait plus que les bruits des fines cascades qui se jetaient autour de la statue de la déesse qui résonnaient encore jusqu'à ses oreilles. Lorsqu'elle fut au centre de la source, l'Hylienne fit le vide dans sa tête, ferma les yeux et joignit ses mains.
La séance de prière put ainsi débuter. Sans grande surprise, les premières minutes ne donnèrent rien. Mais Zelda se concentra ensuite sur sa personne, emplit ses poumons pour se focaliser sur sa respiration, et fit une totale abstraction de l'environnement extérieur. Tandis que Link, lui, se faisait silencieux à l'entrée de la source. Il savait qu'il avait de la chance de pouvoir encore être là, à assurer la protection de la princesse alors qu'on lui avait interdit. Lui aussi voulait montrer au roi que ce voyage était utile et fruit de réussite, mais si cela ne s'avérait pas être le cas, il n'en voudrait guère à Zelda. Au contraire, il avait même réfléchi à quelque chose qui pourrait l'aider à se sentir mieux.
Après une heure de méditation acharnée, la prêtresse rouvrit les yeux et souffla. Toujours rien. Elle ne sentait même plus ses jambes, immergées dans l'eau glacée, et sa posture droite et immobile commençait à lui faire mal, notamment au dos. Mais ce n'étaient pas ces quelques douleurs qui allaient avoir raison d'elle au bout de si peu de temps. Elle ne devait pas faillir encore une fois. Pas cette nuit-là ! Zelda garda un certain calme et une stoïcité remarquable face à ce semblant d'échec qui se dessinait au fil de la session. Puis, elle repartit de nouveau dans cet état de transe.
Mais rien n'y fit. Il était plus de minuit et rien ne s'était produit depuis deux heures. La princesse serra les poings et frappa la surface de l'eau, ce qui provoqua de vives éclaboussures autour d'elle. L'attention de Link fut interpellée par cette agitation soudaine. Il jeta un bref coup d'oeil derrière lui et comprit que les efforts de la blonde devenaient éprouvants et toujours sans résultat.
- Il aurait fallu un miracle, grogna-t-elle en jetant un regard noir à Hylia qui n'était que le reflet de sa défaite.
Elle décida de quitter la statue et de rejoindre Link qui fut affligé de la voir ainsi. Sans même s'arrêter dans sa course, elle s'en alla vers la sortie. Les élus prirent donc la route qui menait au relais le plus proche. Ils marchèrent côte à côte, Zelda jetait tantôt des regards au chevalier qu'elle pensait avoir déçu, tant il croyait en elle avant sa méditation.
- Pourquoi ne dis-tu rien ? demanda-t-elle en arrivant sur une large plaine du centre de la région.
Link déglutit en pensant avoir mal fait.
- J'avoue ne pas vraiment savoir quoi dire, prononça-t-il à mi-voix.
Zelda posa une main sur l'épaule du héros.
- Ce n'est rien, rassure-toi. Je préférerais aussi ne pas en parler.
La princesse comprenait qu'il n'avait pas les mots ni les gestes pour réagir à tout cela. Ils devaient tous les deux prendre du recul de leur côté sur l'échec de ses prières. Par la suite, Zelda continua son chemin en ne se posant qu'une seule et unique question.
Qu'est-ce qui ne va pas chez moi ?
Après leur léger repas au relais de l'est d'Akkala, les deux élus décidèrent de passer la nuit sur place. Il se faisait très tard, presque deux heures du matin, et ni Link ni Zelda n'avait la foi de continuer. De plus, la méditation n'ayant encore une fois rien donné, la princesse ne souhaitait même plus rentrer au château. Par peur des conséquences de cet échec. Et parce que ce lieu l'oppressait de plus en plus, tous ses problèmes étaient concentrés là-bas.
Ce fut dans un silence déprimant qu'ils partirent se coucher. Link resta à l'extérieur tandis que son amie emprunta un lit en intérieur, sans dire un mot.
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Le héros l'aperçut, assise dans le sable au bord des vagues de la péninsule d'Ourbillon. Maintenant qu'il y songeait, la mer était un lieu que Zelda aimait particulièrement et cela lui paraissait évident de la retrouver ici après sa fuite depuis le relais en pleine nuit... Il la savait déçue, perdue dans le désespoir le plus total. Après tout, dans quel autre état pouvait-elle être après avoir une nouvelle fois échoué ? Le héros marchait lentement jusqu'à elle, en enfonçant à chaque pas ses bottes dans le sol mou. Et à mi-chemin, il s'arrêta. Il porta une main dans une de ses poches en espérant qu'elle contienne ce à quoi il pensait. Oui, il l'avait, le héros fut rassuré. Même s'il n'était pas certain que cela fonctionne, il fallait toujours essayer. En effet, le prodige avait peut-être une idée pour aider Zelda, il avait peut-être le moyen de lui redonner confiance en elle ! À vrai dire, il avait la solution depuis longtemps, et ce n'était que maintenant qu'il faisait le lien. De ce fait, Link s'en voulut, mais ce n'était plus le moment de culpabiliser.
Zelda l'entendit arriver avec une légère précipitation par moments. Elle ne se retourna pas, peu surprise qu'il la retrouve aussi vite. Les coudes posés sur ses genoux, elle continua à regarder l'eau arriver jusqu'à ses pieds par le mouvement va-et-vient des vagues. Lorsqu'elle n'entendit plus rien derrière elle, elle releva son regard vers le ciel étoilé, nul doute que Link hésitait encore à se joindre à elle. Après quelques secondes, le prodige, silencieux, déposa son épée dans le sable et s'assit à ses côtés. Personne ne parla, ils savaient pertinemment ce que l'autre pensait de la situation, il n'y avait pas besoin de mots pour le comprendre.
Link sortit alors de sa poche le collier de sa mère qu'il avait constamment sur lui et le présenta à Zelda. Ses pierres, habituellement noires, laissèrent échapper une lueur bleutée de leur sein. La princesse remarqua la lumière que produisait le bijou et fut intriguée par ce que faisait le héros. Ce dernier scrutait chaque pierre et touchait leur surface longuement pour en discerner leur température. En effet, une forte chaleur en émanait.
- J'ai apporté ceci, énonça Link.
Il semblait décidé à lever le mystère sur ce collier et les émotions qu'il lui procurait. Que pouvait-il avoir de si particulier pour que, parfois, Link se mette à oublier qu'il le porte autour du cou ? L'hypothèse de Zelda était en toute logique qu'il lui rappelait sa mère et que le porter, dans un sens, le rapprochait d'elle. La princesse ne le savait guère, mais elle n'était pas très loin de la vérité.
- Pourquoi ? demanda-t-elle.
- Je n'y avais pas pensé jusque-là, mais je crois que si vous le prenez...
Il tendit l'objet à son amie qui fut prise au dépourvu. Il était en train de lui confier un bijou familial et de valeur pour une raison qui lui était encore obscure.
- Tu veux que je prenne le collier de ta mère ?
- Il n'est pas uniquement spécial à mes yeux parce qu'il appartenait à ma mère. Il est fait en gemmes nox. Et ces pierres ont des capacités spirituelles qui...
Link, assis en tailleur, reposa de ses mains tremblantes le collier sur ses genoux. Le chevalier prit une grande inspiration, il s'apprêtait à révéler un secret dont il n'avait encore fait part à personne. Non pas que les dons de ces gemmes étaient inconnus de la population, mais il fallait s'intéresser un minimum aux pierres précieuses d'Hyrule et à leurs études détaillées pour le savoir. C'était bien l'un des seuls domaines auxquels Zelda ne s'était pas beaucoup intéressée. Link reprit et lui donna ainsi l'explication :
- Qui repoussent les mauvais esprits et permettent de parler aux défunts proches de la personne qui le porte, dit-il.
La jeune femme perçut quelques trémolos dans sa voix. Elle n'avait pas vraiment fait attention à ce qu'avait dit Link mais avait plutôt été concentrée sur son visage animé d'une grande émotion qu'il essayait de retenir en lui, comme lorsqu'il lui parlait intimement d'un point important et sensible de sa vie. Pourquoi le faisait-il maintenant ? Zelda n'en avait aucune idée, mais elle compatissait tout autant que lui le faisait aussi pour elle.
- Je parle souvent avec ma mère ou mon père par le biais de ce collier, comme le jour où Mipha m'a surpris, après le bal des prodiges.
L'expression intriguée de la princesse zora lui revint à l'esprit. Ce jour-là, il l'avait laissée plongée dans l'incompréhension en interrompant sa discussion avec Diane, sa mère. Ou plutôt, avec son fantôme. Discussion qui, par ailleurs, avait été très forte en émotions, encore une fois.
- Mais ce n'est plus une bonne chose pour moi, c'est ce qui m'empêche de faire mon deuil, reprit Link en parlant des capacités de ce collier. Cependant, je crois que pour vous, ce serait différent. De mon côté, je n'arrive pas à me passer de ses pouvoirs, mais peut-être que vous, il vous aidera vraiment.
Zelda fit enfin le lien, elle comprenait que le blond lui proposait une grande opportunité qu'elle ne pensait plus jamais retrouver. La princesse décolla ses lèvres l'une de l'autre et sentit son pouls s'accélérer.
- Tu veux dire que... commença-t-elle.
- J'aurais dû vous en parler plus tôt, mais je ne savais pas comment aborder le sujet.
Le héros déposa délicatement le bijou de valeur entre les mains de son amie qui observait ses nuances de bleu et de vert.
- Je ne sais guère s'il fonctionne avec d'autres personnes que moi, avoua Link. Mais dans le doute, prenez-le.
Elle n'arrivait même plus à parler, elle n'arrivait pas à croire que dans quelques secondes, elle pourrait potentiellement... Non, c'était un rêve... Link se redressa, récupéra son épée et épousseta son pantalon. Il voulait respecter l'intimité de la princesse et la laisser seule pendant qu'elle communiquait avec un feu proche de sa famille.
- Je vais vous laisser. Il vous suffira de le porter autour du cou et de penser à la personne à qui vous souhaitez parler.
Zelda n'avait qu'une seule personne en tête. La seule personne qu'elle avait perdue dans sa vie. Sa mère. Elle comprenait maintenant pourquoi le chevalier avait autant de mal à se défaire de ce collier s'il pouvait lui permettre de revoir ses parents. Dans son cas, il n'avait jamais réussi à leur dire au revoir à cause de ce moyen de communication, et pouvoir leur parler sans pour autant qu'ils soient véritablement là, cela ne l'aidait pas. Pour la princesse, c'était assez différent ; ayant fait son deuil depuis bien longtemps, elle s'était faite dès son plus jeune âge à l'idée qu'elle ne reverrait plus jamais sa mère. Lui parler relevait donc du miracle pour elle.
Les yeux rivés sur le sable, elle laissa les gemmes nox glisser le long de ses cheveux pour atterrir dans sa nuque. Le collier autour du cou, Zelda était dans sa bulle, coupée du monde extérieur. Elle ne désirait qu'une seule et unique chose et il n'y avait que cela qui comptait sur le moment. Sur les genoux, elle ferma les paupières puis se mit à imaginer sa mère dans sa longue robe bleue marin en espérant de tout son coeur que le don de ces pierres fasse effet sur elle. Elle la visualisait, encore et encore, elle était de plus en plus nette dans son esprit.
Puis, elle entendit sa voix.
- Comme vous avez grandi, ma fille.
Elle fut surprise de voir qu'elle se souvenait aussi précisément du timbre de sa voix. Tellement qu'elle lui paraissait ne pas venir de son esprit... Comme si...
La princesse sursauta et faillit chuter en arrière. Flottant au-dessus des vagues qui venaient s'échouer sur le sable, Éléonore Bosphoramus Hyrule, reine disparue depuis une décennie, lui souriait tendrement. Sous sa couronne emblématique, ses longs cheveux blonds étaient coiffés d'une large tresse qui tombait dans son dos, son corps était recouvert d'une couleur vert turquoise ainsi que de flammes de la même couleur qui se reflétaient dans l'eau. La reine était vêtue exactement comme dans les pensées de sa fille qui était sous le choc.
- M... mère ? balbutia Zelda.
La défunte resta immobile au-dessus de l'eau, ne voulant pas effrayer sa fille. Sa tête légèrement penchée sur le côté, elle l'observait tout en lui adressant ce même sourire tendre et rassurant que Zelda n'avait pas oublié. La lueur spirituelle qui émanait d'elle dépassait celle du ciel étoilé, la blonde en fut presque éblouie un instant.
- Vous êtes devenue une si belle jeune femme, cela faisait longtemps que j'attendais de vous revoir.
Les émotions prirent vite l'avantage sur la princesse qui porta ses deux mains contre sa bouche avant que les larmes ne se mettent à couler sur son visage. Elle était à la fois heureuse et affligée, un mélange de sentiments qui rendait la blonde complètement bouleversée par ce qui se produisait devant ses yeux.
- Mère... c'est vous... dit-elle tristement.
Elle sentit toute la détresse dans laquelle se trouvait sa fille avec ces simples et uniques paroles. En plus de la surprise qu'elle éprouvait de pouvoir parler avec son fantôme, Zelda voyait là un moyen de rattraper tout le temps perdu. Une idée toutefois très compliquée, elles ne pouvaient guère récupérer ces dix années de vie séparées l'une de l'autre en une seule discussion, aussi longue soit-elle...
Éléonore voulut retirer toutes formes de peur dans le regard de la princesse, tourmentée. Il était vrai que ce n'était pas une scène qu'elle avait l'habitude de vivre, et aussi paradoxal que cela pouvait paraître, c'en pouvait devenir un peu effrayant au premier abord.
- N'ayez crainte, fit l'ancienne reine d'Hyrule. À présent, je suis là.
Les lèvres de l'Hylienne se crispèrent sous les sanglots. Non, elle n'avait pas peur, elle ne savait juste pas par où commencer ni comment se sentir face à l'âme de sa propre mère. Zelda prit appui sur le sable, ses doigts s'enfoncèrent dans celui-ci et elle adapta un instant sa respiration avec la cadence des vagues, pour essayer de se calmer un peu.
- Je croyais ne plus jamais pouvoir vous parler, avoua la prêtresse.
- Détrompez-vous, il n'est jamais trop tard. Même la mort ne peut me séparer de ma petite fille indéfiniment.
Après avoir contemplé les traits du visage de sa mère qu'elle avait vaguement oubliés depuis son enfance, Zelda s'effondra davantage, et dans des chuchotements qui tentaient en vain d'évacuer discrètement ses émotions, bien qu'elle était seule sur cette plage, elle lui répondit.
- Mère... mère, je suis... désolée...
La défunte reine eut un pincement au coeur en voyant l'état de sa fille.
- Zelda... ma très chère Zelda, vous n'avez pas à l'être. C'est moi qui suis navrée.
- La vie de chaque habitant d'Hyrule est entre mes mains et je suis incapable de les sauver...
La mère se revit dans la même situation. Elle se revoyait subir cette même pression monstrueuse. Cependant, son ancienne vie était aussi très différente de celle de Zelda. La princesse avait travaillé d'arrache-pied durant toute son enfance et son adolescence pour tenter d'éveiller son pouvoir, tandis que sa mère l'avait fait bien plus tard et avait suivi des entraînements certes fréquents, mais moins stricts. Car oui, seule Zelda était née lors d'une prémonition qui prédisait la résurrection du Fléau... ce qui avait affolé le royaume. Ainsi, Éléonore sut dès le premier jour que sa fille n'allait pas avoir la vie facile.
- Vous ne faites que de votre mieux, assura cette dernière. Et peu de personnes le comprennent. Vous avez souffert d'une grande solitude durant ces dix dernières années, est-ce juste ?
La princesse acquiesça d'un hochement de tête, trop occupée à essuyer ses pommettes rougies. La blonde s'était rarement adonnée à un lâcher-prise pareil, à un laisser-aller si fort de son corps et son esprit. Peut-être qu'au fond, elle en avait grand besoin.
- Je donnerai tout pour... me retrouver dans vos bras, ajouta-t-elle en relevant les yeux pour les ancrer dans ceux de la reine.
- Je sais, et je le désire aussi infiniment que vous.
Suite à cette réponse, Éléonore eut un doux sourire timidement camouflé qui laissa s'interroger Zelda.
- Approchez-vous, ma fille.
L'Hylienne ne l'écoutait pas. Elle pouvait percevoir la lueur des étoiles de l'horizon à travers le corps de la défunte, ce qui lui rappelait la situation spirituelle dans laquelle se trouvait la reine. Il n'y avait que son âme qui était présente, avec seulement la forme de son ancien corps de souveraine.
- Pourquoi vous ? Vous ne méritiez pas de mourir ! s'exclama-t-elle, dénonçant cette injustice.
- Nous ne pouvons guère modifier le cours des choses, aussi incompréhensibles soient-elles. Je m'en veux de vous avoir conduit dans ce lieu hostile, ce jour-là.
Elle semblait ne pas se remettre de cette réalité, même si revoir sa mère lui faisait un des plus grands biens. Pour Zelda, le temps s'était arrêté, au point qu'elle ne voyait même plus le ciel de cette fin de nuit changer de couleur à l'horizon. La reine adopta un ton un rien plus ferme pour inciter sa fille à se calmer et s'approcher d'elle.
- Zelda, vous n'avez plus rien à craindre, venez près de moi.
La princesse posa ses paumes de main dans le sable pour se lever. En s'avançant dans les vagues froides de la mer d'Akkala, elle fit pleinement face au fantôme d'Éléonore qui fut réjoui de revoir la blonde d'aussi près. La reine posa une main délicate sur la joue de la concernée qui ne sentit pas même l'effleurement de sa peau avec la sienne. Cette absence de sensation la fit continuer à pleurer, elle ne pouvait plus s'arrêter... Zelda tenta de toucher le bras en avant de sa mère mais en toute logique, ses doigts passèrent au travers.
- Touchez plutôt le collier autour de votre cou, conseilla la défunte en gardant ce même sourire triste sur ses lèvres.
Elle s'exécuta au moment où sa mère l'enlaça. Et lorsque le contact se fit entre sa main et le collier, une chaleur soudaine envahit son détendeur et lui réchauffa le coeur. Puis, s'ensuivit une sensation olfactive qui surprit la princesse. Non, elle ne se trompait pas, il s'agissait bel et bien du parfum de la souveraine. Ces pierres permettaient de communiquer et d'interagir avec les esprits. Et dans tous les sens du terme.
