The Legend of Zelda : L'Epopée d'Hyrule
Chapitre 34 : Le domaine Zora
Chapitre 35 : Des femmes de caractère
Chapitre 36 : Le Temple de l'Eau
Chapitre 37 : L'Eveil
Chapitre 38 : Le destin des Elus
Chapitre 39 : La princesse
Chapitre 40 : Jehd
Chapitre 41 : Zylia
Chapitre 42 : L'alzanine
Sheik et Link avaient suivi le loup et la piste de Zelda jusqu'à ce que la nuit tombe. L'animal aurait sûrement pu continuer dans l'obscurité, mais les deux humains avaient besoin de repos.
Depuis leurs adieux à la sorcière, Sheik n'avait guère ouvert la bouche et Link respectait son silence, comprenant que son nouvel ami devait réfléchir à ce qu'il venait d'apprendre. Lui-même ne savait quoi penser du fait que Sheik soit le prince Gustave, mais il gardait ses réflexions pour lui.
Après une nuit sans histoire, ils repartirent dès les premières lueurs de l'aube, le loup les guidant toujours sur les traces de Zelda. Par chance, celle-ci avait pris la direction du domaine Zora, mais elle avait évité la route principale préférant suivre un petit sentier serpentant entre les arbres. Ce n'était pas plus mal vu qu'ils ignoraient ce qu'il était advenu du reste des troupes de Ganondorf après le massacre du village de la Jeune Fille Bleue. En toute logique, l'ennemi avait dû marcher vers la prochaine zone habitée. Il fallait espérer que les Zoras n'aient pas subi le même sort que les malheureux villageois. Il leur fallut presque toute la journée pour arriver sur le territoire des Zoras. Ils avançaient toujours sous le couvert des arbres, mais cela faisait déjà plusieurs heures qu'ils entendaient le bruit d'une rivière qui coulait fortement en contrebas de la falaise où ils se trouvaient.
- As-tu déjà rencontré des Zoras, Link ? demanda soudain Sheik, brisant le silence.
- Jamais personnellement. J'en ai vu de loin à la Citadelle une fois ou deux.
Link se fit la réflexion que cela lui semblait un souvenir lointain, comme si tout ce qu'il avait vécu avant la Fête des Déesses avait été dans une autre vie. Cela ne faisait pourtant que quelques semaines à peine.
- Tu les connais bien ?
- Je suis souvent venu ici. Impa m'y laissait parfois plusieurs semaines. J'ai appris à manier la lance avec eux, à pêcher... Ils connaissent tellement de choses sur l'histoire d'Hyrule.
Ils furent interrompus par le son d'une corne qui fut aussitôt repris par plusieurs autres. Le loup redressa la tête et les oreilles, et courut vers le bord de la falaise, aussitôt rejoint par Sheik et Link. Les deux jeunes hommes restèrent pétrifiés par la scène qui se déroulait sous leurs yeux. Plus bas, les eaux de la rivière s'étaient teintées de sang et charriaient les cadavres de bokoblins et autres monstres portant les couleurs de Ganondorf. Sur le champ de bataille, les soldats zoras achevaient de repousser les envahisseurs.
- Aaaaaaah !
Plusieurs ennemis furent projetés dans les airs à plusieurs dizaines de mètres par un colosse comme Link n'en avait jamais vu. Le Zora était deux fois plus haut et deux fois plus large que ses congénères, et ses écailles rouges tranchaient avec le bleu ou le vert des autres Zoras. Tout cela faisait qu'il était le centre d'attention de leurs adversaires qui tentaient encore de l'abattre. Le Zora attrapa un bokoblin dans chaque main et s'en servit pour repousser les autres, les faisant valser encore une fois haut dans le ciel.
- Il faut toujours qu'il se fasse remarquer, laissa échapper Sheik avec une pointe d'admiration malgré tout.
Sans un mot de plus, le Sheikah conduisit ses compagnons jusqu'aux troupes zoras. Le temps qu'ils arrivent sur place, la bataille était finie. Elle s'était déroulée devant une haute muraille gardant un pont enjambant la rivière. Alors que le soleil se couchait, la muraille, ses tours et le pont brillaient d'une lueur turquoise apaisante. Link, qui avait d'abord cru que les constructions étaient de verre, comprit qu'elles avaient été complètement édifiées dans la célèbre gemme nox très à la mode à la Citadelle depuis quelques années. Là-bas, les Hyliennes en raffolaient pour leurs bijoux et c'était la première fois que Link en voyait autant d'un coup.
- Ah ah ! Sheik ! Mon ami !
Le Zora rouge ne laissa guère le temps au Sheikah de descendre de son cheval, ni même de dire un mot qu'il l'attrapa dans une étreinte puissante. De près, le Zora était encore plus impressionnant avec ses dents tranchantes et son armure encore souillée du sang de ses ennemis. Il rappela à Link les requins qu'il avait pu voir dans ses livres.
- Bonjour, Sidon, répondit Sheik en se laissant faire, n'ayant d'autre choix.
Le Zora posa son ami à terre et sourit de toutes ses dents alors que Sheik se frottait les bras et la nuque.
- Link, je te présente le fils du roi Dorépha, le prince Sidon. Sidon, voici Link, le porteur de la Triforce du Courage.
Aussitôt, l'intéressé prit une pose qui aurait beaucoup plu à Lovio, souriant de toutes ses dents de requins et bandant ses biceps.
- Ah ah ! Enchanté, Link, bienvenue chez les Zoras !
Un instant, Link crut que Sidon allait le soulever de terre comme il l'avait fait avec Sheik, mais il n'en fit rien.
- Je croyais que le prince était souffrant...
- Nous arrivons de chez Aëline, expliqua Sheik à Sidon. Elle nous a donné un remède.
- C'est pour Lars, c'est lui qui est malade, répondit le Zora en affichant une certaine inquiétude.
- Je m'en doutais.
Sheik regarda Link qui attendait une explication.
- Lars est le jeune frère de Sidon. Il a toujours eu une santé fragile. Enfin... surtout si on la compare à celle de ce phénomène, dit Sheik en désignant Sidon du pouce.
Link hocha la tête et sourit légèrement au trait d'humour de son nouvel ami. Depuis qu'ils avaient rejoint les Zoras, Sheik semblait redevenir lui-même, la situation le forçant à sortir de ses sombres pensées. Un instant, Link se demanda si Impa n'avait pas fait exprès d'envoyer Sheik chez les Zoras toutes ces années, pour qu'il côtoie un autre prince. Il cherchait sûrement trop loin.
- Moi ? Un phénomène ?
Sidon éclata d'un rire tonitruant et donna une claque dans le dos de Sheik qui manqua de perdre l'équilibre. Link ne put s'empêcher de rire à son tour devant l'expression surprise du Sheikah et se demanda un instant qui, de Sidon ou d'Hönir, était le plus costaud.
- Venez avec moi jusqu'au domaine, dit finalement le prince.
Il donna quelques ordres à ses soldats pour que les blessés soient ramenés chez eux et pour que les portes du domaine soient surveillées en cas de nouvelle attaque, puis il entraina Sheik, Link et le loup avec lui sur le pont.
- Sidon, aurais-tu vu la fille d'Aëline récemment ? demanda Sheik alors qu'ils avançaient sur la route principale.
- Hum... il y a quelques jours, oui. Elle est venue voir Lars. Ils sont amis tous les deux.
- Est-elle encore au domaine ?
- Aucune idée. Je suis parti en patrouille quand elle est arrivée. Il y a beaucoup de monstres dans les parages depuis que le château a été envahi. Nous sécurisons nos frontières du mieux possible.
Sidon regarda Sheik avec grand sérieux.
- Quand nous avons appris que le village de la Jeune Fille Bleue était attaqué, il était trop tard.
Link sentit la colère du prince zora dans ses paroles. Plus il l'écoutait et le regardait, plus il le trouvait sympathique.
- Je suis si heureux que tu sois là, Sheik ! Cela fait si longtemps que tu n'es pas venu nous voir ! reprit le Zora d'un ton plus léger.
Il amorça le geste d'une nouvelle claque dans le dos de son ami, mais s'arrêta à temps, faisant un clin d'oeil à Link.
Il leur fallut deux bonnes heures de marche pour arriver jusqu'au coeur du domaine Zora. Link avait eu l'occasion de découvrir un paysage bien différent des plaines ou encore du désert. Ici, les gemmes nox brillaient de leur lueur turquoise un peu partout, donnant aux lieux un air un peu hors du temps. Ce qu'elle laissait deviner de la végétation l'intriguait. Au milieu des sapins, il avait aperçu d'étranges plantes ressemblant à des algues ou des coraux. Jamais il n'aurait cru qu'Hyrule pouvait receler autant de diversité et il sentait qu'il avait encore plus à découvrir.
Durant leur trajet, ils avaient beaucoup parlé. D'abord, Sheik avait fait le résumé de la situation à son ami. Link l'avait écouté parler de la disparition d'Impa et de l'attaque de Toal avec détachement, presque sans émotion, comme s'il faisait le rapport de choses ne le touchant pas de près. Quand il y fut invité, il parla à son tour de sa rencontre avec l'Arbre Mojo et de leur quête des minerais sacrés pour reforger l'Epée de Légende. Tout cela avait plombé l'ambiance, mais Sidon changea cela en racontant avec un enthousiasme que n'aurait pas renié Lovio toute une série d'anecdotes sur les séjours de Sheik chez les Zoras. Cela dérida le jeune homme qui répondait du tac au tac aux taquineries de son ami d'enfance, n'hésitant pas à lui rappeler que souvent, c'était bien lui qui était à l'origine des pires bêtises qu'ils avaient pu faire ensemble. Finalement, ils arrivèrent à un long pont qui semblait se perdre sous une gigantesque cascade. Devant l'eau qui se déversait au sol avec fracas était gravé dans la gemme nox le symbole de la Triforce.
- Nous voilà au domaine, fit Sheik avec un sourire.
- Nous en avons fermé les portes vu la situation, expliqua Sidon à Link.
Avec un de ses habituels sourires sûrs de lui, le prince zora sauta du pont sous les yeux effarés de Link.
- Evidemment... s'amusa Sheik qui n'était guère étonné que son ami en profite pour en mettre plein la vue à Link.
Sidon repassa devant eux dans la minute qui suivit, nageant à contre-courant, remontant la cascade avec une facilité déconcertante. La puissance du prince et sa grâce laissèrent Link complètement sans voix alors qu'il le suivait du regard, se penchant par-dessus la barrière du pont. Le Zora arriva en haut de la cascade et sauta plus haut encore, son imposante silhouette se découpant dans la lumière lunaire. Puis, il disparut et, quelques secondes plus tard, les portes s'ouvrirent, écartant les eaux de la cascade. Encore abasourdi, Link suivit Sheik, mais ce qu'il découvrit le laissa sous le choc. Au bout du pont se tenait la cité des Zoras, gigantesque construction de pierres et de gemmes nox, brillant de mille feux. S'il avait toujours cru que la Citadelle et le château étaient magnifiques, ils étaient finalement bien pâles et grossiers en comparaison du domaine Zora. Tout y était grâce et beauté.
- Ah ah ! Je savais que cela te plairait, mon ami ! fit Sidon en lui donnant un coup de coude qui manqua de le faire tomber de cheval.
- C'est magnifique, approuva-t-il. Il faudra que je revienne avec Lovio et Hönir.
Ils laissèrent leurs chevaux à l'entrée et continuèrent à pied. Le loup regardait partout. Par rapport à son époque, le domaine avait beaucoup changé, mais il retrouvait les monumentales sculptures de coquillages sur les falaises ainsi que la cascade centrale menant à la salle du trône et les quartiers d'habitation. Le roi Dorépha les attendait, assis sur son trône. Si Sidon impressionnait par sa taille, ce n'était rien comparé à son père qui était une vraie montagne. Il souhaita la bienvenue à son fils aîné et à Sheik, qu'il était ravi de revoir, puis écouta le rapport de Sidon.
- Père, Sheik et Link ont besoin de l'aquanine pour réparer l'Epée de Légende.
- L'aquanine est la pierre sacrée de notre peuple. Nous nous la transmettons de roi en roi depuis des temps immémoriaux.
A ces mots, il jeta un oeil au loup, assis à côté de Sheik, comme si l'animal lui rappelait quelque chose.
- Une légende très ancienne dit que c'est le Dragon de l'Eau qui l'aurait laissé à nos ancêtres, reprit-il. Elle l'aurait reçu elle-même de la Déesse Nayru. Chaque roi jure sur l'aquanine de toujours veiller sur son peuple. Elle est le témoin de notre histoire, de notre civilisation.
Link commençait à croire que si cette pierre était aussi sacrée pour les Zoras, il ne serait pas évident de l'obtenir. Il jeta un oeil à Sheik, mais celui-ci attendait simplement la fin du discours du roi.
- Mais Père ! Link en a besoin pour défaire la menace qui pèse sur tout Hyrule !
Dorépha laissa glisser son regard sur Link. Celui-ci se sentit tout petit à cet instant.
- Sheik semble croire que tu es l'Elu de la Déesse, le Héros qui écartera la menace, mais tu me sembles si jeune...
- Votre Majesté, répondit Link avec toute l'assurance dont il était capable. Il n'y a encore que quelques semaines, je n'étais que l'apprenti du maître forgeron de la Citadelle, c'est vrai. Je sais aussi que j'ai encore beaucoup à apprendre.
Il montra le dos de sa main droite et Navi voleta autour de lui avec entrain.
- Je n'ai pas demandé à être l'Elu de qui que ce soit, ni à posséder la Triforce du Courage, mais je ferai ce qu'il faut pour contrer Ganondorf. Je l'ai déjà affronté et la prochaine fois, je mettrai fin à ses agissements. Mais pour ça, j'ai besoin de l'Epée de Légende et sans l'aquanine, je ne pourrai lui rendre toute sa puissance.
Link avait rarement parlé autant d'un coup. Il attendit la réponse du roi sans le quitter des yeux. Il ne pouvait pas flancher, ni abandonner si près du but, pas alors que ses amis se battaient de leurs côtés. Le roi resta silencieux un long moment et Sidon dut se faire violence pour ne pas intervenir.
- L'aquanine est en sécurité dans le Temple de l'Eau, entendirent-ils soudain.
- Lars ! Depuis quand es-tu ici ? s'exclama le roi, surpris et contrarié à la fois.
Un jeune Zora venait de faire son entrée. Il semblait être un peu plus jeune que Link. Contrairement au géant qu'était Sidon, le prince était petit et frêle. Ses écailles étaient de deux teintes de bleu et sa tête faisait penser à la silhouette gracieuse d'un dauphin. Il sourit à Sheik, puis reporta son attention vers le roi.
- Je suis si petit que vous ne me remarquez jamais, Père.
- Ça, c'est parce que tu te caches toujours pour écouter aux portes, petit frère, répondit Sidon avec un sourire malicieux.
- Disons plutôt qu'il est difficile de me faire remarquer quand tu es là.
Lars avait dit cela en haussant les épaules, mais sans reproche. C'était juste une constatation. Il avait l'habitude de passer inaperçu, surtout lorsqu'il était dans la même pièce que son père et son frère.
- Père, vous comptiez bien le leur dire, non, pour l'aquanine ?
Dorépha soupira et laissa échapper un rire qui résonna sous la voûte de la salle du trône.
- En effet, mon fils. Sheik, Link, la vérité, c'est que si l'aquanine nous est sacrée, le Dragon d'Eau nous l'a remise pour que nous la protégions en attendant que celui destiné à être le Héros la réclame. Demain matin, après une bonne nuit de sommeil, je vous remettrai les clés du Temple de l'Eau. Sidon, tu les accompagneras.
L'aîné des princes approuva à sa façon, en souriant de toutes ses dents. Quelques instants plus tard, le roi prit congé, les laissant entre eux.
- Tu as bien grandi depuis la dernière fois, fit Sheik à Lars après lui avoir présenté Link, Navi et le loup.
- Un petit peu, peut-être, admit le prince.
- Patience, petit frère. Très bientôt, tu seras aussi grand et fort que moi, ah ah !
- Si je dois avoir la tête aussi creuse que toi en grandissant, je préfère rester petit.
Sidon attrapa son cadet pour lui coincer la tête sous le bras.
- Répète un peu ?
Lars voulut obtempérer, mais il fut pris d'une violente quinte de toux. Sidon le relâcha aussitôt, le visage inquiet. Il aida son frère à s'asseoir.
- Ne faites pas cette tête-là, leur dit Lars dans un soupir. Je suis habitué.
Link sortit aussitôt le remède d'Aëline de sa sacoche et le tendit au prince avec le parchemin.
- La sorcière nous a donné cela pour vous.
- Oh, vous êtes passés chez Aëline ?
- Oui, et nous savons que sa fille est venue te voir. Est-elle encore ici ? demanda Sheik avec plus d'impatience qu'il l'aurait voulu.
Lars le regarda, hésitant visiblement à parler.
- Lars, nous ne sommes pas là pour la ramener chez Aëline, mais elle est en danger. Nous devons la retrouver.
Le prince soupira une nouvelle fois et jeta un coup d'oeil à son frère qui l'encouragea à parler.
- Non, Zelda est repartie, admit-il.
La déception se lut sur le visage de Sheik. Link n'avait pas voulu casser ses espoirs, mais il s'en doutait depuis le début. Cela aurait été trop facile et rien ne l'était depuis le début de leur aventure.
- Sais-tu où elle est allée ?
- Elle n'est restée qu'une nuit. Elle venait d'apprendre qu'elle avait été adoptée par Aëline et qu'elle avait un frère quelque part. Elle avait besoin de parler de ça, et des rêves qu'elle fait depuis quelques temps. Tout ce que je sais, c'est qu'elle a pris la route vers le sud. Je ne sais pas où elle comptait aller, mais elle veut retrouver son frère.
Link posa sa main sur l'épaule de Sheik qui affichait une expression contrariée. Le loup jappa pour rappeler son existence. Il passa la tête sous la main de Sheik dans un geste réconfortant, puis attrapa le foulard de Zelda qu'il avait toujours à sa ceinture.
