Breath of the Wild : La grande histoire de la Princesse d'Hyrule
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Ils entendaient des pleurs incessants.
L'absence d'autres bruits les laissait résonner dans le lugubre couloir des geôles. Pourtant, il semblait n'y avoir personne, comme si ces sanglots venaient d'une force invisible, d'un fantôme. Il n'y avait aucune autre sortie, c'était une impasse, et la totalité des cellules étaient vides. Impa et Gabriel - qui lui se remettait peu à peu du fait qu'il avait frôlé la mort - restaient sur leurs gardes, sabre à la main. Ces cris d'enfant traversaient les murs, tournaient autour du binôme, sans jamais montrer leur origine. Étaient-ils tombés dans un piège ? Les sons devinrent de plus en plus audibles et soudain, elle apparut devant eux.
Elle avait la lame sous la gorge lorsqu'ils arrivèrent au bout de l'allée. Lysia n'était plus dans sa cellule, Katlyn la tenait en otage juste devant celle-ci. Ce fut une vision d'horreur pour Gabriel qui vit la terreur dans les larmes de la petite fille forcée à rester muette. Cela faisait tellement de temps qu'il attendait de revoir son visage en face de lui. Le père voulut accourir vers sa fille, comme s'il avait oublié tout le reste, tous les dangers. Impa qui l'accompagnait dut le retenir fermement pour éviter tout accident. Le tranche-démons de Katlyn frottait contre le cou de Lysia qui s'empêchait de déglutir sous peine de se faire mal avec le tranchant du fer.
- Bien. C'en est fini de vous tous, à présent, lança Katlyn au duo.
Gabriel laissa tomber son arme au sol pour essayer de résister à sa coéquipière qui l'empêchait d'avancer. Il ne voyait plus qu'elle, plus que ses yeux verts qui attestaient d'une détresse immense. Il avait laissé les sentiments prendre le dessus sur sa raison.
- Lysia... murmura-t-il, affligé et perdu dans ses pensées.
- Gabriel. Garde ton calme, pas un pas de plus, compris ?! ordonna Impa.
Il cessa toutes forces contre la Sheikah.
- Non... dit-il. Non c'est trop, je ne peux pas la voir comme ça... je ne peux pas rester là sans rien faire...
La petite fille tendit une main vers son père en l'appelant à l'aide. Seulement trois mètres les séparaient, et leurs retrouvailles étaient beaucoup moins chaleureuses qu'ils ne l'auraient voulu. Elle reconnut dans la foulée Impa qui lui avait promis de venir la chercher.
- Papa ! cria Lysia.
- Ouvre-la encore une fois et je te fais noyer dans ton propre sang ! ordonna violemment la Yiga.
Impa gardait son sang-froid, le moindre geste brusque pouvait être fatal. Elle avait signé pour ça, le groupe savait que cette situation avait des chances d'arriver, si Lysia mourait, la Sheikah ne pouvait s'en prendre qu'à elle. Elle avait insisté pour diriger les opérations, c'était son plan. La soeur de Pru'ha n'avait pas l'intention de faire un pas de travers à ce stade de la mission.
- Votre cruauté vous mènera à votre perte, dit-elle à Katlyn.
- Contente de te revoir aussi, Impa. Comment vas-tu depuis ta trahison ?
Une des pointes de l'arme de l'assassine s'enfonça légèrement dans le cou de Lysia, laissant s'échapper une goutte de sang qui vint tâcher le vêtement de la petite fille. Impa ne pouvait supporter une telle vision, elle prit son courage à deux mains et attira l'attention de la cheffe.
- Il ne se passe pas un jour sans que vous ne pensiez à ça. Vous souhaitez vous venger de moi, n'est-ce pas ? fit Impa. Marquer ma peau de multiples brûlures à l'aide d'une lame rouge qui reposait tranquillement sur le feu. C'est le prix que vos prisonniers doivent payer, non ? Combien de temps faut-il pour en laisser une cicatrice indélébile sur vos victimes ?
Elle marqua une courte pause.
- Je sais que vous lui avez infligé cette même torture immonde. Par simple plaisir.
- Pour répondre à ta question, je meurs d'envie de te faire souffrir ainsi, répondit la Yiga. Effectivement.
- Relâchez-la. Et vous pourrez me torturer jusqu'à ma mort.
Katlyn hoqueta un rire aigu, mélange d'étonnement et d'excitation. Il était vrai que s'occuper du cas d'Impa lui était très important, car elle lui rappelait sans cesse la naïveté dont elle avait fait preuve il y avait déjà plus de dix ans. De ce fait, la cheffe ne pouvait que se réjouir d'une telle situation, de pouvoir mettre fin à autant d'années de honte pour le gang.
- Tu te sacrifies pour elle ? Quel grand coeur tu as ! Je dois avouer que c'est une proposition plutôt alléchante. Qu'est-ce qui me prouverait que tu dis vrai ?
La Sheikah lâcha son sabre, le poussa jusqu'aux pieds de la Yiga et fit de même pour toutes ses autres lames qu'elles avaient dissimulées sur elle. Cela n'avait pas l'air de véritablement convaincre la cheffe qui en demandait plus. Bien plus.
- C'est tout ? s'étonna Katlyn.
- Je me rends et vous oseriez passer à côté de cette opportunité ? Pour une enfant qui ne vous est d'aucune importance ?
- Approche-toi. Viens jusqu'à moi.
Impa s'avança doucement, pas à pas, dans un silence mortel. Gabriel ne comprenait pas ce qu'elle faisait, elle ne lâchait pas du regard son ennemie. Voulait-elle la provoquer ? Sans même avoir un quelconque moyen de défense ? Une fois arrivée à quelques centimètres d'elle, la magistrate adjointe attrapa vivement le bras de Katlyn qui détenait Lysia en otage et plaça soigneusement le tranchant de l'arme contre son ventre. Une idée certes, suicidaire, mais plus que convaincante. La Yiga se laissa faire et n'avait plus qu'un simple geste horizontal à effectuer pour éventrer la Sheikah en l'espace d'un seul instant. Que lui fallait-il de plus ?
- Allez-y. Qu'attendez-vous ? fit Impa.
Dans le même temps, Lysia sentit que plus aucune force ne la retenait prisonnière, elle ne perdit pas une seule seconde et se précipita à vive allure dans les bras de son père qui s'était accroupi pour la réceptionner et l'enlacer. Etonnamment, Katlyn n'essaya guère de la rattraper. Tous deux nichèrent leur tête dans le creux du cou de l'autre, en se serrant de toutes leurs forces. Gabriel ne réfléchissait pas, il ferma les yeux, et la laissa faire. Cela lui était tellement surréaliste qu'il attendait d'entendre concrètement la voix de sa fille pour s'assurer de la réalité de ce qu'il vivait.
- Papa... marmonna Lysia, la voix pleurante et étouffée par l'étreinte de Gabriel.
- Lysia... dit-il sur le même ton tremblant.
Elle se retira et passa vivement sa main d'enfant dans les cheveux de son père avant de déposer celle-ci dans la sienne. Ils se dévisagèrent longuement, réalisant la véritable présence de l'autre. Tous ces jours à vivre dans la terreur, la solitude et l'ignorance, à attendre que quelqu'un ne vienne l'aider. Ce fut une délivrance, Lysia attendait ce moment depuis si longtemps... Elle serrait les mains de son père si fort qu'il était impossible de les retirer. Et elle ne put s'empêcher de se replonger à nouveau dans ses bras.
- Papa... tu es là...
- Je suis venu te chercher ma chérie, c'est fini...
Des larmes similaires à celles de la petite fille se mirent à couler le long des joues de Gabriel qui papillonna des yeux tout en ressentant pleinement l'état de détresse de son enfant qui n'avait pas l'habitude de le voir dans un tel état. Ce qui la perturba.
- Ce que je suis heureux de te retrouver... dit-il après quelques inspirations successives.
- Papa, tu pleures. Oncle Alan va se moquer de toi.
- Il pourra se moquer autant de fois qu'il le voudra. Ça m'est égal.
Ils baissèrent leur regard en posant leur front contre celui de l'autre, et l'attention du père vint se porter sur quelque chose qui l'intriguait sérieusement au niveau de l'abdomen de sa fille. En effet, elle gardait un bras contre elle à ce niveau et il avait très bien compris pourquoi. Il souhaitait qu'elle le laisse voir.
- Montre-moi ton ventre, demanda Gabriel.
Le regard inquiet, Lysia avait peur de la réaction de son paternel. Elle refusait de lui montrer les traces de ce moment atroce qu'on lui avait fait vivre. Ce jour-là, elle avait cru mourir tellement la douleur était insupportable. Elle avait perdu connaissance avant même que cela ne cesse. La petite fille fit un pas en arrière en voulant protéger son père de cette vision qu'elle savait d'autant plus horrible sur son corps d'enfant.
- Papa... non... dit-elle.
- Lysia, montre-moi, insista-t-il.
Il releva délicatement l'habit de Lysia qui cachait son nombril avant d'apercevoir une horreur tout simplement sans nom. Une imposante brûlure s'étalait sur l'entièreté de sa région ombilicale, allant presque jusqu'à son épigastre. De cette brûlure naquit une cicatrice qui sillonnait les cellules de sa peau et qui avait une certaine couleur jaunâtre très légère mêlée au rouge. Cela formait comme des marques veineuses sur l'épiderme, comme si la peau était plus tendue à cet endroit, plus amincie. Celle-ci avait laissé place à cette blessure depuis un mois et sans aucun traitement. De ce fait, c'était quelque chose que la blonde allait à présent devoir garder à vie, le frère d'Alan en était effaré. Il ne voulut guère en voir davantage, ce n'était pas le moment ni le lieu pour ça.
- C'est elle qui t'a fait ça ? interrogea Gabriel en parlant de Katlyn.
- Quand je suis arrivée, oui...
La concernée était immobile, son tranche-démons toujours contre Impa qui se tut lorsqu'elle vit qu'elle avait laissé Lysia rejoindre Gabriel. Il était difficile de comprendre ses intentions derrière son masque, mais cette attitude démontrait bien qu'elle avait changé de cible, tel un animal féroce changeant de proie. Voyant le moment s'éterniser, la Sheikah insista pour la faire réagir. Si elle s'y prenait bien, elle pourrait esquiver assez rapidement le tranchant menaçant de Katlyn qu'elle s'était elle-même disposé sur l'abdomen.
- Il y a un problème, peut-être ? Évitez d'y aller trop fort, vous seriez déçue si je meurs dès le premier coup, pas vrai ?
- Tu n'as pas idée, répondit la Yiga.
La cheffe, complètement folle et possédée par cette envie de faire souffrir plutôt que de tuer instantanément, la surprit et frappa son estomac de son poing. Impa eut le souffle coupé et porta ses deux mains contre elle, ne s'attendant pas à une attaque à mains nues. Elle sentit la douleur se déplacer lentement en elle puis gémit. Pliée en deux, la magistrate adjointe ne semblait pas avoir envisagé cette option. Gabriel comprit qu'il allait devoir agir. En jetant un oeil à l'autre bout du couloir, il vit soudainement l'éclat de l'épée de légende l'éblouir un instant, chose qui allait les sauver. Ni une ni deux, le père eut une idée. Il devait tout d'abord éloigner sa fille de tout danger et aider sa coéquipière qui s'était sacrifiée pour Lysia. Gabriel plaça ses mains sur les épaules de cette dernière et lui expliqua dans l'urgence ce qu'elle devait faire pour fuir.
- Écoute-moi, il y a deux jeunes gens qui se cachent dans l'angle du couloir. Ils sont là pour t'aider, dis-leur de te conduire jusqu'à la sortie sans discuter, d'accord ? Dis-leur que je m'en sortirai.
- Je veux rester avec toi, s'affola Lysia.
Impa se fit violemment attraper par le col par Katlyn et l'une des pointes de sa lame se planta aisément dans sa cuisse, en lui déchirant le muscle droit fémoral. La Sheikah hurla et l'ancien voleur se hâta.
- Je dois aider mon amie, je ne serai pas long, dit-il à la blonde. Tu as été très courageuse jusque-là, je sais que tu es capable de faire ça. Pour le bien de tous, tu dois partir aussi vite que possible. Les deux personnes dont je t'ai parlé s'occuperont de toi le temps que je revienne sain et sauf. Ils ne te feront pas de mal. Je reviendrai.
Son coeur se serra en comprenant qu'elle allait déjà devoir se séparer de l'homme. Frustrée et apeurée, elle sautilla en refusant de lâcher la main de son père qui l'arrêta.
- Lysia, je te le promets, fit Gabriel, les yeux dans les yeux.
D'un coup de pied, la Yiga fit chuter Impa sur le sol en frappant au niveau de sa plaie sanglante. La cheffe de Cocorico percuta les barreaux d'une cellule dans un bruit métallique et s'étala sur le sol, incapable de bouger sa jambe atteinte.
- Allez ! Cours ! lâcha l'homme à sa fille simultanément.
Lysia comprit la gravité de la situation et obéit. Elle prit le chemin de la sortie, qui menait à la salle des sacrifices, et courut aussi vite qu'elle le pouvait en faisant confiance à Gabriel. Katlyn s'apprêtait à achever son adversaire quand elle vit la petite fille s'enfuir. Ce court moment d'inattention de sa part profita à Gabriel qui récupéra son arme et se releva en ayant la ferme intention de laisser éclater sa colère sans retenue. La vue de cette cicatrice sur le ventre de sa fille lui avait donné une véritable envie de se venger, pour la première fois de sa vie. Pour lui, il n'y avait qu'une seule option pour se sauver de là. La mort de son ennemie.
Je vous le dis sans hésitation : je tuerai s'il le faut.
- Sale petite peste ! vociféra Katlyn en voyant la petite fille fuir.
La Yiga voulut la rattraper lorsqu'elle reçut un coup de poing crocheté du bras gauche de Gabriel en pleine figure.
Arrivée au bout de l'allée, Lysia sursauta lorsqu'elle tomba nez à nez avec les deux élus qui s'étaient sortis d'affaires. Ils la virent s'arrêter brutalement, le souffle court. Totalement intimidée par les deux jeunes gens qui se présentaient à elle, elle sentit la panique monter en dévisageant les deux inconnus à qui elle devait apparemment faire confiance. Sans attendre, la princesse s'accroupit pour se mettre à sa taille et la rassura.
- Tu es Lysia, c'est bien ça ? demanda Zelda, calmement.
- Mon père a dit que vous deviez vous occuper de moi et me sortir d'ici le plus vite possible, répondit la petite fille.
Link s'approcha à son tour et vit la peur qui la hantait à travers ses iris. Il s'agenouilla. Le héros avait très peu l'habitude de s'adresser à des enfants de cet âge-là, les mots lui venaient assez difficilement lorsqu'il s'agissait de les rassurer.
- Tu... tu n'as rien à craindre, assura Link. Nous allons t'aider.
Lysia finit par acquiescer, le binôme dégageait une aura bienveillante qu'elle perçut rapidement. Zelda avait bien reçu le message de Gabriel, elle tendit un bras vers Lysia pour lui proposer de se joindre à eux. Tout cela était imprévu mais le frère d'Alan semblait savoir ce qu'il faisait, même s'il se retrouvait seul face à la cheffe du gang des Yigas... Il leur avait tout de même confié sa fille. Et elle était la première des priorités, tels avaient été les mots d'Impa.
- Prends ma main, fit la princesse. Mon ami et moi allons quitter ces lieux.
- Vous devez me promettre que mon père nous rejoindra.
La décision de partir était d'autant plus difficile à prendre lorsque l'on savait que l'on laissait le reste du groupe sans aide. Mais il le fallait. Zelda posa une main délicate sur l'épaule de la petite fille qui ne voulait pas avoir l'impression d'abandonner son père.
- L'amour qu'il te porte ne pourra que le faire sortir vainqueur, énonça l'Hylienne.
Du côté de Katlyn, celle-ci se remettait tout juste de la frappe de l'homme au regard noir qui s'approchait encore d'elle. Déséquilibrée, la cheffe s'appuya contre le mur du fond et replaça son masque correctement sur sa figure tandis qu'Impa se redressait en position assise, mais elle ne pouvait pas bouger davantage sous peine d'aggraver sa blessure.
- Il paraît que tu as torturé ma fille ?! lâcha Gabriel d'une voix pénétrante.
Il serra les dents et redressa brutalement Katlyn.
- Réponds-moi ! hurla-t-il de rage à quelques centimètres de son visage avant de lui porter un second coup dans la mâchoire.
Déchaîné, il ne s'arrêta pas là et termina par lui cogner la tête contre la pierre. La cheffe glissa le long du mur. Le père prépara son autre main munie de son sabre. Lorsqu'il l'abattit sur son adversaire, celui-ci se téléporta derrière lui. L'Hylien se retourna aussi vite que possible et sa lame s'entrechoqua avec celle de Katlyn une première fois. Il évita une seconde attaque avant d'entamer une autre offensive composée d'un coup latéral d'une grande portée mais qui percuta finalement le sol après l'esquive de la Yiga. Gabriel était à présent dos à son ennemie et contra difficilement l'attaque de celle-ci après avoir fendu l'air horizontalement à cent quatre-vingt degrés derrière lui.
- La mort arrive à grands pas, menaça la femme.
- Et c'est toi qu'elle emportera !
Le combat rude et rapide, Katlyn profita de l'ouverture offerte par le père pour tenter de le toucher au flanc droit. En reculant, il balaya maladroitement l'air de gauche à droite avec son sabre et se sauva de justesse. La fatigue montait. Elle montait beaucoup trop à son goût. Lorsqu'il sentit une étrange sensation lui glacer le dos, il se rendit compte qu'il s'était bloqué contre les barreaux de l'ancienne cellule de Lysia et ne pouvait plus reculer. Katlyn se rua sur lui, son avant-bras étant muni de trois griffes semblables à celles d'un aigle, elle poussa ce dernier contre la gorge de Gabriel qui exerça une force opposée en plaçant son bras perpendiculaire au sien, retardant ainsi le contact fatal.
Utilisant toute sa force pour éviter que l'on ne lui déchire la gorge, il n'arrivait pas à se servir de son sabre, disposé dans son autre main. Katlyn l'avait bien remarqué et elle attrapa le poignet droit de Gabriel, dans le but de retourner sa propre lame contre lui. Ce qu'elle réussit à faire. Il sentit la pointe de son sabre qu'il tenait encore s'approcher de son ventre alors qu'il devait aussi retenir les griffes de Katlyn qui menaçaient son cou !
Gabriel exerça cette double résistance mais l'une d'elles allait forcément faiblir avant l'autre... D'un côté, un avant-bras mortel sur son cou qu'il repoussait en retenant le poing de la main ferme de son ennemie qui détenait son tranche-démons. De l'autre, une lame retournée contre lui-même qu'il gardait difficilement devant lui. En comprenant qu'il ne survivrait pas à cela, le père grogna, serra les dents et alla chercher une force qui lui donnerait l'avantage au plus profond de lui. Il inspira fortement et dans un cri de rage, il attrapa la main gauche armée de la Yiga et fit pivoter son poignet, encore et encore jusqu'à ce que ses os carpiens se fracturent après un coup sec. Il put alors se sortir d'affaires en repoussant les griffes acérées. Gabriel s'aida ainsi de son bras nouvellement libre en reportant plus de force avec celui qui retenait déjà le sabre.
Doublement plus efficace, la lame tremblante se releva jusqu'à pointer vers le plafond. Le père continua et la redirigea vers Katlyn qui elle, n'avait plus qu'une seule main, l'autre étant extrêmement douloureuse en mouvement. Et d'un seul coup, il cessa toutes forces contre elle. Katlyn bascula subitement vers l'avant, et le fer lui traversa l'abdomen. Gabriel la frappa de nouveau au visage et la vit lâcher son arme dans un geignement de plainte atroce. Elle alla se tenir de ses deux mains sur les barres de fer de la cellule ; le sabre la traversait toujours, et elle ne le retira pas.
Le silence réapparut, l'ancien voleur sentit la colère l'envahir et ne voulait pas en finir. Pas après toutes les horreurs qu'elle avait faites subir. Désirant absolument se venger, il vint rechercher Katlyn et l'attrapa brutalement par la gorge. Celle-ci ne se débattait même plus, elle restait debout et stoïque derrière son masque. Allait-il le faire ? Allait-il garder cette volonté de l'étrangler au beau milieu de ce couloir sombre ? Il tuerait s'il le fallait, alors...
