The Legend of Zelda : L'Epopée d'Hyrule
Chapitre 16 : Un nouveau but
Chapitre 17 : A la recherche de la Grande Fée
Chapitre 18 : Le Royaume du Crépuscule
Chapitre 19 : Dans les plaines d'Hyrule
Chapitre 20 : Retour en forêt de Firone
Chapitre 21 : Corps et âme
Chapitre 22 : La forêt Kokiri
Chapitre 23 : L'Arbre Mojo
Chapitre 24 : Sur des chemins différents
- Et maintenant c'est par où ? interrogea Lovio alors qu'ils sortaient tous les trois de la grotte.
Hönir scruta les environs pour essayer de se repérer.
- Par-là, répondit-il en désignant l'horizon du doigt.
Lovio pencha la tête sur le côté en plissant des yeux.
- Je veux bien mais, par-là, il n'y a que le désert. Et nous ne sommes pas équipés pour le traverser à pied.
- Qui te dit que nous le traverserons à pied ! s'exclama Hönir.
- Ah ! Parce que tu vois un moyen de locomotion toi !? Parce qu'à première vue, il n'y a ni chevaux ni chameaux ici !?
- Rooo, tais-toi un peu, petit Voï, et suis-moi.
Lovio regarda Link et celui-ci leva les épaules, comme pour lui dire qu'il n'y pouvait rien. Hönir se remit en marche sans attendre, suivi de Link et de Lovio qui traînait le pas, le tapis sur son épaule.
- Si seulement je pouvais lui mettre mon poing dans sa face de...
Le tapis lui caressa la joue de son pompon pour le rassurer.
- Si seulement tu pouvais voler, nous irions récupérer Frambra...
Lovio continua à marcher dans le silence, tête baissée, quand il buta dans quelque chose qui le fit tomber. Il leva la tête et se trouva nez à nez avec...
- Un morse ! s'écria-t-il, apeuré.
- Du calme, Lovio, ce n'est pas méchant, et puis dans le désert le morse des sables est le meilleur moyen de se déplacer.
- Tu veux que moi, je monte sur cette chose qui a des dents plus longues que mes bras !!! Plutôt mourir.
Hönir dévisagea Lovio qui déglutit.
- Tu m'as fait subir ton tapis, à ton tour maintenant de subir.
- Hönir, où sommes-nous ? demanda Link.
- Au Bazar Assek, près de la Cité. Ici, nous ne risquons rien. Tu peux te détendre.
Link regarda autour de lui. Il y avait de tout, mais un petit marchant attira son attention. Il se dirigea vers lui. L'individu était plutôt de petite taille et portait un baluchon énorme.
- Ça alors !!! C'est bien la première fois que j'vous vois, vous ! Enchanté, futur m'sieur client ! J'me présente j'm'appelle Terry !
- Je suis à la recherche d'un remède... enfin, je crois... quelque chose qui pourrait réparer, dit Link en se grattant l'arrière de la tête.
- Je vends des flèches et des insectes, m'sieur client. Mais je peux me renseigner, il vous faut réparer quoi ?
Link montra le tapis sur l'épaule de Lovio.
- Votre ami n'a pas l'air cassé, s'étonna Terry.
- Non, non, pas mon ami, mais le tapis.
Terry se frotta le menton un instant, quand il sauta sur ses pieds.
- Je sais, m'sieur client, mais....
- Mais quoi ? demanda Link.
- Je ne suis pas sûr, c'est une légende.
- Je t'écoute, s'empressa de dire Link.
Il avait compris depuis peu que les légendes d'Hyrule étaient bien souvent vraies.
- Il y aurait dans le royaume une fontaine ou peut-être plus... où se cacheraient de Grandes Fées aux pouvoirs incroyables. Il y en aurait une ici même ...
- Ici ? Mais où ? s'étonna Link.
Lovio, qui tendait l'oreille depuis le début, se mêla à la conversation. Il saisit le marchand par le col de sa chemisette et le secoua.
- Elle pourrait réparer le tapis ?
- Lovio ! Arrête ! Laisse-le parler, tenta de le calmer Link.
Lovio lâcha sa prise et le pauvre marchand tomba à genoux. Il mit ses mains sur ses joues pour arrêter le tournis.
- Oui m'sieur, dans les confins du désert, répondit-il finalement.
- Très bien. Nous y allons de ce pas.
Lovio tourna les talons et se dirigea d'un pas assuré vers le loueur de morses. Puis il se figea.
- Lovio ? ça va ? demanda Link.
- Oui, mais j'avais oublié ce détail, dit-il en montrant le morse du doigt.
- T'inquiète pas, petit Voï, lui répondit Hönir. C'est comme le cheval.
- Tu n'as jamais vu Lovio monter à cheval la toute première fois de sa vie, s'esclaffa Link.
Lovio fit de gros yeux à Link, mécontent, et croisa les bras sur son torse pour bouder.
- Je plaisantais, Lovio. Reconnais quand même que c'était drôle la première fois, lui dit Link en lui donnant un coup de coude.
- C'est pas faux, admit Lovio en arrêtant de bouder. Surtout quand le cheval a fait valdinguer le chariot de citrouilles et qu'elles t'ont percuté ! Ta grosse tête est restée coincée dans une citrouille pendant une heure !
Les deux amis échangèrent un regard complice et se mirent à rire à ce souvenir.
- Hum. Bon, les interrompit Hönir. On va prendre quelques provisions, louer trois morses et on va filer vers le nord-est. Le chemin le plus court pour les Bois...
- On t'a pas dit ? On part plus pour les Bois Perdus, fit Lovio.
- Pardon ?
- Oh, on ira, mais d'abord, on doit réparer le tapis.
- Tu as déjà entendu parler d'une Grande Fée dans le coin ? demanda Link.
Hönir se passa la main sur son visage d'un air las. Link l'avait persuadé de ne pas aller combattre son jumeau pour aller se promener à la recherche d'une fée ?!
- Mais... vous faites quoi, là ? On ne devait pas chercher le reste de ton épée légendaire ? Ce n'était pas la priorité ?
- On doit d'abord soigner notre ami.
- C'est un tapis... soupira le Gerudo.
- Qui t'a sauvé les miches, lui rappela Lovio.
Hönir voulut rajouter quelque chose, mais il sentait que s'il s'adressait à Lovio, il risquait de perdre patience et de le piler sur place. Il ne comprenait vraiment pas comment Frambra avait pu supporter cet Hylien !
- Les Bois Perdus sont assez loin, reprit Link pour tenter d'apaiser le colosse. Et le tapis nous a tous sauvés. On lui doit d'essayer de le réparer. Ensuite, on aura un moyen de locomotion beaucoup plus rapide.
Les deux jeunes hommes se fixèrent du regard pendant un long moment, puis Hönir capitula. Avait-il vraiment le choix de toute façon ? Link était sans doute sa meilleure chance de trouver comment affaiblir son jumeau pour le tuer. Il était obligé de rester avec lui jusque-là.
- Alors ? Tu sais où on peut trouver la Grande Fée ? demanda Lovio.
- C'est une légende comme les autres. Et je vous rappelle que je n'ai pas vécu dans le désert. Frambra le connaît... connaissait mieux que moi.
A sa reformulation, tous les trois sentirent à nouveau la tristesse les envahir au souvenir de leur amie disparue.
- Mais elle m'a parlé d'une vieille qui pourrait savoir quelque chose.
C'était auprès d'elle que Frambra avait certainement appris l'histoire du Miroir Magique et tant de ses autres légendes dont elle lui avait parlé quand ils avaient commencé à voyager ensemble.
- C'est par où ?
Lovio lui adressa un sourire triomphant que Hönir lui aurait bien fait ravaler. A la place, il prit une grande inspiration et s'occupa d'aller louer les morses. Cela prit quelques minutes au Gerudo pour expliquer aux deux autres comment diriger l'animal et tenir sur leur bouclier. Il n'attendit pas longtemps pour se lancer en tête, les obligeant à suivre. Hönir glissait avec une grâce étonnante pour quelqu'un de sa taille, guidant le morse d'une seule main, l'autre venant toucher régulièrement le sable. Derrière lui, Link ne mit pas longtemps à trouver son équilibre. Glisser sur le sable était plaisant et une fois le principe saisi, il suffisait de se laisser porter par le morse. Pour Lovio, c'était une autre histoire.
- Aargh... Bleuarg... Au sec...
Le morse de Lovio avançait en zigzag. Il coupa la route à celui de Link qui l'évita de justesse. L'animal entraînait Lovio dans son sillage. Le pauvre n'avait pas tenu longtemps debout sur son bouclier. Cramponné aux rênes de sa monture d'une main, il était agrippé au bouclier de l'autre, la tête au ras du sable. Link ne distinguait déjà plus la couleur de ses vêtements ni le violet de ses cheveux sous le sable qui le recouvrait un peu plus à chaque mètre parcouru. Lovio ne voyait plus rien et arrivait à peine à respirer. La bouche et le nez plein de sable, il en avalait à chaque inspiration et avait l'impression qu'il allait finir par suffoquer alors qu'il rebondissait comme une balle incontrôlable.
- Alors ? ça morse ? rit Hönir en arrivant à sa hauteur dans une glissade parfaite, à peine décoiffé.
Alors qu'ils naviguaient depuis un bon moment sur les vagues de sable du désert, un énorme rocher enfoncé dans le sol commençait à se dessiner au loin. Un mince filet de fumée en sortait : il s'agissait d'une habitation.
- Nous devrions être arrivés chez l'ancienne, si les récits dont m'avait fait part Frambra sont exacts, annonça Hönir.
- Kopf, kopf, pas trop tôt ! toussa Lovio dans un énième hoquet plein de sable.
Il rêvait de fraîcheur et d'une bonne douche, harassé par le soleil qui lui avait tapé sur le crâne toute la journée, sans parler du sable qui lui asséchait la bouche. Alors que les morses s'avançaient vers l'étrange logis, celui-ci se dessinait un peu plus : très simple, taillé à même la pierre, sans aucun ornement, il devait certainement s'agir d'une maison troglodyte.
"Fraîche la journée et chaude la nuit, c'est exactement ce qu'il nous faut," pensa Link.
Le soir approchait et l'insoutenable chaleur allait bientôt laisser place à un froid mordant. Les morses à peine garés, Lovio se rua sur un melon glagla qui poussait devant l'habitation, et s'en délecta bruyamment. Une petite voix fluette mais granuleuse l'interrompit.
- Tu comptes dévorer comme ça toute mon exploitation de melons, jeune Hylien ?
Lovio leva la tête, la bouche encore pleine de chair juteuse et désaltérante. Sur le pas de la porte, une toute petite vieille dame les observait tous les trois. Elle paraissait très, très âgée. Le dos courbé, elle s'appuyait sur une petite canne ornée d'un joyau, et ses cheveux qui avaient dû être jadis épais étaient noués en une longue tresse d'un roux flamboyant tombant dans son dos. Hönir sursauta en la voyant, et, d'un bond, s'agenouilla au sol, tête baissée.
- Votre Altesse.
Link et Lovio écarquillèrent les yeux.
- Votre altesse ?
- Relève-toi mon grand, et je t'en prie, appelle-moi par mon nom. Cette époque appartient à un autre temps.
- Dame Riju, je... je ne savais pas que vous viviez ici. Personne ne savait où vous étiez partie vous cacher depuis tout ce temps... On pensait même que vous étiez m...
- Ces sorcières de Twinrova ont peut-être réussi à me voler ma place, l'interrompit la petite vieille dans un sourire en coin. Mais jamais je ne leu aurais donné la satisfaction de mourir. Messieurs, je vous en prie, entrez. Le soleil tombe, nous serons mieux à l'intérieur pour parler.
Link resserra sa veste contre lui, la fraîcheur du soir commençait déjà à l'envelopper.
- Riju ? C'est qui ça ? lui chuchota Lovio à l'oreille alors qu'ils se dirigeaient vers le pas de la porte.
- Aucune idée, mais nous allons bientôt le découvrir.
Alors qu'ils entrèrent dans la demeure, après avoir descendu un petit escalier, Link fut surpris par la grandeur des lieux : ce qui, vu de l'extérieur paraissait n'être qu'un vulgaire rocher orné d'une simple cheminée était en réalité à l'intérieur d'une splendeur sans équivalent. La maison avait été taillée dans les profondeurs de la terre et de la pierre, haute de plafond et aux détails aussi délicats que de la dentelle. Un petit cours d'eau traversait la pièce, laissant traîner derrière lui le chant discret de l'eau. La petite vieille s'assit douloureusement dans un fauteuil en granit, orné d'un petit coussin en forme de morse des sables.
- Pardonnez-moi, jeunes messieurs, mais, mon dos me fait affreusement souffrir, dit-elle en ajustant le coussin dans son dos. Alors, qu'est-ce qui vous a amenés chez moi ?
La vieille Gerudo les observait tour à tour. C'était là un groupe surprenant qui était arrivé à sa porte. Cela faisait bien longtemps qu'elle n'avait pas eu autant de jeunesse sous son toit.
- Nous cherchons la Grande Fée pour réparer notre tapis, s'empressa de répondre Lovio sans gêne.
Il déroula le tapis volant avec précaution devant Riju. Le tapis agita faiblement ses pompons comme pour la saluer.
- Où as-tu eu ça, jeune Voï ? Et pourquoi est-il brûlé aussi atrocement ?
- Oh... c'est la faute du dragon, ça.
Riju fit signe à Lovio d'approcher le tapis jusqu'à elle. Elle le prit sur ses genoux comme s'il s'agissait d'une sainte relique.
- Vous avez été assez bête pour vous frotter à Ganondorf ? demanda-t-elle en regardant Hönir. La première fois ne t'avait pas suffi ?
- Comment savez-vous... commença le colosse.
- Je sais qui tu es, jeune prince. Ta tête est plutôt reconnaissable, fit-elle en désignant son visage d'un geste du doigt.
- Je ne suis pas prince.
- Bien sûr que si. Tu es le fils de Merida, le frère jumeau de Ganondorf, même si tout le monde l'ignore.
- Mais pas vous, intervint Link, intrigué par la vieille Gerudo.
- Les sortilèges de ces deux fossiles ne peuvent m'atteindre, répondit-elle dans un sourire malicieux qui lui donnait un air légèrement plus jeune. Et puis, ma petite Frambra m'a beaucoup parlé de lui.
- Vous connaissez Frambra ? demanda Lovio dont la simple évocation de la jeune femme serra le coeur de douleur.
- C'est mon arrière-petite-fille.
Riju planta son regard dans celui d'Hönir.
- Elle est revenue ici après ce qui est arrivé au Temple de l'Esprit et elle m'a tout raconté : votre rencontre, votre voyage, même vos activités disons... répréhensibles. Ce fut difficile, mais elle m'a aussi parlé de ce qu'elle a appris chez les Twinrova, de ce qu'elle a vécu entre leurs mains et celles de ton misérable frère.
- Il n'est pas mon frère, répondit Hönir en serrant les dents pour contenir sa rage.
- Il est du même sang que toi et, ça, tu ne peux le défaire. Tu n'as pas d'autre choix que de l'accepter. Plus vite tu le feras, plus vite cela ne te rongera plus.
Hönir se mura dans le silence. Il était difficile de savoir s'il réfléchissait aux paroles de Riju ou à comment lui annoncer le sort de Frambra.
- Madame, à propos de Frambra, intervint soudain Link, sentant que ses deux amis auraient bien du mal à parler de la jeune femme.
- Elle est morte, n'est-ce pas ? demanda Riju tout doucement en baissant les yeux. Je l'ai senti...
- Je suis navré.
- Racontez-moi.
Link se lança alors dans le récit des derniers évènements. Hönir et Lovio restèrent silencieux comme des tombes, mais à leur expression, Riju comprit beaucoup de choses.
- Hönir, sais-tu pourquoi Frambra était à part des autres Gerudos ? demanda-t-elle après un long silence.
- Elle n'a jamais été très claire là-dessus.