- Tu peux toujours retrouver sa piste ? demanda le jeune homme à l'animal qui approuva d'un signe de tête.
- Alors, tu devrais y aller et moi, je m'occupe du temple avec Sidon, proposa Link.
Sheik réfléchit. Il était tenté d'accepter. Retrouver cette soeur dont il ignorait tout était sa priorité, mais la mission de Link l'était peut-être tout autant. S'il avait confiance en Sidon pour épauler son nouvel ami, il sentait que, malgré tout, sa place était également aux côtés de Link pour retrouver l'aquanine. Encore une fois, le loup jappa. Il poussa Sheik du museau pour le faire reculer vers Link.
- Quoi ? Qu'est-ce que tu veux ?
Le loup recommença.
- Je crois qu'il veut que Sheik reste ici, fit Lars.
Le loup approuva d'un nouveau signe de tête, puis regarda Sheik dans les yeux. Ce que le jeune homme y lut le décida.
- Je te fais confiance, mon ami. Tu retrouveras Zelda et la protégeras. Nous partirons à ta suite quand nous aurons trouvé l'aquanine.
Sheik s'agenouilla et prit le loup dans ses bras.
- Sois prudent, surtout.
Le loup lui lécha la joue puis laissa Sheik nouer le foulard autour de son cou. Il les regarda tour à tour, puis ne perdit pas de temps pour se lancer à la poursuite de Zelda.
- Bien, il est temps de nous reposer, fit Sidon une fois le loup disparu. Nous aurons besoin de toutes nos forces pour nous rendre au Temple de l'Eau.
Tous approuvèrent. Alors que Sidon les entraînait dans les couloirs pour les mener à leurs chambres, Link posa sa main sur l'épaule de Sheik.
- Tout va bien se passer. Nous la retrouverons.
- Je l'espère, Link.
Sheik lui sourit légèrement, mais il était inquiet. Il espérait avoir fait le bon choix.
- Nous y voilà.
Sidon désigna d'un large geste de la main le gigantesque lac qui s'étalait devant leurs yeux à deux bonnes heures du domaine. Au centre, se trouvait une île boisée. On voyait dépasser la silhouette d'une construction au-dessus des arbres.
- Nous allons passer vous équiper.
Sheik et Link descendirent de leurs montures et les laissèrent à la bonne garde du soldat zora qui les avait accompagnés. Link chercha une barque des yeux, en vain. S'il était relativement bon nageur, l'île était à grande distance pour quelqu'un dépourvu de nageoires. Un grand plouf ramena son attention vers le lac. Sidon venait d'y plonger et leur faisait signe de le rejoindre.
- Prêt comme autrefois, mon ami : fit-il à Sheik qui hocha la tête en réponse.
Le jeune homme n'hésita pas et sauta sur le dos de Sidon pour s'y accrocher.
- Je vais t'emmener.
Link regarda le prince Lars. Celui-ci avait tenu à les accompagner bien que le roi se soit montré frileux à ce sujet.
- Tu es sûr ?
- Ne t'inquiète pas ça. Tu es un poids plume et je ne suis pas si faible que ça.
Link se passa la main à l'arrière de la tête, gêné d'avoir pu se montrer indélicat avec le prince et son état de santé. Lars n'attendit pas de réponse pour se jeter à l'eau à son tour. Link imita alors Sheik et, aussitôt, tous les quatre se mirent en route vers l'île. Les Zoras nageaient à une vitesse impressionnante et il fallut que Link s'agrippe bien à Lars pour ne pas tomber.
- Regarde là, lui fit soudain le prince en lui désignant le fond du lac.
Les eaux claires laissaient entrevoir une construction de pierre à plusieurs dizaines de mètres sous la surface. L'entrée était signalée par de grandes sculptures, peut-être des Zoras armés de lance.
- C'est le temple ? demanda-t-il.
- Exact. C'est pour ça qu'il vous faut un équipement spécial.
Lars eut un sourire un peu moqueur à la pensée qui traversa son esprit.
- Et je ne pouvais vraiment pas manquer ça.
Link n'eut pas l'occasion de lui demander de quoi il parlait qu'ils étaient déjà arrivés sur l'île. Les deux frères les rejoignirent aussitôt sur la terre ferme et ils empruntèrent un petit chemin de pierre et de gemmes nox.
- Tu crois que ça va aller, Sidon : lança Lars avec amusement.
- Quoi ? Mais bien entendu, voyons.
- Tu en penses quoi, Sheik :
- Moi, je crois qu'il va se figer, répondit le jeune homme avec un sourire.
- N'importe quoi. Je ne vais pas me figer.
- C'est un spectacle dont je ne me lasse jamais, renchérit Lars.
- C'est toujours pareil : demanda Sheik.
- Non, c'est pire à chaque fois.
Link se sentait complétement à l'écart de la conversation, aussi n'intervint-il pas. Voir Sheik parler avec ses amis lui rappelait que les siens étaient loin, mais il était content pour son compagnon. A Toal, les événements s'étaient enchainés tellement vite qu'il n'avait pas eu l'occasion de le voir agir autrement qu'avec le poids des responsabilités, y compris avec Hergo et Jehd.
- Tu vas voir, le spectacle vaut le coup d'oeil, lui fit soudain Lars avec un sourire complice.
Il ne leur fallut pas longtemps pour arriver à l'unique bâtiment de l'île. Comme toutes les habitations zoras que Link avait pu voir, la maison était en pierre incrustée de gemmes nox, mais la première chose que l'Hylien repéra fut la forge attenante. Si le forgeron était absent, ses réalisations étaient exposées contre les murs ou suspendues. Il y avait des épées, des boucliers, des lances, mais aussi des pièces d'armure.
- Il faut toujours que tu prennes autant de place que ton égo.
Les quatre garçons se retournèrent dans un bel ensemble vers celle qui venait de parler. La Zora qui leur faisait face était aussi grande que Sheik et avait des écailles bleu clair. Elle portait de nombreux bijoux aux poignets, au cou et sur la tête. Elle tenait une caisse à bout de bras et regardait Sidon avec insistance. Celui-ci s'était raidi et il était évident qu'il ne savait plus quoi faire de sa grande carcasse.
- Tu permets que je passe : demanda-t-elle en secouant la tête.
- Ah... oui... heu... bien sûr, bafouilla le prince devant les yeux ébahis de Link.
Sheik et Lars, eux, se retenaient difficilement d'éclater de rire. Link comprenait mieux ce que Lars ne voulait pas rater. Il était vrai que Sidon paraissait avoir totalement perdu sa très grande confiance en soi.
- Heu... tu veux que...
- Trop tard, pouffa Lars alors que la jeune femme posait la caisse devant la forge.
- Oh ! Lars ! Tu es venu ! s'exclama soudain la Zora.
Elle franchit rapidement les quelques pas qui les séparaient pour le serrer contre elle. Le jeune prince lui rendit son étreinte, défiant son aîné du regard.
- Bonjour, Laruto, fit Sheik alors qu'elle venait également lui donner une accolade amicale.
Le jeune homme lui présenta aussitôt Link alors que Sidon ne savait visiblement plus quoi faire, ni quoi dire.
- Nous nous rendons au temple avec ces deux-là, fit Lars.
- Vous êtes à la bonne adresse. Venez.
Laruto leur fit signe de la suivre. Elle s'arrêta devant Sidon pour le regarder dans les yeux.
- Tu... as l'air d'aller bien, fit le prince avec hésitation.
- Parce que ça t'intéresse tout d'un coup :
Elle le planta là sur ces mots et entra dans la maison.
- On dirait qu'elle est fâchée contre toi, fit Sheik à son ami.
- Oui. C'est un peu... compliqué, admit Sidon.
- Elle l'a envoyé balader, expliqua Lars avec un petit ricanement.
- Encore ?
- Vous venez, oui ou non : fit Laruto de l'intérieur.
Lars disparut le premier dans la maison, suivi de Sheik. Link observa Sidon et lui offrit un sourire amical. Il n'aurait jamais pensé qu'une telle montagne puisse être ébranlée par quelque chose. Il l'avait vu se débarrasser d'une dizaine d'ennemis armés jusqu'aux dents comme si c'était une promenade de santé, et le voilà qui ne savait pas comment se comporter face à une fille. Cela lui rappela Hönir quand ils avaient rencontré Mina. Lovio avait-il été pareil face à Frambra : Lui-même ne savait comment il réagirait : aucune fille ne lui avait encore fait chavirer le coeur.
Ils se retrouvèrent finalement tous à l'intérieur. Sidon devait se courber et faire attention en se déplaçant pour ne pas faire tomber ce qui était suspendu ou éviter de se cogner. Laruto avait fouillé dans de grands coffres de pierre sculptés de coquillages pour en sortir deux tenues bleues pour Sheik et Link. Elle leur désigna une pièce où ils purent se changer. La tunique et le pantalon étaient faits d'une maille bleue très fine et légère, un peu moulante. Aux pieds, ils mirent des bottes spéciales dotées de palmes. Pour compléter le tout, ils avaient une armure pour le torse ainsi qu'un casque doté d'un masque leur permettant de respirer sous l'eau. Ils remercièrent Laruto et prirent congé pour retourner à la rive.
- Lars, tu nous attends ici, ordonna Sidon qui retrouvait une attitude normale maintenant qu'il était loin de la jeune femme.
- Oui, oui, je sais. De toute façon, j'ai plein de choses à dire à Laruto.
Les deux frères échangèrent un regard, mais Sidon préféra ne rien répondre.
- En route.
Le Zora plongea le premier. Sheik et Link le rejoignirent aussitôt. Seul sur la rive, Lars observa les silhouettes de son frère et des Hyliens s'éloigner en direction du temple. Il porta la main au pendentif à son cou qui représentait l'emblème de Nayru. Un instant, son regard se perdit dans le vague et il sentit quelque chose résonner en lui. Il bascula en avant, ce qui le ramena à la réalité. Il soupira. Il en avait assez de ces crises aussi étranges que les rêves qu'il faisait depuis des semaines. Zelda n'avait pas su quoi lui dire à ce sujet, tout comme elle n'expliquait pas ses propres rêves. Il secoua la tête et fit demi-tour pour retourner chez Laruto. Lui raconter des choses sur Sidon allait au moins le distraire de tout cela.
***
Au même moment, quelque part au fin fond d'une forêt au sud, deux jeunes gens marchaient l'un derrière l'autre.
- ... Je lui ai alors dit : "Eh ! Toi là-bas, qu'est-ce que tu comptes faire de cette fragile demoiselle :" Ce à quoi il m'a alors répondu : "Je..."
- Era, tu ne pourrais pas juste te taire quelques minutes, s'il te plait : J'ai besoin de réfléchir. Merci.
Le jeune homme s'arrêta un instant, dévisageant la jeune femme devant lui, mettant un temps à comprendre ses paroles.
- Mais bien sûr, Princesse ! répondit Era d'une voix mielleuse et un sourire aux lèvres.
Sur ce, ils reprirent leur marche, le jeune homme faisant tournoyer sa nouvelle robe fièrement, sautillant à chaque pas. Il l'avait gentiment demandé à la demoiselle qu'il venait de rencontrer, n'étant vêtu que d'un modeste bob rose, et ne voulant pas s'afficher aussi ouvertement à cette personne d'importance ! L'habit était d'un rose pâle, parsemé de motifs blancs brodés. La jeune femme le conservait dans son sac à dos, s'étant contentée de vêtements plus aptes à un long voyage.
Car oui, son voyage allait être long, cela, Era en était persuadé depuis qu'elle lui avait raconté son histoire lors de leur rencontre. Il avait appris que, toute sa vie, elle avait vécu dans le mensonge, ignorant son adoption, le fait qu'elle était une princesse et l'existence d'un frère jumeau. Elle avait alors fugué de chez elle, partant à la recherche de sa moitié. Mais avant cela, elle était passée chez un ami à la santé fragile, passant une nuit là-bas afin de pouvoir se confier à quelqu'un. Puis, elle s'était remise en route et avait fait la "merveilleuse" connaissance du "fantastique" Era, dont elle avait vite regretté de lui avoir proposé de l'accompagner. Il avait aussi appris son nom. Un joli nom, agréable à prononcer : Zelda.
Cela faisait déjà quelques heures qu'ils marchaient ensemble, et Zelda commençait à perdre patience avec cet énergumène très spécial parlant à longueur de temps. Lorsqu'elle l'avait rencontré, elle avait failli le tuer, le prenant pour un ennemi, le frappant avec le bâton lui servant d'appui. Sous ses jérémiades et voyant sa tenue, elle s'était stoppée. Il lui avait alors expliqué être à la recherche d'une aventure et lui avait demandé si, étant une femme, elle avait un quelconque vêtement pouvant lui aller. Ayant vu une de ses robes, il s'était alors littéralement jeté dessus, obligeant la princesse à lui la donner. Depuis, il lui racontait des histoires se voulant les siennes, dont il avait, soi-disant, été le principal acteur. Ce que, bien évidemment, Zelda ne pouvait croire, voyant le peu de muscles que possédait Era, ne parlant même pas de son intelligence.
- Où vous dirigez-vous précisément, Princesse : demanda Era pour la énième fois.
- Je sais pas, je crois que mon frère a été élevé par une des Sages d'Hyrule. Impa, si je ne me trompe pas. Et elle doit se trouver normalement au village de Toal, répondit-elle, légèrement lasse. Oh ! et puis, arrête de m'appeler "Princesse" et de me vouvoyer !
- D'accord, Princesse, alors direction le village de Toal ! D'ailleurs, je connais un ami vivant là-bas qui devrait vous plaire ! s'exclama-t-il en insistant bien sur le deuxième mot, un grand sourire aux lèvres.
Laissant Lars sur la rive du lac, Link et Sheik rejoignirent Sidon à la nage.
- Ce n'est pas que je m'ennuie, mais il faut que vous plongiez. L'entrée est là, en dessous.
Sidon pointa du doigt le fond du lac.
- Vous ne risquez rien avec vos combinaisons.
Sur ses paroles, il fit un plongeon des plus spectaculaires. Link et Sheik se contentèrent de mettre la tête sous l'eau et d'avancer vers le fond, en suivant le Zora. Le spectacle qui se déroulait sous leurs yeux était merveilleux. Il y avait tellement de couleurs qui tapissaient les alentours et l'eau était si cristalline que Link avait une vue parfaite sur tout ce qui l'entourait. Ils s'enfoncèrent dans les profondeurs abyssales et de longues algues dansaient dans un ballet parfaitement synchronisé au rythme du courant, l'hypnotisant pendant un court instant. Un banc de poissons passa devant lui, le sortant de sa torpeur. Il réalisa qu'il avait pris un peu de retard sur ses compagnons, qui se trouvaient devant une gigantesque statue. Il put reconnaître la déesse Hylia. Il arriva à sa hauteur et à cet instant, découvrit en arrière-plan une gigantesque entrée devant laquelle des grandes colonnes étaient alignées. Certainement, un vestige du temps où le temple n'était pas immergé.
Les trois hommes nagèrent vers l'entrée. Les portes s'ouvrirent doucement pour les laisser entrer. Elles se refermèrent aussitôt une fois qu'ils furent à l'intérieur, les laissant dans le noir complet. Le temps parut interminable, puis Link sentit la pesanteur revenir doucement et l'eau se retirer. Quand elle arriva à ses chevilles, des torches s'allumèrent. Link se retrouva face à Sidon qui lui lançait un grand sourire les mains sur les hanches. Soudain, une voix résonna dans la pièce :
- Bienvenue, Héros tant attendu. Toi qui as pénétré ce temple, moi, Orlène, sa gardienne et ancienne Sage de l'Eau, je te mets à l'épreuve au nom de la déesse Hylia.
- Tiens, c'est nouveau ça, s'étonna Sidon. C'est comme si ces lieux t'avaient reconnu.
- Ce n'est jamais arrivé avant ? le questionna Link.
- Non, mon ami, encore une fois nous avons la preuve que tu es l'élu, lui répondit le prince, toujours un sourire aux lèvres. Allons voir quelle est cette épreuve. J'ai hâte de voir cela.
Link observa autour de lui, la pièce était grande et carrée. Elle avait un haut plafond. Les murs étaient sombres, presque de couleur noire, et ils étaient parsemés par-ci, par-là de pierres orange. Certaines étaient reliées entre elles par un dessin de forme géométrique. Au centre de la pièce se trouvait un piédestal vide.
- Quelle est cette épreuve ? demanda Sheik, qui était resté bien silencieux depuis leur arrivée.
- Et bien, mon ami, je n'en ai aucune idée, répondit Sidon.
Link s'avança dans la pièce pour examiner tout cela de plus près. Il y eut soudain un bruit mécanique. Dans un vacarme assourdissant, le sol tout entier commença à trembler et la pièce se mit à tourner sur elle-même. Les trois compagnons, surpris par ce qui se passait, se retrouvèrent à genoux. La pièce se transforma et du sol sortirent des escaliers. Puis, le silence regagna la pièce.
- Je suppose que ça aussi, c'est nouveau ? interrogea Link.
Ils montèrent les escaliers et arrivèrent dans une pièce de forme ennéagonale. Au milieu se dressait un mur constellé de petits glyphes.
- Ce sont des glyphes Zora ! s'étonna Sidon. Ah ! si seulement Lars était là !
Un léger raclement de gorge se fit entendre derrière eux. Link se retourna et découvrit, caché derrière un petit mur, Lars.
- Que viens-tu faire ici ? Tu ne devais pas rester avec Laruto ? l'interrogea son frère.
Lars baissa la tête, l'air ennuyé.
- Ne viens-tu pas de dire "si seulement Lars était là" ? le taquina Sheik.
- Oui, oui, c'est bon. De toute façon, il est là maintenant. Tu restes avec nous, mais pas de bêtises, c'est compris ?
- Tu as besoin de mon aide pour les glyphes, frérot ? sourit Lars.
Ne laissant pas le temps à son frère de répondre, le cadet des princes s'avança vers le mur. Il fit glisser ses doigts sur les écritures et les observa un moment.
- Ce sont des énigmes, elles sont au nombre de trois. La première :
"Vivant sans souffle,
Froid comme la mort,
Jamais assoiffé, toujours buvant,
En cotte de mailles, jamais cliquetant."
