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Breath of the Wild : La grande histoire de la Princesse d'Hyrule

Ecrit par Azur

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Chapitre 36 : Le monstre   up

Impa posa sa tasse sur la table après avoir bu une petite gorgée de son contenu. Elle terminait sa boisson chaude lorsqu'on frappa à sa porte. Sa jambe encore blessée reposait allongée sur un tabouret muni d'un épais coussin, elle ne devait la faire bouger que pendant ses séances d'exercices. Séances qu'elle haïssait pour la douleur infâme qu'elles lui procuraient. Mais il le fallait pour réhabituer les muscles de sa jambe à marcher. La Sheikah savait qu'elle avait eu de la chance de s'en être sortie avec une "simple" blessure profonde dans le quadriceps, au repère des Yigas, alors elle ne se plaignait pas.

Elle pria la personne qui venait de frapper d'entrer, il s'agissait d'un autre Sheikah qui était chargé de la surveillance de la résidence, en bas des escaliers qui menaient à l'entrée. La soeur de Pru'ha fut étonnée. Elle ne se souvenait plus que du monde pouvait venir la déranger en une journée seulement, contrairement à lorsqu'elle travaillait encore dans le bureau, au château d'Hyrule où les règles étaient bien plus strictes. Il fallait dire que les habitants du village de Cocorico étaient assez heureux de retrouver leur cheffe qu'ils ne voyaient pas souvent... Elle ne pouvait pas leur en vouloir. Cependant, en analysant l'expression du garde, les informations qu'il allait lui transmettre ne semblaient pas être réjouissantes.

- Dame Impa, un homme et sa fille inconnus veulent vous voir, formula-t-il à mi-voix.

La cheffe ne fit pas directement le lien et ne vit pas quel était le problème au vu de la tête que faisait le Sheikah. Il était vrai que beaucoup de personnes venaient s'installer à Cocorico depuis quelques semaines, mais cela ne pouvait être que bénéfique pour le village et sa prospérité. Impa ne pouvait être qu'heureuse de les accueillir, surtout lorsque de nouvelles chaumières encore vides venaient d'être construites.

- Un homme et sa fille ? C'est que nous en avons des nouveaux, en ce moment.
Le garde de Cocorico haussa les sourcils et détourna le regard. Visiblement, ce n'était pas tout. Impa déglutit et comprenant que la suite n'allait pas la réjouir.
- Le père dit qu'il s'excuse pour votre jambe, déclara l'homme.

La gaieté de la Sheikah s'évapora de manière soudaine. Voilà pourquoi il n'était pas très à l'aise, Impa avait formellement interdit à quiconque de lui poser des questions ou même de parler de sa blessure. La cheffe voulait oublier cette histoire, pour de bon. Et il n'y avait qu'une seule personne pour pouvoir s'excuser de cet accident. En soupirant, elle comprit de qui il s'agissait. Par Hylia, elle avait accepté de le laisser partir et voilà qu'il venait lui rendre visite... Après réflexion, il lui avait tout de même sauvé la vie, elle ne pouvait pas rejeter Gabriel et Lysia comme ça.

- Faites-les entrer, décida Impa, peu enthousiaste.

L'habitant de Cocorico suivit les ordres qu'on lui avait donnés, il laissa entrer les deux nouveaux arrivants et attendit au niveau de la porte, à l'intérieur. Gabriel pénétra donc avec humilité dans la grande maison en tenant la main de sa fille. Avant même de partager son mécontentement, l'ancienne magistrate adjointe fut choquée par l'état de ses invités : vêtements salis par la terre, parfois quelques égratignures sur la peau... Ils avaient passé toute la nuit dehors, une longue et dure nuit à errer dans la nature dangereuse. Des cernes se dessinaient sous les yeux de Lysia et de son père, tout ce qu'ils souhaitaient, c'était du repos. Rien que du repos.

L'homme n'osait rien dire tant que personne n'avait encore engagé de conversation. Il s'en voulait de venir déranger son ancienne rivale, mais il n'avait pas le choix. Il y avait une certaine reconnaissance pour Impa dans le regard de Lysia qui n'avait pas pu parler à son sauveur depuis le jour où tout s'était déroulé. Et la concernée l'avait bien remarqué, seulement la présence de Gabriel chez elle lui était beaucoup plus perturbante.

- Par toutes les déesses... murmura la Sheikah en fermant les yeux.
- Dame Impa, vous devez m'écouter, déclara l'homme.

Elle l'arrêta dans la seconde qui suivit et lui dit que c'était lui qui allait l'écouter d'abord. Sa mauvaise humeur alourdissait l'atmosphère, Lysia ne reconnaissait plus vraiment la Impa douce et bienveillante qui lui avait promis de la sortir de sa cellule.

- Crois-tu que c'est seulement à cause de cette jambe que l'on m'a retiré mes fonctions de magistrate adjointe ?

En effet, Impa avait reçu une lettre venant du château d'Hyrule stipulant qu'on lui retirait son titre du fait de son inaptitude à marcher ainsi que sa collaboration avec le grand voleur Lambda. Elle avait eu de la chance de ne pas être encore interceptée, mais elle savait qu'elle ne pouvait plus retourner au château sous peine d'être enfermée dans une geôle après jugement, tout comme les autres criminels. Gabriel s'en excusa.

- Je suis conscient de tous les ennuis que je vous ai causés, prononça-t-il. Je ne suis pas là pour en rajouter une couche.
- Je n'ai plus rien à te dire, répliqua Impa, et tu n'as rien à faire ici. J'ai fait ce que j'avais à faire.

Voyant qu'elle refusait de discuter de manière catégorique, Lysia regarda tristement son père. Pourquoi était-elle aussi en colère après lui ? Et de quoi parlait-elle concernant son retrait de titre ? Bien qu'elle ne comprenait pas la totalité de la conversation des deux adultes, elle savait tout de même que la Sheikah était leur seul espoir, dorénavant, et qu'ils avaient besoin de son aide. Gabriel s'apprêtait à expliquer la raison de leur venue au village à son hôte lorsque la blonde le fit à sa place, sans même hésiter à visualiser de nouveau cette terrible vision dans son esprit.

- Nous n'avons plus de maison, madame Impa, marmonna la petite Hylienne.

La cheffe se calma et sentit un pincement au coeur suite à cette intervention de Lysia. Au vu de ce qu'il s'était produit la veille dans la ville d'à côté, Impa en conclut que cela avait un lien avec leur présence ici-même. Elle se massa quelques secondes les tempes et dut se plier à la concession et accepter de l'écouter, même si elle se doutait à présent du pourquoi Gabriel désirait la voir.

- Accompagnez-la dehors, déclara Impa au garde qui attendait derrière, en parlant de l'enfant. Le temps que je m'entretienne avec cet homme...

Soulagé, l'aîné sourit à sa fille. Il la décoiffa gentiment d'une main qui vint ébouriffer ses cheveux, comme pour la remercier d'avoir convaincu Impa. Elle lui répondit par un malicieux clin d'oeil, puis Gabriel la laissa sortir avec le Sheikah qui ne montra aucun signe d'agressivité avec la blonde. Lysia savait qu'une ultime chance avait pointé le bout de son nez, grâce à elle. En descendant les escaliers à l'extérieur, l'ambiance du village se dévoila à elle à nouveau. Il plaisait beaucoup à la petite fille qui dévalait les marches avec un peu de maladresse et qui laissait son regard fixé sur les toitures des maisons qui l'intriguaient particulièrement.

Une fois arrivée en bas, le garde sheikah lui demanda de ne pas trop s'éloigner, afin qu'elle ne se perde pas dans le village lorsque son père aurait terminé de converser avec Impa. Lysia obéit sans contestation et attendit sagement Gabriel, les mains derrière le dos. Cinq minutes passèrent et l'Hylienne perçut les pas d'une personne sur sa gauche. Un petit garçon s'était avancé et accroupi face à une statue en forme de grenouille devant laquelle se trouvait un épais réceptacle en pierre. Une pomme y avait été placée à l'intérieur. Lysia commença ainsi à l'épier discrètement d'un mauvais oeil. N'allait-il tout de même pas s'emparer du fruit ? Le garçon, châtain, les vêtements trop petits pour sa taille, tendit effectivement son bras vers la pomme. La petite fille, de son côté, fut subjuguée que personne autour d'eux ne lui dise rien. Elle dut alors se charger elle-même de l'interrompre dans son geste en accourant vers lui.

- Tu ne peux pas manger cette pomme, l'arrêta Lysia.

Le garçon la dévisagea sans comprendre ce qu'elle lui voulait. Il ne faisait que prendre une pomme qui traînait là pour aller la laver et la manger. Après tout, il s'agissait de son fruit préféré. Il se releva pour être à la taille de la blonde qui était un petit centimètre plus petite que lui. L'Hylien ne chercha pas les problèmes, il resta silencieux tout en attendant des explications de cette inconnue qui venait de lui adresser la parole.

- C'est une offrande, signala Lysia, personne n'a le droit d'y toucher.

Il baissa la tête pour scruter la sculpture en forme de grenouille à ses pieds, en toute innocence. L'enfant ne comprenait pas un seul mot de ce qu'elle lui racontait. Pour lui, une pomme, c'était une pomme...

- Une offrande ? C'est quoi ? finit-il par lui demander avec une voix posée.
- Aucune idée. Mais t'as pas le droit.

Ne voulant pas brusquer cette fille qui venait se mêler de ses affaires, il se résigna et renonça à manger le fruit qui le tentait pourtant beaucoup. Il y en avait peu dans sa région d'origine. Le châtain gardait une expression fermée et privilégiait le mutisme. Il n'avait jamais été un grand bavard, mais ce qui s'était produit ces derniers jours dans sa vie le faisait se taire davantage.

- Ah... répondit le garçon d'un air déçu.

Lysia remarqua qu'elle venait de perturber ses intentions. Elle s'en excusa et chercha à le consoler d'une manière ou d'une autre. Ce garçon avait l'air tourmenté et n'avait même pas essayé de défendre sa position devant elle. Ce dernier fronça les sourcils et observa plus en précision le visage de la petite fille qui restait sans rien dire à le regarder, elle aussi, ce qui créa un silence entre eux. Il ne l'avait jamais vue avant ce jour, à Cocorico... Elle était la première personne qui avait l'air d'avoir son âge qu'il rencontrait ici, ce fait l'ouvrit finalement à la conversation.

- Tu habites ici ?
L'Hylienne écarquilla les yeux en se rendant compte qu'il acceptait de parler avec elle.
- Non, je viens d'arriver, dit-elle. Mais je crois que si madame Impa est d'accord, mon papa et moi, on aura une maison dans le village.

C'était bien la première fois qu'elle parlait avec un enfant de presque son âge depuis des semaines, et d'un côté, cela lui faisait plaisir. Elle croyait qu'avec toutes les horreurs qu'elle avait vécues, aucun autre enfant ne pourrait la comprendre et ne pourrait devenir ami avec elle si tout cela venait à se savoir. Des pensées qu'elle s'était empressée de partager avec son père qui la rassura de nombreuses fois à ce sujet. Et justement, lorsqu'elle vit que son interlocuteur était intrigué par le bout de bandage qui dépassait de son maillot, elle le dissimula sous celui-ci et poursuivit la discussion.

- Toi, tu habites ici ? s'interrogea-t-elle à son tour.
- Je suis arrivé il y a deux jours, expliqua le petit Hylien. C'est un Piaf qui m'a amené, j'étais tout seul et il a dit que Dame Impa pouvait s'occuper de moi.
- Pourquoi ?

Cette simple question avait suffi à le faire taire soudainement. Elle ne pouvait pas être au courant, mais cela lui avait fait monter les larmes aux yeux. Il ne se voyait pas capable d'en parler et baissa le regard timidement, en laissant Lysia sans réponse qui se sentit très maladroite d'avoir cherché à savoir des choses qui ne la concernaient pas. Pour oublier, elle lui demanda donc son nom.

- Tu t'appelles comment ?
- Arthur.

Elle lui sourit pour tenter de le faire sourire à son tour. Mais cela ne fonctionna point, Lysia supprima alors le mètre de distance qui les séparait en s'avançant vers lui. Elle voulait se rattraper suite à sa maladresse qui avait sans le moindre doute affligé Arthur, le regard plongé dans des souvenirs qu'il ne désirait pas se remémorer. Peut-être lui pardonnerait-il si la petite fille lui proposait de jouer à un jeu ?

- Je m'appelle Lysia. Si tu veux, on peut jouer à quelque chose, pour te remonter le moral. Tu n'as pas l'air en forme.
- Toi non plus, à vrai dire, rétorqua-t-il.
Il n'avait pas tort, mais elle préférait oublier son cas pour l'instant et penser un peu à autre chose. Il n'y avait aucun mal à vouloir s'amuser un peu, elle espérait qu'Arthur serait d'accord lui aussi.
- Tu as quel âge ? demanda-t-elle.
- J'ai dix ans, et toi ?

Lysia se mit à bougonner en apprenant cela. Pourquoi n'était-elle jamais la plus grande ? Les gens avaient tendance à la rejeter et ne pas vouloir l'intégrer dans leurs conversations qu'ils considéraient trop compliquées pour une enfant de son âge. C'était tout bonnement injuste pour elle, la petite fille savait se montrer très mature quand il le fallait... Elle dut répondre à la question d'Arthur même si la vérité ne lui plaisait pas.

- J'en ai huit, maugréa-t-elle. Je suis toujours la plus petite, c'est pas du jeu...
- On peut dire que j'en ai huit aussi, si tu veux, proposa le garçon qui voyait que cela la dérangeait.

La blonde haussa un sourcil. Cette suggestion de sa part semblait partir d'une bonne intention. Elle y réfléchit quelques secondes. Arthur avait l'air très gentil bien qu'un peu introverti aussi, mais c'était quelque chose qui n'importunait pas Lysia ; elle qui passait sa vie à être tournée vers les autres, voir une personnalité qui différait beaucoup de la sienne la passionnait.

- Tu connais le jeu du chat ? demanda-t-elle finalement.
- Non.
- C'est simple, tu cours et je dois t'attraper.

Il passa une main derrière sa nuque, peu convaincu de l'idée. Disons qu'il n'avait pas vraiment la tête à jouer, ni même faire quoi que ce soit d'autre. Arthur restait perplexe concernant cette proposition. Mais après tout, Lysia avait l'air sympathique, elle ne lui voulait rien de mal, contrairement aux personnes qu'il avait croisées dans sa vie dernièrement. Et le sourire qui se dessinait sur son visage, il avait le sentiment qu'il devait le lui rendre, comme s'il n'en était pas autrement. Elle dégageait une aura positive et bienveillante très particulière, et le petit garçon n'en était guère indifférent.

- Je ne sais pas si... débuta Arthur.
- Allez ! Vite ! le coupa la fille de Gabriel. Je vais gagner, sinon !

Lysia l'incita à courir en le poussant dans le dos. Arthur se prêta finalement au jeu en remarquant l'engouement de celle-ci et prit d'un seul coup ses jambes à son cou, suivi de près par la blonde. Le garde chargé de surveiller l'Hylienne ne put les rattraper avant qu'ils ne s'enfoncent dans le village. La superficie de ce dernier n'était finalement pas très grande, alors il n'alla pas les chercher, ils finiraient bien par retrouver leur chemin...

Comme s'il avait sa vie en jeu, le châtain tentait de se cacher derrière plusieurs maisons afin de semer Lysia qui, au bout du compte, finissait toujours par le retrouver. Et ainsi s'ensuivaient rires et cris d'enfants. Les quelques villageois sur leur route durent libérer le chemin aux deux jeunes gens qui passaient brutalement près d'eux. Mais Arthur commençait à fatiguer, et sa partenaire de jeu ne paraissait pas s'épuiser... comment faisait-elle ? Il n'en savait absolument rien, elle avait pour sûr beaucoup plus d'endurance que lui. Ensuite, il faillit passer en travers d'un champ de citrouilles au moment où un Sheikah propriétaire de ce petit bout de terre le rappela à l'ordre. Le garçon dut s'arrêter en pleine course, il dérapa sur une courte distance et manqua de tomber avant de devoir changer de direction. Malheureusement pour lui, la blonde le rattrapa et s'empara de son bras pour lui faire comprendre qu'il avait perdu.

- Je t'ai eu ! s'exclama-t-elle, essoufflée mais fière d'avoir gagné.
- Tu cours vite...

Lysia ne démentit pas cette affirmation, elle rit en se moquant gentiment de l'état dans lequel elle avait mis le garçon : trempé de sueur. Le concerné ne put que rire à son tour, timidement. Puis, elle remarqua un objet qui était tombé de la poche de l'Hylien en freinant face au champ labouré. Ses yeux brillèrent lorsqu'elle constata qu'il s'agissait d'une statuette en bois de la déesse Hylia. Incroyable, c'était... exactement la même que la sienne. Elle était sculptée de la même manière, elle était identique.

- Hé ! Mais... c'est à toi ? s'écria la petite fille.
Arthur regarda dans la direction pointée du doigt par sa nouvelle amie, vers le sol. Il s'accroupit et récupéra son bien en acquiesçant.
- Oui, dit-il.
- J'avais la même ! Mais... on me l'a volée... C'était mon jouet préféré...

Un long silence s'installa, Arthur fut pris au dépourvu. Il alternait entre regarder sa statuette et l'expression attristée de la petite fille qui se remémorait le jour où ce Yiga s'était emparé de ce qu'elle avait de plus précieux. Un cadeau à la valeur sentimentale hors normes, offert par son oncle. Il comprenait que ce jouet était quelque chose de très important pour elle, plus que lui. Préférant continuer de la voir sourire et joyeuse, l'Hylien tendit alors le bras.

- Tiens.
Étonnée d'un tel geste, Lysia restait bouche bée.
- Quoi ? Tu me la donnes ? Mais pourquoi ?
- Je ne joue plus vraiment avec, expliqua le petit frère de Brad, tu peux la prendre, si tu veux.

La blonde s'empara de la statuette avec délicatesse, cette déesse lui rappelait de nombreux souvenirs. Ce n'était peut-être pas la même que celle qu'elle avait perdue au repaire des Yigas, mais elle y ressemblait de près et elle fut très touchée de la générosité du garçon. C'était... un cadeau merveilleux pour elle.

- C'est gentil, dit-elle, mer... merci beaucoup.
- Tu es gentille. J'espère que tu resteras ici.

Ces mots la firent sourire une fois de plus, tout comme lui. Ce garçon venait de nulle part, seul, et lui donnait son jouet sans demander de lui rendre la pareille. Lysia serra la statuette contre elle et avec entrain, elle lui répondit :

- J'espère aussi.

Durant tout ce temps durant lequel les deux enfants avaient joué, Gabriel et Impa, eux, avaient entamé leur discussion. Dans la pièce maîtresse de la résidence de la Sheikah, le père restait debout et observait l'imposante toile accrochée au mur, derrière son hôte. Il ne s'était jamais senti aussi mal à l'aise de toute sa vie mais il n'avait pas le choix. Impa était, d'un côté, son seul et dernier espoir dorénavant. Lui et sa fille n'auraient pas pu voyager plus loin en raison de la grande fatigue qui les animait depuis plusieurs heures maintenant. Le village de Cocorico s'avérait être la destination la plus proche.

Gabriel s'expliqua en premier tandis que l'ancienne magistrate adjointe fixait sa tasse de lait chaud qu'elle venait d'ingurgiter tout entière. Elle se devait de recevoir cet homme même si cela ne lui plaisait pas vraiment. Impa relativisa, prit sur elle et l'écouta avec un air indifférent.

- J'aurais voulu disparaître de vos vies, je vous le jure, débuta l'aîné. Vivre encore quelques années avec Lysia pour oublier tout ça. Avant de lui raconter pourquoi une troupe d'hommes est à mes trousses dans tout le royaume. Mais vous n'avez pas idée de ce qu'il vient de se produire chez...
- Les informations me parviennent très vite, l'interrompit la Sheikah. Vous étiez à l'Étape d'Hyrule cette nuit, n'est-ce pas ?

En effet, elle était déjà au courant de tout. Il ne devait plus rester grand nombre de choses dans cette ville à présent. L'incendie n'avait pas été stoppé, personne n'avait eu le temps de s'en occuper à temps. Le feu s'était répandu et le père n'osait même pas penser à l'allure de l'Étape après le passage des flammes. C'était comme si une partie de sa vie en lui avait été brûlée, elle aussi. Un sentiment douloureux au plus profond de son être.

- J'y... habitais... bégaya l'Hylien.

Voilà qu'elle apprenait de sa bouche où vivait l'ancien voleur intrépide qu'il était autrefois. Par Hylia, si elle l'avait su quelques jours plus tôt, cela aurait bien pu changer absolument tout le cours des choses... Impa se redressa difficilement sur sa chaise à cause de sa jambe droite, puis fit remarquer l'aspect miraculeux de cette situation à Gabriel.

- Vous avez une chance inouïe de vous en être sortis, dit-elle.
- Je sais, répondit l'homme en soufflant.

Elle attrapa un crayon et nota quelques lignes sur un carnet ouvert, disposé devant elle sur la table. Cela semblait être un bilan, ou une liste plutôt. Une sorte de répertoire peut-être même, Gabriel ne voyait guère de quoi il s'agissait depuis sa position mais la façon dont l'ancienne magistrate adjointe écrivait l'intriguait. Impa avait ajouté deux lignes si rapidement que son écriture était presque illisible. Et ce, avant de refermer le carnet aussitôt et de dévisager ensuite l'homme dans les yeux.

- Tu n'as nulle part où aller et tu souhaites que je t'héberge à Cocorico pour ne serait-ce que quelques jours... affirma-t-elle avec certitude.
Il se demanda sérieusement si elle avait la capacité de lire dans ses pensées, il venait exactement pour cette raison. Gabriel confirma ses dires.
- C'est l'idée.
- Assieds-toi, lui ordonna soudainement Impa.