- Nous avons toujours vécu à part ici, loin de toutes, de sorte qu'on m'a oubliée et c'était très bien comme ça. Mais j'ai eu une fille, puis une petite-fille, Naboori. Elle avait été prénommée ainsi en hommage à l'une de nos très grandes héroïnes passées. C'était la mère de Frambra et elles se ressemblaient beaucoup de caractère. Naboori n'a jamais accepté Ganondorf, ni le fait qu'un homme doive devenir notre chef juste parce qu'il est né "mâle". Quand elle a découvert quel homme les Twinrova voulaient faire de lui, elle s'est opposée à elles, elle a tenté de persuader les autres qu'il fallait les destituer et ces deux harpies ont fini par se débarrasser d'elle. Quand elle a disparu, Frambra avait à peine neuf ans, mais dans l'esprit des Gerudos, elle restait la fille de la traîtresse. Qu'elle soit devenue une voleuse n'a pas arrangé cela et elle a même fini par se faire interdire l'accès à la Cité.
- Ça lui ressemble bien, murmura Lovio avec émotion.
Riju les regarda encore une fois les uns après les autres.
- L'un de vous sait-il cuisiner ? Nous avons besoin d'un bon repas. Nous parlerons ensuite de la Grande Fée.
Lovio bondit aussitôt sur ses pieds.
- Je m'occupe du repas ! Laissez-moi faire ! Je vais vous concocter un bon petit plat, vous m'en direz des nouvelles !
Aussitôt dit, aussitôt fait, Lovio sautilla plus qu'il ne marcha jusqu'à la cuisine. Link espérait qu'il n'allait pas tout chambouler et, surtout, qu'il ne casserait rien. Lovio s'agita en cuisine, on pouvait entendre les casseroles s'entrechoquer, ce qui rendait nerveux Hönir.
- Ne t'inquiète pas, jeune prince, ce Voï a l'air de savoir ce qu'il fait. Et puis, sens-moi cette bonne odeur.
Riju huma les effluves venant de la cuisine avec un grand sourire.
- C'est prêt ! dit gaiement Lovio.
Tout le monde s'installa autour de la table. Lovio y déposa la soupière.
- Je vous ai concocté un velouté de champignons.
Il servit tout le monde et s'assit. Le repas se passa dans le calme le plus total quand Riju le brisa.
- Merci pour ce délicieux repas, en récompense je vais t'indiquer le lieu de la Grande Fée.
Lovio releva la tête surpris et ne sut quoi dire. Hönir se leva et s'inclina face à Riju en guise de remerciement.
- Bien, bien, il vous faudra vous rendre près du grand fossile qui se trouve au sud du désert. Je vous préviens, Tera n'est pas commode. Elle exigera peut-être quelques chose en retour.
- Tera ? demanda Link.
- C'est le nom de la personne que vous cherchez, lui répondit Riju avec un clin d'oeil. Bon, je vous conseille d'aller dormir un peu et de partir au matin. Les nuits sont fraîches ici.
Après avoir montré à nos trois compères leurs couchettes, Riju s'éclipsa dans ses quartiers. Hönir, qui était bien silencieux, prit enfin la parole.
- Nous partirons à l'aube, je vais nourrir les morses et je reviens.
Une fois Hönir hors de vue, Link rassura son ami avec une petite tape dans le dos.
- Encore du morse des sables, trembla Lovio.
- Tu te débrouillais bien, plaisanta Link.
- Ah oui ! dit Lovio tout sourire.
- Reposons-nous le trajet sera long.
Ils s'installèrent tous les deux sur leurs couchettes et s'endormirent avant le retour d'Hönir.
A l'aube, le Gerudo réveilla Link et mit un coup de pied dans le matelas de Lovio qui ne voulait pas se lever. Après avoir rouspété plusieurs fois, Lovio se décida enfin à se lever.
- Bonjour, bonjour, aujourd'hui nous allons rencontrer la Grande Fée et réparer le tapis. Hourra ! fit-il sur un ton un peu trop joyeux au goût d'Hönir.
Il voulut se diriger vers la porte, mais il s'emmêla les pieds et tomba comme une crêpe. Hönir secoua la tête exaspérée.
- A ce rythme, on n'ira pas loin, ne put se retenir de dire Link, amusé.
Lovio s'assit en tailleur et croisa les bras sur son torse, vexé.
- Debout, Voï, on ne va pas y passer la journée ! s'exclama Hönir.
Lovio prit ses affaires et rejoignit ses amis dehors. Riju les attendait avec un petit sac de provision, qu'elle tendit à Link. Les morses étaient attelés, le départ était imminent.
- Madame ancienne altesse, dit Lovio timidement. Je voulais vous remercier.
- Ce fut un plaisir. Frambra devait bien t'apprécier, petit Voï, tu es tout à fait le genre de Voï qu'il lui aurait fallu.
Lovio baissa la tête. Il ne voulait pas que ses amis le voient rougir.
- Ne perdez pas de temps, et faites attention à vous.
Après avoir salué Riju, nos trois aventuriers se mirent en route. Lovio avait toujours autant de mal à tenir en équilibre sur son bouclier, mais il ne râlait plus. Après une heure de morse, Link ralentit et appela Hönir qui le rejoignit en quelques secondes.
- Tu entends ? lui demanda Link.
Hönir tendit l'oreille et fit oui de la tête. Une douce mélodie d'accordéon se faisait entendre. Celle-ci se rapprochait. Link et Hönir scrutèrent l'horizon, quand soudain apparut au sommet d'une dune la silhouette massive d'un Piaf comme aucun d'entre eux n'en avait encore jamais vu. Link et Hönir échangèrent un coup d'oeil et descendirent de leur bouclier, gardant les rênes de leurs morses en main.
- On s'arrête ? demanda Lovio qui arrivait tout juste.
Hönir l'attrapa par le col pour le soulever, arrêtant net la course de son morse. Il le reposa aussitôt par terre.
- Oh, ça va, j'aurai réussi à m'arrêter tout seul, hein.
- Oui, dans la gueule d'un Moldarquor, s'amusa le Gerudo.
Son sourire en coin s'accentua encore quand Lovio pâlit à la mention du monstre des sables.
- Mais... c'est quoi cette jolie musique ? demanda-t-il plutôt.
Il colla d'autorité les rênes de son morse dans la main d'Hönir et rejoignit Link qui s'était arrêté à côté du Piaf. Celui-ci était grand et large d'épaules et il ressemblait aux perroquets qui vivaient près de la mer. Son plumage était d'un joli bleu roi, avec du jaune sur la gorge, le poitrail et sous les ailes. Il portait un pantalon blanc et une grande écharpe colorée en plus du harnais qui maintenait son accordéon. Enfin, il avait fixé une barrette de plumes sur sa tempe gauche. Tout à sa musique, il n'avait pas vu arriver Link et ses amis.
- Hum hum, fit Link en se raclant la gorge.
- Oh. Pardonnez-moi, voyageurs. Je ne m'attendais pas à trouver quelqu'un par-delà ces dunes de sable brûlant, répondit le ménestrel en interrompant sa chanson.
- C'est drôlement joli ce que vous étiez en train de jouer, précisa Lovio avec un large sourire.
Link n'était guère étonné de l'enthousiasme de son ami. Il avait toujours beaucoup aimé les ménestrels et les saltimbanques.
- Merci, jeune homme. C'est un chant que je tiens de mon défunt Maître. Voyez-vous, mon Maître était autrefois poète à la cour. Il connaissait les anciennes civilisations et a exploré tout Hyrule. Il aimait récolter les anciens chants qui relatent les légendes du royaume pour les transmettre. Voulez-vous en entendre une ?
Hönir s'approcha à son tour.
- On repart ? On a encore du chemin à faire.
- Roh, attends deux minutes. Des légendes vous dites ?
- Vous vous intéressez aux récits anciens ?
- Nous cherchons une Grande Fée, répondit Link en hochant la tête.
Asarim fit jouer ses plumes sur son accordéon, en tirant quelques notes qui devinrent vite une mélodie.
- La Grande Fée... Mon Maître avait un chant à ce sujet.
Quand la lune croit dans le ciel du désert,
Attend la nymphe à la générosité légendaire,
Aux ailes diaphanes et au sourire de neige.
Le poisson-rêve de ses songes la protège.
Au travers de la tempête et du vent inconstant
Le chemin des étoiles te guide jusqu'à son bourgeon éclatant.
Lovio battit des mains au rythme de la musique qu'il trouvait vraiment très belle et entraînante.
- Voilà. Je ne sais pas quel peut être ce "chemin des étoiles" dont parle la chanson, mais il y a bien une tempête perpétuelle au sud, dit Asarim en arrêtant de jouer.
- Merci.
- Je vous en prie. Que les vents vous portent sans encombre, les salua Asarim selon la formule rituelle de son peuple.
Le ménestrel Piaf reprit la chanson qu'il interprétait à leur arrivée comme s'ils n'étaient plus là. Link se fit la réflexion qu'il était un peu étrange, mais sympathique.
- Ça te dit quelque chose cette histoire de tempête ? demanda-t-il à Hönir qui était retourné près des morses.
- Non, mais je connais peu le sud du désert. Tu veux renoncer ?
- Tu veux vraiment décevoir Lovio ?
Amusé, Link donna une tape sur le bras d'Hönir qui levait les yeux au ciel.
- Allez, on repart. Nous verrons bien cette tempête quand nous y serons.
- Au revoir, monsieur Asarim ! A la prochaine ! cria Lovio au Piaf.
Il remonta derrière son morse. Ils n'avaient pas glissé vingt mètres que le jeune homme chantonnait l'air du Piaf au grand désespoir du Gerudo. Tandis que Lovio chantonnait, chacun filait bon train sur les boucliers tractés par les morses. Lovio avait bien appris depuis ces derniers jours, et il arrivait à ne presque plus tomber. Link pouvait quant à lui, se permettre d'essayer diverses figures. Son ami jovial essayait souvent de l'imiter, mais ce n'était jamais très concluant. Leur périple dans le sable se passait bien, ils avaient changé à deux reprises leur cap. Hönir connaissait bien les endroits où se tenaient habituellement les Moldarquors, et évitait grossièrement leurs tanières. Sous le soleil brûlant du désert, un paysage paisible et immobile se dressait, à l'exception de deux trois cactus, il n'y avait rien dans ce désert.
Aux alentours de 11 heures, un nuage de sable les engloutit. Il était au début très faible, puis au fur et à mesure qu'ils avançaient, il se fit de plus en plus violent. Bientôt, même Hönir plissait les yeux et faiblissait. Le cap était difficile à suivre et ils se perdirent rapidement. Les trois compères s'arrêtèrent alors. Ils s'accordèrent à choisir une direction et à la maintenir, car le nuage devait finir à un moment où un autre. Personne ne se souvenait de la direction du début, mais tout était mieux que de rester à ne rien faire dans ce nuage. Alors, chacun reprit les rênes de son morse et le fit avancer. Cette fois, il n'était pas question de faire des acrobaties, et personne n'était d'humeur à plaisanter.
Ils cheminaient depuis près de trois heures quand la tempête se calma. La chaleur du désert avait atteint son apogée. Les trois compagnons rêvaient de boissons fraîches, d'eau pure, de bons melons gla-gla savoureux, pas trop sucrés, ni trop fades, juste parfaits. Ils firent escale un instant, le temps de reprendre leurs forces. Lovio, dans une soudaine folie, crut apercevoir un étang. Il s'y précipita, courut, mais le sable ralentissait sa course. Enfin, quand il atteignit ledit étang, il fut surpris de ne rien y trouver. Sa frustration était telle qu'il envoya du sable de partout. Link le rejoignit en quelques foulés, en prenant garde à ne pas tomber. Quand il arriva, il fut intrigué par un objet au pied de Lovio, toujours courroucé.
- Arrête-toi un instant, s'il te plaît.
- Jamais ! Je veux cette eau... Oh ! Une autre entendue d'eau... je peux déjà sentir les vagues clapoter contre ma peau sèche, la fraîcheur de l'eau dans ma bouche...
Ni une ni deux, il partit en courant. Link fut rejoint par Hönir qui demanda à l'épéiste ce qu'il faisait. Celui-ci ne répondit pas et se contenta de creuser. Hönir l'imita rapidement et ils mirent à jour un magnifique coffre, sculpté avec soin, dans un métal précieux. Link observa la serrure, se leva d'un geste vif, et d'un coup, asséna un coup de pied dans le coffre. Les bottes prirent l'impact du coup. Le coffre s'ouvrit et les deux amis eurent l'impression que le coffre dégageait une lumière vive. Link pensa à l'éclat du soleil sur le coffre argenté, mais fut surpris, car la lumière semblait provenir de l'intérieur du coffre. Lovio revint vers eux.
- Je ne comprends pas... l'eau disparaît quand je m'en approche...
Il se tut soudain et observa le coffre. Lovio prit la parole au bout d'un moment.
- C'est bien ce que je crois ?
A l'intérieur du coffre, posé sur un coussin de velours bleu nuit, un gros cristal de couleur jaune-orange dégageait une forte lumière. Elle semblait pulser lentement, comme sous le rythme d'une respiration ou d'un battement de coeur. Le cristal était si énorme qu'il faudrait bien ses deux mains à Hönir pour le tenir. Il était rond, avec de nombreuses excroissances aux extrémités arrondies.
- C'est une larme de lune, non ? demanda Link, subjugué par l'objet qui brillait fortement.
- Non, répondit Hönir. Les larmes de lune sont bleues et ont une forme... ben, de larme. Il y en avait une chez moi.
Son père avait toujours adoré lui raconter comment il avait trouvé cette gemme extrêmement rare et s'en souvenir lui tira un léger sourire plein de nostalgie. A chaque fois, son père disait qu'il n'avait jamais été aussi riche que ce jour-là car lorsqu'il s'était rendu à l'endroit où la larme de lune était tombée, il avait non seulement découvert un joyau rare, mais surtout, il avait trouvé un adorable petit bébé qui allait devenir son fils.
- Alors c'est un fragment d'étoile ! cria Lovio en sautillant de joie. Ça vaut une fortune !
Hönir soupira en l'entendant parler finances.
- Dois-je te rappeler ce qui s'est passé la dernière fois que tu as touché ce qu'il ne fallait pas ? grogna-t-il en arrêtant la main de l'Hylien qui se dirigeait déjà vers le morceau d'étoile.
- Il n'y a pas toujours un piège, tu sais ça ?
Link secoua la tête en les entendant se chamailler. Il se demandait s'ils arriveraient un jour à s'entendre. Il approcha sa main du fragment d'étoile pour en sentir la douce chaleur. Sans crier gare, un faisceau de lumière en jaillit, les prenant tous les trois par surprise.
- Qu'est-ce que c'est que ça ? murmura le Gerudo, méfiant.
- Regardez !
Link désigna une seconde colonne de lumière qui était apparue au loin, aux abords de la tempête qui s'était déplacée.
- Il y en a une autre là-bas, fit remarquer Hönir.
- Est-ce que ce serait "le chemin des étoiles" de la chanson ? Mais quelle direction prendre ?
- Peut-être qu'il faut regarder sur le coffre, remarqua Lovio en examinant le couvercle. Il y a une constellation dessus. Regardez ! Trois étoiles.
Hönir et Link échangèrent un regard puis hochèrent la tête. Ils laissèrent Lovio près du coffre et chacun se rendit à l'une des colonnes de lumière. Lovio n'était pas rassuré de rester seul, d'autant plus que la tempête semblait se rapprocher à nouveau. Finalement, Link et Hönir revinrent. Ils avaient bien trouvé un autre coffre avec un fragment d'étoile. Sur celui de Link était dessinée une constellation à deux étoiles alors que celle sur celui d'Hönir en comptait quatre. Ils décidèrent de suivre celle-ci. Leur périple reprit, cette fois avec plus d'entrain maintenant qu'ils avaient une vraie piste. A leur grand soulagement, la tempête ne leur tomba pas dessus. Elle se contentait de les encercler, chassée par les colonnes de lumière.
Les fragments d'étoile les menèrent au plus profond du désert. Près de l'un d'entre eux, ils eurent la chance de tomber sur une oasis à la nuit tombée où ils purent se reposer et, surtout, étancher leur soif. Ils ne restèrent néanmoins pas longtemps malgré le froid nocturne, ne sachant pas si les colonnes de lumière ne s'évanouiraient pas avant de les atteindre. Celles qu'ils avaient déjà passées disparaissaient au fur et à mesure et rien ne disait que cela n'arriverait pas avec celles qui naissaient devant eux. Il était inutile de prendre le moindre risque. Le matin les trouva glissant sur le sable. Ils étaient épuisés et il était difficile de garder les yeux ouverts, même pour Hönir.