- Euh..... tu n'as pas plus facile, Lars ? s'exclama Sidon.
- Le poisson, répondit Sheik. Ce n'est pas compliqué.
- Rôôôhh, on n'a pas tous été élevés par des Sheikahs, ricana sarcastiquement son ami.
- Tu as fini ? l'interrompit Lars. Je continue. La deuxième :
"Cette chose, toutes choses dévore :
Oiseaux, bêtes, arbres, fleurs ;
Elle ronge le fer, mord l'acier ;
Réduit les dures pierres en poudre ;
Met à mort les rois, détruit les villes
Et rabat les hautes montagnes."
- Elle n'est pas facile celle-là, dit Sidon.
- C'est le temps, répondit Link.
Sheik et Lars pouffèrent.
- Mais... arrêtez de vous moquer ! geignit le grand Zora.
- Prêts pour la troisième ? Tu vas y arriver cette fois, grand frère.
"On ne peut la voir, on ne peut la sentir,
On ne peut l'entendre, on ne peut la respirer.
Elle s'étend derrière les étoiles et sous les collines,
Elle remplit les trous vides.
Elle vient d'abord et suit après.
Elle termine la vie, tue le rire."
Après un long moment de silence, Lars prit la parole :
- Je pense à l'obscurité.
- Oui, approuva Link. Je pense que ça peut être ça.
- Du coup, on a les trois réponses et il ne se passe rien, reprit le grand frère de Lars.
- Normal, l'énigme n'est pas finie : les trois réponses donnent la solution de la dernière.
- Très bien, fit Sheik. Nous avons "poisson", "temps", "obscurité". Cela peut être quoi ?
Tous se mirent à réfléchir plusieurs minutes quand Sidon s'exclama :
- Un obscur poisson de l'ancien temps !
- Le poisson-rêve, le coupa Lars.
- Mais non ! Ce n'est pas le poisson-rêve, c'est Jabu-Jabu !
A cet instant, la pièce se remit à trembler et devant eux une porte apparut dans le mur.
- Vous voyez que moi aussi, je peux trouver des réponses, dit fièrement Sidon.
- Une autre pièce ? s'étonna Sheik.
- Ne me remerciez pas, bouda le grand Zora.
Link se dirigea vers l'entrée de la nouvelle pièce, en son centre était posé l'aquanine. Il entra dans la pièce quand la voix se refit entendre.
- En triomphant de cette épreuve, tu as montré que tu étais digne du titre de Héros. Au nom de la déesse Hylia, reçois cette aquanine.
Il s'avança vers la pierre et la prit délicatement entre ses deux mains. Link n'avait jamais vu un minerai pareil. Au premier abord, il aurait pu croire qu'il s'agissait d'une pierre précieuse. D'une magnifique et surprenante couleur bleue translucide, le minerai avait été poli en forme d'une énorme goutte. A l'intérieur on y voyait le symbole de Nayru, peut-être laissé là par la déesse elle-même.
- Link ?
La voix de Sheik sortit le jeune homme de sa contemplation. Link sourit à ses amis et rangea l'aquanine dans la besace qu'il portait en bandoulière.
- Et d'un. Espérons que les autres auront eu autant de chance que nous, continua le Sheikah.
"Fay, nous y sommes bientôt" pensa Link.
Les quatre amis rebroussèrent chemin. Ils avaient commencé à descendre les escaliers qu'une nouvelle secousse ébranla tout le temple, manquant de les faire tomber. Au même moment, le sol de la salle inférieure commença à disparaitre sous l'eau.
- Qu'est-ce qu'il se passe ? fit Lars avec inquiétude.
- Attention ! Il y a quelque chose ici ! les prévint Sheik, guidé par son instinct.
Le jeune homme avait à peine terminé qu'un tentacule d'eau surgit de la partie inondée pour les balayer avec violence. Sheik l'évita d'un bond leste, mais Link et Lars furent projetés dans l'eau. Sidon sauta aussitôt sur le tentacule pour l'attraper à deux mains, tirant dessus de toutes ses forces jusqu'à l'arracher. Il venait d'exploser en gouttelettes d'eau quand plusieurs autres apparurent, fouettant l'air avec véhémence.
- Qu'est-ce que c'est que ça ? fit Link en refaisant surface.
- Je n'en sais rien, mais quoi que ce soit, il ne me résistera pas, répondit Sidon tout en repartant à l'assaut du premier tentacule à sa portée.
Link chercha Lars des yeux, mais le prince était hors de vue. Il plongea après avoir remis son masque. Lars était à quelques mètres de lui, regardant autour d'eux. Au-dessus d'eux, les tentacules essayaient d'attraper Sidon et Sheik ou de les frapper pour les broyer. L'un comme l'autre se débrouillaient pour les éviter. Sidon en avait déjà arraché deux et Sheik en avait tranché de son sabre, mais les tentacules à peine tombés étaient aussitôt remplacés. Sous l'eau, c'était plus calme, mais Lars finit par désigner quelque chose à Link. Au fond, flottant entre deux eaux, l'Hylien discerna une forme mouvante qui ressemblait à de la gelée bleu foncé et violette. En son coeur, une étrange sphère rosâtre bougeait dans tous les sens. Soudain, elle se stoppa et un oeil apparut, fixant Link et Lars. Comprenant que deux de ses proies échappaient à ses tentacules d'eau, la créature se ramassa sur elle-même et changea d'apparence pour prendre celle d'une méduse géante.
- Je déteste ces trucs-là, dit Lars avec dégoût.
Link essayait de jauger l'ennemi, mais sous l'eau, il n'était pas à son avantage. Il ne pouvait pas se servir de son épée. Comme s'il suivait ses pensées, le jeune prince s'approcha de lui.
- L'oeil doit être son point faible. Accroche-toi à moi.
Link hocha la tête et fit ce que Lars lui demandait. Le Zora nagea à toute vitesse vers la méduse géante. Accroché fermement d'une main sur son dos, Link dégaina son épée, prêt à frapper. Au moment où la lame toucha la méduse, celle-ci lança une décharge électrique qui les foudroya. Ils tournoyèrent sous le choc et Link lâcha Lars et son épée. Sonnés, tous les deux avaient le corps complètement engourdi.
Link secoua la tête pour reprendre ses esprits. La méduse se rapprochait dangereusement d'eux, ses éclairs crépitant autour d'elle et de ses filaments. Des yeux, il chercha son épée, mais elle était hors de portée. Elle étira ses filaments vers sa proie la plus proche, mais Lars n'avait pas encore repris totalement ses esprits. Link tenta de nager dans sa direction, mais ses membres répondaient mal, encore engourdis. Un éclair rouge et blanc fendit soudain l'eau, brouillant la vision de Link d'un écran de milliers de bulles. La seconde d'après, Lars était hors de portée de la méduse, son frère le tenant sous un bras. Sidon bondit hors de l'eau pour déposer son cadet sur l'escalier et replongea aussitôt. Link n'avait pas perdu de temps pour changer de direction et tenter de rejoindre son épée. Sidon l'atteignit avant lui et la lui rendit.
- Je vais sortir cette saleté de l'eau. Profitez-en avec Sheik pour transpercer son oeil.
Link aurait bien dit quelque chose pour le dissuader de mettre ce plan à exécution, mais le prince était déjà reparti, droit vers la méduse. Devant ses yeux ébahis, le géant percuta la créature qui répliqua immédiatement. Le Zora, pourtant plus sensible à l'électricité qu'un Hylien, ne lâcha pas sa prise même alors que les éclairs se déchainaient. En y mettant toutes ses forces, il nagea vers la surface avec la méduse et bondit hors de l'eau pour la jeter sur l'escalier.
- A toi... Link... fit Sidon en tombant dans l'eau, le corps meurtri et l'esprit un peu groggy à cause des décharges.
- Link ! Attention !
L'avertissement de Sheik arriva trop tard. Un tentacule d'eau venait d'attraper le jeune homme par la taille et le secouait dans tous les sens. Elle le projeta contre un mur, mais le Sheikah s'interposa, lui évitant une collision douloureuse. Malheureusement, dans sa chute, la besace de Link s'ouvrit et l'aquanine roula en dehors. Avec horreur, il vit le tentacule se précipiter dessus.
- Ça, sûrement pas !
Lars avait réussi à se relever pour se jeter sur le minerai et le protéger de son corps frêle. A peine l'eut-il touché qu'un éclair bleu ébloui tout le monde. L'aquanine se mit à briller très fortement et Lars se sentit inondé d'une douce chaleur l'enveloppant comme un cocon. Son corps devint léger et il se mit à flotter au-dessus des escaliers. Autour de lui, le temps s'était stoppé. Son frère, ses amis et l'ennemi étaient figés en plein mouvement : Sheik, saisi en plein bond, une main sur le tentacule au-dessus de laquelle il sautait ; Sidon, qui remontait à la surface ; Link, qui accourait vers lui en évitant un autre appendice d'eau.
- Lars... Lars... entends ma voix.
L'aquanine flotta jusque devant ses yeux. Il tendit les mains vers elle, mais s'arrêta avant de la toucher. L'emblème de Nayru qui dormait au creux du minerai pulsait d'une douce lumière, faisant écho au pendentif à son cou. Une silhouette éthérée apparut lentement. Lars ne devina d'abord que sa forme avant de réussir à en appréhender les contours.
- Lars, il est temps de t'éveiller au pouvoir qui dort en toi.
Le prince reconnut la voix d'Orlène, mais en réalité, il lui semblait qu'elles étaient plusieurs à parler en même temps, prononçant exactement les mêmes mots. Il se souvint alors des histoires que sa mère lui contait quand il n'était encore qu'un enfant. Elles parlaient des Sages qui avaient existé à travers le temps, des femmes de son peuple appelées à aider les Déesses et le Héros contre le Mal, de ses ancêtres.
- Enfant de Nayru, tu es le nouveau Sage de l'Eau. Que ton pouvoir puisse aider la Lumière contre le Mal et les Ténèbres.
Lars se demanda si c'était un grand honneur d'être le premier Zora mâle à être choisi ou si c'était à cause de sa faible constitution ou encore parce qu'il n'y avait pas de fille dans sa famille. Il eut un sourire en coin en pensant que ce n'était pas Sidon qui aurait été confondu avec une fille, alors que lui, cela lui était arrivé souvent enfant. Mais pour une fois, cette pensée ne l'attrista pas. Son frère et son père étaient des guerriers, pas lui. Il cachait ses doutes derrière les sarcasmes, essayait de faire valoir ses qualités intellectuelles plutôt que son manque de force, mais il cherchait encore sa place. Zelda lui avait toujours certifié qu'il finirait par la trouver et qu'il ne devait pas se comparer sans cesse à Sidon. Aujourd'hui, il comprenait qu'elle avait eu raison. Aujourd'hui, il pouvait aider son peuple et tout Hyrule et être aux côtés de son frère sans rougir. Au moment où il acceptait son destin, il sentit le pouvoir naître au plus profond de son être. L'aquanine cessa de briller et il flotta doucement jusqu'à toucher terre, récupérant le minerai dans les mains. Le temps reprit alors son cours.
- Lars ! entendit-il Link crier.
Un tentacule manqua de décapiter l'Hylien, se précipitant vers le nouveau Sage de l'Eau. Lars leva la main pour le stopper net à la grande surprise des autres. Le jeune Zora n'avait pas peur. Bien au contraire, Sidon ne l'avait jamais vu aussi confiant et il sut aussitôt que quelque chose avait changé, que son frère n'était plus le même.
- La méduse, Link !
Le jeune homme ne chercha pas à comprendre et obéit à Lars. Dans un bond, la lame pointée vers le bas, Link se jeta sur la créature qui essayait de rejoindre l'eau. Elle n'en eut pas le temps : l'épée transperça enfin son unique oeil. La méduse tressaillit pendant de longues secondes avant de se ratatiner pour redevenir une masse de gelée informe alors que les tentacules explosaient autour d'eux, tous en même temps, en une multitude de gouttes d'eau.
- Lars ! Tout va bien ? demanda Sidon que Sheik aidait à sortir de l'eau.
- Bien sûr que tout va bien, grand frère.
- Comment as-tu... avec le tentacule ?
Lars rendit l'aquanine à Link, puis regarda ses mains avant de les joindre en un geste de prière, fermant les yeux. Il ne se sentait pas si différent que cela en vérité, mais le pouvoir était là, en lui.
- Orlène m'a légué son pouvoir, expliqua-t-il finalement en relevant les paupières. Je suis le Sage de l'Eau désormais.
Tout était noir. Aucune lumière ne filtrait ce voile qui le couvrait. C'est pour ça qu'Il trouva cela bizarre que la fine couche d'eau sous ses pieds reflète son image à la perfection. De plus, il n'entendait aucun son, ni bruit, pas même sa propre respiration. Le vide sidéral.
Soudain, un éclair rouge à sa gauche l'éblouit. Puis un vert sur sa droite. Enfin, un bleu, droit devant lui. Les trois faisceaux tournèrent d'abord autour de Lui, de plus en plus vite, venant se confondre en une seule couleur d'or, resserrant petit à petit leur étau, jusqu'au moment où la lumière fut si proche qu'il crut pouvoir la toucher, comme attiré par elle. Mais au moment où ses doigts auraient dû l'effleurer, elle explosa soudain en un millier de particules violet sombre, disparaissant au contact de l'eau. Mais à peine eut-il le temps de se poser des questions, qu'elles se rejoignirent toutes en un seul point aussi vite qu'elles s'étaient séparées, formant cette fois, une figure solide. Une sorte de losange bicolore constitué de deux triangles principaux, celui du haut jaune, celui du bas plus noir que le vide l'entourant, dont leurs deux centres étaient éventrés par un autre triangle noir de vide, formant trois petits colorés autour de lui. De suite, il sut de quoi il s'agissait, bien qu'il ne l'eût jamais vue sous cette forme : la Triforce. Elle semblait se rapprocher de lui, puis, les trois premières couleurs revinrent, cette fois statiques, flottant autour de lui, comme des âmes perdues.
- Ô valeureux conteur, ta destinée est en marche, déclara la rouge à sa gauche d'une voix féminine désincarnée, à la fois rocailleuse et forte.
- En vue de ces jours funestes, nous t'octroyons ce qui te revient de droit, ajouta la bleue derrière lui, à la voix fluide et douce.
- Mais prends garde, car ce pouvoir désormais tien peut t'être fatal, dit la verte à sa droite, de sa voix claire et mélodieuse.
Ne pouvant prononcer le moindre mot, il se contenta de les regarder, ne comprenant pas, jusqu'à ce que la Triforce se rue sur Lui, le frappant de plein fouet. Il s'attendit à sentir quelque chose, mais rien, comme s'il ne s'était absolument rien passé...
Soudain, il vit.
Il vit comme s'il y était.
Un vieil homme en tunique jaune, lui faisait face, entouré de lumière. Puis il s'effondra, révélant autour de lui une pièce inconnue. Un garçon en tunique verte était accroupi à côté de lui, lui tenant la main, observé en cachette par un autre garçon en tunique violette.
La scène s'obscurcit subitement, laissant avec elle une sensation de vide. De mort. Puis, la pièce laissa place à l'intérieur d'une charrette. Une vieille femme à la peau toute ridée était couchée là, le souffle douloureux, soutenue par une jeune femme et une adolescente. Le garçon en tunique verte réapparut, accompagné de l'autre garçon ainsi que d'un autre, dégageant une étrange aura, à la peau mate et aux cheveux de feu.
Les images s'assombrirent à nouveau, répandant à nouveau cette étrange sensation de mort. Ensuite, il arriva dans une petite maison, dans le salon. Il y avait trois personnes : le garçon à la tunique verte, un autre jeune homme en combinaison bleu-gris, le visage caché par une écharpe blanche et des cheveux blonds devant un oeil, ainsi qu'une femme vêtue d'une longue robe et d'un grand chapeau de sorcier violet et rouge avec des cheveux d'un bleu profond. Ils semblaient discuter calmement, jusqu'à ce que l'image éclate en mille morceaux et vienne se reformer, recollant les morceaux pour afficher d'autres endroits.
A chaque fois, le garçon à la tunique verte n'était pas loin, accompagné soit de celui à la tunique violette, soit de celui au visage caché. Dans l'une, la vision est concentrée sur un jeune garçon à l'allure de poisson bleu argenté, nageant aux côtés d'un autre, grand et rouge. Dans une autre, il put voir un jeune homme en robe jaune et violette, aux cheveux blancs et aux yeux émeraude, puis encore une autre, où l'on voyait un homme aux cheveux bruns muni de lunettes et d'un livre entre les mains. Il y en avait une également où se tenait un petit garçon aux cheveux d'or, et vêtu d'une tunique verte, devant un gigantesque arbre, jouant d'un étrange instrument.
Enfin, lorsque l'image se brisa pour se reformer une dernière fois, il se vit lui, couché contre un gros tronc, dormant à poings fermés. Il vit ses plumes bleues légèrement froissées, ainsi que son poncho tout de travers. Abasourdi par cette vision, il ne remarqua même pas qu'autour de lui, tout était redevenu noir et que les trois lumières s'éloignaient de plus en plus.
- Maintenant, tu sais, déclara la verte. Nous ne pouvons t'en dire plus, valeureux conteur, au risque de modifier le cours du temps, désormais en ta possession.
- Cependant, n'oublie jamais que le moindre de tes choix peut t'être fatal, à toi comme à d'autres, ajouta la bleue. Nous te souhaitons bien du courage. Nous te savons fort, mais es-tu empreint de sagesse ?
- Seul le temps nous le dira, à toi de le lui demander, termina la rouge.
Sur ce, elles disparurent toutes les trois, le laissant seul, dans ce vide oppressant, à observer son reflet perturbé par des ondes invisibles...
Asarim se réveilla en sursaut, dos au tronc de l'arbre où il s'était assoupi, une main sur le coeur. Était-ce un rêve ? Quand bien même en était-il un, il était terriblement réel... Soudain, tous les flashs de personnes lui revinrent en mémoire, mais un en particulier retint son attention, celui du petit garçon en tunique verte, avec le grand arbre. Sans comprendre pourquoi, il sut que ce rêve n'en était pas vraiment un. Il sut également la destination qu'il devrait prendre après avoir rempli sa promesse au petit Shiro...