Pour finir, en gardant une pierre du collier entre les doigts, l'Hylienne ressentit toute l'étreinte de sa mère, elle percevait ses bras enroulés autour d'elle, sa joue collée contre la sienne. C'était... comme si elle était vraiment là, cette fois. Elle pouvait la toucher... Zelda n'en revenait pas.
- Je... Oh... Mère... sanglota-t-elle.
- Laissez-moi vous aider, répondit tendrement Éléonore. Laissez-moi alléger ce poids que vous portez.
Rassurée, la prêtresse put serrer plus fort sa mère, grâce à une magie qui lui était inconnue mais qu'elle ne remercierait jamais assez. Elle resta réfugiée dans ses bras de longues secondes, qui elles-mêmes se transformèrent en minutes. Les battements de son coeur résonnaient dans tout son corps.
- Je suis... fière de la fille... que dis-je, de la femme que j'ai mise au monde.
Il n'y eut comme réponse qu'un long silence qui en disait long sur leur état émotionnel.
- Vous êtes ma fierté, sachez-le, ajouta la reine en chuchotant ces mots à l'oreille de Zelda.
Elles ne se lâchèrent pas, ce semblant de contact physique était beaucoup trop réaliste pour que la princesse ne se retire. Elle humait son parfum autant de fois qu'elle le pouvait, profitait de cet instant aussi longtemps qu'elle en était capable, et ressentait tout l'amour que sa mère aurait voulu lui donner durant ces dix dernières années dans une seule étreinte.
- Vous avez redoublé d'efforts depuis votre plus jeune âge sans même un guide pour vous accompagner. Voilà un très bel exploit que vous oubliez souvent.
- Je suis... fatiguée... Mère...
- Je sais, ma fille, je sais.
Éléonore enfouit une main derrière la tête de Zelda, dans ses cheveux blonds, afin de la consoler davantage. Pouvoir interagir avec le monde matériel lui donnait l'impression de revivre. Avec ce collier de gemmes, c'était comme si on l'avait appelée. La défunte s'était sentie désirée quelque part dans le monde des vivants par un être qui lui était cher, et elle ne savait comment, mais elle fut ensuite attirée jusqu'ici, en Akkala.
- Réconciliez-vous avec vous-même, continua-t-elle de murmurer. Vous êtes forte, courageuse, et vous pouvez accomplir votre destin. Vous en êtes capable, dites-le-vous. Et... par pitié...
Elle marqua une pause.
- N'écoutez pas votre père... soupira l'ancienne reine d'Hyrule.
Cela fit glousser un hoquet de rire à la princesse. Effectivement, le contraste avec son père et sa mère était phénoménal. Autrefois, la reine pouvait reprendre le roi lorsque celui-ci était trop dur, ou si son mauvais caractère reprenait le dessus... À présent, elle ne le pouvait plus et le souverain, seul, était devenu un être certes digne et juste, mais aussi très autoritaire, et beaucoup moins jovial qu'auparavant. Lui et son feu épouse formaient un équilibre parfait qui permettait au royaume d'être gouverné de la meilleure manière possible.
- Il ne se passe pas un jour sans que je ne pense à vous, enchaîna Zelda qui avait fermé les yeux.
- Je sais combien ce rôle est difficile à vivre, et que vous ne l'avez pas choisi. Mais lorsque vous vous sentez seule, rappelez-vous que votre pouvoir divin, sans la lame purificatrice, n'est d'aucune utilité.
Zelda n'y pensait jamais, mais en effet, elle pouvait toujours compter sur Link qui partageait le même destin qu'elle : sauver Hyrule. À partir de là, la princesse comprit que la solitude avait beau l'envahir très souvent, elle n'était jamais seule. Jamais. Les déesses n'avaient point qu'un seul élu, mais deux.
- Croyez-vous qu'il s'agisse d'un hasard s'il est devenu votre chevalier servant ? Il est là pour vous, pour vous accompagner, jusqu'au bout. Et vous êtes là pour lui, pour vous aussi l'accompagner. Vous êtes les élus des déesses.
- Vous avez raison. Mais si je ne peux pas faire ma part, il ne pourra pas faire la sienne et...
- Vous y arriverez.
La princesse se retira finalement des bras de sa mère pour la regarder intensément.
- Mais Mère, que dois-je faire ? s'empressa-t-elle de demander avec insistance.
Éléonore reprit une posture droite et joignit les mains. Elle était bien la seule à pouvoir aider sa fille, elle aurait dû être son guide. Il n'existait cependant pas de solution miracle, chaque princesse avait eu une méthode différente de celle des autres. Chacune avait prié, mais beaucoup de personnes oubliaient qu'un grand nombre d'entre elles n'avaient pas éveillé leur pouvoir agenouillées devant une statue d'Hylia. Dans le cas de Zelda, sa mère la connaissait, et elle lui montra donc la voie à suivre qui lui correspondait le mieux.
- Amour, confiance, et sérénité, expliqua la souveraine. Si vous trouvez l'élément de votre vie qui rassemble ces trois idées, alors vous parviendrez à éveiller votre pouvoir. Vous réussirez à réveiller la force qui sommeille en vous. En un mot, vous devez vous sentir épanouie.
Elle soupira en se rendant compte que ces uniques mots auraient pu tout changer si la princesse les avait entendus lors de ses six ans.
- J'aurais voulu vous partager cela tellement plus tôt... fit la reine.
- Comment puis-je savoir où chercher ? s'interrogea Zelda.
- Nul besoin de fouiller plus loin qu'au fond de vous-même. Laissez parler votre instinct, et votre coeur. C'est la clé de la réussite. Si vous avez foi en votre victoire, alors vous n'avez plus besoin de vous en faire.
Zelda pensait à un miracle, voilà que, quand le désespoir se faisait omniprésent, sa mère lui venait en aide. Elle essuya les dernières larmes qui dévalaient ses joues et descendaient jusque dans son cou. La reine avait remarqué le froncement de sourcils de la blonde qui n'aimait jamais que l'on la voie en sanglots.
- Regardez-moi, prononça la défunte.
Lorsqu'une plus forte vague vint glacer les mollets de la princesse, celle-ci regarda sa mère une énième fois.
- Après chaque échec, lorsque vous pleurez, vous en avez honte. Dois-je vous donner le nombre de fois où j'ai laissé couler les larmes ? Cela n'est guère un signe de faiblesse. C'est une réaction tout à fait normale.
- Vous n'êtes pas la première à me le dire...
Normal... Pourquoi, dans ce cas-là, on lui donnait l'impression que ça ne l'était pas ? L'exigence dont faisait preuve son père en était en partie responsable. "Une princesse se doit d'être digne et de garder la tête haute face à l'adversité." Voilà ce qu'on lui répétait, et la reine le savait, ce n'était pas de sa faute. Soudain, elle prit un air mélancolique en levant les yeux vers le ciel.
- Vous devez sûrement vous souvenir de cette force mystique qu'il m'arrivait de ressentir, dit-elle. Il me semble que je vous en avais parlé de nombreuses fois.
En effet, Zelda se rappelait cette sensation qui animait parfois sa mère plus jeune, tandis que sa grand-mère entendait les voix des esprits divins. Des histoires qu'elle ne connaissait que trop bien.
- Le jour de notre mariage, à moi et à votre père. C'est à partir de cette journée que cette force s'est éveillée sans que je ne m'y attende. J'ai dû m'absenter toute la soirée car mon corps ne faisait que trembler et je commençais à avoir des hallucinations. La vérité est que je ne savais pas ce qui avait pu réveiller ce pouvoir. Mais j'étais sûre d'une chose, c'était que la prière n'était pas la seule manière d'y parvenir. Ce jour-là, j'étais heureuse. Juste heureuse.
Elle tourna la tête pour observer l'horizon s'éclairer, une douce couleur orangée en émanait. La reine comprit ce que cela voulait dire, elle avait les connaissances de base sur les gemmes nox. Link ne l'avait pas précisé à Zelda, mais la magie produite par le collier ne pouvait être utilisée que la nuit. Elle dut annoncer cette triste nouvelle à sa fille qui ignorait que l'aube allait mettre fin à leur conversation.
- L'aube va bientôt se lever. Le pouvoir de ces gemmes va bientôt s'atténuer.
- Non, mère, ne me laissez pas ! répliqua la princesse immédiatement.
- Je ne vous ai jamais laissée, Zelda. J'ai toujours été là, près de vous.
L'Hylienne tomba à genoux dans l'eau en refusant catégoriquement de laisser repartir l'esprit de sa mère. Elle ne lui avait raconté qu'une infime partie de tout ce qu'elle désirait lui dire. Dominée par ses émotions, la blonde ne comprenait pas pourquoi cette discussion lui avait paru aussi courte. Cela ne pouvait pas se terminer !
- C'est injuste... injuste... déplora Zelda. Il y a tellement de choses que j'aurais aimé partager avec vous...
- Ma fille, reprit la reine d'une voix sérieuse.
Les premiers rayons du soleil s'apprêtaient à jaillir du bout de l'océan. Une larme coula sur la joue de la défunte qui voyait les au-revoir se profiler. Mais... maintenant qu'elles avaient conscience de ce moyen de communication, peut-être qu'il n'allait pas s'agir d'adieux ? Toutefois, Link avait tellement exploité cette méthode pour parler à ses parents qu'il en était devenu dépendant et n'était plus capable de véritablement couper les liens seul. Il ne voulait pas que Zelda fasse une erreur similaire, même si la princesse avait déjà fait son deuil, contrairement à lui.
- Je vous aime, plus que tout, déclara avec intensité la reine, les yeux humides.
Sa fille dut se faire à l'idée de laisser sa mère s'en aller. Elle avait l'impression de l'abandonner une seconde fois dans la mort, sauf que cette fois-ci, elle en était consciente... La princesse chassa ces idées lugubres de son esprit. Bien sûr que non, elle ne l'abandonnait pas, elle n'avait pas d'autres choix. Avec du recul, cette rencontre lui avait fait un grand bien. Mais Zelda ne pouvait pas rester indéfiniment agenouillée dans ces vagues en train de parler à un défunt.
- Je vous aime aussi, mère. Je vous aime tellement... Je...
- Soyez forte.
L'Hylienne acquiesça.
- Et remerciez votre ami pour moi, ajouta Éléonore. Pour nous.
Et elle n'allait pas oublier de le faire ! Lui permettre de revoir sa mère, c'était le plus beau cadeau que Zelda avait pu recevoir. Cela lui avait redonné du courage, de l'espoir même ! Quelque chose qu'elle avait perdu depuis bien longtemps.
- J'y veillerai, assura la princesse.
L'aube arriva, les étoiles du ciel nocturne se dissimuleraient prochainement derrière le futur bleu azur du jour. La lumière s'intensifia, et sans dernière parole, la feu reine d'Hyrule disparut dans son éclat, laissant derrière elle sa fille silencieuse, les yeux rivés sur le sol. Seul le bruit des vagues retentissait...
Une atmosphère paisible s'installa alors suite à cette scène si forte en émotions. Lorsque Zelda se releva, elle n'eut comme expression qu'un large sourire qui allait - du moins, elle l'espérait - la porter loin, très loin.
Vers la victoire.
~~~
Ce lieu était emblématique, un point de rendez-vous pour tout divertissement qui rassemblait un grand nombre de personnes. Le soleil au zénith, il avait été pris d'assaut pendant la nuit et dorénavant, ses murs étaient dissimulés derrière une épaisse couche de malice qui tournait lentement autour du bâtiment. Elle formait comme une barrière qui laissait impossible l'accès à toute personne venant de l'extérieur. Ainsi, à l'orée de la plaine d'Hyrule, dans l'imposant amphithéâtre, une foule de personnes attendait les instructions de leur mentor sans le moindre risque de se faire déranger.
Au pied de la grande porte en forme d'arche, Alan et Brad se tenaient l'un à côté de l'autre. Après la nuit qu'ils avaient rendue terrifiante aux victimes de l'Étape d'Hyrule, ils observaient une troupe de soldats venant du château prendre la direction du sud. Le chevalier souffla pour manifester son mécontentement. Depuis ce matin à l'aube, le royaume entier était en alerte. Brad en avait parfaitement conscience, son plan de la veille avait échoué bien qu'il avait réussi à mettre la main sur exactement soixante-dix-neuf nouveaux fidèles. Des gens s'en étaient sortis, et la nouvelle n'avait pas tardé à se répandre : l'incendie de l'Étape n'était pas un accident, mais un attentat !
Brad fit donc le choix de s'imposer et se révéler au reste du pays. Rien ne servait de rester tapi dans l'ombre lorsque le jour tant attendu n'était plus très loin. Il lui fallait, de toute façon, un endroit pour accueillir et rassembler son "armée", comme il l'appelait. Alan scrutait ces minuscules points noirs se déplacer en groupe au loin, comme une colonie de fourmis. L'ennemi approchait... il devrait débarquer en fin de journée.
- C'est ce que tu appelles vouloir être discret, alors... fit remarquer l'oncle.
Alan garda le regard plongé à l'horizon tout en sachant qu'il allait agacer son binôme. Décidément, il adorait décrédibiliser son associé avec des remarques de ce genre. Il en oubliait même qu'il avait fait exploser la demeure de son frère dans un déchaînement indescriptible... En terme de discrétion, il n'avait pas été mieux que lui.
- Ce n'est pas moi qui me suis absenté alors que le plan disait scrupuleusement de rester ensemble ! répliqua le chevalier corrompu.
Il en avait assez de devoir se justifier auprès de lui, ou de Maëlle et Daniel. Alan leva les yeux au ciel avant de sortir une énième fois la même excuse.
- J'étais parti à la poursuite de Lambda, Brad ! Mon frère pourrait être un membre très utile dans notre groupe.
- Oh ! Très bien ! Alors où est-il, dis-moi ?
Gabriel et Lysia s'étaient enfuis. L'oncle jeta un vilain regard à son interlocuteur qui connaissait pertinemment la réponse à sa question. Brad ne tarda pas plus longtemps, il tourna les talons en mettant au clair une dernière chose, et il espérait bien se faire comprendre.
- C'est à cause de toi s'il y a eu des survivants. Maintenant avec tes conneries, je dois improviser, donc tu fais ce que je dis, compris ?
Il n'attendit pas sa réponse, Brad se dirigea précipitamment vers le centre de l'amphithéâtre où l'attendaient les dizaines de nouveaux corrompus. Cette sensation d'être le chef d'autant de personnes plaisait bien au rival de Link qui, en s'emparant de ce lieu, espérait bien voir le héros arriver pour enfin mettre un terme à son existence. Alan ne le suivit point, il s'éclipsa dans une petite pièce près de l'entrée, comme s'il avait été blessé par les mots du chevalier. Ce qui n'était pas le cas, bien sûr, mais ce comportement intrigua Maëlle qui passait justement par-là.
Avec un seul raclement de gorge, Brad parvint à faire taire tout le monde. Les personnes les plus en arrière ne virent pas leur commandant mais pouvaient tout de même entendre sa voix portante. Tous autour de lui, le corrompu regarda à trois cent soixante degrés afin de ne pas oublier de prendre en considération tout le monde et de capter l'attention de tous. En levant le regard vers le ciel grisâtre, il vit Daniel en train de survoler le bâtiment pour surveiller les alentours. Tout était prêt, il pouvait démarrer son discours.
- Bien. Je vous souhaite la bienvenue à tous ici présent, mes fidèles amis ! prononça-t-il haut et fort en levant les deux bras.
L'écho de sa voix rebondissait dans chaque recoin de l'amphithéâtre, en forme d'ovale. Des hommes et des femmes, tous le regard vide, l'écoutaient et ne bronchaient pas. Cette grande réunion laissait penser que Brad venait de créer une véritable secte.
- Vous avez la chance d'être parmi nous aujourd'hui mais aussi le privilège d'être de ceux qui changeront le monde à jamais !
Il se sentait puissant et encore plus indestructible. Leur petit groupe de quatre corrompus s'était bien agrandi, et l'heure de la vengeance avait sonné. Avec ses troupes, Brad prendrait possession des terres du royaume et sèmerait la terreur jusqu'à ce que les habitants le supplient de les corrompre à leur tour, jusqu'au dernier. Une certaine excitation naquit en lui.
- Le Seigneur Ganon est en vous tous, dit-il. Il vous en a fait cadeau. Ressentez-le. Ressentez cette présence brûlante dans vos tripes ! N'est-ce pas une sensation... saisissante ?
Soudain, le chevalier matérialisa le Fléau à l'aide de ses mains. Une traînée de corruption qui prenait la forme d'une bête sanguinaire dans les airs en sortit. La foule s'agita en voyant une représentation de Ganon aussi fidèle. C'était comme s'ils connaissaient son apparence depuis la nuit des temps. La malice se promena au-dessus des têtes de chacun dans un cri sépulcral propre à la Calamité.
- L'Armée des Fidèles. Voilà notre nom. Et cet amphithéâtre sera notre quartier général jusqu'à la renaissance de notre Maître ! expliqua Brad, ébahi devant ce qui sortait de ses mains.
Les bavardages reprirent, les nouveaux corrompus trouvaient ce pouvoir extraordinaire et partageaient leur joie malsaine avec leurs voisins. Seulement, après quelques instants, le brun referma ses poings de manière brutale et Ganon disparut instantanément. Ce qui vint faire taire à nouveau tout l'amphithéâtre. Brad rappela une chose importante qui ne devait pas être oubliée. La principale raison de cette volonté inébranlable de plonger Hyrule dans le chaos.
- Nous avions soif de pouvoir, s'exclama le chevalier en marchant lentement. De conquête ! Et nous avions pris possession de ces terres afin de mettre la fin sur le pouvoir suprême. Seulement, après une guerre meurtrière, une idiote a tout gâché. Je vous le donne dans le mille, il s'agissait de celle qu'ils appellent "déesse"... Hylia.