- Hey ! C'est quoi là-bas ? fit Link en posant sa main au-dessus de ses yeux pour essayer de mieux distinguer ce qui se dessinait derrière les dunes.
- Je crois qu'on y est ! dit Hönir. On dirait des os.
- Mais... c'est gigantesque ! souffla Lovio.
Ils s'arrêtèrent en haut des dunes. Plus bas, au pied de la dernière colonne de lumière, se trouvait le squelette gigantesque d'une créature ressemblant à un poisson.
- C'est le poisson-rêve de la chanson ? ça en fait des arrêtes, pouffa Lovio.
- C'est merveilleux, fit Link, subjugué.
Jamais le jeune homme n'aurait cru qu'une telle créature ait pu exister un jour ni en voir le squelette ! Finalement, leur épopée n'était pas toujours négative. Il apprenait tellement depuis qu'il avait quitté son lit le jour du tournoi ! Le monde était si vaste et il y avait tellement à découvrir.
- Mon père me racontait des histoires sur les baleines géantes quand j'étais petit. Dans certaines, elles volent dans les cieux pour chanter avec les dragons. Dans d'autres, elles créent de véritables mondes dans leurs rêves. Il disait qu'il existait plusieurs squelettes géants à travers le monde. Il aurait aimé voir celui-là.
Link et Lovio avaient tourné la tête vers lui alors qu'il parlait. C'était la première fois depuis leurs retrouvailles devant le Temple de l'Esprit qu'Hönir se confiait sur quelque chose de son passé. Ils sourirent légèrement en entendant la nostalgie dans sa voix.
- Hum, bon, se râcla la gorge le Gerudo. Allons-y. Assez perdu de temps comme ça.
Cela se voyait qu'il était gêné. Lovio voulut dire quelque chose, mais Link lui fit signe que non. Ils reprirent leur route. Plus ils avançaient, plus le squelette devenait écrasant. Un peu de végétation poussait sous ses côtes et il y avait même un petit point d'eau où virevoltaient des libellules. Mais ce qui retint surtout leur attention fut l'énorme bourgeon vert qui trônait à l'ombre des os de la baleine géante.
Une fois arrivés devant l'immense bourgeon qui devait bien faire dix mètres de haut, un gémissement se fit entendre.
- Hmmmmm, qui va là ? demanda... le bourgeon ?!
- Trois voyageurs qui ont besoin de faire réparer leur tapis magique, cria Lovio.
- Hmmmmm, ce service n'est pas gratuit !
Du bourgeon sortit une main immense qui se positionna face à Lovio comme si elle attendait quelque chose.
- Hmmmmm, je sens que tu as quelque chose qui m'intéresse dans ta sacoche, jeune homme.
- Oh, vous voulez parler de ceci ?
Lovio sortit un gros rubis doré qu'il avait récupéré sur un macchabée lors de leur périple à travers le désert.
- Un rubis doré ! s'exclama Link
- Tu comptais le garder pour toi tout seul, objectiva Hönir.
- Héhéhé, je comptais vous en parlez plus tard, répondit Lovio gêné.
Celui-ci posa le rubis dans la main. HOP ! celle-ci rentra dans le bourgeon, de la fumée commença à jaillir de celui-ci et dans un immense bruit le bourgeon s'ouvrit pour faire apparaître la grande fée !
- Hmmmmmm mwaaaaaaaaa !!! Merci, jeune homme, le doux parfum des rubis me redonne des forces !
Nos trois amis virent apparaître une grande silhouette dans la fumée, d'allure mince, grande avec un chapeau et des habits ornés de fleurs. Une mèche de cheveux de couleur rouge dépassait de son chapeau. Elle portait un collier autour du cou, scintillant comme de la nacre. De grandes ailes ornaient son dos, tellement qu'elles rendaient le personnage majestueux. Devant tant de beauté nos amis restèrent bouche bée.
- Et pour le tapis ? demanda Lovio.
- Hmmmmmm, ceci n'est pas gratuit je viens de te le dire !
- MAIS !!! je vous ai donné 300 rubis, rétorqua Lovio.
- Hmmmmmm, mwouiiii, mais ça, c'est pour que je puisse travailler ! Il me faut des ingrédients pour le réparer.
- L'arnaque ! chuchota Hönir à Link.
- Hmmmmmm, je t'ai entendu, jeune Gerudo, chuchota la fée en faisant un clin d'oeil à Hönir.
Celui-ci, gêné, se tut. C'est vrai que bien que ce soit une fée, il n'avait pas vu une aussi jolie jeune femme depuis un moment.
- Hmmmmmm, il me faut 20 libellules et 3 fragments d'étoiles pour réparer votre tapis.
- Quoi ? trois fragments !!! s'exclama Hönir à la limite de s'étrangler.
- Hmmmmmm eeet oui, mon chou, que crois-tu : à tapis exceptionnel, matériaux exceptionnels ! susurra-t-elle en lui adressant un nouveau clin d'oeil.
- Une chance nous ayons tout juste trois de ces fragments, fit remarquer Link.
Il sortit de son sac à dos un filet à papillons. Lovio et Hönir se demandèrent où il avait bien pu trouver un objet pareil. Visiblement, un garçon de Cocorico l'avait donné à Link, car étant malade, il ne pouvait s'en servir. En l'espace de quelques instants, Link, maniant le filet avec grâce et agilité, attrapa les 20 libellules sous les yeux stupéfaits de nos deux autres amis. Une fois la besogne faite, Link donna les libellules et les fragments à Hönir.
- Que veux-tu que je fasse avec ça ? demanda le Gerudo.
- Ben, donne-les à la fée...
- Pourquoi moi ?
- Allez, je vois bien que tu rougis en la regardant...
Hönir, l'air dubitatif, déposa les ingrédients et le tapis dans les mains de la Grande Fée. Celle-ci les disposa dans la fleur et attrapa Hönir de force !
- Hééééééé ! Que fais-tu ? cria le colosse.
- Hmmmm, il manque le dernier ingrédient... un baiser !
Elle emporta Hönir de force dans le bourgeon pour l'embrasser.
- Nooooooooon !!!!!
Puis plus de bruit !
- Tu crois que.... demanda Lovio à Link.
- Non, ne t'inquiète pas, il va revenir.
Le bourgeon se rouvrit et Hönir tomba à la renverse.
- Hmmmmm, voilà, votre tapis est comme neuf et en pleine forme.
- Plus jamais tu ne me demanderas de donner quelque chose à une fée, cria Hönir en dévisageant Link.
Le tapis s'envola et s'enroula autour de Lovio avec affection. L'Hylien rit aux éclats, lui caressant la tête, ravi.
- Hmmmm, Lovio c'est ça ?
- Oui ? demanda l'intéressé en se retournant vers la Grande Fée.
- Hmmmm, je vois que tu as autre chose avec toi que je pourrais améliorer.
Lovio sortit ses bombes de son sac.
- Ceci ?
- Hmmmmm mwouiii, j'aurais besoin de tes bombes et de deux yeux de chauve-souris des cavernes.
- C'est que je n'en ai pas rétorqua Lovio un peu déçu.
- Attends, moi, j'en ai ! répondit Hönir.
Il fouilla dans sa sacoche pour les glisser dans la main de Lovio.
- Par contre, tu les donnes toi-même à la fée, chuchota-t-il.
Pas très rassuré malgré tout, l'Hylien obéit.
- Hmmmm, hop là !
La fée colla les deux yeux de chauve-souris sur la bombe. Nos trois amis restèrent bouche bée devant l'effet comique de la chose. Soudain, un nuage magique enveloppa la bombe et pouf ! elle se transforma en un objet plus long avec des yeux et des oreilles de souris.
- Hmmmm, voici les missiles téléguidés. Avec eux, plus besoin de les lancer et d'attendre qu'ils explosent. Tu les poses par terre et tu les guides avec ta télécommande.
- Génial, s'esclaffa Lovio dans les mains de qui un étrange objet avec une antenne était apparu.
- Pourquoi il n'a pas droit au bisou lui ? demanda Hönir à Link.
- Tout simplement car les missiles téléguidés ne sont pas aussi exceptionnels que le tapis, rit-il devant l'air blasé d'Hönir. Je ne vois que cette explication. Ça n'a sûrement rien à voir avec tes muscles.
La Grande Fée fit un clin d'oeil complice à Link. Elle leur souhaita ensuite de les revoir très bientôt et disparut dans son bourgeon, sans oublier de faire un petit signe de la main au Gerudo.
- Kss kss...
La petite ombre noire, penchée sur le corps de la femme, lui caressait la joue pour la réveiller. Allongée de tout son long sur une stèle dédiée aux nouveaux arrivés, elle avait fait son apparition au royaume quelques heures auparavant. Les nouvelles âmes étaient arrivées par dizaines ces derniers temps, cela n'augurait rien de bon. La place du palais était anormalement bondée, soudainement animée par toutes ces âmes en peine qui erraient en ruminant leur vengeance envers les assaillants qui les avaient envoyés "de l'autre côté".
- Je me demande ce qu'il peut bien se passer là-bas pour qu'ils soient aussi nombreux à nous rejoindre, pensa la petite ombre tout haut. Il faudrait que j'envoie mon loup chéri y jeter un petit coup d'oeil.
Elle retira avec beaucoup de douceur sa petite main de la joue de l'inconnue. A cette absence de contact, celle-ci se mit à gémir.
- Lo... vio... Hö... Hönir... AH !
Elle se redressa d'un coup sec, portant ses mains à sa gorge, les yeux exorbités et hagards, le visage empli d'effroi. La petite ombre recula brusquement. Ses petits yeux mystérieux brillaient dans l'obscurité, scintillants et malicieux.
- Kss kss...
La petite ombre grandit et s'allongea en une forme féminine, allongée et gracieuse.
- Où... où suis-je ? demanda Frambra.
Elle toussa frénétiquement. Inconsciemment elle porta ses mains à sa gorge comme si quelque chose la gênait.
- Alors je... je ne suis pas morte ? Où sont les autres ? Qui êtes-vous ?
L'ombre féminine qui se tenait devant elle ne lui faisait pas peur, étrangement. Au contraire, elle la rassurait.
- Je suis la maîtresse de ces lieux, dit-elle en s'avançant de nouveau vers Frambra, sortant ainsi de l'ombre pour se dévoiler.
Elle était incroyablement grande, belle, avec une longue chevelure rousse lui encadrant le visage orné de ce qui paraissait être une couronne.
- D'ordinaire, ici, mes sujets me nomment Princesse, mais tu peux m'appeler Midona.
Frambra eut du mal à quitter Midona des yeux. Elle n'avait jamais rencontré quelqu'un avec cette peau bleutée et noire. Ses cheveux roux rappelaient immanquablement les siens, mais la ressemblance avec les Gerudos s'arrêtait là.
La jeune femme finit par regarder autour d'elles. La pièce n'était pas très grande, avec des murs de pierre sculptés de très nombreux bas-reliefs dont la signification lui échappait totalement. Des lignes lumineuses, d'un bleu tirant sur le vert, parcouraient la pierre, éclairant faiblement la pièce. Dans un coin, un orbe de taille respectable apportait un complément de luminosité très doux pour les yeux. Tout ici était apaisant, calme et Frambra s'y sentait bien, en sécurité. Néanmoins, ses doigts revenaient sans cesse à sa gorge, cherchant une trace de la blessure mortelle qu'elle pensait avoir reçue. Elle finit par sentir une longue cicatrice parfaitement lisse, comme si elle était déjà ancienne. Le coeur de Frambra s'emballa soudain alors que les souvenirs l'assaillaient. Lovio pris en otage par Ganondorf. Ce monstre qui réussissait à l'attraper encore une fois. Cette peur panique lorsqu'il avait posé ses mains sur elle et qu'elle avait senti son souffle près de son oreille. Le froid du métal sur sa gorge. Sa voix rauque si semblable à celle d'Hönir mais dans laquelle elle sentait toute la malignité à chacun de ses mots. Les visages horrifiés de son ami et de Lovio lorsque la lame avait tranché sa gorge. Cette douleur insupportable qu'elle avait ressentie et la chaleur de son sang qui s'épanchait, impossible à retenir. Sa vie qui s'échappait.
- Respire calmement, lui dit Midona en prenant doucement sa main pour l'ôter de sa gorge. Ce ne sont que des souvenirs. Plus rien ne peut t'atteindre ici, ni la douleur, ni la peur.
Les paroles de Midona eurent un effet apaisant sur Frambra, bien plus vite qu'elle ne s'y était attendue. La Gerudo réussit à se calmer, faisant refluer les souvenirs loin, très loin.
- Je suis morte, réalisa-t-elle en serrant la main de la princesse, la voix cassée et des larmes plein les yeux.
- Oui. Tu es arrivée au royaume du Crépuscule.
Midona l'encouragea à se lever. D'un geste de la main devant l'un des murs, elle dévoila une fenêtre donnant sur l'extérieur. Frambra fut saisie par le paysage. Le ciel n'était ni celui du jour, ni celui de la nuit. Il semblait que de nombreuses îles flottaient en plein ciel.
- Je n'ai pas pour habitude d'accueillir toutes les âmes, fit la princesse en observant Frambra.
- Vous attendez quelque chose de moi.
- Tu comprends vite, c'est très bien.
Midona lui fit signe de la suivre en dehors de la pièce où elles se trouvaient. Elles empruntèrent un corridor aux murs similaires, croisant d'autres personnes du même peuple que la princesse.
- Beaucoup d'âmes nous parviennent depuis quelques semaines. J'ai besoin de savoir ce qui se passe dans votre monde.
- Personne n'a pu vous renseigner ?
- Tu te rendras vite compte que la plupart des âmes restent bloquées sur les circonstances de leur mort, surtout quand celle-ci a été particulièrement violente. Elles se lamentent, errent sans autre but que la vengeance. D'ordinaire, nous arrivons à les apaiser, mais pas cette fois. Toi, tu es différente. Tu as conservé ta conscience. Tu n'es donc pas n'importe qui.
Midona continua à guider Frambra au travers de son palais pour finalement arriver dans ses luxueux appartements qu'elle traversa pour sortir sur un balcon. De là, elles avaient une vue imprenable sur la Cité du Crépuscule et la place centrale. La princesse n'avait pas menti : elle était noire de monde. Des dizaines et des dizaines d'âmes en peine y étaient regroupées, errant sans but en se lamentant. Leurs plaintes montaient jusqu'à Frambra, faisant écho à sa propre rage d'avoir été tuée et à sa peine d'avoir quitté le monde des vivants.
- Alors ? Que se passe-t-il de l'autre côté ? demanda finalement Midona en s'asseyant sur la rambarde du balcon.
Un gros loup sortit de l'ombre et se glissa jusqu'à elle, surprenant Frambra. Son pelage était noir, avec du gris sur le poitrail et le museau. Un étrange dessin ornait son front. Ses yeux bleus semblaient détenir une grande sagesse. L'animal vint poser sa tête sous la main de Midona qui le caressa bien volontiers.
- Ganondorf a déclaré la guerre à Hyrule, répondit Frambra.
La Gerudo se mit alors à raconter tout ce qu'elle savait. Elle parla d'Hönir et du secret de sa naissance, de son arrière-grand-mère Riju et de sa mère, tuée par les sorcières Twinrova, de Ganondorf et de la façon dont il avait été élevé par les deux harpies. Elle évoqua la légende du Banni, l'attaque du château d'Hyrule. Midona l'écouta sans l'interrompre, y compris quand Frambra parla de sa rencontre avec Lovio, puis de ses retrouvailles avec Hönir ou encore de Link qu'elle avait à peine connu. Tout à son récit, la Gerudo ne se rendit pas compte qu'à la mention de l'Hylien, Midona avait échangé un étrange regard avec son loup.
- Ganon, encore lui... Le cycle ne s'interrompra donc jamais, soupira Midona en se relevant.
Frambra l'interrogea du regard.
- Mon peuple a déjà eu affaire à lui il y a très longtemps. Un héros est venu alors et l'a vaincu, mais ça ne s'est pas fait sans sacrifice.
Le loup donna un petit coup de tête à Midona qui lui sourit avec plus de douceur que Frambra ne lui en avait vu jusqu'ici.
- Déjà à cette époque, le Banni cherchait le Miroir dont tu parlais tout à l'heure.