- Tout va bien ? lui demanda une voix au timbre aigu et feuilleté.
Asarim releva soudainement la tête, cherchant des yeux l'origine de la voix, étant sûr qu'ils étaient seuls. Puis, son regard fut attiré par une petite boule blanche posée sur un petit caillou à ses pieds. Shiro le regardait avec de grands yeux.
- Il a dû faire un cauchemar... chuchota la même voix, au moment même où le petit oiseau se remit en boule pour dormir.
L'oiseau bleu resta un instant à le regarder, croyant rêver à nouveau.
- Oui, je vais bien, hasarda-t-il, surpris d'entendre sa propre voix.
Shiro sursauta et le fixa intensément.
- T-tu m'entends ? demanda la voix, prudente.
Etrangement, Asarim ne trouva pas cela bizarre de se dire qu'elle venait peut-être de l'oiseau blanc. C'était comme s'il savait tout, et en même temps rien. Par moment, il ne savait si ce qu'il voyait était bel et bien ce qu'il y avait devant lui, ou si ce n'était pas une vision d'un autre endroit, ce qui le déstabilisa fortement.
- Je t'entends, et je suis aussi surpris que toi, qui que tu sois, déclara-t-il en fermant les yeux un instant avant de les rouvrir.
Shiro cligna des yeux une fois, puis deux, puis cinq, le croyant sûrement fou.
- Et bien... d'accord... Je... je ne sais que dire ! tenta de rire la voix, alors que les yeux de l'oisillon se détournaient.
- Alors ne dis rien, petit Shiro, désormais, plus rien ne doit te choquer avec moi, dit Asarim, n'étant pas très sûr de ce qu'il disait, comme si cela était les paroles d'un autre.
Il se leva et proposa son bras à son compagnon de voyage, qui sauta immédiatement dessus pour aller se loger dans le poncho.
- Petit Shiro, plus tard, je dois aller à la rencontre d'une certaine personne. Voudrais-tu m'accompagner ? demanda le conteur en ajustant son accordéon sur son dos.
- Bien sûr, après avoir retrouvé mes amis ! affirma l'oiseau blanc. Mais qui est cette personne ?
- Je ne saurais te le dire, compagnon, ce que je peux t'assurer, c'est que seul le temps pourra me le dire... murmura l'intéressé, comme ailleurs.
Shiro ne dit rien. A ce moment, Asarim sut alors une chose, et il en fut certain. Désormais, il détenait un grand pouvoir. Il savait tout, entendait tout, mais le plus important, c'est qu'il voyait tout, sous toutes ses formes, dans le passé comme dans l'avenir, mais également le moment présent.
* * *
Les étoiles d'Hyrule se reflétaient sur l'océan noir. La nuit était tombée depuis un moment, et c'était l'heure sombre. L'heure mystère, celle où les monstres sortent des placards et de sous les lits. Pas un bruit au-dessus de cette étendue d'eau qui semblait infinie. Des poissons rôdaient ici et là, dans un imperceptible mouvement de nageoires autour d'une falaise. Un poisson arriva en nageant le plus vite possible. En effet, il était poursuivi par un requin. Chaque poisson fuyait le prédateur. Ce dernier se lassa et repartit dans les profondeurs de l'océan.
Le requin se nommait Milor. Il nagea un peu, avant d'aller dans une ouverture naturelle de la falaise. Il arriva dans une grotte, illuminée par des centaines et des centaines de petites lampes. De grands échafaudages montaient jusqu'au plafond de la caverne. De petits hommes trapus travaillaient d'arrache-pied à creuser, transporter ou réfléchir aux différents plans pour le village qu'ils construisaient. Ce peuple vivait généralement dans l'eau, nommé par plusieurs Tuamotuas, car ils venaient d'un endroit proche d'une île de nom semblable. Un de ces hommes qui transportait une cargaison de cailloux remarqua le requin et arrêta immédiatement son travail.
- Bonsoir Milor, alors, des nouvelles ?
- Négatif, fit celui-ci de sa voix grave.
Le petit homme soupira.
- Mon peuple attend avec impatience le messager. Son chef a enlevé nos femmes, fils et filles. Cela fait trois pleines lunes qu'ils ont disparu...
- Je sais, Niyo, mais il faut attendre, le sage l'a dit.
- Continue à regarder dans les alentours, et, s'il te plaît, fais attention à toi.
- Je ferai de mon mieux.
Alors qu'il allait repartir par la faille de la caverne, une secousse assourdissante se fit entendre. Les ouvriers qui creusaient la roche avaient touché un point sensible, effet que n'avaient pas prévu les architectes. La paroi commença à tomber lentement, laissant un peu de temps au peuple de la mer de fuir. Niyo grimpa sur Milor. Ce dernier nagea à toute vitesse. Les Tuamotuas qui savaient se mouvoir dans l'eau, plongèrent dans l'étendue lumineuse. Ils prirent leurs jambes à leur cou. Quand ils furent tous dehors, la falaise s'effondra.
Le chef était très contrarié. Et il ne valait mieux pas contrarier le chef. Ce dernier explosa de colère contre ses hommes. Ils décidèrent d'aller dans un endroit à l'écart pour passer la nuit, avant de se reconstruire un nouveau village. Celui qu'ils avaient précédemment avait été attaqué par un peuple dangereux. C'était ce même peuple qui avait kidnappé leurs proches. Depuis la nuit des temps, ce peuple était l'ennemi des Tuamotuas. Ces derniers étaient les Orcanades.
Milor partit en chasse plus au sud. Il salua Niyo d'un coup de nageoire avant de s'enfoncer dans l'océan sombre. Niyo et ses compagnons nagèrent vers le nord. Le petit homme gris contemplait la terre ferme avec envie. Son espèce avait une particularité que déplorait Niyo. En effet, son peuple ne pouvait aller sur la terre ferme si elle était trop loin de la mer. Leurs petits corps gris se flétrissaient rapidement. Certains, très vaniteux, disaient annuler ces effets. Ils s'étaient éloignés de l'eau, et leur sort avait été le même. Aucun d'eux n'était là pour en parler. Le chef, ne voulant pas la perte de ses hommes, avait interdit à quiconque de les imiter.
Pour en revenir à Niyo, il ne pouvait s'empêcher de rêvasser. Il voulait courir dans les plaines, grimper aux imposants arbres d'Hyrule... Niyo se reprit. Les Tuamotuas ne pouvaient aller sur la terre. Il s'enfonça dans l'eau avec son peuple. Après quelques temps à nager vers le nord, ils furent tous épuisés. Le chef décida de s'arrêter dans une baie. Elle était plutôt grande, avec des rebords contenant des failles. Le peuple de la mer pouvait donc s'y glisser allègrement. Chacun choisit une faille et commença à somnoler. Niyo en prit une un peu plus large et s'y logea. Il fut surprit car il ne sentit pas la roche sur son dos. Il se retourna et vit qu'il était en fait à l'entrée de grotte ! Le petit homme observa l'intérieur. La grotte était large et contenait des petites algues scintillantes, mais autre chose capta son attention. Des centaines de petits êtres semblables aux Tuamotuas étaient ligotés à l'aide des algues. C'était les prisonniers des Orcanades, et ils étaient terrifiés et semblaient en proie à une grande fatigue. De l'autre côté de la faille, Niyo recula lentement et alla alerter son chef. Ce dernier dormait déjà, ses petites moustaches trémoussant dans son sommeil. Niyo l'avertit en ces termes :
- Chef, vous n'êtes pas sans savoir que nos proches ont été enlevés par les Orcanades.
- Oui je le sais, viendrais-tu me déranger juste pour ça ? Va te recoucher et ne me réveille plus !
- Ce n'est pas pour ça, chef.
- Explique alors. Et vite, j'ai sommeil moi.
- Dans ma faille, j'ai vu une grande grotte bordée d'algues qui brillaient.
- Et ?
- Et nos proches sont prisonniers là-bas.
Le chef s'esclaffa.
- Nos proches ? Dans cette grotte ? Cela fait des mois que nous les cherchons et tu me dis que tu les as trouvés comme ça ? Quelle bonne blague !
- Venez alors, gronda Niyo, rouge de colère.
- Oh, là ! Laisse-moi ! Va jouer ailleurs !
- Laissez-moi vous montrer, chef.
- Puisque tu insistes...
Niyo nagea jusqu'à l'ouverture de la grotte, le chef le suivant d'assez près. Il vit son peuple, ligoté et dans un piteux état. Il voulait rassembler ses hommes et délivrer les prisonniers, mais Niyo pensait plutôt discuter avec le chef des Orcanades. Son propre chef ne l'écouta pas et mit en place une stratégie. Très vite, ils envahirent la grotte en poussant des cris. Il n'y avait personne dans la grotte, excepté les prisonniers. Les hommes délivrèrent leurs familles, en se demandant où étaient les ennemis. Ils commençaient à partir lorsqu'un bruit se fit entendre, comme un signal. La seconde suivante, ils étaient assaillis de toutes parts. Des Orcanades étaient sortis du sol pour les attaquer sournoisement. Ces êtres ressemblaient aux Tuamotuas par la taille, quoique légèrement plus grands. Ils étaient de couleur grise, rouge ou violette, et assez musclés. Des pics agrémentaient le tout, assortis à leurs vilaines dents.
Ce fut un carnage. Les Tuamotuas étaient bien moins nombreux, et n'avaient pas de dispositions au combat. Niyo avait battu en retraite et s'était caché dans une faille, observant ses amis se faire tuer, déchiquetés et lacérés. Il tremblait comme une Gerudo en Hebra. Il vit son chef périr et il décida de se lancer à son tour dans la bataille. Malheureusement, il n'avait jamais affronté qui que ce soit et avait peur des petits poissons. Un Orcanade l'assomma. Les derniers survivants du peuple de Niyo furent faits prisonniers, les autres n'ayant d'autre sort que de se faire balancer dans une fosse. Un Orcanade fut chargé de cette tâche. Niyo, toujours assommé, se fit prendre par les pieds et jeté dans le trou.
Un moment plus tard, il revint à lui. La fosse était sombre et les odeurs de ses anciens camarades commençaient à se faire sentir. Il était dans le noir complet et souhaitait de tout son coeur avoir un peu de lumière. Aussitôt sa pensée formulée la lumière apparut.
"Tiens, quelle étrange lumière ! Il n'y a aucune source, et pourtant elle est là !"
Il essaya de marcher un peu, mais il trébucha sur les nombreux corps. Niyo observa ses mains étendues sur le sol inégal. Sa peau grise était parsemée de petits points de lumière, et ce, sur tout son petit corps. Ses yeux noirs s'illuminèrent en voyant le phénomène et un large sourire fendit sa bouche. L'instant d'après, il flottait dans un halo de lumière dorée, ses yeux noirs auparavant devinrent blancs de lumière. Son petit corps commença à grandir à une vitesse alarmante, et peu de temps après, il avait détruit la fosse et la caverne à cause de ce changement pour le moins capital. Le Tuamotuas avait maintenant l'aspect d'un Hylien, sa peau grise était devenue brune et des boucles noires apparurent sur son crâne. Il se retrouva même vêtu d'un bel habit.
Enfin, l'Hylien eut la vision d'un vieillard qui semblait lui confier un orbe de lumière. Il lui donnait son pouvoir et léguait sa place de Sage d'Hyrule. Le halo cessa. Niyo ouvrit les yeux. Il était grand et ses pieds étaient posés sur la terre ferme. Avec un regard étonné, il observa son corps. Il s'accroupit pour contempler la "caverne" qui n'était en fait pas plus large que ses mains mises côte à côte. Il se releva lorsque le soleil apparut à l'horizon, baignant l'océan d'une lumière dorée. Niyo sourit. Il savait où aller et se dirigea sans plus tarder vers l'ouest, là où il était appelé à montrer sa lumière.
L'aube arrivait doucement. Le ciel était encore constellé d'étoiles quand les quatre compagnons entrèrent dans le palais du roi Zora. Sidon s'empressa de raconter leur aventure à son père.
- Il faut vraiment qu'il soit le centre de l'attention, murmura Lars pour lui-même tout en regardant le sol.
Link s'approcha de lui et lui mit une main sur l'épaule.
- C'est son caractère, mais on voit bien qu'il est fier de toi.
- Je ne lui en veux pas, j'ai l'habitude, répondit le jeune prince en tournant légèrement la tête pour regarder l'Hylien. Il est temps pour moi de faire les choses par moi-même, mais je ne suis pas sûr qu'il me laissera faire.
- Il te soutiendra, dit Link en lui faisant un clin d'oeil.
- Fils, est-ce vrai ce que ton frère raconte ?
Lars s'avança vers son père.
- Ton frère a tendance à en rajouter.
- Mais euh... contesta l'intéressé.
Le jeune Zora prit une profonde inspiration.
- Oui, Père : Sidon dit vrai.
- Je suis fier de toi, mon fils. Tu es le digne héritier d'Orlène. Le peuple Zora et moi-même, nous nous en remettons à toi.
Lars s'inclina devant le roi en signe de remerciement.
- Père, il me faut quitter le domaine.
- Quoi ? s'étonna Sidon. Tu ne vas pas partir maintenant ? Et pour aller où ? Et comment ?
- Sidon, fit le roi sur un ton autoritaire.
Celui-ci baissa la tête et s'inclina par respect.
- Ton frère a une mission bien plus importante maintenant, il lui faut protéger Hyrule du Fléau qui arrive. Et pour cela il doit partir pour rejoindre les autres Sages.
Le roi se tourna alors vers Sheik et continua.
- Je suppose que ta mère, Impa, est déjà en route.
Sheik s'inclina un bref instant.
- Je suis au regret de vous annoncer, Votre Altesse, que ma mère nous a quittés pour un autre monde.
- Ohhh... Et le Sage de Cocorico au nom imprononçable ?
Sheik secoua la tête en guise de réponse.
- C'est donc la raison pour laquelle d'autres Sages s'éveillent.
- Comment ça ? demanda Sidon.
- Et bien, il ne restait plus que quatre Sages vivants, leur magie n'a pu contenir le Fléau. Il ne peut pas y avoir moins de trois Sages. C'est pourquoi le pouvoir de Lars s'est éveillé.
- Je ne comprends toujours pas pourquoi Lars doit partir, reprit Sidon.
- Je dois retrouver les autres Sages. Ne t'inquiète pas, grand frère, il ne m'arrivera rien.
- J'en suis certain, dit-il avec un grand sourire. Parce que je t'accompagne !
Sheik, qui était resté au fond de la salle, laissa échapper un rire étouffé.
- Allez, frérot, reprit Sidon un large sourire aux lèvres. Après tout ça, je ne peux pas rester ici seul.
Lars ne savait pas quoi répondre à son frère.
- Si tu veux, tu peux te joindre à nous, intervient Link.
Mais Lars ne laissa pas Sidon répondre.
- Je suis d'accord.
Il tendit la main vers son frère qui paraissait géant à côté de lui. Sidon serra la main de Lars et lui donna une petite tape dans le dos.
- On va bien s'amuser, tu vas voir, dit-il avec enthousiasme.
- Hum, hum... fit le roi dans un raclement de gorge. Sidon, ce n'est pas une expédition ordinaire. Ton frère a une mission des plus importantes.
- Oui, oui, répondit Sidon avant de reprendre plus sérieusement. Je sais, je l'accompagne car on ne sait pas ce que Ganondorf prévoit de faire. Est-il à la recherche des Sages ?
- Je suis d'accord avec Sidon, intervient Sheik. Ganondorf va certainement chercher à éliminer les Sages restants. Lars a beau avoir des pouvoirs, il n'en est pas moins un enfant qui n'a jamais combattu. Il a eu beaucoup de chance au temple. Mais en aura-t-il autant la prochaine fois ?
- Je pense que tu as raison, fils d'Impa. Sidon t'accompagnera donc, fils, pour ta sécurité.
Lars acquiesça.
- Nous partirons dans l'heure.
- Et nous partirons avec vous, dit Link. Nous avons l'aquanine, et le temps presse.
- C'est vrai, intervint Sheik. Les autres doivent déjà être en route pour Toal, enfin, je l'espère.
- Très bien, fit le Roi. Je vais donner l'ordre de faire seller vos chevaux. Mes fils, prenez soin l'un de l'autre. Votre voyage sera périlleux, puisse la déesse Hylia vous protéger.
Les quatre garçons sortirent de la salle du trône.
- Je vais préparer quelques affaires pour le voyage, tu devrais en faire autant, grand frère.
- Euh... oui, oui, c'était prévu. J'y vais de ce pas.
Le grand Zora bomba le torse et tourna le dos au groupe en empruntant fièrement le couloir.
- Mmhh mhhh, fit Lars. Ta chambre est de l'autre côté.
- Euh... oui, je sais. Je me dirigeais vers les cuisines pour des vivres, c'est important de se nourrir.
- Les cuisines, c'est aussi de l'autre côté, rigola le petit Zora.
- Rohhh, c'est bon...
Sidon baissa la tête et s'avança dans la bonne direction, le dos vouté, tout en traînant le pas. Il passa devant le groupe, puis il se retourna pour faire face à Lars.
- Je sais très bien où se trouvent ma chambre et la cuisine, monsieur le petit génie.
Link se pencha vers Sheik et lui demanda dans un murmure :
- Comment un Zora comme lui peut être aussi tête en l'air ?
Au fond du couloir, une voix les interpella.
- Attendez...
- Ah ben, nous avons notre réponse, ricana Sheik.
- Tu n'allais pas partir sans me dire au revoir, j'espère ? dit la jeune fille en accourant vers eux.
- N... n... non, bien... bien sûr que non, bégaya Sidon.
- Et en plus, j'apprends que tu es notre nouveau sage, continua-t-elle en s'arrêtant devant Lars, ignorant son aîné.
- Je suis désolé, Laruto. Les événements se sont enchaînés, je n'ai pas eu le temps de venir t'en parler.
La Zora lui fit un grand sourire.
- Je suis si fière de toi ! Et toi, dit-elle en s'adressant cette fois à Sidon. Fais attention à lui. S'il devait lui arriver quelque chose, Hyrule serait perdue, et ce serait ta faute.