Tout à coup, un hurlement de douleur retentit dans la foule. C'était celui d'un Zora, les mains sur ses tempes comme si son esprit se débattait et entendait des voix. Il semblait souffrir bien qu'il n'était aucunement blessé physiquement. Les gens autour de lui s'écartèrent dans l'incompréhension. Brad attira vers lui une vieille épée rouillée qui traînait non loin de là et s'empressa de rejoindre le Zora qui ahanait toujours. Il se faufila dans le grand regroupement de personnes avant d'atterrir face à face avec ce dernier.
- Oh ! Toi ! Qu'est-ce qu'il se passe ?
- Elle est là ! cria le Zora. Dans ma tête ! Je la vois, partout ! Elle veut me dire quelque chose !
L'expression faciale de l'originaire de Tabanta se referma.
- Vous aussi ! Vous tous ! Elle ira vous voir dans vos rêves ! Et...
Brad l'attrapa par le cou et transperça le ventre du Zora avec sa lame usée. Lorsque l'épée ressortit du corps, il n'y avait même pas de sang, mais que de la corruption. Brad appelait cela des capacités régénératrices avancées, mais en réalité, les blessures ne se cicatrisaient pas plus rapidement, elles se faisaient remplacer par de la pure malice répugnante. Le chevalier réitéra son action de nombreuses fois, comme un assassin poignardant sa victime sous la colère à plusieurs reprises dans un bruit de chair qui se déchirait à chaque coup. Puis, le Zora s'étala sur le sol avant de devenir méconnaissable, un tas déformé et sans vie de cette substance visqueuse. Essoufflé, l'Hylien remarqua tous les regards braqués sur lui. Il lâcha son épée et s'adressa à la foule silencieuse.
- Voilà ce qui arrive lorsqu'on a un esprit assez coriace qui veut résister au Seigneur. Vous n'êtes plus rien que de la chair déchiquetée. Si votre esprit résiste, Hylia n'hésitera pas à vous torturer comme lui ! Je n'ai fait qu'abréger ses souffrances tout en éliminant une potentielle menace.
Il retourna au centre de l'amphithéâtre d'un pas déterminé.
- Nous Lui devons tout. Nous Lui sommes redevables. Alors soumettez-vous, prosternez-vous devant Lui ! Et vous serez récompensé comme il se doit.
Cette affirmation plut aux membres de l'Armée, de plus, nul n'avait envie de finir comme ce pauvre Zora. Personne n'avait le choix. Brad expliqua la suite de sa stratégie : il désirait répartir les soixante-dix-huit corrompus dans tout le royaume excepté le château car son objectif était de laisser les élus venir à lui au lieu d'aller vers eux. Dans un premier temps, il désigna les personnes qu'il pensait les plus fidèles pour diriger certaines zones. Le but était de ne laisser aucune échappatoire à quiconque voulait s'enfuir, voire même quitter le royaume.
- Il est temps de récupérer ce qui nous appartient. Il est temps de reprendre ce qu'Hylia et ses descendants nous ont volé il y a des millénaires ! Il est temps... de reprendre le contrôle d'Hyrule !
Tous levèrent le poing en criant, déterminés à préparer comme il se doit la résurrection du Fléau. Brad reçut une tape sur l'épaule, il aperçut Maëlle qui désirait lui faire part de quelque chose visiblement d'assez imprévu.
- Brad. Tu dois voir ça, dit-elle.
- Quoi ?
Elle hésita une seconde à lui parler mais ne pouvait plus reculer.
- C'est Alan.
En effet, dans une petite pièce à part, l'oncle se pensait seul. Il était agenouillé au pied d'une statue de la déesse. Il priait, tout en grognant. Il marmonnait des paroles imperceptibles pour Maëlle et Brad qui l'épiaient en discrétion. Cela ne faisait aucun doute pour le chevalier corrompu, maintenant qu'il le voyait ainsi, c'en était même évident.
- Elle va l'immuniser, chuchota Maëlle.
- Je suis au courant depuis le début, répondit Brad. Nos consciences à nous tous sont reliées, personne ne peut me cacher quelque chose éternellement.
- Est-ce qu'on le tue ?
Il répondit par la négative, le brun savait exactement quoi faire de ce traître. Le tuer aussi vite ne serait d'une part pas très plaisant, et d'une autre part, très précipité alors qu'Alan pouvait encore servir.
- Gardons-le en vie pour le moment, sa trahison pourrait nous être très utile...
Sur ces mots, l'Hylienne fit confiance à son fils et ils s'en allèrent rejoindre les autres alors qu'Alan laissait couler une larme le long de son visage crispé.
Le souffle de l'explosion terrorisa ses deux survivants qui avaient pris leurs jambes à leur cou sans même regarder derrière eux. Il n'y avait aucun incendie ou de quelconques flammes, il s'agissait d'une onde de choc violente et violacée qui devait tenir son origine de la seule et unique personne qui avait tenté de s'emparer des esprits des deux Hyliens. Un souffle si destructeur qu'il avait brisé simultanément toutes les vitres et projetait encore des débris de bois, voire des pierres autour des restes de la bâtisse. Tout en courant, l'homme qui tenait préalablement la main de sa fille, la rapprocha brusquement de lui. Il disposa ses bras au-dessus d'elle de sorte que sa tête soit protégée de cette pluie de matériaux qui constituaient autrefois leur demeure, pour éviter un accident plus grave. En tant que père, il privilégiait la sécurité de son enfant avant la sienne. Et cela n'allait pas être la dernière fois qu'il le ferait : ils devaient fuir, le plus vite possible. Ils se retrouvaient livrés à eux-mêmes en Hyrule, sans armes, et avec peu de provisions. Gabriel savait qu'il n'y avait plus qu'une seule option qui se présentait à eux : rejoindre le village le plus proche. Un relais, n'importe quoi, quelque part où d'autres personnes pourraient leur venir en aide.
Par Hylia, ils ne retrouveraient donc jamais enfin une vie tranquille ? Après tout ce qu'ils avaient vécu ? Et lorsque qu'aucun danger ne semblait se présenter à l'horizon, on venait de nouveau leur dérober les moments de joie qui commençaient tout juste à réapparaître dans leur quotidien. Durant plus d'un mois, ils n'avaient fait que survivre, chaque jour avait été un enfer pour tous les deux. Et après la destruction brutale de leur maison, c'était comme si on s'acharnait sur leur sort, elle avait emporté avec elle leurs souvenirs les plus chers. Une tragédie qui ne voulait guère se terminer pour de bon.
Juste avant de traverser le pont de Prokis en direction de Necluda, Gabriel trébucha sur une racine d'arbre qui sortait de terre. Il fut coupé net dans son élan et tomba rudement dans l'herbe sur sa cage thoracique dans un geignement rauque et plaintif. Le sac qu'il portait heurta le sol et l'aîné fut contraint de lâcher la main de sa fille pour ne pas l'entraîner avec lui dans sa chute. Cette dernière se retourna de suite lorsqu'elle perçut le contact avec son père se défaire d'une seconde à l'autre.
- Papa ! s'exclama-t-elle sur un ton inquiet.
Lysia se précipita vers lui et s'accroupit. La petite fille courait en avant et pensait qu'elle était allée trop vite, jusqu'à le faire tomber. Le soleil était couché depuis quelques minutes seulement, et il n'y avait personne sur la route que la petite famille pouvait croiser à cette heure-ci de la journée si l'un d'eux venait à se faire mal ou s'ils devaient avoir besoin d'aide pour une autre raison.
- Papa, tout va bien ?!
- Ça va... la rassura Gabriel d'un signe de la main.
La blonde prit en compte cette réponse qui la rendit un peu moins inquiète. Elle attrapa le bras de son père puis le tira vers elle de toutes ses forces pour l'aider à se relever en vitesse. Tous les deux essoufflés après avoir couru sur une distance assez longue pour qu'ils soient assez éloignés de la ville, la fatigue n'allait pas tarder à prendre le dessus, et bien qu'ils s'étaient écartés de l'Étape, Gabriel et Lysia restaient encore dans une zone potentiellement dangereuse.
- Viens, relève-toi ! Il faut qu'on passe dans la montagne cassée en deux ! rappela la jeune fille en grognant à cause de la force qu'elle fournissait.
Gabriel prit appui sur ses genoux, ce qui facilita un peu l'effort physique de Lysia, les yeux plissés. Lorsqu'elle les rouvrit, ce fut une vision cauchemardesque qui se présenta devant elle. L'Hylienne écarquilla les yeux et fut abattue, elle pouvait contempler les restes de l'explosion, autrement dit, des ruines à la place de son habitation... Il n'y avait plus que ça. Un poids lourd vint se former dans sa poitrine, au niveau de son coeur. C'était un réel choc pour l'enfant qui découvrait le lieu de son enfance en miettes. Un endroit pour lequel elle avait de ce fait beaucoup d'affection.
- La maison...
Le père, enfin relevé, lui cacha cette vue. Il posa ses mains salies par la terre contre les joues de l'Hylienne qui commençait à s'affoler. Comment allaient-ils faire sans maison ? Et sa chambre ? Elle y était encore le matin même, occupée à jouer en attendant que son père finisse sa nuit ! Où allaient-ils vivre, dorénavant ?! Gabriel intervint de justesse pour la calmer, ce n'était pas le moment de faillir.
- Lysia, ne pose pas tes yeux sur ça. Regarde-moi, plutôt.
Cela le peinait de devoir lui annoncer ce qu'il s'apprêtait à lui dire, mais il n'avait guère le choix. Non pas qu'il avait peur que sa fille ne tienne pas le coup, au contraire, il la savait incroyablement courageuse pour une petite Hylienne de huit ans après son affreux séjour chez les Yigas. Non, il était simplement désolé et très frustré de devoir lui imposer tout cela, elle qui méritait beaucoup mieux qu'une vie d'enfant aussi compliquée que la sienne.
- Il va encore falloir qu'on soit forts, toi et moi. Mais au moins, nous sommes ensemble, cette fois-ci. Tu n'as rien à craindre.
Cette petite pause leur permit de reprendre leur souffle, Lysia ne laissa pas couler les larmes face à ce qu'elle venait de voir, elle voulait montrer à son père qu'elle pouvait toujours faire preuve de courage, même si celui-ci n'en doutait pas. Elle changea aussitôt d'expression de visage et fronça les sourcils, déterminée à ne pas faiblir face à ces dures images qu'ils abandonnaient derrière eux.
- Il faut continuer, papa, prononça-t-elle.
- Tu as raison, ne traînons pas.
Gabriel récupéra leur sac et tous les deux reprirent leur fuite à pas de course. D'un point de vue extérieur, on pouvait croire à deux fugitifs qui échappaient aux soldats d'Hyrule, une situation que l'homme connaissait bien. Fuir, se cacher, et rester caché, c'était dans ses cordes. Les cris de la foule en panique résonnaient encore jusqu'à eux, terrorisant Lysia qui ne comprenait pas comment tout avait bien pu basculer aussi vite. Tous ces gens... allaient-ils... mourir ?
Ils s'éloignèrent de plus en plus du lieu de l'explosion en longeant le fleuve de Primo, et ce fut lorsqu'ils se situèrent presque au niveau du pied des Monts Géminés que Lysia, à son tour, dut faire une pause vers un petit amas d'arbres non loin de là. En effet, la petite fille n'arrivait plus à marcher convenablement, elle avait couru assez longtemps pour qu'une douleur vive fasse son apparition sur son ventre. Plus elle avançait, plus elle souffrait et grimaçait. Les deux mains contre son abdomen, la blonde s'arrêta net en serrant les dents. Ni une ni deux, son père prit la situation en main et emmena Lysia s'asseoir à même le sol sous un chêne. Il y faisait sombre, la nuit tombait et la température baissait. Errer seuls la nuit devenait de plus en plus dangereux ces temps-ci en raison des nombreuses créatures nocturnes qui faisaient leur apparition, Gabriel en était conscient. Il s'accroupit devant sa fille et hésita d'abord à toucher le bandage disposé sous son vêtement - qui était censé protéger sa brûlure - car il ne voulait pas accentuer sa douleur.
- Est-ce que tes soins font effet ? interrogea le père dans la précipitation.
- Oui, répondit Lysia. J'ai juste mal au ventre. J'ai dû manger quelque chose qui...
Le frère d'Alan l'interrompit dans la foulée en prenant une voix plus autoritaire. La blessée refusait catégoriquement de montrer sa future cicatrice à qui que ce soit, elle ne l'avait pas encore acceptée. Gabriel n'avait pas le droit de l'examiner, ni même de la soigner, si bien qu'il dut fermement l'obliger de le laisser s'en charger pour pouvoir poser ce bandage la première fois, lorsqu'ils furent rentrés de leur périple, ce qui avait mis la petite fille très en colère.
- Non, Lysia, je ne veux pas de mensonges ! ordonna le père. Ce que tu as là est très grave, si ce que nous avons fait n'est pas suffisant, tu dois me le dire !
Elle afficha un air désolé pendant que l'épiderme de son ventre continuait à sérieusement la faire souffrir. L'Hylienne ne voulait pas poser les yeux dessus, alors laisser quelqu'un d'autre faire de même était une option encore moins envisageable.
- Non... je... non... refusa Lysia.
Le père soupira.
- Un jour, il va falloir que tu me parles plus concrètement de ce qu'ils t'ont fait...
- Rien ! répliqua-t-elle, coléreuse.
Elle sentit les larmes lui monter peu à peu aux yeux, ce sujet était encore et toujours source de dispute entre elle et Gabriel. Ce dernier ne souhaitait pas la faire pleurer, il cessa donc d'insister, en comprenant qu'il essayait de la faire parler d'un traumatisme beaucoup trop récent et cruel pour une enfant. Lysia le fixait avec un regard déboussolé, il ne savait pas en détails ce qu'elle avait vécu mis à part le fait que sa peau avait été brûlée d'une façon qu'il n'avait pas envie de se remémorer. Mais lorsqu'ils en parlaient, ce qui n'arrivait que très rarement, et que l'homme observait les iris de sa fille, il y voyait une terreur et une souffrance indescriptibles.
- Je... D'accord, excuse-moi, formula Gabriel. Je comprends que tu ne veuilles pas parler de ça, mais là, c'est sérieux. Tu dois quand même me laisser voir si...
Lysia hocha négativement la tête sans le laisser finir.
- Non... je... ne veux pas.
- Tu ne peux même plus courir. La douleur s'est réveillée d'un seul coup et je ne comprends pas pourquoi, je dois vérifier. Je n'ai pas le choix.
La respiration de la blonde s'accéléra instantanément, la dernière fois que son père avait prononcé ces mots, cela s'était assez mal passé pour tous les deux. Lysia avait fait une de ses plus grandes crises de colère tandis que le frère d'Alan ne cessait de lui répéter qu'il devait le faire pour son bien, pour éviter une étrange aggravation de la cicatrice qui n'avait encore jamais été soignée depuis un mois. Inquiet de la réaction de sa fille, il approcha doucement ses mains mais elle les repoussa l'instant qui suivit. La voix tremblante, elle lui interdit de réitérer son action, l'homme leva les mains en l'air pour lui montrer qu'il ne ferait plus rien. Honteuse, Lysia restait formelle : personne n'avait le droit de voir cette plaie qui hantait ses nuits.
- Non ! renonça-t-elle de nouveau.
Fort heureusement, après analyse de Gabriel, son cri n'attira aucun monstre. La petite fille rabaissa ses yeux humides sur l'herbe, en n'osant plus regarder son père directement, elle n'aimait jamais être en désaccord avec lui. Elle savait que la meilleure solution était de l'écouter, mais elle s'en sentait incapable. Un silence pesant s'installa ensuite, Lysia gardait une main contre son ventre en essayant d'ignorer la douleur du frottement de sa peau contre le tissu, en vain.
- Je ne vais pas te forcer, se résolut Gabriel, mais tu ne peux pas rester dans le déni indéfiniment, ma chérie... Je veux juste que tu n'aies plus mal.
- Laisse-moi, s'il te plaît.
Voyant qu'il n'arriverait à rien, il décida de l'écouter et de la laisser se calmer. Peut-être qu'en fin de compte, c'était ce dont elle avait besoin... L'homme se releva en soufflant. Une certaine impatience naquit en lui du fait des récents évènements. Ils seraient bien plus en sécurité dans un relais, ou un village... De plus que l'aîné n'avait aucune arme. Le père fit comprendre à Lysia qu'il fallait se dépêcher pour éviter le danger qui rôdait continuellement dans les parages, sans un bruit.
- Ce qui est sûr, c'est que nous ne pouvons pas continuer si tu es dans cet état, dit-il.
- Laisse-moi regarder alors... toute seule.
C'était déjà un énorme effort de sa part, l'Hylienne reprit conscience de la gravité de la situation et du fait qu'ils ne pouvaient guère rester bloqués ici, sous cet arbre, pour toujours. Lysia, qui évacuait son angoisse en jouant avec les perles de son nouveau bracelet d'opale, respira un grand coup et prit une nouvelle fois son courage à deux mains. Nul doute qu'elle allait découvrir un état plus que médiocre de sa blessure, et que son père allait devoir agir, mais si l'examiner elle-même avant tout pouvait lui permettre de moins appréhender la chose, qu'il en soit ainsi.
- Promets-moi de m'appeler s'il y a la moindre différence depuis la dernière fois. D'accord ?
Elle opina bien que timidement. Gabriel ne s'aventura pas plus loin que de l'autre côté du tronc d'arbre contre lequel était assise sa fille. Il s'y adossa et lâcha le sac qu'il tenait encore en main et celui-ci fit un bruit sourd en heurtant le sol. Dans le temps durant lequel Lysia défaisait son bandage, il se remémora le petit coffret qu'il avait découvert le matin même dans sa chambre, caché sous le plancher. Il l'avait emmené avec lui, et une question lui traversait l'esprit depuis leur départ : pourquoi l'avait-il fait ? Pourquoi l'avait-il embarqué ? Après tout, peu importait ce qui pouvait se cacher à l'intérieur, cela ne la ferait pas revenir. L'homme ne comprenait pas pourquoi il continuait à s'attarder sur ce passé douloureux. Cela ne lui faisait que du mal, elle ne lui faisait plus que du mal, à présent... Il fouilla dans le sac afin de retrouver cette mystérieuse boîte, Gabriel n'avait pas eu le temps de chercher la clé qui lui permettait de l'ouvrir, mais il savait que s'il voulait vraiment savoir ce qu'il y avait à l'intérieur, clé ou non, il parviendrait à ses fins. Lorsqu'il récupéra le coffret entre ses mains, l'objet ne pouvait que lui faire repenser à son ancienne conjointe.