Elle désigna le côté opposé de la place, devant elles. Frambra n'avait pas pu ignorer l'énorme estrade de pierre qui s'y trouvait, ni l'étrange construction aussi monumentale, mais sans la précision de Midona, elle n'aurait pas fait le rapprochement avec le Miroir Magique des légendes.
- C'est le Miroir Magique ? demanda la Gerudo en regardant attentivement le gigantesque rond noir gravé de multiples inscriptions argentées.
- Ici, on l'appelle le Miroir des Ombres, mais en réalité, c'est une porte entre ton monde et le mien. Si Ganon... ou plutôt Ganondorf trouve le moyen d'ouvrir la porte de l'autre côté, il pourrait envahir le Crépuscule et tenter de nous asservir.
Midona fronça les sourcils. Le héros qui avait aidé les Twilis autrefois avait scellé l'entrée de l'autre côté et seules les âmes des défunts pouvaient désormais trouver leur chemin lorsqu'elle, du palais, ouvrait la porte une fois par nuit. Il fallait espérer que Ganondorf ne pourrait pas briser le sceau du côté d'Hyrule sinon ils étaient perdus.
- Si j'emprunte le Miroir, pourrais-je retourner dans mon monde ?
Midona fit non de la tête à la question de Frambra.
- Tu es morte. Si tu retournais là-bas, tu ne serais qu'un fantôme. Très vite, tu perdrais tes souvenirs et ne serais plus qu'un spectre dangereux pour les vivants.
La princesse retourna dans ses appartements, suivie du loup et de la Gerudo.
- Je vais te donner des appartements privés. Tu resteras au palais pour l'instant. J'aurai des tâches de première importance à te confier, pour veiller à ce que Ganondorf ne devienne le Banni.
Elle claqua des mains et un garde apparut. Elle lui confia Frambra qui n'eut guère d'autre choix que d'obéir pour le moment. Une fois seule, Midona s'accroupit devant son loup, plongeant ses doigts fins dans sa fourrure.
- Mon loup chéri, je vais avoir besoin de toi, murmura-t-elle.
Elle le caressa gentiment et plongea ses yeux dans les siens.
- Je n'ai confiance qu'en toi, tu le sais. Il n'y a que toi que je peux envoyer dans l'autre monde. S'il y a un nouveau héros, c'est notre devoir de le protéger, tu ne crois pas ?
Le loup lécha le visage de sa maîtresse, comme pour lui signifier qu'il était d'accord. Aucun des deux n'avait envie d'être séparé de l'autre, mais il était primordial de protéger le royaume du Crépuscule et Hyrule.
Link, Hönir et Lovio avaient quitté la Grande Fée après un repos bien mérité à l'abri du squelette géant de la baleine. Ils avaient libéré les morses et, au grand dam du Gerudo, avaient repris leur voyage sur le tapis. Ils avaient alors survolé le désert en surveillant le ciel, de crainte de revoir le dragon de Ganondorf, et avaient évité les zones habitées pour filer droit vers leur prochaine destination : les Bois Perdus. Il leur avait fallu deux jours de voyage pour atteindre enfin les vertes plaines d'Hyrule.
- Bleuarg...
Hönir était plié en deux au-dessus de l'herbe verte, vomissant son petit-déjeuner.
- Ça va aller ? s'inquiéta Link.
- Je ne remonte pas sur ce truc. C'est fini. Ter-mi-né !
- Oh, mais on ne fait pourtant plus de looping, soupira Lovio.
- Toi...
Le Gerudo regarda Link, pointant son index sur le torse de l'Hylien.
- C'est fini, j'ai dit.
Link hocha la tête. Hönir avait fait de son mieux pour supporter le voyage, mais il était malade en vol et de plus en plus pâle.
- Très bien. On va y aller à pieds. On a déjà gagné beaucoup de temps.
Le Gerudo le remercia d'un regard. Il prit une gorgée d'eau pour se nettoyer la bouche et se l'essuya d'un revers du bras.
- On est encore loin des Bois Perdus ?
- Je ne sais pas trop. C'est au nord après les plaines, de l'autre côté du fleuve.
Les trois amis se remirent en route, Link et Hönir à pieds et Lovio sur le tapis qui portait les bagages, chantonnant la chanson d'Asarim comme pratiquement tous les jours. En sortant d'un petit bois, ils eurent une vue imprenable sur le château d'Hyrule sous le joug de Ganondorf. Si le spectacle désolant n'était pas nouveau pour Link et Hönir, c'était la première fois que Lovio voyait ce que les murailles si blanches étaient devenues, ce qui lui coupa toute envie de chanter. Tout le château était désormais devenu d'un noir de jais. Les nuages sombres qui bouchaient le ciel au-dessus des tours s'étaient étalés vers les plaines, frappant la Citadelle et les casernes de leurs sinistres éclairs rouges et pourpres. Ils étaient malheureusement trop loin pour distinguer s'il y avait encore des habitants et il était évidemment hors de question de s'approcher. Ils allaient même certainement devoir faire un petit détour. Link et Hönir n'oubliaient pas que Ganondorf devait toujours les rechercher. Il ne fallait pas prendre de risque avant d'avoir atteint les Bois Perdus.
Le milieu de l'après-midi était arrivé et Lovio était parti voler un peu plus en avant des deux autres pour dégourdir les pompons du tapis. Hönir le vit revenir en quatrième vitesse, affolé.
- Vite ! Venez ! Un chariot est attaqué !
Ni une, ni deux, Link et le Gerudo coururent à la suite du tapis, prêts au combat. Lovio ne s'était pas trompé : en contrebas d'une petite colline, sur la route, un chariot bâché était encerclé par des spectres en armure. Les chevaux, affolés, ruaient et se cabraient dangereusement alors que leur conductrice peinait à les calmer.
- Fonce, Malon, fonce ! cria une voix de femme à l'intérieur du chariot.
La jeune fille fit claquer les rênes, mais les chevaux ne lui obéirent pas. Sans attendre une seule seconde, Hönir dévala la pente en dégainant son cimeterre. Depuis l'affrontement contre son frère et la mort de Frambra, cela le démangeait de massacrer quelqu'un et ces spectres en armures feraient bien l'affaire en attendant de retrouver Ganondorf. Le combat entre Hönir et les spectres s'engagea. Ils croisaient l'acier, Hönir était contrôlé par sa rage, tandis que les spectres étaient sous l'emprise du mal. Hönir, malgré sa colère et sa détermination, faiblissait. Les spectres arrivaient de toutes parts, et Hönir n'était pas de taille à les affronter à lui seul. Alors que tout semblait perdu, Link fit un bond et atterrit au milieu du cercle des spectres. L'Hylien fit tournoyer son épée et vainquit ses adversaires les uns après les autres. Hönir reprit des forces en voyant son ami combattre si courageusement. Ils se mirent dos à dos pour repousser leurs ennemis. Le dernier spectre tomba sous le coup double de Link et Hönir. Chacun s'examina, observant s'ils avaient d'éventuelles blessures. Leur rapide examen était plutôt positif. Link demanda à Hönir :
- Il y a un spectre un peu étrange. Il est parti en courant vers le château. Que crois-tu qu'il soit allé faire ? Annoncer leur défaite à Ganondorf ou se replie-t-il pour reprendre des forces et mieux nous attaquer après ?
Hönir réfléchit un instant.
- Je ne crois pas qu'il reprenne des forces. Tu sais, ce sont des spectres, ils ne sont pas comme nous. Qu'il aille faire son rapport à Ganondorf est plus plausible.
La tête de la femme dans le chariot apparut. Elle était ravissante, une Hylienne aux cheveux bruns doux, une peau claire et sans défauts. Ses yeux étaient également très beaux.
- Sont-ils partis ? demanda-t-elle.
- Nous les avons vaincus, vous n'avez rien à craindre, répliqua Hönir qui avait commencé à rougir à la vue de la jeune femme.
- Oh, et bien, je ne sais comment vous remercier... je partais vers un petit village un peu au sud quand je me suis faite attaquée... une chance que vous étiez là.
- C... ce n'est... n'est r-rien made-moi-moi-selle, bégaya Hönir.
- Venez manger avec nous ! C'est le moins que je puisse faire pour vous remercier, proposa-t-elle.
L'Hylienne tira quelques provisions de son chariot, improvisant un repas sur l'herbe de la plaine. Elle se montrait aussi sympathique que charmante. Plus Hönir la regardait, plus il était envoûté. Il était devenu maladroit en sa présence.
- Pardonnez-moi, je n'ai pas écouté ce que vous avez dit Mademoiselle, pouvez-vous répéter ?
- Bien sûr, J'étais en train de vous présenter ma fille, Malon, qui conduisait les chevaux tout à l'heure.
Le regard des trois compères se dirigèrent vers la jeune fille qu'ils avaient effectivement tirée d'une attaque mortelle. D'une douzaine d'années, petite et l'air malicieux, à la chevelure aussi douce que sa maman, elle s'approcha du groupe en chantonnant une mélodie mélancolique.
- Bonsoir messieurs ! Une chance que vous passiez par-là, c'était moins une !
Malgré l'aspect dramatique de la situation, elle leur souriait d'un large sourire chaleureux et reconnaissant.
- Malon, je te présente messieurs Hönir, Lovio et... Link, c'est bien cela ?
Nos héros s'inclinèrent.
- Mademoiselle Malon, vous êtes une sacrée écuyère ! la félicita Lovio.
L'air de la jeune fille s'assombrit.
- Oh, je n'ai aucun mérite, je n'ai pas réussi à maîtriser les chevaux tout à l'heure. Ils étaient tellement nerveux, encerclés par ces horribles bêtes...
- Vous avez l'air de bien connaître les chevaux malgré cela, observa Link dans un sourire rassurant. Ce sont des montures vraiment incroyables qui vous accompagnent...
Ses yeux se dirigèrent vers un des chevaux qui paissaient paisiblement. Une jument, visiblement. Elle se démarquait des autres car sa crinière, d'un blanc éclatant, forçait l'admiration et le respect. On avait envie d'y glisser les doigts dans le crin doux et soyeux...
- Ils sont tout ce qu'ils nous restent, répliqua la mère de Malon. Au fait, pardonnez-moi, je ne me suis pas présentée : je m'appelle Mina.
Hönir rougit encore un peu plus derrière son bol de lait frais. Les reflets roux de la chevelure de cette femme et de sa fille lui rappelaient Frambra, et cette pensée lui brisa le coeur.
- Avez-vous fui votre domicile ? s'enquit Link.
- Oui, dit Mina. Notre ranch a été attaqué il y a quelques jours. Une horde de bêtes est venue réquisitionner nos chevaux. Par chance, nous avons pu sauver nos plus belles montures et quelques provisions...
Un bruit sourd la fit sursauter. Lovio était parti présenter Malon au tapis. Dans une cascade ratée, ce dernier avait fait tournoyer le jeune homme en un looping désastreux qui l'avait fait atterrir sur le sol les quatre fers en l'air. Hönir prit un air décontenancé. Cet Hylien n'arrêterait jamais de faire le clown. Il espérait bien pouvoir se reposer un peu si seulement cet idiot de Lovio arrêtait de gémir de douleur... Des gémissements ? Il tendit l'oreille. En fait, il ne s'agissait pas de ceux du petit Hylien. Il s'agissait plus... d'une voix féminine.
- Il y a quelqu'un dans votre carriole ? demanda-t-il à Mina.
La mère et la fille échangèrent soudain un regard angoissé.
- Malon... Mina... reprit la voix dans une complainte languissante.
D'un bond, trop méfiant pour attendre un quelconque signal, Hönir se rua vers la carriole et ouvrit le petit rideau : couchée sur le plancher, parmi les bouteilles de lait et les vivres, une vieille femme paraissait être à l'agonie. Sur son visage, une larme tatouée coulait sous son oeil gauche.
- Emmenez... moi... Arbre... Mojo...
Mina et sa fille regardèrent le Gerudo, de plus en plus mal à l'aise. Link les rassura d'un sourire amical alors qu'il approchait à son tour.
- Vous n'avez vraiment rien à craindre de nous.
Il regarda dans le chariot, découvrant à son tour la vieille femme blessée.
- Lovio ? As-tu encore une fée ? demanda-t-il à son ami.
Aussitôt, celui-ci fouilla dans leurs sacoches pour en sortir un petit flacon contenant une fée ramassée près du bourgeon de la Grande Fée. Link demanda ensuite à Hönir de préparer un remède revigorant, comme il l'avait fait dans la grotte du désert. Le Gerudo en profita pour enseigner sa recette à Malon, très curieuse de la fée.
- Votre maman a besoin d'un médecin, fit Link à Mina.
- J'espérais en trouver un au prochain village. Mais cette dame n'est pas ma mère. Nous l'avons trouvée dans notre grange avant que les monstres ne s'en prennent au ranch. Elle était déjà blessée, je l'ai soignée comme j'ai pu.
- L'Arbre Mojo... Toal... murmura la vieille femme sous l'emprise de la fièvre.
- Elle ne cesse de répéter cela, soupira Mina.
Link réfléchit. Le nom de Toal ne lui disait rien, mais l'Arbre Mojo faisait partie des légendes. On disait qu'il était l'âme de la forêt et qu'il veillait sur les Kokiris. Il serait si vieux qu'il aurait connu Hyrule avant même qu'il soit un pays et qu'il y ait un roi.
- Sheik... prévenir... l'Arbre Mojo..., continua la blessée.
Hönir apporta le remède. Mina s'occupa de le faire avaler à la vieille femme qui reprit quelques couleurs. Elle finit par rouvrir les yeux.
- Ah ! Le Démon ! Non ! cria-t-elle en voyant le Gerudo. Recule Ganondorf !
Le visage d'Hönir se ferma. Evidemment, cela devait arriver un jour. Dans le désert, sa ressemblance avec son frère lui avait toujours servi, les Gerudos le prenant aisément pour leur prince. Mais ici, il n'était pas étonnant que l'accueil soit différent et que son visage inspire la peur. Il s'écarta du chariot et même du campement, prétextant devoir surveiller les environs.
- Non, Madame, ce n'est pas Ganondorf, fit Link en essayant de la calmer.
- Me prendrais-tu pour une imbécile ou une gâteuse ?
- Non, Madame. Je sais qu'ils se ressemblent, mais Hönir n'a rien à voir avec Ganondorf. Il est bon et loyal. Tous les trois, nous cherchons un moyen d'arrêter Ganondorf.
- Et s'il lui tombe dessus, il se fera un plaisir de le découper en rondelles, renchérit Lovio.
La vieille femme ne parut pas convaincue. Elle ne s'apaisa que lorsque Mina lui raconta comment les trois jeunes hommes étaient venus à leur secours contre les spectres en armure qui avaient pris en chasse le chariot.
- Vous avez parlé de l'Arbre Mojo ? demanda finalement Link.
- Il est en danger. Je dois prévenir les miens, fit-elle en essayant de se relever.
Mais sa blessure était trop importante et malgré le remède, elle ne pouvait pas se lever.
- Il existe vraiment alors ? fit Lovio dévoré par la curiosité.
- Bien sûr qu'il existe.
- Nous nous rendons en Firone, expliqua Link. Nous pouvons peut-être vous y emmener.
- Oh oui, le tapis vous transportera sans problème, dit Lovio en hochant la tête.
De son côté, Mina s'inquiétait de la réaction d'Hönir. Elle finit par le rejoindre.
- Qui est ce Ganondorf avec qui Impa vous a confondu ? demanda-t-elle en arrivant à sa hauteur.
Hönir regardait droit devant lui, observant les plaines. Ne pas se tourner vers Mina lui permettrait peut-être de ne pas rougir à chaque phrase. C'était bien la première fois depuis qu'il avait quitté l'adolescence qu'il se retrouvait aussi emprunté devant une femme, et cela froissait quelque peu son égo.
- Le responsable de tout ceci, fit-il en désignant le château dont on apercevait les murs sombres dans le lointain. Il commande les armures spectrales qui vous ont attaquées et certainement les monstres qui ont pris votre ranch et vos chevaux.
- Et vous vous ressemblez ?
- Comme deux gouttes d'eau. Pour mon plus grand malheur, soupira-t-il. Et celui de mes amis aussi.
Il serra les poings au souvenir de Frambra. Elle avait tant souffert à cause de cela et cela avait fini par la tuer. Mina l'observa attentivement. Elle voyait à ses épaules baissées et à la contracture de sa mâchoire qu'il faisait de son mieux pour ravaler la colère qu'il ressentait, sans doute à cause de ce Ganondorf.