- Ne.... bafouilla Sidon sans pouvoir finir sa phrase.
- Lars, on se revoit à ton retour.
Elle embrassa le jeune Zora sur la joue, se redressa et tourna les talons. Sidon était bouche bée, lui qui rêvait d'avoir un doux baiser de sa chère et tendre. Il voulait lui dire à quel point il était fou d'elle, mais il bafouillait et perdait toujours tous ses moyens devant elle. Laruto avait fait deux pas quand elle se stoppa, se retourna et se dirigea vers Sidon. Arrivée devant lui, elle le serra dans ses bras. Le Zora faisait presque deux têtes de plus qu'elle, mais Sidon ne bougea pas d'une écaille. Etait-ce un rêve ?
- Promets-moi de le ramener vivant.
Sidon passa ses bras autour de Laruto pour la rassurer.
- Je te le promets.
- Et reviens-moi vite.
Sur ses mots, la jeune fille se dégagea de l'étreinte de Sidon et s'en alla sans se retourner. Sheik donna un coup de coude amical à Link et lui dit :
- Je sens qu'on va avoir droit à l'histoire durant tout le voyage.
- Je pense que oui, dit-il avec un sourire moqueur.
* * *
Link et Sheik attendaient les princes près de leurs chevaux sellés. Ils étaient prêts à partir. Par réflexe, Link vérifia que l'aquanine était bien dans sa besace. La pierre tenait compagnie aux morceaux de l'épée brisée.
- Si les autres ont rempli leur mission, nous devrions pouvoir reforger l'épée très bientôt, dit-il autant pour Fay que pour lui-même et son ami.
- J'espère qu'ils n'ont pas rencontré trop de difficultés.
Link hocha la tête. Lovio lui manquait, mais il le savait entre de bonnes mains en compagnie d'Hönir. Il était certain que tout se passait bien de leur côté.
- Que fait-on pour Zelda ? demanda-t-il finalement.
Sheik croisa les bras sur la poitrine. Il avait encore du mal à réaliser qu'il avait bel et bien une soeur et que tous deux possédaient un pouvoir octroyé par les Déesses. Tout à l'heure, il avait bien failli poser une question au roi Dorépha sur la famille royale d'Hyrule, mais s'en était finalement abstenu. Qu'il soit né sous l'identité de Gustave, prince d'Hyrule, n'était vraiment pas quelque chose d'important pour lui aujourd'hui, cela ne changeait pas qui il était. Sa soeur jumelle, en revanche, c'était une autre histoire. Il souhaitait vraiment la rencontrer, apprendre à la connaître et, surtout, la protéger de Ganondorf.
- Le loup l'a peut-être déjà rattrapée, répondit-il finalement.
- Mais rien ne dit qu'elle le suivra et, en dehors du fait qu'elle soit ta soeur, nous avons besoin d'elle pour reforger l'épée.
Depuis qu'il savait que Sheik et Zelda étaient jumeaux, il se demandait si la princesse ressemblait au Sheikah. Il était de plus en plus curieux de la rencontrer.
- C'est vrai, mais si elle a le même instinct que moi, elle saura qu'il est un allié. Elle lui fera confiance.
- Tu ne te demandes jamais d'où il vient ?
- Aëline a dit que c'était la princesse Midona qui l'avait envoyé ici. D'après elle, il viendrait du Royaume du Crépuscule, mais je ne sais pas où c'est. Jehd en aurait peut-être une petite idée. Il était certainement fait mention de ce royaume dans l'un des livres de la bibliothèque de Toal.
- Mais ce que je sais, c'est qu'il est plus qu'un loup.
- Peut-être est-ce un être humain maudit sous cette forme ? fit Link en réfléchissant sérieusement à la question. Non, c'est une idée absurde.
- Je n'ai jamais entendu parler de sorcier pouvant faire ça, mais je m'y connais peu en magie de toute façon.
- Ah ah ! Mes amis ! Nous sommes prêts !
Sidon arrivait avec son frère, chacun portant une besace en bandoulière.
- On a failli attendre, fit Sheik à l'adresse de son géant ami. Tu as emporté tout le domaine ou quoi ?
- Je l'en ai empêché, répondit Lars à sa place.
Link grimpa en selle et Lars monta sur le même cheval que Sheik, puis tous les quatre se mirent en route. Les Zoras du domaine vinrent faire leurs adieux à leurs princes. Si Sidon avait mis du temps à se préparer, c'était surtout parce qu'il avait donné ses instructions pour la défense de leur territoire en son absence. Laisser cette tâche aux autres soldats lui déplaisait, mais il ne pouvait pas ne pas accompagner Lars et tout le monde l'avait compris. Ils passèrent rapidement les portes du domaine et commencèrent à descendre le chemin.
- Sidon. Là-haut, lui fit Sheik alors qu'ils étaient au milieu d'un pont.
Le prince leva la tête dans la direction indiquée par son ami d'enfance. Laruto était venue les voir partir. Elle était loin, perchée sur un rocher en hauteur, mais Sidon l'aurait reconnue entre mille. Il s'arrêta et lui adressa un de ses larges sourires, prenant cette pose assurée que Link lui connaissait depuis le premier jour.
- A cette distance, c'est plus facile de faire le malin, s'amusa Lars.
- Un jour, je l'épouserai.
- Encore faut-il que tu arrives à le lui demander sans bafouiller, lâcha Sheik, l'air de rien.
Sidon le regarda, surpris, puis éclata de rire. Il lui donna une grande claque dans le dos pour la peine et reporta son attention vers Laruto. Il lui fit un signe de la main et sentit son coeur battre la chamade quand elle lui répondit avant de disparaître.
- Et toi ? On en parle de tes amours ? reprit le Zora en reprenant la marche.
- Ou pas, fit Sheik en regardant droit devant lui.
- Mmm... allez, il n'y a pas une jolie Hylienne ou une jolie Sheikah qui t'attend à Toal ?
- Si tu crois que j'ai le temps de faire le joli coeur comme un Zora que je connais bien...
- Un garçon, alors ?
Sheik se figea. Une désagréable sensation venait de remonter le long de son échine alors que les mots de son ami ravivaient le souvenir d'un certain personnage aux tendances exhibitionnistes. Penser à Era et à la façon qu'il avait de l'approcher de trop près lui colla un frisson et il lança un regard noir à Sidon.
- Je plaisante, mon ami, je plaisante, fit ce dernier sans se formaliser du regard assassin de Sheik.
Lars sourit, amusé malgré tout.
- A quoi ressemble Zelda à propos ? demanda soudain Link.
- Tiens, c'est vrai. Vous ne nous avez pas dit pourquoi vous la cherchiez, fit Sidon en reprenant son sérieux.
Sheik détourna le regard un instant. Il hésitait à parler de cela à Sidon et Lars. Tous deux étaient ses amis, il avait confiance en eux, alors de quoi avait-il peur ?
- Pour plusieurs raisons, répondit Link à sa place. J'ai besoin d'elle pour reforger l'épée de Légende et cela la met en danger. Il faut donc qu'on la retrouve avant que Ganondorf ne lui mette la main dessus.
Les deux Zoras réfléchirent en silence.
- Comment peut-elle t'aider ?
- Non, Sidon. Il vaut mieux que Link n'en dise pas plus, fit Lars.
Son frère allait protester, mais il saisit. Il hocha la tête. Il n'en demanderait pas plus.
- Alors... à quoi elle ressemble ? dit-il à la place en réfléchissant. Elle est blonde et toute menue. Elle doit faire la taille de Lars ou à peu près.
- Elle a du succès au village de la Jeune Fille Bleue de ce qu'elle m'a dit, renchérit Lars. Je n'ai jamais compris pourquoi, mais parfois cela lui faisait plaisir, et parfois, ça l'agaçait.
Link et Sheik échangèrent un regard, mais aucun des deux n'avait de réponse à l'interrogation de Lars. Les filles et leurs pensées étaient un mystère insondable.
- Elle est forte, reprit le jeune prince. Mentalement, je veux dire. Même quand les choses ne vont pas bien, elle voit le positif. Oh, elle doute aussi parfois, surtout à cause de tous ces rêves qu'elle a faits ces derniers mois...
- De quoi rêve-t-elle ? Elle te l'a dit ? demanda Sheik sans dissimuler son intérêt.
- Il y avait un rêve qui revenait souvent. Un cauchemar, plutôt : elle est au milieu d'une forêt très, très ancienne, et il y a un gros tremblement de terre qui déchire la terre. Un grand gouffre noir s'ouvre sous ses pieds et un énorme monstre surgit du néant...
- Un monstre noir, avec des crocs terrifiants, l'interrompit Link qui se souvenait de son propre cauchemar, le jour de la Fête des Déesses. Son corps est recouvert d'écailles et sa simple présence tue tout ce qui est vivant autour de lui...
Lars l'observa sans un mot. Il ne semblait pas surpris que Link ait vécu le même rêve que Zelda. Depuis qu'il était devenu Sage, certaines choses lui semblaient évidentes et les explications venaient à son esprit d'elles-mêmes, comme survenues de la mémoire de ces prédécesseurs.
"Nous avons donc fait le même rêve tous les trois", pensa Sheik pour lui-même.
S'il devait avoir encore une preuve que Zelda était sa jumelle et qu'ils partageaient le pouvoir de la Triforce, cette histoire en était certainement une.
- Savez-vous qui est ce frère qu'elle cherche ? demanda Sidon.
Link jeta un oeil à Sheik qui haussa les épaules.
- Nous en parlerons plus tard, quand nous serons à Toal, répondit-il.
Sidon hocha la tête, comprenant que cela aussi, ne devait pas tomber entre des oreilles ennemies. Le silence s'installa alors qu'ils continuaient leur route. Tous étaient perdus dans leurs pensées si bien que cela devint pesant, personne ne sachant comment relancer la conversation. Ce fut finalement Sidon qui trouva.
- Vous avez vu ? Laruto est venue me dire au revoir. Et j'ai même eu droit à un câlin d'adieu ! soupira-t-il de bonheur. Aaah, sentir son corps contre le mien...
- Si elle t'entendait dire ça, tu le regretterais, tu le sais, n'est-ce pas ? s'amusa son frère.
- Et tu viendrais pleurer sur nos épaules, renchérit Sheik. Comme la fois où elle a refusé de t'adresser la parole pendant trois semaines. J'ai bien cru que jamais tu ne t'arrêterais de te lamenter... Un grand guerrier comme toi qui pleurait comme un petit garçon... Ce n'était pas très glorieux.
- Je ne vois pas du tout de quoi tu parles !
- Il faut qu'on te raconte ça, Link, insista Lars avec malice.
Les limites du Domaine Zora n'étaient plus très loin et c'est le coeur plus léger et dans une bonne ambiance que les quatre amis les franchirent, oubliant quelques instants que leur destin était lié à celui de Ganondorf et de sa soif de conquête.
Cela faisait deux jours et demi que le loup parcourait la forêt à la recherche de la princesse. Il appréciait le calme qui régnait. Il fallait dire que depuis son retour en Hyrule, les événements s'étaient bousculés et il n'avait plus trop l'habitude de côtoyer des êtres vivants. Depuis son départ du Domaine Zora, il chassait de temps en temps pour se nourrir ou boire à un ruisseau. C'est d'ailleurs à ce moment-là qu'il se redressa, ses oreilles tournées légèrement à l'écoute des différents bruits. Il huma l'air un moment : l'odeur de la princesse était à présent plus forte. Devant lui, derrière d'épais buissons, un ricanement se fit entendre.
- Vous voyez, Princesse, une révérence réussie s'effectue ainsi.
Le jeune homme s'inclina vers l'avant, maintenant d'une main sa robe et agitant l'autre devant lui.
- Quand est-ce que tu arrêteras de faire l'imbécile ! s'exclama la jeune femme.
Le canidé traversa le ruisseau et s'avança doucement entre les buissons jusqu'à voir les deux jeunes gens. Il se mit à plat ventre, le museau posé au sol entre ses deux pattes avant, les oreilles rabattues vers l'arrière. Il renifla une nouvelle fois. Un enivrant parfum vint lui chatouiller les narines. La jeune fille avait une douce odeur florale. Cette fragrance lui rappela la princesse aux côtés duquel il s'était battu jadis, mais aussi le petit jardin de la sorcière Aëline. Il se perdit dans ses pensées et se vit au temps où il était encore humain à promettre au roi de protéger sa fille au péril de sa vie.
Un cri le fit revenir à la réalité. La princesse se battait du mieux qu'elle pouvait contre un sbire de Ganondorf, à l'aide d'un bâton. Les cris venaient de derrière elle : le jeune homme qui l'accompagnait se cachait tant bien que mal dans le dos de sa compagne, poussant des cris d'orfraie. La créature aux allures de cochon géant se battait à coup de pierres ramassées sur le chemin. Celui-ci prit un rocher devant lui. Il le souleva au-dessus de sa tête. C'est à ce moment que le loup sortit des buissons pour s'interposer. La créature, surprise, lâcha le rocher qui tomba sur sa tête et l'assomma. Voyant qu'il n'avait plus rien à craindre, le jeune homme se redressa et se dirigea vers la bestiole inconsciente.
- Ils sont vraiment stupides ces bokoblins, dit-il d'un ton amusé.
Un spasme fit bouger la main du sbire de Ganondorf, effrayant le jeune homme qui courut une nouvelle fois se réfugier derrière la princesse.
- Et bien, ce n'est pas demain que tu sauveras Hyrule, rigola la jeune fille.
Le loup s'assit et les observa un moment.
- Ohhhh, mais tu es mignon comme tout ! s'exclama soudain la princesse.
Era bomba le torse en replaçant ses cheveux sous son bob rose.
- Oui, je sais, c'est naturel chez moi, dit-il avec son plus beau sourire.
- Pas toi... lui !
Elle lui indiqua le loup assis devant eux.
- Si je serais toi...
- Pas "si je serais", mais "si j'étais toi".
- Si j' ÉTAIS toi, Princesse, je me méfierais.
- Et bien, monsieur, vous ne l'êtes pas, bien que vous portiez ma robe à merveille.
La princesse se dirigea vers le loup qui ne bougeait pas.
- Je te remercie de nous avoir protégés du bokoblin.
Le loup pencha la tête sur le côté, puis se leva pour fourrer sa tête dans l'une des mains de la princesse qui le gratta gentiment derrière l'oreille avant de le caresser. Elle remarqua autour de son cou une étoffe nouée. Elle lui enleva délicatement et découvrit l'emblème d'Hyrule.
- Cette écharpe, je la reconnais !
- Ah bon ? l'interrogea Era.
- Oui, elle est à moi. Je l'avais laissée dans ma chambre.
- Et comment ce loup s'est retrouvé avec ton écharpe, qui est magnifique en passant, autour de son cou ?
- Je pense que ma mère a dû envoyer le loup pour me protéger.
- Te protéger ! Mais je suis là, MOI ! s'offusqua le jeune homme.
- Et bien maintenant, vous serez deux !
Era croisa les bras sur la poitrine d'un air boudeur tout en observant le loup. Un infime instant, il se dit que l'animal lui était vaguement familier, mais finalement, il écarta cette pensée. Il ne voyait pas comment il aurait pu voir un loup de près avant aujourd'hui.
- Comment peux-tu être sûre qu'il ne va pas nous sauter dessus pour nous boulotter ? finit-il par dire.
Zelda eut un léger rire amusé tout en continuant de caresser le loup qui semblait apprécier le contact.
- Que veux-tu qu'il mange sur toi ? Tu es plus maigre que mon bâton.
Elle sourit au loup et lui murmura :
- Je te le déconseille, je ne suis pas sûre qu'il soit comestible de toute façon.
- Oh ! Très drôle, Princesse ! Je suis mort de rire !
La jeune fille se releva pour attraper le visage d'Era entre ses mains.
- Tu sais que tu es mignon quand tu boudes ?
- Vraiment ? Plus mignon que lui ?
Elle se contenta de lui sourire et le relâcha pour retourner près du loup.
- Je ne sais pas ce que t'a dit Maman, mais il est hors de question que je rentre à la maison. J'ai quelqu'un à retrouver.
Le loup hocha la tête. Il ne pouvait lui expliquer qu'il savait déjà tout cela et que ce n'était pas Aëline qui l'avait envoyé. C'était parfois frustrant de ne pas pouvoir communiquer.
- Je cherche mon frère, tu comprends, continua la jeune fille. Era m'emmène à Toal, il dit qu'il y a là-bas quelqu'un qui pourrait m'aider.
Le loup bondit aussitôt sur ses pattes, faisant sursauter Era qui releva ses jupes comme si cela pouvait le protéger. C'était inespéré que Zelda prenne d'elle-même la direction de Toal ! Si Link et Sheik réussissaient rapidement leur mission au domaine Zora, il pouvait guider la princesse pour qu'elle croise leur route.
- J'ai vraiment l'impression qu'il me comprend, dit-elle, songeuse.
En réponse, le loup approcha la tête de sa main pour approuver.
- Très bien. Remettons-nous en route, alors.
- Direction Toal ! s'enthousiasma Era en attrapant la main de la princesse pour l'entrainer sur le chemin.
Le jeune homme n'était pas sûr de retrouver exactement le chemin du village caché au coeur de la forêt. Les seules fois où il y était allé, c'était sur le dos de son fidèle Cochonou. Mais pour le moment, ce n'était pas important. Quand il aurait besoin de lui, il sifflerait le célestrier. A cet instant, il profitait de sa belle robe, de sa belle princesse et du soleil éclatant pour cette jolie promenade.
* * *
- Sidon n'aurait pas été de trop...
Accroupi derrière un rocher, Sheik observait le camp ennemi, repérant la position de chaque sentinelle. La nuit était tombée depuis deux heures et la majorité des monstres dormaient comme des souches. C'était heureux vu l'ampleur des troupes. Des bokoblins, des moblins, quelques lézalfos... Une véritable armée en plein déplacement.
- C'est une chance que j'ai insisté pour rester avec toi.