À l'accoutumée, il ne lui reprochait rien, l'ancien voleur restait dans l'incompréhension mais ne cherchait pas à rejeter la faute sur quelqu'un d'autre que lui. Mais depuis que tout avait basculé, il s'obstinait à penser que si Madeline n'était pas partie, tout cela ne serait peut-être pas arrivé. Après tout, il avait toujours été sincère du début à la fin de leur relation. Il n'avait jamais rien caché. La vérité, c'était qu'il ne savait plus quoi penser d'elle.
- Si seulement tu m'avais expliqué... murmura-t-il pour ne pas attirer l'attention de Lysia, juste derrière. Si seulement tu m'avais partagé tes peurs...
Il entendit sa fille inspirer la bouche ouverte, elle venait juste de dérouler un tour du tissu blanc qui protégeait son abdomen. En y repensant, Gabriel sentit la colère monter. Il lui avait promis une vie heureuse, et au lieu de ça, voilà ce qu'il lui offrait comme cadeau... Se faire kidnapper par des dégénérés, souffrir d'une grave blessure qu'elle garderait à jamais, et voir sa maison détruite par son oncle. Tout cela, à seulement huit ans ! Quel genre de père fallait-il avoir pour vivre de telles choses à un si jeune âge ? S'il n'arrivait pas à tenir la promesse qu'il lui avait faite, que cela faisait-il de lui mis à part un père indigne ?
- Elle me parle de toi tous les jours, elle veut savoir. Comment puis-je lui dire que... sa mère est partie à cause de moi ?
L'homme gardait son regard focalisé sur le coffret en bois. Peut-être était-ce la fatigue, en tout cas, il avait besoin de se vider de ses émotions fortes. La disparition de leur maison, la corruption de son frère, c'était de trop pour lui.
- Tu ne l'aimais pas. Tu n'as jamais rien ressenti pour elle, simplement parce que je suis son père. C'est insensé. Comment je pourrais lui dire une chose pareille ? Si tu n'avais plus confiance en moi, et que tu ne voulais plus d'une vie à mes côtés à cause de mon passé, soit. Mais ta fille... tu as laissé ta fille seule, sans mère, alors qu'elle n'y est pour rien.
Gabriel avait du mal à continuer de chuchoter pour ne pas se faire entendre. Il commençait à regretter d'avoir pris avec lui cette boîte qui ne représentait à ses yeux qu'un énième souvenir de Madeline qui lui torturerait l'esprit sans cesse. C'était toujours la même chose en se replongeant dans ces pensées-là, son coeur lui donnait l'impression de se briser et il ressentait une frustration qui répondait de ses actes passés.
- Je voulais même que l'on se fiance, mais tu es partie avant même que je n'aie eu le temps de te le demander.
Il jeta le coffret à ses pieds.
- Et merde... malgré ça, je t'aime toujours... Est-ce que j'ai raison de continuer à défendre tes choix sans m'en rendre compte ? Est-ce que j'ai raison de me dire que je suis le seul fautif dans cette histoire ? Ou est-ce que je devrais faire comme Alan ? Te haïr jusqu'à la fin de mes jours et te traitant de tous les noms ?
Dans un élan de colère, il leva la jambe droite et tenta d'écraser la boîte qui résista une première fois en émettant un craquement aigu. N'étant guère satisfait du résultat, le père répéta son geste et il parvint cette fois-ci à briser le bois. Qui avait dit qu'il fallait impérativement une clé pour ouvrir ce type de boîte aussi fragile ? La serrure ne tenait même presque plus... L'homme s'abaissa et découvrit ce que renfermait ce fameux coffret. Deux petits anneaux en argent ainsi qu'un vulgaire papier chiffonné. Pour quelque chose d'aussi bien caché, il fallait avouer qu'il s'attendait à beaucoup plus d'objets de valeur à l'intérieur. Son contenu était quasiment vide ! Sans même chercher à comprendre, il rangea les deux bijoux dans son bagage avant d'attirer son attention sur le papier qui restait.
En le dépliant avec soin, Gabriel comprit qu'il s'agissait d'une lettre. Une lettre qui n'avait jamais été envoyée, et qui devait dater de plusieurs années maintenant. D'après son expérience passée, les gens ne dissimulaient pas aussi bien des écrits, mais plutôt des rubis, ou des pierres précieuses, mais une lettre... et chiffonnée ! Pourquoi ne pas l'avoir directement jetée ? Gabriel leva un sourcil et lut ces lignes avec intrigue.
Mon cher grand-père,
Comment vas-tu ? Je suis heureuse de pouvoir à nouveau prendre de tes nouvelles depuis la dernière fois que l'on s'est vus. J'espère que tu t'es remis de ton mal de dos, ces crabes t'en ont fait baver, il faut avouer. Et la pêche ? Est-elle bonne ? J'espère que les poissons ne font pas trop des siennes, comme tu le dis si souvent.
Si je t'écris, c'est parce que je voulais t'informer de quelque chose qui, je pense, te fera très plaisir ! Gabriel et moi, nous comptons venir nous installer à Écaraille ! Bon, la vérité, c'est que je ne lui en ai encore jamais vraiment parlé, mais ça serait l'occasion pour vous deux d'enfin vous rencontrer, depuis le temps que je lui parle de toi. Je suis certaine qu'il acceptera.
J'ai une nouvelle encore plus réjouissante à partager ! Sache que, Gabriel et moi, nous attendons un enfant. Si tu savais à quel point cela me rend heureuse ! Imagine, mon bébé qui ferait ses premiers pas dans le sable, qui plongerait ses petites mains dans l'eau salée de la mer de Firone... Et nous pourrions venir te voir tous les jours ! C'est pour tout cela que je veux venir vivre près de la mer. Et puis, disons que la maison de mamie, aussi grande et somptueuse qu'elle peut être, n'est plus vraiment un endroit où j'aime vivre. Le bruit de la ville, des passants, c'en devient vite fatiguant, tu sais. Oh, évidemment que tu sais, sinon tu ne serais jamais parti aussi loin de la vie du royaume.
J'aurais aimé voir ta tête en lisant cette annonce que je viens de te faire, j'espère que tu t'en remettras assez vite, car nous arriverons dès que possible. En tout cas, ne t'en fais pas pour la suite, Gabriel s'occupe très bien de moi et je ne me fais aucun souci pour l'avenir. Avec lui, je sais que tout ira bien.
J'ai hâte de te revoir, je t'embrasse très fort !
Madeline, ta petite-fille
Il fut subjugué par cette découverte. Elle voulait déménager pour Écaraille ? Alors ça ! Pour une surprise... Depuis quand préparait-elle ce changement dans le dos du père ? Lui qui ne savait même pas qu'elle avait un grand-père à Firone.
Une chose était sûre : cette lettre, elle ne voulait pas qu'il la découvre, car ces mots constituaient un indice pour comprendre où se cachait Madeline, le seul indice en huit ans. Il venait peut-être de lire une piste qui permettrait de la retrouver ! Une piste qu'il s'empresserait de suivre si elle pouvait lui offrir plus d'explications.
Le père n'en revenait toujours pas, combien de secrets lui avait-elle caché ? Gabriel savait Madeline très mystérieuse, et espiègle, c'était d'ailleurs cela qui, pour lui, faisait son charme. Mais... Et s'il ne savait qu'une infime partie de la vie de sa bien-aimée de l'époque ? Taire l'existence de membres de sa propre famille à son conjoint était quelque chose d'assez déconcertant, tout de même... Depuis le temps que je lui parle de toi... quel affreux mensonge... L'homme ne put réfléchir plus de temps, car au même moment, il perçut un bruit de sanglots. Lysia apparut à sa gauche, elle était en pleurs, tenant sa brûlure rougie à découvert en laissant le léger vent l'arpenter. Il avait toujours trouvé la réaction de cette inflammation dépourvue de sens, elle lui paraissait moins guérie que la première fois qu'il l'avait vue. La cicatrice semblait s'être rouverte, mais pourtant rien ne justifiait cela... Il était clair que quelque chose d'étrange se cachait derrière cette histoire.
- Désolée... marmonna-t-elle en séchant ses larmes.
Elle regrettait amèrement d'avoir refusé l'aide de l'homme qui était affligé par le triste état de sa fille. La vérité faisait parfois mal, très mal, Lysia l'avait compris ; la blonde prenait peu à peu conscience de cette réalité qui ne quitterait à présent plus sa peau. Le père replia la lettre avant de s'approcher d'elle. Il se mit à sa hauteur, lui replaça une mèche de cheveux derrière son oreille, puis laissa sa joue dans le creux de sa paume de main. La situation pressante avait fait que l'Hylien s'était peut-être un peu mal pris avec elle, il n'avait jamais eu l'intention de la sermonner à propos de son blocage avec sa blessure. La voir s'excuser le peinait et il la rassura instantanément.
- Tout va bien. Je ne suis pas fâché. Viens-là.
Lysia se rua dans les bras de Gabriel avant de continuer à pleurer sans pouvoir s'arrêter. En une soirée, ils avaient tout perdu. Par Hylia, s'il le pouvait, il porterait cette cicatrice à sa place sans hésitation... L'Hylien resserra son étreinte pour la consoler davantage, tout en lui murmurant que les choses finiront par s'arranger, un jour ou l'autre.
~~~
Link ouvrit la porte de sa maison qui grinçait un peu. Il posa un premier pied à l'intérieur de la pièce principale, plongée dans la pénombre. Cela lui faisait toujours quelque chose de revenir ici, dans cette partie de la citadelle. Il avait passé une grande partie de son enfance à loger en ce lieu, à chaque fois qu'il passait cette porte d'entrée, nombreux étaient les souvenirs qui lui revenaient en tête. Mais ce jour-là, le héros ne s'attarda guère sur ces pensées nostalgiques. Il avait un invité à ne surtout pas négliger, et cela le rendait assez nerveux. Ni une ni deux, lorsque son sens olfactif perçut une odeur de renfermé assez désagréable, il s'empressa d'aller ouvrir la fenêtre de l'autre côté de la table disposée au centre. La lumière du jour s'éparpilla dans la totalité du rez-de-chaussée et éclaira les meubles, murs, et autres bibelots qui traînaient sur quelques étagères. Le silence qui régnait constamment ici était très impressionnant, il contrastait avec le reste de la ville, toujours bruyant, et dynamique, comme une fourmilière...
Link souffla et laissa Zelda entrer, elle aussi. Sur le chemin du retour, il avait beaucoup cogité à l'idée d'inviter la princesse chez lui avant de retourner dans l'enceinte du château. Ce n'était pas le genre de chose que l'on faisait très souvent, mais sa proposition reçut une réponse favorable. Après tout, il n'y avait rien de mal à proposer un repas à un ami. Depuis la nuit dernière, le sourire était réapparu sur le visage de la princesse. Les évènements avaient fait qu'à présent, elle verrait les choses d'une manière très différente qu'auparavant. L'Hylienne se sentait dorénavant protégée, et accompagnée. Elle l'avait toujours été, mais revoir sa mère lui avait rappelé et elle ne comptait plus l'oublier. Même la mort ne peut me séparer de ma petite fille indéfiniment, voilà des mots que Zelda garderait en mémoire pour toujours. Ce fut donc avec joie qu'elle accepta la demande du chevalier avec qui elle préférait maintenant passer le plus clair de son temps.
- Bienvenue, l'accueillit Link. Je suis navré pour la poussière et... le désordre... Je ne viens plus très souvent alors j'ai tendance à oublier de ranger.
La prêtresse royale contempla les murs avec humilité. Puis, elle s'imprégna de l'atmosphère et de la sensation profonde que lui procurait cette demeure : une chaleureuse ambiance calme et reposante qui lui donna des frissons. La maison avait beau être vide et froide au premier abord du fait que personne n'y mettait régulièrement les pieds depuis plusieurs mois, c'était comme si une présence l'habitait. Un ressenti assez perturbant... Vers sa droite, l'Hylienne remarqua un espace dédié à la cuisine surplombé par un très beau tableau en longueur représentant la région de Necluda. En effet, Zelda y avait reconnu la montagne de Lanelle.
La princesse tourna la tête vers la gauche pour y remarquer un modeste escalier ainsi qu'une petite bibliothèque près d'un miroir sali de quelques traces de doigts. Il était cependant vrai qu'une épaisse couche de poussière recouvrait le dessus des meubles tels que les commodes et placards. Mais la blonde restait compréhensive et cela ne la dérangeait pas, elle se complaisait très bien dans ce style de vie qui n'était pourtant pas le sien.
- Je trouve ta maison très charmante, affirma-t-elle.
Link n'arrivait pas à savoir si son amie disait cela par pure politesse ou si elle le pensait vraiment. Pour lui, ce lieu n'avait comme allure que celle d'une maison abandonnée... Mais soit, c'était son foyer. Et il en était fier malgré tout. Le chevalier alla refermer la porte derrière Zelda et retira son épée de légende de son dos qu'il posa contre un pied de la table.
- Je vous en prie, asseyez-vous. Faites comme chez vous.
Elle s'avança timidement vers une chaise sans oser s'y installer, un peu intimidée par son environnement. Elle savait que si l'on venait à apprendre sa présence ici, cela serait très mal vu... Mais elle devait se forcer à faire abstraction de ce que pensaient les autres, cela lui rendrait la vie beaucoup plus facile. Le héros insista pour qu'elle s'asseye, et Zelda finit par s'attabler. Puis, pendant qu'il débarrassait sa petite cuisine, Link lui annonça ce qu'il avait prévu comme repas, en espérant que cela lui plairait.
- Je comptais nous préparer une spécialité locale de Necluda. Une salade d'Elimith. C'est un plat froid bien garni que l'on mange justement à cette période de l'année, c'est très complet, et simple à réaliser. Cela vous convient-il ?
Zelda fut amusée en comprenant le grand amour que Link portait à Necluda. Ce paysage affiché en grand chez lui, une spécialité d'Elimith en plat du jour, ses parents qui souhaitaient y déménager... Et il fallait le dire, Necluda était une très belle contrée, elle avait son charme.
- Tu adores cette région, à ce que je constate, sourit la princesse.
- C'est vrai, répondit Link, ma famille a toujours aimé voyager là-bas. Cette peinture en est la preuve, j'imagine.
En toute logique, la blonde lui déclara que le plat que comptait faire Link lui convenait parfaitement. Elle l'en voyait ravi. Mais le blond comprit tout de suite qu'il n'allait pas pouvoir préparer cette salade d'Elimith pendant que Zelda était là, assise, les doigts entremêlés posés sur ses genoux, en ne pouvant qu'attendre dans un silence témoignant de sa nervosité. Il avait commencé à sortir ingrédients et couverts, et pour éviter que ce malaise, qu'ils ressentaient tous les deux, ne dure plus longtemps, le prodige l'interpella encore une fois. Au-delà de la peur qu'elle ne s'ennuie, le héros se dit même que si elle se joignait à lui, cela pouvait s'avérer être une bonne occasion de lui partager son savoir culinaire, comme elle le faisait avec la technologie antique.
- Vous aimeriez peut-être m'aider à préparer le repas ? interrogea-t-il.
Zelda pensa qu'elle avait mal agi en laissant son ami préparer seul leur repas. Honteuse, elle le pria de l'excuser. La princesse trouva son attitude impolie. Une attitude qui, encore une fois, prouvait sa fébrilité.
- Oh. Oui, bien sûr... Excuse-moi, j'ai malheureusement l'habitude de mettre les pieds sous la table sans réfléchir, mes habitudes princières ont fait que...
Link la rassura sans attendre.
- Non, je ne le disais pas pour cela, ne vous en faites pas. C'était une simple proposition.
Il remarqua le manque d'attention de son invitée, il était clair qu'elle n'était pas dans son assiette. Avait-elle un autre problème ? Pourtant, sa longue discussion avec sa feue mère semblait lui avoir fait oublier son dernier échec à la source de la Force. Et depuis, elle souriait, plaisantait, riait... Zelda respirait la joie de vivre, ce qui avait beaucoup réjoui le capitaine. Non, c'était donc autre chose qui devait la tracasser, mais Link ne cerna pas tout de suite de quoi il s'agissait. Il finirait bien par comprendre.
- C'est d'accord alors, accepta l'Hylienne. Mais je n'ai jamais cuisiné, je ferais un désastre...
- Je suis persuadé du contraire. Vous verrez, c'est très facile.
Il ramena tout ce dont ils avaient besoin sur la table. Zelda le vit débarquer les mains pleines. Parmi les ingrédients du plat qu'ils allaient préparer : salade, tomates, champignons, pommes, glands, et quelques morceaux de volailles fines. Link avait opté pour une méthode de conservation que peu de monde utilisait mais qui s'avérait très efficace, il baignait ses ingrédients dans de l'eau mélangée à un liquide généralement présent dans les potions anti-chaleur. Avec cette technique, les aliments gardaient une température relativement basse pendant plusieurs jours et pouvaient être utilisés sur une période plus longue qu'à la normale. Plutôt original comme procédé, mais très efficace !
L'avantage ici était qu'il n'y avait besoin de cuire que la volaille. Ainsi, les deux élus se répartirent les tâches rapidement. Dans un premier temps, Link se chargerait de préparer le feu pour la viande tandis que Zelda nettoierait les trois pommes nécessaires à la recette avant de les découper en lamelles. La blonde termina de laver les fruits puis attrapa une planche de bois pour commencer à les couper sans abîmer la table en-dessous. Elle se rendit compte que c'était bien la première fois qu'elle préparait à manger. Et au fond, cette activité ne lui déplaisait pas, elle trouvait cela même plutôt agréable. Après quelques petits conseils du héros, elle prit un couteau aiguisé en main et s'occupa d'une première pomme. Les tranches devaient être relativement fines, ni trop, ni pas assez. Et ce n'était pas une mince affaire, contrairement à ce que l'on pouvait penser.
Link vint s'installer en face d'elle et décida de découper les champignons enduro qui attendaient encore d'être transformés en petits cubes. Le prodige se mit alors à esquisser un fin sourire sans qu'il en ait une explication. Cela le rendait simplement heureux de pouvoir vivre ce moment - qui était pourtant si banal et n'avait rien d'extraordinaire - avec la princesse.