- Vos amis... ils croient en vous, reprit-elle doucement en venant plus près. Et vous n'avez pas hésité à risquer votre vie pour ma fille et moi. Vous avez chargé seul contre tous. C'était... impressionnant, et très héroïque de votre part.
Hönir tourna la tête vers elle. Il sentit le feu gagner ses joues autant aux compliments qu'à sa proximité. Le trouble qui l'envahissait était si étrange et si soudain. Tout l'attirait chez Mina : sa douceur, sa beauté, la bienveillance dans son regard... Était-ce ce qu'on appelait un coup de foudre ? Il ne se voyait pas lui demander.
- Je ne suis pas un héros, Mina, murmura-t-il en détournant le regard. J'avais d'abord besoin d'évacuer ma colère contre mon frère et contre...
Il ferma la bouche. Pourquoi commençait-il à lui raconter tout cela ? Il leva les yeux et croisa ceux de Mina. Elle lui souriait avec une douceur sans pareil et cela fit cogner son coeur contre sa poitrine. Il hésita à continuer. Il allait ouvrir la bouche quand il entendit le sifflement caractéristique d'une flèche derrière eux. Aussitôt, il attrapa Mina par les épaules pour l'écarter de la trajectoire du projectile, s'interposant de sa haute stature. La flèche se planta dans son épaule gauche, mais il ne laissa sortir aucune plainte.
- Hönir ? s'inquiéta la jeune femme.
- Ça va... Courez au chariot. Vite, ordonna-t-il en serrant les dents sous la douleur.
Il se retourna en direction du tireur. Le spectre en armure qu'ils avaient laissé échapper tout à l'heure n'était pas allé faire son rapport au château : il était parti chercher du renfort ! Tout un groupe de Bokoblins à cheval arrivait au grand galop dans leur direction et la plupart tirait déjà d'autres flèches. Hönir ne pouvait pas les défaire seul et il n'avait aucun abri à proximité. Il fit demi-tour, rattrapa Mina qui criait à Malon de remonter dans le chariot, et l'attrapa sous le bras pour foncer le plus vite possible. Pourquoi n'avait-il pas proposé de mettre le chariot à l'abri d'un bois au lieu de rester tranquillement à papoter sur le lieu-même de la précédente attaque ? Quel imbécile il avait été !
Les cavaliers ennemis étaient presque sur eux que le chariot, conduit par Link, arriva à leur rencontre.
- Lovio ! cria Hönir. Emmène Mina et sa fille à l'abri !
- Allez, Tapis ! Tu as entendu ? C'est partiiii !
Lovio, à qui Malon s'accrochait déjà de toutes ses forces, fit plonger le tapis vers le Gerudo. Dès qu'il fut à sa portée, Hönir jeta Mina dessus et Lovio reprit de l'altitude.
- Accroche toi ! prévint Link en faisant claquer les rênes alors que le Gerudo grimpait à l'arrière du chariot.
La course-poursuite démarra sur les chapeaux de roues entre le chariot et les Bokoblins. Ceux-ci étaient menés par une poignée de spectres sur des chevaux aussi noirs que leurs armures et brandissant de lourdes lances. Link tentait de mettre de la distance entre eux et leurs poursuivants, mais le chariot brinquebalait dangereusement à travers la plaine. Il craignait fortement que les essieux ne tiennent pas longtemps avec tous ces cahots, ou que la carriole se renverse. A l'arrière, Hönir avait trouvé une fourche et tentait d'embrocher le moindre monstre à sa portée. La pauvre Impa, quant à elle, était secouée comme un prunier et gémissait. Link était désolé pour elle, priant pour qu'elle survive à ce traitement, mais il n'avait guère d'autre choix. Une flèche enflammée atteignit la bâche, puis une deuxième, affolant un peu plus les chevaux qui n'en pouvaient plus. Hönir tenta d'étouffer les flammes avec une vieille couverture, mais occupé à cela, il ne pouvait plus empêcher les monstres de se rapprocher.
- Va, mon garçon, lui fit soudain Impa en se mettant à genoux dans un effort dantesque. Je m'occupe de ça.
Le regard du Gerudo croisa celui de la vieille femme. Il y lut une détermination qui forçait le respect et le poussait à obéir.
- Link ! Ne t'arrête surtout pas ! cria-t-il à son ami.
Il prit une grande inspiration, se dit intérieurement qu'il devait être fou pour essayer un truc pareil, puis se jeta hors du chariot dans un cri de guerre. Le cavalier qu'il visait fit un écart, mais il réussit à se rattraper à la jambe du spectre en armure. Il banda tous ses muscles et réussit à se hisser jusqu'à la selle. Il donna un coup dans le heaume du spectre, ce qui le déséquilibra. Ni une, ni deux, Hönir en profita pour le faire tomber et prendre sa place sur le cheval. Avec un sourire de triomphe, le Gerudo piqua des deux, bien décidé à se débarrasser des cavaliers autour de lui. Il venait juste d'en désarçonner un qu'une explosion retentit derrière lui, faisant sauter son cheval en avant, ce qui l'obligea à se maintenir à la crinière. Il leva la tête pour voir Lovio, assisté de Malon et Mina, jeter ses bombes du haut du tapis.
- Youhou ! On leur met la misère !
Et c'était vrai. Les bombes de Lovio faisaient des dégâts considérables dans les rangs des cavaliers et Hönir put s'occuper des spectres en armure. De son côté, Link avait fait demi-tour et fonçait sur leurs adversaires pour ajouter à leur panique. Bientôt, grâce à leurs actions conjuguées, ils sortirent à nouveau vainqueurs de cet affrontement et trouvèrent refuge dans un petit bois à proximité.
- Tout le monde va bien ? demanda Link alors qu'ils étaient à nouveau réunis.
- Tu as vu comment on les a explosés ? s'enthousiasma Lovio en faisant tournoyer Malon.
- On ne doit pas traîner, reprit Hönir avec un grand sérieux.
- Il faut d'abord soigner votre épaule, signala Mina.
- Oh non...
Link bondit à l'arrière du chariot dont la bâche avait souffert du début d'incendie. Il se porta au chevet de la vieille dame dont la blessure s'était rouverte et les autres approchèrent à leur tour.
- Madame...
- Chut, mon garçon. Ma route arrive à son terme cette fois, murmura-t-elle avec un léger sourire malgré tout.
Elle posa sa main sur la sienne et ferma les yeux.
- Je sais qui tu es. Va en Firone et trouve le village de Toal.
Sa voix faiblissait à vue d'oeil et Link ne savait pas quoi faire.
- Dans ma sacoche... Donne-le à Sheik... Dis-lui qu'Impa... Dis-lui que je... comme mon propre enfant...
La main d'Impa devint molle et sa tête roula sur le côté alors qu'elle rendait son dernier souffle.
- Elle est partie, annonça Mina tristement.
Link allongea Impa avec douceur, lui croisa les mains sur la poitrine et la recouvrit respectueusement d'une couverture. Il prit ensuite la sacoche de la vieille femme. A l'intérieur, il découvrit un étrange objet dont la forme rappelait celle d'un oeil et d'une larme identiques au dessin tatoué sur le visage d'Impa. L'oeil était doté d'une lentille de verre. Link eut beau retourner le monocle dans tous les sens, il n'en comprenait pas l'utilité. Il le remit dans la sacoche et la confia à Lovio qui l'ajouta à leurs bagages.
- Nous devrions repartir, dit Hönir doucement.
- Nous allons vous escorter jusqu'au prochain village ou relais, approuva Link. Lovio ?
- Je pars en reconnaissance. Malon, tu grimpes avec moi ?
La jeune fille hésita, puis accepta la proposition. Mina obligea Hönir à grimper dans le chariot pour qu'elle puisse s'occuper de ses blessures. Le cheval noir fut attaché derrière, puis Link donna le signal du départ. Il pensa qu'il faudrait trouver un bel endroit pour enterrer Impa et, ensuite, trouver ce fameux Sheik pour lui apprendre la disparition de la vieille femme et lui remettre le mystérieux objet.
Le vent frais de la plaine le frappait de plein fouet, les gouttelettes de rosée nocturne des hautes herbes humidifiant son museau. Les odeurs se mélangeaient, aiguisant son odorat à chaque instant, réveillant en lui ses instincts. Comme Hyrule lui avait manqué. Quitter Midona et le palais avait été un déchirement, il en avait hurlé à la mort lorsque ses pattes s'étaient posées sur le sol d'Hyrule, alors qu'il s'était posté sur une butte en hurlant vers la lune. Un long cri plaintif et douloureux qu'il destinait à sa maîtresse. Il courait à vive allure, slalomant entre les fleurs endormies, profitant de son retour sur sa terre natale. Cela faisait quoi, des années, des siècles ? Le temps s'était arrêté depuis qu'il avait fait le choix de quitter ce monde pour rejoindre le crépuscule. Des voix lui avaient murmuré qu'Iria avait été inconsolable, sans doute se serait-elle donné la mort, elle aussi, si leur fils ne lui avait pas donné la force de continuer à vivre. Il secoua la tête pour chasser ses souvenirs. Se concentrer sur la mission. C'était primordial. Il s'arrêta soudain, renifla le sol quelques instants, puis reprit sa course folle. L'odeur des sous-bois et des champignons n'était plus très loin. Si Frambra avait dit vrai à Midona, c'est là-bas qu'il devrait trouver les personnes qu'il recherchait. Enfin surtout, la personne. Peut-être même son descendant.
Soudain, un craquement le mit en alerte, il stoppa net, la patte avant levée, les oreilles droites : droit devant lui, à quelques mètres, se dressait une volaille bien dodue, qui fouillait le sol avec son bec. Il se lécha les babines. S'aplatissant comme une crêpe, il rampa doucement jusqu'à sa proie, avant de bondir soudainement en un saut vertical sur la victime : raté ! Elle s'était envolée dans un bruissement d'ailes. Déçu, il croqua une pauvre sauterelle qui venait de lui passer sous le nez. Ce n'était pas si mauvais. Il se sentit même légèrement... revigoré ! D'attaque, il se lança de plus belle dans sa course, porté par le vent et le regain d'énergie qui venait de le saisir. L'orée de la forêt était en vue, il approchait de son but.
C'est en courant que le loup pénétra dans les bois, retrouvant l'odeur d'humus, de fleurs et de champignons qu'il avait connue autrefois. Les lieux étaient toutefois bien différents de ce qui subsistait dans ses souvenirs. Il ne fallait pas qu'il se laisse distraire par la perspective de retrouver le chemin de Toal, si tant est que le village existait encore. Il devait trouver le nouveau Héros, celui qui allait brandir l'Epée de Légende à son tour. Pendant tant et tant d'années, avec Midona, ils avaient craint que tout ne recommence. Puis, ne voyant rien venir, ils avaient espéré qu'il en était bel et bien fini de Ganon et de ses ténèbres. Mais finalement, le monstre avait patienté, loin de tous, pour mieux ressurgir. Il espérait que ce Link, ce jeune homme qui avait hérité à la fois de son nom et de sa mission, serait à la hauteur. Il espérait surtout qu'il serait suffisamment fort pour endurer les sacrifices à venir.
Un bruit de métal s'entrechoquant le tira de ses pensées. Il renifla l'air et rampa dans les fourrés dans la direction du combat. Tapis dans un tronc d'arbre mort, il observa la scène. Trois humains étaient aux prises avec un petit groupe de Bulblins armés de masses. Quoi que cela ressemblait aussi à des Bokoblins à cause de leur peau rosâtre. Même les monstres n'étaient pas tout à fait les mêmes que ceux qu'il avait autrefois combattus, et il se demanda soudain ce qui restait exactement de son époque, de son histoire.
- Aaaaaaah ! Mais lâche ! Lâche donc !
L'humain qui s'était mis à crier se débattait contre un monstre qu'il avait tenté de repousser avec un énorme livre. Le coup avait raté la tête, mais la créature tenait désormais le livre entre ses dents, vociférant pour faire lâcher le jeune Hylien qui s'y cramponnait comme s'il en allait de sa vie. La scène hautement comique fut interrompue par le compagnon du jeune homme, un colosse à la coiffure improbable. Il attrapa le monstre comme s'il ne pesait rien pour le jeter au loin, contre un arbre où il s'assomma.
- Ah ah ah ! Le Grand Hergo à la rescousse ! se vanta le colosse en remettant sa crête de cheveux rouges en place.
Il tapa dans le dos de l'autre qui manqua de tomber, remettant ses lunettes en place.
- Oui... ah ah, merci, Hergo.
- Tu devrais rester à l'écart, Jehd. Un gringalet comme toi n'a jamais su se battre.
- Mais...
Jehd voulut lui répondre qu'il n'avait jamais voulu se battre, qu'il n'était pas là pour cela, mais l'autre était déjà reparti à l'assaut d'un Bokoblin.
- C'est pas bientôt fini de faire la causette, les filles ? se moqua le troisième Hylien en tuant son quatrième adversaire de ses sabres jumeaux.
Celui-ci piqua aussitôt la curiosité du loup. Son odeur était celle des bois, du vent, de la pluie. Il respirait le calme malgré la situation. Il était curieusement vêtu, avec un ensemble bleu sombre très près du corps, le visage et la tête dissimulés sous une étoffe blanche qui ne laissait échapper que quelques mèches blondes.
- Laisse-moi les autres, Sheik, fit Hergo en tapant son poing droit dans sa main gauche.
- Quels autres ? Pendant que vous discutiez, j'ai eu le temps de m'en débarrasser.
En effet, il n'y avait plus aucun adversaire debout. Hergo parut déçu ou gêné que le fameux Sheik ait résolu le problème quasiment à lui tout seul. Jehd, en revanche, était soulagé et s'effondra plus qu'il ne s'assit sur une vieille souche.
- Il y en a de plus en plus... soupira-t-il en remettant encore ses lunettes en place.
- Et ça ne va pas s'arranger avec ce qui s'est passé au château, répondit Sheik en essuyant les lames de ses sabres.
Il posa sa main sur l'épaule de l'autre dans un geste amical et réconfortant.
- C'est pour ça que tu n'aurais pas dû quitter Toal.
Toal ! Le loup releva les oreilles en entendant le nom de son village natal. C'était inespéré !
- Oh, je sais bien que ma place est à la bibliothèque, je ne sers pas à grand-chose hors de mon habitat naturel, essaya de plaisanter Jehd. Mais sans moi, vous n'auriez pas pu réactiver les statues.
- Tu m'aurais appris, lui fit Sheik avec un sourire dans la voix.
- Oui, on n'avait pas besoin de t'avoir dans les pattes, dit Hergo en se plantant devant lui, les bras croisés sur sa large poitrine.
- Hergo !
- Mais... Sheik... Tu viens de dire que...
Le colosse sembla se faire tout petit alors que Sheik le regardait avec désapprobation. Il soupira et capitula.
- Bon, d'accord, j'ai rien dit.
Sheik secoua la tête comme s'il avait l'habitude de ce genre de discussions.
- Remettons-nous en route. Nous n'en avons pas fini avec ces fichues statues si nous voulons protéger le village à temps.
Hergo s'éloigna le premier, la tête haute et le dos droit. Son allure le faisait vraiment ressembler à un coq, ce qui amusait beaucoup le loup qui avait enregistré son odeur : sueur et parfum bon marché. Celle d'encre, de poussière et de parchemin de Jehd était bien plus agréable en comparaison. Soudain, le loup se tapit le plus possible dans son tronc d'arbre. Sheik regardait dans sa direction, plissant les yeux. L'avait-il aperçu ? Il n'en était pas sûr. Sheik finit par tourner les talons, rejoignant Jehd qui se lamentait sur les dégâts que les crocs du Bokoblin avaient occasionnés à son livre. Quand ils eurent disparu au coeur des arbres, le loup s'extirpa de sa cachette. Leur histoire de statues l'intriguait. Sans compter qu'ils avaient parlé de Toal. Devait-il les suivre ? Mais ces trois-là n'étaient pas ceux dont Frambra avait parlé, même s'il y avait un colosse roux et un petit peureux dans ce groupe-là aussi.