Alors pourquoi s'arrêtait-il à une simple pression contre son larynx ? Pourquoi n'allait-il pas plus loin ?! Parce qu'on avait failli l'étrangler lui, il y avait quelques minutes ?! Non ! Certainement pas ! Jamais il ne pourrait croire qu'il avait pitié d'elle ! Quelque chose d'autre faisait blocage... Katlyn allait mourir quelle que soit sa décision. La tuer ainsi révélerait une volonté assassine pure de la part de l'homme. Or, Gabriel ne tuait pas par plaisir, pas pour le simple désir d'ôter la vie. Il n'était pas un monstre, lui. Seulement un homme animé d'une vengeance ultime.
Simplement un père qui ne supportait pas qu'on fasse du mal à ses proches...
Il la lâcha et retira son sabre de son estomac. Katlyn n'arrivait pas à se rendre compte que le sang qui coulait était le sien. Immobile, elle regarda le père faire demi-tour et partir en direction de la Sheikah très mal en point.
- Impa, est-ce que ça va ? demanda-t-il.
- Gabriel ! Tu es fou ? Venge ta fille !
Il lui fit un clin d'oeil lorsqu'il sentit une nouvelle agitation derrière lui. Il ferma les yeux et d'un coup sec, bref et parfaitement parallèle au sol, Gabriel se retourna et sectionna la gorge de Katlyn qui voulait le surprendre une ultime fois. Le sang gicla sur les barreaux derrière elle et sa combinaison, déjà rouge, se noircit au niveau de son cou. Ses voies respiratoires se bouchèrent et Katlyn toussa effroyablement avant de se taire pour de bon. Sa tête se fit soudainement lourde. Ne pouvant plus manifester sa colère, elle approcha une main près de sa gorge ensanglantée mais ne la toucha pas. Sa cruauté l'avait menée à sa perte. Le chef du gang des Yigas avait échoué. Elle dévisagea Gabriel avec indifférence et tomba en arrière.
En se noyant dans son propre sang.
Le père arriva au secours d'Impa. Celle-ci était déjà en train d'appuyer sur sa blessure à l'aide d'un large morceau de tissu qu'elle avait déchiré de ses vêtements pour lutter contre l'hémorragie. Gabriel, quelque peu désemparé, analysa la situation.
- Appuyez-vous sur moi, dit-il.
- J'aimerais bien mais... je suis un peu occupée là...
Soudain, une vague de douleur naquit et fit grimacer Impa qui plaça une main contre ses lèvres, lui évitant de crier.
- Merde... murmura l'homme.
Il décida de s'emparer du morceau de tissu que la Sheikah se contentait de presser contre la plaie pour le nouer tout autour de sa cuisse, afin qu'elle puisse se servir de ses deux mains. Seulement, cette protection n'allait pas tarder à s'imbiber de sang et n'était que provisoire, il fallait de véritables soins le plus vite possible. Gabriel serra le plus possible en espérant que cela tiendrait au moins jusqu'à la sortie.
- Il va falloir vous lever, informa-t-il sans que cela ne lui plaise.
La magistrate adjointe prit une nouvelle fois son courage à deux mains et passa un bras derrière la nuque du père. Celui-ci attrapa la blessée par le dos et sur une seule jambe, elle se leva, mais cela raviva tout de même la douleur et la soeur de Pru'ha gesticula.
- Par toutes les déesses ! Quel cauchemar ! gémit-elle.
- Je sais...
Impa, dans cette situation plus que stupéfiante en sachant que dix ans auparavant, l'homme qui la sauvait prenait un malin plaisir à la harceler de ses provocations incessantes, ne pouvait que se moquer de tout cela. Si à cette époque elle avait su que ce genre de chose allait se produire, jamais la Sheikah n'y aurait cru une seule seconde. Comme quoi, la vie réservait de véritables surprises, parfois...
- Le voleur Lambda qui me tire d'affaires... dit-elle dans un faux étonnement.
- Je pensais que vous aviez finalement décidé de m'appeler par mon nom, répondit l'homme.
Elle dut marcher en sautillant. N'ayant qu'un pied pour se déplacer et un point d'appui assez instable, Impa se fatiguait très rapidement, sans compter que son muscle déchiré lui faisait toujours très mal.
- Vous vous êtes sacrifiée pour ma fille, continua Gabriel. J'ai une dette envers vous, maintenant. Le comble...
- Rappelez-moi de ne plus jamais vous suivre dans ce genre de missions suicidaires.
Cela donna un léger sourire au père qui sentit soudainement le bras d'Impa glisser peu à peu de ses épaules tandis que la Sheikah avait de plus en plus de mal à avancer. Rodric, son frère, avait aussi été blessé à peu près au même endroit, et par Gabriel ! Fort heureusement, le cadet s'en était sorti, mais la magistrate adjointe n'en savait pas autant pour elle.
- Assez ! ordonna-t-elle. C'est trop éprouvant... Je ne vais qu'aggraver ma blessure...
Impa lâcha prise et dut s'asseoir à même le sol. Ils n'avaient même pas quitté le couloir des geôles. À cette vitesse, le binôme n'allait pas pouvoir aller bien loin. Gabriel fut compréhensible, mais ils ne pouvaient pas rester ici, au coeur du repaire de leurs ennemis. Il souffla.
- Soit, mais comment allons-nous faire ? Vous ne voulez pas que je vous porte quand même ?
La Sheikah le dévisagea.
- Oh. Vous voulez que je vous porte... Génial...
- Énonce-moi une quelconque autre solution !
- D'accord, d'accord, très bien. Mais tâchez de tenir votre jambe immobile. Je ne voudrais pas vous déchiqueter davantage le quadriceps.
Cette solution n'était pas la meilleure façon de s'occuper rigoureusement d'une blessure de ce genre, mais c'était une obligation. Le père se plaça à genoux et disposa ses bras de sorte à soutenir le poids de sa coéquipière. Elle plia très délicatement sa jambe blessée pour l'aider mais cessa immédiatement cette action qui la faisait terriblement souffrir. Après un petit décompte, il se releva avec difficulté en portant Impa qui, il fallait le dire, pesait son poids. Par réflexe, il soupira, montrant que cette tâche lui était compliquée, et grimaça.
- Je vais faire comme si je n'avais rien entendu, déclara la Sheikah.
- Quel est le chemin le plus court ? s'empressa-t-il de demander.
- Prends tous les chemins de gauche, on ne croisera personne.
Ainsi, à une vitesse beaucoup plus efficace, ils sortirent des geôles. Gabriel laissant derrière lui une scène macabre dont il était l'auteur.
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Aux alentours de midi, Link, Zelda ainsi que Lysia, attendaient le retour du reste du groupe avec impatience. Ils étaient tous les trois ignorants de ce qui se déroulait à l'intérieur du repaire. Les élus espéraient avoir fait le bon choix en favorisant la sécurité de la fille de Gabriel, en fuyant à ses côtés. La princesse et le héros scrutaient intensément l'entrée de la base yiga. Link restait à l'affût de toutes offensives inopinées de la part d'un de ces assassins. Car ils n'étaient pas encore en lieu sûr. Un peu plus en retrait, Lysia, elle, était assise seule sur un rocher relativement plat qui lui servait de banc. Les mains sur ses genoux et le regard rivé sur le sol, elle n'attendait qu'une seule chose : entendre la voix de son père se rapprocher peu à peu. Zelda la vit, l'air penaud, et décida d'essayer de lui parler afin d'occuper son esprit.
Elle laissa Link guetter et s'approcha calmement de Lysia qui n'avait même pas remarqué sa présence. Zelda s'entremêla les doigts en sentant l'angoisse dans laquelle la jeune fille était plongée. Elle prit l'initiative de s'asseoir à côté d'elle. La blonde choisit un sujet de discussion qui lui permettrait de lui changer les idées.
- Dis-moi, as-tu une région préférée, dans le royaume ? interrogea la princesse à mi-voix.
Lysia tourna légèrement la tête sur le côté. En replaçant ses cheveux blonds derrière son oreille, elle savait déjà quelle allait être sa réponse, c'était évident. Timide, elle n'osa pas regarder son interlocutrice. À vrai dire, elle et Link restaient encore de parfaits inconnus et toute cette histoire la dépassait.
- J'aime beaucoup le désert, répondit-elle.
Satisfaite que Lysia ne la laisse pas sans réponse, Zelda continua sur cette lancée pour essayer tant bien que mal de retirer ce voile de tristesse de son visage le temps qu'ils devaient encore attendre ici. Contrairement à son ami héros, elle savait bien s'adresser aux enfants, on lui avait déjà fait la remarque plusieurs fois lors de ses différentes visites officielles dans certains villages d'Hyrule.
- Tu as de la chance, nous allons justement devoir y passer, sourit Zelda.
Cela ne semblait pas forcément ravir Lysia qui se contenta de confirmer ses dires d'un simple hochement de tête. Elle fixa par la suite la tenue de l'Hylienne et remarqua un symbole triangulaire doré juste au-dessus de sa taille. Elle l'avait déjà vu à de nombreux endroits et savait qu'il s'agissait de quelque chose de très important dans le royaume.
- Vous êtes la princesse ? demanda Lysia.
- Effectivement.
Elle écarquilla les yeux, la petite fille savait qu'elle ne parlait pas à n'importe qui, c'était tout de même la princesse d'Hyrule en personne. Mais elle ne changea en rien sa façon de lui parler, la considérant ainsi comme une personne à part entière, ce qui plaisait d'un certain côté à Zelda. Lysia pointa du doigt le chevalier un peu plus loin qui se tenait debout, la posture droite.
- Et qui est le garçon qui vous accompagne ?
- Il s'appelle Link, c'est mon chevalier servant.
Cela était tout bonnement incroyable pour elle. C'était un monde complètement différent du sien et ce genre de faits qui pouvaient paraître normaux, voire banals, l'émerveillait.
- Vous avez un chevalier servant ? s'étonna la fille de Gabriel.
- Oui. Dis-moi, tu veux connaître un secret sur lui ?
Zelda lui chuchota quelques mots à son oreille, en espérant que cela allait la faire sourire.
- On ne dirait peut-être pas comme ça, mais c'est un grand gourmand.
- Et fier de l'être, s'exclama Link qui avait entendu cette petite moquerie.
Lysia eut un faible rictus dans le coin des lèvres. Sans pouvoir l'expliquer, les deux élus lui inspiraient confiance, la blonde savait que ces taquineries servaient simplement à la faire rire. Mais cela était toujours mieux que de vivre dans la peur... La princesse ajouta une information évidente mais qui était importante à préciser.
- Oh. Et il passe son temps à surveiller les environs. Tu peux être sûre d'être parfaitement en sécurité avec lui.
Elle remarqua les blessures sur le bras de Zelda, quatre plaies rouges. En voyant cela, la jeune fille se sentit moins seule, moins abandonnée. Peut-être qu'en fin de compte, elle pouvait parler librement à la princesse de ces horreurs qu'elle avait subies, de ces cauchemars qu'elles avaient engendrés. Peut-être qu'elle comprendrait ? Mais après réflexion, elle refusa de se souvenir de ces choses-là.
- Vous aussi, elle vous a fait du mal ? demanda tristement Lysia.
Zelda sentit un élan de compassion l'envahir.
- Oui, donna-t-elle comme simple réponse.
- Je connais quelques astuces pour soigner rapidement les blessures. Vous voulez que je m'en charge ? proposa Lysia, d'un air très sérieux.
- Tu es très gentille. Mais je crois que c'est plutôt toi qui as besoin d'attention. Tu ne crois pas ?
Elle haussa les épaules et balança ses jambes à quelques centimètres au-dessus du sol avant de les croiser. Puis, la petite fille regarda enfin la princesse dans les yeux.
- Je suis heureuse de pouvoir parler à des personnes qui ne me veulent pas de mal.
- Écoute, je suis désolée pour tout ce qui t'est arrivé... Si tu veux, tu...
- Les voilà ! s'écria Link soudainement.
Il avait suffi de moins d'une seconde à Lysia pour se lever instantanément suite à cette exclamation du héros. Au loin, Gabriel résistait de toutes ses forces à l'idée de délaisser Impa qu'il portait toujours. Ses bras tremblaient sous le poids de la Sheikah qu'il portait depuis assez longtemps pour que celle-ci lui paraisse de plus en plus lourde chaque minute. Link et Zelda se précipitèrent vers eux et le père posa la magistrate adjointe contre un mur rocailleux de la vallée. Il ne sentait plus ses bras et à peine eut-il le temps de souffler que Lysia se jeta sur lui et le serra fort contre elle. Il fut heureux de la voir saine et sauve.
- Je t'avais dit que je reviendrais, dit-il.
- Je ne veux plus jamais que tu me laisses comme ça ! affirma tristement sa fille.
Gabriel s'excusa et l'enlaça à son tour.
- Non, c'est promis.
Zelda s'accroupit, examina rapidement le problème à la jambe d'Impa et porta ses deux mains contre elle lorsqu'elle vit la gravité que pouvait avoir une telle blessure aussi profonde.
- Dame Impa, que s'est-il passé ?!
- Par Hylia, vous êtes sains et saufs... répondit la soeur de Pru'ha sans prêter attention à ce que disait la princesse.
- Ne bougez surtout plus. Nous allons vous transporter jusqu'au bazar Assek où l'on vous apportera des soins.
Impa la pria de ne pas trop s'inquiéter pour elle. Elle savait que Zelda allait se rejeter entièrement la faute de cet accident et ne souhaitait pas la voir culpabiliser après la prouesse qu'ils venaient tous ici présents de réaliser.
- Princesse, ne vous affolez pas, fit la Sheikah.
La blessée avait vu juste.
- C'est de ma faute si vous vous retrouvez dans cet état ! J'ai failli tous vous tuer !
Tous avaient accepté la dangerosité de ce plan, ce n'était pas une surprise. Le refus catégorique d'Impa à son sujet lorsque la princesse l'avait informée de ses intentions était dû spécialement à cela. Et elle ne savait toujours pas pourquoi elle avait accepté une telle chose. Mais après tout, cela en avait valu le coup, non ?
- Et au lieu de ça nous avons sauvé une vie, répliqua Impa.
Cette mission appartenait maintenant au passé, c'était le plus important, mais ses conséquences, elles, étaient toujours de la partie. De ce fait, Zelda se ressaisit et se mobilisa pour guérir la magistrate adjointe, avec la certitude de ne plus jamais envisager la moindre opération similaire à l'avenir.
- Tenez bon... soupira la blonde.
Lorsqu'Impa arriva au bazar Assek, deux Gerudos qui géraient habituellement le lieu lui donnèrent un lit à l'intérieur, creusé à même la roche. Il y faisait plus frais et plus sombre, à l'abri du soleil du désert. Les deux femmes se mobilisèrent pour soigner la Sheikah, Zelda fut heureuse de recevoir de l'aide. Gabriel et Lysia s'étaient posés au bord de l'oasis, sous un palmier. Rien ne servait de faire suffoquer la blessée en étant presque une dizaine autour d'elle. Trois personnes suffisaient amplement, la princesse avait insisté sur ce point. Le père voulut tout de même attendre de savoir si Impa allait pouvoir se rétablir avant de discuter de son propre cas, il lui devait au moins ça. Il fallait en effet parler du futur le concernant lui et sa fille. Gabriel ne pouvait pas s'en aller car tout était fini. Non, s'il voulait continuer à suivre la voie de la rédemption, ce n'était guère une bonne solution.
Link, quant à lui, avait escorté Zelda comme à son habitude et avait offert également son aide jusqu'à ce que la princesse ne prenne le relais dans un domaine qu'elle connaissait beaucoup mieux que lui. Un peu plus tard dans l'après-midi, le héros sortit à l'extérieur et sentit l'air brûler sa peau. Il s'agissait des heures les plus chaudes de la journée et personne n'avait eu le temps de se changer dans une tenue plus adaptée au climat de la région désertique du royaume. Une fois arrivé au bord de l'eau, il décida de rejoindre Zelda qui avait terminé de s'occuper d'Impa. La princesse se nettoyait les mains tachées de sang dans l'oasis et semblait plutôt soulagée.
- Comment va-t-elle ? lui demanda aussitôt Link.
La princesse releva la tête en entendant sa question, la blessure d'Impa avait été très violente, elle avait pris un sacré coup. Zelda avait fait de son mieux, et selon elle et ses connaissances, la Sheikah devait se reposer pendant plusieurs mois pour une rémission complète de son muscle, sans bouger sa jambe.
- Elle devrait s'en sortir, assura la blonde. J'ordonnerai qu'on la congédie le temps qu'il faudra pour qu'elle puisse se rétablir complètement. J'imagine qu'elle rentrera chez elle auprès de sa famille, à Cocorico.
Le chevalier qui la regardait terminer de se nettoyer les paumes de mains fronça les sourcils lorsque ses yeux se posèrent sur l'avant-bras gauche de Zelda à la manche remontée. Ce dernier était toujours recouvert des plaies dont elle ne s'était toujours pas occupée. Ce qui inquiétait le héros.
- Princesse Zelda, vous n'avez pas encore soigné ces plaies...
L'Hylienne se releva afin de rassurer son chevalier servant. Étrangement, elle afficha un sourire sur ses lèvres que le prodige eut du mal à interpréter. Cela la faisait-elle rire de ne pas s'occuper de ses blessures ? Lorsque Zelda se mit à observer Lysia qui arrivait en courant vers les deux élus, les mains pleines de matériel médical, il comprit instantanément.
- Nulle inquiétude, je crois que cela sera réglé d'ici quelques secondes, fit la princesse.
De loin, la petite fille semblait en pleine forme, prête à venir en aide à quiconque avait besoin d'elle. Lysia faisait preuve d'un altruisme remarquable pour son jeune âge et on lui avait déjà fait la remarque.
- C'est étrange, elle ne m'a pas l'air très bouleversée, s'étonna le héros. Comme si rien ne s'était passé.
- Si tu veux mon avis, elle essaie juste d'oublier et fait en sorte qu'on ne lui parle pas de ce qu'elle a vécu. Je la comprends.
Link trouva cela assez normal. Il y avait à peine trois heures, elle était encore prisonnière dans sa cellule lugubre, tout avait basculé sans qu'elle ne s'y attende. Lysia était peut-être dans le déni de ce qui lui était arrivé... Ce n'était peut-être pour elle qu'un simple cauchemar effroyable qui venait de se terminer. Même si d'habitude, les mauvais rêves ne laissaient pas de traces dans la réalité...
- Je ne sais pas ce qu'on lui a fait durant ces jours d'emprisonnement mais...
Zelda rattrapa le héros en voyant que la fille de Gabriel arrivait à eux.
- Évite d'en parler en sa présence, conseilla-t-elle.
- J'ai rapporté tout ce qu'il fallait, s'exclama Lysia. Les personnes qui se sont occupées de madame Impa avec vous ont accepté de me prêter un peu de matériel. Sous l'autorisation de mon père.
La princesse avait finalement accepté d'être soignée par la petite Hylienne qui devait certainement tisser des liens plus forts avec elle car toutes deux avaient été torturées par la même personne ; à différents degrés bien sûr, mais cela repoussa vivement la solitude que pouvait ressentir Lysia. Celle-ci s'agenouilla et pria Zelda de faire de même en la rassurant.
- Ne vous inquiétez pas Votre Altesse, je ne prends pas ça pour un simple jeu. Je me suis lavé les mains et je vais vous offrir des soins dignes de ce nom.
- Je n'en doute pas.
Sous l'oeil tout de même attentif de la princesse, Lysia posa le bandage, le coton, la pommade, ainsi que l'alcool sur ses genoux. Si un problème venait à lui faire obstacle, Zelda était toujours là pour se charger de le régler, même si la petite fille savait parfaitement ce qu'elle faisait. Son père ne lui avait pas permis d'emprunter toutes ces choses pour rien. Elle remarqua que Link restait debout et la regardait faire sous un regard bienveillant, elle s'adressa à lui sans hésitation.
- Vous êtes aussi blessé, monsieur le chevalier servant ? s'interrogea-t-elle.
- Pas cette fois, non, répondit le concerné qui souriait devant cette volonté d'aider autrui.