- C'est donc ici que le Héros d'Hyrule a grandi, entama Zelda en gardant le regard fixé sur sa tâche délicate.
- En quelque sorte, oui, répondit le chevalier. J'avais plutôt l'habitude de passer mes journées à l'extérieur. Si je n'étais pas en train de jouer avec une épée en bois, je faisais un cache-cache au marché de la citadelle avec mes amis de l'époque.
Il continua à lui énoncer plusieurs exemples. Non étonnée de cette réponse, elle imagina Link du haut de ses six ans gambader à travers les passants et jouer à imiter les gardes royaux de l'entrée du château comme il venait de le faire à l'instant en abandonnant pour quelques secondes ses champignons enduro, ce qui la fit rire.
- Un vrai petit aventurier, ajouta-t-elle.
- C'est vrai, et pas des plus obéissants quand il s'agissait de rentrer à la maison.
Arrivée à sa troisième et dernière pomme, la prêtresse disposa mal la lame de son couteau qui découpa le fruit juste de moitié. De ce fait, l'ustensile ripa sur le côté et Zelda manqua de sérieusement se couper. La princesse fit comme si rien ne s'était produit, vérifiant par moments si le héros l'avait remarquée ou non. Il se garda de faire une quelconque remarque sur ce qu'il venait de se produire. Mais Link ne pouvait le nier, quelque chose devait perturber son amie. Elle s'était réfugiée dans une timidité qui ne lui ressemblait pas. Était-ce le fait de se retrouver chez lui qui l'intimidait autant ? Inquiet, le blond décida de lui poser directement la question.
- Je pourrais me tromper, Princesse Zelda, mais vous m'avez l'air embarrassée. Quelque chose vous ennuie ?
Elle releva les yeux vers lui puis hocha la tête de droite à gauche en se rappelant ce moment unique de la nuit dernière qu'elle qualifiait même de miracle tant il était inespéré.
- Je me remets à peine de ce que j'ai vécu cette nuit ! s'exclama-t-elle jovialement. Cela t'arrive souvent de revoir un proche disparu, à toi ?
Comment pouvait-il lui dire que... oui, presque tous les jours. C'était bien là le problème principal que rencontrait Link dans sa vie quotidienne, la princesse semblait l'avoir oublié. Le chevalier resta silencieux ; et rapidement, Zelda porta une main contre sa bouche lorsqu'elle voulut se reprendre mais qu'il était trop tard. Décidément, elle avait véritablement la tête ailleurs...
- Il faudrait que je me taise, termina la prêtresse, soudainement rembrunie. Je ne fais que des maladresses.
- Tout va bien, assura le héros qui ne lui en voulait pas, je ne vais pas me vexer pour si peu.
- Tout de même, Link, je m'excuse.
Une fois la découpe des pommes terminée, Zelda regroupa les morceaux, posa le couteau et attendit que son hôte ne termine lui aussi sa tâche pour en démarrer une nouvelle. Ce dernier prit conscience qu'il avait l'habitude de cuisiner seul, et pour lui. Et étant donné qu'ils ne faisaient pas quelque chose qui allait égaler la gastronomie du château, il s'inquiétait que cette simple salade d'Elimith ne plaise point à son amie, habituée à une cuisine raffinée et exquise. Lui-même y avait goûté de nombreuses fois.
- Vous voyez, vous vous en sortez très bien, dit-il avec égaiement en voyant les pommes coupées.
- Les tranches ne sont pas trop épaisses ? voulut s'assurer l'Hylienne.
Il lui répondit que c'était parfait lorsqu'il alla s'occuper de la volaille. Quelques minutes plus tard, après avoir terminé de cuisiner le reste des ingrédients, le repas était fin prêt et les élus, assis autour de la table, furent impatients de partager ce nouveau repas ensemble. C'était plutôt convivial, Zelda appréciait beaucoup cette façon de vivre : une délicieuse simplicité. Les grands festins coutumiers et luxueux apportés par des servants et servantes dans une immense salle du château n'avaient jamais réellement été quelque chose que la princesse trouvait fascinant, disons que c'était différent. Ici, ils avaient pris plaisir à réaliser ce plat pour eux, et cela donnait un tout autre aspect à l'assiette.
Ils se souhaitèrent un bon appétit, et suite à une première bouchée, Link se rappela quelques informations qu'il voulait faire parvenir à Zelda, qui mangeait plus lentement que lui pour savourer la nourriture. Cela le faisait appréhender sa réaction qu'il voulait, bien sûr, honnête.
- Je ne vous ai pas parlé de ma réunion, lorsque j'avais dû vous quitter dans le parc, il y a quelques jours.
Étonnée de l'entendre parler de ce sujet, Zelda leva le regard de son assiette pour l'écouter attentivement. Il avait l'air contrarié, repenser à ce à quoi il avait discuté avec les commandants de guerre et autres haut-placés qui s'occupaient de la justice, était assez désagréable. Ce qui s'était dit lui avait peu convenu et Link n'avait pas dû le montrer sous peine d'être soupçonné.
- Que désires-tu me dire ? le questionna-t-elle.
- Disons que durant celle-ci, nous avons parlé du cas de Gabriel.
La princesse toucha son avant-bras autrefois couvert de plaies en se souvenant de celle qui l'avait soignée. Durant les derniers jours, son esprit les avait un peu oubliés, elle et son père. Le retour à la normale était allé si vite que cette aventure passée avait été mise de côté dans sa tête. Et il valait mieux cela que de se remémorer chaque instant les moments vécus dans ce repaire d'assassins... La blonde eut tout de même un léger sourire en se rappelant la gentillesse et la générosité de cette petite fille, elle souhaitait de tout son coeur que Lysia soit à nouveau heureuse.
- J'espère qu'ils se portent bien, déclara Zelda.
- J'ai dû ordonner à une escouade de partir à sa recherche, donna comme explication le héros. Pour son procès tant attendu.
Elle comprit que c'était justement cela qui gênait Link. Son point de vue et celui de son amie étaient peut-être biaisés du fait qu'ils avaient été touchés tous les deux émotionnellement par l'histoire de cette famille. Ils en oubliaient peut-être que Gabriel avait passé une grande partie de sa vie à s'appeler "Lambda", mais les élus étaient d'accord sur une chose : tout le monde avait le droit à une seconde chance. Ce n'était pas dans les valeurs de Link de condamner quelqu'un lorsque ce dernier montrait tous les efforts possibles pour prouver qu'il avait changé auprès des autres. Il voulait lui faire confiance, il en ressentait le besoin.
- Je vois, marmonna la princesse en réfléchissant à ce qu'avait fait Link. Mais en tant que capitaine de la garde, tu ne pouvais pas faire autrement.
- Comme votre père savait que nous étions avec lui au repaire des Yigas, il en a informé tout le monde. Je leur ai donc expliqué pourquoi nous l'avions aidé.
Voilà encore une preuve de plus d'avoir bien fait, se dit l'Hylienne. Si Link n'avait rien ordonné, peut-être que les personnes présentes autour de cette table auraient commencé à douter de lui en pensant qu'il s'était rangé du côté du criminel qu'ils recherchaient. Au vu de l'expression du blond, Zelda comprit que même avec des explications claires de la volonté de Gabriel, cela n'avait rien changé.
- Mais cela n'a pas suffi, j'imagine... soupira-t-elle.
- Ils ont insisté pour le traquer, le capturer, et le juger de la manière la plus sévère possible.
La jeune femme reposa vivement ses couverts sur la table, agacée par le jugement si catégorique de ces dirigeants. Eux n'avaient pas vu comment Gabriel avait changé, et pas une seule de ces personnes n'avait demandé à en voir davantage. Ils étaient tous résolus à lui faire payer ses crimes, encore. Zelda souffla et signala à Link l'importance de mettre le père hors de danger. Si on venait à mettre la main sur lui, il allait mourir.
- Link, s'ils le retrouvent, on va ordonner son exécution...
- J'en suis bien conscient. C'est pourquoi j'ai... menti. Gabriel m'a dit qu'il souhaitait subir les conséquences de ses actes et se rendre à son procès. Mais il ne sait pas ce qui l'attend. Les exécutions ont beau se faire de plus en plus rares, je puis vous assurer qu'ils étaient prêts à l'éliminer, et je ne peux pas laisser Gabriel mourir, je ne peux pas infliger une telle chose à sa fille. J'étais la seule personne autour de la table à avoir des informations, je leur ai dit qu'il avait fui à Hébra. Mais je sais que ce n'est pas ça qui les empêchera de le retrouver un jour ou l'autre.
Ces mots ne soulagèrent pas la princesse qui avait dorénavant peur pour l'avenir de l'aîné et de Lysia. Il s'agissait de personnes bien, et visiblement peu de gens le voyaient.
- La présence de Lysia ne leur a-t-elle pas fait changer d'avis ? Mon père est prêt à le tuer et faire de Lysia une orpheline ?
- Votre père était absent lors de cette réunion.
Tout de même ! Dans le cas contraire, Zelda n'aurait pas hésité à aller lui parler, quitte à en subir les conséquences une nouvelle fois. Le roi était peut-être dur et strict, demander à tuer un homme aussi vite ne lui ressemblait pas. Elle voyait que son ami n'avait guère apprécié l'idée de cacher la vérité à des personnes aussi importantes d'Hyrule, c'était compréhensible, mais elle était convaincue qu'il avait fait le bon choix. Grâce à lui, les recherches mettront plus de temps que prévu et peut-être allaient-ils pouvoir prévenir Gabriel de ne pas se rendre comme il le souhaitait.
- L'important, Link, c'est que tu as menti pour la bonne cause, rappela Zelda. Ils s'en sortiront.
Le simple fait de l'entendre de la bouche de la princesse le rendait plus optimiste. Elle avait raison, ils allaient s'en sortir. Il le fallait. Les deux jeunes gens reprirent leur repas sans un bruit, toujours tourmentés par cette situation compromettante. Lorsque leur regard se croisèrent d'une manière furtive, la princesse réengagea la conversation.
- Quelle histoire, tout de même... formula Zelda en haussant les sourcils.
- C'est vrai, confirma Link.
Ensuite, elle fit enfin part de son avis concernant le plat qu'ils dégustaient. Et sans grande surprise, celui-ci était plutôt positif.
- Mis à part cela, c'est absolument délicieux.
Par Hylia... non, ces flatteries ne rimaient plus à rien... Décidée à essayer de lui dire la vérité, Zelda se redressa et se racla la gorge. Son angoisse était de nouveau palpable, tellement que le héros se demanda sérieusement s'il possédait quelque chose qui pouvait la calmer, comme lors de ses crises de panique après une vision. Elle ressentait une chaleur étouffante par moments et ses mains étaient moites.
- Link, j'aimerais te dire quelque chose, annonça la princesse en essayant de garder une voix stable.
Elle marqua une pause, hésitante.
- Je... voulais encore te remercier pour tout ce que tu fais pour moi. Vraiment, je suis très touchée que tu te soucies autant de ma personne. Alors voilà... merci infiniment.
Tout à coup, il tendit l'oreille et perçut de l'agitation à l'extérieur. Puis, après réflexion, il reconnut l'alerte qui donnait l'ordre aux habitants de la citadelle de rentrer chez eux le plus vite possible. Ce n'était guère quelque chose qui avait l'habitude d'arriver, ce qu'il se passait devait être grave. Durant un instant, il pensa au retour de Ganon, mais la terre ne tremblait pas... En jetant un oeil par la fenêtre, le ciel n'était pas rouge sang comme le décrivaient les anciens manuscrits. Non, rien ne démontrait la résurrection du Fléau. Il se passait tout autre chose. En tant que capitaine de la garde, Link se devait malgré lui de rejoindre le château pour comprendre les événements.
- Quelque chose n'est pas normal, informa Link en se levant de sa chaise qui grinça contre le sol. Il faut que j'aille...
- Link, il y a aussi autre chose...
La blonde, d'un coup, le retint de partir si vite en lui attrapant l'avant-bras. C'était maintenant qu'elle se sentait de lui dire. De lui faire comprendre. Zelda ne voulait perdre cette occasion pour rien au monde. Intrigué, Link comprit que la princesse essayait enfin de partager l'origine de cette attitude qui ne lui ressemblait pas. Il se rassit en douceur à sa place, parfaitement attentif à son amie qui fit glisser la main qu'elle portait sur la manche de son vêtement jusque dans sa paume, à lui. L'instant qui suivit, le héros ne l'avait pas anticipé : en effet, ce qu'il ressentait était quelque chose qui lui était encore inconnu, il ne s'était encore jamais senti aussi vivant ; tandis que pour Zelda, elle ne comprenait pas vraiment ce qu'était cette flamme qui venait de s'embraser au plus profond d'elle-même. Elle avait décidé de laisser parler son coeur comme l'avait conseillé sa mère. Les élus restèrent ainsi un long moment, main dans la main, car ce contact chaud était plutôt agréable, au final. Link resserra son emprise sur la peau de la prêtresse royale.
- Sache que... je tiens beaucoup à toi, avoua Zelda.
Elle déplaça délicatement son pouce qui vint frôler les doigts de Link qui tremblaient un peu. Mais elle se stoppa avant qu'ils ne se touchent, laissant simplement sa main refermée au creux de celle de son ami. Néanmoins, le blond avait eu les yeux rivés sur cette action et lorsqu'il changea pour regarder son invitée dans les yeux, il y vit un regard indescriptible tant il y discernait de choses à l'intérieur. Il voyait dans le plus profond de ses iris émeraude une véritable émotion. Forte. Puissante. Ce n'était pas la première fois qu'ils se dévisageaient ainsi, mais ce jour-là, il y avait... quelque chose en plus.
- Vous ne m'avez encore jamais regardé ainsi.
Link eut un petit rire discret après avoir prononcé cette remarque qui n'avait pas laissé l'Hylienne indifférente. Puis, il se sentit soudainement rougir malgré lui. Ce qu'il se passait ? Ils n'en avaient aucune idée, c'était comme spontané, naturel. Comme s'ils avaient toujours connu cette sensation entre eux, et que ce n'était que la première fois que les deux jeunes gens prenaient le temps de la remarquer, et de la comprendre.
- Je tiens beaucoup à vous aussi, ajouta-t-il avec sincérité.
Ce fut au tour de Zelda de rougir. Au même moment où les frissons parcourent la surface de sa peau, elle retira sa main et mit fin à ce contact si unique comparé aux précédentes fois. Il n'y avait plus besoin de mots pour savoir à quoi rimait tout cela. Ils le savaient, ou du moins, les deux élus en prenaient enfin conscience... Le chevalier, déboussolé, reprit ses esprits et alla chercher son épée de légende. Il semblait être revenu à la réalité d'une seconde à l'autre, le devoir l'appelait une nouvelle fois dehors. Tandis que la princesse, elle, restait encore assise là devant son assiette, le regard dans le vide, concentrée sur les ressentis qui l'animaient, les sentiments qu'elle éprouvait, ainsi que les conséquences que cela eut sur son corps. Comme ces martèlements incessants qui tambourinaient à l'intérieur de sa poitrine et qui l'empêchaient de respirer comme à l'accoutumée.
Il s'agissait de son coeur qui s'emballait.
L'atmosphère était morose. Le ciel gris ne laissait qu'une faible luminosité occuper cette salle du château, en ce début de soirée. L'humeur générale des personnes présentes alourdissait davantage l'air ambiant. Tout le monde était plongé dans une angoisse qui les mettait à cran, et chacun la manifestait à sa manière. La raison à cela était plus que légitime ; dehors, la vue était assez déroutante. La citadelle avait été plongée dans un silence absolu et soudain depuis le début de l'après-midi, et le royaume entier semblait figé. Ils étaient venus des quatre coins d'Hyrule en vitesse. Les cinq prodiges ainsi que la princesse s'entretenaient pour savoir quelle était la meilleure chose à faire face à un amphithéâtre assiégé ainsi qu'à des dizaines de traînées rouges qui s'éparpillaient dans toutes les directions, en venant toutes du bâtiment ovale recouvert d'une barrière de corruption menaçante.
Le prodige piaf se trouvait près d'une des fenêtres de la pièce qui donnaient sur la citadelle et l'entièreté de la plaine d'Hyrule, il y observait avec stupeur la situation préoccupante. La petite armée envoyée pour combattre cette nouvelle menace disparaissait peu à peu dans la brume de malice de l'amphithéâtre. Nul doute que tous ces vaillants soldats n'allaient pas faire long feu avant de se faire corrompre à leur tour. Les autres prodiges accompagnés de Zelda étaient assis autour d'une longue table rectangulaire au centre de la salle, tous silencieux. Seul le prodige le plus orgueilleux d'entre eux osait regarder cette catastrophe en face.
- Nom d'un cryorok, grogna Revali. Je n'avais encore jamais vu une chose pareille.
- Que peut-on faire ? le questionna ensuite le Goron, peu rassuré.
L'archer haussa les sourcils, se retourna vers l'originaire d'Ordinn, et lui lança un regard condescendant, comme si la réponse à sa question était évidente. Voir ses camarades attablés, la tête baissée, l'agaçait. Il avait l'impression que tous baissaient les bras au moment même où Ganon commençait d'ores et déjà à frapper, alors qu'en réalité, personne ne s'attendait juste à une attaque aussi soudaine. Il leur fallait le temps de réfléchir.
- Le royaume est sous leur contrôle, Daruk, rappela Revali, la seule chose que nous pouvons faire pour l'instant, c'est rester au château et attendre. Alors cessez de réfléchir à comment agir, il n'y a rien à faire pour l'instant. J'ai déjà failli perdre une aile rien qu'en venant ici.
Le pessimisme du prodige déplaisait à la princesse, en bout de table, qui ne se voyait pas rester ici, les bras croisés. Cela ne servirait qu'à mettre en danger encore plus d'habitants, toutes races confondues. Mipha, assise en face de Daruk, restait silencieuse comme à son habitude, elle préférait écouter ce qu'il se disait sans intervenir. Urbosa quant à elle, hésitait à contredire Revali, elle ne voulait pas aggraver la situation en créant une quelconque querelle qui n'était absolument pas nécessaire. Tandis que Link, lui, avait la solution. Il pouvait mettre fin à ce désordre, il était le seul à pouvoir le faire. Seulement, le héros ne préféra pas partager son idée avec le reste du groupe dans l'immédiat.