Le loup avait repris sa route, cherchant ceux dont Frambra avait parlé, mais force était de constater qu'ils n'étaient pas encore arrivés en Firone. Il avait interrogé les autres animaux de la forêt, non sans mal puisqu'il avait d'abord fallu les convaincre qu'il ne souhaitait pas les manger. Aucun n'avait aperçu d'étrangers dans la forêt en dehors des monstres. Finalement, il leur avait demandé de le prévenir s'ils voyaient les trois hommes qu'il cherchait. Pour sa part, il était reparti sur la piste de Sheik, Hergo et Jehd, avant tout parce qu'ils pouvaient le mener jusqu'à Toal. Il voulait tant voir ce que son village natal était devenu et, peut-être, en apprendre un peu sur ce que son fils était devenu, voir ses descendants...
Grâce à son flair, il retrouva leurs traces assez rapidement et s'enfonça plus avant dans la forêt. Les arbres resserraient leurs rangs, les fourrés plus denses. Il s'engagea dans une grotte sombre, suivant toujours l'odeur de parfum bon marché d'Hergo et celle d'encre de Jehd. Les cadavres de deux Skulltulas lui indiquèrent que Sheik et ses amis étaient bien passés par-là et la torche abandonnée, encore fumante, que c'était tout récent. Le loup continua, humant l'air qui commençait à changer, se gorgeant d'ozone alors qu'il se rapprochait d'une zone où régnaient des brumes épaisses. Tout son être lui criait qu'il y avait du danger par-là et il fut soulagé de sentir que les humains qu'il cherchait n'étaient pas partis dans cette direction. Un instant, alors qu'il s'était un peu trop approché des brumes, il crut entendre, dans le lointain, un ricanement assorti du son d'une petite trompette, mais il ne fut pas certain que ce ne soit pas son imagination. Ou ses souvenirs qui ressurgissaient.
- Il devrait y en avoir une par ici, entendit-il finalement au bout d'un long moment.
Le loup reconnut la voix de Jehd et s'approcha avec précaution. Le petit groupe s'était arrêté au milieu d'arbres gigantesques. De ceux qui étaient morts depuis longtemps, il ne restait que des souches géantes et des troncs à terre qui ne l'étaient pas moins. Les cimes des autres étaient si hautes que leurs branches chargées de larges feuilles dissimulaient le ciel, ne laissant entrevoir qu'une pâle clarté, rendant l'atmosphère presque irréelle. Sheik et Hergo étaient occupés à fouiller les environs, écartant les fourrés ou le lierre qui avait envahi la plupart des arbres morts. Jehd était plongé dans son livre, le visage concentré.
- Je l'ai trouvée, annonça finalement le colosse à la crête de coq.
Il arracha un pan de lierre d'un coup sec pour dévoiler une statue qui ne manqua pas de rappeler des souvenirs au loup. Deux fois plus haute qu'un Hylien moyen, elle était sculptée dans une pierre grise que le temps ne semblait pas avoir altéré. A peine y avait-il un peu de mousse dessus. Elle représentait une chouette massive et était percée d'un large trou au niveau de l'abdomen. Contrairement aux souvenirs du loup, le cou de l'oiseau était orné d'un joyau bleu en forme de losange.
- Il en reste encore beaucoup après celle-là ? demanda Sheik.
- Au moins deux, peut-être trois.
Sheik hocha la tête et montra la statue à son ami.
- A toi de jouer.
- Empêche Hergo de se moquer cette fois, tu veux bien, soupira-t-il.
Jehd posa son livre ouvert sur une pierre plate et fouilla dans son sac à dos. Il en ressortit un étrange sceptre de métal finement ouvragé. Le manche était fin et s'élargissait vers le haut. Sa tête était composée d'un cylindre gravé de symboles et de trois excroissances figurant des ailes dont la pointe était tournée vers le ciel. Aussitôt, le loup reconnut le Bâton Anima qu'il avait utilisé autrefois. Ce Jehd-là devait donc bien être un descendant de celui qu'il avait connu alors et qui était passionné par les glyphes et les légendes des Célestiens.
Jehd empoigna le bâton dans une main et s'avança jusqu'à la statue. Il ferma les yeux et fit tournoyer l'artefact magique devant lui. Hergo, un peu plus loin, ricana doucement jusqu'à ce qu'un regard appuyé de Sheik l'arrête. Puis, devant les yeux incrédules du loup, Jehd exécuta une chorégraphie complexe, dansant d'un pied sur l'autre, tournoyant sur lui-même, se dandinant, tout en chantant une formule dans une langue que l'ancien Héros ne connaissait pas. Pour un peu, le loup se serait attendu à ce que Jehd soit entouré de lumière et qu'il change de vêtements ou d'apparence, mais seule la tête du bâton se mit à briller pour que, finalement, une boule de lumière apparaisse à son extrémité. Jehd arrêta de danser dans une dernière pirouette et dirigea la boule de lumière vers la statue dont le joyau s'était mis à légèrement pulser comme une respiration. Dans une dernière phrase, le jeune Hylien lança la boule magique sur la statue qui l'absorba, donnant toute sa lumière au joyau qui brillait tellement qu'il était impossible de le regarder en face. Aussitôt, un faisceau lumineux en sortit, filant à travers la forêt plus au sud.
- Voilà. Il faut qu'on trouve les dernières pour que le cercle soit complété, fit Jehd en rangeant le bâton dans son sac.
- Et tu crois que ça protégera vraiment Toal ? demanda Hergo.
- Combien de fois devrais-je te l'expliquer ? C'est écrit : une fois la magie rendue aux statues, tout ce qui se trouve à l'intérieur du cercle sera derrière une barrière magique impénétrable.
- Si tu ne t'es pas gourré dans la traduction ou dans tes petits pas de danse, se moqua l'autre en se dandinant dans une imitation grossière.
- Hergo, ça suffit, trancha Sheik d'un ton sec. Jehd a étudié l'ancien hylien toute sa vie. Il sait très bien ce qu'il fait. Et n'oublie pas qu'Impa lui a donné toute sa confiance et moi, la mienne.
Jehd parut gêné par les mots de son ami et il cacha son embarras en plongeant son nez dans son bouquin, remontant ses lunettes sur son nez.
- OK, OK... C'est que je m'inquiète, moi, soupira le colosse.
- Repartons. La nuit ne va pas tarder. Il faut qu'on se trouve un abri, ordonna Sheik en faisant un signe à Hergo d'oublier cette conversation.
Jehd et le colosse reprirent leur marche, mais Sheik resta un instant en arrière, à regarder la statue. Le faisceau lumineux avait disparu pour le moment. Si ce que le livre de Jehd disait était vrai, il réapparaîtrait lorsque le cercle serait complété. Impa devrait alors être rentrée de sa mission et ils pourraient se concentrer sur la suite à donner aux événements. Le jeune homme tourna la tête soudain vers les bois.
- Je sais que tu es là, tu peux sortir.
Le loup sut que c'était à lui qu'il s'adressait, aussi avança-t-il hors du fourré où il était caché. Il approcha doucement alors que Sheik s'accroupissait pour être à sa hauteur.
- Tu nous suis depuis un moment, toi. Tu n'as pas l'air d'être un loup ordinaire.
Le loup ne pouvait lui répondre, aussi se contenta-t-il de hocher la tête. Sheik tendit la main vers lui et il l'autorisa à la poser sur son front. Le loup devina que, derrière son écharpe, le jeune Hylien souriait doucement.
- Tu me rappelles le loup d'un conte que m'a appris Impa. Il racontait l'histoire d'un jeune berger devenu héros et qui pouvait devenir loup. Impa disait qu'il avait un signe sur le front. Peut-être un peu comme le tien... Tu veux venir avec nous ?
Le loup approuva d'un nouveau signe de tête. Il ne pouvait pas lui dire qu'il était bien le loup de son conte, et que cette histoire n'était pas un mythe, mais qu'elle avait bien eu lieu.
- Alors, suis-moi, mais ne te vexe pas si Jehd et Hergo ont peur de toi au début. D'accord ?
Sheik se releva. Il ne savait pas pourquoi il faisait confiance à ce loup d'emblée, sans se poser de questions, mais Impa lui avait toujours répété qu'il avait un instinct plus développé que la moyenne et qu'il fallait toujours qu'il apprenne à le suivre. Et puis, il y avait quelque chose dans le regard bleu de cet animal qui résonnait au plus profond de son coeur et cela, il ne pouvait l'ignorer.
Depuis qu'Hönir et ses acolytes s'étaient échappés en laissant le corps inerte de Frambra, Ganondorf avait fait nettoyer la pièce. Il n'avait réalisé ce qui s'était passé que lorsqu'il avait repris ses esprits. Il avait découvert une mare de sang où gisait le corps sans vie de Frambra, il lui avait fallu un moment pour se souvenir qu'il était à l'origine de sa mort. Il détestait son frère, mais de là à tuer de sang-froid et sans sourciller une des personnes à qui il tenait le plus...
Après avoir porté le corps et l'avoir déposé sur une grande table, il avait nettoyé le sang sur la peau de la Gerudo. Il l'avait coiffée et avait soigneusement caché sa plaie à la gorge. Il avait délicatement posé un drap sur elle pour la recouvrir. En attendant les Twinrova, il était allé dans sa chambre, s'était assis sur son lit et avait contemplé l'endroit où avait été le corps de Frambra. Il l'avait aimée, plus que son frère, c'est pour cela qu'il l'avait faite prisonnière la première fois. Il la voulait pour lui seul, il ne supportait pas devoir la partager. Elle n'était pas comme toutes les Gerudos, elle était spéciale pour lui. Il savait pourtant qu'il ne pouvait aimer quelqu'un sans lui faire du mal. La malédiction qui coulait dans ses veines était plus forte que tout, plus forte que lui. Il avait essayé de lutter contre plus jeune, mais toute cette colère qui émanait de lui lui faisait un bien fou, il avait une soif de vengeance qu'il ne contrôlait pas. Il voulut pleurer Framba, mais aucune larme ne coula. Il avait serré les poings de colère : cette mort était le résultat de la stupidité de son frère. Il se jura de le faire souffrir autant que lui aurait voulu souffrir de cette perte.
Deux jours après la mort de Frambra, Kotake et Koume arrivèrent finalement au temple. Elles remarquèrent aussitôt l'attitude de Ganondorf face au corps de la jeune Gerudo. Elles s'échangèrent un regard et Koume fit oui de la tête. Ganondorf les avait observées de loin. Il fit quelques pas dans leur direction et demanda ce qu'elles lui cachaient.
- Nous pouvons la ramener, lui dit Kotake en lui faisant face avec un sourire machiavélique.
- Mais au vu du temps qui s'est écoulé, elle n'aura pas son âme, rajouta Koume.
- Mais au moins elle sera à ta merci, reprirent-elles en choeur.
Un rictus aux lèvres, Ganondorf leur répondit qu'il tenait la vengeance contre son abruti de frère. C'est ainsi qu'il ordonna au Twinrova de ressusciter Frambra. Les sorcières jumelles ricanèrent en signe d'approbation et se lancèrent dans les préparatifs de leur sortilège. Ganondorf transporta le corps de Frambra lui-même jusqu'à leur antre, la déposant avec une grande délicatesse sur l'autel de pierre. Il observa longuement le visage sans vie de la jeune femme, caressant sa joue de ses doigts rudes. Très bientôt, elle serait à ses côtés. Très bientôt, elle serait à lui et rien qu'à lui. Très bientôt, Hönir souffrirait comme il avait souffert. Pendant ce temps, Koume avait allumé le feu sous un énorme chaudron et Kotake avait pioché dans leurs pots les ingrédients. Elle les posa sur une table et avec sa soeur, commença à tourner autour du chaudron en dansant d'un pied sur l'autre tout en agitant leurs baguettes surmontées d'un joyau.
- Gni hi hi hi, ramenons la fille, chantèrent-elles de leurs petites voix aigrelettes. Que la magie redonne vie à ce corps qui en est privé.
Puis, à tour de rôle, elles jetèrent les ingrédients dans le chaudron bouillonnant tout en continuant à chanter. D'abord, un viscère d'un Moldarquor très ancien. Pouf ! Le chaudron cracha un nuage de fumée verte. Puis, de la poudre d'os de Stalfos. Pouf ! Cette fois, la fumée du chaudron devint orange. Ensuite, le foie d'un Lézalfos trempé dans le poison d'une Skulltula. Pouf ! de la fumée jaune. Le sang du dragon Volfos et la fumée devinrent rouges. De l'extrait de spectre et ce fut de la fumée violette. Ganondorf les regardait faire, appuyé contre un mur, les bras croisés sur la poitrine. Elles avaient intérêt à réussir. Il ne supporterait pas qu'elles le déçoivent. Qu'elles l'aient élevé ou pas, sa colère serait terrible en cas d'échec.
Une fois le dernier ingrédient dans le chaudron, Koume et Kotake tournèrent de plus en plus vite autour de lui en psalmodiant des incantations dans une langue ancienne. La mixture bouillonna de plus en plus et la fumée se répandit au sol. Elle courut jusqu'au corps sans vie de Frambra, rampant au sol comme un serpent de brumes. Elle grimpa l'autel de pierre et caressa la Gerudo qu'elle recouvrit petit à petit jusqu'à la faire disparaître complètement. Puis, ce fut le silence. Les sorcières se turent et Ganondorf retint sa respiration, tous les sens tendus vers l'autel, impatient. La fumée se dissipa lentement et, devant ses yeux satisfaits, Frambra se leva. Elle s'assit sur l'autel, puis en descendit. Sa peau était devenue très pâle, livide, ce qui faisait ressortir encore plus le roux flamboyant de sa chevelure. Ses yeux avaient changé de couleur pour prendre le violet de la fumée. Sur son front brillait un joyau ovale de la même couleur, incrusté à même la peau.
- Gni hi hi hi, elle est à toi, mon Prince, firent les jumelles en choeur.
- Elle obéira au moindre commandement, continua Koume.
- Elle te sera à jamais fidèle, reprit Kotake.
- Tu es son seul et unique maître, conclurent-elles à l'unisson.
Elles ricanèrent comme à leur habitude, grimpèrent sur leur balai et volèrent hors de la pièce, le laissant seul avec le zombie de Frambra. Ganondorf approcha de la jeune femme.
- Viens ici.
Sans une hésitation, elle obéit. Il fit le tour d'elle pour l'observer, immobile et silencieuse. C'était très étrange de la voir ainsi, mais il était pleinement satisfait du résultat. Il se colla contre son dos, glissant sa joue contre la sienne, posant ses mains sur ses hanches, puis sur son ventre.
- Tu es à moi, maintenant.
- Oui, Maître.
Si le corps de Frambra était glacé, sa voix l'était tout autant. Monocorde, elle démontrait que le zombie n'avait aucune volonté. Quelque part, au plus profond de lui, Ganondorf savait que la poupée qu'il tenait entre ses bras n'était plus la femme dont il était tombé amoureux, que ce n'était plus qu'une enveloppe vide. Mais il écarta très vite cette pensée car elle lui appartenait totalement. Et c'est tout ce qu'il avait toujours voulu depuis leur première rencontre, par hasard, dans cette oasis isolée. Elle l'avait alors pris pour son jumeau et il avait joué le jeu pendant les quelques jours qui avaient suivi. Elle l'avait totalement subjugué par sa fougue, son esprit rebelle, son sourire... et jamais plus il n'avait pu l'oublier ensuite, peu importait les autres femmes qui lui ouvraient leurs bras et leurs draps.
- Viens avec moi.
- Oui, Maître.
Il s'écarta d'elle et l'entraîna dans les couloirs du Colosse du Désert. Frambra serait désormais à ses côtés sur le trône de son futur empire, mais ils avaient encore fort à faire. Le château d'Hyrule était tombé, mais il restait les autres peuples à soumettre. Les Gorons, les Zoras, les Piafs... Tous devraient plier devant lui. Ils devaient également trouver et éliminer les Sages qui pourraient représenter un danger pour son pouvoir. Sans compter qu'il fallait retrouver son adversaire éternel, ce jeune Hylien détenant la Triforce du Courage, et l'écraser. Mais surtout, il devait se débarrasser de son frère et Frambra serait le parfait instrument pour cela.
Au royaume du crépuscule Midona observait du balcon les âmes arriver les unes après les autres. Elle commençait à s'inquiéter. La scène qui se déroulait sous ses yeux était la même qu'il y a un siècle, mais cette fois les âmes arrivaient au royaume bien plus vite. Elle porta ses mains sur son coeur, ferma les yeux et visualisa son loup. Il était tapi dans un tronc d'arbre et observait un groupe de jeunes gens. Soulagée, elle rouvrit les yeux et se dirigea vers ses appartements.