Link lui adressa un sourire amical tout en pensant qu'en effet, l'aide du Zora aurait été la bienvenue. Le petit groupe avait cheminé ensemble jusqu'aux abords du village de la Jeune Fille Bleue, puis s'était séparé. Sheik, inquiet pour Zelda, avait souhaité continuer seul vers le sud, espérant retrouver le loup et la jeune fille au plus vite. Les trois autres avaient refusé en bloc de l'abandonner et de prendre la direction de Toal sans lui. Pour sa part, il ne voulait pas mettre Lars, Link et l'aquanine plus en danger qu'ils ne l'étaient déjà. La discussion avait été longue et âpre. Sheik avait même fini par hausser le ton et Sidon avait failli se fâcher. Finalement, Lars et Link avaient proposé un compromis : les Zoras continueraient vers Firone et l'Hylien accompagnerait Sheik. Ils avaient alors chevauché vers le sud pendant presque deux jours, guidés par Navi. La petite fée, très discrète jusqu'ici au point qu'elle s'était crue oubliée, semblait savoir dans quelle direction se trouvait le loup. La piste les avait menés à proximité de ce campement ennemi autour duquel flottaient les bannières de Ganondorf.
- Attention !
Sheik obligea Link à se baisser encore plus derrière le bosquet où ils avançaient à quatre pattes. Un moblin reniflait l'air à deux mètres à peine de leur cachette. Heureusement, ils s'étaient mis dans le vent et la créature ne pouvait percevoir leur odeur. Quand elle s'éloigna pour reprendre sa ronde, ils reprirent leur progression.
- Il est bien là, murmura Sheik en désignant un enclos au milieu des ennemis endormis.
- Tu es sûr que c'est lui ?
- Je n'ai jamais vu qu'un seul oiseau comme lui.
Sheik observa les alentours avec inquiétude. Comme il l'avait vu en observant le campement de loin, le célestrier vermeil était fermement attaché avec une chaîne pour éviter qu'il ne s'envole. Son gros bec était également entravé par une corde.
- Tu vois ton ami ?
- Non...
- Peut-être qu'il n'est pas là, tenta de le rassurer Link.
- Era ne se sépare jamais de Cochonou. Il doit être prisonnier quelque part.
Sheik refusa de penser qu'il puisse être déjà mort. Era n'était peut-être pas toujours très malin, était très souvent agaçant et avait de dérangeantes manies avec lui, mais il ne lui souhaitait tout de même pas de mourir. Les deux jeunes hommes tentèrent de se faufiler plus avant dans le campement pour approcher Cochonou. Au vu de sa relation avec Era, Sheik pensait que le célestrier pourrait peut-être les aider à le retrouver.
Au même moment, de l'autre côté du campement...
- Era !
Zelda attrapa le jeune homme par le col de sa robe pour le tirer en arrière brusquement alors qu'une sentinelle approchait. Era perdit l'équilibre et tomba lourdement dans un froufrou de jupons.
- Princesse ! Ce n'est pas le moment pour essayer de m'entrainer derrière un buisson !
- Tais-toi donc !
Elle plaqua sa main sur sa bouche, guettant la sentinelle qui passait son chemin. C'était un miracle qu'elle ne les ait pas repérés avec le barouf qu'ils venaient de faire. Dès que tout danger fut écarté, elle repoussa son compagnon qui pesait plus lourd qu'elle l'aurait cru.
- Tu as failli nous faire repérer !
Era fit une moue qu'un chaton pris en faute n'aurait pas reniée. Elle soupira et regarda ailleurs.
- Par où doit-on aller ? demanda-t-elle surtout pour elle-même.
- Au milieu du campement, bien évidemment.
- En plein milieu ?
- Dans toutes les histoires, le trésor est toujours en plein centre de l'armée ennemie ! répliqua Era avec une logique implacable.
Zelda le regarda, effarée par son raisonnement.
- On n'est pas dans une histoire, tu le sais ?
- Bien sûr qu'on est dans une histoire ! Tu es la princesse, et moi, ton preux chevalier !
- En robe...
- Et alors ? Tu me préférerais sans ? Il fallait le dire tout de suite !
Aussitôt, il commença à retrousser ses jupes pour tenter de se déshabiller. Paniquée, Zelda l'arrêta dans la seconde.
- Arrête de faire l'andouille ! Et reste habillé !
- A tes ordres, ma princesse.
Era lui offrit un sourire désarmant et, sans crier gare, déposa un baiser sur son front avant de se relever.
- Allons-y. Je suis sûr que c'est par là ! fit-il en désignant la gauche.
Zelda haussa les épaules et se releva à son tour. Elle allait lui emboîter le pas quand quelque chose lui fit tourner la tête vers la droite. C'était une sensation très étrange qu'elle n'arrivait pas à identifier. Comme un appel ou une résonnance.
- Non, c'est par là, finit-elle par décider, attrapant Era par le bras.
- Tu es sûre ?
Zelda ne répondit pas et entraîna son compagnon à sa suite. Tout son être était tendu dans cette direction. Quelqu'un l'y attendait, elle en était certaine.
- Quelque chose ne va pas ?
Sheik releva la tête à la question de Link. Un instant, il avait cru sentir quelque chose, ou plutôt quelqu'un. Comment savait-il qu'il s'agissait d'une personne, il l'ignorait, mais c'était ce que lui soufflait son instinct.
- Non, je crois que...
- Yiiiiiiiiaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaah !!!
Devant leurs yeux écarquillés, une silhouette humaine passa au beau milieu des monstres en hurlant, agitant une torche allumée dans tous les sens.
- Heu... c'était quoi, ça ? demanda Link.
- J'ai seulement vu une robe rose. Enfin, je crois... répondit Sheik, autant sous le choc que son ami.
Evidemment, les hurlements réveillèrent le campement. Les monstres bondirent sur leurs pieds, attrapant les armes à leur portée par réflexe, cherchant eux aussi à comprendre ce qui se passait. L'étrange individu avait continué sa course avec sa torche et en poussant toujours des cris. Il était difficile de savoir s'il tentait d'enflammer les caisses ou les tentes de fortune. Sheik et Link le virent revenir en trombe. Cette fois, il n'avait plus de torche à la main.
- Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaah ! Au secouuuuuuuuuuuuuuuuurs !
Il leur passa devant en continuant de hurler, sa robe en flammes, et poursuivi par de nombreux monstres.
- Est-ce que c'est... commença Link.
- Era, oui, approuva Sheik.
Les deux amis échangèrent un regard, tirèrent leurs armes de leur fourreau et bondirent hors de leur cachette. Le combat s'engagea aussitôt. Profitant de l'effet de surprise, Link et Sheik arrivèrent à se frayer un chemin vers Era dont la robe continuait à brûler, mettant son postérieur en grand danger.
- Cochonouuuu ! J'arrive !!! hurla-t-il au célestrier qui s'agitait en le reconnaissant.
Le jeune homme lui passa devant en courant, toujours poursuivi par une horde de monstres. Soudain, Era vit son salut. Il accéléra l'allure autant pour se presser que parce que cela commençait sérieusement à chauffer pour lui et il sauta joyeusement dans une barrique d'eau, éteignant le fâcheux incendie qu'il avait lui-même déclenché.
- Aaaah, sauvé ! soupira-t-il d'aise.
- Attention !
Les deux voix avaient résonné en écho, l'une, masculine, derrière lui, et l'autre, féminine, devant lui. Il n'eut pas l'occasion de faire autre chose que de plonger tout entier dans la barrique qu'une volée de flèches siffla à ses oreilles pour atteindre deux bokoblins prêts à le scalper et qu'un lézalfos rencontra un sabre sheikah de façon plutôt douloureuse. Era émergea aussitôt la tête de l'eau, tenant son bob d'une main.
- Qu'est-ce que tu n'as pas compris dans "faire une diversion en incendiant leur campement" ? cria Zelda, en colère après son compagnon.
- Era ! Bougre d'imbécile !
Le jeune homme sourit largement en reconnaissant la voix de Sheik. Il bondit hors du tonneau, trempé comme une soupe, la robe lui collant au corps de façon assez disgracieuse.
- Sheik ! Mon lapin !
L'intéressé fit une moue dégoutée à ce sobriquet.
- Appelle-moi encore une fois comme ça et je te laisse aux Moblins ! Tu sais qu'ils sont carnivores ? rétorqua-t-il en le menaçant de la pointe de son sabre.
- Ce que tu es beau quand tu es en colère !
- Era !
Il se tourna vers la princesse qui continuait à faire voler ses flèches. Le loup n'était pas loin, enfonçant ses crocs dans les monstres qui avançaient trop près.
- Mais tu es la plus belle, ma princesse, bien évidemment. Il ne faut pas être jalouse. Je peux me partager, ça ne me pose aucun problème.
Sheik et Zelda poussèrent dans un bel ensemble un soupir des plus agacés et leurs regards se croisèrent. Tous deux surent immédiatement que c'était la présence de l'autre qu'ils avaient ressentie un peu plus tôt. Bien que leur situation soit de plus en plus préoccupante vu que l'étau se resserrait autour d'eux à mesure que tout le campement rappliquait dans leur direction, Zelda esquissa un sourire et ouvrit la bouche pour parler. Mais Sheik se détourna d'elle dans la même seconde. Ce n'était pas le moment.
Pour sa part, Link se battait farouchement. Un instant, il eut l'impression que le temps avait ralenti alors qu'il tranchait et transperçait l'ennemi à plusieurs reprises. Instinctivement, guidé à la fois par l'enseignement de son défunt oncle et par le courage dont il était le porteur, il affrontait le moindre adversaire à sa portée sans se poser de question. Malheureusement, il était seul contre une armée et bientôt, il dut reculer jusqu'à rejoindre les autres, encerclés par l'armée de monstres. Même le loup avait dû faire de même en grondant.
- J'aurais dû libérer Cochonou, il nous aurait sortis de là en une poignée de secondes, fit Era en se réfugiant derrière Sheik et Zelda.
Les monstres avançaient vers eux, prêts à les réduire en bouillie. Il n'y avait guère d'échappatoire et à moins d'un miracle, ils allaient tous mourir ici. Alors qu'ils s'apprêtaient pour les uns à défendre chèrement leurs existences et pour l'autre à supplier à genoux qu'on le laisse en vie, les monstres s'agitèrent brusquement et le ciel s'assombrit soudain. La lune disparaissait peu à peu derrière un disque noir, comme lors d'une éclipse. Le loup se mit à hurler comme il ne l'avait jamais fait et Link sentit la marque de la Triforce du Courage apparaître sur sa main. Il leva les yeux vers l'astre nocturne, une sueur glacée coulant le long de son échine et une boule d'angoisse dans la gorge. Il ne s'aperçut pas qu'il en était de même pour Sheik et Zelda. Seul Era semblait épargné par le phénomène qui agitait les monstres.
- Maintenant, princesse ! fit-il en attrapant la main de la jeune fille, la sortant de sa torpeur.
Il fit de même avec la main de Sheik pour les entraîner au travers des monstres qui ne savaient plus ce qu'ils devaient faire : continuer le combat ou vénérer cette noirceur qui envahissait la nuit d'Hyrule ?
- Lâche-moi, Era ! protesta Sheik au bout de quelques pas. Link !
Navi tournait autour du jeune homme qui avait suivi le mouvement. La marque brillait fortement dans l'obscurité, mais il décida de ne pas s'en occuper maintenant. Pourtant, son regard fut attiré par une lueur similaire à la main de Zelda. Tout en courant, il jeta un oeil à Sheik, mais le Sheikah portait des gants et avait pris soin de ne pas montrer sa main à Era et à celle qui était donc sa soeur jumelle.
Ils coururent à perdre haleine, évitant la plupart des monstres ou les écartant d'un coup d'épée ou de sabre s'ils faisaient mine de vouloir les arrêter, et ils repassèrent devant le pauvre Cochonou qui ne cessait de ruer pour tenter de s'échapper. Era lâcha aussitôt ses amis pour se précipiter vers le célestrier et le délivrer. Ce fut le loup qui trancha d'un coup de crocs les liens de l'oiseau. Sans se poser de questions, Era attrapa la princesse pour la faire monter sur le dos de Cochonou, puis monta à son tour. L'oiseau battit de ses puissantes ailes pour décoller.
- Era ! Et les autres !
- On arrive ! Allez-vous mettre à l'abri ! ordonna Sheik.
Il ne leur laissa pas l'occasion de protester qu'il repartit en direction des limites du campement, suivi par Link et le loup. Sans Era et Zelda, ils allaient beaucoup plus vite et, bientôt, ils réussirent à se sortir d'affaire. Ils ne cessèrent de courir que lorsqu'ils furent sûrs et certains qu'aucun monstre ne les poursuivait. Dans le ciel, la lune était redevenue normale et les marques à leurs mains avaient disparu.
- Les déesses sont avec nous, fit Link en reprenant son souffle.
- Je vais l'étrangler. Il a failli nous faire tous tuer !
- Dis plutôt que grâce à moi, nous nous sommes retrouvés, mon lapin.
Cochonou atterrit à côté d'eux et Era bondit au sol avant d'aider Zelda à descendre. Link ne pouvait quitter la jeune fille des yeux. C'était elle, enfin ! Celle qui avait le pouvoir de l'aider à défaire Ganondorf, à reforger l'épée de Légende. Avec ses cheveux défaits par l'action, ses joues rougies par l'effort, il sentit son coeur louper un battement. Il n'avait jamais vu de fille aussi fascinante.
- Qui es-tu ? demanda-t-elle soudain à Sheik. Est-ce que c'est ta présence que j'ai sentie tout à l'heure ?
Sheik la regarda dans les yeux. Enfin, il était devant sa soeur. Elle était là. Sa jumelle. Sa moitié.
- Non, tu dois avoir senti sa présence à lui, fit-il en poussant Link devant elle, à la grande surprise de ce dernier. Il est l'Elu des Déesses. Votre pouvoir vous lie.
- C'est vrai, ça ? fit la jeune fille, peu convaincue.
Link resta bouche bée, ne comprenant pas la réaction de son ami.
- Et bien... heu... c'est-à-dire... Oui, je crois ? Enfin, oui, je suis l'Elu.
Zelda le regarda longuement, perplexe. Ses yeux glissèrent sur Sheik qui s'était éloigné un peu pour caresser le loup, ravi de revoir son compagnon à poils.
- Il ne faut pas trainer par ici, fit-il sans regarder les autres. Ils pourraient se décider à reprendre la poursuite.
- C'est quand même drôlement une coïncidence, intervint Era. Figure-toi que j'emmenais justement Zelda à Toal.
Sheik regarda Era, se demandant si les déesses n'avaient pas décidé d'intervenir pour le réunir avec sa soeur. Qu'elles aient pu choisir un énergumène comme lui pour le faire dépassait l'entendement.
- Ça tombe bien, nous la cherchions pour l'y emmener, fit-il finalement.
- Ah ? Et pourquoi donc ? demanda la jeune fille.
- Link a besoin de toi pour contrer Ganondorf, répondit-il seulement. En route.
Sans attendre, Sheik reprit la marche.
- Il est toujours comme ça ? demanda-t-elle en trouvant que le jeune homme avait vraiment un sale caractère.
- Avec moi, toujours, répondit Era. Mais c'est une crème, en vrai, je le sais.
Link leur emboîta le pas alors que Cochounou filait se dégourdir les ailes. Il observa Sheik qui marchait à une dizaine de mètres devant eux, le loup à ses côtés. Pourquoi n'avait-il pas dit à Zelda qui il était ? Pourquoi s'était-il ainsi renfermé ? Il espérait que ce n'était que passager et que d'ici leur arrivée à Toal, Sheik finirait par révéler qui il était à la jeune fille.
Cela faisait une semaine que les trois groupes avaient quitté Toal. Jedh s'était enfermé dans la bibliothèque. De temps en temps, de l'extérieur, on pouvait l'entendre crier tout seul. Seule Kida franchissait le seuil pour lui apporter de quoi manger. Aujourd'hui encore, à son arrivée, elle pouvait entendre Jedh râler pour lui-même. Elle entra sans frapper et le découvrit, comme à son habitude, devant une pile de parchemins ouverts.
- Non, non, ce n'est pas celui-là ! Mais bon sang ! Où est passé ce parchemin ?
Il bondit de sa chaise pour courir à l'autre bout de la pièce. Il sauta sur l'échelle accrochée à l'étagère et attrapa plusieurs parchemins qui y étaient entreposés. Il avait les bras si chargés qu'il en laissa tomber la moitié. Kida accourut pour l'aider. Elle posa son panier et s'accroupit à ses côtés.
- Je n'y arriverai jamais, souffla le jeune homme.
- Jedh, reste calme, respire profondément, lui dit Kida en lui prenant les mains.
Le bibliothécaire ferma les yeux et prit une grande inspiration, puis il expira longuement.
- Ça va mieux ? lui demanda la Sheikah.
Jedh ouvrit les yeux.
- Oui, merci. Tu es une perle, Kida. Sans toi, je serais plongé sous les parchemins, répondit-il avec son plus beau sourire.
- Allez ! Posons ces parchemins sur ton bureau et prends une pause pour manger.
Jedh s'exécuta. Pendant ce temps, Kida sortit une couverture de son panier et l'étala au sol.
- Comme toutes les tables sont prises, j'ai pensé que tu pouvais pique-niquer dans la bibliothèque. De toutes manières, te proposer de prendre l'air serait peine perdue.
- C'est que le temps presse. Mais pour toi, je l'arrêterais bien si je pouvais le faire.
La jeune fille lui sourit et l'invita à s'installer sur la couverture, ce qu'il fit volontiers. Elle s'assit en face de lui et lui tendit une assiette remplie.
- J'espère que cette fois, tu manges avec moi.
La jeune fille rougit légèrement.
- Oui, aujourd'hui, j'ai prévu un peu plus, comme je te l'avais promis.
- Je suis désolé de ne pouvoir te donner plus qu'un repas dans une bibliothèque poussiéreuse.
Il baissa les yeux honteux.
- Oh ! Ne t'inquiète pas pour ça. Et sinon, tu recherches quelque chose de spécial dans les parchemins ? Je peux t'aider ?
- Je cherche tout ce que je peux trouver sur les Sages, leurs pouvoirs, les récits sur comment battre Ganondorf. Nous devons nous préparer.