Le frère d'Alan s'avança lentement jusqu'à un tabouret autour de la même table centrale et s'y assit. Il joignit les mains devant son visage en se dissimulant derrière celles-ci avant d'écouter la suite. L'air sérieux de la Sheikah n'était pas pour le rassurer, on aurait dit qu'elle allait lui annoncer une mauvaise nouvelle. Tout bien réfléchi, cela ne voulait rien dire, elle avait toujours eu le même visage lorsqu'elle s'adressait à lui. Mais dans cette situation, cela rendait Gabriel encore plus anxieux.

- Link m'a dit que tu comptais te rendre à ton procès.

C'était vrai, il avait dit ça... même si son point de vue là-dessus avait tout de même évolué depuis. Impa se pencha légèrement en avant en tentant de cerner ses intentions. Cette "sage" décision prise beaucoup trop vite avait complètement choqué la Sheikah. Peut-être qu'en se rendant lui-même à son jugement, l'ancien voleur Lambda souhaitait montrer au royaume entier qu'il avait changé, qu'il ne représentait plus aucun danger. Mais non ! De la folie, voilà ce que cela représentait pour elle, cette idée était tout de même beaucoup trop risquée...

- Gabriel, c'est une plaisanterie ? s'enquit de savoir la cheffe.

Il rentra sa tête dans ses épaules, comportement qu'il n'avait jamais adopté dans sa vie jusque-là. Il pensait qu'Impa serait réjouie de savoir qu'il se rendrait lui-même au château, bien qu'il ne le désirait plus vraiment. Mais ce fut tout le contraire, la Sheikah ne l'avait pas laissé partir pour qu'il finisse par se jeter dans la gueule du loup ! C'était une ultime seconde chance qu'elle lui avait faite, il ne devait pas la gâcher.

- Tu sais qu'ils te tueront, au moins ? demanda Impa, presque en colère.

En fin de compte, Gabriel ne savait plus ce qu'Impa attendait de lui pour s'excuser. Peut-être qu'elle n'attendait rien, qu'elle ne pourrait jamais entièrement lui pardonner ses agissements passés. Le père restait muet pour le moment et laissait son hôte dire ce qu'elle avait à dire. Après un long soupir et un regard vers sa blessure à la jambe, la soeur de Pru'ha et Rodric se racla la gorge et lui expliqua pourquoi il ne devait point se rendre là-bas, au château d'Hyrule. Et la raison était évidente pour Impa.

- Écoute. Je ne pourrai jamais oublier tout ce que tu m'as fait endurer par le passé. Jamais. Mais je ne pourrais encore moins oublier... le courage et la détermination dont tu as fait preuve pour sauver ta fille.
Elle marqua une pause qui alourdit l'atmosphère.
- Je me fiche bien de ce que tu comptes faire de ta vie, mais je t'interdis de la laisser, elle, en allant te rendre pour tes anciens crimes, tu entends ? Ce serait la pire des choses à faire. Elle a besoin de toi. Entre le faux pardon d'Hyrule tout entière et le bonheur de ton enfant, je pense que ton choix est vite fait, non ?

Oui, bien sûr, c'était bien cela qui l'avait fait changer d'avis. Peu importait ce que l'on pouvait penser de lui. Il pouvait rester un voleur, un meurtrier même aux yeux du monde, tant qu'il pouvait continuer à aimer Lysia comme un père et une mère aimaient leur enfant, tout le reste n'était que poussière dans son esprit. Des choses sans la moindre importance comparées à sa fille en personne. La femme, autoritaire, le pointa alors du doigt.

- Promets-moi de ne jamais lui faire ça, insista Impa. Jamais. Et vous pourrez rester ici autant de temps que vous le voudrez. Pour la vie même, si vous le désirez.

Cette réaction toucha Gabriel qui venait de reprendre ses esprits. Que lui avait-il passé par la tête pour vouloir se rendre à son procès ?! Avait-il au moins pensé à elle ?! Il se sentit honteux, et indigne. Il voulait remercier la Sheikah de lui avoir ouvert les yeux, il avait déjà fait assez d'erreurs comme ça... Abandonner Lysia... Vu de cet angle, quelle idée atroce !

- Oui, vous avez raison, accepta le père. Je vous le promets.

La cheffe fut soulagée. Cette enfant... depuis le jour où elle l'avait vue, enfermée derrière des barreaux de fer, dans cet endroit cruel au fin fond de la vallée de Caltice, Impa avait su qu'elle devait faire quelque chose. Certes, apprendre qu'il s'agissait de la fille du voleur Lambda avait été un véritable choc, cela ne changeait rien à la donne. Lysia était une petite fille qui avait vécu des choses que personne ne pouvait comprendre. Ce fut lorsque la cheffe constata de l'eau dans les yeux de l'homme qu'elle se rendit compte du changement crucial chez lui. Elle n'avait jamais vu Lambda pleurer, voilà qui était donc une preuve remarquable. Impa eut un doux et discret rictus.

- C'est certain, tu n'es plus le "grand voleur Lambda"... marmonna-t-elle en exagérant ces derniers mots. Quel nom stupide et égocentrique tu avais choisi...
Gabriel n'en disait pas moins.
- Je n'aurais jamais cru dire ça un jour mais... je suis heureuse de vous voir sains et saufs, tous les deux.
- Dame Impa, merci infiniment. Pour tout. Pour moi, et pour elle. Je ne saurais comment...
- Cesse de me remercier. Tu as de la chance que l'affiche avec ton visage n'ait pas circulé par ici. Alors va rejoindre ta fille pour lui annoncer la nouvelle avant que je ne change d'avis.

Il se dirigea vers la porte, un poids sur les épaules en moins. Gabriel imaginait déjà la tête de Lysia en lui apprenant qu'ils allaient pouvoir vivre ici, sains et saufs. Cela le rendait si heureux qu'il avait envie de sauter au plafond. Mais avant de sortir, il se retourna une dernière fois vers son hôte.

- Une dernière chose. Auriez-vous un cheval à me prêter ? Je suis désolé, je n'ai pas d'argent sur moi, mais je dois me rendre à Écaraille dans la semaine.
- Écaraille ? s'étonna Impa. Que comptes-tu aller faire à Écaraille ces temps-ci ?

Ses intentions ? Retrouver et s'expliquer sérieusement avec Madeline. Mais ne préférant guère parler de sa bien-aimée avec la Sheikah, il ne lui dévoila pas la vraie raison qu'il voulait garder pour lui.

- Une affaire personnelle, trouva-t-il à dire.
- Tu comptes encore faire voyager Lysia aussi loin après cette catastrophe ?

Lysia... C'était une excellente question... D'un côté, s'il l'emmenait avec lui, il lui permettrait de revoir sa mère. Ce qu'elle désirait tant. Mais il avait également peur que cette dernière ne la détruise encore plus si elle refusait de la voir. Le père ne pourrait prédire la réaction de Madeline, il ne savait même pas s'il la trouverait là-bas. De ce fait, Gabriel voulait lui parler en privé avant toutes retrouvailles mère-fille. Pour s'assurer du bon déroulement des choses.

- Non, justement, répondit-il, elle devrait rester ici. J'espérais aussi que... vous auriez pu vous occuper d'elle le temps de mon absence.
Impa n'était pas dérangée par ce service, mais elle préférait faire les choses une par une et éviter d'accepter toutes ses demandes d'un seul coup.
- Nous allons dans un premier temps vous trouver un toit au village. Quant à ta requête, j'y réfléchirai.
- Merci. Je vous revaudrai ça.

Sur ces mots, le père prit le chemin de la sortie et rejoignit sa fille, fière de lui montrer la statuette qu'Arthur venait de lui offrir avec tant de bonté de sa part. Gabriel fut transporté par l'ambiance de ce lieu et en oublia même la situation de son frère, qui, pour lui, était toujours corrompu. Non, rien de tout cela ne lui vint à l'esprit. C'était comme un rêve, le sourire sur le visage des enfants, le village chaleureux et prospère qu'était Cocorico, et cette brise douce de Necluda qui leur caressait la peau...