Frambra, quant à elle, avait pris possession de sa chambre. Elle était bien plus grande que le bouiboui dans lequel elle dormait quand elle n'était pas en vadrouille. Il y avait un lit à baldaquin gigantesque drapé d'un tissu de couleur bleu nuit. Un coffre énorme était devant le lit. Elle s'en approcha et laissa courir ses doigts dessus. Elle regarda autour d'elle et fit l'inventaire des lieux : une majestueuse armoire en bois sculpté sur sa droite, une table ronde avec un pied central au milieu de la pièce. Elle remarqua une porte au fond, sûrement la salle de bain. Un bruit sourd la fit sortir de sa rêverie, il provenait de l'extérieur. Elle s'approcha de la fenêtre et vit les âmes affluer vers le château.
"Tant de morts inutiles" se dit-elle.
Elle eut une pensée pour Hönir. Elle se demandait où il était, sûrement à vouloir venger sa mort. Et Lovio... Son coeur se serra à la pensée du jeune Hylien. Son coeur ? Comment pouvait-elle ressentir alors qu'elle n'était plus ? C'est à ce moment qu'une vive douleur se fit ressentir. Elle irradiait dans tout son corps. Frambra ne comprenait pas ce qu'il lui arrivait, elle essaya d'appeler à l'aide Midona, mais n'y arriva pas. Elle réussit à se rendre dans le couloir avec beaucoup de mal, ses pieds ne supportant son corps qu'à moitié. Une servante qui passait par-là la découvrit, avachie contre le mur.
- Midona... vite... ma tête... mon corps...
La servante revint après plusieurs minutes qui parurent une éternité à Frambra. Midona s'agenouilla auprès d'elle et passa une main derrière elle pour la soutenir.
- Que m'arrive-t-il ? demanda Frambra à bout de souffle.
Midona était vraiment inquiète, cela ne pouvait être ce qu'elle pensait. Frambra hurla de douleur et porta une main à sa gorge.
- Ça me brûle ! Aide-moi, la supplia la Gerudo.
- Cela va passer, lui promit Midona
- Maîtresse, que lui arrive-t-il ? lui demanda la servante, inquiète.
- Je pense que quelqu'un essaie de la ramener dans l'autre monde, répondit Midona. Je ne vois que les Twinrova pour faire ça, mais pourquoi ? Dans quel but ?
Midona prit Frambra dans ses bras pour la rassurer. Celle-ci lui agrippa le bras de douleur.
- Je reste près de toi..., lui murmura Midona.
Puis Frambra sombra, son corps se relâcha, épuisé par la douleur.
- Mettons-la dans son lit, cette aventure l'a épuisée, dit Midona à sa servante.
Après plusieurs jours de sommeil, Frambra ouvrit enfin les yeux.
- Te revoilà parmi nous.
Frambra s'assit dans le lit et chercha la personne dans la pièce. Midona regardait par la fenêtre.
- Que m'est-il arrivé ?
- Ganondorf a ordonné aux sorcières de faire revivre ton corps, c'est pourquoi tu as ressenti ses douleurs.
Frambra se regarda de peur d'avoir perdu corps.
- Ne t'inquiète pas, lui dit Midona. Il a seulement fait revivre ton corps terrestre.
- Mais comment est-ce possible ? interrogea Frambra.
- La magie noire.
- Je ne peux le laisser faire ! hurla la Gerudo.
Elle écarta les couvertures et se mit debout.
- Je me doutais bien que tu dirais cela, c'est pourquoi je suis là.
- Vous ne pouvez pas me renvoyer sur Hyrule, alors qu'est-ce que vous pourriez bien faire pour m'aider ?
- Je ne peux pas te renvoyer sous ta forme humaine.
- Comment ça ? C'est maintenant que vous me le dites ?
Midona leva la main, paume ouverte vers Frambra. A l'intérieur se trouvait un magnifique petit oiseau.
- Je vais mettre ton âme dans mon petit Shiro et je vous renverrai sur terre.
Frambra regarda la petite créature.
- C'est possible ? Je veux dire vraiment possible ? interrogea la Gerudo.
- Tu as vu mon loup, non ?
Frambra était inquiète à l'idée de se transformer en petit oiseau, aussi mignon soit-il. Midona lui avait laissé le temps de la réflexion. Elle lui avait expliqué que la transformation était irréversible, qu'il n'y avait pas de retour en arrière possible. Frambra était assise sur une chaise devant la fenêtre et regardait sans but, au loin, les âmes arriver par dizaines. Elle repensait à ce que Midona lui avait raconté à propos de son loup. Il avait été un homme il y a bien longtemps, ils avaient combattu ensemble le Fléau. Mais il n'avait pas supporté leur séparation après cette bataille. Le jeune Hylien, comme l'appelait Midona, s'était alors donné la mort pour la rejoindre, laissant derrière lui femme et enfant. Il était arrivé comme Frambra, ce n'était pas juste une âme de passage. Puis un jour, pris de remords, il avait voulu revoir son fils qu'il avait abandonné. Par amour pour lui, Midona l'avait transformé ainsi en loup, pour qu'ensemble, ils puissent se rendre sur ses terres. Malheureusement, ils n'avaient retrouvé personne, et il était revenu au Royaume du Crépuscule le coeur lourd de regrets. Il s'était isolé pendant plusieurs années, guettant les âmes qui arrivaient au pays, espérant reconnaître celle de son fils ou de sa femme. Frambra avait alors compris pourquoi le loup avait toujours l'air triste. Elle poussa un long soupir, elle voulait revoir ses amis, les aider, mais pourquoi sous la forme d'un oiseau et pas sous celle d'un loup comme celui de Midona ? Mais elle n'allait pas faire la difficile, il avait été déjà bien que la Princesse du Crépuscule lui propose cette alternative. Elle se leva et finit par rejoindre Midona qui se trouvait dans ses appartements.
- Très bien, dit Frambra debout devant la porte, les bras croisés sur la poitrine. Je suis d'accord. Même si je ne suis pas vraiment d'accord avec le choix de l'animal.
Midona se retourna en penchant la tête sur le côté. Elle regarda un long moment Frambra, puis se décida à parler.
- Bien, faisons ça de suite.
- De suite ? s'étonna Frambra.
- Nous n'avons pas une minute à perdre. Je te rappelle que le temps ici n'est pas le même qu'en Hyrule.
Midona traversa la salle et passa devant Frambra, elle lui fit signe de la suivre. Elles se rendirent toutes deux dans une petite pièce ronde au plafond haut. Les murs étaient de pierre de couleur bleu sombre. Il n'y avait pas de fenêtre. En son centre se trouvait un piédestal où flottait un fragment de cristal noir.
- C'est un fragment de magie, fit Midona.
Sur un des murs était accroché un miroir rond où l'on pouvait voir la surface onduler.
- Le miroir des ombres je présume, demanda Frambra en montrant l'objet du doigt.
- Tu es perspicace, jeune Gerudo. Mais occupons-nous de ta transformation, si tu veux bien.
Midona se saisit du cristal et demanda à Frambra de tendre sa main paume vers le haut. Celle-ci hésita un instant, puis finit par le faire. Midona claqua des doigts de sa main libre et fit apparaître le petit oiseau.
- Je vais enfoncer le fragment de magie dans ta paume et poser ensuite Shiro dans ta main. Cela risque d'être un peu douloureux.
La Gerudo n'en avait rien à faire de la douleur, elle voulait en finir au plus vite et retourner aider ses amis. Midona leva la main et d'un geste brusque lui enfonça le fragment dans la paume. Frambra ferma les yeux et inspira profondément. La douleur était vive mais supportable. Elle sentit des picotements dans ce qu'on appelait son corps, puis le noir. Elle rouvrit les yeux après ce qui lui parut quelques minutes, et rien n'avait changé autour d'elle. Puis, Midona se posta devant elle et lui tendit la main délicatement. Elle lui demanda comment elle se sentait. Frambra mit plusieurs secondes avant de comprendre que Midona n'avait pas ouvert la bouche pour lui parler et que la voix était dans sa tête.
- Te voilà transformée, tends tes ailes et envoile-toi.
Frambra agit instinctivement comme si voler était inné chez elle. Elle fit quelques tours puis se reposa sur le doigt de Midona.
- Je suis prête, je veux me rendre auprès de mes amis, dit la Gerudo.
- Je ne peux t'envoyer qu'auprès de mon loup, je n'utiliserai pas le miroir, cela est bien trop dangereux pour le moment.
Frambra était déçue, mais au moins, elle les retrouverait à un moment ou un autre.
- Bien. Ferme les yeux et concentre-toi sur ma voix. Il te suffit de penser à mon loup pour te rendre à ses côtés.
- Alors, il me suffirait de penser à mes amis pour me rendre auprès d'eux, non ? demanda Frambra.
- Malheureusement, ce n'est pas aussi facile car je ne sais pas où ils se trouvent et ma magie est limitée. Allez, fermes les yeux. Tu es prête ?
Midona claqua des doigts et Frambra sous la forme de Shiro disparut. Quand notre petit oiseau rouvrit les yeux, elle n'était pas dans la forêt, mais dans le désert. Au temple de Ganondorf plus précisément.
Cette nuit-là, après un repas succinct au campement qu'ils avaient établi au bord d'une petite rivière où quelques truites aux reflets argentés fouillaient le sol, Link fit un mauvais rêve. Il rêvait qu'il errait dans la forêt, sombre et impénétrable, complètement perdu. Il appelait à l'aide, mais personne ne lui répondait. Soudain, il se rendait compte qu'il ne marchait plus mais qu'il courait à quatre pattes. Il regardait ses mains, et celles-ci n'étaient plus humaines mais celles... d'un loup. Affolé, il bondissait dans tous les sens, au comble de la rage et du désespoir, ne sachant comment apprivoiser ce corps. Il se réveilla en sursaut, le front en sueur. Il regarda ses mains : tout était normal. Tout le monde sur le campement était plongé dans le sommeil, Hönir laissant échapper un ronflement retentissant, qui ne semblait pas gêner Mina dont la tête reposait sur l'épaule du colosse. Lovio, quant à lui, dormait paisiblement, la tête appuyée sur le tapis enroulé sur lui-même. Seule Malon manquait à l'appel, mais il ne fallut pas longtemps à Link pour comprendre où elle était : son petit chant enfantin résonnait calmement dans les bois. Il entreprit de se lever pour aller lui tenir compagnie : de toute façon, il ne trouvait plus le sommeil. La jeune fille se tenait aux côtés de la jument à la crinière étincelante, lui brossant inlassablement le crin, en chantonnant sa petite mélodie habituelle.
- Tu ne dors pas ?
Malon eut un léger sursaut.
- Oh, monsieur Link, c'est vous... Vous m'avez fait une de ces peurs ! J'ai cru que c'était encore un de ces monstres !
- Excuse-moi, je ne voulais pas te faire peur... Je peux ?
Link s'approcha pour caresser la jument. Doucement, il avança la main et laissa l'animal humer son odeur. Celle-ci poussa un léger hennissement tout en avançant le museau pour recevoir la caresse de l'Hylien.
- Elle a l'air de bien de vous aimer ! dit Malon dans un sourire radieux. Si vous voulez, vous pourrez la monter demain ! Elle a besoin de se dégourdir un peu. Depuis que nous avons dû quitter le ranch en hâte, elle ne fait que tirer notre carriole et les grands espaces lui manquent... Oh dites oui monsieur Link ! Je vous en prie, cela me ferait tellement plaisir !
Sur ces paroles, comme si elle comprenait sa maîtresse, la jument poussa un nouveau hennissement. Link lui sourit.
- Avec joie Malon, je te le promets. Je ne suis pas un grand cavalier mais, je compte sur toi pour m'apprendre ! lui dit-il dans un clin d'oeil, ce qui ne manqua pas de faire rougir la petite écuyère. Tu devrais aller te reposer, nous avons encore du chemin demain.
La jeune fille acquiesça en bâillant, et, déposant un dernier baiser sur le museau de sa monture, partit se coucher. La nuit était calme, le ciel clair, et les étoiles étincelaient au-dessus de la cime des arbres. Songeur, Link s'assit dans l'herbe aux côtés de la jument, qui lui donna un petit coup de tête affectueux.
- Alors comme ça, on part en balade tous les deux demain ? lui dit-il en lui rendant une tape affectueuse sur le flanc. J'espère que tu seras indulgente avec moi, je manque d'entraînement...
Il repensa avec nostalgie à son oncle. Comme il lui manquait... Son coeur se serra dans sa poitrine. Elfir avait été sa seule famille, il lui devait tout. Ses entraînements en sa compagnie avaient fait de lui ce qu'il était aujourd'hui : un excellent épéiste, son rêve depuis toujours, lui qui n'aspirait qu'à une chose, protéger la famille royale. Il aurait aimé être aussi bon cavalier que son oncle, si celui-ci avait pu terminer son apprentissage, si seulement...
Quelque chose remua dans les fourrés. Link sortit de sa torpeur et plissa les yeux pour mieux voir en direction du mouvement dans les buissons. Le plus lentement possible, la main au fourreau, prêt à dégainer, il se leva. Encore un tressaillement dans les branches. Avançant à pas silencieux, il s'approcha un peu plus, et d'un coup d'épée, abattit les buissons : une petite masse volante lumineuse en sortit, zigzaguant en tous sens, comme prise de court. Link eut un sursaut d'étonnement.
- Qu'est-ce que...
La petite bulle luminescente reprit ses esprits et, d'un battement d'ailes, fila à travers les arbres.
- Att... attends !
L'Hylien partit à sa poursuite. Il était bien trop intrigué pour laisser s'échapper cette petite chose. Enjambant les touffes d'herbes et les branches mortes à vive allure, écartant de ses bras les longs feuillages des arbres qui lui barraient le passage, Link s'enfonçait de plus en plus dans la forêt, surprenant écureuils et volatiles sur son passage. La petite lumière volante disparaissait dans l'obscurité, trop rapide pour lui, alors qu'il redoublait d'efforts pour la rattraper.
- Attends-moi !
Pris dans sa course folle, il ne vit pas l'épaisse écorce sombre qui tapissait la branche qui lui barrait le passage. De toutes ses forces, il la heurta de plein fouet, puis tout devint noir.
* * *
- Tu crois qu'il dort encore ?
- Et moi ! Et moi ! Poussez-vous ! Moi aussi j'veux le voir !
- Chuuut Mido, tu vas le réveiller, arrête !
- Qu'est-ce qu'il est graaaand !
- Vous croyez qu'il mange les enfants ?
- Qu'il est beauuu... on dirait un prince...
- Pff, prince des crottes korogus, oui !
- Toi, t'es qu'un jaloux de toute manière !
- Arrêtez de vous agiter autour de lui, allez ! Sortez d'ici. Je vais attendre qu'il s'éveille avant de l'emmener à l'arbre Mojo.
Les paupières de Link papillonnèrent et il revint à lui. Il eut le temps d'apercevoir un groupe d'enfants vêtus de vert qui sortaient de la pièce où il était allongé. Un instant, il lui sembla que de petites boules de lumière les accompagnait. Il se passa la main sur le front pour enlever le pansement fait avec des feuilles fraîches hachées qui avait réduit sa bosse.
- Bonjour.
Link tourna la tête pour se retrouver face à une fillette qui devait avoir dix ou douze ans au grand maximum. Ses cheveux étaient aussi verts que le feuillage des jeunes arbres. Ses grands yeux avaient la couleur de la mousse au printemps. Elle lui sourit avec chaleur.
- Qui es-tu ? Où je suis ? Et où sont mes amis ? demanda-t-il en se redressant.
- Je m'appelle Saria, je suis une Kokiri. Tu es dans notre village, au coeur des Bois Perdus.
- Mais... comment ?
- L'Arbre Mojo avait hâte de te rencontrer.
Elle tendit la main et la boule de lumière bleue qui l'avait suivi dans la forêt arriva par la fenêtre. Il remarqua alors qu'elle en avait une autre qui tournait autour d'elle.
- Il a envoyé Navi à ta rencontre. C'est une fée.
- Hey ! fit la fée en s'agitant devant lui pour lui dire bonjour.
- Une fée...