- Il me semble que cela me dit quelque chose.
Kida réfléchit un moment, puis se leva pour se diriger vers une autre section. Jedh l'observa jusqu'à se décider à la rejoindre.
- Que cherches-tu là-bas ?
Il trouva la jeune fille perchée sur une échelle.
- Il me semble que j'ai vu ça dans un de ces parchemins.
- Vu quoi ?
- L'éveil des Sages et de leurs pouvoirs.
Une fois les parchemins en mains, elle se dirigea vers un bureau, poussa de sa main délicatement ce qui se trouvait dessus pour se faire de la place et déroula un premier rouleau.
- Regarde.
- C'est bien ce que je crois ? demanda Jehd en regardant par-dessus l'épaule de la jeune fille.
- Oui, c'est la liste de tous les Sages depuis leur existence !
Le parchemin affichait un grand tableau de plusieurs colonnes.
- Il y a eu des Sages du Feu, de l'Ombre, de la Lumière, de la Forêt, de l'Eau, de l'Esprit, de l'Air et du Temps, énonça le bibliothécaire.
- Pourquoi le Feu est-il rayé ?
Jedh réfléchit tout en regardant le parchemin.
- Je crois que la lignée s'est éteinte. Et là regarde, le dernier nom de chaque colonne doit être le dernier Sage.
- Certains noms sont aussi rayés. Sahasrahla, Impa, Orlène, Guly, Rosso... On dirait qu'il ne reste en vie qu'Aëline, Asarim, Asphar et Lars.
Jedh leva la tête du parchemin, puis se redressa.
- Lars ? Le jeune fils du roi Zora ? Et Asarim ? Le conteur ? s'interrogea-t-il.
- Jedh, regarde vite !
Sous les yeux des deux jeunes Sheikahs, un nouveau nom apparut sous celui de Sahasrahla.
- Niyo...
- Sahasrahla a un descendant ? questionna Kida.
- Non, donc ma théorie ne tient pas. Comment les Déesses choisissent-elles les Sages ?
Jedh se retourna et prit appui sur le bureau d'une main et de l'autre se gratta le menton.
- En jouant à plouf, plouf ? rigola Kida.
- Toujours le mot pour rire, toi, fit Jedh avant de rire à son tour.
La jeune fille regarda à nouveau le parchemin avec attention, mais Jedh, lui, n'arrivait pas à détourner son regard d'elle. Il la trouvait si belle, si intelligente ! Il resta là à la regarder un long moment, oubliant ce pourquoi il s'était enfermé depuis une semaine. Il prit une grande inspiration.
"C'est maintenant ou jamais" se dit-il. La jeune Sheikah avait bien vu que son ami avait pris soudain un air grave et sérieux.
- Tu vas bien ?
- Kida, j'ai une chose importante à te demander.
Elle l'observa attentivement, il paraissait bien anxieux tout à coup.
- J'ai conscience que c'est ni le lieu, ni le moment, mais...
- Qu'y a-t-il, Jedh ?
Le bibliothécaire lui fit face et continua :
- Nous nous sommes rencontrés ici il y a de ça quelques années, et nous partageons la même passion, tu es ma meilleure amie. Tu me connais mieux que personne.
Le Sheikah fouilla brièvement dans sa poche et en sortit un bel anneau.
- Kida, dès que je t'ai vue, j'ai su qu'il n'y aurait que toi.
La jeune fille ne semblait pas surprise et lui sourit.
- Accepterais-tu de vieillir à mes côtés ?
- Bien sûr que oui !
Jedh lui prit alors la main et lui glissa délicatement l'anneau au doigt. Il était fin et sertit de petites topazes. Ceux-ci brillaient telle une constellation. Jedh saisit Kida par la taille et la ramena vers lui. Il rapprocha doucement son visage du sien, ferma les yeux et l'embrassa langoureusement. Un baiser digne des plus beaux contes d'Hyrule. Il desserra doucement son étreinte, et posa son front contre le sien.
- Je t'aime, Kida.
- Je t'aime aussi.
Soudain, Jedh se raidit. Son corps fut parcouru de spasmes. Il recula instinctivement pour ne pas blesser sa fiancée.
- Jedh ?
Le jeune homme hurla de douleur alors que ses membres se tétanisaient. Il tomba à la renverse, bousculant au passage une étagère. Il s'effondra au sol, recouvert par plusieurs livres et parchemins. Kida, paniquée, se précipita vers lui. Elle eut beau le secouer, il ne lui répondit pas. Il était inconscient.
* * *
La douleur avait disparu. Jedh se releva et enleva la poussière des livres qui s'était déposée sur ses vêtements et dans ses cheveux. Il regarda autour de lui : il était toujours dans la bibliothèque, mais sa douce Kida n'était pas là.
- Hé bien... tu n'es pas facile, toi.
Jedh se retourna et se retrouva face à une ombre. Celle-ci changea de forme et s'éclaircit doucement.
- Maîtresse Impa ?
Jedh ôta ses lunettes et se frotta les yeux.
- Je suis mort ?
- Qui sait ? Peut-être préféreras-tu que ça soit le cas ! ironisa-t-elle. Tu as été choisi par les Déesses pour incarner le pouvoir de l'ombre et ainsi me succéder. Tu trouveras en ma demeure un coffre pour t'aider dans ta mission.
- Moi ? Mais je ne suis pas un combattant, je suis un scientifique ! s'étonna le jeune homme.
Impa disparut, coupant court à la discussion, et laissa place à une ombre qui voleta jusqu'à lui. Elle resta immobile quelques secondes puis entra en lui brutalement, faisant tomber le Sheikah qui perdit à nouveau connaissance.
* * *
- Jedh ! Réponds-moi s'il te plaît.
Kida pleurait à chaudes larmes quand il gémit et ouvrit les yeux. Il s'assit doucement en se tenant la tête.
- Ouille... ça fait mal.
- Tu peux m'expliquer ? lui demanda la jeune fille, toujours aussi inquiète.
Jedh se leva péniblement.
- Tu ne me croirais pas, il faut que je te montre.
Les deux jeunes gens se tinrent debout devant le parchemin quand, sous leurs yeux, un nouveau nom s'inscrivit. Kida n'en croyait pas ses yeux en reconnaissant celui de son fiancé.
- Mais tu n'es pas un guerrier ! s'exclama-t-elle.
- Oui, ben, va dire ça à Impa.
Soudain, la porte de la bibliothèque s'ouvrit dans un grand fracas.
- Nous sommes de retour ! Je t'ai manqué, mon petit geek ?
Dans l'encadrement de la porte de la salle se tenait Hergo, les poings sur les hanches, fier comme un boeuf. Jedh tourna légèrement la tête et glissa à Kida :
- J'en connais un qui va déchanter en apprenant ce qu'il vient de se passer !
- Je viens d'interrompre un truc important ? demanda Hergo.
- Non, non, tu tombes à pic, rigola Kida en portant sa main à sa bouche pour étouffer ses rires.
- Mais, dis donc toi, dit Hergo en s'approchant du couple. Que vois-je à ta main, demoiselle Kida ?
Hergo regarda tour à tour Kida et Jedh en attendant une réponse. Le jeune homme passa délicatement sa main autour de la taille de sa fiancée et la ramena contre lui.
- Et bien, vois-tu, nous sommes fiancés, sourit-il.
- Quand... où... comment ... Tu as dit "oui" ? s'étonna Hergo.
Kida se serra un peu plus dans les bras de son bien-aimé.
- Quand ? Aujourd'hui. Où ? Ici-même. Comment ? De la plus romantique des façons et j'ai dit oui bien évidemment. Depuis le temps que je suis amoureuse de lui !
Jedh ne pouvait s'empêcher de rigoler en voyant la tête de son ami.
- Du coup, je suis la première personne au courant ? On va enfin pouvoir faire la fête ! Il faut faire une annonce au village.
Hergo se retourna et d'un pas pressé se dirigea vers la porte. Il saisit la poignée et s'arrêta dans son élan.
- Au fait, Kida, tu as déjà vu Jedh danser ?
- Non, pourquoi ?
- Malheureuse ! Tu risques de ne plus vouloir l'épouser après ça !
- Hergo ! ça suffit ! s'emporta Jehd en devenant tout rouge. De toute manière, tu n'annonceras rien à personne ! Tu as compris ? De plus, nous avons trouvé quelque chose de bien plus important !
- Viens plutôt voir notre découverte, continua Kida.
- Au fait, avant que j'oublie...
Hergo fouilla dans sa sacoche et en sortit une pierre de couleur jaune aux reflets verts.
- Voilà la smaragdine.
Il tendit la pierre à son ami qui l'examina attentivement. Il découvrit avec stupeur une spirale blanche argentée tournoyer à l'intérieur.
- Épatant, non ? dit Hergo.
- Fabuleux, mais comment est-ce possible ?
Jedh partit dans des réflexions pour lui seul tout en déambulant dans la pièce. Kida ramena son fiancé à la raison.
- N'as-tu pas quelque chose d'aussi fabuleux à montrer à ton ami ?
Jedh releva la tête.
- Ah oui ! Le parchemin !
Il se dirigea vers le bureau et posa la pierre.
- Kida a trouvé un parchemin où sont répertoriés tous les Sages et leurs pouvoirs. Regarde !
Hergo se pencha et mit un moment à tout lire.
- OK, et cela nous avance à quoi de savoir ça ?
- Tu ne remarques rien ? demanda Kida.
- Non, rien. Ce ne sont juste que des noms écrits les uns en dessous des autres, répondit Hergo.
- Et là, tu y lis quoi ?
Hergo cligna des yeux à plusieurs reprises.
- Jedh ! Il y a un Sage qui s'appelle comme toi !
L'intéressé secoua la tête, blasé.
- Oui, un Sage se nomme comme moi parce que c'est moi ! Nouille !
- Toi ?
Hergo se mit à hurler de rire.
- Ce n'est pas possible ! Les Déesses ont dû se tromper ! Toi, tu ne sais même pas te battre.
- Tu as fini de te moquer ? le gronda Kida. C'est un honneur d'être choisi pour être Sage, mais c'est aussi un fardeau. Tu devrais soutenir ton ami au lieu de te moquer.
Hergo réalisa que la fiancée de son ami avait raison. Ganondorf allait le traquer désormais.
- Eh bien, je resterai à tes côtés, Jedh, et je te promets, Kida, qu'il ne lui arrivera rien.
Jedh remercia son ami d'une tape dans le dos.
- Mais j'y pense, tu es là bien tôt alors que ton groupe est parti le plus loin ! s'étonna le bibliothécaire.
- Alors ça, tu vas aimer, mon cher ami. Figure-toi que les Piafs ont découvert il y a peu un portail.
- Un portail ? Comme celui de Cocorico ? le questionna Jedh, impatient.
- Oui, mon ami, et devine quoi ? Il fonctionne encore et... ils l'ont testé...
Hergo mettait un peu de suspense dans sa phrase pour taquiner Jedh.
- Et... ? Il mène où ? Près de Toal je suppose. Mais où ?
Hergo rigola en voyant son ami s'impatienter.
- Le portail t'emmène là où tu le souhaites. Mais comme Toal est protégé par le dôme magique, on a atterri dans la forêt devant le village.
- Il faudra que j'aille voir ça de mes yeux à l'occasion, dit Jedh.
- Et toi, raconte comment c'est arrivé ? demanda Hergo en le montrant du doigt.
- D'une drôle de façon. Il est littéralement tombé dans les livres, ricana Kida.
- Dans les pommes tu veux dire ?
- Un peu des deux, reconnut Jedh, gêné. En fait, j'ai ressenti une vive douleur, j'ai vacillé et je me suis retrouvé ici mais sans être ici.
- Ce qui veut dire ? l'interrogea Hergo.
- Et bien, j'étais là, mais c'était comme un rêve sans en être un.
- Tu fais compliquer, mon chéri, dit soudain Kida.
Jedh était étonné de l'entendre dire "mon chéri", c'était la première fois. Cela le fit sourire.
- Oui, pour faire simple je me suis évanoui, contre ma volonté je précise, et je me suis vu ici et devant moi, une ombre. Elle s'est transformée...
Jedh se perdit dans ses pensées.
- Et ? insista Hergo.
- Impa !
Le jeune homme sortit de la bibliothèque en courant, suivi de Kida et Hergo.
- Mais où vas-tu ? crièrent-ils ensemble.
- Suivez-moi !
Le Sheikah courut jusqu'à la demeure d'Impa. Une fois devant la porte, il s'arrêtera.
- Tu veux bien nous expliquer ? lui demanda le grand gaillard tout essoufflé.
- C'est Impa qui m'a donné son pouvoir, celui de l'ombre, mais dans ma vision, elle m'a parlé d'un coffre dont le contenu m'aidera.
- Ce ne sont pas les coffres qui manquent chez Impa ! Tu n'as pas plus de précisions ? lui demanda Hergo.
- Malheureusement, non.
Kida s'était rapprochée de son jeune fiancé et lui avait pris la main. A son contact, Jedh eut un frisson. Il n'avait pas l'habitude de cette proximité.
- Nous allons t'aider, lui dit-elle avec un sourire rassurant.
Kida poussa la porte et entra, suivie de Jedh et Hergo. La pièce était comme avant le départ de Sheik et des autres. Sur la table, traînaient des gobelets vides. Jedh se dirigea inconsciemment vers le bureau de l'ancienne Sage. La pièce était pleine de livres et divers parchemins. Sur un des murs se dressait une peinture faite par Kangis, l'artiste de Toal. On pouvait y voir un magnifique arbre. Au milieu du tronc, l'écorce ressemblait à un visage et des fleurs tapissaient le sol tout autour. Jedh était visiblement attiré par ce tableau. Il le prit instinctivement et l'ôta du mur, dévoilant une cachette dans laquelle reposait un coffre. Hergo qui était derrière lui n'en crut pas ses yeux.
- Comment tu as su ?
- Je ne sais pas.
Jedh prit le coffre et le posa sur le bureau.
- Tu attends quoi ? Ouvre-le ! s'impatienta le rouquin.
Jedh prit une profonde inspiration et obtempéra. À l'intérieur du coffre se trouvait une clé et un parchemin. Le Sheikah déroula ce dernier et l'examina.
- Alors ? trépigna Hergo.
- Minute, je lis.
- Lis à haute voix !
- Ah, pardon, alors il est écrit :
"A toi qui me succèdes, sache que le rôle de Sage n'est pas de tout repos. Tu vas être désormais la cible du Malin. Ton pouvoir, celui de l'Ombre, n'est pas encore à son apogée, voire même inexistant. Il te faudra être patient. C'est le pouvoir le plus dur à maitriser car les ombres ne font pas partie de notre monde. Il te faudra les apprivoiser. Pour cela, prends la clé et retrouve les autres. Tu sauras où aller. Il te suffit pour cela de suivre ton coeur.
Impa"
- Suivre ton coeur, il ne te mènera pas bien loin, ricana Hergo.
Kida lui lança un regard de travers qui le stoppa net. Jedh tournait la clé entre ses doigts tout en songeant à quoi elle pouvait bien servir. Impa en avait à peine parlé.
- Je vais retourner à la bibliothèque voir si je trouve des informations sur l'endroit où je dois me rendre.
Sans en dire plus, Jedh sortit de chez Impa et laissa ses amis sur place. Hergo regarda Kida, l'air gêné. Il ne s'était jamais retrouvé seul avec elle et visiblement cela le rendait nerveux.
- Bon, ben, moi, je vais rentrer chez moi, dit-il en regardant le sol. Je passerai le voir dans la soirée.
Il tourna les talons et s'enfuit rapidement.
Un peu plus tard, la nuit commença doucement à tomber. Hergo rejoignit Jedh à la bibliothèque comme cela était prévu.
- Hey ! Alors, tu as découvert quelque chose ? demanda-t-il à son ami qui avait la tête dans les parchemins.
- Malheureusement, pas grand-chose. Que le pouvoir de l'ombre, au départ, a été donné à un peuple qui fut banni d'Hyrule il y a de ça bien longtemps. Ils sont appelés Twilis, mais je n'en ai jamais entendu parler et toi ?
- Non, cela ne me dit rien, répondit Hergo.
- Ce n'est pas ici que je trouverai des réponses, je pense qu'il va falloir que je parte pour les découvrir par moi-même.
- Tu veux partir ? Tu viens de te fiancer ! Tu n'y songes pas vraiment.
Jedh ôta ses lunettes et passa la paume de sa main sur son front.
- Je ne pense pas avoir le choix. Tu as vu le contenu de la lettre qu'Impa a laissée. Je dois affronter mon destin et apprendre à maitriser mes soi-disant pouvoirs.
- Tu as pensé à Kida ? insista Hergo.
- Bien sûr que oui. De toute façon, je lui en ai déjà parlé et elle est de mon avis.
- OK, alors, on part quand ? l'interrogea Hergo, les bras croisés sur sa poitrine.
- Dès le retour de Sheik.
- Bien, c'est décidé ! Tu n'as plus rien de prévu ce soir, mon ami ?
- Non, pourquoi ?
- Alors, allons-nous détendre un peu à la taverne de Telma. Depuis que le Dôme est en place, elle doit s'ennuyer un peu, la vieille folle, dit-il en hurlant de rire.
- Je suis sûr que son chat se languit de toi, renchérit Jedh.
Les deux hommes sortirent de la bibliothèque. Dehors, il faisait nuit noire. Cela étonna Hergo. Il scruta le ciel et il y découvrit un spectacle bien étrange.
- Jedh, regarde.
Hergo montra la lune qui disparaissait derrière un disque noir comme lors d'une éclipse.
- Cela ne présage rien de bon, lui dit alors le bibliothécaire.
- Oui, mais nous ne pouvons rien y faire ce soir. Allez ! Telma nous attend.
Jehd jeta un dernier coup d'oeil à la lune. Il était certain qu'il ne s'agissait pas d'une éclipse ordinaire, aucune n'était prévue avant des années de ce qu'il en savait. Il hésita à retourner à la bibliothèque pour se plonger dans les rayons pour en savoir plus, mais Hergo le poussa sans ménagement à l'intérieur de la taverne. Son ami avait sans doute raison : ils ne pouvaient rien y faire ce soir et, honnêtement, il avait bien envie de fêter à la fois le retour d'Hergo avec la smaragdine et ses fiançailles avec Kida. Pour ce soir, il pouvait bien se détendre un peu.