Il se sentait revivre.

~~~

- Nell, est-ce que tu m'entends ?

Bien qu'elle respirait de nouveau et que son coeur battait, la jeune femme restait inconsciente, ne répondant pas à Alan qui séchait encore ses larmes. Dans la nuit noire, au centre de l'amphithéâtre d'Hyrule, il prit la main de Nell et lui demanda de serrer la sienne si l'Hylienne parvenait à l'entendre sans pouvoir lui répondre de vive voix. Mais rien n'y fit. Alan savait qu'un miracle venait de se produire, que la déesse en personne avait sauvé la vie de son amie. Ne tarde pas... Voilà tout ce qu'il avait entendu durant cette intervention divine. L'oncle ne mit que quelques instants pour comprendre ce que cela stipulait.

Nell ne réagissant guère, Alan décida de l'amener ailleurs, là où l'on pourrait la soigner. Il passa le bras droit de la voyageuse derrière sa nuque, soutint son dos et ses genoux des siens, et se releva avec plainte avec elle. Il ne savait pas s'il allait pouvoir réussir à s'envoler avec le poids d'une personne en plus du sien, mais il fallait tenter le tout pour le tout. Il regarda quelques secondes le visage pâle de l'inconsciente dans ses bras et se décida.

- Très bien, je vais t'emmener dans un endroit sûr. Accroche-toi, lui dit-il, la voix encore tremblante.

Au moment de rejoindre les airs, Alan sentit une présence derrière lui. La colère ne tarda pas à l'envahir à nouveau, mais cette fois-ci, il sut se contenir. Pour lui, la vie de Nell était plus importante que de se venger de Brad, l'heure était venue de s'occuper des choses qui importaient vraiment. Après avoir accompagné Nell dans un village pour la soigner, il irait immédiatement chercher son frère pour le prévenir qu'il était en danger. Le chef de l'Armée des Fidèles l'interpella mais Alan n'en avait que faire.

- Tu crois pouvoir t'en tirer avec autant de facilité ? Je te retrouverai, Alan. Et je te tuerai.
L'oncle le dévisagea.
- Souviens-toi bien de qui est ton véritable ennemi, Brad.

Soudain, il s'envola avec Nell dans ses bras dans une traînée noire. Le brun mourait d'envie de le faire payer pour sa trahison, mais quelque chose le retenait ici-même, dans cette arène si emblématique du royaume. Là où les plus grands épéistes avaient autrefois l'honneur de s'entraîner. Brad tourna la tête vers l'arche qui faisait office d'entrée au bâtiment. Elle y dévoila tout à coup une silhouette encore floue qui marchait dans sa direction en son centre. La barrière de corruption n'avait pas semblé la freiner. La personne avait une démarche déterminée et ne rencontra aucun obstacle sur sa route. Ce qui était relativement humiliant pour le corrompu et son sortilège qu'il avait instauré en ces lieux.

L'ancien chevalier ricana pour dissimuler la peur qui s'installait par moments en lui. Un seul être était capable de traverser la corruption sans la moindre difficulté : le porteur de la lame purificatrice en personne. Seul, livré à son destin, Link avançait sans la moindre hésitation vers son rival depuis des années. Il affichait un regard noir et son front ridé témoignait de sa haine qu'il portait envers lui. Le héros avait désormais la réponse concernant son impulsivité excessive lorsqu'il s'adressait au brun. Ganon était en lui, l'élu ne faisait que le percevoir, et ressentir son aura... Mais à présent, équipé de son épée et du bouclier d'Hylia, rien ne pouvait l'arrêter. Cette nuit allait et devait être la dernière du corrompu. Pour la sécurité d'Hyrule.

- Bien, je crois que l'heure a sonné, s'exclama Brad.

Le blond s'arrêta à un mètre de son ennemi, immobile. Il ne montra pas le moindre signe d'agressivité, pas même dans ses yeux. Brad restait calme, il savait que ce moment arriverait, un jour ou l'autre. C'était exactement comme lors de leur première confrontation, ils étaient seuls, dans la nuit paisible perturbée par les bruits métalliques des lames qui s'entrechoquaient encore et encore.

- Bonsoir, Link.

Le concerné ne répondit pas. Brad ignora cette impolitesse de la part du prodige qui n'allait certainement pas rentrer dans son jeu pour lui faire plaisir. Link était là pour le tuer, point. Et cela ne lui plaisait déjà pas d'ôter la vie à un être humain, alors il n'était pas d'humeur à faire durer la situation. Mais dans un premier temps, son ennemi désirait juste dialoguer.

- Je pense que tu savais pertinemment que j'étais au courant de ton arrivée ici-même, songea Brad. Mais il est trop tard. Mon Armée a déjà été déployée.
- Autrefois, je ne voyais qu'un idiot que je détestais par-dessus tout, sans raison, répliqua Link, mais tu n'aurais pas fait de mal à qui que ce soit. Aujourd'hui, je vois le Mal absolu rien que dans tes iris. Je n'ai plus d'autres choix, Brad.

Le brun baissa le regard et s'essuya les mains sur son armure salie de boue. Cette voix dure, ce visage jeune et ces yeux bleus... Brad se remémora les nombreuses fois où il l'avait abordé au camp militaire, cette bonne vieille rivalité qui avait toujours existé entre les deux jeunes hommes. Le bon vieux temps, se disait-il. Ces simples disputes entre deux chevaliers... personne ne se doutait qu'il s'agissait en fait de l'élu des déesses qui interagissait avec Ganon, de manière indirecte. Le corrompu soupira, laissant un semblant de voile mélancolique lui recouvrir le faciès.

- C'est regrettable, prononça-t-il. Laisse-moi te raconter une petite histoire, tu veux ?

Link faisait attention au moindre geste effectué par son rival qui commença à faire les cent pas autour de lui. Le héros décida de le laisser parler, mais il plaça une main sur le manche de l'épée de légende, prêt à riposter à une offensive qui pouvait le prendre par surprise. Le blond suivit Brad du regard pendant qu'il se mettait à compter son récit.

- Un jour, alors qu'un simple et prétentieux Hylien passait un agréable séjour au château d'Hyrule loin de sa famille pour le jour de son adoubement, il y avait deçà trois ans, ce dernier se promena dans de sombres couloirs du château, ceux que personne n'empruntait jamais. C'était la première fois qu'il venait dans la forteresse, et il s'y était perdu. Bien trop perdu. Ne savant pas où il allait, plusieurs gardes, au fond d'un couloir sans fin, lui interdirent d'aller plus loin et lui ordonnèrent de faire demi-tour. Mais devant cette imposante porte ancienne faite de pierres étranges, la grande curiosité du chevalier était plus forte qu'ils ne l'imaginaient, alors il fit en sorte plusieurs jours plus tard de poursuivre son chemin dans ce tunnel lugubre.

Brad marqua une courte pause pour s'assurer que son interlocuteur était toujours à son écoute, puis il reprit sur un ton plus haut et chantant à l'aide d'une voix modulée. Le bruit de ses pas contre le sol se répétèrent encore et encore dans l'esprit de Link, concentré sur ses paroles et son comportement plus que déroutant.

- Qu'avait-il découvert dans cet endroit obscur ? Une chose bien trop unique. Une chose qui le stupéfia à l'instant même où il avait posé les yeux dessus. L'entrée ancienne donnait sur un gigantesque escalier en colimaçon creusé à même la roche qui s'enfonçait dans les tréfonds d'Hyrule, à des mètres et des mètres sous le château. Et arrivé au bout du bout, le chevalier qui avait réussi à duper les stupides gardes royaux censés garder ce passage secret, se retrouva dans une grotte aux murs bien étranges. Des dessins, sculptures, pierres luisantes... Bref, il y passa des jours ; des jours à avancer, loin dans cette cavité, jusqu'à tomber nez à nez avec ce qui fait sa force aujourd'hui.

Brad s'approcha de l'oreille de l'élu et lui chuchota la suite de l'histoire.

- Une piètre momie desséchée depuis des années.

D'un violent pas en avant, le capitaine de la garde l'incita à reculer s'il ne voulait pas finir en miettes à l'instant même, ce qui le fit se moquer ouvertement de cette provocation de la part du héros. Brad cessa de tourner autour de son adversaire redoutable et lui fit pleinement face pour terminer son histoire, plus qu'intéressante.

- Le soldat savait que ce lieu était interdit de tous, surtout pour l'aura malsaine qu'il dégageait. Qui avait pu relier ce lieu au château ? Et pourquoi avoir construit le château lui-même au-dessus de cet endroit aussi morbide et maléfique ? La réponse devait se trouver bien des siècles avant notre ère... Le chevalier dégaina alors son épée et s'approcha du cadavre au centre de la salle dont la position paraissait figée d'une façon très particulière : courbé vers le ciel. Il s'approcha, certes, mais de trop près. Et son imprudence eut raison de lui.

Il adopta une voix voilée qui démontra une importance plus poussée sur la suite de son monologue.

- Une vague de gaz rougeâtre se dégagea de la momie et attint le chevalier qui fut projeté contre un mur avant de voir son corps se transformer. L'aura pénétra en lui par les pores de sa peau, par sa bouche, ses oreilles, ses yeux... puis, il tomba inconscient. Comme mort, sauf qu'il ne l'était pas. En se réveillant, la victime du Mal en personne n'était plus la même. Le Seigneur avait pris le contrôle de son esprit, et ce ne fut qu'au bout de trois années à vivre dans son corps d'humain que Ganon décida de passer à l'action, lorsque sa résurrection n'allait plus tarder...

Il avait terminé ses révélations dans lesquelles Link comptait bel et bien retenir les informations importantes. Bien entendu, ce récit n'était rien d'autre que le passé du corrompu, annihilé par l'emprise de Ganon il y avait trois ans maintenant. Il serra les poings et ancra son regard dans celui de Link, un véritable duel à distance entre leurs deux iris se mit en place.

- Je suis le tout premier fidèle de Ganon de cette ère. Car il m'a offert des pouvoirs incomparables. Je suis et serai son fidèle serviteur, à jamais.
Le héros ressentit l'atmosphère s'alourdir.
- Dites-moi, Héros d'Hyrule. Que comptez-vous faire de moi ?
- Comme tu l'as dit, il est trop tard. Trop tard pour te sauver de l'emprise du Fléau. Alors...

Il dégaina la lame purificatrice de son fourreau, et son éclat brilla dans la nuit, comme une étoile brillait dans le ciel. Brad fit un pas en arrière, fixant ce tranchant si particulier et la forme de cette épée pour laquelle il développait une haine sans pareille. Voilà la seule arme dans ce monde capable de lui faire du mal, et de l'anéantir. Il y avait de quoi avoir une certaine frayeur. Chose qui arriva.

- Bonsoir, Fay... salua Brad. Vous êtes toujours aussi... effrayante.
- N'essaie pas de fuir, cette fois-ci.
- Je ne compte pas m'enfuir, rassure-toi.

À son tour, Brad sortit son épée de chevalier qui s'éleva en diagonale, dans la prolongation de son bras. Link fléchit les jambes et se munit de son bouclier, paré pour l'un des plus grands combats qu'il allait devoir mener dans sa vie, pour sûr.

- Je vais plutôt te faire goûter à... débuta son ennemi qui ne termina pas sa phrase.
Il effectua quelque chose plus que déroutant qui surprit l'élu. Le brun avait lâché son épée qui avait bruyamment percuté le sol.
- ... l'entièreté de mes dons ! finit-il en grognant sauvagement.

Pris de convulsions, l'ancien soldat tomba par terre et respira d'une manière plus rapide et bruyante. Une bête semblait vouloir sortir de son corps, bien trop à l'étroit pour rester cachée à l'intérieur d'un humain. Link prit son courage à deux mains, il restait spectateur de cette scène terrifiante qu'était la métamorphose pure et dure d'un Hylien sous le contrôle du Fléau. Puis, Brad se redressa. Toute sa chair fut recouverte de corruption en quelques instants seulement. Ses bras avaient doublé de taille et traînaient au sol, ses mains obtinrent des griffes acérées et gagnèrent un volume plus conséquent. Son visage, quant à lui, était méconnaissable, il avait dorénavant de grands yeux rouges ainsi que des dents noircies. Son armure n'était plus visible sous cette couche de corruption, et à chacun de ses souffles, de la malice était expulsée avec l'air qu'il expirait. Brad s'était transformé en un véritable monstre féroce et répugnant au corps disproportionné.

- Je suis sans masque cette fois-ci. Alors regarde-moi bien dans les yeux quand je t'arracherai les tripes par la seule force de mes mains ! Je veux voir la mort s'emparer de ton être et de celui de la prêtresse de ce royaume dont l'avenir sera bientôt le nôtre...

Sa voix... Par Hylia... sa voix avait atrocement changé. Le héros pensait entendre un démon lui parler. La créature maléfique en face de lui leva un de ses longs bras vers Link, époustouflé par la grandeur de ce monstre, et ses longues griffes frôlèrent le visage de ce dernier. Ni une ni deux, l'élu ne se fit pas déconcentrer par cette vision horrifique qu'il avait devant lui, il fendit l'air en diagonale avec sa lame blanchâtre pour le repousser. Cela fit glousser Brad.

- Quelle idée stupide j'ai eu de m'allier avec un voleur pour mettre la main sur toi, alors qu'il me suffit d'un seul geste pour te détruire...
- Qu'est-ce que tu attends, dans ce cas ? le provoqua Link.

Dans un rugissement de bête féroce, Brad asséna un premier coup en direction de son adversaire. Ses armes ? Ses griffes, aussi déchirantes que des couteaux. Link plaça d'une précision remarquable son épée pour le stopper et riposter d'un coup d'estoc afin de prendre l'avantage. Mais les bras du monstre étant beaucoup trop longs pour atteindre le buste de celui-ci, il fallait opter pour une autre technique. Quelque chose qui permettrait au blond de s'approcher de lui sans danger. Il eut une idée... Ses membres avaient beau avoir grandi, cela les rendait donc plus vulnérables. Il fallait qu'il les coupe pour diminuer la portée du corrompu. Il n'eut guère le temps de réfléchir plus longtemps, son ennemi lança de nombreux projectiles de malice qui furent détruits au simple contact avec le bouclier d'Hylia. Link se défendit de plusieurs frappes de la même manière puis lorsque Brad prépara un dernier coup, le héros retira soudainement son bouclier pour le remplacer par l'épée de légende. La créature empoigna malencontreusement la lame du héros et sa large et grande main fut blessée par l'arme qui aspira la corruption qui venait à elle. Le fils de Maëlle et de Daniel lâcha un long cri de douleur.

Brad prit sa forme spirituelle, une gigantesque masse de malice s'éleva dans les airs et se rua de toutes ses forces vers le héros qui bloqua cette offensive difficilement en s'agenouillant, son corps ainsi protégé par son bouclier de manière complète. La force exercée sur le métal le fit reculer de plusieurs mètres et Link serra les dents pour résister le plus possible. Ce ne fut que lorsqu'il sentit la masse démoniaque perdre en puissance qu'il esquiva sur le côté, éleva son arme et l'abattit sur le corrompu. La lame purificatrice absorba le maximum de corruption possible pendant que l'Hylien dessinait un arc de cercle vers le haut avec son épée. Il perçut les hurlements atroces de Brad suite à ce geste qui lui avait fait perdre beaucoup d'énergie. Le monstre reprit son physique qui poussait presque au dégoût chez l'élu des déesses, ses griffes avaient rapetissé ainsi que ses bras. Ce constat le mit dans une colère noire et il enchaîna trois coups puissants que Link contra trois fois, en étant dans l'obligation de reculer malgré tout. Il fallait oser... Il ne fallait plus tergiverser et attaquer le premier, sinon, il se fatiguerait comme ça, à encaisser encore et encore les attaques de la créature horrifique.

Link ferma les yeux un instant, il laissa faire ses pensées, il les laissa aller chercher le courage au plus profond de lui pour se dresser devant Brad. Ce fut à la princesse qu'il songea. Il vit son visage dans son esprit, il se devait d'oser, pour que les efforts qu'elle avait fournis et ceux qu'elle fournirait encore ne soient pas vains. Il imagina Zelda sourire. Et l'instant suivant, Link repoussait une énième attaque et courait en direction de Brad puis parvint à lui sectionner les deux bras. Il avait fait preuve de rapidité et d'efficacité sans nom, le corrompu n'avait guère eu le temps de réagir. C'était comme si... le temps s'était ralenti, figé pour lui... Le bout des membres coupés s'étala au sol, il n'y avait même pas d'os dans cette partie prolongée de ses bras, ce n'était que de la corruption qui fut aspirée directement par l'épée de légende.

- Sale pourriture ! hurla le monstre.

Link ne perdit guère cette opportunité. Il profita de cet instant de faiblesse de Brad pour pointer sa lame vers lui et attirer son corps entier vers elle. La pointe pénétra de quelques millimètres dans son abdomen, et il hurla à la mort... L'épée s'enfonça davantage, de maintenant un centimètre... puis deux, et trois. Le tout en faisant émaner une lumière divine de son ventre. Et plus elle pénétrait, plus il criait et ahanait... La lame ne tarda pas à sortir dans le dos du monstre, Link devait tenir cette position aussi longtemps que possible mais l'absorption était tellement importante que l'épée se retira d'elle-même du corps du corrompu pour prendre le temps de détruire la malice qu'elle avait déjà en elle et ne pas en être surchargée. Le rival s'écroula par terre, sa forme bestiale et sauvage disparut de manière progressive, Brad retrouva alors son corps d'Hylien normal. Le ventre littéralement troué, il avait une respiration non régulière et saccadée. Brad fit mine de recouvrir sa blessure de ses deux mains. Le héros s'approcha, pensant qu'il était définitivement sauvé de toute corruption, mais il en fut autrement.

Le blessé s'empara de son épée restée au sol, se releva, et entama un second combat avec le reste des forces qu'il avait encore, un combat d'épéistes pur, cette fois-ci. Le brun démarra, tenant à peine sur ses deux jambes, avec un coup que Link bloqua en plaçant son épée à l'horizontal. Ce dernier reprit l'avantage en attaquant dans la diagonale droite, puis celle de gauche, et ainsi de suite. Des frappes puissantes et pratiques pour faire reculer son adversaire... Brad n'avait qu'une main pour combattre, la douleur s'emparait peu à peu de lui. Son corps corrompu n'arrivait plus à se régénérer, ce fut à partir de là que Link comprit qu'il allait mourir de lui-même, peut-être n'allait-il même pas avoir besoin de lui porter de coup fatal. Cependant, le chef de l'Armée ne lâchait rien malgré son état : il porta un coup bas, lacérant l'air au niveau des jambes du héros pour tenter de déséquilibrer, Link esquiva furtivement et opta pour une offensive sur le flanc gauche de Brad qui encaissa durement les frappes de son ennemi.

Mais d'un coup de pied, le corrompu visa le bas du ventre du blond qui reçut vivement la douleur sans le voir venir. Il en lâcha son bouclier et souffla en posant une main au niveau de la zone atteinte. Link dut repousser de nombreuses fois l'épée tranchante de Brad mais celui-ci devenait de moins en moins menaçant. Sur une distance de dix mètres environ, il lui porta des coups, dans tous les sens, tous bloqués les uns après les autres. Le sang avait recouvert ses mains, Brad n'en pouvait plus. Il s'époumona en tombant littéralement dans les bras du héros qui le retint brusquement avant de l'allonger doucement sur le sol, sur le dos. Le brun regardait le ciel, essoufflé. Par moments, il se sentait partir mais revint à la réalité à chaque fois avec plus ou moins de difficulté.

- On arrête là, déclara Link. Je peux t'offrir une mort rapide et t'empêcher de souffrir plus longtemps si tu le souhaites.

Aucune réponse, il n'y avait que le bruit de son long souffle, rude. Puis, Link s'agenouilla à côté de lui en constatant qu'il souhaitait lui dire quelque chose, des derniers mots avant de passer dans l'au-delà. Il eut alors un large filet rougeâtre qui s'étala sur le sol, formant un grand cercle tout autour de la victime prête à mourir, et Brad posa ses iris gorgés de rouge sur le héros, impassible.

- Quatre... jours... gloussa-t-il.

Il ne comprenait pas ce qu'il essayait de lui dire, mais il savait, à ce moment précis, qu'il s'agissait du véritable jeune homme derrière cette aura maléfique qui l'avait animé durant trois années consécutives qui lui parlait. Il pensa à sa famille qui était venue le voir, lui, capitaine de la garde, en demandant où était leur fils, disparu depuis trois ans, avec le désespoir qui voguait dans leurs yeux... Il se souvint également du jour où il avait dû annoncer à ses parents la triste nouvelle... Malgré tout, des gens l'aimaient sur cette terre, et Link l'avait tué. Le blond ne devait pas s'en vouloir, il en était ainsi, sinon la situation aurait été pire. Il devait mourir.

Pour la première fois depuis qu'il le connaissait, Link ne perçut plus aucune haine envers lui, il voyait juste un chevalier comme les autres. Cela l'attrista de devoir le laisser partir ainsi, mais il était bien trop tard. Ganon avait déjà fait bien trop de mal à Hyrule par le biais de son existence, à présent, c'était peut-être des vies qui venaient d'être sauvées, car l'Armée des Fidèles n'avait plus de chef. Leur membre le plus puissant, celui qui avait été en contact direct avec la source du Mal, avait été éliminé pour de bon.

- Brad, je...

Link ne put terminer sa réponse que son interlocuteur se rua une ultime fois sur lui en hurlant toutes ses tripes et en lui attrapant les épaules, souhaitant renverser la situation et le faire chuter. Malheureusement pour lui, la seconde qui suivit, le blond n'eut d'autres choix que de lui transpercer la cage thoracique pour mettre fin à cet acharnement inutile qui ne faisait que le faire souffrir. La lame se planta au niveau de son coeur, et celle-ci brilla encore plus fort, de mille feux, en aspirant toute la corruption présente. Brad écarquilla les yeux, retombant sans violence avec l'aide du prodige, désormais mort.

C'était le coup de grâce.

- Pour le bien d'Hyrule, prononça Link sur un ton calme.

Le silence était morose, et mortel. Le héros ferma les yeux, l'air indifférent. Il entendit des chuchotements fomenter des mots incompréhensibles qui se déplaçaient autour de lui, dans le vent. C'était l'esprit de Ganon qui s'était enfui du cadavre du chevalier. Et en effet, lorsqu'il releva la tête, un imposant nuage de malice planait dans tout l'amphithéâtre lugubre, en tenant sa source de la poitrine de Brad. Une scène cauchemardesque mais poignante qui témoignait du mal qui avait été vaincu.

- Repose en paix, dit-il, peu satisfait d'avoir dû tuer un simple Hylien, peut-être trop sûr de lui et curieux, certes, mais qui n'avait pas mérité un destin aussi funeste que celui-ci.

Chapitre 37 : Larmes   up

Le bord de mer avait toujours été un lieu paisible et riche en mythes et légendes. La question au sujet de l'autre bout de l'océan était dans toutes les têtes. Personne n'y avait jamais mis les pieds, et le mystère gardait ainsi de sa grandeur de génération en génération. Voir l'étendue de l'eau à perte de vue allant jusqu'à l'horizon procurait un sentiment d'humilité chez les Hyliens de la région qui se sentaient minuscules à côté de la taille que paraissait faire le monde en entier. Mais ils commençaient à avoir l'habitude de cette sensation en eux, les pêcheurs avaient d'autres occupations que de rêvasser au bord des vagues.

Agenouillée dans le sable humide, une femme ramassait des bigorneaux qui venaient s'échouer sur la plage. Elle les stockait dans un seau rempli à moitié d'eau de mer afin de les garder pour le repas, ou pour les vendre. Les produits marins faisaient le régal de beaucoup dans cette partie du royaume. Ils servaient à préparer de nombreuses spécialités dont raffolaient les visiteurs, en général. Penchée en avant, les mains plongées dans l'eau turquoise, ses cheveux blonds y trempaient un peu par moments, par manque d'attention. Sa chasse aux fruits de mer n'était pour le moment guère fructueuse, ses prises se comptaient sur les doigts d'une main. Les mouettes qui volaient sur la côte en ce moment devaient y être pour quelque chose.

Le village d'Écaraille était très calme à cette heure-ci de la matinée, tous les habitants étaient encore chez eux, et quelques pêcheurs se trouvaient déjà en mer, au large. L'occasion de profiter de la plénitude qui s'installait progressivement dans l'atmosphère. Cette quiétude, qui était une des raisons pour laquelle la femme était venue s'installer à Firone, fut interrompue par le fier hennissement d'un cheval, probablement situé à l'entrée du village. Dans un premier temps, l'Hylienne n'y prêta guère d'attention, il devait pour sûr s'agir d'un voyageur qui venait profiter de l'isolement unique de cette plage. En effet, plus l'été approchait, et plus ils étaient assez nombreux à venir en ces lieux. Mais assez vite, la femme trouva les événements étranges. Surtout lorsqu'elle perçut des pas dans le sable chaud s'avancer derrière elle à une vitesse lente. À moitié plongée dans l'eau, elle se tourna de 90 degrés sur la droite et du coin de l'oeil, la blonde reconnut la personne qui avançait sans même avoir eu besoin de la regarder en face. Par Hylia, ce n'était pas réel...

Elle garda son calme le plus possible bien que sa gorge s'asséchait. En récupérant son seau, elle mit fin à cette chasse aux bigorneaux et prit le chemin menant à sa petite maison non loin de là, afin d'éviter ce nouvel arrivant qui avait l'air de vouloir l'aborder. Sa démarche était rapide, très rapide. Elle ne souhaitait pas courir pour éviter d'attirer l'attention et ne pas montrer son intention de fuite. Une fois enfin pénétrée chez elle, l'Hylienne, apeurée, referma la porte brusquement et se dirigea vers une petite table disposée contre le mur doté de l'unique fenêtre de la pièce. Elle s'empara de la pointe d'un harpon et attendit que son coeur cesse de battre la chamade et que son niveau d'anxiété diminue.

Malheureusement pour elle, cela ne dura guère, car on frappa à la porte.

La blonde en sursauta sur le moment. Il ne pouvait être là, pas après tant de temps... C'était un vulgaire cauchemar, un mauvais rêve dont elle ne voulait que voir la fin... Il ne pouvait en être autrement ! De longues et silencieuses secondes passèrent, et la personne réitéra son action en frappant de nouveau, ce qui fit déglutir et frissonner la propriétaire de la petite cabane de bord de mer. D'un certain côté, elle savait qu'elle ne pourrait y échapper, si elle n'allait pas ouvrir, il ouvrirait par lui-même. Mais rester dans le déni était plus simple que d'affronter sa peur, faire face à son passé, et assumer ses actes... Dos à la porte d'entrée, la femme entendit la porte grincer, elle se mordit la lèvre inférieure et se retourna soudainement avec une griffe de lézalfos en main - griffe qui servait donc aux harpons, dans la région -.

- Ne fais pas un pas de plus ! ordonna-t-elle sans attendre à la personne qui venait d'entrer.
- Madeline... fut soulagé cette dernière. Par toutes les déesses... Tu es là...

Entendre son prénom sortir de la bouche de son ancien conjoint ne faisait que remuer le couteau dans la plaie. Huit ans qu'ils ne s'étaient pas vus, et Madeline, désormais âgée de trente-sept ans, pensait qu'aussi éloignée de la civilisation, Gabriel ne songerait jamais à la chercher par ici. Pourtant, il était bien là, devant elle, trois jours après son installation à Cocorico. Son coeur se serra, elle devait s'éloigner de lui par-dessus tout. La mère le menaça avec sa petite arme tranchante bien qu'elle n'allait jamais être capable de s'en servir contre l'Hylien, les larmes aux yeux, qui essayait de la calmer.

- Ne bouge pas, le prévint la blonde.

Gabriel ne remua même pas un seul doigt. Il préférait contempler le visage de sa bien-aimée. Le temps avait passé, mais elle était toujours aussi ravissante. Il ne pouvait dire le contraire. Il n'en croyait pas ses yeux, la voir devant lui, cela lui paraissait tout bonnement surréaliste. D'un délicat geste de la main, il la rassura avec bienveillance, ce qui ne lui avait pas réussi, dans cette situation...

- Je ne vais pas te faire de mal, dit-il. Écoute, je suis ici simplement en quête de réponse, et je...
- Sors d'ici ! cria Madeline. Dégage !

L'Hylienne avait l'air inquiète plus qu'en colère ou apeurée. Et pour l'inciter à quitter les lieux, elle commença à lui jeter des coquillages à la figure. L'un après l'autre après les avoir récupérés sur la table sur laquelle elle s'appuyait encore d'une main, elle les projetait violemment à l'autre bout de la pièce. Le père se protégea le visage, surpris et affligé d'une telle volonté de sa part de le faire partir. Les projectiles augmentèrent en nombre au sol, si bien que l'aîné faillit trébucher à cause de l'un d'eux.

- Madeline ! s'exclama-t-il en évitant encore quelques coquillages. Ça fait huit ans que je te cherche ! Ta fille te cherche !
- La ferme !

Sur ces mots, après avoir expulsé sa colère, elle s'arrêta, le regard dans le vide vers le bas. Gabriel n'allait certainement pas partir après un peu plus d'un jour de voyage alors qu'il venait d'arriver. Bien sûr qu'il était en colère contre elle, mais si sa femme pouvait lui donner ne serait-ce que quelques explications de la raison de son départ, cela pourrait aider à comprendre, et peut-être lui pardonner, au fil des jours. Cependant, Madeline ne semblait absolument pas désirer dialoguer. Voyant qu'elle se calmait - en toute relativité -, le père fit mention de la lettre qu'il avait récemment découverte, celle que sa propriétaire avait dû oublier dans son ancienne chambre à l'Étape d'Hyrule.

- Je ne savais pas que tu voulais que l'on emménage ici... Et je savais encore moins que tu avais un grand-père qui y vivait...

Madeline lui lança ensuite un regard sévère et pénétrant qui démontrait bel et bien qu'elle était consciente de ses mensonges. Loin d'être couramment malhonnête avec toutes ses interactions sociales, elle assumait néanmoins ses fautes. Effectivement, elle avait menti sur le fait qu'elle avait parlé de son grand-père à Gabriel, l'Hylienne ne pouvait le nier... Se remémorer ce qui était arrivé à Hubert, son grand-père et également pêcheur d'Écaraille, lui donnait encore la chair de poule.

- Il est mort ! lâcha Madeline sans retenue pour alourdir la discussion.

L'homme en était navré, mais étant donné qu'il ne connaissait l'existence d'Hubert que depuis quelques jours, il ne pouvait pas se trouver désemparé de sa disparition, comme l'était toujours la mère. Gabriel profita du silence et de la tension qui était un peu descendue pour tenter d'obtenir de nouveau des réponses, toujours sans agacement de sa part.

- Pourquoi tous ces mensonges et ces cachotteries ? demanda-t-il. Tout ce que je demande, c'est de savoir pourquoi. Si c'est à cause de moi que tu es partie, pourquoi tu ne l'as pas prise avec toi, par exemple, pour me protéger du dangereux criminel que je suis à tes yeux ? Pourquoi me cacher autant de choses sur ta vie ? Pourquoi m'avoir laissé la somptueuse maison de ta grand-mère au lieu de me jeter dehors ? On aurait pu discuter, mais au lieu de ça...

Elle ne savait où poser son regard, mais ce qui était sûr et certain, c'était qu'elle n'allait rien lui révéler. Bien que troublée émotionnellement par la venue de son ancien conjoint, elle ne lui céda aucune opportunité d'en savoir plus. Aucune. Son comportement désolait beaucoup le père, c'était comme si ces huit ans n'avaient rien changé entre eux, Madeline n'avait pas l'air d'avoir modifié son point de vue sur l'Hylien depuis tout ce temps passé, et perdu. Mais ce n'était que ce qu'elle souhaitait montrer.

- Je t'ai demandé de t'en aller, rappela sèchement la femme d'Écaraille.

Aucune empathie, aucune compassion de la part de la blonde. Gabriel avait essayé de garder au mieux son sang-froid, mais entendre une réponse aussi froide et sans coeur était de trop. Il donnerait tout pour toucher ne serait-ce que sa peau, scruter de plus près ses yeux, et s'imprégner de son parfum... Car oui, malgré tous les événements, l'Hylien restait amoureux et cela commençait à le ronger tant il se disait qu'il ne pouvait pas aimer une personne qui lui avait fait autant de mal, à lui et sa fille. Mais ces choses-là n'étaient pas entre ses mains, il n'était pas maître de la situation.

- Et tu crois peut-être que je suis venu jusqu'ici pour que tu me rejettes comme ça ? s'exclama alors Gabriel.
- Personne ne t'a demandé de venir ! rétorqua Madeline.
Ces paroles l'attristaient, il ne s'attendait pas à une conversation paisible mais un rejet aussi prononcé venant de l'Hylienne était quelque chose qu'il n'avait encore jamais vu auparavant chez elle.
- Je sais très bien pourquoi tu es partie, ce n'est pas ça que je suis venu savoir...
- Non, tu ne sais pas, répondit la blonde en ancrant ses iris grisâtres dans ceux de l'homme.

Il ignora sa réponse prononcée à mi-voix. Oui, il savait pourquoi aujourd'hui, elle se trouvait là, à Écaraille. Nombreuses étaient les fois où il avait essayé de comprendre ce qu'elle avait pu ressentir en apprenant sa véritable identité... ce choc brutal, ce traumatisme même, était légitime. Mais rien ne tournait rond pour lui, rien. Car lorsqu'il avait pensé que Madeline commençait à accepter petit à petit cette révélation, elle disparaissait sans laisser de traces.

- Ce que je ne comprends pas, c'est la raison pour laquelle tu as abandonné Lysia du jour au lendemain, continua Gabriel.
- Non, Gabriel, tu ne sais rien !

La mention de sa fille l'énervait d'autant plus car elle savait pertinemment ce qu'elle avait fait. La mère n'avait rien oublié, elle s'imagina dans son esprit à quoi pouvait ressembler Lysia, et... ce qu'elle pensait d'elle et de ses agissements. Une peur naquit chez elle, celle de revoir l'enfant ici-même, si jamais son père l'avait emmenée jusqu'à elle. Mais Madeline ne put manifester cette appréhension car Gabriel, lui, cessa de contenir son calme plus longtemps, il allait lui dire ce qu'il avait sur le coeur, même si cela allait s'avérer rude et difficile à entendre.

- Quelle mère pourrait laisser son enfant sans prendre de ses nouvelles pendant huit années comme tu l'as fait ?

La femme ne lui donna qu'un regard humidifié comme réponse. Dit comme cela, elle passait pour la cruauté incarnée ! Or, ce n'était pas du tout sa vision des choses. Madeline abaissait peu à peu sa griffe de lézalfos qu'elle tenait jusqu'alors en évidence devant elle, prise de plus en plus par les émotions que le père ne comprenait pas. On aurait dit... qu'elle s'en voulait. Eh bien, soit ! Il y avait de quoi, se disait-il. Les regrets étaient de mise, c'était certain. Personne n'avait la capacité de réparer ses erreurs du passé, dorénavant, et tous les deux en avaient bien conscience.

- Je te l'ai montré, souffla Gabriel. Je t'ai montré que j'avais changé, de nombreuses fois ! Tu ne me crois toujours pas ?

Ses yeux se posèrent sur la cicatrice de l'homme, dans son cou, à la forme du symbole de Lambda. Cette marque du passé sur sa peau qu'il ne pourrait jamais retirer... À la vue de son expression, si, elle le croyait bel et bien à présent. Mais dans ce cas, pourquoi avoir déserté si elle regagnait confiance ? Le frère d'Alan posa une question en faisant un pas en avant qui fit un bruit significatif sur le plancher. Une question qui la déstabilisa tant elle l'incitait à parler de ce qu'elle gardait encore et toujours pour sa personne. Il déglutit une ultime fois et formula ses mots, dans un silence pesant.

- Est-ce qu'il y a des choses dont je ne suis pas au courant, Madeline ?
Elle mit un temps avant de répondre.
- Non. Il n'y a rien, dit-elle.
- La vérité, s'il te plaît.

Les mensonges ne marchaient plus. Le prendre pour un idiot ainsi ne ferait que l'agacer davantage. Évidemment qu'il y avait des choses dont il n'était point au courant, seulement, cela ne voulait guère dire qu'il était en mesure d'en prendre connaissance. Si la blonde en parlait, elle allait s'aventurer sur un terrain miné, et les choses vireraient au cauchemar, selon elle.

- Moins de personnes seront embarquées là-dedans, et mieux ce sera, énonça Madeline.

Cette mystérieuse phrase ne fit qu'attiser la curiosité de Gabriel qui ne désirait qu'en savoir plus. Il s'avança jusqu'au centre de la maison en évitant les nombreux coquillages qui craquelaient lorsque l'on posait un pied dessus. Et ce, sous le regard inquiet de sa bien-aimée qui aurait voulu reculer pour fuir, mais celle-ci était déjà plaquée contre un mur et la sortie se trouvait à l'autre bout de la pièce. La distance entre eux s'était donc rétrécie et une angoisse vit le jour chez Madeline qui gardait toujours son arme, même si elle ne servait qu'à intimider son interlocuteur.

- De quoi parles-tu ? demanda l'homme.

Elle savait que les choses avaient été difficiles... Tant de temps à vivre dans l'ignorance totale. Tout ce qu'elle leur avait laissé, c'était un "désolée" avant de partir sans un mot en pleine nuit... Néanmoins, elle ne pouvait rien faire, elle ne contrôlait pas la situation et même si Madeline souhaitait tout lui révéler, elle ne le pouvait pas. Pour des raisons de sécurité. À contrecoeur, la blonde dut se montrer plus froide envers Gabriel.

- Je suis partie pour une bonne raison, c'est tout ce que tu dois savoir. À présent recule, j'aimerais que tu t'en ailles avant que je n'appelle à l'aide car un inconnu s'est introduit chez moi et a l'intention de m'agresser.

Ces mots affligèrent le père, complètement dévasté de constater ce rejet si brutal de la femme. Elle continuait à agir avec ruse et perfidie, chose qui ne lui ressemblait pas selon Gabriel avant qu'il n'apprenne l'existence de ses mensonges. Les yeux de ce dernier s'humidifièrent mais il ne se fit pas submerger par les larmes. Non, à cet instant précis, c'était plutôt de la colère qui venait l'animer. Une colère intense, mais justifiée, personne n'avait le pouvoir de venir insinuer le contraire. Ce sentiment était plus que légitime dans sa situation.

- Je ne te reconnais plus, Madeline.
- Et moi, je ne t'ai jamais connu tout court. Va-t'en, maintenant.

Sa mâchoire oscilla, Gabriel tentait toujours de garder son calme mais il savait que ce n'était plus qu'une question de temps avant qu'il ne laisse tout exploser. Madeline n'osait même plus le regarder dans les yeux, car elle y voyait de plus en plus de détresse, celle de son ancien conjoint, mais aussi celle de sa fille... Et cela lui fendait le coeur sans que l'homme ne le sache, bien évidemment. Et quand bien même elle lui faisait part de sa forte désolation les concernant, l'Hylien ne la croirait plus, à présent.

- C'est odieux, ce que tu fais, lâcha Gabriel en abandonnant toute douceur, et c'était peut-être même la première fois qu'il lui adressait la parole aussi froidement. L'amour est un véritable cadeau empoisonné, j'en ai la preuve devant moi.

Madeline prit un air étonné. Elle-même ne s'aimait plus suite à toute cette histoire, elle allait jusqu'à ressentir une haine envers sa personne, bien que choisir n'avait pas été une option, cette nuit-là. Mais comment Gabriel pouvait-il donc encore parler d'amour ?

- Parce que tu m'aimes encore ?! s'enquit-elle de savoir. Après tout ça ?

Ne souhaitant guère répondre par l'affirmative, il préféra rester silencieux tout en conservant un regard de plus en plus noir. En fait, il s'en voulait de l'aimer. Qu'importe ce qu'il faisait, il n'arrivait pas à la sortir de sa tête, à oublier l'amour qu'ils avaient ressenti l'un envers l'autre autrefois. Car il s'agissait de choses tout simplement inoubliables. Une véritable torture quotidienne... Gabriel comprenait bien que Madeline avait une grande raison de s'être enfuie, et qu'elle n'était pas partie sur un coup de tête sous prétexte qu'elle ne connaissait pas la véritable identité du père. D'un certain côté, cela était rassurant, la blonde n'était pas si mauvaise qu'elle en avait l'air... Mais d'un autre point de vue, ça ne faisait que laisser l'homme plongé dans l'ignorance, lui qui voulait apporter des réponses à Lysia à l'avenir. Car la petite fille n'y était pour rien et avait le droit de savoir. Tout comme lui.

- Je vais te poser une question, déclara Gabriel plus calmement. Je pense que tu lui dois bien ça, au moins.
Une tension palpable se propagea dans l'air. Sa question allait être simple, mais il voulait entendre la réponse de sa propre voix, pour en avoir le coeur net.
- Est-ce que tu l'aimes ? demanda-t-il en parlant de sa fille.

Gabriel tenait à lui partager son incertitude à ce sujet car il ne pouvait jamais oublier cette vision, le jour même de la naissance de Lysia. Lorsque Madeline avait eu pour la première fois son bébé dans les bras, contre sa poitrine, le père - qui n'avait pu retenir ses larmes - n'avait discerné aucune émotion positive sur le visage de sa bien-aimée. Non, il y avait plutôt vu de la peur, du déni... Une chose qui lui était incompréhensible étant donné la joie dans laquelle attendre un enfant l'avait mise lors de ses mois de grossesse. Cependant, l'homme n'avait jamais remis le sujet sur la table depuis.

- Gabriel, je vais vraiment appeler au secours si tu ne...
Il insista.
- Réponds-moi. Elle veut savoir, et moi aussi. Est-ce que tu l'aimes ?

Ses cordes vocales se mirent à trembler sans qu'elle ne puisse rien y faire. Chaque instant où il la mentionnait, elle, lui faisait du mal. Au bord des pleurs, Madeline refusait de parler de Lysia sous peine de ne plus pouvoir se contrôler, et fondre en larmes.

- Tu n'aurais jamais dû débarquer ic...
- Est-ce que tu l'aimes ?! la coupa Gabriel.
- Oui, je l'aime ! Je l'aime plus que tout !

L'Hylienne vociféra ces mots en plantant la griffe de lézalfos qu'elle tenait toujours en main dans le bois de la table, ce qui y créa une fêlure. Madeline avait craqué, les sanglots ne tardèrent à couler à flots le long de ses joues, dans une respiration saccadée. Accroupie, le front posé sur le meuble fissuré par le tranchant de l'arme, elle évitait de croiser le regard de Gabriel qui restait silencieux face à la réaction si brutale de l'habitante d'Écaraille. Plus aucun bruit ne lui parvenait mis à part les pleurs de la blonde, tout le poids qu'elle avait enfoui au plus profond de son être, tout ce qu'elle avait essayé d'oublier depuis tant de temps, tout cela venait de ressurgir. Son ancienne vie la hantait tous les jours, ces pensées créaient une lourde culpabilisation chez la femme qui s'en voulait terriblement.

Mais malgré cette démonstration d'affection pour sa fille, Gabriel gardait son indifférence face à cela. Il ne pouvait plus être sûr de rien et ne désirait certainement pas aller la consoler. À ses yeux, tout était de sa faute, et que cela était dur à accepter ou non, elle devait assumer ses actes quoi qu'il arrive.

- Je t'en supplie, ne l'amène pas jusqu'à moi, sanglotait Madeline qui leva des yeux noyés d'eau sur Gabriel, ne lui dis pas où je me trouve. Par pitié... Je sais qu'elle a grandi, qu'elle se pose des questions... Mais je ne veux pas la mêler à...
- À quoi, Madeline ?! s'énerva malgré tout le père alors qu'elle n'avait guère terminé sa phrase. Je ne demande que des explications ! Des foutues explications qui me permettraient juste de comprendre pourquoi tu nous as infligé ça, à tous les deux ! Tu peux comprendre ça, non ?! Alors dis-moi, merde !
L'agacement n'aidait pas à calmer la femme qui restait crispée contre la table.
- Non ! refusa-t-elle. Je ne... peux pas te le dire...
- Mais pourquoi, par toutes les saintes déesses de ce monde ?!
- Parce que ça ne va faire qu'empirer les choses !

Entre lui et son frère, dans leur jeunesse, Gabriel avait toujours été le plus impulsif d'entre eux. Et à cause du fait que la blonde gardait encore et toujours une part de secret dans ses réponses, il sentait ce trait de caractère se manifester de nouveau lorsqu'il frappa d'un lourd coup de poing la porte d'entrée juste derrière lui. Il garda cette nouvelle position quelques instants tandis que le bruit assourdissant fit sursauter Madeline qui pleurait toujours. Fébrile, elle prit appui contre le parterre qui comportait un certain nombre de grains de sable et se releva, les pommettes rougies.

- Gabriel... tu n'as absolument pas idée de la situation dans laquelle tu t'embarquerais si je te le disais. Vous devez rester hors de tout ça... toi... et Lysia.
Sa colère exprimée grâce à son geste brusque, il se retourna vers son ex-compagne d'un air ironique pour lui faire prendre conscience de la situation dans laquelle elle le mettait envers leur enfant.
- Et donc je suis censé lui dire quoi, hein ? "Ne t'inquiète pas ma chérie, ta mère va bien, mais par contre elle ne veut pas te voir parce qu'elle ne veut pas te mêler à quelque chose dont je n'ai même pas la certitude de l'existence ! Oh, et par ailleurs, je ne vais même pas te dire où elle est !"
- Non !
- Alors dis-moi ! Qu'est-ce que je dis à ta fille, Madeline ?
L'Hylienne frotta ses yeux pour essuyer ses larmes et lui donna un exemple de ce qu'elle souhaitait que Lysia sache d'elle.
- Que sa mère l'aime... et... ne l'a pas oubliée... dit-elle d'une voix faible et triste.
- Et tu crois peut-être qu'elle le croira ?! Elle qui ne connait même pas ton visage ?!

La femme ne répondit pas à cette question rhétorique, elle se contenta de baisser la tête, rongée par la honte. Il ne pouvait y avoir pire comme retrouvailles conjugales... Car elle comprenait la détresse de l'homme, mais malheureusement, à son échelle, elle ne pouvait plus rien faire. Elle était impuissante. Revenir parmi eux, c'était mettre en danger sa fille. Et ça, il en était hors de question.

- Je ne sais pas ce qu'il se passe, reprit Gabriel, mais ça fait huit foutues années que je cherche une réponse, alors je peux t'assurer que je saurai tout. Un jour ou l'autre.
- Gabriel, je t'en supplie, ça ne m'a pas fait plaisir à moi non plus de vous laisser... J'ai fait ça pour vous protéger.
Il eut un mouvement de la tête sur le côté en soufflant d'une manière presque hautaine, comme pour lui faire comprendre qu'il trouvait son discours absurde.
- Je ne peux plus rien croire à ce qui sort de ta bouche quand je sais que tu n'as fait que me mentir.
- Non ! C'est faux ! répliqua Madeline, affligée par ce qu'il disait.
- C'en est trop. Tu as dépassé les bornes.

Il était sur le point d'abandonner et de s'en aller, car il remarquait bien qu'il n'allait jamais réussir à lui tirer les vers du nez. Gabriel se demandait de plus en plus si cela avait été une bonne idée de suivre la piste que lui avait offerte la lettre qu'il avait trouvée. Dans tous les cas, ce qui était fait était fait. Dorénavant, il pouvait être certain d'au moins une chose : c'était que son voyage n'avait servi à rien. Le père attrapa avec vigueur la poignée de la porte pour sortir de chez Madeline.

- Une chose est sûre, formula-t-il, si ce n'est pas toi qui viens à elle, alors ce sera elle qui viendra à toi. Je t'ai toujours dit la vérité, alors tu peux me croire.

Madeline frissonna de terreur. Elle n'était guère effrayée par le fait de revoir sa fille, mais plutôt par les conséquences horribles que cela pouvait avoir. Un avenir qu'elle voulait éviter pour garantir une sécurité assurée à Lysia. L'homme souffla puis ouvrit grand la porte, la lumière du soleil illumina le visage de la femme muette. Cependant, une dernière interrogation dont il n'avait pas encore fait part à la blonde était restée en suspens dans son esprit. En y songeant une nouvelle fois, c'était plus fort que lui, il se devait de lui demander.

- Et moi ? lâcha-t-il, plus calmement.
Madeline replongea ses iris dans les siens, bien qu'elle ne sût pas où il voulait en venir.
- Est-ce que tu m'aimes ?

Elle rebaissa immédiatement le regard, comme pour l'ignorer. La vérité était qu'elle s'avérait trop bouleversée par sa soudaine arrivée et n'était point capable de répondre à une telle chose lorsque l'on parlait d'un ancien criminel. Elle avait déjà essayé de faire un effort, et de se forcer à voir un homme bon et différent de Lambda, mais cette vision d'un voleur malicieux et sans pitié lui revenait toujours en tête, sans qu'elle ne puisse rien y faire. Le mutisme de Madeline mit un ultime coup à l'homme, le coeur détruit. Il fut à présent sûr de ce qu'il avait à faire.

- C'est bon, j'ai compris, soupira-t-il sans une once d'énervement. J'ai bien fait de ne pas l'emmener avec moi. En huit ans, rien n'a changé. Tu me vois toujours de la même manière.
Rien à faire, la blonde ne réagissait plus. Pétrifiée par l'indignation, elle ne savait plus quoi faire.
- Je n'aurais jamais dû te laisser t'inviter à ma table, ce soir-là. De toute manière, je devais simplement être ton coup d'un soir et rien de plus, pas vrai ? En tout cas, je veux que tu saches que, moi, je t'aimerais pour l'éternité. Et j'aurais beau vouloir changer ça, ça m'est impossible.

Ces mots... ils étaient sur le point de la refaire sombrer dans le chagrin. D'autant plus car une part de vérité se dégageait de ce qu'il disait. À l'époque, la blonde ne se doutait encore de rien et ne pensait pas que tomber amoureuse allait la faire autant souffrir dans le futur. Car c'était de là que tout son mal-être tenait son origine. Quant à l'Hylien, il mit fin à cette discussion inutile selon lui.

- Adieu, Madeline.
Pas même un dernier regard. Rien. Elle restait immobile.
- Putain de coup de foudre.

Gabriel claqua la porte derrière lui, ce qui fit de nouveau sursauter la femme qui n'avait pas bougé et ne l'avait pas regardé partir. Une dernière larme vint dévaler son visage, témoignant du malheur que Madeline ressentait depuis le début de cette histoire. Pourquoi elle ? se disait-elle. Cette dure réalité avait détruit sa vie au plus haut point, c'était celle qu'elle était vraiment qui avait causé ce désordre. Des tas et des tas de personnes auraient souhaité être à sa place, et pourtant non, ce devait être elle... Effondrée, de sombres idées lui envahirent alors la tête.

Le regard dans le vide et rêveur, elle ne vit pas que depuis le début de sa conversation avec le père de sa fille, ils étaient épiés par la fenêtre de la maisonnette.