Zelda décida donc de parler de ce qu'elle savait avec les autres. Pour elle, il n'y avait qu'une seule et unique personne qui était responsable de ce semblant d'anarchie dehors. Après avoir croisé le regard de Link qui lui disait sans aucun doute qu'il était d'accord avec elle, la princesse se lança.
- C'est Brad, dit-elle. C'est lui qui est derrière tout ça.
Urbosa, sa grande amie, se tourna vers elle. La Gerudo fut surprise de voir qu'elle détenait des informations plutôt précises. Les autres prodiges firent de même, Zelda obtint alors l'attention de tout le monde qui attendait qu'elle en dise plus. Qui était ce Brad ? Et pourquoi la blonde était-elle aussi sûre d'elle en parlant de cet individu ? Ils la regardèrent tous attentivement, mis à part Link qui connaissait déjà tout ce qu'il fallait savoir. Rien que d'entendre ce nom, le héros sentait la colère monter en lui, et ce n'était pas dû à la corruption, cette fois-ci.
- Qui donc, Madame ? demanda Urbosa.
- Un chevalier, animé par l'esprit du Fléau. C'est à travers lui que Ganon se manifeste. Lui, et tous les autres, à présent. D'après nos dernières informations, la ville de l'Étape d'Hyrule a été attaquée. Et... peu seraient les survivants... La quasi-totalité de la population qui était présente là-bas hier soir se voit maintenant être sous le contrôle du Fléau.
Cette nouvelle laissa le groupe bouche bée. Eux qui venaient tout juste de débarquer au château d'Hyrule en catastrophe, aucun n'avait été prévenu de cet attentat la veille de leur arrivée. D'ailleurs, Link et Zelda eux-mêmes n'en prirent connaissance qu'il y avait quelques heures, lorsque l'alarme générale avait sonné dans l'intégralité de la citadelle. Cela n'arrangeait pas les choses, et la princesse zora souleva une interrogation que tous avait en tête.
- Comment ce chevalier a-t-il été en contact avec la Calamité alors qu'elle n'est pas encore ressuscitée ? interrogea Mipha.
- Nous ne le savons pas, répondit Zelda en refermant son expression de visage.
Revali s'agaça. Il se dirigea vers une chaise vide qu'il fit glisser contre le tapis au sol avant de s'y asseoir pour rejoindre ses compagnons autour de la table de réunion, en tapant du poing sur celle-ci.
- C'est à ne plus rien y comprendre... soupira-t-il.
- Ce qui est sûr, intervint Urbosa, c'est que nous allons devoir agir si nous ne voulons pas que Hyrule soit dévastée avant même que Ganon ne soit réapparu.
Le Piaf alla contre cette affirmation, il était véritablement décidé à ne pas mettre un pied dehors. Cela venait du fait qu'il avait croisé la route de plusieurs corrompus dans les airs, en arrivant jusqu'ici. Lorsqu'il s'était aperçu que ses flèches n'avaient aucun effet sur eux, qu'elles ne faisaient que les traverser sans aucune perte de vitesse dans leur trajectoire, il s'était senti vite désarmé, et comprit que ces ennemis s'avéraient être de taille du fait de leur quasi-invincibilité.
- Ce serait du suicide, répliqua-t-il à la suzeraine gerudo.
Urbosa se redressa et s'appuya contre le dossier de sa chaise en croisant les bras. Tout le monde semblait être d'accord avec elle sur ce point, mais le guerrier, lui, n'était jamais satisfait de leurs suggestions. À l'entendre, on pouvait penser que toute motivation d'effectuer prouesses et accomplissements honorables ne lui plaisait plus. Cela avait pourtant l'habitude d'attirer son attention.
- Ce n'est pas ton genre de vouloir rester en retrait, Revali. Je te signale que nous ne portons pas ce vêtement bleu pour rien. Nous sommes les prodiges du royaume.
- Je mise sur la prudence, expliqua le Piaf. Ces créatures dehors, ces corrompus, comme vous les appelez... Ils sont comme une maladie qui se propage à une vitesse ahurissante.
Daruk rejoignait Urbosa. Chaque seconde de plus passée ici à discuter pouvait être celle de trop. Chaque seconde, quelqu'un pouvait rejoindre les rangs de Brad. L'armée envoyée il y avait quelques heures à l'amphithéâtre sous les ordres du roi avait été rappelée bien trop tard. Le père de Zelda avait fait une grave erreur, il avait littéralement fait un cadeau aux corrompus en augmentant l'effectif adverse de plusieurs dizaines d'hommes. De ce fait, le prodige goron ne se voyait pas attendre plus longtemps. Il fallait "foncer dans l'tas", comme il disait.
- Justement, plus nous attendrons, et plus ils seront nombreux, signala-t-il.
- Et si l'un d'entre nous venait à se faire avoir ? reprit Revali. Vous y avez pensé ?
- Le feu de Vah'Rudania est une arme redoutable !
L'archer leva les yeux au ciel. Il reprochait à son égal de ne pas réfléchir aux conséquences d'une telle offensive avec une machine qui était normalement destinée au véritable Fléau Ganon, pas à quelques humains parmi les autres. De plus, une créature divine était beaucoup trop repérable et massive pour être utilisée contre des êtres lucides et intelligents qui verraient la chose venir de loin. Non, il fallait être rapide, efficace, et puissant à la fois. Lorsque Daruk vit la réaction du Piaf à sa proposition, il décida de ne plus rien dire et d'attendre que quelqu'un d'autre intervienne, car son comportement commençait à déranger tout le groupe. Il n'était pas le seul à être mis sous pression, ils l'étaient tous, il semblait l'avoir oublié... Mais personne, ni même la princesse ne souhaitait rétorquer face à lui dans une situation de crise pareille.
- Tu tuerais des civils sans même t'en rendre compte ! s'exclama Revali. Ces ennemis se cachent parmi la population. Nous ne les reconnaîtrons pas aussi facilement !
Après un silence plus que pesant, Link releva la tête vers son amie à sa gauche et avec détermination, il prit la parole d'une voix calme et posée. Lui qui était plongé dans ses pensées depuis le début de leur entretien, il s'exprima vite et simplement sans donner d'explications, ce qui laissait sa volonté à désirer aux yeux de tous.
- Je vais y aller.
Zelda le regarda avec de grands yeux ronds tandis qu'Urbosa se racla la gorge en entendant ces mots. Mipha et Daruk ne réagirent guère, ils faisaient confiance à l'Hylien et savaient qu'il ne disait pas cela sur un simple coup de tête. Il avait les idées claires. Revali, lui, fut animé d'un rire grossier qu'il clama haut et fort sans retenue.
- Oh ! Bien sûr, où avais-je la tête... gloussa le Piaf entre deux éclats de rire faux. Tu arrangeras les choses à coup sûr ! Comme d'habitude, n'est-ce pas ? Tu n'as même pas besoin d'aide. Après tout, tu es le héros d'Hyrule, toutes mes excuses !
Le blond ne répondit pas à la remarque ironique du prodige, il entama juste des justifications plus précises qui pousseraient ce dernier à comprendre pourquoi Link souhaitait agir lui-même et seul. Après tout, il possédait des arguments justes et plausibles qu'il s'empressa de partager avec Revali pour mettre fin à ses provocations inutiles.
- J'ai combattu Brad et son pouvoir maléfique. Il m'a infligé une partie de sa corruption que Dame Impa a su retirer en partie de mon corps. De ce fait, il m'en reste encore un peu, donc si quelqu'un est capable de traverser cette barrière de malice, c'est bien moi. Et la lame purificatrice est la seule arme qui redoute les corrompus. Je pense donc que je devrais me rendre à l'amphithéâtre. Pour l'éliminer.
Dans un premier temps, ce fut beaucoup d'informations pour les quatre autres prodiges qui n'étaient point au courant de toute cette folle histoire qu'était la corruption de Link, son combat contre Brad, et tout ce qui s'en était suivi... Les deux élus n'avaient eu l'occasion de recroiser leurs amis que très rarement depuis et n'avaient, de ce fait, pas eu le temps de leur relater ces événements. Puis, les prodiges se regardèrent tous dans les yeux, pour savoir si d'autres avaient déjà été informés. Ils furent plus ou moins rassurés en constatant qu'aucun d'entre eux n'avait été prévenu. Il s'en était passé des choses durant ces dernières semaines...
- Link, tu n'es même pas sûr de le trouver là-bas, fit remarquer Urbosa.
- Il y est bel et bien, répondit directement le héros. Je le sais.
- Tout ce que Brad attend, c'est que tu viennes à lui ! déclara la princesse.
Elle avait raison, Brad ne voulait que l'arrivée du chevalier pour enfin mettre un terme à son existence. Link était sa cible principale depuis le début de leur rivalité. De plus, les deux élus des déesses s'étaient déjà jetés dans la gueule du loup une fois, Zelda ne souhaitait pas que Link recommence bien qu'il avait l'air sûr de son coup. Si le corrompu souhaitait qu'il vienne, alors soit, il viendrait. Et il se battrait jusqu'au bout, pour Hyrule toute entière. S'il avait été capable de retirer cette épée dans la forêt Korogu, c'était bien pour quelque chose, non ?
- Si je tue leur chef, j'affaiblirais tous les autres et libérerais l'amphithéâtre, expliqua Link à Zelda qui n'était pas sereine. C'est un bon point de départ pour récupérer le contrôle du royaume.
Sa raison était légitime, il arrangerait beaucoup les choses, mais le coeur de Zelda se serra en apprenant ce qu'il souhaitait faire. Elle n'appréciait jamais qu'il mette sa vie en jeu volontairement ainsi. Qui savait ce qui pourrait arriver ? Au vu de ce qu'était capable de faire le brun, l'idée qu'il reparte au combat contre cet homme aux pouvoirs démoniaques ne la réjouissait pas vraiment, et elle lui fit part de son inquiétude.
- Tu veux à nouveau te confronter à Brad ? Alors qu'il a failli te corrompre la première fois ? Link, je ne voudrais pas qu'il réussisse pleinement son coup cette fois-ci...
- Princesse Zelda, c'est la seule solution durable que nous pourrons trouver. Faites-moi confiance.
Oh, non, elle ne doutait pas de ses capacités à réussir. Link avait les moyens d'éliminer Brad, pour sûr que l'éclat de son épée aurait raison de lui ! Mais elle ne pouvait s'empêcher de penser au pire, à la possibilité qu'elle puisse perde son ami, ou que son esprit bascule du côté du mal. Dans un soupir, elle répondit par un silence témoignant du fait que Zelda n'adhérait pas vraiment à ce plan. Mais il était trop tard, la détermination du héros ne lui ferait plus changer d'avis.
- Il me manque simplement un moyen rapide pour me rendre au sud de la plaine d'Hyrule, ajouta le blond.
Link songea à un moyen de transport qui correspondait d'une manière parfaite à ce dont il avait besoin. Il tourna lentement la tête vers Revali et cela fit hoqueter un rire à Daruk qui avait compris. L'instant d'après, ce fut au tour de Mipha et Zelda de dissimuler du mieux qu'elles le pouvaient leur amusement. Le Piaf prit un air méprisant en ne comprenant pas ce que le héros lui voulait. Puis, soudain, il vit enfin où il souhaitait en venir, et l'idée ne lui plut guère. Il se demanda même comment Link avait pu penser à une chose pareille, avec lui, le grand Revali...
- N'y pense même pas. Alors là, non ! prévint l'archer. Jamais je ne te transporterai sur mon dos jusqu'à leur point de rassemblement ! Et je te ferai remarquer que voler est la meilleure des solutions pour se faire repérer.
- Partir à cheval ne serait pas mieux et plus lent, rétorqua le chevalier. Ils sont partout, de toute manière. Et tu voles plus vite qu'eux, je me trompe ?
Il ne donna aucune réponse.
- Revali, c'est une situation urgente, rappela Urbosa. Il n'y a pas la place pour ta jalousie.
- Ma... jalousie ? Vous devriez vous entendre...
Toute la table le regarda d'un oeil mauvais, Revali se retourna pour observer l'extérieur depuis la fenêtre et s'empêcha d'insulter Link qui attendait qu'on lui réponde. Avait-il vraiment le choix, au fond ? On parlait de l'avenir d'Hyrule, et bien que cela lui déplaise, il devait laisser passer ses "caprices" après cette ultime mission. En lâchant un regard noir au capitaine de la garde, il accepta sans grande motivation.
- Bon ! Très bien ! Je t'emmènerai là-bas... grogna-t-il.
- Je te remercie, Revali, répondit Link.
Le guerrier piaf, qui gardait la tête baissée et retenait sa colère alors que tout le monde lui était reconnaissant d'avoir accepté la demande du héros, allait devoir prendre sur lui. Il cessa de faire subir son mauvais caractère aux autres et resta silencieux pour le reste de la fin de réunion. Link, quant à lui, donna l'heure à laquelle il souhaitait se rendre à l'amphithéâtre.
- Je pense partir cette nuit, vers trois heures du matin. Lorsque personne ne s'y attendra.
Aucune contestation, c'était en effet la meilleure chose à faire.
- Nous devrions faire part de ce plan à mon père, déclara enfin Zelda. Nous en avons fini pour ce soir, merci à tous de vous être déplacés aussi vite jusqu'ici.
Les cinq prodiges se levèrent et quittèrent la table, seule Zelda resta à sa place. De longues heures les attendaient encore à patienter jusque trois heures du matin, car chacun comptait soutenir Link, jusqu'à son départ. Ils allaient devoir s'occuper, et la princesse termina donc sur une note un peu plus positive malgré tout.
- Bon retour parmi nous. Un repas vous attend dans la grand-salle, et vos chambres ont été nettoyées. Je suis heureuse de tous vous revoir.
- De même pour nous, Princesse ! déclara Daruk qui s'empressa de se diriger vers le dîner qui l'attendait.
Tous, hormis Revali, sourirent et se réjouirent de se retrouver de nouveau ensemble autour d'un bon repas. Les anecdotes croustillantes du Goron, les débats incessants entre Urbosa et Revali, ainsi que les rires de tous les autres formaient un tout unique. Chaque moment passé tous les six s'avérait être quelque chose de mémorable. La suzeraine gerudo fut la dernière à sortir, Zelda en profita pour l'interpeller discrètement avant qu'elle ne rejoigne ses camarades, affamés. La blonde avait tout autre chose en tête et s'en voulut quelque peu de ne pas avoir pu se concentrer davantage sur le sujet principal de ce conseil improvisé. Ses pensées étaient focalisées sur une certaine idée qui lui occupait l'esprit depuis quelques heures, et c'était le moment où jamais pour elle d'en parler en partie à son amie.
- Urbosa ?
La concernée se retourna en entendant son nom. Lorsqu'elle aperçut la princesse encore assise à la même place, les mains entremêlées, elle haussa les sourcils, comprenant que Zelda désirait discuter avec elle. Cela faisait longtemps qu'elles ne s'étaient pas retrouvées seules, juste toutes les deux. C'était en général l'occasion pour se livrer un peu à l'autre sans crainte d'être jugé, et Urbosa savait que l'Hylienne n'avait aucun mal à lui parler de sujets plus délicats et secrets. La Gerudo pensa que cela était le cas ce soir-là.
- Puis-je te parler une minute en privé ? la questionna Zelda.
- Bien sûr, que se passe-t-il ?
La suzeraine alla s'asseoir à côté d'elle, là où Mipha était il y avait encore quelques secondes. Elles attendirent que le reste du groupe s'enfonce plus loin dans le couloir avant de commencer à échanger. Zelda se sentit alors plus à l'aise, ce qu'elle allait demander à Urbosa n'était pas quelque chose de très commun, et elle préférait garder le tout secret. Il le fallait, pour ne pas perdre l'effet de surprise...
- Je... je sais que ce n'est absolument pas le moment de te demander cela, débuta la blonde. D'autant plus que nous avons tous bien plus important à faire mais...
Elle leva les yeux pour chercher ses mots, sans les trouver dans l'immédiat. La prodige lui assura qu'il n'y avait aucun mal et qu'elle lui portait toute son attention.
- Allez-y, je vous écoute, dit-elle.
- Je voulais savoir si... tu aurais pu me donner quelques conseils.
La princesse frissonna rien qu'en y repensant, elle ne se reconnaissait pas vraiment. Disons que jusque-là, elle n'avait encore jamais souhaité en savoir plus sur ce qu'elle cherchait à faire dans les prochains jours, car il s'agissait d'un monde qui ne l'attirait pas. Cependant, son objectif allait au-delà de ce que l'on pouvait penser.
- Dans quel domaine ? interrogea Urbosa, demandant plus de précisions.
- Cela va te paraître étonnant... signala Zelda.
Après quelques secondes de silence, elle lui révéla le fond de sa pensée avec timidité et un peu de honte malgré tout. Elle savait que cela ne lui ressemblait pas. Voilà pourquoi Urbosa - dont la curiosité commençait peu à peu à s'éveiller - était la personne idéale pour discuter. Le rythme cardiaque de la princesse s'accéléra. A présent elle ne pouvait plus reculer, et voilà qu'elle remettait en question cette idée assez originale qu'elle avait eue... Non, après tout, elle était partie d'une bonne intention et comme lui avait conseillé sa mère, Zelda avait écouté son coeur, alors elle assuma sa volonté qui venait du plus profond de ce dernier.
- J'aimerais apprendre à danser.
Venant de la prêtresse, il était vrai que ce désir ne ressemblait en rien à ce que la suzeraine s'attendait. Elle se remémora même le jour où l'Hylienne avait refusé de danser, à la Cité Gerudo, en disant pour se justifier qu'elle n'appréciait pas ce genre de chose en public, et qu'elle se sentait épiée en permanence. Si Zelda souhaitait danser, ce n'était pas devant d'autres personnes, Urbosa en était persuadée, et cette réflexion lui donna quelques petites idées sur ce que manigançait vraiment la jeune femme. Mais elle s'abstint de le lui dire, elle préférait garder ses hypothèses pour elle.
- Danser, Madame ? s'étonna son amie.