La princesse intervint en murmurant quelques mots à Lysia qui l'écouta attentivement.
- Je crois bien qu'il est jaloux, chuchota Zelda qui savait pertinemment que le héros l'avait entendue.
- Pourquoi ?
- Eh bien, il n'est pas blessé et n'aura pas la chance d'être soigné aussi correctement.
Link souffla en entendant cette plaisanterie qui amusait bien les deux Hyliennes. Mais cela ne le dérangea pas, il n'était pas du genre susceptible. Il avait appris à reconnaître le premier et second degré chez son amie et savait quand la prendre au sérieux ou non. De plus, il se disait que si cela pouvait faire rire Lysia, c'était tant mieux. Cette dernière approcha l'avant-bras de Zelda d'elle et mouilla légèrement un coton d'alcool pour pouvoir désinfecter toutes ces larges coupures qui n'étaient pas très belles à voir... Avant d'entreprendre cette action, elle se stoppa à quelques centimètres de la zone infectée.
- Ça risque de piquer un petit peu, prévint-elle.
- Merci de l'avertissement, lui sourit la princesse.
Lysia disposa le coton rigoureusement en débutant au niveau du poignet et tapota doucement les plaies en remontant ainsi. Cela fit grimacer Zelda qui ressentait de douloureux picotements très désagréables lui envahir la surface de sa peau. Malgré cela, elle en conclut que la petite fille s'en sortait très bien et s'appliquait avec beaucoup de sérieux.
- Désolée, s'excusa cette dernière en comprenant que son geste ravivait une sensation pénible.
- Où as-tu appris tout cela ? fit Zelda.
Elle passa à la pommade cicatrisante qu'elle appliqua soigneusement ensuite avant de la laisser agir quelques secondes.
- Oncle Alan... dit-elle avec un peu de nostalgie dans sa voix. C'est toujours lui qui m'enseigne ce genre de choses. Papa, lui, m'apprend à cuisiner.
Link qui fut ravi d'entendre une telle affirmation remarqua une certaine tristesse soudaine s'emparer du visage de Lysia. Elle s'était munie du bandage qu'elle commençait à enrouler autour du bras de Zelda. Mais elle avait étrangement ralenti son action, comme si des pensées obscures venaient à son esprit sans qu'elle ne puisse rien y faire.
- Tu es très bien entourée, à ce que j'entends là, fit Link qui ne trouva que cette remarque en guise d'intervention.
- C'est vrai, confirma-t-elle d'une voix peu audible.
La petite fille continuait à faire des tours et des tours avec le tissu autour du bras de la princesse. Lorsque celle-ci remarqua qu'elle ne semblait pas s'arrêter et qu'il y avait bien assez de bandage pour guérir ses blessures, Zelda lui releva le menton.
- Lysia, tout va bien ?
La fille de Gabriel regarda fixement l'Hylienne pendant au moins cinq secondes de silence et déglutit en acquiesçant.
- Je vais bien.
Un mensonge qui ne fut avalé par aucun des deux jeunes gens. Elle ne voulait pas parler, et personne ne pouvait l'obliger, elle venait à peine d'être sauvée ! Rien ne servait de prolonger le mal-être qu'elle connaissait depuis des semaines. Lysia se reprit et retira quelques centimètres de tissu avant de terminer les soins en laissant retomber vivement ses mains sur ses genoux.
- J'ai terminé, dit-elle chaleureusement.
- Merci beaucoup. C'est du très beau travail.
- Tout le plaisir est pour moi, Votre Altesse.
Lysia récupéra toutes ses affaires qu'elle partit rendre à leurs propriétaires. Avant de quitter les deux élus, elle termina par une note plus positive.
- Je vais demander à mon père s'il n'accepterait pas de nous préparer à manger. Vous devriez avoir faim, non ? Et je veux me promener, aussi ! Je veux aller explorer les ruines que nous n'avons pas encore visitées !
Elle accéléra le pas et s'empressa de rejoindre son paternel, sous les regards de Link et Zelda, partagés entre une joie mêlée à une certaine pitié, dans le bon sens du terme.
~~~
La journée passa tranquillement et sans difficultés. Il était bientôt 21 heures, Impa dormait depuis la fin d'après-midi et la princesse avait longuement discuté avec le héros sur différents sujets importants.
Gabriel, assis et adossé contre un tronc de palmier qui ne lui faisait plus d'ombre à cette heure-ci de la soirée, contemplait les derniers rayons du soleil qui se reflétaient sur l'eau paisible à quelques pas devant lui. Lysia dormait contre lui depuis dix bonnes minutes, il y avait longtemps qu'elle n'avait été aussi détendue, la fatigue l'avait rattrapée par surprise. Link, qui venait de terminer de discuter avec un marchand ambulant du bazar, décida de le rejoindre et de s'asseoir en tailleur dans le sable devant l'homme qui l'observa faire. Dans un calme presque irréel. Il avait insisté pour parler seul à seul avec le prodige. Link était donc venu au rendez-vous.
- Merci d'avoir veillé sur elle.
La voix du père était posée et sereine. C'était peut-être la première fois que le chevalier l'entendait parler aussi calmement. Profitant de cet endroit à l'allure paradisiaque pour se remettre de leur matinée, Gabriel voulut discuter avec le héros envers qui il avait beaucoup de respect depuis qu'il avait cessé de reprendre son rôle de voleur.
- Je n'ai fait que suivre les instructions que vous aviez données, répondit modestement Link.
Gabriel approcha lentement son nez des cheveux de Lysia, la tête posée contre son épaule, et le laissa respirer une forte odeur de transpiration quelque peu désagréable. Il haussa les sourcils en soufflant et éloigna vivement son visage du crâne de sa fille.
- C'est bien ce que je pensais. On ne lui a pas permis de se laver... fit-il en riant.
- Au moins, c'est involontaire, déclara Link. À son âge, je détestais tellement ça qu'il pouvait m'arriver de passer une semaine consécutive sans bain.
Étonné d'apprendre une telle information sur le héros d'Hyrule, l'homme ne sut quoi répondre. Ce qui laissa Link un peu gêné d'avoir raconté cette anecdote de son enfance. Le père repensa aux séquelles qu'avait engendrées le séjour de Lysia au repaire des Yigas, et son sourire disparut soudainement de son visage.
- On l'a sauvagement torturée. La peau de son ventre est... complètement brûlée et il n'en reste qu'une importante cicatrice... Elle ne m'a pas encore parlé concrètement de ce qui s'est passé, mais... c'est... vraiment...
- Monstrueux, compléta le blond. Je suis sincèrement navré pour elle. Vraiment. Elle ne mérite pas d'avoir autant souffert.
Il regarda le ciel en faisant basculer sa tête en arrière jusqu'à ce que celle-ci soit retenue par le tronc d'arbre. Il sentait la respiration profonde de la petite fille sur son bras et se rendit compte que pour rien au monde il ne voulait gâcher un tel moment. Savoir qu'elle se sentait bien et en sécurité, c'était tout ce qui lui importait. Il ne souhaitait que son bonheur, et il avait fait tout ce qui était en son pouvoir depuis sa naissance pour que son enfance soit une période de sa vie qu'elle n'oublierait jamais. Il était bien clair que non, suite à tous ces évènements, Lysia n'oublierait pas.
- Tout ça doit vous paraître bien étrange, formula Gabriel.
Link le dévisagea.
- Quoi donc ? interrogea-t-il.
- Nous nous sommes battus. Je vous ai quand même frappé à trois reprises dans l'estomac...
Le prodige se remémora en détail le combat. Son adversaire masqué, ces coups qu'ils avaient dû endurer et ceux qu'il avait portés. Ce réveil brutal de la corruption dans son dos qui avait failli le tuer une fois qu'il était au sol. Si Revali ne l'avait pas sauvé de la lame de Lambda à ce moment précis, ils n'en seraient pas là à discuter en plein désert, au crépuscule.
- Ce jour-là, j'ai combattu contre le voleur Lambda, expliqua le héros. Pas vous.
Gabriel regarda ailleurs suite à cette affirmation qu'il fut surpris d'entendre. En haussant les sourcils, il adopta une expression discrètement embarrassée. À vrai dire, il ne s'était pas encore intéressé jusque-là à ce que pensait le héros de lui. Son opinion ne lui était pas d'une grande importance face à celle de la princesse par exemple. Mais ses efforts avaient aussi payé avec Link, ce qui n'était pas fort dérangeant.
- Je suis... ravi que vous fassiez cette différence... dit-il.
- La princesse Zelda m'a raconté votre histoire.
En basculant son regard sur Lysia, le blond voulut partager davantage d'informations qui pouvaient certainement intéresser le père, mais il hésita à lui en parler à cet instant.
- Il ne vous reste qu'elle, alors...
Il reprit.
- Je ne saurais dire quelle sera la finalité de votre procès, mais vous devez savoir que vous ne pourrez y échapper... Mais croyez-moi, l'avenir déjà tracé, je connais ça.
Gabriel attendit de savoir où le capitaine voulait en venir. Ce dernier réfléchit et se dit que s'il ne lui disait pas maintenant, il laisserait le père avec une question qu'il se posait depuis le début de ce périple. Il allait bien le savoir un jour, de toute manière.
- C'est pourquoi nous avons discuté durant la mission, avec dame Impa, continua Link. Et elle est du même avis que moi.
Il marqua une pause qui fit frissonner le frère d'Alan. Le sujet avait l'air important s'il mentionnait Impa, il savait qu'il allait lui parler de son futur incertain. Et même si, à première vue, les tensions entre le père et la magistrate adjointe avaient quelques peu faibli, il n'était sûr de rien. Le héros lui avoua alors la décision qu'ils avaient prise et envers laquelle Zelda ne s'opposerait certainement pas.
- Nous vous laisserons repartir chez vous, avec votre fille. Cependant, c'est la seule chose que nous pourrons faire pour retarder le jour de votre procès.
Officiellement, ce n'était ni Link, ni la Sheikah qui détenait l'avenir de l'ancien voleur entre leurs mains, rien ne le justifiait. C'était la raison pour laquelle ce procès était inévitable, c'était lui qui allait mettre les choses au clair, de manière explicite et légale. Gabriel réfléchit à ce choix. Fuir était-ce une bonne solution ? Il finirait bien par être retrouvé un jour ou l'autre, maintenant que le monde connaissait son visage. Ce fut lors de son arrivée au château qu'il se rendit compte de sa véritable célébrité. Les rumeurs couraient très vite et les gens n'avaient d'yeux que pour lui. Et bien évidemment, ce n'était guère des regards d'admiration.
- Votre père aurait adoré s'occuper de mon cas, à l'époque, dit-il.
- Il ne m'a jamais parlé de vous, répondit Link.
- Vous avez pris sa place en tant que capitaine de la garde royale, n'est-ce pas ?
Il hocha la tête.
- Ce sera donc à vous de donner les ordres pour me retrouver, mais sachez que...
- Je pourrais toujours ordonner de vous rechercher là où vous n'êtes pas.
Gabriel refusa. Il ne voulait pas faire du capitaine de la garde un complice devant le roi et les hauts placés qui se chargeraient de son jugement, même si le laisser partir sans contestation était théoriquement très discutable à ce sujet. Il était certain que la décision qu'il s'apprêtait à prendre ne pouvait être que bénéfique pour lui, du moins, psychologiquement.
- Héros Link, je compte y aller, à ce procès. Je dois payer le prix de mes actes passés. Je pense que c'est le seul moyen pour que je puisse faire la paix avec moi-même. Mais avant, je veux simplement avoir le temps de m'occuper de Lysia pour qu'elle se remette de ce cauchemar. C'est pourquoi je vous remercie infiniment de me laisser partir quelques jours.
Le père avait vaguement essayé d'expliquer son passé à Lysia, celle-ci ne l'avait pas vraiment pris au sérieux lors de la seule fois où leur sujet de discussion avait tourné autour de cela. Elle était peut-être encore trop jeune pour comprendre de telles choses ? Ou ne voulait-elle simplement pas y croire ? Gabriel ne souhaitait pas l'abandonner en partant de son plein gré vers son procès. En tout cas, ce n'était pas cet évènement qui allait les séparer à jamais, certainement pas.
- Croyez-vous qu'elle l'acceptera ? demanda le chevalier dans la foulée.
- Je lui expliquerai. Elle devra comprendre que son père n'a pas toujours été très bon et qu'il doit en subir les conséquences. C'est la moindre des choses. Pour ce qui est de la suite, je n'y ai pas encore vraiment songé.
Link reconnut là des vertus très honorables qu'on lui avait enseignées depuis son plus jeune âge. Gabriel allait tenir son engagement, se présenter seul devant le roi et laisser faire la justice, le héros n'en doutait pas.
- La loyauté et le courage sont des piliers de la chevalerie, énonça-t-il.
Le silence crépusculaire prit le dessus. En remarquant Zelda de l'autre côté de l'oasis qui discutait avec Urbosa, prévenue de leur présence près de sa cité, le prodige se releva en laissant le père et sa fille se reposer.
- Nous allons rester ici pour le reste de la soirée, informa Gabriel. Nous nous mettrons en route demain.
- D'accord.
Ils se souhaitèrent une agréable fin de soirée et ainsi, l'homme posa sa tête contre celle de Lysia et ferma les yeux à son tour avant de s'endormir dans un sommeil qui allait lui être plus que réparateur.
La neige tombait abondamment à l'extérieur, les flocons se déposaient lentement sur la fenêtre de la chambre du petit garçon avant de fondre et humidifier la vitre. Le vent sifflait, la nuit allait encore être très froide, non pas que ce n'était pas habituel à Hébra. Ce soir-là, une atmosphère étrange s'était soudainement emparée de la petite pièce plongée dans la pénombre. Ce qui donnait envie à son propriétaire de fuir. Il ne savait pas pourquoi, mais il sentait que quelque chose était en train de mal se passer.
Suite aux ordres de son père, il avait pris peur et s'était caché sous son lit, allongé à plat ventre, les planches de bois poussiéreuses contre son visage. Les cris qu'il avait entendus au rez-de-chaussée l'avaient terrifié. Recroquevillé sur lui-même, il ne savait plus quelle était la meilleure solution. Son rythme cardiaque s'emballait mais il devait rester calme et silencieux, en espérant que cela allait pouvoir le sauver de cette menace inconnue qui semblait s'être abattue sur ses parents.
Le petit garçon pensait avoir entendu la voix de son grand frère, et il ne s'était pas trompé. Arthur perçut une aura malsaine s'emparer de la maison, tout était pourtant si calme ce soir-là... Le silence morose témoignant de la grande tristesse dans laquelle lui et sa famille vivaient depuis quatre ans s'en était allé si vite... Au bout du compte, peut-être que le cadet s'était fait à cette vie sans son frère, sans savoir où celui-ci se cachait. Il avait appris à se taire lorsque des disputes intenses apparaissaient dans le foyer, toujours en raison du même sujet. Il avait commencé à faire son deuil depuis bien longtemps, faisant face à une vérité que personne ne voulait lui révéler, que personne ne voulait croire. À quoi bon continuer à se mentir lorsque la réalité nous chuchotait clairement dans l'ombre que la mort s'était mêlée de toute cette histoire ?
Du haut de ses dix ans, Arthur comprit tout de même que rien n'allait pouvoir les sortir de cet état mis à part le retour de son aîné. Et ce soir-là, ce dernier semblait avoir pris la décision de réapparaître... compte tenu de l'évolution de la situation, le petit frère se demandait si c'était tout compte fait une bonne nouvelle... Il écouta ce qu'il se disait jusqu'à ce que les choses s'accélèrent subitement.
- Va t'occuper de l'enfant, fit la voix de son frère.
- Brad ! Aie pitié ! s'opposa celle de son père.
Arthur déglutit et écarquilla les yeux de peur. Les marches des escaliers qui menaient à sa chambre se mirent à grincer dans un bruit angoissant. Quelqu'un montait. Qu'allait-il advenir de lui s'il restait ici sans bouger ? Il fallait qu'il parte coûte que coûte.
Il déplaça sa tête de quelques centimètres et celle-ci vint heurter un petit morceau de bois qui brisa le silence dont il essayait de faire preuve. Arthur attrapa la figurine et la regarda de son air neutre et impassible pendant que la personne qui montait marche après marche s'approchait dangereusement de sa chambre. Il serra l'objet contre lui en fermant les yeux lorsqu'il s'aperçut que ce n'était rien d'autre qu'une statuette de la déesse Hylia. Il la pria de tout son coeur de le sauver, car il venait de prendre sa décision.
Sans attendre plus longtemps, Arthur se dégagea du dessous de sa couche et accourut jusqu'à son petit sac qu'il avait lui-même confectionné. Il y plaça tout ce qui lui passa par la tête avant de se sauver, c'est-à-dire la figurine d'Hylia, quelques jouets et vêtements qui traînaient à même le sol ainsi qu'un livre sur l'art du combat à l'épée que lui avait prêté sa tante. Les grincements avaient terminé de retentir derrière la porte de sa chambre, la personne qui lui voulait certainement du mal devait se trouver juste derrière elle...
Arthur attrapa son bagage avant de se diriger vers l'unique fenêtre de la pièce. Il l'ouvrit et soudain, une vague de froid déferla sur son visage, ce qui le fit hésiter quelques secondes. Allait-il vraiment sortir seul, en pleine nuit, de cette température glaciale fidèle à sa région ? C'était de la folie... mais rester ici l'était tout autant.
Un hurlement d'effroi retentit. Celui de son père. Arthur sentit les larmes lui monter aux yeux. Il jeta son sac par-dessus la fenêtre, ses affaires atterrirent dans un buisson enneigé qui amortit leur chute, en contrebas. Le petit garçon passa ensuite sa tête à l'extérieur pour examiner la hauteur. Il devait bien y avoir au moins trois mètres.
- Il serait préférable pour toi de rejoindre tes parents, petit.
Il se retourna en sursautant. Un grand homme aux cheveux noirs se tenait debout et immobile devant lui. Sa voix suave s'opposait totalement à l'atmosphère qu'il installait avec sa présence dérangeante. Arthur se figea en scrutant le visage de son interlocuteur qui affichait un air mélancolique. Il s'agissait d'Alan.
- Autrement, tu chercheras plus tard à les fuir lorsque tu t'apercevras qu'ils ne sont plus comme tu les connaissais. Et qui dans ce monde souhaiterait fuir à tout prix ses propres parents ? Des parents que tu aimes, et qui t'aiment ?
Il avait un parfait exemple en tête qui raviva une colère que jamais le garçon n'avait encore pu exorciser. Il l'avait toujours gardée pour lui. Alan fit un pas en avant qui incita Arthur à passer une première jambe dans le vide extérieur.
- Mon frère l'a bien fait, lui ! dit-il, à cheval sur le rebord de sa fenêtre.
- Je suis là pour ton bien. Agis avec raison, et viens à moi. Rejoins-nous. Le Seigneur Ganon te protégera.
Ce nom... il l'avait déjà entendu quelque part... Tout le monde en parlait ces dernières semaines. Durant son séjour chez son oncle et sa tante, à la citadelle d'Hyrule, nombreuses étaient les personnes mentionnant cette entité maléfique. Et même s'il n'avait pas encore l'âge d'en apprendre davantage sur cette légende vieille de la nuit des temps, Arthur savait que cette appellation n'était pas bon signe.
Alan s'avança encore d'un pas, installant une pression chez le petit garçon qui fit le choix de sauter juste avant que la vitre de sa fenêtre ne vole en éclats lorsqu'une traînée de corruption la traversa. Il atterrit dans de la végétation enneigée qui avait un peu réduit ses chances de se casser une jambe. Fort heureusement, il s'en était sorti pour le moment malgré l'apparition très probable de futurs et douloureux hématomes aux genoux. En récupérant son sac qui était tombé au même endroit, il courut aussi vite qu'il le put vers la sortie du village de Tabanta. Il jeta un oeil derrière lui, il vit sa maison recouverte de neige et trois masses noires en jaillir, l'une troua le mur porteur de gauche, l'autre de droite, et la dernière passa par le toit, s'échappant vers le ciel. Et ce simultanément dans un son assourdissant. Ces trois personnes corrompues s'éparpillèrent dans le brouillard.