~~~

La veille de l'arrivée de Gabriel à Écaraille, au château d'Hyrule, les quatre prodiges venus de leur région respective étaient toujours présents sur place. Deux jours s'étaient écoulés depuis la victoire de Link à l'amphithéâtre, et le héros était revenu l'air fermé. Il avait, certes, ôté une belle épine du pied au royaume entier, mais il n'y avait pas de quoi être fier d'avoir tué un innocent, en fin de compte. Lorsqu'il avait passé les portes de la forteresse, sa première volonté avait été de mettre au courant la princesse, afin de la rassurer sur la tournure des événements, et lui montrer qu'il allait bien. En effet, Link avait bien remarqué l'inquiétude qui avait grandement animé le visage de Zelda lors de son départ, en pleine nuit. Et cela l'avait beaucoup touché.

Toutefois, au petit matin, lorsqu'il était rentré, Link n'avait pu revoir que les prodiges. La princesse n'avait pas été présente et depuis, le blond ne l'avait pas vue. Son rôle de capitaine de la garde l'avait pris pour une journée entière tandis que le jour suivant, Link avait été sollicité à la Citadelle d'Hyrule pour un soupçon d'attentat de l'Armée des Fidèles. Tous voyaient le monde s'agiter davantage au château, car tous savaient le Fléau extrêmement imminent. Et cela créait une certaine mauvaise humeur chez quelques personnes qui ne se privèrent guère de la montrer aux autres... À cause de tout ce remue-ménage, Link ne croisa pas la princesse pendant ces deux jours. Il la pensait en train de méditer et ne souhaitait donc guère aller la déranger. Cependant, bien que Zelda eût effectivement prié durant ces quarante-huit dernières heures, son occupation du soir était tout autre et le héros était loin de se douter de quoi il s'agissait.

Link déambulait dans les couloirs du château dans le but de se rendre à la salle de bal. Ce soir-là, la princesse lui avait donné rendez-vous là-bas à 21 heures pour une raison qui lui était encore obscure. D'autant plus que cette pièce était en général occupée à cette heure-ci de la soirée. Cette soirée s'avérait être la veille du dix-septième anniversaire de Zelda. Lorsque le prodige s'en souvint, il regretta de ne pas avoir eu le temps de réfléchir à un petit cadeau, ou quelque chose qui lui aurait fait plaisir, afin de la voir sourire. C'était la moindre des choses après toute la bienveillance dont elle avait fait preuve envers lui et tous les moments passés ensemble qu'il n'oublierait probablement jamais. Le blond ne s'était encore jamais autant confié à quelqu'un, pas même à Daruk, son fidèle ami. Cela n'était pas anodin.

Habillé de son uniforme de capitaine de la garde, le héros arriva aux portes de la salle de bal. Il s'arrêta devant et eut un léger sourire. Enfin il allait pouvoir revoir Zelda depuis son combat contre Brad... Link ferma les yeux quelques instants avant de pousser avec vivacité les portes de la grande salle de bal du château d'Hyrule. Il s'agissait d'un endroit somptueux, des lustres en opale resplendissants ainsi que de magnifiques rideaux rouges embellissaient cet endroit destiné aux événements les plus importants. À environ quatre mètres des murs blancs ornés d'or sur la longueur du lieu, des piliers circulaires et massifs étaient présents, entre chaque fenêtre. Et à leur base, les mêmes ornements dorés qu'autour des vitres murales les entouraient. Il y en avait quatre à droite, et quatre à gauche. Enfin, sur le sol au centre, un imposant cercle noir se démarquait du carrelage en marbre blanc. Lorsque l'on entrait, la salle était propre, symétrique, et lumineuse. Un endroit sublime où la mère de Link aurait rêvé de venir danser. Cette pensée le fit grimacer...

Au fond à gauche, installé sur le côté d'une grande estrade prenant toute la largeur de la pièce, Link aperçut un musicien derrière son clavecin, instrument peu répandu à Hyrule mais dont le son savait faire voyager n'importe qui l'entendait. À ses côtés, cachés derrière le pupitre, il reconnut la princesse qui parlait avec l'Hylien fort bien vêtu. De sa position, il ne voyait que vaguement son visage mais avait déjà perçu sa voix. Lorsqu'elle aperçut Link entrer, son sang ne fit qu'un tour. Elle murmura une dernière information à l'oreille du musicien et focalisa son attention sur le nouvel arrivant. La princesse lui sourit de loin avant de se diriger vers les quelques marches qui lui permettraient de descendre la petite surélévation et rejoindre son ami. Ce fut à ce moment précis que le héros put admirer la tenue de la jeune femme qui s'était dévoilée à lui.

Zelda était habillée de sa fameuse robe bleue marine princière habituelle, mais ce soir-là, quelque chose se voyait être bien différente des précédentes occasions où Link avait pu voir la princesse dans sa tenue respective. En effet, il remarqua bien vite qu'il n'avait jamais vu son visage aussi enjoué en ces lieux, et donc, dans cette robe. Voilà pourquoi son arrivée lui avait paru si spéciale. La joie de la blonde se transmit très rapidement à son ami qui se mentirait à lui-même s'il affirmait qu'il n'était pas sous le charme de la jeune femme... Cette dernière marchait précipitamment un pas après l'autre vers le capitaine de la garde en faisant en sorte de ne pas laisser traîner son vêtement sur le carrelage luxueux, et Link lui écourta son déplacement en faisant de même. Une fois l'un face à l'autre, les deux élus des déesses s'échangèrent un large sourire, heureux de se retrouver et prendre de leurs nouvelles après cette nuit assez morbide pour le héros. La fille du roi posa une main sur l'épaule du prodige.

- Link... Par Hylia, tu vas bien... fut-elle rassurée.
- Princesse Zelda, répondit l'Hylien, vous voilà enfin... Pardonnez-moi, j'aurais voulu vous informer de ma victoire et du danger que j'ai éliminé mais j'ai été très occupé et...
Elle l'arrêta aussitôt en ne le laissant pas s'en vouloir plus longtemps. Zelda non plus n'avait guère pu le rejoindre plus tôt, il ne devait pas se rejeter la faute. L'important était qu'ils étaient là, tous les deux.
- Ne te fais plus de soucis pour cela, l'apaisa la princesse. Je suis heureuse que tu sois venu et que tu ailles bien.