- Oui. Je sais que cela est surprenant venant d'une princesse, mais j'ai toujours refusé de danser lorsque l'occasion se présentait, j'ai dû véritablement le faire une seule fois, lors de mes douze ans, alors j'ignore tout de cette pratique.
Durant les différents bals auxquels Zelda avait dû assister au cours de sa vie, on l'avait déjà surnommée en secret, "la princesse qui ne danse qu'avec elle-même", car la fille du roi ne dansait tout simplement jamais et rejetait toute personne l'invitant à se joindre à elle. Son père lui avait déjà fait une fois la remarque, mais comme Éléonore, sa défunte femme, ne dansait que très rarement aussi en tant que princesse puis reine, il n'insista point. Il n'allait pas l'obliger, après tout... Danser lors de bals était véritablement source de honte pour sa fille, il ne servait à rien de la mettre mal à l'aise toute la soirée pour si peu.
- C'est-à-dire que la danse gerudo que je connais très bien est loin d'être similaire à celle que l'on effectue en général lors de bals, expliqua Urbosa. Je ne suis pas plus expérimentée qu'un autre.
- Comme je t'ai déjà vue danser lors de la cérémonie des prodiges, je me suis demandée si tu pouvais m'expliquer un peu comment cela se présentait.
En effet, elle avait effectué quelques pas de danse avec Daruk, mais rien de bien précis. Le but était surtout de s'amuser plus que de faire bonne figure. La prodige ne savait pas vraiment comment aider son amie mis à part lui expliquer les pas de danses principaux. Elle comprenait bien que cela lui tenait à coeur, alors la Gerudo réfléchit à ce qu'elle pouvait lui dire de plus pour l'aider un minimum.
- Vous savez, il n'y a pas de protocole strict à respecter pour ce genre de choses. La meilleure des solutions est de se fier à son instinct. Et surtout, ne vous sentez jamais honteuse vis-à-vis des autres.
- Il n'y aura personne d'autre, ajouta Zelda, je ne m'inquiète pas vraiment pour cela.
Cela voulait dire qu'elle comptait danser avec quelqu'un, seul à seul et en privé. Cette idée lui fit esquisser un léger rictus, car elle savait déjà de qui il pouvait s'agir. À vrai dire, Urbosa l'avait remarqué dès son arrivée, dans les yeux de la princesse, et la façon dont elle regardait le héros. Quelque chose avait changé, elle s'en était de suite doutée. Zelda était-elle donc... tombée amoureuse ? Fortes étaient les chances, bien que la blonde elle-même n'en savait rien pour le moment, elle qui se contentait de d'abord comprendre où ses sentiments la menaient, pour peut-être placer un mot concret sur ce qu'elle ressentait plus tard.
Mais pourtant, même si Zelda n'était pas certaine de cet amour nouveau, il y avait des signes qui ne trompaient pas, et la suzeraine fut heureuse de les remarquer, eux et cette évolution remarquable depuis le début de la relation entre les deux élus des déesses. Elle ne pensait pas qu'ils allaient se réconcilier autant, et ne souhaitait que leur bonheur.
- Une main sur l'épaule ou dans le dos de votre partenaire, l'autre main dans la sienne, et vous laissez ensuite vos pas vous guider, mima Urbosa. Il n'y a pas plus simple.
La Gerudo vit qu'elle avait laissé la princesse perplexe. C'était très abstrait, dans sa tête. Observer les gens danser et danser soi-même, c'était différent, et Zelda avait plutôt cette habitude d'observation. Ce qui paraissait évident aux yeux de la cheffe ne l'était visiblement pas à ceux de l'Hylienne.
- Vous voulez que je vous montre ? finit-elle par demander en riant.
- Si cela ne t'ennuie pas...
- Au contraire, si une démonstration peut vous rassurer.
Les deux amies se relevèrent de leur chaise et se placèrent face à face. Zelda, peu à l'aise car elle n'avait pas la moindre idée de par où commencer, se sentit un peu déboussolée et laissa Urbosa lui expliquer la position et les gestes à adopter. Rien de bien méchant, mais la princesse tenait à assister à cet exemple, pour être plus sereine lorsque le moment serait venu.
- Très bien, allons-y. Tenez-vous droite, la tête légèrement inclinée vers le haut, et prenez ma main.
La Gerudo lui présenta sa paume gauche. Zelda exécuta ses instructions à la lettre, peu habituée à prendre une telle position pour danser. Une fois ceci fait, la prodige continua.
- Ensuite, fléchissez votre bras gauche afin de positionner votre autre main sur mon épaule. Je placerai la mienne dans votre dos. En général, il s'agit de la personne la plus grande qui se place dans cette position, mais c'est uniquement pour être plus à l'aise, il n'y a pas de règles à proprement parler.
- D'accord.
Elle plaça donc sa deuxième main sur l'épaule de sa partenaire. Durant un instant, elle ne vit plus Urbosa devant elle... mais s'imagina avec Link. Car c'était avec lui qu'elle comptait vraiment danser pour la première fois de sa vie. Cette visualisation lui créa un stress si conséquent qu'elle dut inspirer plus profondément pour garder son calme. Son état ne passa pas inaperçu, la suzeraine lui demanda si tout allait bien et elle répondit de manière positive.
Effectuer le moindre pas de danse me met dans tous mes états... c'était ce que Link lui avait avoué lorsqu'ils étaient retenus prisonniers chez les Yigas. Bien évident, la blonde ne faisait pas tout cela pour lui faire du mal et lui rappeler ce sombre passé. Non, au contraire, elle pensait que cela l'aiderait à aller de l'avant, à passer un cap, car la danse de bal était quelque chose qui pouvait encore lui plaire, comme le héros l'avait déjà dit. Peut-être que si Zelda dansait avec lui, il parviendrait à délier la danse de la mort de sa mère et se remémorerait donc plutôt un souvenir plus heureux en compagnie de son amie ? Après tout, Link n'avait encore jamais essayé de danser à nouveau depuis ce terrible jour. Urbosa était loin d'avoir compris tout l'objectif derrière cette demande que Zelda lui avait faite...
- Il s'agit de la position de base, déclara la Gerudo. Il vous suffit ensuite de vous mettre d'accord sur qui mènera la danse. S'il s'agit de votre partenaire, vous vous laissez valser. Si c'est vous, dans ce cas...
Tout à coup, sans qu'elle ne s'y attende, la princesse sentit sa partenaire démarrer un premier pas et elle fut contrainte de reculer en poussant une discrète exclamation de surprise.
- Un pas en avant, une rotation, un pas en arrière, répéta Urbosa en réitérant le même schéma.
Malgré le fait qu'elle arrivait à suivre, la blonde ne se sentit pas très confortée sur les premiers mouvements. Puis, suite à quelques répétitions de mêmes pas, elle s'adapta, se laissa entraîner, et comprit quel rythme, vitesse, et déplacements elle devait avoir pour être coordonnée avec la suzeraine qui menait la danse.
- Vous voyez, il n'y a rien de très compliqué, sourit cette dernière.
- En effet, confirma Zelda.
Les deux amies prolongèrent leur danse, en silence, car l'Hylienne était concentrée sur ses gestes qu'elle voulait justes et parfaits, tandis qu'Urbosa se trouvait étrangement tourmentée. Ses yeux commencèrent à s'humidifier, ce qui perturba la blonde qui venait justement de se prêter au jeu. Elles s'arrêtèrent et lâchèrent leur main.
- Qu'y a-t-il ? interrogea la princesse. Quelque chose ne va pas ?
Lorsqu'elle papillonna des yeux pour éviter qu'une larme ne vienne couler le long de sa joue, elle donna une explication à Zelda qui ne savait pas si cette tristesse soudaine était de sa faute ou non. Urbosa respira un grand coup et ses émotions qui venaient de remonter se dissipèrent peu à peu.
- Pardonnez-moi, Madame. Vous me rappelez votre mère. Vous apprendrez qu'elle m'avait demandé exactement la même chose que vous, à l'époque.
La suzeraine restait la plus grande amie de la feue reine d'Hyrule. Elles étaient la confidente de l'autre et cette petite démonstration de danse lui remémorait beaucoup de moments passés avec elle. Zelda, compréhensive, plaça une main destinée à la consoler sur son avant-bras. Puis, elle la remercia de son aide bienveillante.
- Merci, Urbosa.
- Je vous en prie, Madame. En espérant vous avoir aidée.
La prêtresse lui proposa de rejoindre les autres prodiges dans la grand-salle avant que ceux-ci ne se doutent de quelque chose. N'étant pas très loin du dîner, l'odeur du repas venait arpenter les couloirs jusqu'aux nez de Zelda et de la Gerudo. Cette dernière prononça une dernière chose qui, après coup, fit rire la princesse en voyant qu'au final, elle avait tout compris, depuis le début de leur discussion.
- Il a de la chance de vous avoir, avait-elle dit. J'espère qu'il en est conscient.
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Le brun ouvrit la porte d'un coup brutal sur la poignée, sans une once de retenue. Derrière, ses parents attendaient sa venue avec curiosité dans une petite pièce fermée et vide dans laquelle seul un individu ensanglanté croupissait sur le sol et souffrait presque en silence en plein centre, dans une flaque pourpre. Il devait sans doute s'agir d'un pauvre chevalier, tué par les soins de Maëlle, les mains toujours tachées de sang, qui n'avait encore une fois pas su contenir sa rage.
Leur plan s'était pour le moment déroulé à merveille. L'Armée avait été déployée parmi les habitants du royaume, et à présent, chacun devait se méfier de n'importe qui croiserait sa route. Mais le plus gros restait encore à faire, et Brad le savait. Il attendait ce moment de pied ferme, il attendait patiemment que le héros se présente à lui. La nuit tombée depuis deux heures, l'amphithéâtre était sombre, lugubre même. Lorsque le chef de l'Armée pénétra à pas précipités dans cette petite pièce, il y sentit une odeur macabre qui ne semblait pas déranger ses parents. À vrai dire, lui non plus n'en avait rien à faire, l'un des leurs était devenu une menace importante et il était primordial de l'éliminer coûte que coûte.
Brad fixa son père, parfaitement calme et serein, et sa mère, qui ne pouvait tenir en place, comportement qui la caractérisait tant maintenant que l'esprit de Ganon l'habitait. Elle n'avait jamais su diminuer son taux d'adrénaline depuis le jour de sa corruption.
- Papa, maman, j'ai une mission de la plus haute importance à vous confier, annonça l'ancien chevalier.
Il n'y avait même pas une petite torche pour éclairer, le brun ferma la porte à moitié, pour ne pas plonger l'endroit dans le noir complet, ce qui permit à l'homme qui se cachait contre le mur du couloir juste derrière d'entendre la conversation en secret sans problèmes.
- Si nous ne voulons prendre aucun risque avec Alan, nous devons agir par étape, continua Brad.
- Pourquoi ne pas le tuer tout de suite ? s'enquit de comprendre Daniel. Un traître comme lui ne mérite pas de vivre plus longtemps.
Le tuer sans réfléchir était pour le rival de Link la pire des choses à faire lorsque l'on savait qu'Alan alternait entre moments de lucidité, offerts par la déesse Hylia qui essayait de le raisonner, et corruption pure.
- À la seconde même où tu t'approcheras de lui, il n'hésitera pas à te faire perdre la tête.
Bien que Brad jouait avec les mots, si Alan était immunisé, alors il ne fallait surtout pas l'approcher, car l'immunité d'Hylia pouvait être transmise par le biais des personnes atteintes, exactement comme la corruption. S'il ne l'était pas, alors il fallait tout faire pour que rien ne le fasse retrouver sa lucidité, et c'était pour cette éventualité que le fils souhaitait prendre des précautions plus qu'urgentes. Ses propos surprirent Maëlle qui fut étonnée de comprendre que leur ancien allié pouvait devenir en vérité un grand danger pour eux.
- Quoi ? Comment une chose pareille pourrait arriver ? se questionna-t-elle.
- Alan va être immunisé, expliqua Brad. Mais nous ne savons pas quand il le sera, c'est pour cette raison qu'il ne faut prendre aucun risque en l'approchant. S'il l'est déjà et que vous l'approchez, c'en est fini de vous.
Les deux parents regardèrent leur fils dans le blanc des yeux, sans oser lui avouer qu'ils n'y comprenaient absolument rien. Le chevalier corrompu émit un soupir de fatigue et râla, il en avait assez de répéter maintes et maintes fois la même chose, d'autant plus que tout ceci ne devait pas arriver...
- Ça veut dire que cette foutue déesse va le faire basculer de son côté, mais qu'il pourra garder tous les pouvoirs que Ganon lui a offerts ! maugréa-t-il. Et en plus de ça, il sera capable de vous faire perdre votre dévouement à notre Seigneur si vous l'approchez de trop près.
Maëlle attrapa vivement le poignet de son mari, à sa droite avec une force non proportionnelle à son corps. Pour la première fois depuis sa corruption, la mère ressentit de la peur, une angoisse frissonnante lui couler dans ses veines. Elle se sentait plus faible qu'à l'accoutumée, plus impuissante. Daniel ne se laissa pas terrifier par les dires du brun qui tentait de leur faire comprendre la gravité de la situation. Il prit un ton clair et sérieux qui manifestait son désir d'éradiquer toute menace potentielle de son champ de vision. Pour sûr que s'il recroisait Alan, il allait avoir de grandes difficultés à se retenir de se ruer sur lui, même si cela pouvait être dangereux.
- On ne peut pas le laisser traîner ici, dit-il. Il faut en finir, ne perdons pas de temps.
- C'est pourquoi vous allez devoir vous charger de quelque chose, répondit son fils. Tous les deux.
Ils étaient prêts à faire n'importe quoi pour s'assurer qu'ils garderaient leur fidélité envers le Fléau Ganon. Brad avait beau les appeler "papa" et "maman", ils n'entretenaient plus aucune relation père-fils ou mère-fils. L'Hylien donnait des directives à ses parents sans problèmes ni contestations. Car devant eux, les originaires d'Hébra ne voyaient que le chef de l'Armée des Fidèles, leur "fils" était plus une appellation habituelle, dorénavant. Les liens du sang qui les unissaient avaient été comme mis de côté, dans leur esprit. Laissant toute la place à la Calamité.
- Vous allez partir à la recherche de Lambda, son frère, ordonna Brad.
Une grande incompréhension se lut sur leur visage. Ils n'en voyaient pas l'utilité ni même un quelconque rapport avec Alan en lui-même mis à part que Lambda et lui étaient frères. Maëlle et Daniel froncèrent les sourcils, ils s'attendaient à quelque chose de plus direct, de plus sanglant...
- Pour quoi faire ? s'étonna la mère.
- Tout a commencé à Hébra, lorsqu'il n'a pas pu rattraper ce gamin. Vous n'avez pas vu comment il a réagi ? Et lors de l'attaque à l'Étape, vous croyez que cette maison a explosé toute seule ? Non, tout ceci est la manifestation même de l'esprit du Seigneur Ganon en lui face à l'adversité, aux pensées qui se rapportent à la déesse. Si ça recommence, Alan ne résistera pas, cette fois-ci. La déesse va lui faire reprendre ses esprits, mais au niveau du corps, rien ne changera, les pouvoirs de Ganon seront toujours là. Seulement, ils ne pourront plus atteindre l'esprit d'Alan qui pourrait donc les utiliser comme il le veut, en étant dans le camp ennemi ! Donc, la seule personne encore capable de le faire basculer de l'autre côté est son frère.
Un silence s'installa.
- Tu veux qu'on aille le faire se joindre à notre cause ?
Brad dégaina tout à coup l'épée sanglée à sa ceinture et fit tremper sa pointe délicatement dans le sang de la victime toujours allongée au sol, qui avait enfin terminé d'agoniser. Non, il voulait beaucoup plus que ça... Lorsqu'il présenta son arme tachée de rouge sur son bout à ses parents, cela donna un sourire terrifiant sur leur visage. Ils avaient parfaitement compris le travail qu'ils avaient à accomplir.
- Je vois... murmura Daniel en observant une goutte de sang tomber de l'épée de l'ancien chevalier.
Les yeux de Maëlle se gorgèrent de rouge de manière soudaine, puis, elle se rapprocha de Brad et en le regardant dans les yeux, elle essuya son épée avec ses doigts sur le plat de la lame.
- Nous nous en occuperons comme il se doit, mon fils, chuchota-t-elle à son oreille. Dis-nous à quoi ressemble notre cible, je mettrai personnellement la main sur lui, je te le promets.
Ce dernier s'apprêta à lui donner des indications sur l'apparence de Lambda lorsqu'il alla fermer complètement la porte, s'enfermant dans le noir complet. Tous ses mots étaient donc parvenus à Alan, qui écoutait jusque-là la conversation depuis le couloir. Brad avait donc tout compris... Après réflexion, comment aurait-il fait pour ne pas le voir ? Un petit garçon de dix ans qui l'affaiblit avec son propre jouet, ses propos qui prêtaient parfois à confusion, et les paroles de Gabriel qui l'avaient fait exploser de rage. Bon sang, de simples mots... C'était une véritable guerre qui se déroulait à l'intérieur de lui-même. Son corps en tremblait, comme si la corruption tentait de résister encore et encore à cette immunité qui se profilait en lui. Cette bénédiction divine qu'il s'apprêtait à recevoir. D'une seconde à l'autre, il pouvait littéralement changer sa façon de penser, c'était un désordre sans nom... Alan grogna, affligé par l'absence totale de confiance que lui prêtaient ses camarades.
- Alan ?
Dans l'angle du couloir, une voix féminine presque inaudible venait de retentir jusqu'à ses oreilles. Alan tourna la tête dans sa direction, mais comme ce coin de l'allée était plongé dans l'obscurité, il ne vit personne. Cependant, cette voix lui disait quelque chose, mais son esprit n'arrivait plus à redonner un visage à sa propriétaire.
En colère à cause de ce qu'il venait d'entendre, le cadet s'empressa de se diriger vers la personne qui venait de murmurer son nom. Alan prit une démarche déterminée et ses iris changèrent de couleur. Ce n'était absolument pas le moment de venir le provoquer. Au moment où il fut au bout du chemin, il tourna à quatre-vingt-dix degrés à gauche et attrapa par la gorge la femme qui se cachait juste dans l'angle et qui ne l'avait pas entendu arriver. La pression, beaucoup plus forte par rapport à la résistance que portait sa victime sur son poignet, fit reculer la femme avant même qu'elle ne puisse dire un seul mot. Ce ne fut qu'à l'instant où ils arrivèrent au bout du couloir, presque à l'extérieur, qu'elle put réagir.