Le vent lui gelait la peau, il fallait qu'il trouve un endroit sûr où passer la nuit, sous peine de mourir de froid dehors. Lorsqu'il atteignit l'entrée de son village, Alan fit brusquement son apparition en barrant la route à Arthur qui trébucha avec son sac, celui-ci laissant s'échapper la petite figurine d'Hylia qui se réceptionna dans la neige.
Les iris teints d'un rouge vif, l'homme s'apprêtait à corrompre le garçon sans défense. De ses mains émana une aura fidèle à celle du Fléau qui flotta dans les airs comme un gaz en se dirigeant directement vers Arthur. Celle-ci s'approcha, de plus en plus, le petit frère de Brad reculait à même le sol, effrayé. Des sons maléfiques et des particules noires naquirent.
Mais Alan grogna lorsque son attention vint instinctivement se porter sur ce jouet de bois représentant la déesse. Il ne voulait pas, mais c'était plus fort que lui. Il le savait, ou du moins, la partie de Ganon qui vivait en lui le savait...
On voulait lui faire passer un message.
L'aura maléfique se dissipa, et Arthur récupéra avec hâte la figurine. L'inaction du corrompu le perturba, Alan se contentait de le dévisager tout en affichant un air d'incompréhension. Il avait une très forte impression de déjà-vu qui l'avait littéralement figé. Le petit frère de Brad en profita bien évidemment pour s'enfuir en allant se cacher derrière un tronc d'arbre plus loin. La tempête de neige empêchait de voir à plus de quelques mètres et il espérait que cela le sauverait.
Alan ne voyait que la déesse Hylia dans son esprit, il ne pouvait pas faire autrement. Sa corruption développa une haine incommensurable envers cette dernière, et ses pensées le torturaient durement. Le frère de Gabriel gesticula et poussa un fort cri de colère avant de s'agenouiller à même la neige jusqu'à ce que la totalité de son corps ne soit recouvert de corruption pendant quelques secondes. Une fois cette sorte de crise passée, il souffla et la déesse disparut de sa tête. En relevant le regard, il vit Brad accompagné de Maëlle et Daniel.
- Tu l'as eu ? demanda le chevalier en faisant abstraction de cette étrange scène.
Alan se redressa.
- Laisse tomber, dit-il. Il n'était de toute évidence pas un réceptacle assez grand pour l'étendue des pouvoirs que le Seigneur Ganon veut nous offrir. Un enfant faible ne peut pas supporter une telle force.
- Mais il risque de comprendre et révéler ce que nous préparons, répliqua Brad.
- Un gosse comme lui ne tiendra jamais la nuit dans une température aussi basse. Il sera mort avant l'aube.
Le brun souffla pour faire savoir son mécontentement. Comment avait-il pu échouer devant son frère de dix ans ? Alan s'excusa et reprit dans la foulée.
- Il vaudrait mieux passer à la suite et ne pas perdre de temps.
Le groupe des quatre corrompus s'éjecta vivement vers le ciel nocturne avant de disparaître à travers le brouillard et les flocons de neige, partant mettre au point la suite de ses desseins.
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Les rayons du soleil passaient sans difficultés à travers la fenêtre de cette tour du château. Ils venaient se déposer sur un livre dont les pages avaient par conséquent gagné en température, la princesse les tournait en sentant le papier chaud sous ses doigts. Dans la petite pièce circulaire, de nombreuses étagères en bois recouvraient les murs, là où étaient posés divers matériaux antiques et différentes fioles consacrées à l'étude de la flore d'Hyrule et de ses bienfaits. C'était en quelques sortes le petit coin de paradis de Zelda qui pouvait passer des nuits entières à étudier ici. En cet après-midi ensoleillé, elle avait invité Link à la rejoindre afin de lui partager son passe-temps qu'était la lecture d'anciens manuscrits d'archéologie qui regorgeaient encore de beaucoup de mystères à élucider.
Presque une semaine était passée depuis leur retour de leur mission au repaire des Yigas, et leur vie au château d'Hyrule avait repris son cours, comme si rien n'était arrivé. Impa était rentrée au village de Cocorico, l'absence soudaine de la magistrate adjointe inquiétait et avait fait beaucoup parlé ces derniers jours...
Zelda, le nez plongé dans ce vieil ouvrage qu'elle lisait avec passion depuis quinze longues minutes, faisait part de ses différentes hypothèses en ce qui concernait l'abondance des reliques trouvées selon les régions d'Hyrule avec Link. Mais c'était une conversation à sens unique, le héros se contentait de confirmer les dires de la blonde d'un même hochement de tête, celui qui leur rappelait le début de leur relation. La princesse soupira et referma le livre avant de se tourner sur sa chaise vers le chevalier, assis sur un tabouret un peu plus en arrière.
- Je vois bien que cela ne t'intéresse pas... souffla-t-elle. Tout le monde n'est pas obligé d'aimer ce domaine, je ne t'en veux pas, tu sais.
- Non, continuez. Je souhaite en apprendre davantage.
Ça, elle l'avait bien remarqué depuis quelques jours, et ce comportement était assez intriguant. Link qui prenait de son temps pour la technologie sheikah... À vrai dire, depuis leur retour, il n'agissait plus vraiment comme il en avait l'habitude. Il s'imposait plus facilement lors des conversations, son estime de soi s'était accrue, et il avait adopté des façons de s'exprimer qui ne lui ressemblaient absolument pas. Parfois, Zelda pensait entendre Revali, même si Link se rattrapait de justesse l'instant d'après. Suite à l'insistance du chevalier qui voulait qu'elle poursuive la lecture, la princesse lui assura que cela ne servait à rien.
- Si je rentre dans les termes scientifiques, je risque de te perdre en cours de route.
Le héros s'excusa de ne pas avoir suivi ce qu'elle lui racontait depuis plusieurs minutes et lui sourit en maintenant son désir d'apprentissage.
- Je retiendrai l'essentiel. Et je pourrais... passer le reste de mon après-midi à la bibliothèque.
Zelda retint de toutes ses forces un rictus qui désirait s'installer sur ses lèvres. Ce n'était pas convenable de se moquer ainsi de Link qui s'ouvrait à ce milieu. Bien évidemment, le voir à la bibliothèque ferait plaisir à la princesse, mais d'un autre côté, tout était allé si vite qu'elle se demandait ce qui l'avait poussé à un changement si brutal. Elle porta une main pour cacher sa bouche, mais le capitaine avait bien remarqué que sa remarque avait amusé Zelda.
- Toi ? Tu ferais ça ? s'étonna l'Hylienne.
- Pourquoi ne pourrais-je pas ? s'interrogea le héros en refroidissant l'atmosphère.
Le sourire de la princesse s'évapora aussi vite qu'il était apparu, elle fut stupéfiée par la froideur si particulière dont son chevalier servant venait de faire preuve avec elle. Link semblait vexé, se sentait-il jugé ? Pourtant, son "aversion" pour la lecture n'était pas une surprise et les élus avaient déjà ri de cela un grand nombre de fois. Son comportement mit mal à l'aise la princesse qui, instinctivement, regretta de s'être moquée.
- Pardonne-moi, je me demande simplement ce qui te pousse à autant t'investir dans ce domaine depuis ces derniers jours... Je t'avais proposé de t'expliquer quelques petites choses et voilà que tu consacres presque tes journées à cela !
- Je m'intéresse seulement à votre passion, Princesse Zelda.
Elle haussa un sourcil.
- Très amusant, mais je ne te crois pas.
Le héros reporta son regard vers le sol, n'osant point répliquer. Ce qui, manifestement, montrait que ce n'était pas la raison pour laquelle il agissait comme tel, ou du moins, ce n'était pas la seule. Zelda argumenta ses propos.
- Link, tu as passé ta journée d'hier aux côtés de Pru'ha et des autres Sheikahs des quartiers de recherches. Il y a deux jours, je t'ai vu fouiller dans les mécanismes d'un Gardien hors-service. Non pas que cela ne me réjouisse guère, mais comment se fait-il que tu prends autant de ton temps pour ces choses-là, maintenant ?
- Je ne saurai comment vous le formuler autrement, c'est... en partie la vérité.
La princesse se recula sur sa chaise et s'appuya contre le dossier de celle-ci en croisant les bras, dubitative. Link ne lui disait pas tout, alors que les deux jeunes gens avaient établi une relation de confiance mutuelle entre eux. Cela ne stipulait pas qu'ils devaient n'avoir aucun secret, mais la blonde pensait qu'il lui aurait tout de même parlé.
- Donc tu t'affectionnes tant la technologie antique simplement car j'y consacre une partie de mon temps libre ? Et en as-tu une véritable volonté, au moins ?
- Je ne me force pas, je vous assure.
- Mauvaise réponse, Héros d'Hyrule. Combien de fois vais-je devoir vous rappeler que...
- Je ne sais pas mentir...
Link esquissa un sourire embarrassé. Il fallait qu'il cesse d'essayer ce genre de choses qui ne fonctionnaient plus - et qui d'ailleurs n'avait jamais fonctionné - avec son amie. Il ne savait pas réellement la raison pour laquelle il avait un comportement si différent ces temps-ci, c'était comme si quelqu'un d'autre l'incitait à bouger, parler, penser autrement.
- Nous nous faisons confiance, je te rappelle, fit Zelda. Si quelque chose te tracasse, tu peux m'en parler, tu devrais le savoir.
Il ne savait pas pourquoi une telle chose le dérangeait depuis un certain temps alors qu'il pensait être passé à autre chose, mais effectivement, une certaine pensée le perturbait dans son quotidien et Link souffla.
- Il est vrai que je me suis senti assez désemparé durant vos recherches dans ce que vous avez appelé le "Sanctuaire de la Renaissance", dit-il à mi-voix.
- Ta présence était plus que nécessaire, tu étais loin d'être sans intérêt. Cela te mine encore aujourd'hui ?
- Je me disais qu'il pouvait être plus agréable pour vous de pouvoir discuter sur des sujets technologiques avec quelqu'un qui s'y connaissait un minimum, lors de vos voyages.
Zelda laissa échapper un hoquet de surprise suite à cette explication qui la laissait sans voix.
- Ce n'est pas en passant ton temps aux côtés des chercheurs sans en avoir l'envie que tu en sauras plus, Link ! Je suis très heureuse de pouvoir partager mon savoir avec toi et t'apprendre de nouvelles choses. Ne crois-tu pas que je suis assez grande pour savoir avec qui je souhaite discuter ? Je te trouve très étrange depuis ce début de semaine... J'ai besoin d'une protection lorsque je sors du château, cela est un fait, mais de là à vouloir me protéger d'une lassitude fictive que je pourrais ressentir en ta présence, ne trouves-tu pas cela un peu excessif ? Crois-tu réellement que j'ai organisé ce pique-nique pour le partager avec quelqu'un qui m'ennuie ?
La princesse remit les idées en place dans l'esprit de son chevalier servant. Oui, elle avait raison, ce n'était pas des choses dont Link devait se préoccuper, d'une part car ce n'était pas son rôle premier et d'autre part, il s'était imaginé un problème inexistant. Zelda le lui fit bien comprendre. Le ton qu'elle avait employé était avant tout utilisé dans l'optique de le rassurer, mais ce dernier était aussi mêlé à un peu d'agacement que la blonde dissimula tant bien que mal. Le héros passa une main dans ses cheveux avant de hocher négativement la tête, ne comprenant pas ce qui l'avait mené à agir aussi différemment.
- Toutes mes excuses... formula-t-il. Je... ne sais pas ce qui m'a pris.
Zelda remarqua sa gêne, elle resta plongée quelques secondes dans ses yeux puis se leva et atteignit un livre de plusieurs centaines de pages qui était posé à l'autre extrémité de son bureau. Elle souffla avec entrain dessus pour en dégager toute la poussière qui s'était accumulée sur la couverture avant de le tendre à Link.
- Prends ceci. Et lis-le seulement lorsque tu en auras la volonté, c'est ainsi que tu prendras plaisir à étudier les reliques. Mais arrête-toi au douzième chapitre, la suite te sera trop complexe si je ne t'explique pas moi-même.
- D'accord.
Le héros récupéra l'ouvrage et fut surpris du poids que celui-ci pesait. Combien de tonnes de notions et de termes complexes y avait-il à l'intérieur ? Si en savoir davantage sur les sciences sheikahs était un véritable souhait de Link, alors cela ne devrait pas le décourager. Il s'y intéressait vraiment, de plus en plus, et si la princesse prenait plaisir à lui apprendre ce qu'elle savait, ce qui en résultait ne pouvait être que bénéfique. Link devait simplement y aller à son rythme, et pour lui.
- Merci, fit-il, embarrassé.
- Je l'ai lu lorsque j'avais onze ans, informa Zelda. Ce sont principalement les bases ainsi que quelques idées un peu plus avancées, n'hésite pas à me demander si certaines informations te paraissent floues.
Les bases ? Seulement les bases ? Le blond déglutit en observant la couverture du livre, intitulé "La révolutionnaire science des Sheikahs".
- Je n'oserai pas vous faire perdre votre temps pour moi, dit-il.
- On ne perd jamais son temps en partageant ses connaissances.
Zelda se dirigea vers la porte qui menait à la muraille reliant ses appartements à son étude, elle tourna la poignée de celle-ci et invita Link à la suivre. La princesse tendit l'oreille à travers l'entrouverture qui laissait passer un frais courant d'air venant rafraîchir la pièce close.
- Je crois qu'un Gardien est en action près des jardins, que dirais-tu d'aller y jeter un oeil ? proposa-t-elle.
Le héros accepta avec plaisir lorsqu'il vit les yeux de l'Hylienne s'illuminer en entendant le bruit mécanique de la machine fonctionnelle. Elle n'avait pas encore eu l'occasion d'en voir un en parfait état de marche et il lui tardait d'aller contempler cet exploit que tous attendaient de réaliser. Zelda passa devant et marcha à pas précipités jusqu'aux créneaux de la muraille où elle se pencha pour voir le plus distinctement possible ce Gardien animé d'une énergie bleutée et orangée à l'intérieur de son mécanisme. Link la suivit, son livre toujours entre les mains.
- Regarde ! s'exclama la princesse. C'est formidable, nous arrivons à présent à faire fonctionner ces machines en toute sécurité ! C'est une excellente nouvelle !
Accompagné d'un Sheikah en contrebas, le Gardien se déplaçait machinalement de plusieurs mètres avant de se stopper et repartir dans une autre direction que le chercheur lui avait ordonné d'un geste simple de la main. Cette facilité de contrôle stupéfia les élus des déesses, Link restait bouche bée devant cette démonstration improvisée de la manipulation de ces bêtes mécaniques imposantes. Une centaine de Gardiens du même genre, et ils pourraient faire preuve d'une puissance remarquable face à Ganon.
- Nos études sur les coeurs antiques nous ont permis de reconnaître certaines anomalies qui se présentaient lors de nos sessions de tests. Comme tu peux le voir, le détecteur de mouvement intégré dans la tête du Gardien est beaucoup moins sensible et cela nous évite des dégâts involontaires. Il est maintenant capable de reconnaître aisément une cible et de déterminer si cette dernière est composée de rancoeur du Fléau.
Cela plut beaucoup au blond qui avait dû se confronter au rayon laser d'un autre de ces spécimens quelques semaines plus tôt. Ce dernier avait tiré son feu destructeur où bon lui semblait à plusieurs reprises sans analyse ni visée au préalable...
- Comment fait-il pour se déplacer aussi précisément avec ses pattes articulées ? demanda-t-il à Zelda, agréablement surprise de cette intervention.
- Il y a quelques paragraphes sur les Gardiens dans le livre que je t'ai prêté, tu pourras ainsi en savoir plus et entrer dans les détails.
Elle reporta son attention sur la machine qui se baladait dans les jardins ouest du château.
- À ce rythme-là, nous aurons tôt fait de parfaitement maîtriser les créatures divines. Et nous pourrons faire face à Ganon, le moment venu !
- Que faites-vous ici ? lâcha soudainement une voix grinçante qui fit sauter un battement au coeur de la jeune femme.
À leur gauche, Rhoam Bosphoramus Hyrule apparut devant eux, marchant d'un pas assuré, et le regard austère. Lentement, l'expression joyeuse de Zelda se fana aussitôt sur son visage et se transforma en un air peu serein. En refermant les poings, elle s'attendait bien entendu à une énième réprimande de la part de son père qui ne paraissait pas de très bonne humeur, ce jour-là. Link s'agenouilla devant son souverain en serrant d'un bras l'ouvrage qu'on lui avait prêté contre lui, posant ainsi son autre avant-bras sur son genou, tête baissée.
- Link et moi observions ce Gardien... répondit timidement la princesse. Nous discutions sur ces nouveaux progrès qui portent leurs fruits de nos recherches. Nous devons tout savoir sur l'étude des reliques si nous voulons nous confronter à la Calamité.
Au fond d'elle, elle savait que cette explication allait déplaire au roi d'Hyrule qui jeta un discret regard au Gardien. Cette situation, elle avait l'impression de l'avoir vécue un nombre infini de fois... Zelda baissa le regard comme toujours lorsqu'elle interagissait avec son père. Les dîners qu'elle partageait autrefois avec lui étaient beaucoup plus conviviaux, c'étaient là les seuls moments dans la journée où l'Hylienne pouvait discuter avec son paternel sans réflexions de sa part. Mais depuis qu'elle s'en était allée nommer les prodiges aux quatre coins du royaume, ces repas avaient complètement disparu de sa vie.
- C'est exact, nous devons tout savoir, répondit Rhoam Bosphoramus. Mais vous savez aussi que cette tâche est déjà entre de très bonnes mains, n'est-ce pas ? Ce n'est pas là la priorité de la princesse d'Hyrule. Combien de fois devrais-je encore vous rappeler à l'ordre afin que vous cessiez de négliger vos responsabilités ?
Zelda s'opposa à cette idée.
- Je ne les néglige pas ! Je suis allé prier à la source du Courage, il y a quelques jours. J'y ai donné toute mon énergie, même si le résultat n'a pas été concluant...
- Était-ce la seule raison de vos voyages, ces derniers temps ?
Une vague de frissons s'empara d'elle, Zelda savait qu'elle ne pourrait pas mentir, et elle ne le souhaitait pas. À côté d'elle, Link serra les dents en comprenant à quoi le roi faisait référence. Visiblement, aucun d'entre eux n'avait pensé à cette option, mais les rumeurs couraient quotidiennement, la cour et les domestiques étaient de véritables surveillants de la vie de la princesse. De vrais espions ! Chaque action qu'elle entreprenait, chaque personne avec qui elle discutait, chaque mot qu'elle prononçait. Rien ne leur échappait, et il ne fallait que très peu de temps pour que le souverain soit au courant, qu'elle le veuille ou non. Une fois que Zelda sortait de ses appartements, c'était un véritable réseau de ragots et de potins sur sa personne qui se présentait.
- Com... comment ? balbutia-t-elle.
- Vous croyez peut-être que je ne suis au courant de rien ?
Elle resta silencieuse un temps.
- Je... commença-t-elle avant d'être coupée.
- Un prisonnier est absent de sa cellule depuis plus d'une semaine. Dame Impa est dans l'incapacité de pouvoir assurer ses fonctions de magistrate adjointe. Comment avez-vous pu oser faire une telle chose ? Comment ma propre fille a-t-elle pris une décision aussi grave ?
La colère du roi se manifestait de plus en plus dans le ton qu'il employait. Zelda ferma un instant les yeux en recevant cette fureur qui, d'un côté, était compréhensible pour un père qui découvrait les agissements inconscients de sa fille.
- Tout le monde est au courant ! La princesse d'Hyrule collabore avec le plus grand criminel que le royaume n'a jamais connu ! Vous vous êtes rendue chez les Yigas, avez-vous la moindre idée du danger dans lequel vous vous êtes aventurée ?
- Ce n'est pas ce que vous croyez.
- Devrais-je le comprendre autrement ?
La princesse porta ses deux mains contre elle et s'avança d'un pas pour tenter de convaincre le roi.
- Je vous en conjure, Père, attendez le jour de son procès. J'y participerai et je vous expliquerai dans le détail ce qui m'a poussé à agir ainsi.