En parlant d'être venu, Link jeta un oeil autour de lui. Des choses l'intriguaient et son amie le savait bien... Par exemple, il n'y avait personne d'autre qu'eux dans cette immense salle excepté un seul musicien. Il pensa à une célébration privée, mais dans ce cas, en quel honneur ? Il était rare que la salle de bal soit complètement vide à cette heure-ci, ce genre de choses étaient particulièrement troublantes aux yeux de l'élu. Sans vouloir l'offenser, il partagea directement à Zelda son incompréhension au sujet de leur présence ici-même.

- J'avoue ne pas vraiment comprendre la raison pour laquelle vous m'avez demandé...
- C'est très particulier, expliqua l'Hylienne, mais mon but n'est pas de te mettre mal à l'aise, sache-le.

Elle s'entremêla les doigts et Link sentit que la princesse n'était pas totalement à son aise. Loin d'être en panique étant donné qu'elle préparait ce moment depuis un certain temps, Zelda se montra néanmoins assez tendue de par la manie qu'elle avait de détourner le regard dès qu'elle croisait celui du héros et de par son rythme de respiration qui s'était accéléré et qui, de ce fait, s'entendait lorsqu'elle parlait. Derrière elle, Link entraperçut l'homme derrière le clavecin préparer quelques parchemins sans se soucier de la conversation des deux amis et du monde extérieur en général, ordres de la princesse auxquels il se plia sans contestation. Zelda se racla furtivement la gorge et reprit en croisant ses bras derrière son dos. Les conseils si précieux d'Urbosa fusaient dans son esprit et la jeune femme faisait tout pour les respecter, cela se distinguait dans son comportement peu habituel.

- Link, me fais-tu confiance ? demanda-t-elle, même si elle se doutait pertinemment de la réponse qu'il allait lui donner.
Cela sonnait comme une évidence chez lui. Après tout ce qu'ils avaient vécu, il était formel que Link n'avait jamais autant fait confiance à quelqu'un... Il lui répondit comme elle l'attendait.
- Bien sûr, dit-il.
- Alors donne-moi ta main, prononça immédiatement la princesse en lui présentant sa paume gauche.

Son coeur bondit inlassablement à l'intérieur de sa poitrine. Cette proposition de la part de Zelda était un grand honneur pour lui. Établir un contact qui témoignait de leur affection et ressentir la douceur de sa peau lui avaient donné des frissons, la dernière fois. Cependant, ce fut également ce qui fit comprendre à Link les intentions de la blonde. Pour sûr, aussi étonnant que cela pouvait paraître, elle souhaitait danser.

Le héros hésita et ne savait comment agir, il se devait d'accepter une telle proposition, tout simplement car refuser d'échanger quelques pas de danse avec la princesse d'Hyrule était le rêve de beaucoup de personnes. Mais cela n'était pas la raison pour laquelle il se sentait obligé, c'était surtout car il voyait qu'il s'agissait de quelque chose qui semblait tenir à coeur à son amie. Mais s'il acceptait... allait-il tenir bon jusqu'au bout sans penser à tout ce que cette pratique lui faisait se remémorer comme terribles souvenirs ?

- Vous voulez que je...
- Ne t'inquiète pas, assura Zelda, laisse-moi t'expliquer et m'occuper de tout.

Lui ayant déjà parlé de toute cette histoire qui le rongeait encore aujourd'hui, le prodige savait que la princesse n'avait guère oublié tout ce que danser lui procurait comme mal être. Mais il lui faisait confiance... Alors, encore hésitant, il finit par lui donner sa main presque tremblante rien qu'à l'idée qu'il allait danser. Au moment où leur paume se toucha, Link dut fermer un instant les yeux pour se reprendre et éviter de se faire submerger par ses émotions qui menaçaient de se manifester davantage. Il n'arriverait pas à profiter de ce moment en compagnie de l'Hylienne dans cet état... Link en était navré.

- Regarde-moi, ordonna Zelda avant même qu'il ne puisse le lui dire.

Il rouvrit ses yeux humidifiés lorsqu'elle lui adressa ces mots et, doucement, les ancra dans ceux de la princesse, touchée par son état et l'effort déjà impressionnant qu'il avait fourni en se mettant presque totalement en position de danse, rien que par confiance envers elle. Zelda prit par la suite un air beaucoup plus sérieux et entama des explications que le héros attendait tant. Sa voix fut calme et son timbre chaud, elle devait le rassurer le plus possible en faisant baisser son angoisse.

- Je t'ai écouté attentivement lors des différentes fois où tu t'es ouvert à moi, débuta-t-elle, et j'ai compris tes peurs, ainsi que les différents poids que tu conserves sur le coeur. Tu as souffert, alors aujourd'hui, je veux t'aider à mettre fin à cette souffrance permanente dans laquelle tu vis depuis ces quatre dernières années. Ce sera certainement dur pour toi de faire cette danse, t'affirmer le contraire serait te mentir, mais je suis là pour t'accompagner. Tu es courageux, tu as su de nombreuses fois le prouver. Ce soir, il est temps d'affronter la peur qui est en toi depuis ce jour malheureux. Il est temps de faire complètement ton deuil, Link. Comprends-tu ?

La princesse était là, devant lui, pour l'aider à sauter le pas, chose qu'il n'avait encore jamais eu le courage de réaliser par lui-même. Tout s'était éclairci dans la tête du blond, toute cette préparation... était, en fait, pour lui. Zelda avait raison, et bien qu'il fût pris au dépourvu, elle avait réussi à le canaliser et le calmer. Sa présence avait, en réalité, déjà bien suffi...

Il déglutit pour éviter de lui montrer les tremblements de sa mâchoire. Puis, il acquiesça d'un hochement de la tête pour lui dire qu'il comprenait. Il comprenait que cela faisait des années qu'il n'agissait pas pour aller mieux, qu'il s'enfermait dans une situation faussement réconfortante pour lui. Il comprenait que se priver de sa passion à cause des souvenirs néfastes ainsi que de garder ce précieux collier de gemmes nox lui permettant de garder contact avec ses parents ne faisaient que lui faire du mal et l'empêchaient d'avancer.

- J'aimerais toutefois obtenir ton autorisation avant d'effectuer le premier pas, avoua Zelda pour ne pas trop brusquer le prodige en démarrant soudainement.

Avec le soutien de son amie, le héros se sentit prêt à aller de l'avant. En vérité, Link se rendit compte que c'était ce dont il avait besoin : de l'aide. Rien qu'une aide extérieure pour le pousser à oser faire face à ses craintes les plus profondes. Ce soir-là, il le reconnut enfin, c'était une preuve d'une grande sagesse de sa part. Évidemment que cela le sortirait de sa zone de confort, il en sortirait même complètement ! Mais fort heureusement, il profiterait d'une certaine sécurité car Zelda se tenait à ses côtés, c'était en tout cas son ressenti. Juste parce qu'elle était à ses côtés... Des sensations qu'il ne savait expliquer précisément, mais qui étaient bel et bien présentes. L'Hylien prit une grande inspiration et donna l'autorisation que la princesse attendait et elle en fut satisfaite.

- Je n'ai que très rarement dansé, alors j'espère que je serai à la hauteur... révéla-t-elle.
- Je n'en ai aucun doute, répondit Link qui la voyait s'inquiéter de ses talents à la danse.

Les deux élus se mirent en position, Zelda posa sa seconde main encore libre sur l'épaule du chevalier comme l'avait expliqué Urbosa, tandis que Link, fort habitué à cette activité autrefois, connaissait déjà le positionnement à adopter. Il plaça sa main gauche dans le dos de son amie, ce qui eut pour conséquence de les rapprocher encore plus l'un de l'autre. À vrai dire, la princesse en rougit. Elle sentait cette flamme en elle s'allumer de nouveau, par ce simple rapprochement. Occupé à lutter contre ses démons, Link ne laissa pas transparaître cette même sensation que cela lui avait aussi procuré, leur coeur battait la chamade pour la même raison.

Zelda porta son attention vers le musicien qui patientait en silence en arrière. Puis, elle lui fit un discret hochement de tête, ce qui avait pour signification de lui faire démarrer son morceau que la princesse avait, par ailleurs, soigneusement choisi. En plein centre de la salle, les deux jeunes gens furent parés à danser, ensemble. En percevant l'homme au clavecin se préparer à jouer, leur corps fut envahi de palpitations. Le stress était monté d'un cran.

... La meilleure des solutions est de se fier à son instinct...

Soudain, le premier accord musical retentit comme une sonnerie à ne surtout pas manquer dans la salle de bal. Celui-ci résonna contre les parois et invita avec lui une atmosphère plutôt belle et apaisante malgré la pression que ressentaient Link et Zelda qui ne se quitteraient du regard qu'à la fin de ce doux morceau. Le prodige sentit sa partenaire commencer à se mouvoir vers sa droite, d'un pas chassé classique qui ouvrait la danse. Son premier pas de ce genre depuis quatre ans... c'était un moment très symbolique pour Link, qui n'aurait pu démarrer lui-même. Le musicien, concentré sur les deux claviers devant lui, posa la suite des accords ainsi que quelques notes. Il faisait preuve d'une rigueur incomparable et d'une maîtrise des rythmes et des temps impressionnante, ce qu'avait exigé Zelda pour faire s'approcher le plus possible cette soirée de la perfection. Lorsque le binôme s'engagea dans une rotation à 90 degrés, Zelda fit un pas en avant et Link un pas en arrière. Le mouvement se répétait de nombreuses fois, et ils prirent leurs marques. Les élus réussirent ainsi à profiter entièrement de ce moment unique qu'ils étaient en train de vivre, en toute intimité. Un bal privé destiné à eux deux uniquement. La princesse esquissa un tendre sourire que Link ne pouvait que remarquer. Ce dernier lui rendit. Plongés dans l'ambiance harmonieuse et envoûtante de la musique, le monde disparut tout autour d'eux. Plus rien d'autre ne comptait.

Sur un rythme plus accentué du morceau, les élus changèrent de position gracieusement et rapidement en s'emparant des deux mains de l'autre afin de tourner et arriver à la place de l'autre avant de reprendre leur posture de base et recommencer une seconde session de pas en avant, en arrière, chassés, et de rotations... Link se sentait revivre, son attention était portée sur les iris verts de son amie et le héros ne pensait plus à rien d'autre qu'elle. Il ne voyait que son visage, n'entendait que sa voix, ne sentait que son parfum... À son grand étonnement, leur danse était plus forte que tout le reste. Ce moment magique surpassait ses souvenirs qui venaient le hanter, il passait au-dessus d'absolument tout. Link ne pensait point au lendemain, ni au passé d'ailleurs, il vivait dans le présent et ne changerait cela pour rien au monde. Sa peur de ne pas pouvoir effectuer le moindre mouvement s'évapora, Link se prouvait à lui-même qu'il était encore capable de danser, une prise de conscience simple mais primordiale pour terminer le deuil de ses parents.

Zelda, quant à elle, ne réalisait toujours pas ce qu'elle était en train de faire. Qui aurait cru que l'Hylienne aurait eu la volonté de danser... L'attitude pointilleuse et distinguée qu'ils adoptaient par moments pour imiter les nobles de la citadelle lors des bals la faisait rire. La danse traditionnelle se changea très vite en improvisation totale, ce qui n'avait dérangé personne. La blonde se laissa vivre au gré des notes de musique et tenta quelque chose de différent, cette fois-ci. Elle leva leur main à hauteur de leur tête, recula d'un pas, et fit doucement tournoyer Link sur lui-même. Surpris par l'initiative de la jeune femme, amusée, le chevalier effectua exactement la même chose qu'elle afin de la faire tourner à 360 degrés, à son tour. Le duo se rapprocha et reprit quelques pas classiques avec un engouement plus prononcé suite aux rires que leurs derniers mouvements leur avaient procuré. Leur complicité se ressentait plus les secondes passaient. Si bien que plus de la moitié de la danse fut achevée et ils ne s'en étaient pas rendu compte. En réalité, la princesse ne pensait guère prendre du plaisir à danser un jour, mais pourtant, elle venait de se démontrer le contraire. Zelda fut prise d'une petite réflexion qui vint la perturber : peut-être ne prenait-elle du plaisir à danser qu'avec Link ? Avec lui, elle était libre d'être elle-même, sans peur du jugement d'autrui. Et peu importait la posture, le comportement à montrer aux autres, ils dansaient pour eux et non pour une autre raison, voilà ce qui faisait la différence. Cette nuance apportée révéla quelque chose à l'Hylienne, une chose qui était certaine dorénavant : elle s'était éprise de son ex-chevalier servant.

Tout à coup, lors d'un enchaînement de pas bien spécifique, le héros sentit les doigts de Zelda lui chatouiller l'intérieur de la paume de main. Comme si cela était une évidence, il fit de même et leurs doigts finirent par s'entremêler sans même qu'ils ne le remarquent. Le musicien, de son côté, entama une partie plus légère et aiguë du morceau. Une partie comportant des accords harmonieux qui dégageaient des émotions profondes à l'aide d'une belle mélodie prenante et nostalgique. Très sensible à ce genre de composition émotive, Zelda eut les yeux qui s'illuminèrent, pas un mot n'avait été prononcé par l'un d'entre eux depuis le début de leur danse, cette absence de paroles était beaucoup plus puissante. Il suffisait de se regarder pour comprendre ce que ressentait son partenaire. La princesse remerciait déjà les déesses pour ces minutes si spéciales en compagnie de Link.

La fin s'approchait à grands pas, les élus profitèrent de chaque note et ne bougeaient presque plus. Face à face, ils se dévisageaient avec insistance. Le chevalier avait ses deux mains recouvertes par celles de son amie, il prenait peu à peu conscience de la situation. Depuis peu, il était vrai qu'il voyait la jeune femme différemment. Pour tout dire, beaucoup de choses étaient différentes dans leur relation depuis quelques jours... la façon dont elle le regardait, par exemple, était bouleversante pour l'élu qui n'osait pas penser que la prêtresse royale d'Hyrule serait tombée amoureuse de lui... Pourtant, c'était un signe qui ne trompait jamais. Ne voulant guère qu'un tel moment de bonheur cesse, Link attrapa les poignets de la princesse dans le but de la faire se balancer de droite à gauche avec lui, en suivant le rythme lent de la musique. La réaction de son binôme ne fut qu'un énième sourire se dessinant sur ses lèvres qui fit rougir ses pommettes. Zelda fut rassurée de voir qu'il se prêtait au jeu malgré toute la symbolique que pouvait avoir cette situation compliquée pour lui. Mais bien vite, le rêve cessa, le prodige sentit d'un coup les mauvaises pensées revenir, il souffla plus fortement à cause de l'angoisse qui était remontée, mais ne souhaitant pas mettre un terme à la beauté du sourire sur le visage de son amie, il dut se contenir, chose peu recommandable de faire.

Zelda ne se doutait de rien, elle avait la tête ailleurs, réfléchissant à la suite. Qu'avait-elle le droit de faire, à présent qu'ils s'étaient avoué leurs sentiments éprouvés l'un pour l'autre ? La musique se termina, l'écho de l'ultime accord était toujours présent jusqu'à devenir inaudible. La danse était à présent close. Dans un silence, le musicien suivit les ordres de Zelda et prit la porte du fond afin de laisser les élus seuls. Une fois ceci fait, la princesse fixa les lèvres de Link quelques instants avant de revenir à ses yeux bleus. Il aurait cru que son coeur n'allait pas tenir le coup tant il avait un battement rapide suite à cela. Par la suite, la blonde approcha son visage du sien lorsque Link, à deux centimètres d'elle, baissa brusquement la tête. La princesse fit marche arrière en pensant avoir mal agi. Son expression se décomposa à cause de la honte qui venait l'envahir. Quelle idiote d'avoir pensé que cet amour pouvait être réciproque... pensa-t-elle en baissant également la tête. Qu'allait-il penser d'elle, dorénavant ? Ce genre d'attitude n'était pas digne d'une princesse, surtout lorsque cette dernière se soustrayait à son devoir pour de telles activités. Ne sachant guère où regarder, elle déglutit en n'osant plus rien dire.

Tout bien réfléchi, Zelda voulut retirer ses mains de celles du héros lorsqu'une goutte d'eau tomba sur son index droit. Ni une ni deux, elle observa son ami et posa un doigt sous le menton de celui-ci pour lui faire relever la tête. Il pleurait... il pleurait toutes les larmes de son corps en silence. Ces sanglots n'étaient que la preuve qu'il se libérait enfin de ce fardeau, et qu'il acceptait enfin la dure réalité de la vie concernant sa famille. Zelda sentit son coeur se serrer. Le voir dans cet état l'attristait, mais c'était une étape inévitable par laquelle elle-même était déjà passée lors du deuil de sa mère, durant sa plus tendre enfance. Ainsi, la princesse comprenait et n'apporterait aucun jugement à l'égard du chevalier.

- Link... marmonna-t-elle, l'air éreinté.
- Je suis désolé... Je... n'y arrive pas... dit-il difficilement, ne pouvant plus cacher ses larmes.
La blonde le rassura. Link voyait dans ses sanglots un échec, mais Zelda le raisonna en lui faisant remarquer qu'il n'avait fait que surmonter les obstacles psychologiques et émotionnels tout le long de la soirée. Et que cela était un véritable exploit.
- Non, au contraire, dit-elle, tu as réussi, je suis fière de toi.

En toute délicatesse, elle posa une chaude main sur la joue de Link, puis passa l'extrémité de son pouce sous sa paupière afin d'essuyer une larme qui menaçait de glisser le long de son visage. Ce geste eut le don d'apaiser un peu le héros - qui ne semblait plus pouvoir arrêter l'eau qui coulait de ses yeux - en lui apportant une chaleur réconfortante. L'Hylienne fit ensuite glisser cette même main jusque dans son cou avant de la retirer. Après un long temps où ils ne firent que se dévisager, Zelda soupira et cessa de tergiverser plus longtemps. Tous les deux désiraient un contact plus fort entre eux, plus grand, quelque chose qui prouvait leur amour maintenant plus qu'évident. Un contact qui prouvait qu'ils s'aimaient.

Ils finirent alors par se lover dans les bras de l'autre. Link nicha ses pleurs dans les cheveux blonds de son amie tandis que cette dernière versa une larme, plongée dans le cou du héros. Ils fermèrent les yeux, ne profitant que de la sensation que leur procurait cette étreinte si désirée à laquelle ils ne mettraient jamais fin s'ils le pouvaient. Leur coeur battait à l'unisson et leurs mains disposées derrière le dos de l'autre resserraient leur emprise aussi fort que possible. Zelda entendait encore les pleurs de Link qui ne s'était jamais senti aussi libéré que ce soir-là. Émue, elle fut heureuse de réaliser qu'il exprimait enfin ce qu'il avait sur le coeur avec elle.

- Je vois ces larmes dans tes yeux, murmura Zelda à son oreille, et je ressens toute cette détresse enfermée depuis si longtemps qui s'en dégage. Les larmes qui coulent servent au coeur quand celui-ci ne sait comment exprimer ce qui le ronge depuis tant de temps.

Pour sûr, il n'avait encore jamais entendu quelque chose d'aussi vrai que ces propos. Il n'y avait rien d'aussi agréable que de pouvoir se laisser aller lorsque l'on en avait besoin sans éprouver aucune crainte des regards extérieurs. Link n'avait même pas réfléchi aux conséquences si quelqu'un les surprenait dans cette posture. A vrai dire, sur le moment, il n'en avait rien à faire tant il avait ressenti le besoin de s'approcher lorsque Zelda lui avait tendu les bras. Par Hylia, il était tombé amoureux d'elle... Cette simple pensée le faisait rougir, c'était un ressenti nouveau qui s'installait en lui.

La relation entre les deux élus des déesses, dans les écrits anciens, avait toujours été ambiguë. Lorsque le héros n'était pas un des plus grands amis de la descendante de la déesse, ces derniers étaient très proches, et même amoureux dans certains cas. Il pouvait bien évidemment arriver qu'il n'y ait rien de particulier dans leur relation, à certaines générations, que le héros ou la prêtresse ne soient liés que par leur destin et rien d'autre. Mais ces cas restaient rares. Certains manuscrits racontaient même, durant l'ère où la déesse Hylia vivait encore parmi les habitants de ce monde, que cette dernière s'était éprise de son élu nommé par ses soins pour vaincre le Mal à ses côtés. La légende disait que cet amour divin aurait traversé les âges jusqu'à revoir le jour, à chaque génération d'élus, dans la descendance de la déesse et les réincarnations du héros élu de la lame purificatrice.

- Sache que mes bras seront toujours un endroit sûr où tu pourras laisser exprimer ta peine dans les moments difficiles, sans te soucier du monde extérieur, prononça tendrement Zelda.

Il la remercia infiniment. Lorsque la princesse entrouvrit les paupières, une sensation vint lui brûler les mains, posées sur le dos du héros. Une fine brume de corruption s'en évapora et stagna dans l'air, jusqu'à disparaître par elle-même. Il s'agissait du reste de malice qui habitait le corps de Link, cette malice qui avait modifié sa personnalité ces derniers jours, celle qui était responsable de sa révolte face au roi d'Hyrule. La corruption s'en était allée d'elle-même... Le corps du blond était devenu "un endroit invivable pour le Fléau" comme l'avait bien expliqué Impa. Zelda fut subjuguée par cette scène, le savoir libre de toute noirceur lui donna un large sourire. Tout était enfin fini, à ce niveau-là.

Ils restèrent là, au beau milieu de l'immense salle de bal, et ne lâchèrent pas. Link avait séché ses pleurs, un silence reposant prit les devants. Zelda, quant à elle, n'avait jamais ressenti autant de bonheur en si peu de temps. Cet instant lui rappelait les paroles que sa mère lui avait transmises.

Laissez parler votre instinct. Et votre coeur.

Ce jour-là, j'étais heureuse. Juste heureuse.

Oui... Dorénavant, elle aurait une idée bien plus précise de la direction à prendre afin d'éveiller son pouvoir. Peut-être que Link... était la clé de sa réussite ? Zelda balaya ces pensées de son esprit, il n'était pas l'heure de songer à la méditation.