- Non ! Attendez ! Écoutez-moi, s'il vous plaît...
La lumière, qui était avant inexistante, révéla le visage de l'Hylienne qu'il étranglait. Cheveux noirs coiffés en chignon, grands yeux bleus... Alan ne pouvait que la reconnaître. Déboussolé de voir un visage de non-corrompu qu'il connaissait, la malice quitta ses yeux et il la lâcha. Cette dernière se palpa la gorge et put respirer à nouveau convenablement après quelques toussotements.
- Nell ?
Elle releva les yeux vers Alan, surprise. Suite à cette retrouvaille brutale et dangereuse, elle pensait à présent avoir affaire à un monstre, mais lorsqu'elle entendit son nom sortir de sa bouche, Nell se dit qu'il pouvait toujours y avoir une chance d'arranger les choses. L'Hylienne n'était pas venue ici pour rien, après tout...
- Oui ! Oui voilà, c'est moi ! s'exclama-t-elle. Celle qui ne fait que parler, vous vous souvenez de moi ?! C'est génial.
- Mon propre camp doute de mes capacités, répondit sans attendre l'homme. Ils pensent que je ne suis qu'un pion de la déesse. Tu tombes parfaitement bien, grâce à toi, je vais leur montrer qu'ils ont tort...
La voyageuse fit quelques premiers pas en arrière lorsqu'elle vit Alan s'approcher de nouveau d'elle avec la ferme intention de la corrompre. N'ayant pas d'autres choix, Nell dégaina une dague gerudo de sa ceinture - une petite lame légèrement courbée qu'elle avait achetée lors d'un de ses voyages - pour avoir ne serait-ce qu'un tout petit moyen de défense. Mais cela ne semblait pas effrayer le cadet qui continuait à avancer lentement dans sa direction.
- Reculez, ordonna Nell d'un ton ferme, sa petite arme en évidence devant elle. Arrêtez-vous !
Il ne suffit que d'un geste de la main pour Alan afin d'attirer la dague vers lui et s'en emparer aussi vite que la conjointe de Faras ne l'avait sortie. Le manche de l'arme lui avait glissé des doigts, Nell se retrouva donc désarmée et continua à reculer de plus en plus vite.
- Si je te partage ce don que nous possédons, dit-il, ils me feront de nouveau confiance.
Le corrompu jeta la dague au sol dans le but de l'éloigner de sa propriétaire. Il n'avait de toute façon pas besoin d'une vulgaire arme blanche alors qu'il possédait déjà des pouvoirs beaucoup plus puissants. Le vendeur de potions s'empara du col de la tenue de voyage bordeaux de Nell et un amas de corruption les entoura tous les deux et fit disparaître le décor autour tout en se resserrant sur Nell, de plus en plus. Elle poussa un cri d'effroi en scrutant le visage terrifiant qu'elle avait dans le même temps face à elle. Puis soudain, prise de panique, elle gifla Alan si fort qu'il fut obligé de la lâcher en se touchant la joue atteinte de ses deux mains. Celle-ci rougissait suite au contact violent qu'avait eu la paume de la femme sur son visage de corrompu.
- Lâchez-moi ! Alan ! cria-t-elle dans la foulée, les larmes aux yeux.
Le danger s'évapora autour de Nell, libérée de toute oppression. Elle profita de cet instant de faiblesse chez l'homme pour tenter de lui faire reprendre ses esprits. La voyageuse gardait toujours en tête cette image d'un homme bon et généreux d'Alan. À ses yeux, il était celui qui lui avait sauvé la vie lors de son adolescence. Mais aujourd'hui, elle ne le reconnaissait plus, et pourtant, il s'agissait de la même personne. Cela l'affligeait grandement.
- Vous vous rendez compte de ce qu'il vous arrive ? lança-t-elle au cadet. Vous vous rendez compte du camp dans lequel vous servez ?! Arrêtez-moi ces conneries tout de suite ! Ça me désole tellement de vous voir dans cet état !
L'ancien allié de Brad la dévisagea d'un regard terrifiant bien que ses iris reprenaient leur couleur d'origine, légèrement courbé vers l'avant, il gardait une main contre sa joue en attendant que les derniers picotements que lui avait procurés cette gifle ne disparaissent. Nell continua à lui parler et il l'écoutait sans broncher, pour le moment...
- Vous êtes corrompu, et la déesse pourra vous aider si vous faites encore un tout petit effort. Je suis là pour ça, d'accord ?
- Ferme-la, tu veux ?! répliqua-t-il brutalement. Je ne veux pas entendre parler de cette déesse, ni de toute sa lignée !
La colère de l'oncle la fit frissonner tant elle savait qu'il pouvait la corrompre voire la tuer d'une minute à l'autre. La voix tremblante, pleine d'émotions, l'Hylienne répondit en essayant de le déstabiliser et lui faire comprendre une bonne fois pour toutes.
- Alors comment expliquez-vous que vous l'ayez priée tout à l'heure ? Le Seigneur du Mal prie Hylia maintenant, peut-être ?
Alan ignora cette question rhétorique, destinée à le mener dans le sens de la voyageuse, dont une partie de lui n'acceptait pas la réponse.
- Comment es-tu arrivée jusqu'ici saine et sauve ? changea-t-il de sujet.
Nell fut étonnée d'un tel questionnement de sa part. Se souciait-il vraiment de sa vie et de son état ? Elle écarquilla les yeux, cela la flattait presque dans cette situation. Puis elle se rendit compte ensuite qu'il ne posait cette question que pour savoir où la sécurité de cette barrière de corruption avait failli... L'Hylienne resta silencieuse, ce qui agaça l'homme qui perdait patience très vite. L'état de Nell au bord des larmes ne l'affecta pas le moins du monde.
- Réponds-moi ! cracha-t-il en l'intimidant d'un lourd pas en avant.
- Je vous ai suivi ! Tout à l'heure. Avant que cet amas de brouillard ne recouvre cet endroit. Il faut dire que c'est plutôt facile de se fondre dans la masse quand une foule de personnes débarque d'un seul coup...
Depuis son départ du village de Cocorico, elle n'avait eu aucun mal à trouver où se cachait son ancien sauveur. À peine était-elle arrivée sur la plaine d'Hyrule qu'elle avait vu voler d'étranges formes dans le ciel. Puis, peu après, l'incendie à l'Étape d'Hyrule s'était déclenché. Il ne lui avait suffit que de suivre de loin les responsables pour comprendre qu'Alan en faisait partie et qu'il était accompagné de plusieurs autres personnes corrompues, ce qui lui avait donné des frissons sur le moment. Elle n'y connaissait rien aux pouvoirs et capacités qu'avaient Ganon, mais Faras lui avait déjà compté de nombreuses histoires anciennes qui relataient ce genre de procédés de corruption d'Hyrule : passer par des êtres vivants. Voir cela dans la réalité était assez troublant.
- Écoutez, si je suis ici, c'est uniquement pour vous, vous entendez ? ajouta Nell. Il faut que vous me fassiez confiance, vous êtes capable d'aller au-delà de cet esprit maléfique qui ne fait que vous manipuler.
L'homme était pris de spasmes par moments, il pouvait se ruer sur elle et la corrompre d'une seconde à l'autre. Ainsi, tout était réglé ; seulement, il ne le faisait pas et n'en connaissait guère la raison. Ne pas avoir conscience de ses propres agissements le mettait encore plus en rogne. Concernant Nell, elle savait qu'elle se devait de réussir à le convaincre si elle voulait repartir avec l'esprit lucide de cet amphithéâtre, elle eut donc l'idée de lui rappeler la bonté dont il avait fait preuve par le passé. Lui rappeler qu'il avait sauvé une famille entière de la famine, de la pauvreté. De la mort.
- Vous vous souvenez au moins de ce que vous avez fait ? De votre propre volonté, pour nous sauver ?!
Ses mots commençaient à lui remémorer différentes conversations qu'il avait eues avec la jeune femme auparavant. Il se faisait comme hypnotiser par ces paroles qui lui parlaient. Elles lui parlaient tellement mais son cerveau n'arrivait pas à tout remettre en ordre pour se rappeler ce dont elle faisait mention. Mais il put tout de même constater la balance sur laquelle il penchait tantôt d'un côté et tantôt de l'autre. Il se sentait se trahir lui-même comme pour tous les autres et Alan ne pouvait rien y faire. Ce fut à son tour de sentir les larmes monter.
... Autrefois, vous êtes venu en aide à ma famille et je vous serai éternellement reconnaissante...
- Oui, je sais que vous vous en souvenez, formula Nell. Comment la personne que vous étiez peut-elle être devenue celle que vous êtes aujourd'hui ? Avouez que ça n'a aucun sens. Vous êtes plus fort que ça, Alan. J'ai confiance en vous et je sais que vous arriverez à vous débarrasser de cette chose. Vous êtes une bonne personne. Faras m'a expliqué, Hylia peut vous aider. Elle vous l'a fait savoir avec vos réactions violentes lorsque vous voyiez une de ses représentations ou à sa simple mention. Vous aviez l'habitude de la prier quotidiennement. De ce fait, tout ce qui va ramener à votre vie "normale" de non-corrompu va ensuite vous perturber de plus en plus. La bonté dont vous avait fait preuve auparavant est très troublante pour l'esprit maléfique de Ganon en vous, n'est-ce pas ?
Dans un souffle saccadé, il planta ses ongles dans ses paumes de mains. Il ne comprenait pas comment il pouvait ressentir une telle émotion, une émotion qu'il avait presque oubliée depuis le temps qu'il n'avait repéré sa présence au plus profond de lui. C'était bien une preuve de plus qu'il n'était point un corrompu comme les autres.
Il se sentait faible, faible de ne pas pouvoir mettre un terme au discours de Nell. Quelque chose le bloquait, et une voix résonnait dans sa tête, une voix cristalline et mélodieuse qui n'était que celle de l'Hylienne. Il la revoyait, assise en train de parler presque toute seule, à la table du relais du pont de Tabanta alors qu'il n'avait pas la moindre envie de déguster l'assiette qu'on lui avait offerte. Ou autour de ce feu lorsqu'elle lui avait rappelé la première fois qu'ils s'étaient vus, avant qu'il n'aille à la rescousse de Faras... Sa mémoire qui était écrasée par les désirs de l'esprit de Ganon, revenait peu à peu.
... Je vous dois beaucoup, vous savez...
- Ar... arrête ! vociféra-t-il.
Nell s'approcha de lui sans même avoir peur des conséquences de cette initiative. Elle prit le poing dur et tremblant d'Alan qu'elle positionna elle-même contre le coeur de ce dernier. L'homme se laissait faire, stoïque. Il était dans l'incapacité d'agir. L'Hylienne, qui avait de plus en plus de difficultés à retenir l'eau qui voulait couler sur ses joues, commença à le tutoyer pour la première fois, comme lui le faisait depuis qu'il l'avait pris par surprise il y avait encore quelques minutes.
... Sans votre bienveillance et votre générosité, je ne serai pas là aujourd'hui...
- Tu... as le coeur bon. Je veux simplement t'éclaircir les idées. J'ai prié la déesse pour qu'elle t'accorde sa grâce...
Dites-moi, vous priez la déesse Hylia ?
Tout à coup, Brad débarqua derrière Alan. Maëlle et Daniel venaient de s'envoler pour ce qu'ils avaient à faire. Le brun put observer la peau du frère de Gabriel se noircir, comme si elle brûlait, mais à une vitesse ahurissante. De la malice se dégagea ensuite de son corps, jusqu'à ce que la totalité de son épiderme ne soit recouvert. Et le tout, sous les yeux de Nell qui s'écarta aussi loin qu'elle le put avant que l'homme s'agenouille et crée involontairement une onde de choc de corruption violente qui la projeta à quelques mètres avant de la faire s'écraser au sol. Méconnaissable, Alan leva la tête et scruta le ciel. Puis, il hurla à la mort si fort que le rugissement de Ganon s'entendait à travers sa voix.
Quelle était la prochaine étape ? Pouvait-il faire encore pire que de détruire une maison entière ? Non, cette fois-ci, c'en était trop. Brad, qui observait ce qui se produisait, dut fermer les yeux lorsqu'une lumière blanche et éblouissante surgit de nulle part et prit le dessus sur la corruption d'Alan. L'éclat divin aveugla toute personne à proximité et fit disparaître en une seconde la malice qui retourna instantanément en lui, dans le corps du cadet, désormais prisonnière et inoffensive pour son esprit. Puis, plus rien. Un silence brutal naquit.
Essoufflé, Alan avait les deux mains plaquées contre la terre. Sa vision était troublée et ses oreilles bouchées. Sa peau, ses yeux, tout était redevenu normal. Pas la moindre trace de corruption ne se présentait sur lui, en tout cas, en apparence. Lorsqu'il retrouva petit à petit sa vue et son ouïe, il releva les yeux et vit le corps immobile et inconscient de Nell sur le dos, un peu plus loin. Maladroitement, il se leva et accourut vers elle sans réfléchir.
- Nell ! s'exclama l'homme.
Le visage de la voyageuse, de nature très pâle, l'était encore plus qu'à l'accoutumé. Seule une dernière larme s'écoulait encore le long de sa tempe droite pour partir s'étaler sur le sol rocailleux. Alan s'agenouilla à côté d'elle et s'empressa de regarder son état. Mais malheureusement, il n'y avait plus beaucoup de choses à constater. Ses mains comportaient quelques écorchures suite à la chute. Elle gardait les yeux ouverts, et ne respirait plus.
- Merde... merde, qu'est-ce que j'ai fait... s'affola l'homme qui cherchait à trouver un battement de coeur par le poignet de l'Hylienne.
Il n'y avait rien, peut-être que son coeur avait lâché à cause du choc du vent de corruption... dans tous les cas, il ne percevait plus son pouls et cela le mit dans tous ses états. Ne pouvant accepter une telle chose, il posa son front humide contre l'épaule de Nell en essayant de garder un calme improbable en vain. Il se redressa après quelques secondes et prit ses joues dans ses mains.
- Non... non, non ! C'est pas possible... pleura-t-il avec une voix cassée.
- Alors voilà, c'est enfin arrivé... intervint brusquement Brad. C'est bien dommage, Alan. Je te pensais plus intelligent que...
Sans même se retourner, l'oncle prit sa forme spirituelle et fonça avec rage sur le chef de l'Armée des Fidèles dans une trainée rouge et noire avec la ferme intention de lui faire payer pour tous ces crimes horribles qu'il avait faits et lui avait forcé de faire. Brad, à présent vulnérable face à l'immunité de son ancien associé, prit la fuite dans les airs dans un ricanement. Alan ne comptait pas le poursuivre, ce dernier était beaucoup trop affecté par la mort de Nell, il reprit son corps physique et le regarda partir dans le ciel nuageux.
- Hors de ma vue espèce de salaud ! hurla-t-il à Brad, ne contenant plus sa colère.
Il retourna auprès de l'Hylienne, comme s'il pouvait encore faire quelque chose pour la faire revenir avec lui. La jeune femme, de vingt-quatre ans seulement aussi bavarde et dynamique qu'elle, était condamnée à un silence éternel. Et tout cela par sa faute ! C'était injuste ! Depuis qu'elle l'avait retrouvé échoué sur la rive du fleuve Tamiand, il ne l'avait encore jamais remerciée... Peut-être l'avait-il sauvée sept ans en arrière ; elle, l'avait secouru pas plus tard qu'il y avait quelques secondes. Il regretta de s'être comporté comme il l'avait fait. Aussi grincheux et fermé à cause de la corruption qui s'installait en lui.
- Nell... je... je suis désolé... sanglota Alan sur le corps inerte de la femme. J'ai essayé de résister... Je n'ai jamais voulu ça...
Il passa une main dans ses cheveux. Sept ans qu'ils ne s'étaient pas revus et voilà comment il l'accueillait après autant d'années. Il aurait voulu faire davantage connaissance avec elle et tous ses proches à Adeya, devenir des amis. Mais il était trop tard. Les regrets envahirent le frère qui ne pouvait se calmer.
- Tu ne peux pas mourir... Ta famille... ton... mari... tu ne peux pas les laisser... Je t'en supplie...
Il se retrouva là, seul, au beau milieu du plus grand monument d'Hyrule, à pleurer cette pauvre femme qui ne voulait que le sauver du Mal. Et elle avait réussi, mais elle avait dû y laisser la vie... Tout ça parce qu'il n'avait pas su se contenir... Selon lui, il méritait dix fois plus de mourir à sa place... La nuit noire donnait une ambiance plus que triste, Alan sentait la température corporelle du corps de Nell qui baissait de plus en plus, il lui prit une main et la serra comme pour essayer de la réchauffer. Ses actions dépourvues de sens témoignaient du choc dans lequel l'oncle était. Par Hylia, comme il s'en voulait... Pour tout... Pour ne pas avoir su secourir sa nièce, pour avoir détruit la maison de son frère, pour ne pas avoir pu résister plus longtemps à Brad, et... pour l'avoir tuée. À cet instant précis, son seul désir était de la rejoindre dans l'autre monde.
Soudain, la lumière divine qui l'avait sauvé tout à l'heure fit de nouveau son apparition. Alors qu'il ne s'y attendait pas, Alan, les yeux remplis de larmes, crut apercevoir une grande silhouette blanche l'épier. Une forme humanoïde qui dégageait une aura si pure et sage qu'il n'y avait aucun doute sur son identité. Le ciel nocturne semblait s'être éclairci d'un seul coup. Son environnement tout entier s'éclairait. Les murs, la terre, l'air même. Était-il en train d'halluciner ? Il y avait de quoi se poser la question, surtout lorsqu'il reporta de nouveau son regard sur Nell.
- Qu'est-ce que...
Il en eut le souffle coupé.
Le bout des doigts de la voyageuse se murent.
Et sa poitrine se gonfla, par miracle.
À présent, ne tarde pas.
Ce texte a été proposé au "Palais de Zelda" par son auteur, "Azur". Les droits d'auteur (copyright) lui appartiennent.