- Cela suffit ! J'en ai assez entendu ! En plus de passer tout votre temps sur ces reliques, vous faites preuve d'une insouciance et d'une imprudence inacceptables ! Vos actions font scandale dans toute la citadelle ! Et durant ce temps-là, vous pensez que le pouvoir du sceau s'éveillera sans le moindre effort de votre part ?
Ces paroles étaient dures à entendre... Très dures lorsque l'on mettait tout en oeuvre pour réussir depuis une décennie, cela l'affligeait beaucoup. Elle avait pris l'habitude de recevoir ce genre de discours, mais jamais le roi n'avait été aussi sévère. La blonde sentit un poids se former dans sa poitrine et les larmes lui monter aux yeux. Ne comprenait-il donc pas ? Croyait-il que la méditation était si facile que cela ? Elle avait réalisé tous les efforts possibles, absolument tous ! La pression qu'on lui infligeait n'allait que la tirer vers le bas, et pourtant, il continuait à lui faire part de ce même état d'esprit. Car il ne semblait pas voir la réalité des choses : Zelda était fatiguée de l'échec. Accablée. Anéantie.
Par Hylia... si sa mère n'avait pas disparu, si son guide ne s'était pas éteint brusquement, elle lui aurait sûrement partagé beaucoup de choses qui peut-être auraient pu l'aider à aller de l'avant... Plus les jours passaient avec cette idée dans sa tête qu'elle était incapable d'accomplir son devoir, et plus Zelda avait tendance à donner raison à son père. Elle-même ne se comprenait plus.
- Je fais tout mon possible, Père ! répliqua la princesse d'une voix tremblante.
- Mensonge ! Dorénavant, je vous interdis de vous approcher de ces reliques. Je vous interdis également, jusqu'à nouvel ordre, de sortir de l'enceinte du château hormis ce qui concernera la méditation ! Je ne peux pas prendre le risque de voir ma fille s'aventurer de nouveau dans un endroit d'où elle ne reviendrait pas, cette fois !
Link qui assistait pleinement à cette scène se retint de toutes réflexions. La princesse vivait-elle ce genre de chose chaque jour ? Si tel était le cas, le héros en était vraiment désolé, il se souvint des mots d'Urbosa, elle n'a pas la vie facile... Link en avait à présent une véritable preuve tangible. Une forte envie de s'opposer aux propos du roi naquit en lui, le prodige avait été témoin de tous les efforts qu'avait fournis Zelda lors de leur voyage jusqu'à la source du Courage, comment pouvait-il lui adresser des mots aussi durs ? Dans l'incompréhension, Link soupira silencieusement. Rhoam Bosphoramus se déplaça jusqu'à l'extrémité de la muraille pour y observer la citadelle d'Hyrule de loin.
- Savez-vous comment ils vous voient, tous ? la questionna-t-il. Savez-vous au moins comment ils vous considèrent ?
Oui, elle le savait. On tâchait de lui rappeler chaque jour.
- Comme une princesse ratée, inconsciente et irresponsable, qui ne se soucie en rien du devoir qu'elle est vouée à accomplir depuis sa naissance.
La princesse s'était décomposée durant cette ultime intervention. Sourcils froncés, tête baissée, elle se sentait indigne. Elle ferma les paupières une nouvelle fois et déglutit afin d'éviter que l'eau ne coule sur ses joues.
- Montrez-leur, ma fille. Prouvez-leur qu'ils se trompent tous. C'est compris ?
Du côté de Link, celui-ci ressentit une chaleur soudaine lui réchauffer les entrailles lorsqu'il perdit le contrôle de son propre corps et se redressa subitement en gardant toujours le livre ancien dans les mains. Il ne pouvait rester muet après cela, c'était plus fort que lui. Ce n'était pourtant absolument pas dans sa nature d'être impulsif. Il regarda droit devant lui et adressa quelques mots au roi d'Hyrule qui fut ahuri de le voir prendre une telle initiative.
- J'ai accompagné Son Altesse durant tous ses voyages depuis ma nomination en tant que chevalier servant. Tous, sans exception. Y compris jusqu'à la source du Courage. Je crois, sans vouloir vous offenser, Votre Majesté, que vous faites fausse route. Je l'ai vue faire tout ce qui était en son pouvoir pour tenter de réveiller le pouvoir du sceau, je puis vous assurer qu'elle y porte de la rigueur, du sérieux, de la volonté, et de la détermination comme je n'en ai jamais vue. Bref, une très grande importance. Seulement...
Il marqua une pause.
- Je crains que ce qui lui manque soit des encouragements.
Zelda avait détourné le regard tandis que son père se mit encore plus en rogne. Son front se rida promptement et le héros sut pertinemment qu'il venait de commettre une très grave erreur.
- De quel droit osez-vous intervenir sur un sujet qui ne vous concerne absolument pas ?
- Il nous concerne tous. C'est l'avenir d'Hyrule qui est en jeu.
Bon sang ! Pourquoi continuait-il ? Il était déjà allé beaucoup trop loin et pourtant quelque chose le poussait à continuer de prendre la défense de la princesse.
- Je devrais vous retirer vos fonctions pour avoir accompagné ma fille dans un lieu aussi hostile ! Vous faites honte à votre père !
- Peut-être qu'une aide morale apportée à Son Altesse pourrait lui permettre de...
- Assez !
Le cri du roi résonna. Cette étrange chaleur que ressentait le prodige au plus profond de lui disparut suite au silence pesant qui venait d'être installé, et qui laissait percevoir les bruits mécaniques du Gardien non loin de là. Link, confus, s'agenouilla comme chaque personne de son rang devait le faire devant son souverain. Quelque chose avait influencé son caractère et sa personnalité, et ce fut en comprenant cette idée qu'il eut une hypothèse plus que probable sur la raison de ses agissements anormaux.
- Vous êtes le chevalier le plus talentueux du royaume, le Héros élu des déesses, mais lorsque j'apprends que ce même héros emmène ma fille dans des endroits aussi dangereux, je ne peux que prendre la décision de vous retirer votre titre de chevalier servant de façon permanente. Dans tous les cas, ma fille n'en aura plus besoin dans l'enceinte du château.
Zelda soupira tristement.
- Ne vous avisez plus jamais de m'adresser la parole ainsi, reprit-il.
- Je vous présente mes excuses... fit Link.
- Vous partirez avec une escorte pour la source de la Force dans les trois jours qui viennent, c'est un ordre.
Sur ces mots adressés à la princesse, Rhoam Bosphoramus fit demi-tour et s'en alla d'un pas lourd. Link se releva, mal à l'aise, et Zelda resta immobile le regard perdu dans ses pensées. Dix secondes s'écoulèrent avant que le héros ne tente une interaction avec son amie.
- Je...
- Tu pensais peut-être te faire retirer encore plus de titres ? C'est cela que tu voulais ?! Link, qu'est-ce qui t'a pris, par toutes les déesses ?!
Elle avait encore raison, il n'aurait jamais dû la défendre ainsi, même si cela partait d'une bonne intention. Ce n'était pas le fond qui dérangeait Zelda, au contraire, elle avait trouvé assez flatteur tout ce que Link avait mentionné pour s'opposer à son père, mais le héros s'était mis en danger et en subissait les conséquences... Si ses échecs commençaient à impacter la vie de son ami, c'était encore pire ! La princesse, bouleversée par ce qui venait de se produire, démontra une colère - due à la honte qu'elle ressentait - envers le prodige qui la faisait culpabiliser.
- Je... je crois que... c'est la corruption... révéla Link.
Elle se remémora qu'Impa l'avait informée que le reste de corruption toujours en Link pouvait en effet avoir une modification sur sa personnalité, mais elle ne pensait pas tant... Sur le moment, elle n'eut que faire de ces explications qui élucidaient bien des mystères.
- Dans ce cas, tâche de garder le contrôle sur toi-même à présent ! répondit Zelda. Fais en sorte que cette chose ne te transforme pas de nouveau en un Link différent de mon véritable ami !
Elle se dirigea vers son étude tandis que le héros resta à sa place.
- Princesse Zelda, je suis sincèrement désolé...
- Link, je ne te retiens pas. J'ai besoin d'être seule.
Une princesse ratée...
Incapable d'accomplir son destin...
Irresponsable...
Inconsciente...
... Ratée...
En somme, ce n'était qu'une bonne à rien pour son peuple... selon elle, il n'y avait que cette explication. Zelda claqua la porte derrière elle avant de sentir quelques larmes sur son visage. Elle regarda les nombreux papiers étalés sur la table de son étude. Depuis plusieurs jours, elle avait indiqué de nouvelles pistes de recherche dans la méditation, comme lui avait conseillé Link. "Repartir de zéro, de nouvelles bases, autre état d'esprit ? Autre méthode ? Faire abstraction de toutes pensées, quelle qu'elles soient ?". Ses différentes idées s'étalaient sur plusieurs morceaux de parchemins.
La princesse les attrapa tous et les empila avant de déchirer rudement toutes ses hypothèses qu'elle jugeait inutiles après avoir entendu un tel discours. Les bouts de papiers se multiplièrent, encore et encore dans les mains de Zelda, dévastée. Elle les jeta sur le bureau mal rangé dans un cri de colère mélangé à ses sanglots. En dix ans de découragement, elle commençait à toucher le fond du gouffre. Si la prêtresse du royaume ne parvenait pas à trouver comment réaliser son devoir, peut-être qu'en fin de compte, elle était également vouée à disparaître avec le reste d'Hyrule...
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Le lendemain, des rideaux filtrant la lumière du jour matinale furent tirés en un instant. La pièce obscure et chaude s'éclaira en illuminant la commode placée face à la fenêtre où passait le soleil, seule une ombre enfantine se démarqua dessus. Emmitouflé dans sa couverture qui n'était plus bordée sur les coins du lit, quelqu'un lâcha un gloussement grognard, comme si l'ours se réveillait de son hibernation. Pour lui, il était tôt ; pour elle, il était tard. Lysia se jeta sur le lit double place pour secouer le matelas, et faire lever la marmotte ! Elle y rebondit telle une sauterelle avant de continuer à embêter son père qui n'avait aucunement l'intention de bouger. Surexcitée à l'idée de vivre une nouvelle journée avec lui, la jeune fille savait que si elle attendait qu'il se lève de lui-même, elle ne profiterait pas assez longtemps de ce qu'ils avaient prévu de faire.
Lysia perçut le long soufflement de nez de Gabriel et elle soupira en s'allongeant sans grâce par-dessus la couette, à côté de lui. Ses cheveux blonds étalés sur l'oreiller, elle scrutait le plafond de bois sous ses yeux et se posa un tas de questions sur la fabrication d'une maison aussi grande que celle dans laquelle ils vivaient à deux. C'était la plus prestigieuse de l'Etape d'Hyrule ! De quoi s'en vanter. Son inépuisable esprit d'enfant vagabondait sans cesse dans toutes les directions possibles. Lysia écouta les oiseaux chanter à l'extérieur et les gens parler dans la rue principale de la ville dont les voix étaient à peine perceptible depuis la chambre parentale. La blonde simula une moue en bougonnant, sans articuler ses mots.
- T'es trop paresseux, papa... dit-elle.
Cela faisait deux heures qu'elle attendait, Lysia était en pleine forme dès qu'elle mettait un pied en dehors de son lit. Depuis leur retour chez eux il y avait cinq jours, elle ne voulait que revivre pleinement sa vie d'avant son cauchemar. Une voix éraillée lui répondit alors que Gabriel était couché sur le flanc, dos à elle.
- Contrairement à toi, ma fille, je profite de pouvoir dormir quand je peux...
La petite Hylienne se redressa et s'assit en tailleur en continuant à faire bouger la totalité du lit.
- Tu as dit qu'on irait au marché, aujourd'hui. Je suis prête !
- Le marché ne va pas disparaître... il dure toute la journée...
- Il est onze heures, papa...
Il en profita pour taquiner sa fille qui ne comptait pas le laisser tranquille. Ce n'était pas comme si c'était une première pour l'homme... Pour lui, onze heures, c'était une très bonne heure pour rester au lit lors de ses journées de repos. Depuis sa nouvelle vie, seul aux côtés de Lysia, Gabriel travaillait au modeste et sympathique restaurant de l'Etape, son préféré, là où tout avait commencé... Ce lieu le rendait très mélancolique, mais depuis, il s'était habitué et avait dû faire avec.
- Eh bien tu vois ! Il est tôt ! déclara-t-il.
Lysia prit un air désabusé en croisant les bras.
- Très drôle, maugréa-t-elle.
Le père lui avait promis de passer la journée dans l'ambiance chaleureuse du marché hebdomadaire de la ville, il fallait bien qu'il tienne sa promesse. Conclusion : il n'avait pas le choix, Gabriel était dans l'obligation de céder face à la précipitation de Lysia. Il essaya tout de même de se justifier, même si cela ne fonctionna point.
- Je n'ai pas fermé l'oeil de la nuit ce mois-ci... chuchota l'homme en se mouvant enfin dans les draps grisâtres.
- Parce que j'ai bien dormi moi, tu crois ? répliqua la blonde.
Il se retourna vers elle en sortant ses cheveux décoiffés de l'oreiller. Qu'avait-elle dit ? Qu'elle était prête ? Dubitatif, il lui reposa la question en se retirant de la couverture.
- Attends, comment ça tu es prête ? Tu es habillée ?
Gabriel attira son attention sur la tenue de sa fille : un pantalon hylien taille enfant ainsi qu'un léger maillot beige, aux manches beaucoup trop courtes pour elle. Décidément, elle ne le lâcherait pas, celui-là...
- Lysia, je t'ai dit que cet habit était trop petit pour toi ! rappela l'homme.
- Mais je l'adore...
- Tu as déjà mangé quelque chose ? continua Gabriel.
Il passa une main devant sa bouche avant de bailler en silence. Lysia se figea et le fixa suite à sa question, les yeux écarquillés. Sa fille lui partageant un grand sourire, il haussa un sourcil en comprenant qu'elle lui cachait quelque chose. Le frère d'Alan plissa les yeux, tentant d'afficher un air autoritaire malgré le fait qu'il venait de se réveiller. Ce qui ne faisait qu'amuser Lysia.
- Quoi ? interrogea-t-il. Tu fais les mêmes yeux que quand tu as fait une bêtise...
- Lève-toi et tu verras !
Elle était toujours aussi maligne... fidèle à elle-même ! Gabriel s'étira et reprit la situation en main, en voyant que son autorité n'avait aucun effet sur elle.
- Aux dernières nouvelles, c'est moi qui décide ici, demoiselle, alors tu vas me faire le plaisir d'enfiler quelque chose à ta taille et de réparer la bêtise que tu as faite.
- Je n'ai rien fait, c'était juste pour te faire te lever.
Il se redressa soudainement, la surprit, et la fit tomber sur le dos contre le matelas, prêt à la recouvrir de chatouillements auxquels elle ne résistait jamais. Lysia rit et s'enfuit de la chambre en courant.
- File avant que je ne te rattrape ! Allez !
- Tu es nul à la course, papa !
Celui-ci se leva mais n'essaya guère de la rattraper. Il l'entendit descendre dynamiquement les escaliers qui menaient au rez-de-chaussée en courant et la rappela de nouveau à l'ordre pour éviter qu'elle ne tombe. Comme cela était déjà arrivé, l'Hylien faisait dorénavant plus attention. Après ce brusque réveil, il passa sa main sur ses joues et son cou. L'aîné grimaça en grattant sa barbe qui commençait à beaucoup trop s'imposer à son goût. Il était temps qu'il reprenne soin de lui, il avait consacré ses journées à sa fille depuis leur retour et cela faisait des semaines qu'il ne s'était pas rasé, il en avait perdu l'habitude. En sachant qu'il avait horreur de sa tête avec une barbe plus ou moins visible, cela l'agaça.
Gabriel passa de l'autre côté de la chambre pour ouvrir la fenêtre et réarranger la couverture sur la seconde place du lit où Lysia s'était affalée brutalement. Généralement, le père ne passait jamais de ce côté de la pièce qui autrefois était l'espace de son ancienne conjointe, il n'y avait simplement rien à faire, ici. De plus, c'était un endroit qui, quelques années en arrière, était encore imprégné de son odeur, à elle, même après son départ soudain. Ainsi, il prit l'habitude de ne pas s'y rendre pour éviter de torturer son esprit. La seconde chambre de la maison était devenue une salle de jeu pour Lysia, il n'avait donc qu'ici où dormir, dans cet endroit rempli de lourds souvenirs. Il se pencha pour s'occuper du drap lorsqu'il marcha sur une partie de planche du plancher qui se démarquait des autres de par sa couleur plus foncée et l'absence de fixations qui l'avait faite bouger lorsque l'homme avait posé son pied nu dessus. Intrigué, il examina le bois et fit se déplacer le morceau de planche libre dans la limite de son emplacement à l'aide de son talon.
En dix ans de vie dans cette demeure, il n'avait jamais remarqué cela. Gabriel s'accroupit et tapota la surface de la planche cassée qui sonnait creux. Une petite cachette secrète... par Hylia, il trouvait encore des surprises ici après tant de temps. L'homme cala ses ongles dans la fente formée entre le bois non fixé et le reste du plancher puis souleva le rectangle, laissant une petite araignée s'enfuir de ce piège dans lequel elle était tombée. En effet, sous le bois, était cachée une vieille boîte fermée, verrouillée. Gabriel s'en empara et l'examina en retirant la poussière sur son dessus. Il y avait une petite serrure dans laquelle une clé de taille équivalente devait être introduite s'il voulait savoir ce qui se trouvait à l'intérieur. Étant donné l'emplacement de ce mystérieux écrin, le père en conclut qu'il s'agissait d'affaires appartenant à Madeline. Mais pourquoi les cacher dans une boîte elle-même placée sous une planche de bois du sol de la chambre ? C'était ce qui l'intriguait le plus. Des bijoux ? Une somme de rubis ? Ou une boîte à souvenirs ? Ce qui était sûr, c'était qu'il avait mis la main sur quelque chose dont sa bien-aimée à l'époque ne lui avait jamais parlé. La curiosité l'anima et Gabriel décida de récupérer cette boîte et d'envisager de retrouver la clé pour l'ouvrir.
Une heure plus tard, Lysia et son père se retrouvèrent dans la grande salle à manger de la maison, où la porte d'entrée donnait. Gabriel enfilait une légère veste printanière tandis que sa fille observait cette même boîte qu'il avait posée sur la table, juste sous ses yeux. La blonde était accoudée sur celle-ci et sans que son père ne l'anticipe, elle engagea un sujet de conversation sensible, mais tout à fait normal pour tout enfant de son âge.
- Est-ce que maman aimait bien aller se promener au marché ?
Vint le moment où il fut assez réticent, où il ne préférait pas se remémorer toute cette histoire complexe une fois de plus, il le faisait déjà assez souvent, quotidiennement. Expliquer ce passé, ces évènements troublants à une petite fille de huit ans qui se demandait juste pourquoi sa mère ne vivait pas à ses côtés, Gabriel ne trouvait pas les mots. La réalité des choses était plutôt dure et d'un côté, le père ne souhaitait guère blesser Lysia en la lui partageant complètement.
- Lysia, on a déjà parlé d'elle... soupira-t-il.
- Tu ne m'as jamais dit pourquoi elle était partie d'ici. De sa maison.
Il la regarda en s'asseyant face à elle, autour de la grande table.
- Je ne t'ai rien dit car je n'en sais rien, Lysia.
- Tu ne sais pas pourquoi ?
- Non... enfin si, mais...
Elle insistait beaucoup sur ce sujet depuis la première fois que Gabriel lui en avait parlé, il y avait déjà deux ans. L'homme apprit à se mettre à sa place et à penser comme elle, qui ne savait rien de cette terrible soirée où il découvrit si brutalement ce mot sur la table. C'était d'une violence émotionnelle atroce... Lysia voyait bien que son paternel cherchait quoi dire, comment agir, cela ne la rendait que d'autant plus intriguée. Elle était simplement curieuse.
- Écoute, ce sont des choses très compliquées. Mais c'est normal que tu te poses des questions, après tout. Pour te répondre, oui, elle adorait se balader au marché.
- C'est quoi ça ? C'était à elle ? continua la blonde en parlant de la boîte tout juste découverte par Gabriel.
Le père acquiesça.
- Je crois, oui.
- Je peux voir ? demanda-t-elle en approchant sa main qui fut de suite repoussée.