Les deux jeunes Hyliens firent durer leur étreinte de longues minutes, jusqu'à en oublier le temps qui passait. Et les mots n'étant plus de mise, ils n'avaient plus besoin de prononcer quoi que ce soit pour se comprendre et savoir que tous deux éprouvaient la même chose pour l'autre. Leurs yeux parlaient à la place de leurs lèvres, et ils disaient : "je t'aime".

Chapitre 38 : Chute   up

Je sens une puissance maléfique. Une énergie mauvaise jaillissant de cette grande bâtisse même. Une soif de destruction. Une sauvagerie sans nom.

Hyrule court un grand danger. Les légendes ne sont guère de fausses rumeurs. La terre porte les signes de la résurrection imminente de Ganon, le Fléau. Mais dans ses entrailles, elle cache également le moyen de le juguler.

Deux décennies tout au plus. C'est le temps que les déesses ont accordé au royaume pour se préparer à de multiples batailles sans merci. La naissance de votre fille, la princesse Zelda, est un signe annonciateur de la résurrection de Ganon et du commencement d'une nouvelle guerre.

Le lendemain soir de leur rendez-vous si particulier après lequel les deux élus n'avaient pu fermer l'oeil de la nuit, le crépuscule avait plongé Hyrule dans une atmosphère paisible et orangée qui savait satisfaire les trois prodiges attendant patiemment le retour de Link et de la princesse, au niveau de l'accès est de la voie de Lanelle. Les deux jeunes gens étaient partis depuis le milieu de l'après-midi à la montagne du même nom. Là où reposait une dernière source sacrée, celle de la Sagesse. C'était le jour propice pour s'y rendre. En effet, ce soir-là était celui du dix-septième anniversaire de Zelda, âge requis pour avoir l'autorisation de gravir cette montagne de glace et d'y prier la déesse à son sommet. Depuis la matinée, durant leur trajet, Zelda n'avait fait que recevoir soutien et encouragements de la part de ses amis prodiges. La blonde ne leur avait point encore parlé de sa potentielle piste afin de réveiller le pouvoir du sceau qui sommeillait encore et toujours en elle. Elle espérait que, en priant à cette dernière source, cette technique fonctionnerait... Le jour où sa mère, la feue reine d'Hyrule, avait commencé à voir des signes annonciateurs de l'éveil de son pouvoir était celui de son mariage. Le jour le plus heureux de sa vie, le décrivait-elle auparavant. Ce fut en faisant le lien entre cette information et ce qu'elle avait vécu avec Link la veille que la princesse avait pensé à cette potentielle méthode d'éveil : se replonger dans des événements heureux de sa vie, de véritables souvenirs qui lui donnaient le sourire aux lèvres. Après tout, elle n'avait rien à perdre à essayer...

Mipha, Daruk et Urbosa discutaient donc en attendant le retour des deux Hyliens partis ensemble à la montagne. Revali, quant à lui, était retourné au Village Piaf depuis la victoire de Link à l'amphithéâtre, refusant de se joindre au groupe pour la journée. Cependant, conscient des efforts et des difficultés de Zelda pour le sceau, il avait promis de les rejoindre le soir même, afin de voir quels étaient les résultats de cette énième session de prière. Les trois prodiges l'attendaient toujours, lui aussi... Afin de faire passer le temps, le Goron avait proposé de jouer à un jeu simple et amusant à son goût. Ne pouvant guère refuser, la Zora et la Gerudo acceptèrent et se prêtèrent au jeu après quelques minutes de perplexité vis-à-vis de la proposition de Daruk. Parfois, elles se demandaient où il allait chercher des idées pareilles, mais en fin de compte, cela les faisait sourire. Une soirée passée avec Daruk était, pour sûr, une soirée réussie. Ses simples éclats de rires étaient déjà très communicatifs.

- D'accord, d'accord... À mon tour, mesdames ! déclara le Goron.

Adossé contre un pilier de pierre attaqué par la mousse, il se racla la gorge. Urbosa, debout depuis leur arrivée au pied de la montagne, lui donna toute son attention. Mipha fit de même bien que ce passe-temps commençait un peu à l'ennuyer. Assise à même le sol, elle dessinait des cercles dans la terre avec l'une des pointes de sa lance de cérémonie.

- C'est un endroit où pas un seul brin d'herbe ne pousse... démarra Daruk. C'est un lieu rocheux, où la lave s'écoule...
- La Montagne de la Mort, Daruk... le coupa Urbosa. Soit plus original.

Venant de lui, ce n'était guère très étonnant. La Montagne de la Mort, bien que son nom ne fût pas très attirant, était pour lui la meilleure région d'Hyrule, point final. Sa devinette était, de ce fait, plus que prévisible en sachant qu'il n'avait que cela à la bouche ! Néanmoins, Daruk n'avait pas dit son dernier mot. La Montagne de la Mort... trop facile. Il avait opté pour un endroit qu'il connaissait bien, même s'il oubliait parfois que rares étaient les habitants autres que les Gorons qui s'aventuraient là-bas, et que peu de monde avait appris la cartographie d'Ordinn sur le bout des doigts...

- T'es pas assez précise ! s'exclama le prodige.
- Oh... eh bien dans ce cas, je dirais le Lac Goron, tenta la suzeraine.
- L'Étang de Marpo ! proposa Mipha.
Daruk enchaîna les hochements négatifs de la tête après chaque suggestion. Lorsqu'elles furent à court de propositions, il dévoila la véritable réponse qui donna un air maussade à la Gerudo.
- Perdu ! s'exclama-t-il. C'était le Lac Darunia !
Urbosa souffla puis croisa les bras.
- Ces trois endroits se ressemblent tous, je te signale... maugréa-t-elle.
- Je suis pas d'accord, ces lieux sont très différents. Tu devrais venir plus souvent à Ordinn.

Elle ne semblait pas très convaincue malgré tout. Le Goron n'avait cessé de faire deviner des lieux qu'il connaissait, autrement dit, du nord-est d'Hyrule. À croire qu'il ne voyageait jamais en dehors de sa contrée. Urbosa émit un rire ironique puis termina la partie en annonçant le grand gagnant, qui ne montrait pas forcément son enthousiasme.

- Bref, Mipha remporte tout de même la victoire, déclara-t-elle.

La Zora releva la tête en faisant mine d'être heureuse, sans pour autant formuler la moindre phrase. Depuis la première heure le matin même, elle n'avait affiché qu'une expression déprimée qu'elle avait tenté plusieurs fois de dissimuler. Mais personne n'était dupe et Zelda fut la première à comprendre qu'elle se faisait du souci pour quelque chose. L'Hylienne l'avait ainsi abordée à l'écart des autres pour lui parler ; mais Mipha avait refusé de discuter de ce qui la minait, ne niant donc point qu'elle était tracassée. Urbosa, le jeu à présent terminé, observa la position du soleil couchant pour tenter de deviner l'heure qu'il était.

- Bien, Revali ne devrait pas tarder...
- Quel culot, tout de même, de pas avoir accepté d'accompagner la princesse jusqu'ici, décria Daruk. Heureusement qu'il se présente au moins ce soir, c'est la moindre des choses !
Quelqu'un se racla la gorge derrière eux.
- Je doute que Son Altesse apprécie que l'on soit dans ses pattes toute la journée... Ça ne ferait qu'amplifier son angoisse.
- Quand on parle du loup... murmura l'ami de Link.

Le quatrième prodige venait d'atterrir en toute discrétion derrière ses trois compagnons. Arc de l'aigle dans le dos, il les rejoignit sans même une petite salutation. N'étant nullement interpellé davantage par la réflexion de Daruk, il fixa le sommet de la Montagne de Lanelle, juste dans son champ de vision. À la grande surprise de tous, il fit part de son inquiétude pour la princesse qui y priait. Revali avait conscience de tous les efforts qu'elle avait fournis et s'il éprouvait un grand respect pour quelqu'un, c'était bien elle.

- Comment se porte-t-elle ? interrogea-t-il.
- Étrangement, elle était de très bonne humeur ce matin, lorsque nous sommes partis, l'informa Urbosa. C'était plutôt bon signe !

Le Piaf resta indifférent, il remarqua que le héros était absent et en conclut qu'il accompagnait Zelda, une fois de plus. Il essaya de contenir sa jalousie qu'il savait de moins en moins tolérée chez les autres prodiges. Agacé, il ne comprenait pas pourquoi Link continuait de suivre la princesse alors qu'il n'était même plus son chevalier servant. Pourquoi ne pouvait-il pas s'occuper lui-même de sa protection si l'élu ne possédait plus le titre qui en était chargé ? Avec un air nonchalant, il soupira.

- C'est son laquais qui l'accompagne jusque là-haut, je présume, dit-il.
- Elle préférait y aller seule avec lui, expliqua Mipha, l'air plus renfermé qu'à l'accoutumée.

Soudain, un long silence s'installa entre tous les quatre. Daruk, qui était plutôt bavard, se contentait de sourire discrètement en regardant la Gerudo qui faisait de même. Mipha, elle, ne parlait pas et n'en avait guère l'envie. Un peu plus à l'écart de lui et les autres, Revali cerna immédiatement que quelque chose n'allait pas chez la princesse zora mais il ne lui fit aucune remarque pour éviter de la mettre mal à l'aise. Après plusieurs secondes, Urbosa finit par donner un semblant d'explications à leur réaction si étrange aux yeux de l'archer. Il détestait rester plongé dans l'incompréhension.

- Il n'y avait pas assez de remèdes contre le froid pour tout le monde, selon elle, déclara la suzeraine.

Le Piaf plissa les yeux. Il n'arrivait pas à comprendre l'amusement qui animait son visage et celui du Goron. En pivotant sur le côté, il vint s'adosser à la paroi rocheuse du chemin, éclairée par les rayons du soleil proches de l'horizon. Revali croisa ses ailes, en attente de plus d'éléments qui lui permettraient de cerner les autres prodiges.

- J'ai raté quelque chose, visiblement, marmonna-t-il.
- Il y avait amplement assez de remèdes pour nous tous, expliqua Daruk.

Zelda avait donc fait en sorte que personne d'autre à part Link ne la suive jusqu'en haut de la montagne. Ce comportement avait incité les prodiges à ne pas l'accompagner. Après tout, le héros saurait faire l'affaire seul, mais cela restait tout de même déroutant. Le Piaf émit une hypothèse.

- Ne me dites pas qu'elle n'apprécie plus notre compagnie ? Enfin, votre compagnie... ?

Urbosa haussa les sourcils, toujours le sourire aux lèvres. Selon elle, c'était plutôt une autre chose. Une autre chose qu'elle voyait comme une évidence depuis assez longtemps et qui avait justement été confirmée lorsque la princesse lui avait demandé quelques conseils pour danser. En dissimulant un léger rire, la Gerudo partagea son point de vue.

- Je dirais plutôt qu'elle apprécie de plus en plus celle de Link.
- Par les serres de mon grand-père... s'emporta Revali qui comprit de suite. Ils se sont amou...
- Tais-toi, Revali ! Nous n'en savons rien, nous ne faisons que supposer.

Leurs suppositions semblaient toutefois basées sur des preuves plus que tangibles, l'archer fut agacé d'être le dernier prévenu de l'évolution de la relation entre les deux élus qui eux pensaient pouvoir garder cela secret pour l'instant, car ils ne voulaient pas crier leurs sentiments nouveaux sur tous les toits et jugeaient qu'il s'agissait d'affaires personnelles. Ce que les prodiges avaient, visiblement, oublié.

- Oh. Et puis-je savoir depuis quand vous "supposez" ? grogna le Piaf, mécontent.
- Ce matin même, répondit à nouveau Urbosa. Si tu n'es pas content, il fallait venir.

Il eut une exclamation ironique. Après tout, qu'en avait-il à faire que les deux Hyliens soient tombés amoureux l'un de l'autre ? Cela n'allait pas changer grand-chose dans sa vie... Néanmoins, Revali devait toujours venir ajouter son grain de sel et partager sa mauvaise foi, c'en devenait assez fatiguant...

- Pour faire part de vos petites discussions de curiosité mal placée ? dit-il en répondant à la suzeraine. Non merci.
- Nous ne devrions pas parler de ce qui ne nous regarde pas dans leur dos ainsi... signala Mipha d'une voix faible.
- Enfin quelqu'un de raisonné.

Tous sentaient que la Zora était mal à l'aise lorsque ce sujet de conversation était remis au goût du jour. Pour mettre définitivement fin à ce débat, elle fit remarquer l'arrivée imminente de deux personnes un peu plus loin.

- Tenez, les voilà ! déclara-t-elle en faisant lever les yeux du groupe dans la même direction.

Au loin, deux silhouettes se dessinèrent, marchant dans leur direction. Éblouis par le coucher de soleil, ils ne virent pas de qui il s'agissait mais n'avaient nul doute que c'étaient bel et bien les élus des déesses. Link arriva en premier, Zelda, en tenue de prêtresse, lui emboitant le pas juste derrière. Le héros prit un air peu réjoui lorsqu'il croisa le regard de ses compagnons qui attendaient tous avec impatience le verdict de ce voyage. Les yeux rivés sur le sol, la princesse n'osait pas affronter leurs interrogations qu'elle ne saurait pas satisfaire. Tous s'étaient précipités vers eux, avec une certaine retenue tout de même, en espérant les voir revenir avec le pouvoir du sceau tant attendu par le royaume tout entier.

- Alors, Votre Altesse ? s'empressa de demander Revali.
- Écoutez, je... démarra Zelda, cherchant ses mots.

Link - voyant que plus elle tentait de leur répondre, et plus elle s'indignait - préféra les informer lui-même du nouvel échec que Zelda avait dû subir au sommet de cette montagne. D'un discret hochement négatif de la tête, il leur fit comprendre que l'éveil du pouvoir du sceau ne serait toujours pas pour aujourd'hui. Bien sûr que cela le peinait, comme tous les prodiges, mais pour le héros, c'était avant tout pour l'estime de soi et la confiance de la princesse en elle-même qu'il s'inquiétait. Pour lui, faillir n'était jamais quelque chose de mauvais, il fallait toujours en tirer des leçons pour éviter de refaire les mêmes erreurs à l'avenir. Malheureusement, dans le cas de l'Hylienne, c'était assez complexe de penser de la sorte, surtout après autant d'années d'acharnement à la prière vaines.

- Toujours rien, n'est-ce pas ? supposa vite Revali, sans vouloir la blâmer.

Zelda soupira longuement, ne pouvant que lui confirmer qu'effectivement, il ne s'était toujours rien passé. Malgré les conseils qu'elle avait reçus de sa mère en personne, aucun signe de son pouvoir. Que faisait-elle de mal, par Hylia ? La princesse commençait de plus en plus à douter de ses capacités et de sa légitimité à tenir le titre de prêtresse royale d'Hyrule aux yeux du peuple.

- Je suis désolée... s'excusa la blonde.

Daruk ne supportait pas de voir cette grande déception sur le visage de Zelda. Il n'aimait pas la voir aussi désespérée. Lui, comme tous les autres, croyaient en elle malgré tout, et ils comptaient bien lui remonter le moral après cette journée qu'elle voyait comme inutile, et qui était celle de son anniversaire. Cependant, Zelda songeait surtout à la réaction de son père, de plus en plus sous pression plus les jours passaient, notamment à cause de l'histoire avec Lambda qui s'était échappé, et de la collaboration de celui-ci avec sa propre fille ainsi que le héros d'Hyrule. Rhoam Bosphoramus ne l'avait pas supporté... Il ne comprenait pas pourquoi Zelda avait fait une telle chose.

- Vous en faites pas, Princesse, essaya de la rassurer le Goron. Le tout, c'est de pas baisser les bras, et de persévérer. Votre pouvoir s'éveillera un jour ou l'autre, j'en suis sûr.
- Ça fait dix ans qu'elle persévère, Daruk... le reprit Revali, plus réaliste.
Cette réflexion lui déplut.
- Ne sois pas si pessimiste ! rétorqua-t-il.
- Non, il a raison, intervint la princesse. J'ai espéré pendant dix années. Aujourd'hui, je pensais encore une fois avoir trouvé la solution, mais ce ne fut qu'un autre échec.

Urbosa constatait une nouvelle fois toute la honte que son amie ressentait envers elle. Cette sensation qui lui faisait se sentir faible et indigne. Depuis qu'elle la connaissait, la Gerudo l'avait déjà vue de nombreuses fois dans cette situation. Dès l'aube de ses sept ans, lorsqu'elle venait tout juste d'apprendre à méditer, la princesse était déjà animée par ce sentiment. La prodige avait l'impression de la revoir, toute petite, en train de se rejeter entièrement la faute.

- Madame, vous avez fait de votre mieux... dit Urbosa, attristée.
- Non. Si je suis incapable d'éveiller ce pouvoir, alors tous vos efforts ne serviront à rien. Et je ne pourrai jamais me le pardonner.

Un silence venait de prendre le dessus et leur permit de percevoir des bruits de pas au loin qui semblaient se rapprocher, de plus en plus. Étant donné la fréquence rapide de ces sons, il devait s'agir d'une personne qui courait, venant de l'intérieur de la voie de Lanelle, autrement dit, derrière eux. Link fut le premier à comprendre que quelqu'un s'approchait de manière hâtive, cela le fit soupçonner une situation urgente.

- Vous entendez ? les interpella le héros.

Zelda dévisagea le chevalier en essayant d'entendre la même chose que lui. Plus le temps passait, et plus il était facile d'écouter l'origine de ces bruits s'amplifier. La blonde eut tout à coup un mauvais pressentiment qui lui donna des frissons. Cette zone de Lanelle n'était que très rarement fréquentée ces derniers temps à cause des monstres qui y rôdaient. Fort heureusement, ils avaient été décimés peu avant et le groupe avait pu emprunter cette route, mais la population n'avait guère eu le temps de reprendre l'habitude de remettre les pieds par ici. De ce fait, entendre quelqu'un s'approcher si vite d'eux ne pouvait être que mauvais signe.

- Écoutez... murmura Daruk.

Au bout de la voie, une silhouette humaine se dessina derrière un rocher qui était pour sûr la source de leur inquiétude récente. Maintenant qu'il était visible, le groupe put en conclure qu'il s'agissait d'un garde royal en raison de son uniforme qui ne trompait pas. Cependant, que faisait-il ici, lui qui avait pour ordre de protéger l'enceinte du château d'Hyrule, et donc de ne point en sortir ? Par instinct, Revali sortit son arc et le banda en se retournant de 180 degrés en arrière. Link n'avait pas pu observer la personne qui s'approchait d'eux et ainsi dégaina son épée en voyant Revali sortir les armes. Les autres prodiges suivirent tandis que Zelda resta protégée derrière eux.

- Restez méfiant ! s'exclama le Piaf pour prévenir ses coéquipiers.
Le garde ralentit son pas de course lorsqu'il arriva à destination, à bout de souffle. Ne présentant aucun signe d'hostilité envers eux, les prodiges purent se rassurer sans pour autant baisser la garde.
- Je vous ai trouvés... ahana le nouvel arrivant.
- Que se passe-t-il ? s'enquit Link, désormais en première ligne.

L'homme paraissait éprouvé à cause de sa précipitation qui l'avait fait grandement se fatiguer. Cependant, le blond fut étonné de n'observer aucune goutte de sueur sur son front, et ni même ailleurs. Courbé vers l'avant, les mains posées sur ses genoux, le garde fixa le héros dans les yeux avant de répondre à sa question malgré une respiration compliquée de son côté. Link sentit comme la princesse que quelque chose de grave se passait et ne supportait pas d'être ignorant plus longtemps.

- Le... le château... Il est encerclé !
Sur un ton sec, l'élu demanda plus d'informations.
- Comment ça "encerclé" ?
- L'Armée des Fidèles est passée à l'action. Le roi est en danger.

Ce nom ne lui disait absolument rien. Qu'appelait-il "l'Armée des Fidèles" ? Une armée de monstres ? Après réflexion, il devait certainement s'agir des personnes de l'Étape d'Hyrule corrompues par son feu rival et ses acolytes. Mais personne jusqu'alors ne les avait appelées ainsi devant lui. Intrigué, de nouveaux soupçons se créèrent dans la tête de Link concernant ce garde, seul, qui venait les prévenir d'un danger plus qu'important lorsqu'il s'agissait de la sécurité du roi d'Hyrule.

Zelda s'était plutôt concentrée sur cette seconde partie de la phrase de l'Hylien : son père était menacé par une "Armée des Fidèles". Il y avait de quoi s'affoler, mais la prêtresse garda le silence bien qu'elle n'était plus du tout rassurée. De nombreuses choses avaient dû se dérouler durant leur absence, et tous craignaient le pire. Des monstres avaient-ils pris le château en assaut, profitant du départ des prodiges pour l'attaquer ? Le garde fut victime d'étranges spasmes au niveau de ses bras et mains, Link reconnut que ces petits mouvements incontrôlés s'avéraient être identiques à ceux qu'il avait pu remarquer sur Brad, quelques jours avant.

- Link, écarte-toi ! s'écria brusquement Revali.

Par réflexe, il se déplaça sur le côté en se tournant vers l'archer, lui libérant ainsi une trajectoire aisée pour une de ses flèches qui vint se loger dans l'épaule du garde. Avant même que le héros n'avait pu agir, le Piaf avait pris les devants. Une petite dose de corruption se dégagea de l'endroit où le projectile était planté. L'homme retira cette dernière de son épaule sans même une douleur, faisant comprendre à tous qu'il était un corrompu, lui aussi. Le temps qu'il comprenne qu'on venait de lui décocher une flèche, Revali se rua sur lui, sous les yeux du groupe qui savait qu'il fallait prendre un certain nombre de précautions face à ce type d'ennemi, presque invincible. Voilà la raison pour laquelle tout le monde hormis le Piaf s'était mis en retrait.

- Combien êtes-vous ?! lâcha Revali en le faisant percuter la paroi rocheuse à sa droite.