Le cri stoppa tous les monstres qui traînaient dans les couloirs du château d'Hyrule dévasté. Les bokoblins, les moblins et même les spectres en armure relevèrent la tête vers la tour centrale où un autre hurlement de douleur résonna. Lové autour du toit, Volfos, le dragon de flammes, gronda en réponse. Il s'inquiétait pour son maître. Il releva la tête quand quelque chose traversa le ciel en quatrième vitesse, ouvrit la gueule et s'apprêta à pulvériser l'intrus quand il reconnut Koumé sur son balai. La vieille sorcière ne lui accorda pas un seul regard. Accrochée à son balai, elle fila droit devant elle, plongeant vers le château. Elle pénétra dans la tour par un mur éventré, prit un virage serré dans un couloir en ruines et entra enfin dans la chambre royale. Dans le lit du roi d'Hyrule, Ganondorf était allongé, méconnaissable. Brulé par la lumière dégagée par le Sage, il ressemblait à une momie racornie. Sa peau avait la couleur du parchemin et sa magnifique chevelure rousse avait totalement disparu, comme sa barbe et ses sourcils.
- Koumé ! Tu as trouvé ce qu'il nous faut ?
- Oui, Kotaké.
- Vite, vite.
Les deux sorcières se précipitèrent vers le grand chaudron sous lequel était déjà allumé le feu. Koumé défit le noeud de l'immense sac qu'elle avait ramené pour étaler tout un tas d'ingrédients frais et de fioles remplies de choses diverses et peu ragoutantes.
Ganondorf gémit encore. Son monde n'était plus que douleur. Kotaké avait créé un coussin magique pour que son corps brûlé ne touche pas les draps, lui épargnant au moins cela, mais cela ne suffisait pas. Assise à côté du Gerudo, Frambra-zombie trempa un linge dans une potion apaisante à base de plantes et le posa sur le bras de son maître qui tressaillit. Depuis des heures, elle répétait inlassablement les mêmes gestes ordonnés par les sorcières sans manifester la moindre once de compassion pour le blessé, ni même la moindre émotion à le voir dans cet état. Ganondorf lui attrapa soudain le bras. Ses yeux ambre fixaient le zombie alors que, dans un effort surhumain, il referma ses doigts sur la peau pâle.
- Fram... bra... murmura-t-il d'une voix brisée.
Le zombie s'immobilisa mécaniquement. Ses yeux violets sans expression fixaient Ganondorf, attendant un nouvel ordre.
- Reste...
- A vos ordres, Maître, dit-elle de sa voix monocorde.
- Laisse-le tomber. Reste avec moi... Frambra...
Le zombie relâcha le bras de son maître, ne saisissant pas qu'il ne parlait pas de cela, mais de son frère. La fièvre et la douleur le faisaient délirer, mais elle était incapable de le comprendre.
- T'offrirais le monde... continua-t-il à murmurer. Nous... Le trône... Ensemble...
- Pressons, Kotaké, soupira la vieille sorcière en regardant ce triste spectacle.
Les sorcières jumelles dissimulaient de moins en moins leur inquiétude. Si Ganondorf venait à trépasser à cause de ce Sage, elles ne se le pardonneraient jamais. Il était leur roi, la réincarnation du Banni, l'enfant de la prophétie qui devait apporter la gloire et le pouvoir aux Gerudos. Mais au-delà de cela, il était leur pupille, leur élève. Elles l'avaient élevé dès son plus jeune âge, prenant la place de sa mère véritable. Il était leur fils bien plus que celui de la cheffe de leur peuple.
* * *
Les heures, puis les jours avaient passé. Malgré les potions et les onguents magiques de Koumé et Kotaké, l'état de Ganondorf s'était à peine amélioré. Sa peau commençait seulement à cicatriser, sa fièvre allait et venait au même titre que la douleur. Au moins réussissait-il à dormir quand Frambra-zombie lui faisait avaler une potion sédative. Lorsqu'il parlait, ce n'était qu'à elle. Ses paroles étaient toujours décousues, son esprit restant coincé sur les regrets qu'il ressentait envers la Gerudo - le fait de ne pas l'avoir emmenée avec lui après leur rencontre, d'avoir été obligé de la tuer - et sur la colère contre Hönir qu'il rendait responsable de tout. Dans son délire, il se raccrochait à Frambra comme si elle n'était pas le zombie sans âme qu'il avait fait créer et ne supportait pas que quelqu'un d'autre l'approche, pas même les sorcières jumelles.
En cette nuit claire, Ganondorf dormait, laissant parfois échapper un gémissement plaintif. Les Twinrovas étaient sorties, contraintes de retourner dans le désert pour régler une affaire avec la cheffe des Gerudos. Celle-ci commençait à douter de la croisade de son fils, à craindre que les Gerudos ne prennent le mauvais chemin. Pire encore : une rumeur courait au sein de la Cité, on aurait vu le fantôme de la vieille Riju au palais. Koumé et Kotaké ne pouvaient laisser le doute s'insinuer dans les esprits alors que Ganondorf était affaibli. Si Riju avait osé sortir de sa cachette, elles comptaient bien le lui faire regretter.
Frambra-zombie était assise au bord du lit de son maître. Elle ne dormait pas, veillant sur lui comme elle le faisait depuis des jours. Dehors, la lune s'était levée dans le ciel, ronde et pleine. Soudain, le zombie se leva et se rendit sur le balcon de sa démarche machinale comme si elle suivait un ordre silencieux. Elle leva la tête vers le ciel, vers cette lune qu'on voyait à peine derrière les nuages noirs qui surplombaient le château. Elle resta là, complètement immobile, le regard vide. Le joyau violet à son front se mit à luire doucement alors que là-haut, la lune disparaissait derrière un disque noir, comme lors d'une éclipse. Lorsqu'elle fut complètement recouverte par cette ombre, le zombie se raidit encore plus qu'elle ne l'était d'ordinaire. Sur le toit de la tour, Volfos poussa un rugissement à glacer le sang, saluant le pouvoir qu'il sentait descendre de l'astre nocturne. Un rayon de lumière noire pailletée d'or émergea de la lune, baignant Frambra dont le corps se mit à luire. Elle ferma les yeux et le joyau prit la même teinte d'obsidienne. Quand elle releva les paupières, ses yeux avaient également changé de couleur.
- Enfin, dit-elle dans un murmure alors qu'elle contemplait ses mains.
Elle fit jouer ses doigts, comme si elle retrouvait ou découvrait ces sensations. Elle rentra à l'intérieur de la chambre royale et se dirigea vers le grand miroir pour découvrir son reflet.
- Ce n'est pas si mal, admit-elle bien qu'elle aurait préféré que ses cheveux n'aient pas cette teinte de feu.
Enfin... elle n'allait pas se plaindre. Si ce corps mort-vivant n'avait pas existé, jamais elle n'aurait pu sortir de sa prison et s'incarner.
Elle repéra Ganondorf dans le lit et approcha de lui. Elle laissa ses yeux noirs glisser sur le corps meurtri.
- Pauvre enfant. Ce sale Sage ne t'a pas raté. Je suis là, maintenant.
Elle tendit les mains vers lui et les posa sur sa peau brûlée. Il frémit et s'agita, murmurant le prénom de Frambra, mais elle ne recula pas. Elle ferma les yeux et se concentra. Ce nouveau corps ne contenait aucune magie et ses pouvoirs étaient encore trop faibles pour son objectif principal, mais ils seraient suffisants pour soigner ce pauvre jeune homme. Une lumière noire enveloppa Ganondorf et le souleva au-dessus du matelas souillé. L'entité occupant le corps du zombie murmura quelques paroles dans une langue oubliée de tous depuis des millénaires et le Gerudo se mit à hurler, se tordant de douleur alors sa peau se craquelait sinistrement pour tomber en petits morceaux, laissant la place à une peau neuve. Ses cheveux et sa barbe avaient repoussé, aussi flamboyants qu'avant, comme si rien ne s'était passé. Ganondorf haletait, épuisé, et elle posa sa main sur son front et puisa dans ses souvenirs. Elle l'avait vu naître et grandir de sa prison, mais fouiller son esprit lui permit de tout savoir de lui. Elle eut un sourire en coin en découvrant ses aspirations, ses souhaits et cet amour pour la femme dont elle occupait le corps et qu'il avait tuée de ses propres mains. Elle le laissa retomber doucement sur le lit et l'embrassa sur le front. Il se réveilla aussitôt.
- Frambra ?
- Malheureusement, non, mon ami, dit-elle en s'asseyant sur le bord du lit.
Ganondorf resta interdit un instant devant la femme qui se tenait devant lui. Il tendit la main pour enserrer son cou d'un air menaçant. Qui qu'elle soit, elle n'avait pas le droit de se servir de SA Frambra.
- Tu aimes cette femme, continua-t-elle comme si elle ne sentait rien. Tu la veux pour toi seul. Je peux te la rendre.
- Qui es-tu ?
- Ta meilleure alliée, Ganondorf. Je suis là pour t'aider à te débarrasser du Héros et de la Déesse une bonne fois pour toutes.
Il desserra ses doigts et se leva d'un bond. Sans se soucier de sa nudité, il aperçut son reflet dans la glace. Comment avait-elle réussi à le guérir là où les Twinrovas avaient échoué.
- J'ai de grands pouvoirs et je viens te les offrir, reprit la femme en se levant pour le rejoindre sans aucune gêne.
Elle glissa un doigt sur sa joue et lui sourit.
- Pendant longtemps, les Gerudos ont gardé les morceaux de l'Epée de Légende créée par Hylia.
- Qu'est-ce que ça a à voir avec toi ? cracha Ganondorf qui commençait à perdre patience.
- Mais tout, bien entendu.
Elle s'approcha de lui et scella ses lèvres aux siennes avant qu'il n'ait pu faire le moindre geste. Aussitôt, un flot d'images envahit l'esprit du Gerudo. La Déesse Hylia et son combat contre le Néant. L'enfermement de ce dernier, sa renaissance et le duel avec le premier Héros. Puis ce qu'Hylia elle-même n'avait pas prévu : qu'à force de combattre le Banni revenu sans cesse au fil des générations, la déesse se retrouve contaminée par son pouvoir au point de se scinder en deux. Ganondorf assista à la naissance de Zylia, à son conflit avec Hylia, à son arrivée en Hyrule et à la façon dont elle avait brisé, avec sa magie de foudre, l'Epée de Légende. Le Héros et la réincarnation d'Hylia de ce temps s'étaient sacrifiés pour la contrer avant qu'elle ne délivre le Banni de sa prison et elle avait été exilée dans une autre dimension où elle n'avait pu qu'attendre. Ganondorf ressentit toute la colère et la frustration de Zylia faire écho aux siennes jusqu'à ce qu'elle mette fin au baiser. Il rouvrit les yeux et la regarda fixement.
- Peux-tu vraiment ramener Frambra ?
- Je suis là pour toi, mon Roi. Quand j'aurai récupéré tous mes pouvoirs, je te la rendrai, corps et âme. Et elle sera to-ta-le-ment à toi.
- Et comment on te les rend ?
Zylia eut un sourire machiavélique à cette question.
- On se débarrasse des Sages restants, j'absorbe leurs pouvoirs, ce sera déjà un premier pas. Ensuite, nous récupérerons les morceaux de la Triforce et plus rien ne sera impossible.
Zylia s'écarta sans douter un instant qu'elle avait capté son attention. Ganondorf n'était pas compliqué à comprendre après tout. Elle claqua des doigts et un bâton d'obsidienne naquit entre ses mains. Au sommet se trouvait le symbole de la Triforce inversé. Elle ferma les yeux et sourit légèrement. Bientôt, elle retrouverait ses pouvoirs et bientôt, le Banni renaîtrait totalement. Il fallait juste qu'elle retrouve le jumeau du Gerudo. Il était indispensable à ses plans.
Hönir donna un coup de pioche. Lovio récupéra les cailloux et Ghyni s'occupa de les mettre dans des brouettes. Hönir donna un nouveau coup de pioche, Lovio récupéra le caillou et Ghyni mit encore ledit caillou dans la brouette. Soudain, Hönir heurta un élément plus dur. Il donna un nouveau coup. Un bruit sourd se fit entendre. Il dégagea les pierres autour puis extirpa ce qui le gênait. C'était un morceau de roche un peu plus solide que les autres. Avec un haussement d'épaule, Hönir le fit atterrir dans la brouette. Pendant toute la journée, ils récoltaient des cailloux et isolaient les rubis, saphirs et émeraudes qu'ils trouvaient. Le soir, ils échangeaient les roches à Grogoron contre des rubis et vendirent leurs pierres précieuses à un marchand de passage. Leur travail assidu eut pour résultat qu'en trois jours, ils amassèrent suffisamment d'argent pour acheter la tenue ignifugée.
Hönir était grotesque avec. Ghyni ne manqua pas de lui faire remarquer en riant aux éclats. Le Gerudo s'approcha du lac et mit un pied dans la lave. Il ne sentit rien : c'était comme aller dans l'eau. De l'eau un peu chaude, certes, mais c'était agréable. Il s'immergea totalement et observa sous le lac. Il vit une cavité dans la roche, s'en approcha. Un petit coffre de fer y était posé. Il tenta de le prendre, mais le coffre était lourd et Hönir manquait déjà de souffle. Il remonta, respira et repartit. Cette fois, Hönir tira de toutes ses forces et parvint à hisser le coffre sur la terre. Le jeune homme était dégoulinant de lave et avait très chaud. Il ouvrit le coffre qui contenait juste un petit diamant en forme de clé. Nos amis demandèrent alors aux Anciens, mais aucun n'avait entendu parler de la clé. Ils cherchèrent avec les Gorons dans le village et ses alentours ce qu'elle pouvait bien ouvrir, mais peine perdue.
Après une journée de recherches infructueuses, Hönir décida de replonger dans le lac alors que ses amis s'étaient déjà endormis. Il en fit le tour complet et découvrit, dans une cavité qui lui avait échappé la première fois, un petit mécanisme étrange dissimulé derrière une grosse pierre. Certaines pièces pouvaient tourner ou être déplacées, comme une sorte de puzzle. Il essaya de trouver la bonne combinaison et replongea de nombreuses fois pour vérifier ses théories. Rien ne marchait. Epuisé, il décida finalement d'aller se coucher. Comme les nuits précédentes, ses pensées l'emmenèrent vers Mina. La jeune femme lui manquait et il repensait souvent à cette fameuse nuit, au relais.
Le lendemain, il fit part à Lovio et Ghyni de sa découverte. Le colosse renfermé encore quelques jours plus tôt avait laissé place à un jeune homme plus bavard et attentionné avec les autres. Ensemble, ils dessinèrent chaque pièce du mécanisme aussi fidèlement que possible, puis cherchèrent à résoudre l'énigme : peut-être y avait-il un symbole à reproduire ou encore une logique avec leurs tailles ou leurs formes ? Alors qu'ils discutaient des options restantes, Hönir eut soudain un éclair de génie et fonça dans le lac pour en ressortir très rapidement : il avait ouvert le passage. Seulement, il lui fallait la clé, ayant découvert une serrure derrière. Il replongea et, enfin, sortit un magnifique morceau de roche, d'un brun-doré avec des petits diamants incrustés. Lovio devint fou de joie et Ghyni applaudit poliment. L'alzanine en leur possession, ils pouvaient rentrer à Toal dès le lendemain. Hönir prévint le chef du village de leur découverte.
Seulement, Grogoron, jaloux de leur succès, vola l'alzanine pendant qu'ils fêtaient leur départ avec tout le village. Quelle fut leur surprise en voyant le précieux minerai disparu ! Hönir, accompagné des deux autres, fouilla alors les maisons et interrogea les habitants. S'ils ne retrouvèrent pas l'alzanine, tout portait à croire que Grogoron la leur avait volée, mais les compères ne voulaient pas croire en sa culpabilité. Grogoron, voyant qu'ils se méfiaient de lui et risquaient de le dénoncer au reste du village, s'introduisit dans leur petite chambre en pleine nuit. Dehors, la pleine lune qui brillait dans un ciel sans nuage se recouvrit tout d'un coup de noir. Le Goron regarda les trois amis qui avaient eu du mal à trouver le sommeil. Il leva son brise-roc et l'abattit droit sur la tête d'Hönir pour la trancher. Malheureusement pour le Goron, le Gerudo ne dormait que d'un oeil.
Un violent affrontement éclata entre eux, et Hönir, malgré sa plus petite corpulence réussit à maîtriser le Goron. Dans le feu du combat, Hönir empoigna le Goron par la gorge et le serra, encore et encore, de plus en plus fort si bien que ce dernier rendit l'âme. Quand Grogoron s'effondra à ses pieds, Hönir fut choqué de sa propre attitude. Il venait de tuer un homme, enfin un Goron, de ses propres mains. Il eut les larmes aux yeux. Pendant un instant, il s'était senti plus fort, capable de tout. Aveuglé par sa puissance et la soif de sang, il avait été quelqu'un d'autre. Un tueur sanguinaire. Exactement comme son frère. C'était un peu comme ce qu'il avait ressenti pendant la lune de sang, quelques jours auparavant. Lovio, choqué, quitta les lieux en entrainant Ghyni avec lui. Tous les deux fouillèrent la maison de feu Grogoron et y trouvèrent l'alzanine.
Hönir s'excusa auprès des Anciens, mais ceux-ci ne jetèrent pas la pierre au Gerudo. En effet, cela faisait un moment que de nombreux crimes étaient commis et ils découvrirent les preuves des larcins chez Grogoron. Hönir avait débarrassé le village d'un criminel. Cela ne lui ôtait pourtant pas le poids qui écrasait son coeur, pas même alors qu'ils laissaient le village Goron derrière eux.
Ce texte a été proposé au "Palais de Zelda" par ses auteurs Caramelink/Miss Army, Nessy, Nouka et Nesumi. Les droits d'auteur (copyright) lui appartiennent.