- Non, refusa Gabriel. De toute façon, on ne peut pas l'ouvrir.
Lysia reporta ses mains contre ses joues, déçue de ne pas pouvoir y jeter un oeil. Elle sentait la discrète tension dans la voix de l'homme qui démontrait qu'il voulait garder un minimum à distance sa fille de sa mère.
- Pourquoi je ne peux pas regarder ? le questionna-t-elle.
- Tu pourras regarder quand je te l'autoriserai. Mais ce n'est pas le moment.
- Tu me montreras, promis ?
- Promis.
Cela suffit à la petite fille qui savait que son père gardait toujours ses promesses. Elle fut élevée depuis son plus jeune âge dans l'honnêteté et la fidélité, le mensonge n'était pas toléré, elle le percevait de ce fait comme une grave faute à ne jamais commettre. Cette transmission de valeurs était importante pour tous les deux. Alors lorsqu'une promesse était en jeu, il n'y avait pas à réfléchir, l'engagement était pris. Il fallait la tenir. C'était tout de même le principe d'une promesse...
- J'aimerais bien savoir à quoi elle ressemble, ajouta Lysia. Et pourquoi elle est partie. Elle ne nous aimait pas ?
Cette innocence dans sa voix fit un pincement au coeur de Gabriel. Cependant, il n'y avait aucun signe de tristesse, ou de déception. Non, Lysia se posait la question en toute indifférence. Comment ressentir la moindre émotion pour quelqu'un que l'on ne connaissait pas ? Il la rassura, et lui prit une main.
- Si... si bien sûr qu'elle t'aimait...
- Je n'en suis pas si sûre, elle ne serait pas partie, dans ce cas, si ? Ou alors elle ne t'aimait pas toi ?
Gabriel baissa la tête en soupirant. Il savait que son procès était imminent et qu'il allait devoir lui expliquer tout cela en détail prochainement, mais il ne se sentait pas encore prêt à lui en parler à cet instant. Comme le père avait déjà essayé une fois indirectement, mais qu'elle ne lui avait pas prêté la moindre intention, il avait repoussé sa seconde tentative à plus tard. Lysia sentait qu'elle mettait mal à l'aise l'homme et regretta ses interrogations.
- Bon, reprit l'aîné en regardant la petite Hylienne dans les yeux. Je ne veux pas rendre ce sujet interdit, d'accord ? Tu as le droit de me demander ce que tu veux à propos de ta mère, mais s'il te plaît, il faut que tu comprennes qu'il y a certaines choses que... tu devras savoir uniquement au moment venu.
Elle n'y voyait aucun problème ; elle comprenait, même. De nature assez empathique et dévouée aux autres, la blonde ne voulait pas plus gêner son père. Tous les deux étaient très complices et privilégiaient le bonheur de l'autre avant le leur. Lysia était très mature pour ses huit ans, elle hocha la tête en acceptant qu'elle ne pouvait pas tout savoir tout de suite.
- D'accord. Désolée, s'excusa-t-elle.
- Ne sois pas désolée, ma chérie, c'est tout à fait légitime.
Elle fronça les sourcils.
- Légi... quoi ?
- Légitime. Ça veut dire que tu as le droit de te poser ce genre de questions.
Après un petit silence, Gabriel frappa vivement sa main à plat sur la table dans le but de leur changer les idées et se leva de sa chaise. Il était temps de profiter de ce beau soleil qui brillait dehors et de savourer l'ambiance conviviale installée par les artisans, commerçants, et producteurs de la ville tous réunis dans la joie, et la bonne humeur.
- Alors ? On y va, à ce marché ?
Vêtue de sa robe de prêtresse d'une blancheur unique, Zelda attendait seule sur un banc du parc de la forêt, à l'est du château et à environ une centaine de mètres de la cathédrale. Elle venait de terminer une énième session de prière, et son humeur déprimée ce matin-là n'avait pas beaucoup aidé. Par moments, elle frissonnait encore à cause de la légère brise qui lui donnait froid sur ses pieds encore mouillés. Exténuée, la princesse se pencha en avant et s'accouda sur ses genoux avant de masser ses tempes. Cette nuit, elle n'avait pas fermé l'oeil. Elle n'avait même plus la force d'être en colère ou frustrée, la fatigue était plus forte que toutes les émotions qu'elle pouvait être amenée à ressentir le lendemain matin de cette vive scène avec son père qui repassait en boucle dans sa tête. Zelda souhaitait simplement clore les paupières, et vagabonder dans le monde des rêves, pour s'échapper ne serait-ce que quelques heures... Son sommeil avait été rongé par les insomnies et il y avait bien longtemps que la blonde n'avait pas passé une véritable nuit blanche.
Link devait venir la rejoindre durant son court temps libre de la matinée. Zelda espérait qu'il n'avait pas oublié ; n'ayant pas prononcé un seul mot de ce début de journée, elle ne souhaitait parler qu'à lui. Il était le seul à même de comprendre son état dorénavant, et elle pensait qu'il allait réussir à l'apaiser un minimum, comme il avait su le faire au repaire des Yigas. De plus, elle voulait s'excuser de l'avoir rejeté et réprimandé alors qu'il n'avait fait qu'oser prendre sa défense. Mais pour le moment, Zelda se contentait de fermer les yeux et de respirer intensément l'air frais de ces jardins. Son soupir lui permit de relâcher une certaine pression installée en elle. Tout était si paisible, la princesse profitait de l'instant présent, elle en avait besoin.
Chaque membre de son corps paraissait si lourd... Ses jambes engourdies, ses épaules nues endolories, son bras gauche qui se remettait peu à peu de ses blessures ravivait une sensation désagréable... La princesse garda son calme lorsqu'elle comprit que ces ressentis physiques étaient le signe annonciateur d'une nouvelle vision. Mais elle était tellement anéantie que Zelda accueillit à bras ouverts l'angoisse qui naissait à chacune de ses prémonitions. Un malaise s'installa. Le ciel bleu parsemé de ses épais nuages changea de couleur pour se teindre d'un rouge vif. L'atmosphère malsaine la gagna jusqu'aux tripes, et le sol se fissura brutalement devant elle. Une vague de corruption en sortit l'instant suivant. Faible et incapable de contrôler ses émotions, l'Hylienne observa avec frayeur la scène qui se déroulait devant ses yeux. Voyait-elle là le jour de sa résurrection ? Les heures fatales où la Calamité resurgissait des entrailles de la terre ? Une silhouette humanoïde se dessina à travers le nuage de corruption ; celle-ci s'approcha de la blonde qui ne pouvait plus bouger. Elle aperçut deux iris verts et soudain, elle revint à la réalité à une vitesse remarquable.
- Princesse Zelda ? Vous m'entendez ?
Cette voix qui lui était très familière lui fit remarquer la présence du héros, à présent assis à ses côtés sur le banc, en tenue de capitaine de la garde. Il avait l'air beaucoup plus calme et normal que la veille, tout avait l'air de s'être arrangé de son côté. Rassurée qu'il soit venu, Zelda le dévisagea en comprenant qu'il venait de la sortir de sa prémonition.
- Link... marmonna-t-elle en posant sa main sur l'épaule de son ami comme pour tenter de se retenir de basculer en arrière.
Sans qu'elle ne puisse rien y faire, la princesse se mit à pleurer. Cette vision était la goutte d'eau qui avait fait déborder le vase. Elle s'excusa auprès du capitaine et se tourna dos à lui pour se remettre de toutes ces émotions. Un triste silence s'installa, laissant Link, qui ne savait comment agir pour la consoler, entendre les reniflements de la blonde.
- Je suis désolé, dit-il, je n'ai pas pris la potion qui atténue le stress. Que dois-je faire pour vous aider ?
- Non, tout va bien. La crise est passée. Il s'agit simplement... du trop plein d'émotions soudain qui s'échappe de...
Link retira son béret, affligé par l'état de la princesse. Malgré les différents rangs sociaux et les codes, il décida de cesser de tergiverser et se dit qu'il était beaucoup plus important d'apporter son soutien à Zelda que d'hésiter à établir un quelconque contact physique qui pourrait être mal vu par un regard extérieur. Le héros se leva du banc pour aller s'y rasseoir du côté gauche de la prêtresse qui avait les poings serrés sur ses genoux.
- Je veux juste... trouver la solution au problème, sanglota-t-elle. Mais je n'y arrive pas... Et tout est de ma faute, je ne sais plus quoi faire...
Le prodige se fit courageux et tendit une main vers Zelda qui l'aperçut instantanément. Elle releva les yeux et, dans le désespoir le plus total, accepta de lui donner la sienne. Ce geste était lourd de sens pour tous les deux, il témoignait de l'affection grandissante qu'ils avaient l'un envers l'autre. Le chevalier recouvrit de sa seconde main celle de la princesse qui avait honte de se montrer dans un état aussi critique devant le héros d'Hyrule. Un élu des déesses qui avait le même destin qu'elle de sauver le monde...
- Princesse Zelda, écoutez-moi, débuta Link. Je vais vous parler en tant qu'ami. S'il faut un fautif, alors il s'agit bien là de la cour et de ses nobles qui ne vivent que pour assouvir leur désir de se sentir supérieur. Ils sont dévorés par l'orgueil et l'égoïsme. Ils ne méritent pas une princesse comme vous. Une princesse qui fait de son mieux et qui donne toute la force qu'elle a pour essayer de sauver son royaume et de le satisfaire. La vérité, c'est qu'ils n'en savent rien, ils se permettent de juger des choses simplement car ils ne supportent pas n'être que des ignorants de la situation. Ne prêtez plus attention à ces gens, ils vous font du mal depuis bien trop longtemps.
Il avait raison, malgré le fait qu'elle s'était habituée, la cour restait un poids qui ne pouvait disparaître en le niant. Plongée depuis ses six ans dans toutes ces critiques faites de la part des nobles et de la citadelle, Zelda se rendit compte qu'elle ne faisait que les accumuler, encore et encore en elle, et que leurs mots ne lui étaient pas indifférents comme elle voulait le croire. Link lui avait ouvert les yeux sur ce point.
- Je suis persuadé que votre mère est très fière de vous, termina le héros.
Zelda le regarda longuement, ses joues rougies par les sanglots. Link retira sa main de la sienne et fut obligé de quitter la douceur de sa peau. En lui souriant, la princesse reporta son attention sur ce contact auquel il venait de mettre fin et fut agréablement surprise de cette initiative prise par le chevalier. Le voir prendre en assurance avec elle ainsi malgré son titre la rendait heureuse. Car au fond, c'était ce qu'elle voulait.
- Je vous ai dit... ce que je pensais sincèrement, expliqua Link.
- J'apprécie grandement ta bienveillance, Link. Merci pour tout le soutien que tu m'apportes.
Il se gratta l'arrière du crâne, ne sachant pas quoi répondre. Zelda sécha ses dernières larmes et prit une posture plus droite.
- Je suis heureuse que tu sois venu.
- Vous m'avez l'air extrêmement fatiguée, fit alors Link. Vous devriez aller vous reposer. Il n'est jamais bon de se forcer à rester éveillé.
Les cernes qui se dessinaient sous les yeux de la princesse ne mentaient pas. Mais elle refusa d'écouter le conseil du prodige.
- Chaque heure compte à présent. Je ne peux plus me permettre de perdre du temps.
Link se remémora les événements de la veille et voulut lui retirer tout doute sur la sûreté des propos dont il venait de lui faire part. Nul ne savait comment la corruption pouvait influencer les actes du héros, alors ce dernier voulut rassurer Zelda.
- Je ne suis plus sous son emprise, comme vous avez dû le remarquer.
En effet, cette information satisfit son amie qui fut animée d'un grand soulagement. Il n'y avait rien de pire que de ne pas connaître la fiabilité des dires de la personne qui semblait la seule à même de nous comprendre.
- Heureuse de l'entendre, sourit la blonde.
- J'ai trouvé comment prendre le dessus sur ce démon. Lorsque des pensées excessives me viennent à l'esprit, je pense à...
Le chevalier se stoppa sans raison. Il jugea inutile de parler de nouveau de cette facette de lui que tous les deux ne souhaitaient plus revoir surgir. Après tout, ce n'était sûrement pas pour cela que Zelda avait demandé au héros de la rejoindre.
- Laissez tomber, venons-en aux faits. Vous désiriez me parler ? demanda-t-il.
- Je voulais m'excuser pour mon comportement d'hier, répondit la princesse. Tu t'es mis en danger pour me défendre, et ce que tu as dit m'a beaucoup touchée. À moins que ce n'était pas toi qui...
- Oh. Si, si bien sûr. La corruption n'a fait qu'amplifier mon agacement, à en croire mon expérience, elle ne change en rien ce que je pense. C'est comme cela que je peux garder un certain contrôle. C'est plutôt une belle chance. Je ne m'en serais pas si bien sorti si Impa n'avait pas réussi à retirer une grande partie de cette chose.
Zelda hocha la tête. Puis, elle leva les yeux sur le ciel d'un air attristé. En réalité, il s'agissait plutôt d'une nostalgie qui se dessinait sur son visage, elle pensa ensuite à son voyage prochain en direction d'Akkala qu'elle appréhendait.
- Je dois t'avouer que je ne me vois pas partir avec une simple escorte pour la source de la Force après tous les voyages que nous avons passés ensemble.
- Ces moments me sont également très chers. J'aimerais beaucoup continuer à assurer votre protection en-dehors de l'enceinte du château, mais malheureusement, je n'en ai plus le droit.
La princesse renonça à accepter ce qu'elle voyait comme une injustice pour Link qui n'était en aucun cas responsable de la colère dans laquelle était le roi. Le héros n'avait fait que suivre les ordres et effectuer son devoir en accompagnant Zelda au repaire des Yigas. La blonde se pensait la seule fautive dans ce périple car il s'agissait de ses propres intentions au départ. De plus, Link avait uniquement donné son opinion après avoir observé ce Gardien en contrebas, chose malgré tout très maladroite à faire face au souverain du royaume, sur un sujet si sensible.
- Je vais parler à mon père, décida Zelda. Tu ne mérites pas que l'on te prive de tes fonctions si brutalement.
- Je ne fais que subir les conséquences de mes actes.
Ce n'était pas dans l'habitude du héros de baisser les bras aussi rapidement. Ne plus être chevalier servant le peinait, mais malgré toute la déception qu'il ressentait, Link semblait accepter son sort. Pourtant, tous deux savaient la joie que leur procuraient ces moments uniques qu'ils partageaient à travers les quatre coins d'Hyrule. Qui aurait cru, le jour de la nomination des prodiges, que les élus allaient atteindre un tel niveau de complicité entre eux ? Mutuellement, les deux jeunes gens s'apportaient un grand nombre de choses au quotidien, c'était quelque chose que Zelda ne pouvait pas voir disparaître à cause de la colère de son père.
- Non. Je refuse, s'exclama-t-elle. Personne ne pourra me faire sentir plus en sécurité que toi.
Link fut si stupéfait par la sincérité qu'il pouvait lire dans les yeux émeraude de la princesse que ses pommettes se mirent à rougir involontairement. L'élu prenait vraiment ces mots comme un compliment, voire même une flatterie. Savoir qu'il offrait à son amie une sécurité plus que fiable ne pouvait que le rendre fier. Il en eut des frissons.
- Je... C'est... un grand honneur pour moi de pouvoir vous faire sentir aussi sereine durant vos séjours hors du château, formula le héros en cherchant ses mots.
Zelda continua.
- Si tu n'es plus mon chevalier servant, alors tu seras mon escorte pour ce voyage. Et pour tous ceux qui suivront. Tu assureras ainsi les mêmes fonctions, mais sans ce titre, si mon père tient véritablement à te le retirer.
- Ce n'est guère pour me déplaire. Mais pensez-vous que l'on nous laissera faire ?
- Je m'arrangerai.
Une mise en place d'une stratégie était nécessaire s'ils désiraient retrouver leur quotidien et ne pas se retrouver blottis à l'intérieur du château. Il était inconcevable pour Zelda de rester enfermée ici, et s'il fallait désobéir, soit, elle le ferait. Si le roi devait rester ignorant de la situation, c'était un risque qu'elle oserait prendre. Ses voyages et ses recherches contribuaient à son bien-être, la seule source de bonheur dans sa vie.
- Très bien, acquiesça Link.
Suite à sa grande colère de la veille, la blonde avait songé toute la nuit à se révolter et s'enfuir de cet endroit qui ne lui faisait que du mal. Juste pour quelques temps, partir à l'aventure et oublier ses soucis, sans penser à l'heure de son retour. Au bout du compte, elle ne l'avait pas fait. Se retrouver seule en pleine nature, en ces temps-ci, n'était pas une très bonne idée. Les monstres arrivaient par vague de partout. Même si pour le moment, l'armée d'Hyrule arrivait à les repousser, les choses allaient à coup sûr s'empirer par la suite. Elle ne pouvait pas se permettre de fuir seule.
- Désolée d'avoir fondu en larmes... s'excusa la princesse alors que son ami avait les yeux rivés sur son béret qu'il gardait entre ses mains.
- Je ne suis pas la personne qui vous jugera pour quelque chose d'aussi naturel que de pleurer. Soyez-en sûr, répondit le blond.
Voyant les minutes défiler sans que personne n'engage une quelconque autre conversation, Link se leva du banc et replaça son béret de capitaine sur sa tête. Il avait un conseil de guerre dans quelques minutes, chose qui n'était pas arrivée depuis un moment. Pour terminer, il vit Zelda qui l'observait replacer correctement ses manches et lui proposa de faire le chemin du retour ensemble.
- Je vous accompagne ? demanda-t-il.
- Volontiers.
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Assise sur un simple lit dans le coin de la maison, encore en chemise de nuit, Nell tentait de recoudre une manche de sa tenue qu'elle avait déchirée quelques jours auparavant en trébuchant durant son petit voyage nocturne jusqu'au château d'Hyrule. Par ailleurs, c'était pendant ce même voyage qu'elle n'avait jamais autant couru de sa vie...
Le silence régnait, la jeune voyageuse était rassurée de se retrouver enfin au calme. Lorsqu'elle avait revu Faras, elle avait beaucoup insisté pour qu'il rentre ici quelques jours, au village de Cocorico, chez lui. Ce qui était fait, à présent. Malheureusement, même après une nuit à ses côtés - ce qui n'avait pas eu lieu depuis plusieurs mois - Nell pensait qu'il serait resté avec elle au moins pour la journée... Mais Faras était déjà parti rejoindre Impa qui s'occupait de sa blessure à la jambe. Il ne s'arrêtait jamais, la cheffe du village devait sûrement aussi en avoir assez de l'entendre bavarder des reliques à longueur de journé. Il ne semblait pas prendre conscience qu'elle devait se reposer, et la soeur de Pru'ha n'osait peut-être pas lui demander de la laisser tranquille...
Cela attristait Nell qui n'avait pas l'habitude de ressentir en priorité ce genre de sentiments moroses. Rares étaient les moments où ils se retrouvaient chez le Sheikah, toujours occupé au château. Cela faisait plus de deux mois qu'ils n'étaient pas revenus en ces lieux paisibles, perdus dans les hauteurs de Narisha. Et même s'il avait été violemment attaqué dans son laboratoire, le scientifique se portait très bien, contrairement à Nell qui avait eu très peur ce jour-là. Elle n'arrivait d'ailleurs pas à comprendre comment ce qui s'était réellement produit pouvait avoir eu lieu, et ces pensées la hantaient toujours.
Bref, l'Hylienne se retrouvait seule, chez son amant, en train de s'ennuyer à mourir... En réalité, elle ne s'arrêtait jamais de voguer à travers les diverses régions du royaume, c'était sa source de bonheur, alors lorsqu'elle cessait toutes péripéties, elle ne savait plus véritablement quoi faire. Et se sentir d'une certaine manière abandonnée par Faras qu'elle n'avait pas pu réellement voir depuis deux mois, c'était assez difficile, notamment quand celui-ci ne prenait même pas le temps de discuter avec elle pour mettre les choses au clair.
À croire si une quelconque relation existait vraiment entre eux...