Tenu par le col, il se contentait de fixer le guerrier piaf qui venait certainement de sauver la vie de Link. Ses yeux rouges se dévoilèrent à lui, mais Revali ne fut guère intimidé par ce changement de couleur, cela ne lui donna que plus envie de lui faire révéler tout ce dont il voulait savoir.

- Réponds à ma question ! vociféra le prodige en secouant le garde corrompu.
- Revali, ça ne sert à rien, ne t'approche pas de lui ! le prévint Link.

La blessure de sa flèche à l'épaule gauche de son ennemi se guérit sous ses yeux, le rendant d'autant plus furieux de remarquer l'impuissance de son arme. Revali ignora les mots du héros, il attendait toujours une réponse tandis que les autres prodiges s'affolaient de le voir risquer sa vie par pur orgueil. Toutefois, le corrompu n'avait pas l'air très tenté par l'idée de forcer l'esprit du Piaf à agir sous les ordres de Ganon. Il restait stoïque et ne ripostait pas, contemplant avec condescendance l'imprudence de l'archer.

- Combien de temps avant le moment fatidique ?! continua Revali.
- Revali, je te prierai de te calmer, tu t'adresses à Ganon, intervint Zelda qui espérait qu'il allait l'écouter, elle. Il ne te répondra pas.

La voix de la jeune femme l'arrêta. Il leva les yeux au ciel, obligé d'obéir à la princesse. Tout bien réfléchi, cet homme ne lui donnerait aucune réponse. D'un coup brutal, il le fit percuter le mur sur lequel il avait été poussé quelques instants avant. Le corrompu émit un discret gémissement avant de rester immobile à dévisager celui qui l'avait blessé. Revali se recula tout en continuant à la fixer d'un regard noir.

- Dix... grogna tout à coup le garde.
Étonnamment, il venait de prononcer un mot. Revali attira de nouveau toute son attention sur lui.
- Dix ? Dix quoi ?! Dix jours ? le questionna-t-il.
Un sourire malfaisant apparut sur son visage, la vérité et l'ignorance du Piaf semblait le réjouir, comme s'il savait que quoi qu'il arrive, cet archer si sûr de lui ne pouvait plus rien faire à présent. Après un petit ricanement, il lui répondit à l'aide d'une voix terrifiante.
- Dix secondes...

Le corrompu fut enveloppé d'une aura maléfique puis s'élança à la verticale, disparaissant dans les airs. Le groupe se regarda sans savoir comment agir. Mipha et Daruk avaient écarquillé les yeux tandis qu'Urbosa, Link, et Revali cherchaient à passer à l'action le plus vite possible. Zelda, elle, sentait la panique monter. La dernière vision qu'elle avait eue devait pour sûr être un message de prévention. Malheureusement, elle n'avait pas su l'interpréter assez vite pour obtenir davantage d'indices et l'avait laissée de côté. Et voilà qu'il était trop tard.

- Très bien, lança Revali qui tentait de garder la situation sous contrôle. Votre Altesse, gardez votre calme. Nous allons...

Ils sursautèrent et durent se retenir de tomber, tous en même temps, lorsque le sol d'Hyrule commença à trembler. De fines particules de malice se dégagèrent de la terre, et le ciel du crépuscule commençait à changer drastiquement de couleur sous les yeux du royaume entier. Un effrayant rugissement surgit comme des entrailles d'Hyrule, venant tout droit de la plaine du même nom. De leur position, les prodiges ainsi que la princesse ne pouvaient guère voir ce qui se produisait à la forteresse, ce fut pour cette raison que Revali s'éleva dans les airs pour dégager la vue et observer ce qui se passait. Le séisme ne cessa que lorsqu'une forme bestiale se forma au-dessus du château d'Hyrule. Cette dernière survola les environs du centre d'Hyrule avant de plonger la citadelle dans une terreur ultime. Un voile de corruption entourait cet esprit démoniaque aux deux yeux jaunes qui se démarquaient. Deux cornes noires de phacochère lui donnaient également une allure d'animal féroce, un prédateur des plus dangereux.

Ganon, le Fléau, c'était bel et bien lui. L'accumulation même de la haine de ce qui était enfermé au plus profond de la terre. Impossible, il était trop tôt... Le prophète avait prédit deux décennies... Il n'y avait que dix-sept ans qu'il avait fait part de sa prophétie ! Mais le temps n'était pas venu de réfléchir à ce genre de questions, le Mal avait ressuscité, il fallait faire ce qu'il y avait à faire. Le peuple devait être dans une panique folle, Zelda n'osait même plus imaginer le nombre de personnes qui devaient fuir le château en ce moment même. Elle se rendit compte qu'elle n'était pas prête mentalement à un tel cauchemar, même si elle avait conscience que ce jour viendrait depuis des années.

- Écoutez-moi, s'exclama Revali qui venait d'atterrir, nous savions que ce moment arriverait. C'est pour aujourd'hui que nous avons été choisis pour combattre, pour piloter des machines de guerre qui cloueront le bec à ce Ganon. Il est temps de lui montrer de quoi nous sommes capables.
- Il a raison, ajouta Daruk sans attendre. Direction les créatures divines ! Si nous lançons une offensive simultanément, nous aurons l'avantage !

Sans plus tarder, Urbosa se dirigea vers la princesse qui restait figée à cause de la panique. Elle lui attrapa les épaules et la regarda intensément. Zelda, pour la première fois de son existence, discerna de la peur dans le regard de sa grande amie qui la dissimula d'un clignement des yeux. Tout venait de basculer d'un seul coup, la Gerudo s'inquiétait pour le mental de l'Hylienne. Il ne fallait pas qu'elle perde ses moyens à cause de l'allure impressionnante qu'avait la Calamité face à eux.

- Madame, j'ai confiance en vous, dit-elle avec sincérité. Nous avons tous confiance en vous. Tout va bien se passer, je vous le promets.

Zelda ne pouvait toujours pas répondre mais entendait bien ces paroles, elle déglutit avant de sentir les frissons la gagner encore une fois ainsi que des tremblements recouvrir toute la surface de son corps. Urbosa jeta un regard profond à Link qui s'était rapproché de la princesse afin d'assurer sa protection, elle n'avait aucun doute qu'il la tiendrait en sécurité le temps qu'il faudrait. Le bruit des cris de Ganon étaient si puissants qu'il était parfois difficile de s'entendre, et la suzeraine se devait de partir en direction de Vah'Naboris, sa créature divine dont elle était la pilote.

- Je me dois d'être à mon poste le moment venu, dit-elle, je dois prendre la route.

Link, à côté, lui assura qu'elle pouvait partir sans crainte. Plus une seconde n'était à perdre, cela la peinait de devoir abandonner la blonde aussi vite alors qu'elle venait tout juste de revenir de la montagne de Lanelle, mais elle n'avait plus le choix, le Fléau les avait tous devancés et surpris, personne ne pourrait le nier. Désormais, il fallait s'adapter bien que le royaume ne pensait pas à un éveil de ce monstre si brutal.

- Nous nous reverrons, Madame, promit Urbosa qui s'écarta de Zelda.
- Votre Altesse... intervint Revali dans la foulée.

La princesse n'eut point le temps de répondre à son amie que le Piaf se plaça devant elle, brisant tout contact avec la Gerudo qui rejoignit Mipha et Daruk en avant. Son souffle commençait à s'accélérer, elle voyait déjà le monde s'effondrer sous ses yeux alors que Ganon n'était présent que depuis quelques instants. Revali regarda le héros à côté d'elle avant de les informer du plan d'attaque.

- Link et vous devez vous diriger vers le château le plus vite possible. Une fois là-bas, nous serons prêts à vous épauler.
- Mais... je... balbutia-t-elle.
- Je crains qu'il n'y ait plus de temps à perdre.

Il s'envola vers sa créature divine. Link, épée de légende à la main, prit la main de Zelda avant de la rassurer en posant sa deuxième paume sur la sienne. Il avait la vie de la princesse entre les mains, et même si ce n'était plus son rôle, il obéirait à son ancien devoir de chevalier servant. Il irait jusqu'à donner sa vie si cela devait se produire. L'ère du Fléau venait de démarrer, il n'avait jamais été plus urgent d'être protégé que ce soir-là.

La nuit allait leur être longue, brutale, et - tous l'espéraient - victorieuse.

- Suivez-moi, dit Link, avant de rebrousser chemin jusqu'au château d'Hyrule avec celle dont il s'était épris.

~~~

Deux heures plus tard, à l'autre bout du royaume, Gabriel, accompagné de sa monture qu'il avait empruntée à Cocorico, fuyait en cherchant un moyen de s'évader de cette dense forêt qu'était celle de Firone dans l'obscurité de la nuit. Le cheval était au galop, créant de vives éclaboussures lorsqu'il plongeait un sabot dans une large flaque d'eau sur son chemin. En effet, un orage violent et soudain avait déjà débuté depuis trente minutes. Le monde semblait sombrer à la catastrophe, l'homme venait de quitter le relais du lac lorsqu'un séisme attira son attention, comme celle de tous les autres, d'ailleurs. De Firone, caché par la jungle et les cascades, il était impossible de comprendre ce qui se produisait pour que la terre tremble aussi fort, mais l'Hylien allait bientôt le savoir et avait sa petite idée du fait des étranges rugissements bestiaux qui résonnaient à travers le ciel noir. Ganon, le Fléau... Il eut honte de l'avoir oublié, c'était comme si la Calamité venait le punir de l'avoir négligée. Par Hylia, quelle allure aurait la plaine d'Hyrule lorsque celle-ci lui serait visible depuis le lac Hylia ?

Cette atmosphère d'apocalypse qui s'était installée si vite l'avait perturbé, mais dans ce début de désastre sans nom qui s'abattait sur le royaume entier, Gabriel ne pensait qu'à une chose : Lysia. Allait-elle bien ? Le village de Cocorico était-il toujours en sécurité ? Il ne le saurait qu'en le rejoignant le plus vite possible. Et son frère ? Il ne l'avait pas revu depuis ce soir-là, lors de l'attentat. Était-il toujours sous l'emprise de Ganon ? Le père s'en voulut de s'être déplacé jusqu'à Écaraille, d'autant plus que ce voyage ne lui avait rien apporté de plus que colère et tristesse. Il avait laissé sa fille alors qu'eux deux avaient à peine eu le temps de récupérer de leur périple. Mais plus de temps pour les remords, il fallait faire demi-tour coûte que coûte. Le vent soufflait si fort que la pluie tombait presque à l'horizontal. En se baissant pour éviter une branche d'arbre, Gabriel ordonna au cheval d'accélérer. Ce dernier s'exécuta du mieux qu'il le pouvait, dans un hennissement de fatigue. La pauvre bête était presque à bout de forces, et on lui demandait de presser encore plus le pas... Même s'il percevait la situation préoccupante, galoper aussi vite dans le noir était dangereux. Et ce qui devait arriver arriva.

La terre trembla une seconde fois sous ces hurlements terrorisants du Fléau, et le cheval fut pris de panique tant cela le surprit. Il chuta dans la boue, tout comme l'ancien voleur qui fut projeté vers l'avant à cause de la vitesse que lui et l'animal avaient déjà prise, puis il émit un gémissement plaintif en tombant sur le sol dur et trempé, en plein milieu de la forêt. Fort heureusement, il sentait qu'il n'avait rien de cassé, mais une douleur vive le gagna tout de même. Il resta quelques instants au sol, le temps de reprendre ses esprits et son souffle. Le bruit de la pluie sur les feuilles des arbres résonnait dans ses oreilles, et il recoiffa ses cheveux trempés qui tombaient presque sur ses yeux avant de se relever en grognant. Gabriel observa l'état de ses vêtements plus que médiocre à cause de la boue et la chute qui les avaient salis. Il vérifia aussi si sa petite épée qu'il avait gardée pour le voyage était toujours sanglée à sa ceinture, et ce fut le cas. Bon sang, quelle tempête ! Jamais de son vivant il n'avait connu des pluies si torrentielles. Ne voulant guère perdre plus de temps sur le chemin, le père se retourna pour porter de l'aide à son cheval. Mais lorsqu'il aperçut sa monture, toujours étalée par terre, il fit un pas en arrière tant le choc était grand.

L'animal n'avait émis plus aucun cri depuis l'accident. Au sol, il semblait mort : ses yeux restaient ouverts dans leur orbite et il ne présentait plus aucun signe de respiration. Une chute l'aurait-il tué ? Impossible, il y avait autre chose... Gabriel s'accroupit aux côtés de l'animal immobile. Il n'y avait aucune trace de sang, ni même rien qui puisse expliquer la véritable cause de sa mort. L'Hylien posa une main sur le flanc du cheval, énervé. Il devrait à présent abandonner la bête ici-même, et se résigner à continuer à pied, même si cela allongerait le temps de route jusqu'à l'ouest de Necluda. Décidément, le sort s'acharnait sur lui ! Près des ruines de Soneau, il reconnut le sentier qui menait à la sortie et s'apprêta à le suivre en courant. Mais un étrange son retentit avant même qu'il ne puisse faire le premier pas. Un son très particulier qu'il se souvint avoir déjà entendu...

Gabriel fusilla du regard les alentours ténébreux, dans cette obscurité que créait la forêt. Toujours accroupi, il dégaina lentement son épée, en s'attendant à devoir affronter un groupe de lézalfos, ou d'autres créatures du même genre. Cependant, rien ne vint le prendre par surprise durant les secondes qui avaient suivi. Soudain, des spasmes envahirent le corps inerte du cheval, comme si quelque chose grouillait à l'intérieur de ses entrailles et désirait s'échapper. L'homme se releva et recula, les mêmes bruits se mirent à résonner de nouveau et semblaient venir de l'animal même. Un air de dégoût anima Gabriel lorsque la scène qu'il eut à contempler se passa sous ses yeux. Le cadavre perdit en volume sur le sol, et se transforma petit à petit en un tas visqueux et répugnant de corruption dans lequel un grand oeil jaune en sortit et fixa le père, effaré par le cauchemar qu'il était en train de vivre. Cet oeil qui faisait presque la taille de sa boîte crânienne rendit l'atmosphère malsaine. Il crut vomir en sentant l'odeur nauséabonde qui se dégageait de cette malice, c'était absolument ignoble.

L'homme croyait en avoir fini, mais après qu'il comprit que cet iris terrifiant ne pourrait rien lui faire tant qu'il ne le touchait pas, des chuchotements presque fantomatiques firent leur apparition, venant de tous les côtés de la forêt. Ils tournaient autour de lui, et il était ainsi désormais prisonnier de ces murmures qui ne s'arrêtaient pas. Le père prit son courage à deux mains et planta son épée au centre de l'oeil de corruption. Celui-ci se referma puis disparut dans la masse gluante au sol. Mais visiblement, ces bruits n'étaient pas dus à ce dernier car ils n'avaient point cessé. Au contraire, ils étaient de plus en plus forts, pénétrant dans l'esprit de Gabriel qui ne comprenait plus rien à ce qui lui arrivait. Puis, à quelques mètres dans le noir en face de lui, entre deux arbres, deux iris rouge sang surgirent de l'obscurité. Étant donné la hauteur de ceux-ci et la distance qui séparait les yeux, ils n'appartenaient pas à un monstre, mais bel et bien à un humain.

- Nous l'avons enfin trouvé... chuchota une voix de femme.

Effrayé, Gabriel entendit du mouvement juste derrière lui et se retourna brutalement, arme en main, pour discerner ce qui se produisait. Le père ne vit que deux autres yeux rouges l'épier, encore une fois. Ils étaient deux et s'approchaient de l'Hylien comme s'il était une proie, une cible à abattre. Il resserra son emprise sur le manche de son épée de soldat mais savait pertinemment qu'à deux contre un, il ne pourrait rien faire. De plus, Gabriel ne savait même pas à qui il avait affaire. Sa seule option était donc de fuir, tant qu'il le pouvait encore.

- Voyons combien de temps il pourra nous échapper, ajouta la voix masculine de la seconde personne.

Plus de temps à perdre, Gabriel prit ses jambes à son cou, en direction du pont d'Hylia. Étonnamment, ses ennemis semblaient lui laisser quelques secondes d'avance puisqu'il n'entendait personne qui était à sa poursuite derrière lui, et cela ne le rassurait pas. Il courait vite, très vite, c'était même un de ses plus grands atouts, mais il savait qu'il perdrait en endurance s'il n'arrivait pas à souffler régulièrement. Et comme la panique s'était invitée, il avait du mal à courir de manière efficace.

Après vingt secondes de fuite sans relâche, il passa un petit pont surmontant une rivière, et des ricanements portés par le vent retentirent dans l'air. Il aurait voulu accélérer davantage mais l'Hylien était à son maximum, et malheureusement, il n'avait pas de potion capable d'augmenter sa vitesse sur lui. Gabriel prit donc la décision d'abandonner son arme, ce qui lui permettrait d'effectuer des mouvements plus amples afin de lui faciliter sa course. Il lâcha donc son épée qu'il laissa dans une flaque d'eau boueuse. Ses poumons mis à rude épreuve, il n'avait jamais couru aussi vite de toute sa vie, même lorsqu'il s'était enfui après avoir volé le collier de la reine d'Hyrule, il n'avait pas atteint une vitesse si élevée. Les risques de glisser étaient nombreux, mais il fallait les prendre s'il ne voulait pas affronter ces deux êtres maléfiques qui avaient menacé de le tuer. Lorsqu'il arriva à une bifurcation de la route, Gabriel prit le chemin sur sa droite afin de rejoindre le lac Hylia et sortir le plus vite possible de Firone. Il se savait proche du but.

Des brindilles craquèrent derrière lui, le moindre bruit lui faisait peur. Le père sentait qu'il ne pourrait continuer à fuir aussi vite très longtemps. Son souffle était de plus en plus intense, de plus en plus fort, mais il refusa de s'arrêter et continua du mieux qu'il pouvait, jusqu'à la sortie de la forêt. De là-bas, il put enfin apercevoir le pont d'Hylia, le plus grand et imposant monument du royaume sur lequel il avait déjà simulé un suicide, jadis. Les arbres se firent moins présents, et après avoir passé une petite colline, Gabriel eut une vision globale de la plaine d'Hyrule et du château. Un déchaînement d'éclairs s'abattait sur la forteresse, et, volant autour d'elle : Ganon, le Fléau. Déconcentré sur le chemin qu'il avait à prendre étant obnubilé par les événements terribles qu'il avait sous les yeux, il s'engagea sur le pont d'Hylia au moment où une force invisible le poussa en avant, ce qui le fit bondir sur une très longue distance, à presque deux mètres de hauteur. Gabriel poussa un cri de surprise avant de retomber violemment contre la pierre dure du grand pont. Sa cascade le fit rouler sur une certaine distance avant qu'il ne soit complètement arrêté.

Mains à plat par terre, il était essoufflé. Pour sûr, il allait devoir mettre un certain temps avant de pouvoir reprendre la fuite. De ce fait, il crut que son heure était venue. Qui avait bien pu le projeter en l'air aussi fort ? La force qu'il avait ressentie dans son dos n'était pas ordinaire... Dans un élan de désespoir, il se leva avec difficulté et voulut affronter ses ennemis en arrière.

- Ne vous approchez pas ! ordonna-t-il.

Mais il n'y avait personne. Personne, hormis une silhouette qui se dessinait avec lenteur sous l'arche du pont. Pas d'yeux rouges, pas de force inexpliquée, plus rien. La personne courait, elle aussi, et du point de vue de Gabriel, elle devait tenter d'échapper à la même menace que lui. Sa vision était floue du fait de son épuisement, il ne vit pas tout de suite de qui il pouvait bien s'agir. À vrai dire, il ne savait même plus s'il était en train d'halluciner ou non. Peut-être était-ce un monstre qui fonçait dans sa direction... ? Mais plus l'individu s'approchait, et plus le père comprit qu'il s'agissait d'une Hylienne. Une Hylienne qu'il, à sa grande surprise, reconnut.

- Qu'est-ce que... marmonna-t-il.

Sous la pluie battante, Madeline tentait aussi vite que possible de rattraper Gabriel, complètement déboussolé. Il avait dû tomber de fatigue au relais et était en train de rêver... Il n'avait que cette explication. La mère fut enfin arrivée au niveau de l'homme qui resta stoïque à sa vue dans un premier temps. Ils se dévisagèrent, les yeux dans les yeux, avec un paysage de terreur et de destruction qui les entourait. L'incompréhension se lisait sur le visage du père, la voir ici même avait réussi à lui faire oublier la raison pour laquelle il avait couru si vite tant cela était bouleversant. Les deux Hyliens tournèrent ensemble la tête vers le château d'Hyrule avant de se regarder de nouveau.

- Gabriel... dit-elle dans un désespoir total.
- Madeline... mais... qu'est-ce que tu fous ici ?! s'enquit-il de savoir. C'est dangereux, tu aurais dû rester chez toi !
Elle hocha la tête de manière prononcée et négative. La blonde ne souhaitait plus entendre parler d'Écaraille, c'était un refus catégorique. S'était-il déjà passé quelque chose pour un changement d'avis si précoce ?
- Gabriel, je suis désolée... s'excusa-t-elle.

Elle ne voulait tout de même pas discuter à nouveau de tout ça ici, en plein milieu de l'apocalypse ? Pour lui, la priorité était de retrouver Lysia et se mettre à l'abri jusqu'à ce que les élus des déesses calment cette folie destructrice. Il lui fit donc comprendre qu'il ne fallait pas commencer à s'expliquer tant qu'ils ne se trouvaient pas en sécurité.

- On aura le temps d'en reparler, signala Gabriel, mais ce n'est absolument pas le moment, là !
- Écoute-moi, rien qu'un instant, insista Madeline.
- Je t'ai déjà assez écoutée comme ça, je ne peux pas rester là.

L'homme lui tourna le dos et continua sa route à une allure de marche plus raisonnable pour le moment. L'abandonner ? Non, pas du tout... car il était évident qu'elle ne pouvait plus faire demi-tour jusqu'à la forêt étant donné les étranges choses qui s'étaient produites, elle serait obligée de le suivre pour échapper au danger, mais il espérait plutôt l'inciter à avancer davantage. Le frère d'Alan fit quelques pas en direction de l'autre extrémité du pont, mais rien n'y faisait, elle ne le suivait pas. Ce fut lorsqu'elle prononça des mots lourds de sens pour lui qu'il se stoppa de nouveau.

- Je t'aime, Gabriel.

Des frissons le parcoururent aussitôt. Les yeux écarquillés, la bouche bée, il lui refit face, sentant l'émotion envahir peu à peu son coeur et son esprit. Pourquoi lui donnait-elle sa réponse seulement maintenant ? Et qui pouvait prouver qu'elle ne le manipulait pas encore ? En réalité, manipulation ou non, entendre ces paroles sortir de la bouche de son ancienne conjointe l'avait déjà énormément touché, qu'importait la sincérité de ses dires. Depuis le début, il n'avait jamais cherché à lui nuire, il ne demandait qu'à se réconcilier. Bien sûr, Gabriel s'était énervé de nombreuses fois contre elle. Mais ce qu'il demandait au fond, c'était de comprendre. Juste comprendre.

- Je ne...
- Je t'aime comme je n'ai jamais aimé personne, l'interrompit Madeline.

Elle s'était de nouveau approchée de lui, un seul mètre les séparait désormais. D'une voix qui démontrait une certaine détresse, elle lui fit part de ses intentions en lui attrapant sa main moite. Au contact de ses doigts, le père ressentit une forte chaleur en émaner. Il se laissa faire, incapable de renoncer à toucher sa peau, chose qui lui avait tant manqué.

- Je veux rentrer à la maison, avec toi, dit-elle à mi-voix.
Gabriel sentit les larmes lui monter aux yeux.
- Mais il n'y a plus de maison... gloussa-t-il, plus rien à part des ruines...
- Peu importe, je veux rester auprès de toi maintenant, d'accord ?

À croire que ce n'était plus la même personne depuis son départ du village d'Écaraille, il y avait encore tout juste quelques heures. Il retrouvait là la femme qu'il avait connue huit ans auparavant, mais par toutes les déesses, par quel miracle ? Un énième rugissement provenant de la Calamité survint, ce qui attisa l'attention de Gabriel. Ce dernier voulait se hâter mais Madeline avait l'air d'en avoir que faire de la situation critique du royaume. Elle restait plongée dans le regard triste que lui montrait l'Hylien et avait oublié le monde extérieur.

- Je ne comprends pas... prononça-t-il au bord des larmes.
- Laisse-moi m'approcher, s'il te plaît, continua la femme.

Avec douceur, elle ouvrit ses bras et se jeta tendrement dans ceux de Gabriel qui se mit à verser des larmes. Celles-ci se mêlèrent ainsi aux gouttes de pluie sur son visage. Un éclair jaillit du ciel et le tonnerre gronda, comme lors de cette nuit où leur vie avait basculé si soudainement... Grâce à cette étreinte, les parents de Lysia ressentaient une nouvelle fois cette chaleur qu'ils avaient tous les deux perdue lorsqu'ils furent séparés. Madeline restait silencieuse et humait le parfum de l'homme avec passion, comme si elle retrouvait un sens à son existence. Le père faisait de même mais n'osait pas y croire. En prenant le chemin du retour, il pensait l'avoir perdue pour de bon... Et si cet enlacement n'était pas sincère de sa part et qu'elle ne pensait pas ce qu'elle disait, ce serait de la torture pure et simple pour lui.

- Mais qu'est-ce que tu as foutu... lui chuchota-t-il à l'oreille.

Madeline ne répondit rien. Une bourrasque vint perturber ce moment si puissant pour tous les deux. Le couple faillit perdre l'équilibre en même temps, les cheveux au vent, mais se rattrapèrent. Tout cela ne fit que les faire se serrer plus fort. Désormais, plus rien ne serait en mesure de séparer la petite famille une seconde fois.

- Promets-moi de tout m'expliquer en détail. Je t'en supplie, la pria l'homme.
- Je te dirai tout. Je te le promets.

L'Hylienne plaça son visage près du sien, posant son front contre celui de Gabriel. Son regard si singulier qui la caractérisait tant lui réchauffa le coeur. Il contempla la beauté de ses iris puis esquissa un sourire mélancolique lorsqu'il y reconnut leurs couleurs, leur forme, leurs nuances. Ils lui étaient si familiers, comment aurait-il pu les oublier ? Il s'agissait de la première chose qu'il avait vue, le jour de leur rencontre. Il releva légèrement la tête avant de dire :

- Tu as vraiment choisi le parfait moment pour...

Mais elle l'embrassa avec fougue avant même qu'il ne puisse terminer. Lèvres contre lèvres, le père se fit transporter par ce baiser qui le fit frémir, à un point qu'il ne vit pas les nombreux rayons des lasers bleus luminescents des Gardiens qui s'étaient mis à fuser dans tous les sens, à l'horizon. Les créatures divines, aux lumières désormais rouges, rugissaient en laissant éclater leur fureur sur la plaine d'Hyrule, transformée en champ de bataille indescriptible. Gabriel posa une main dans la nuque de la blonde, ne souhaitant pas mettre fin à un tel moment. À quand remontait la dernière fois qu'ils s'étaient prouvés leur amour de cette manière ? Bien trop longtemps...

- Je t'aime, dit-elle avant que Ganon n'émette un nouveau hurlement depuis sa position.
Il lui répondit la même chose.
- Je me fiche bien de qui tu as pu être dans le passé, ajouta Madeline. Ce que je sais aujourd'hui, c'est que je t'aime. C'est tout.
- Écoute, nous devrions rentrer. Des démons sont à nos trousses, Lysia nous attend et...
- Lysia... oui. Oui, elle aussi, je l'aime plus que tout...

Leur fille... Ils pourraient enfin la retrouver ensemble. Cette pensée le rendait plus qu'heureux. L'idée qu'ils puissent mourir à cause de la Calamité qui s'abattait en tentant d'y échapper, avant même de pouvoir la revoir, ne leur était pas venue à l'esprit. Après tout, l'espoir renaquit peu à peu en lui suite à tout ce qu'il venait de traverser. À quoi bon tout ce retournement de situation si la déesse ne les protégeait pas de Ganon jusqu'à Lysia ?

- Regarde-moi, mon chéri, demanda Madeline avec sérieux.
Gabriel s'exécuta bien qu'il aimait de moins en moins rester ici, à la portée de n'importe quelle créature du Mal. La femme passa ses deux bras derrière le dos de l'homme, sous son vêtement.
- Je t'aime.

Ses mains... Il avait l'impression qu'elle avait planté ses ongles dans la chair de son dos tant elle les serrait contre lui. Mais ses "je t'aime" le faisaient sourire davantage et Gabriel n'entendait plus que ça, dans ce monde plus que bruyant, en pleine catastrophe. Malgré le déluge, elle les répétait, encore et encore, comme pour lui prouver son amour autant de fois que possible.

- Je t'aime...

Mais au bout de quelques instants, quelque chose n'allait pas physiquement... Les mains de la blonde forçaient trop... à se demander si ses ongles n'avaient pas réellement pénétré sa peau. D'autant plus qu'une vive chaleur brûlante le gagna au même niveau, ainsi qu'une douleur qu'il ne pouvait négliger. Gabriel passa à son tour sa main dans son propre dos, sur celles de Madeline qui ne possédaient étrangement plus leur douceur si caractéristique pour lui. Il sentit ensuite ses bouts de doigts tremper dans un liquide. En jetant un oeil, toujours sous le regard passionnel de la blonde, il découvrit du sang sur ses mains. Son sang. Soudain, il eut le souffle coupé et sa vue se troubla. La douleur était bien présente mais il était incapable de la manifester par un quelconque cri de souffrance.

Son cerveau n'eut point le temps de comprendre que sa bien-aimée venait de le poignarder avec une griffe de lézalfos.

Il fut dépourvu de force dans les bras et les jambes. Mais avant qu'il ne s'étale au sol en agonisant, l'Hylienne le força à faire un pas après l'autre en arrière, tout en l'aidant à marcher. Dans cette position, ils reculèrent ensemble, dans une étreinte beaucoup plus sanglante que la précédente, jusqu'au bord du pont, Madeline ne cessant de lui répéter qu'elle l'aimait. Une fois sur le rebord, elle lui adressa un dernier regard indifférent et lui ferma ses paupières en même temps qu'il versait une dernière larme. Elle retira la griffe de son corps, libérant un flux de sang plus conséquent jusque sur le long de ses jambes. Le père n'eut guère la force de rouvrir les yeux.

- Ne l'oublie jamais, dit-elle avant de le faire se pencher au-dessus du vide.

Enfin, la blonde le lâcha. Gabriel entama une chute de plusieurs mètres à la renverse, avec une plaie ouverte près de sa hanche droite. En tombant, l'homme blessé ne vit que le défilement de sa vie, il la voyait le quitter pour de bon. Il revoyait tous les moments passés avec son frère, sa conjointe, sa fille... toutes les personnes qu'il avait aimées au cours de son existence, et qu'il aimerait toujours. Tous ces souvenirs lui remontèrent d'un seul coup à la tête. Il repensait à chaque moment de joie mais aussi à tous ses combats menés pour une cause plus ou moins juste, selon les circonstances.

Link, et la princesse Zelda... Il avait une dette envers eux, et ne pourrait jamais plus les remercier pour leur aide.
Alan... Il ne pourrait jamais plus pêcher en sa compagnie, et même savoir ce qu'il était advenu de lui.
Quant à Lysia... Il ne pourrait jamais lui faire vivre la vie qu'il lui avait promise...

Ces éléments, ces personnes étaient si nettes, il les visualisait si bien qu'on les confondrait au monde onirique dans lequel ces choses nous paraissaient si réelles. Seulement, Gabriel ne rêvait et ne dormait pas, il sentait simplement la mort venir à lui, impuissant face à elle. Madeline le regarda tomber depuis sa position avant qu'un éclair ne frappe le château puis qu'il se retrouve plongé dans l'eau froide du Lac Hylia. La température avait drastiquement baissé mais son dos restait toujours aussi brûlant, aussi douloureux. Cependant, cette douleur s'en alla, comme toutes autres sensations physiques. Une fois sous la surface, il laissa une traînée rouge derrière lui qui vint teinter l'eau trouble du plus grand lac d'Hyrule de sa couleur vive. Faible, l'eau remplissant seconde après seconde ses poumons, Gabriel coula au fond, sans pouvoir y remédier.

- Tu as fait le travail à notre place ! la gronda une voix féminine en colère.

À la gauche de Madeline, ne regrettant en rien ses actes, Maëlle et Daniel apparurent dans une brume de malice, tous deux furieux contre la blonde qui venait de faire exactement ce que Brad avait demandé à ses parents : tuer le frère d'Alan. La femme, sur la défensive, leur reprocha de ne pas avoir été assez rapides. Elle exhiba la lame ensanglantée qui avait ôté la vie de son ancien conjoint pour bien leur faire comprendre qu'elle était l'auteure de ce crime qu'ils étaient censés commettre.

- En effet, confirma-t-elle. Pour boucler cette affaire stupide de votre feu fils. Vous n'aviez pas qu'à flatter votre égo en le laissant prendre autant d'avance.

Corrompue peu après le départ de Gabriel de chez elle et grâce à la conscience commune de Ganon qui les liait tous, Madeline comprit tout de suite ce qu'elle avait à faire. Son esprit n'avait pas résisté une seule seconde au Fléau, elle était immédiatement tombée inconsciente. Il lui fallut cependant quelques heures avant qu'elle ne se réveille, du côté du Mal, cette fois-ci. Maëlle n'appréciait guère qu'une femme, à peu près du même âge qu'elle à première vue, lui fasse la morale. Elle s'avança vers elle d'un pas déterminé tandis que Daniel, comme à son habitude, se contentait de rester en retrait contrairement à sa femme.

- Nous ne t'avons pas fait rejoindre l'Armée des Fidèles pour que tu nous remplaces, cracha l'originaire d'Hébra. Alors écoute-moi bien... Je...
- ASSASSIN ! hurla un homme que le groupe ne put situer dans l'espace.

Au-dessus de leur tête, une traînée noire apparut. En comprenant de qui il s'agissait, le couple de corrompus décidèrent de fuir, à leur tour, pour ne prendre aucun risque. C'était Alan... La personne qui constituait la seule et unique menace de l'Armée. En effet, ce dernier avait conscience que son frère était en danger depuis la conversation de Brad avec ses paternels. Malheureusement, après avoir déposé Nell à Cocorico, il avait mis bien trop de temps à retrouver Gabriel, et ce soir-là, il arriva bien trop tard. Madeline avait pris les devants. La femme fut téméraire et resta sur place en attendant que l'oncle arrive jusqu'à elle. Dans tous ses états, il atterrit non pas face à elle, mais au bord du pont, à l'endroit où son frère venait de disparaître. Le choc était si fort qu'il perdit la raison, hurlant après son aîné en se penchant dans le vide.

- Gabriel ! cria-t-il de toutes ses forces, en pleurant. Non... !

Son cri avait retenti dans toute la région, dans un écho qui se mêla au bruit du tonnerre et des rugissements de Ganon. Il avait tout vu... Il l'avait vu mourir sous ses propres yeux et n'avait rien pu faire. Cela s'était joué à quelques instants près. Alan appela plusieurs fois encore Gabriel en vain jusqu'à ce qu'il enchaîne une succession de coups de poing contre le sol de pierre, refusant d'accepter une telle réalité. Il était tout pour lui, absolument tout ! C'était lui qui l'avait aidé à surmonter les difficultés psychologiques lors de leur adolescence. Gabriel avait sacrifié une partie de sa vie pour lui, il s'était créé une très mauvaise réputation de voleur aux yeux de tous, dans le seul et unique but de pouvoir se nourrir, lui et Alan. Ils s'aimaient, même si cela était compliqué à dire de vive voix. Ce dernier regrettait tant de choses... Il avait failli le corrompre et avait détruit sa maison... Pour le cadet, si quelqu'un méritait de mourir, c'était bien sa propre personne. Mais pas lui !

Les larmes coulaient, encore et encore, jusqu'à ce que l'Hylien se tourne vers Madeline qui l'épiait avec un sourire malsain. Oui... tout était à cause d'elle, leur vie était devenue un véritable calvaire depuis qu'ils la connaissaient. Comment pouvait-elle oser faire une telle chose après huit années d'absence ? Alan opta pour un regard noir et furieux, et d'une voix ténébreuse, il l'appela.

- Toi...
- Bonsoir, mon cher beau-frère, répondit la blonde.

Cette fierté sur son visage le mit en rogne. Était-elle fière de ce meurtre ? De l'atrocité qu'elle venait de commettre ? Alan ne comprit pas que Madeline avait agi sous les ordres de l'esprit de Ganon, et non de son plein gré, tout simplement car il était encore sous le choc et n'arrivait plus à assimiler la moindre chose. Pour lui, elle l'avait tué car elle avait voulu le tuer. C'était une meurtrière.

- Je vais t'étriper, la menaça-t-il, traumatisé. Je vais...

D'un bond dans sa direction, il se rua sur la femme qui fut prise au dépourvu. Madeline fut projetée en arrière par la masse de corruption de l'oncle. Elle s'enfuit en s'élevant dans les airs, prenant une forme similaire à celle d'Alan lorsqu'il se déplaçait ainsi. Ce fut à ce moment là qu'il comprit qu'elle était animée elle aussi par de la corruption. Dans sa tête, Alan sut immédiatement quoi faire. Il allait l'immuniser. Il la poursuivit jusqu'à plusieurs mètres de hauteur où le frère put la rattraper et lui porter un coup au visage. Les deux auras de malice se mélangèrent dans le ciel, n'en formant plus qu'une plus imposante. Alan la força ensuite à foncer droit vers le sol en détruisant sur le chemin une partie de l'arche d'entrée du pont d'Hylia. Madeline amortit sa chute comme elle le pouvait, reprenant une forme physique humaine. Alan fit de même et ne tarda guère à retourner s'acharner sur elle, dans un cri de rage.

La blonde le repoussa avec la griffe de lézalfos qu'elle tenait toujours en main. En avant, elle tenta d'abord de l'égorger avec un coup horizontal au niveau du cou qui fendit l'air dans un bruit vif et rapide. Elle grogna et fit une seconde tentative, cette fois-ci pour essayer de lui ouvrir le ventre mais ce fut un nouvel échec. Alan l'arrêta dans sa course, il créa une fine ligne rougeâtre d'un seul geste de la main qui se dirigea vers ses pieds et la fit trébucher. Madeline tomba rudement sur le coccyx et son adversaire en profita pour lui dérober son arme tachée du sang de son frère. La corrompue resta au sol, et dans un élan de colère, l'oncle l'attrapa par la gorge et pointa la griffe vers son visage, à un centimètre de celui-ci.

- Je suis parti à ta recherche très longtemps, après ton départ, rappela Alan. Et aujourd'hui, je te retrouve enfin, et tu tues mon frère sous mes yeux.

Madeline ne l'écoutait pas, elle se débattait comme une folle, en essayant de supprimer l'emprise qu'il avait sur elle dans son cou. Le vendeur de potions aurait cru à un animal enragé tant elle ne cessait de bouger. Elle savait qu'il allait lui rendre sa lucidité et l'esprit maléfique en elle ne pouvait l'accepter. Elle dévoila à Alan deux iris rouges qu'il lui rendit à son tour en lui criant :

- Regarde-moi, espèce de tarée !
- Tu ne me tueras jamais ! Tu ne me tueras jamais ! répétait-elle en se moquant.

Elle fut dans l'obligation de le regarder, ce qui eut pour conséquence de l'énerver davantage. Durant trois longues secondes, ils se fixèrent, comme si l'oncle était en train de lui insuffler quelque chose à l'aide de ce contact visuel. Tout à coup, Madeline sentit son énergie absorbée par ce simple regard. Et l'instant suivant, une lumière éblouissante sortant des yeux de l'homme l'aveugla, un éclat brillant qui sonna comme une évidence en elle. Quelque chose surpassa les mauvaises intentions qui l'animaient jusque-là. Madeline venait de retrouver ses esprits, immunisée.

Cependant, Alan l'avait peut-être raisonnée, il la menaçait toujours à l'aide de sa petite arme et la blonde en fut effrayée. Elle avait toujours conscience du meurtre commis, et voir cette pointe ensanglantée tournée vers elle - sachant qu'elle savait pertinemment qu'il s'agissait de l'arme du crime - la terrorisa. Gabriel... Non... Comment avait-elle pu le tuer ?! Madeline changea littéralement d'expression de visage, elle cessa de se débattre et ferma les yeux.

- Alan ! Non ! Arrête ! Par pitié ! Ce n'était pas moi ! Je ne sais pas ce qui m'a pris !

La terre trembla, ce qui rappela à l'oncle qui était le véritable coupable dans cette histoire. Il tourna la tête vers le château d'Hyrule et observa Ganon le survoler. Le voilà, l'auteur de ce crime. À ce moment précis, son seul souhait était de voir la Calamité succomber. Il soupira et sa mâchoire oscilla. Les larmes toujours aux yeux, Alan stoppa cette folie due au choc qu'il avait dû encaisser : il la libéra et jeta la griffe de lézalfos dans le lac Hylia en contrebas. Néanmoins, il ne pardonna pas Madeline qui put enfin atténuer son angoisse lorsqu'elle fut relâchée. En silence, elle reprit son souffle en tournant le dos à l'Hylien qui s'était agenouillé, dépité. Tête baissée, les mains posées sur ses cuisses, il sanglotait.

- Il avait des rêves, dit-il, et il voulait les réaliser avec toi ! Il voulait se fiancer ! C'était une bonne personne, pourquoi as-tu fait une chose pareille...

Madeline ressentit un poids à l'intérieur de sa poitrine, elle se voyait comme une odieuse personne, qui ne faisait que du mal autour d'elle. Et ce soir-là, elle venait de réaliser le pire. Elle aussi se mit à pleurer, la femme s'approcha de quelques pas de l'oncle et s'agenouilla face à lui pour se mettre à sa hauteur. Cependant, elle n'osa pas le toucher, trop honteuse.

- Alan, je... je n'ai jamais voulu faire ce que j'ai fait... Je m'en veux... je m'en veux tellement... Je mérite la mort...

Il ne lui répondit pas. L'orage continuait de gronder, et sous la pluie, trempé, il releva le regard vers elle qui le dévisageait timidement. Cette femme... S'il voulait se remettre de ces horreurs, il allait devoir l'oublier pour de bon. Sa présence lui faisait du mal, et consciente ou non de ses agissements, il ne pourrait pas lui pardonner. Il avait déjà failli la tuer...

- Je ne veux plus voir ton visage. Ne remets plus jamais un pied dans notre vie. Plus jamais, tu m'entends ?

Sur ces mots, Alan disparut dans les airs, dans une traînée noire. Malgré la dureté de ces paroles, Madeline ne faisait que les comprendre et les approuver. Il avait raison. Dorénavant, elle devrait vivre avec cette réalité : elle avait tué le père de sa fille. Quelle horreur... L'Hylienne se blâma encore, et réfléchit à la meilleure option pour elle maintenant qu'elle possédait le sang de Gabriel sur les mains. Oui, le mieux serait de disparaître à nouveau, sans laisser de traces, pour que le monde l'oublie pour de bon. Dans ce voile de terreur et de destruction qui l'entourait, la mère de Lysia resta immobile, genoux à terre, sans se soucier de la Calamité déchaînée.

Elle se maudirait, pour l'éternité.

chapitres suivants...

Ce texte a été proposé au "Palais de Zelda" par son auteur, "Azur". Les droits d'auteur (copyright) lui appartiennent.

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Mis à jour le 30.04.25