Suite à l'événement au laboratoire qui avait beaucoup fait parler dans les quartiers de recherches du château, l'homme lui avait expliqué qu'une personne corrompue par Ganon l'avait sauvé d'une autre, et après description physique, Nell n'avait nul doute qu'il s'agissait d'Alan. Tout s'expliquait, voilà donc pourquoi ce dernier s'était envolé dans une fumée mauve et noirâtre devant elle ! Décidément, il ne cessait de lui sauver la vie, à elle ou ses proches, même des années plus tard. Certes, il avait beaucoup changé depuis... mais au fond, il portait toujours la même bonté que la fois où il avait sauvé toute la famille de Nell, durant l'adolescence de l'Hylienne. Elle était certaine. Certaine que même avec un esprit démoniaque qui avait pris possession de son corps, le véritable Alan ne pouvait disparaître définitivement.
Et ce fut pourquoi la voyageuse posa le tissu à recoudre à côté d'elle lorsqu'elle prit conscience de la réalité des choses. Et elle ne voulait pas y croire, ce n'était pas possible. Elle ne pouvait pas rester ici à se tourner les pouces et le laisser basculer du côté du Mal pour l'éternité. Pas après tout ce qu'il avait fait pour elle, sans même qu'on ne lui demande... Sans attendre plus longtemps, la jeune femme s'habilla et enfila sa tenue de voyage avant de se diriger vers la porte d'entrée. Elle l'ouvrit pour se retrouver à l'extérieur.
Nell en avait assez d'être laissée de côté, elle pouvait réaliser des choses beaucoup plus intéressantes que rester là à attendre que Faras la rejoigne. L'originaire d'Adeya prit le chemin qui menait à la résidence d'Impa, les brins d'herbes mêlés à la rosée du matin humidifiant ses chevilles. Lorsqu'elle arriva devant les deux gardes sheikahs qui surveillaient les passants, Faras descendait justement les escaliers de bois de chez Impa. L'aventurière prit un air qu'elle n'avait guère l'habitude d'afficher, celui de la contrariété. D'une voix ferme, elle s'adressa au Sheikah, le nez plongé dans son carnet de notes qu'il lisait constamment.
- Je m'en vais, prononça-t-elle sûre d'elle en disposant ses mains sur ses hanches.
Faras releva la tête et fut intrigué de sa présence. Pris au dépourvu, il plongea dans l'incompréhension en assimilant les mots de sa bien-aimée.
- Nell ? Que se passe-t-il ?
- À toi de me le dire, Faras.
Il retira ses lunettes de son visage en les relevant sur son front. Le Sheikah n'avait pas l'habitude de la voir dans cet état, elle semblait assez frustrée. Il referma son petit journal qu'il tenait entre ses mains pour entamer la discussion qui allait s'avérer quelque peu tendue.
- Je... je ne comprends pas...
Nell lâcha un hoquet de stupéfaction. Enfin, le point positif était qu'il ne se rendait pas compte qu'il la délaissait depuis trop longtemps, c'était déjà mieux que s'il en avait parfaitement conscience.
- Tu n'as pas juste l'impression d'oublier que je fais partie de ta vie, même pas un tout petit peu ? s'étonna l'Hylienne.
Faras la prit à l'écart des habitants du village qui pouvaient passer près d'eux et entendre leurs échanges. Il la dirigea vers un petit ponton qui menait à une statue d'Hylia. Une fois seuls, il jeta un regard aux alentours et adopta une voix qui prouvait son inquiétude au vu de la situation.
- Est-ce que ça va ? interrogea le scientifique.
- Oh ! s'exclama Nell. Tout va bien, j'ai juste l'impression de sortir avec un fantôme...
Elle avait décidé d'arrêter de lui faire des concessions à chaque fois qu'ils pouvaient se voir, la voyageuse désirait commencer quelque chose de plus grand avec l'associé de Pru'ha, comme une vie commune, par exemple. Rien que cela lui ferait déjà très plaisir. Mais Faras changeait à chaque fois de sujet lorsque ce dernier était abordé. Fâchée, elle savait que son comportement ne lui ressemblait pas, ce qui donnait plus d'impact au problème.
- Je suis très occupé, tu sais que c'est important, expliqua le Sheikah, un peu gêné.
- Plus important que moi, visiblement.
- Ne le prends pas comme ça, s'il te plaît...
Nell lut d'une manière distincte l'appréhension et la peur sur le visage de son amant. Mais non, elle n'allait pas une nouvelle fois céder ! C'en était trop pour elle.
- Je sais que j'ai l'habitude d'être souriante, joviale, tout ce que tu veux... mais là, c'est trop, tu vois ?
Il soupira. La culpabilisation commençait à s'emparer de lui. Peu habitué à ce qu'on le fasse retourner à la réalité ainsi, l'homme comprenait de plus en plus qu'il ne pouvait gérer une vie sentimentale avec une façon de travailler comme la sienne. Ayant déjà eu une première relation par le passé, le Sheikah avait peur que les liens qu'il tissait avec Nell ne soient rompus de la même manière qu'avec Cherry, son premier amour.
- Je suis navré. J'ai peut-être un peu trop forcé sur le travail ces derniers temps, s'excusa-t-il.
- Un peu ? Tu te fiches de moi ?
Il baissa le regard, confus. Nell fut désolée que les remords l'envahissent, mais il ne pouvait s'en prendre qu'à lui. Elle lui partagea ses intentions qui ne pouvaient plus être discutées. Quand elle avait décidé quelque chose, elle s'y engageait jusqu'au bout.
- Je pars, Faras, dit-elle simplement. J'ai quelque chose à faire.
Le chercheur laissa tomber ses notes à ses pieds, il fit un pas en avant, ne comprenant pas ce qu'elle cherchait à faire.
- Tu t'en vas ? Mais où comptes-tu aller ?
- Disons que j'ai plusieurs dettes envers quelqu'un que je dois régler.
Il fronça les sourcils sous l'incompréhension.
- Oh, mais c'est vrai, tu n'es pas au courant, ajouta Nell. Comme c'est étrange... Figure-toi que la personne qui t'a sauvé, au laboratoire, je la connais. Et je dois la retrouver.
Faras n'avait nullement songé à ce que cette histoire ne le rattrape de cette façon. Voilà qu'on lui annonçait que l'Hylienne partait rencontrer une personne corrompue. Elle avait perdu la tête, le Sheikah regretta amèrement de lui avoir parlé de ces deux hommes. Sidéré, il prit un air très sérieux que peu de gens avaient l'occasion de voir sur son visage. Malheureusement, la jeune femme était plus que sûre d'elle. Il agissait bien trop tard, cette idée avait germé comme une graine dans son esprit depuis leur arrivée à Cocorico et elle avait eu le temps d'y réfléchir. Son choix était fait.
- Tu veux faire quoi ? Nell, arrête ces bêtises, c'est de la folie ! s'exclama Faras.
- Je sais ce qu'il est devenu, j'en suis parfaitement consciente. Mais je sais aussi ce qu'il est vraiment au fond de lui.
Nell installa un silence pesant puis continua.
- Et il ne mérite pas ça. Je dois l'aider.
- Enfin, tu sais bien que c'est impossible ! Son esprit est corrompu, on ne peut plus rien faire !
- Plus rien ? Tu en es sûr ? Ce n'est pas ce que tu disais il y a quelques jours.
Il comprit à quoi elle faisait référence et écarquilla les yeux, il refusait d'y croire. Les chances pour qu'une telle chose arrive étaient si minimes que son improbabilité frôlait l'impossibilité. Faras comprenait peu à peu le plan de sa compagne, il souffla et ferma les yeux. Il devait la raisonner sur-le-champ s'il ne voulait pas qu'un danger ne s'abatte sur elle, car tout ce qu'elle allait réussir à faire en allant à la rencontre d'Alan, c'était perdre la tête, ou peut-être même trouver la mort.
- L'immunité d'Hylia est tout sauf fréquente, rappela Faras.
- Il la priait tous les jours, il me l'a dit de vive voix. Il a toutes ses chances de recevoir la bénédiction divine. Il lui faut simplement quelqu'un pour l'épauler pour qu'il parvienne à retrouver sa lucidité. Et je serai cette personne.
Il s'approcha d'elle, plaqua ses paumes de mains froides contre ses douces joues, et parla un peu moins fort d'un ton tremblant.
- Nell, je t'en prie, ne fais pas ça... Je suis désolé, je vais faire plus attention. À partir de maintenant, on s'accordera plus de temps l'un pour l'autre, je te le promets.
La voyageuse afficha un triste sourire et récupéra les mains du scientifique avant d'entremêler ses doigts dans les siens. Elle voyait bien là qu'il s'en voulait, cette discussion, ils auraient dû l'avoir bien plus tôt.
- C'est trop tard, Faras. J'ai déjà pris ma décision.
Nell le lâcha, fit un pas en arrière et passa une main dans ses cheveux. Elle croisa ensuite ses bras dans son dos, gênée de laisser Faras seul ici. Mais ce voyage, cela faisait plus d'une semaine qu'elle le prévoyait secrètement, son instinct lui disait de partir.
- Il faut que j'y aille, insista l'Hylienne. Je dois l'aider, je ne peux pas faire autrement. Je le sauverai.
- Nell, je t'aime. Je ne veux pas que tu mettes ta vie en danger, ou pire, que tu te fasses corrompre...
La tension de leur début de conversation s'était dissipée, la voyageuse souffla du nez en remarquant que le Sheikah lui partageait les émotions qu'il ressentait pour elle. Ce n'était pas non plus des adieux, en tout cas, ça ne devrait pas en être.
- Moi aussi, je t'aime, dit-elle. Mais j'ai besoin d'un minimum d'attention, tu comprends ? Et depuis deux mois, je me sens terriblement seule. Tu es quelqu'un de bien. Tu es drôle, généreux, intelligent... mais...
Faras se décomposa.
- Tu n'es plus sûr de rien pour nous deux, c'est ça ?
- Écoute, je reviendrai. On en reparlera à mon retour.
- Laisse-moi t'accompagner, dans ce cas. Tu ne sais même pas où est-ce qu'il se cache !
Nell renonça. Mais ce qu'il disait était vrai, elle ne savait pas où trouver Alan, cependant, elle fut témoin des pouvoirs que la corruption lui avait donnés et ce n'était pas une puissance qui allait passer inaperçue éternellement. Après quelques recherches au bon endroit, elle finirait bien par savoir où il se trouvait.
- Il faut que je fasse ce voyage seule. Pour me retrouver avec moi-même, expliqua-t-elle, et faire ce que je dois faire depuis pas mal de temps.
Le scientifique brisa la distance qu'elle avait établie entre eux, en se reculant. Il la prit dans ses bras et l'enlaça si éperdument que cela surprit la jeune femme qui savait Faras de nature très pudique avec ses émotions. Il cachait ses véritables sentiments derrière son excentricité et sa folie qui le montraient toujours joyeux et passionné. Nell perçut toute cette sincérité dans son geste, elle venait de lui ouvrir les yeux. Elle plaça une main dans son dos et une autre dans ses cheveux coiffés en bataille en humant son parfum si singulier.
- Vois ça comme une... pause ? suggéra-t-elle.
Il soupira.
- Je suis obnubilé par mes recherches et je t'ai laissée tomber. Comment ai-je pu...
- Je sais que tu feras tout pour rattraper cela, je sais tout de même de qui je suis tombée amoureuse. Non ?
- S'il te plaît... Je ne peux pas te laisser faire ça. Tu n'as aucune chance face au monstre que cet homme est devenu. Rentrons, je cesse de travailler et... on fera ce que tu veux. C'est promis.
Nell répondit par un silence qui témoignait d'une hésitation nouvelle. Sa colère avait disparu, et par Hylia... elle ne l'avait jamais vu comme ça, si rongé par les regrets. C'était un signe démonstrateur de l'amour véritable que Faras portait à la jeune femme, des signes qui se faisaient rares. Lorsqu'elle vit leur étreinte perdurer alors qu'ils n'étaient pas dans leur intimité, mais au beau milieu d'un village, la voyageuse accepta simplement de rentrer avec lui et renonça à partir dans l'immédiat.
Car oui, elle ne voulut guère faire marche-arrière. Et même si cela ne lui plaisait pas, elle allait devoir s'en aller plus tard, en secret.
~~~
Les passants n'avaient d'yeux que pour ce petit groupe qui discutait autour d'une table bancale, près d'une taverne de l'Etape. À l'heure où le marché hebdomadaire de la ville se prolongeait en foire nocturne jusqu'aux alentours de minuit, ces quatre personnes complotaient plus qu'elles ne bavardaient. La rue principale était bondée, cet événement attirait un grand nombre d'Hyliens et d'habitants du royaume de toutes les races, et c'était en priorité pour cette raison qu'ils étaient présents, ce soir-là. Leur voix se perdant dans le brouhaha de la foule, ils pouvaient échanger sans préoccupation.
Bras croisés, l'homme brun le plus jeune du groupe attendait patiemment le moment opportun pour passer à l'action en observant le flux de personnes tantôt déambuler sur la rue et tantôt s'arrêtant à différents commerces installés pour la soirée. Savoir que personne ne voyait venir ce qu'il avait organisé avec ses coéquipiers lui faisait afficher un sourire malveillant. En face de lui, l'unique femme parmi eux ne tenait pas en place. Impatiente, elle se mordillait les ongles en dévisageant certains passants d'un regard effrayant, avec la seule hâte de se déchaîner avec ses nouveaux dons qu'elle avait du mal à contenir en elle.
À sa droite, son mari faisait des repérages discrets en scrutant le bar de la taverne où son groupe et lui avait fait mine de venir manger. Il voulait se montrer prudent afin de mener à bien leur plan d'attaque imminent. Il donnait par moments quelques coups de pied à son voisin devant lui pour le raisonner. En effet, le dernier et troisième homme semblait rêvasser, le regard dans le vide vers son assiette encore pleine à laquelle il n'avait pas touché. Son esprit vagabondait ailleurs et on dut le ramener plusieurs fois à la réalité pour qu'il reste concentré sur le rôle crucial qu'il avait à jouer. Le moindre faux pas était potentiellement une erreur qu'ils allaient devoir assumer à l'avenir.
La femme châtaine qui ne cessait de gigoter dans tous les sens sur sa chaise attrapa avec vigueur le verre rempli d'un vin de Firone devant elle et enchaîna les gorgées une par une sans s'arrêter. Celles-ci produisant un bruit désagréable à chaque déglutition, ce qui ne passa pas inaperçu autour de la table. Après cinq rudes avalements, le jeune homme assis devant elle l'arrêta dans sa course en lui arrachant le verre des mains, renversant ainsi quelques gouttes du liquide rouge sur les modestes vêtements de l'Hylienne. Cette dernière ancra son regard dans celui de l'homme qui lui fit signe de se calmer.
- Il est temps, chuchota la femme.
- Patience, maman, répondit-il. C'est une opération qui s'avère très délicate.
La mère s'enfonça dans le dossier de sa chaise, déçue. Elle fit remarquer son mécontentement en récupérant et brisant son verre d'une simple pression exercée par ses doigts dessus. Le récipient perdit sa forme circulaire pour finir en miettes sur la table et une large flaque de vin s'étala sur cette dernière. Sa paume de main blessée à cause des morceaux de verre pointus qu'elle avait créés, elle prit un air désabusé. Ses voisins la regardèrent en soufflant du nez. À côté d'elle, l'homme le plus âgé s'adressa au chef des opérations, son propre fils.
- Nous allons devoir être rapides et efficaces si nous voulons que notre puissance ne se retourne pas contre nous. On n'est pas à Tabanta, ici, mais dans la deuxième plus grande ville d'Hyrule.
- Et nous nous y emploierons, papa, n'aie crainte.
Ce fut au tour du dernier homme perdu dans ses pensées d'intervenir, celui-ci bascula son regard perçant vers le jeune chevalier à sa droite. Il posa délicatement ses mains contre ses cuisses et attendit dix longues secondes avant de formuler un premier mot avec sa douce voix posée.
- Combien de personnes, Brad ? demanda-t-il.
- Plus d'une centaine.
Il haussa les sourcils, peu convaincu de leur réussite avec autant de monde. Cet air assez condescendant déplut au brun qui était sûr de son coup. Peut-être était-ce son obsession de vouloir devenir le chef d'une armée qui le poussait à réaliser quelque chose d'aussi délicat. Mais si cela fonctionnait, il gagnerait un avantage considérable avant même la résurrection du Fléau Ganon.
- Je te dis que ça va le faire, Alan, assura Brad.
- Tant de personnes à rallier à notre cause... ajouta le sceptique. Tu n'as pas peur que l'on soit affaibli en partageant le même esprit qu'une centaine de gens ?
Le chevalier corrompu serra les dents et se retint de frapper son associé qui l'agaçait avec ses remises en question et ses doutes qui froissaient la fiabilité de son plan d'origine. Alan avait à peine parlé depuis les quinze minutes durant lesquelles le groupe s'était installé autour de cette table, et la seule fois où il ouvrait la bouche, c'était pour contrarier Brad.
- Plus nous serons nombreux, et plus nous serons forts, répliqua ce dernier. Tu doutes des capacités de notre Seigneur ?
L'oncle tourna la tête et regarda la foule marcher. Des Hyliens, des Zoras, quelques Gorons... Chacun semblait être heureux d'être ici, ils profitaient des derniers chauds rayons du soleil avant de voir briller la vingtaine de grandes torches aux flammes vacillantes sur les extrémités de la grande rue du marché. Alan les regarda d'un air impassible et fit part d'une dernière remarque. La réflexion qui était de trop.
- Il y a des enfants, dit-il.
Le brun s'agita subitement et attrapa le col de l'homme aux iris verts perçants. Ce qui fit sursauter Maëlle qui tremblait toujours d'excitation, prête à faire exploser la rage de son nouveau côté sombre. Son mari, lui, se contentait d'observer la dispute, indifférent.
- Bon sang, c'est quoi ton problème ? T'es pas foutu de rattraper un gosse alors ils te font tous peur maintenant, c'est ça ? cracha Brad.
- Les mômes ne peuvent pas garder une telle force en eux. Ta mère a déjà beaucoup de mal.
La concernée lui jeta un regard noir.
- La ferme, fit-elle.
- Un enfant succombe sur-le-champ sous la rage destructrice qui s'installe dans ses tripes, expliqua Alan.
Son interlocuteur n'y vit aucun inconvénient et ne voyait pas pourquoi il faisait mention de ce détail qui lui avait traversé l'esprit. S'attarder sur l'effet de la corruption sur le corps d'un enfant était bien la dernière chose dont Brad se préoccuperait. Celui-ci plissa les yeux et tenta de déchiffrer les pensées de l'homme au comportement déroutant.
- Et donc ? insista le chevalier.
- Donc je regardais simplement le nombre de morts que nous allions faire au minimum. Autrement dit, tous les enfants.
Un silence de suite brisé par le raclement de gorge de Daniel s'était installé. Brad et Alan se dévisagèrent, l'un avec un regard neutre et sûr de lui et l'autre en tentant de se persuader que ses doutes naissant concernant l'oncle n'avaient pas lieu d'être. Le chef des opérations dissimula un grognement d'agacement et soupira.
- Je vois, dit-il. J'ai cru un instant que tu avais ressenti quelque chose comme de la pitié. Je me suis trompé, n'est-ce pas ?
Alan changea aussitôt d'expression. Plus ferme et plus sérieux, il faillit tomber de sa chaise, étonné que le brun puisse penser une telle chose. Comment pouvait-il ne plus être sûr de son dévouement envers le Grand Fléau ?
- Ne me fais pas vomir avec ce mot, lâcha-t-il à voix basse.
- C'est ce que je voulais entendre.
Le jeune homme lâcha son aîné. Il s'était fait des illusions et en fut très rassuré. Il se pensa légèrement à cran et décida de se focaliser sur la suite. Dans quelques minutes, le groupe de quatre sèmerait la panique dans la ville... Le père du brun remarqua qu'on les épiait depuis l'intérieur de la taverne et comprit que certains commençaient à se demander ce qu'ils manigançaient. Deux hommes adossés contre le bar se chuchotaient quelque chose en les observant. Daniel le fit savoir aux autres et intervint.
- S'il y a des survivants, enfants ou adultes, pour témoigner de ce qu'ils auront vu, le royaume entier sera au courant et nous ne pourrons plus nous cacher si facilement.
- Il n'y en aura pas, je te l'assure, répondit sa femme en fixant les deux Hyliens curieux, chacun un verre à la main.
Les minutes passèrent. Cinq... quinze... puis trente... Et après une demi-heure d'attente, le soleil fut enfin entièrement couché. La luminosité s'affaiblissait de plus en plus et les torches brillaient d'une manière plus étincelante. Le ciel devint plus foncé en se teintant d'un bleu marine. Mais les premières étoiles n'étaient pas encore venues l'embellir de leur lueur. Autrement dit, il était temps d'agir. Il y avait toujours autant de monde dans la rue principale de l'Etape, Brad ordonna à ses coéquipiers de se lever et de quitter la table afin d'aller se fondre dans la masse de la foule.
Maëlle passa immédiatement devant, suivie de Daniel, puis de son fils. Alan dut se motiver de les rejoindre et ferma la marche. Chacun se fraya un chemin dans l'imposant regroupement de personnes en poussant certaines d'entre elles sans même s'excuser. Arrivés près de l'installation d'un vendeur de bijoux, ils s'arrêtèrent au pied d'un des piquets qui portaient une des torches. Brad ressentit la chaleur des flammes et savoura cette sensation qui le fit frémir. La lumière orangée du feu se refléta sur leur visage. Le feu... c'était bien là ce qu'ils désiraient voir advenir de cette ville.
Alan tourna la tête à gauche lorsqu'il reconnut un rire parmi tous les autres. Un rire si familier qu'il ne pouvait pas le confondre. Une certaine nostalgie l'anima sur le moment. Dans son champ de vision, il n'aperçut tout d'abord qu'un groupement de gens qui ne tarda guère à se déplacer et rejoindre le flux de personnes plus important à proximité. Puis, la vue enfin dégagée, il les reconnut. Tous les deux. Ils étaient là... bien sûr qu'ils étaient là...
- Regarde, papa ! Il est parfaitement à ma taille ! s'exclama Lysia qui manifestait sa joie de porter ce bracelet qu'on venait de lui acheter.
- Content qu'il te plaise, répondit son père avant de remercier la vendeuse qui n'était que ravie de voir qu'elle avait fait le bonheur d'une enfant.
Gabriel sourit en contemplant la joie de sa fille. Les yeux rivés sur son nouveau bijou d'opale, elle faillit trébucher en bousculant involontairement quelqu'un qui passa près d'elle. Son père lui pria de faire attention avant de relever le regard et croiser celui de son frère qui l'espionnait depuis sa position. Il resta stoïque en reconnaissant son cadet. Bouche bée, Gabriel voyait sa famille revenir au complet. Cela faisait des semaines qu'il attendait ce moment ! Quelle surprise ! Mais lorsqu'il voulut l'appeler et lui faire signe, les iris d'Alan changèrent de couleur et devinrent rouges. Son frère s'arrêta en comprenant la situation. Ces yeux... ce visage sans émotions. Et il était accompagné de Brad...
Merde, pensa-t-il, choqué de ce qu'il venait de voir. Il l'avait corrompu... Brad n'en avait fait qu'à sa tête depuis leur séparation chez le vendeur de potions et il avait rallié l'oncle à sa cause. En remarquant que lui et sa bande semblaient vouer un culte à une de ces grandes torches, Gabriel prit sa fille par le poignet et l'obligea à le suivre avec précipitation.
- Allez viens, on rentre, dit-il.
La petite Hylienne fut plongée dans l'incompréhension et refusa dans un premier temps de suivre l'homme. Ce n'était pas ce qui était prévu au départ, pourquoi avait-il changé l'heure sans la prévenir ?
- Quoi ? Mais tu avais dit qu'on restait jusque...
- Ne discute pas, Lysia. On rentre, c'est un ordre.
Elle fut obligée de prendre le chemin du retour, un bras tiré par son paternel qui insistait pour qu'elle se hâte davantage. Son changement d'humeur si brutal la tourmentait, mais elle n'osa pas lui demander ce qu'il se passait et se contenta d'obéir, l'air inquiet. En jetant un oeil derrière elle, Lysia vit le frère de Gabriel à son tour.
- Oncle Alan ! J'ai vu oncle Alan ! s'écria la blonde.
- Suis-moi, allez, n'eut que comme réponse son père.
Au même moment, la flamme autour de laquelle le groupe de Brad s'était retrouvé s'éleva haut dans les airs. Celle-ci tournoya de plus en plus vite en s'affinant sur son bout, plus elle rétrécissait sa distance entre elle et le ciel. Une colonne de corruption l'avait presque entraînée jusqu'aux nuages pour ensuite stopper son ascension. La foule de gens était hypnotisée par cet étrange phénomène qui se produisait devant eux.
Soudain, la masse de corruption entama sa chute en allant s'écraser sur une résidence de la ville. Un gigantesque souffle de feu brûlant s'échappa de ses murs en les détruisant sous le choc et la maison ne tarda pas à être dévorée par les flammes. Les ébahissements se transformèrent en cris de panique et la centaine de personnes présentes s'affola en sentant la chaleur émaner de la bâtisse incendiée. En l'espace de dix secondes, l'ambiance festive avait complètement vrillé au chaos. Maëlle, les yeux rouges étincelants, réapparut dans le ciel sous sa forme spirituelle, fière du résultat de ce qu'elle venait de produire. Brad, Alan, et Daniel firent de même en barrant toutes les issues.
Leur but : corrompre le plus de personnes possible.
La foule se fit entourer par un cercle violacé. Prises au piège, les premières victimes tombèrent au sol après être entrées en contact avec un des quatre fidèles. Daniel passa au travers de plusieurs corps à la suite sans se soucier de leur propriétaire. Maëlle entraîna avec elle un Hylien en s'envolant dans les airs avant de changer de cible. Brad, lui, restait au sol et se baladait tranquillement dans la foule paniquée avec Alan. Le duo allia sa puissance destructrice d'un geste vif de leur bras droit en simultané. Et une dizaine de personnes fut touchée par la malice. Durant ce temps-là, le feu comptait bien entendu se propager sur les autres bâtiments en bois, ce qui allait bloquer les quelques ruelles qui pouvaient encore servir de sorties de secours.
Du côté de Gabriel et Lysia, ils s'étaient éloignés de la rue bondée du marché et arrivèrent devant chez eux. Le père ouvrit brusquement la porte d'entrée de la grande maison, toujours en tirant sa fille par le bras. Il n'avait pas osé regarder derrière lui, préférant se concentrer sur leur survie et leur fuite et éviter de se retrouver dans la même situation que tous ces gens qu'il ne pouvait pas sauver. Gabriel claqua la grande porte derrière lui, s'agenouilla, et posa chacune de ses mains sur les épaules de Lysia pour lui expliquer ce qu'elle devait faire.
- Dirige-toi vers la porte de derrière, dit-il.
On entendait l'agitation chaotique même à l'intérieur. Lysia prit peur.
- Papa, qu'est-ce qu'il se passe ?!
- Je ne sais pas. Mais nous devons partir, et vite.
À travers une fenêtre, la petite fille vit une étrange lumière, puis de la fumée ardente s'élever au-dessus de celle-ci, elle eut un mouvement recul et son coeur s'accéléra.
- Il y a le feu ! alerta la blonde.
Le frère d'Alan regarda à son tour et garda son calme lorsqu'il comprit que cet incendie n'était absolument pas dû au hasard. Il avait été provoqué, l'Etape d'Hyrule était en train de subir un attentat. Ce n'était rien d'autre que les actes démoniaques de Brad qui avait depuis décidé de rompre son accord et mettre fin à sa coopération avec l'ancien voleur. La mort du héros d'Hyrule et seulement la mort du héros d'Hyrule... À en voir la tournure qu'avait prise cette soirée, le chevalier corrompu désirait bien plus que tuer le héros élu des déesses.
- Merde... marmonna Gabriel.
Le père cacha cette vision d'horreur à sa fille en se plaçant devant elle. Il jeta un oeil autour de lui pour savoir quelles affaires il allait être indispensable d'emmener. Car en effet, l'aîné ne prendrait pas le risque de revenir ici après de tels événements. En tout cas, pour le moment, ils devaient fuir. Pour que lui et sa fille soient en sécurité, question de survie.
- Ne regarde pas, énonça le père.
- J'ai peur... s'affola Lysia sur un ton terrifié.
Il posa délicatement une main contre la joue de la petite Hylienne qui sentit la chaleur corporelle de son père lui réchauffer le visage. Gabriel la rassura le plus possible, comme il savait si bien le faire.
- Hé. Je suis là, d'accord ? Tu n'as rien à craindre. On n'a plus de temps, il faut qu'on se sauve, tu comprends ?
- Il faut qu'on aide oncle Alan, il ne peut pas rester là-bas !
Ne voulant guère la blesser davantage en l'informant que son oncle n'était plus le même depuis la dernière fois qu'elle l'avait vu, il inspira profondément en cherchant ses mots mais ne sut quoi répondre.
- Il... commença-t-il.
Lysia était à l'écoute, elle attendait la suite. Mais rien de plus ne sortit de sa bouche et Gabriel prit comme excuse la situation pressante.
- Allez va, je te rejoins.
La blonde prit la direction de l'arrière de la maison où ils allaient pouvoir sortir en sécurité et en toute discrétion. Son père attrapa un sac accroché au mur près la porte d'entrée pour y ranger les affaires les plus importantes. Il se précipita à l'étage et prit tout le nécessaire pour quelques jours, il oublia un certain nombre de choses mais l'essentiel était là. Lorsqu'il descendit les escaliers à toute vitesse, ses yeux se posèrent sur la table de la salle à manger sur laquelle l'étrange coffret qu'il avait découvert le matin même était posé. Il n'avait pas trouvé la clé pour l'ouvrir, mais l'homme décida tout de même de placer la boîte dans le sac. Il termina par cet objet puis referma son bagage qui pesait à présent un certain poids.
Plus une seconde n'était à perdre, Gabriel voulut rejoindre sa fille lorsqu'un bruit sourd retentit juste derrière lui. Il se baissa instinctivement en plaçant ses mains contre ses oreilles. La seule chose qu'il vit dans un premier temps en se tournant était un trou béant dans la porte d'entrée, en plein milieu, comme si un boulet de canon l'avait traversée. Une silhouette se dessina alors devant ses yeux et Gabriel ne fut pas surpris de reconnaître son frère qui, il ne fallait pas l'oublier, l'avait également vu il y avait quelques minutes. Alan ne voulut guère l'ignorer.
- Tu croyais que j'allais vous laisser vous échapper ? s'empressa-t-il de dire au père.
Ce dernier se releva en essayant de garder une expression qui ne manifestait pas la peur qui lui rongeait dorénavant l'estomac. Il se décala pour arriver derrière la grande table tandis que le nouvel arrivant était à l'opposé. La peur de son propre petit frère... Jamais l'Hylien n'aurait pensé ressentir une telle chose un jour, mais pourtant cela avait bien lieu. Et il mourrait d'envie de faire payer celui qui avait embrouillé l'esprit de son cadet.
- Salut, frangin, fit Gabriel. Écoute, fais pas le con.
- Alors ? Tu l'as sauvée ? demanda Alan dans la foulée.
Ce fut un refus catégorique pour lui de faire intervenir Lysia dans leur discussion. L'ancien voleur savait qu'il parlait aussi d'une certaine manière à l'entité de Ganon et il ne risqua pas de mettre une nouvelle fois sa fille en danger, elle avait déjà assez souffert comme ça. Il eut une sueur froide en analysant le comportement d'Alan.
- Pas elle, dit-il. Je t'en supplie.
- Je m'inquiète pour ma nièce, enfin...
- Dans d'autres circonstances, je t'aurais laissé la voir, mais...
Il marqua une pause.
- Bordel, regarde ce que tu es devenu !
- Les choses ont changé, Gabriel. Je t'avais prévenu depuis le début que collaborer avec le Mal était une mauvaise idée. Mais tu ne m'as pas écouté, et Brad s'est fait un plaisir de te manipuler.
Alan faisait se remémorer à son frère des choses qui le remplissaient de regrets. Il avait mal agi, il n'avait pas fait les bons choix, mais le passé était passé. À présent, il ne pouvait que demander pardon pour sa folie meurtrière.
- Je m'excuse, d'accord ? Quand elle s'est fait enlever, je suis devenu fou, j'en ai fait qu'à ma tête. J'aurais dû t'écouter.
- Tu as repris ton ancienne identité de voleur et tu as souhaité la mort du sauveur du royaume pour satisfaire tes désirs.
Alan remuait le couteau dans la plaie pour le faire craquer, ou alors était-il en train de le manipuler à son tour ? Mais Gabriel avait bien l'intention de garder les idées claires et de ne pas faiblir face aux propos de son frère. Même si cela le désolait d'entendre ce discours sortir de sa bouche.
- Je ne voulais que sauver ma fille ! répliqua-t-il, en espérant que cela pouvait se comprendre un minimum.
- La vérité, c'est que tu n'as pas changé. Tu as toujours été un voleur de trésor sans pitié. Tu vis dans une maison familiale qui ne t'appartient même pas. Tu ne peux pas t'empêcher de voler les biens des autres.
Gabriel encaissa les coups. Il se créa comme un bouclier invisible qui repoussait ses mots pour que le père ne les assimile pas trop et évite de prendre au sérieux ce qu'Alan disait... C'était la corruption qui parlait, il voyait le même regard que Brad à travers ses yeux... Son véritable frère n'aurait jamais été aussi dur avec lui.
- Tu ne peux pas changer ta vraie nature, s'acharna le corrompu. L'enlèvement de Lysia n'a fait que l'éveiller de nouveau après toutes ces années passées aux côtés de cette espèce de sale...
- Ne l'insulte pas ! le coupa brutalement Gabriel, pris d'une colère sans nom.
Son cri résonna dans toute la maison. Lysia, cachée dans une autre pièce, resta malgré tout silencieuse et écoutait attentivement toute la discussion fraternelle. Alan s'étonna de l'énervement si soudain du père.
- Ne me dis pas que tu l'aimes encore après ce qu'elle t'a fait ?
- N'insulte pas la mère de ma fille, reprit fermement Gabriel plus calmement.
- Madeline ne t'a jamais aimé ! Ni toi, ni Lysia !
L'aîné répliqua aussitôt.
- Si je me suis mis à voler, c'était pour notre survie à tous les deux ! Je me suis occupé du gamin que tu étais alors que moi-même j'en étais un ! Je sais que tu ne penses pas ce que tu dis. Réveille-toi, Alan. Réveille-toi et nous pourrons reprendre la vie que nous avions commencé à mener. Reprends-toi, frangin...
- Je suis l'un des leurs, maintenant, souffla le concerné. Plus rien ne pourra venir changer ça.
Gabriel nota que les bouts des doigts de son frère se mettaient à tressaillir. Il ne passa pas non plus outre le fait qu'Alan avait adopté une respiration plus rapide. Il savait qu'il pouvait lui sauter dessus d'une seconde à l'autre, ce n'était qu'une question de temps.
- Ne m'oblige pas à me battre contre toi, signala le père.
Alan fut envahi par un rire moqueur.
- Te battre ? Tu n'en auras même pas le temps. Tu vas nous rejoindre à ton tour, tout comme ces dizaines de gens dehors. Et ça se passera exactement comme quand elle s'est barrée : tu ne vas rien voir venir.
Dans un amas de fumée mauve, Alan s'élança par-dessus la table rectangulaire en la survolant dans sa longueur et en se dirigeant droit vers son frère qui s'accroupit et passa en-dessous. Le corrompu percuta un mur et fit tomber plusieurs cadres accrochés sur celui-ci à cause de l'impact. À même le sol, Gabriel se pressa de rejoindre l'autre bout de la table ; lorsqu'il y parvint, le père fut propulsé en arrière par une force invisible et son corps se plaqua violemment contre la grande porte d'entrée trouée. Dans un gémissement plaintif, il trébucha au sol, affaibli. Il n'avait aucune chance face à de tels pouvoirs, rien ne servait d'essayer de riposter sous peine de se faire corrompre à son tour. L'homme se releva en panique en essayant de fuir Alan qui leva une main vers l'imposant meuble central de la pièce. Le bois de la table se fissura subitement en deux, laissant passer une traînée de malice déchaînée qui passa par une fenêtre qu'elle brisa dans le même temps pour revenir par ce qu'il restait de la porte de la demeure.
Concentré sur le contrôle de cette chose qui semblait sortir de sa propre main, le cadet avait fermé les yeux et ne fit pas attention à la position de Gabriel qui, malgré tout, osa se ruer vers lui en le frappant à la mâchoire. Alan fut dans l'obligation de cesser ce sortilège démoniaque qui ravageait tout sur son passage ainsi que de basculer sa tête en arrière bien qu'il ne ressentit aucune douleur particulière dû à ce coup de poing crocheté de la part de son aîné. Ce dernier ne prit pas le risque de continuer sur cette lancée, s'il s'approchait trop de lui, pour sûr, la corruption se ferait un plaisir de l'envahir. De plus, il n'avait nulle envie de plus blesser son frère. Mais il n'hésiterait pas à faire, à contrecoeur, ce qu'il fallait si les choses venaient à se corser davantage.
Gabriel ordonna à Lysia de sortir à l'extérieur, par l'arrière de la maison. Simultanément, un grognement bestial résonna dans la salle à manger. Un cri qui venait des entrailles même du vendeur de potions corrompu maintenant aux iris rouge sang. La totalité de l'épiderme d'Alan fut recouvert d'une matière violette et visqueuse qui avait dû s'échapper des pores de sa peau d'une façon inconnue. Il était méconnaissable. Un monstre venu tout droit de l'enfer. Horrifié par cette soudaine métamorphose, le père récupéra au sol le sac qu'il avait rempli d'affaires pour un long voyage tout en gardant un oeil sur Alan qui le fixait en s'approchant dangereusement de lui.
- Par Hylia... souffla Gabriel.
- Tais-toi ! s'écria l'enragé en jetant une chaise dans la direction de l'aîné que celui-ci esquiva.
Le père comprit vite quel moyen de pression il pouvait utiliser pour affaiblir Alan. En y réfléchissant, cela coulait de source ! La simple mention de la déesse Hylia le mettait dans un état foudroyant. Une seule petite pensée et c'était une haine sans pareille qui jaillissait du corps du corrompu. Pourrait-il perdre ses moyens en continuant sur cette lancée tout de même risquée ?
- Quoi ? s'étonna faussement Gabriel. Il y a un problème avec cette divinité, peut-être ? Cette même déesse que tu priais tous les soirs, avant de te coucher. Tu t'en souviens, au moins ?
Alan planta ses ongles dans ce qu'il restait de visible de ses paumes de mains, sous cette couche maléfique de corruption qui remplaçait sa peau.
- Si tu ne la fermes pas maintenant... prévint-il.
- Et cette petite figurine que tu as offerte à Lysia, continua son frère en ignorant ses paroles, elle ne la quittait jamais.
Alan fut victime de plusieurs spasmes lorsque la nuit où il avait laissé fuir un enfant de dix ans en pleine tempête de neige lui revint en tête. Gabriel venait de stimuler son esprit qui réagit comme lorsque l'associé de Brad avait posé les yeux sur la figurine d'Hylia d'Arthur. Ce dernier ouvrit grand la bouche, mais son hurlement se manifesta seulement après quelques secondes. Il était dans l'incapacité d'agir, totalement soumis à ses pensées. Il s'agenouilla et un gaz de la même couleur que la corruption l'entoura petit à petit, jusqu'à former un brouillard épais qui fit disparaître Alan en son sein. Gabriel ne resta pas plus longtemps spectateur de cette scène morbide et rejoignit avec hâte sa fille qui l'attendait, triste d'avoir dû faire subir une douleur qui s'apparentait atroce à son paternel.
Une fois sortis d'affaire, Lysia et son père se sauvèrent vers la sortie de la ville la plus proche pour éviter d'assister plus longtemps au massacre de l'incendie. Ils ne savaient pas où ils allaient se rendre, ni quand ni comment. Mais une chose était sûre, la petite famille allait devoir trouver un nouvel endroit où vivre. Du moins pour quelques jours dans un premier temps. Car leur demeure, grande et somptueuse dans laquelle ils avaient passé des années, venait de littéralement exploser derrière eux.
Ce texte a été proposé au "Palais de Zelda" par son auteur, "Azur". Les droits d'auteur (copyright) lui appartiennent.