Link ne saisissait pas tout. Les fées faisaient partie des légendes, mais c'était le cas des Kokiris également et il y en avait une en face de lui.
- Tu n'étais pas censé t'assommer avec une branche, rit Saria. Navi a dû faire appel aux êtres des bois pour t'amener jusqu'au portail et t'amener ici. Heureusement, tu es léger.
Devant l'air perplexe de Link, Saria lui expliqua que les écureuils et les petits animaux de la forêt l'avaient transporté jusqu'à un passage similaire à celui qu'il avait emprunté avec Hönir pour se rendre dans le désert.
- Il y a longtemps, on dit qu'il existait tout un réseau de ces portails à travers Hyrule. La magie des Sheikah était extraordinaire d'après l'Arbre Mojo.
Elle lui tendit un bol en bois pour qu'il boive un peu. Link crut à la couleur que c'était de l'eau, mais elle était sucrée, avec un très agréable goût de noisette.
- Mes amis... Ils sont restés là-bas ?
Il n'imaginait que trop Lovio en train de s'affoler de sa disparition. Ils avaient prévu de se rendre en Firone tous ensemble et voilà qu'ils étaient à nouveau séparés.
- Allons voir l'Arbre Mojo, dit-il finalement.
Puisqu'il était là, autant ne pas traîner. Il avait beaucoup de questions pour l'Arbre Mojo. Il se levait quand Navi s'agita, tintant comme une clochette, pour lui montrer son sac à dos dans un coin de la petite maison où il avait été amené. La fée avait pensé à tout. Il aurait préféré qu'elle le laisse venir avec ses amis cela dit. Il attrapa son sac et en sortit le linge dans lequel étaient emballés les morceaux de la lame sacrée. Fay n'avait plus prononcé un seul son depuis leur rencontre. Il les prit avec lui et suivit Saria qui l'attendait à l'extérieur.
Link se dirigea d'un pas lent vers l'Arbre Mojo, en observant attentivement chaque détail de cette somptueuse forêt. Chaque brin d'herbe, chaque parcelle de terre, éclatait d'une vie et brillait du mieux qu'elle pouvait, essayant de montrer la vie qui l'habitait. Émerveillé par tant de beauté, Link marchait, et cette forêt semblait lui donner de son énergie et de sa joie, si bien que notre héros, légèrement embarrassé, marchait dans une joyeuse procession, accompagné de Kokiris, de leur petite fée, d'écureuils et autres petits animaux. La troupe arriva dans un tumulte qui faisait trembler la forêt de son chant si allègre. Leur petite parade s'arrêta au pied, ou plutôt aux racines d'un gigantesque arbre. Link n'en avait jamais vu de tel. C'était un arbre très grand, digne de faire pâlir les séquoias et épais comme dix du plus gros arbre que vous auriez vu dans votre vie. Il semblait sage et plein de bons conseils, comme un papi. Deux trous faisaient office d'yeux, un entrelacs de branches s'approchait de ce qui pouvait être un nez. Une sorte de creux sous le nez ressemblait à une bouche. Pour compléter le tout, un épais feuillage et de la mousse masquaient le "menton" mais Link tendait à croire que c'était sa barbe.
Les animaux s'arrêtèrent, saluèrent Link de la manière la plus joyeuse qui puisse exister et repartirent. Seuls deux Kokiris et leur fée restèrent. Enfin, dans un craquement, Link eut l'impression de voir la bouche de l'arbre bouger. Il regarda une seconde fois et vit avec surprise que ce n'était que son imagination. Il sentit un vent lui chatouiller les joues et la seconde suivante, une voix grave, la plus profonde et la plus sage que Link n'eut jamais entendue, résonna et prononça ces paroles :
- Le Héros, le Héros... il est là... cela fait si longtemps... j'ai attendu le temps qu'il fallait. Viens Fils de la Terre, approche-toi de moi.
Link s'exécuta. Il marcha sur les racines pour s'approcher de l'arbre. Il se tenait à quelques centimètres du tronc, qui était brun, épais et légèrement craquelé.
- Fils de la Terre... aurais-tu une épée brisée dans ton sac ?
- En effet, vénérable Arbre Mojo.
- Un chevalier ne doit jamais avoir sa lame brisée. Cependant, celle-ci est particulière. Elle t'a été remise dans cet état. Ses coups sont d'une très grande puissance. Malheureusement on ne peut l'utiliser que quatre fois avant qu'elle ne se remette en léthargie pendant un moment, le temps de se régénérer.
- Très bien. Comment puis-je la réparer ?
- Il faudra une liste d'ingrédients bien précise. Mettre le tout à reposer au clair de lune pendant 21 jours et y plonger l'épée ainsi que la poignée. Le lendemain elle sera prête.
- Merci, et quels sont les ingrédients ?
L'arbre chuchota les paroles :
- Une larme d'une jeune fille, un éclat d'étoile, un morceau de monstre grenouille, une racine de mandragore, une écaille de dragon. Il faudra faire bouillir et ensuite faire ce que je t'ai dit, Fils de la Terre.
- Ô Arbre Mojo, pourquoi chuchotez-vous ?
- Mon fils, sache que même dans cette forêt, cachée par les bois des rêves, il existe le mal. Il peut surgir à n'importe quel moment pour s'emparer de l'épée et la réparer. Il l'utilisera à de mauvais desseins. Sois toujours prudent dans tes paroles.
- D'accord, Arbre Mojo. Je réparerai la lame. Une simple question... pourquoi est-elle dans cet état ?
- C'est une autre histoire. Si tu y tiens, va voir le grand hibou.
Link partit, les deux Kokiris qui avaient écouté la conversation sans vraiment le vouloir l'accompagnaient. Saria était l'une des deux Kokiris. L'autre était un garçon d'à peu près son âge, avec l'air renfrogné. Ses cheveux étaient d'un vert sapin et ses yeux très sombres, presque noirs. Ils l'accompagnèrent jusqu'à une petite cabane plus loin. La décoration était simple, un perchoir, un bol et une petite table. Rien de plus. Sur le perchoir se tenait un hibou plus grand que Link. Il somnolait et quand arrivèrent les trois amis de vert vêtus, il ouvrit un oeil. Il les jaugea du regard avant de déclarer d'une voix monotone :
- Partez... sauf toi l'Hylien. J'ai des histoires à raconter.
Saria chuchota à Link de s'enfuir car les histoires du Hibou étaient terriblement ennuyantes. Link éclata de rire et reprit son sérieux juste après. Les Kokiris le laissèrent finalement seul avec le Hibou qui reprit la parole.
- Assied-toi, tu risques de le regretter sinon.
Link s'exécuta.
- Donc, cela commence à des temps immémoriaux, à l'époque de la déesse Hylia. Elle vint en Hyrule, désigna un héros pour combattre l'incarnation du Mal...
Link commençait à fatiguer. Son attention fut reprise quelques phrases plus tard :
- ... c'est alors qu'elle lui forgea une épée, une épée extrêmement puissante. Le héros scella le Mal grâce au don de la Déesse. La paix s'installa un moment. Malheureusement, une entité mystérieuse, vêtue de noir, descendit du ciel et abattit la foudre sur Hyrule. On raconte que c'est la partie sombre de la déesse, son opposé. Elle plongea Hyrule dans le désespoir. Elle brisa la lame de ses éclairs, la rendant inutilisable. La déesse prisonnière du pouvoir de son double, ne put qu'envoyer alors un descendant du héros...
Link n'écoutait plus, il se distrayait grâce à un cloporte sur le sol.
- ... et enfin, Hyrule fut une contrée paisible.
Link se leva d'un bond.
- Merci, mais... je dois y aller.
- Très bien. As-tu bien écouté ?
- Oui.
Link avait failli répondre trop rapidement et dire non. Enfin, il sortit de la cabane. Le soleil se couchait et la forêt aussi. L'atmosphère était dorée et chargée de lumière. Link récupéra son sac et demanda son chemin pour repartir. Saria se proposa pour l'aider. Elle le guida aisément à travers le labyrinthe de troncs effrayants et de fougères que formait la forêt. Elle s'arrêta à la lisière.
- Continue tout droit sans jamais t'arrêter. Tu traverseras le portail et rejoindras tes amis. Au revoir Héros.
- Merci, Saria. Au revoir.
La petite Kokiri se mit sur la pointe des pieds et déposa un baiser sur la joue de Link qui se sentit rougir. Saria lui confia Navi, la fée qui avait de l'affection pour Link. Après l'avoir remercié, le héros vêtu de vert et sa fée partirent tout droit sans se retourner.
* * *
Link quittait le Village Kokiri, sortant d'un tunnel fait d'un tronc d'arbre géant évidé, Navi voletant doucement à ses côtés. Il s'engageait sur un pont suspendu sur lequel poussait du lierre à profusion et de jolies petites fleurs multicolores. Il espérait qu'en respectant les instructions de Saria, il retrouverait rapidement Lovio et Hönir. S'il sortait des bois et trouvait la rivière, il pourrait en suivre le courant et trouver le relais qu'avec ses amis, ils auraient dû atteindre avec Mina et Malon. Il imaginait sans peine la tête d'Hönir en apprenant la longue liste d'ingrédients qu'il leur faudrait récupérer pour réparer l'Epée de Légende. En vérité, il s'était attendu à tout autre chose. En tant qu'apprenti du forgeron, Link avait pensé devoir travailler un ou plusieurs minerais particuliers, peut-être même incroyablement difficiles à trouver, voire cachés au fond d'une grotte ou d'un de ces temples dont parlaient les légendes. Au lieu de cela, ils allaient se mettre en quête de choses un peu étranges, comme un morceau d'un monstre-grenouille ou une écaille de dragon. Mais où allaient-ils bien pouvoir trouver cela ? Peut-être que Saharshala pourrait les aider ? De toute façon, ils n'avaient pas le choix : ils devaient réparer l'épée. L'épée ! Link s'arrêta net en se rendant compte que l'Arbre Mojo ne lui avait pas remis les morceaux manquants ! Il fit aussitôt demi-tour en courant, suivie par Navi.
- Hey ! fit la fée à plusieurs reprises.
- Je sais, mais on a oublié quelque chose d'importent ! répondit le jeune homme sans s'arrêter.
Il déboula en vitesse dans le Village Kokiri et chercha Saria du regard.
- Saria !
- Qu'est-ce que tu fais encore là, l'adulte ?
Devant lui se tenait Mido, les poings sur les hanches, le menton levé fièrement. Link le reconnut : il l'avait accompagné jusqu'à l'Arbre Mojo avec Saria.
- Où est Saria ? Il faut que je retourne voir l'Arbre Mojo. Mido, toujours campé solidement sur ses pieds, le regarda en silence.
- Tu me rappelles bien trop quelqu'un, toi, fit-il finalement dans un soupir mi-agacé, mi-nostalgique. Tu lui veux quoi à l'Arbre Mojo. Tu as déjà oublié ce que tu dois rapporter ?
- Non, mais lui, il a un peu oublié de me donner le reste de l'épée, chuchota-t-il en se rappelant les mises en garde du vénérable de la forêt.
Mido comprit aussitôt et lui fit signe de le suivre.
- Un peu de compréhension. Le Vénérable Arbre Mojo est très ancien.
Link se retint de peu de demander si cela signifiait qu'il lui arrivait de perdre la tête. Cela aurait été lui manquer de respect. Il ne fallut pas longtemps à Mido pour le ramener auprès de Saria. Après de brèves explications, la petite Kokiri emmena Link auprès de l'Arbre Mojo à nouveau.
- Le Héros, le Héros... il est là... cela fait si longtemps... j'ai attendu le temps qu'il fallait. Viens, Fils de la Terre, approche-toi de moi, dit le Vénérable une fois qu'il fut devant lui.
Link fronça les sourcils en l'entendant lui répéter les mêmes paroles qu'un peu plus tôt. Il jeta un oeil à Saria qui lui fit signe de ne pas faire attention.
- Fils de la Terre... aurais-tu une épée brisée dans ton sac ?
- Heu... oui, vénérable Arbre Mojo, hésita Link qui sentait qu'ils allaient répéter la même conversation.
- Un chevalier ne doit jamais avoir sa lame brisée, reprit l'Arbre de sa voix profonde. Cependant...
- Excusez-moi, Vénérable Arbre Mojo, mais...
- Hum, bromm... fit l'arbre en se raclant la gorge, un peu contrarié d'avoir été interrompu.
Il leva les morceaux d'écorce qui lui servaient de sourcils et fixa de ses gros yeux l'Hylien à ses pieds.
- Oh... Héros... As-tu déjà trouvé les ingrédients ?
- Non, Vénérable Arbre Mojo, je vais me mettre en quête, mais ne devriez-vous pas me remettre la garde et le pommeau de l'Epée de Légende ?
- Hum, bromm... Bien sûr. Ils t'appartiennent.
Le vent se leva dans les hautes branches du Vénérable et Link resta interdit en voyant le Vénérable ouvrir grand la bouche.
- Il t'invite à entrer, lui souffla Saria en lui désignant l'ouverture.
Link était perplexe. Cela avait quelque chose de dérangeant de devoir entrer dans l'Arbre Mojo lui-même. Il n'hésita cependant pas longtemps, il ne fallait pas traîner. Il avança donc jusqu'à l'ouverture béante qui servait de bouche à l'arbre gigantesque. A peine était-il entré que des torches s'allumèrent, éclairant un couloir qui allait en s'élargissant. L'atmosphère sentait l'humus, les champignons et le bois. Il se retourna, mais Saria était restée à l'entrée. Seule Navi l'avait accompagné.
- Hey ! recommença-t-elle en le guidant droit devant. Ils n'eurent pas à aller loin.
Sur un autel de bois ressemblant à une grosse souche reposaient le pommeau et la garde de l'Epée de Légende. Link s'y précipita et les effleura des doigts. Les morceaux de la lame dans sa sacoche se mirent à briller.
- Maître Link... entendit-il très faiblement.
- Encore un peu de patience, Fay. Je vais te réparer très bientôt, murmura-t-il en retour.
Link prit la poignée en main. Elle était lourde, mais parfaitement adaptée à sa poigne, comme si elle avait été faite pour lui. Il la rangea avec le reste puis ressortit de l'Arbre Mojo qu'il remercia.
- Oh, je voulais vous demander, dit Link alors qu'ils allaient repartir. Vous auriez un indice pour trouver le monstre-grenouille ? Et la larme de la jeune fille, cela fonctionnera avec n'importe quelle jeune fille ?
L'Arbre Mojo referma la bouche et haussa ses gros sourcils.
- Un monstre-grenouille ? Hum, bromm...
Il se plongea dans une si intense réflexion que Link crut qu'il s'était rendormi.
- En quoi un monstre-grenouille t'aidera ?
- Mais... c'est vous qui l'avez dit : une larme de jeune fille, un morceau d'un monstre-grenouille, un éclat d'étoile, une écaille de dragon et une racine de mandragore, expliqua Link en comptant sur ses doigts en tentant de faire taire son agacement.
- J'ai dit cela ?
A nouveau, l'Arbre Mojo se tut longuement avant de dire :
- Mais pourquoi t'aurais-je donné la recette ultra secrète de l'engrais que j'ai mis des siècles à élaborer ?
Saria laissa échapper un léger rire qu'elle ravala aussitôt en voyant l'expression de Link. Elle n'avait pas pu s'en empêcher bien que la situation ne soit vraiment pas drôle.
- Alors, pouvez-vous me dire comment reforger l'épée ? demanda Link en restant calme.
- Hum... et bien, n'es-tu pas forgeron ? Ou était-ce l'un des héros précédents, ça ?
- Si, si, je suis bien forgeron.
- Il te faudra te rendre sur les terres bénies des trois Déesses : la terre aride de Din, celle engloutie de Nayru et le sommet perpétuellement soufflé par les violentes bourrasques de Farore. Là-bas, tu trouveras les minerais sacrés : alzanine, aquanine et smaragdine.
Link hocha la tête. On entrait dans un terrain qu'il connaissait.
- Donc, on oublie la larme de la jeune fille et le reste.
- Non, mon jeune ami. Les larmes de jeune fille sont toujours un ingrédient indispensable, quelque soit la recette magique. Il y a tant de magie en elles... Mais seules celles de la réincarnation de la Déesse Hylia pourront rendre toute sa puissance à ton épée. Si tu en utilises d'autres, l'Epée de Légende ne sera efficace que peu de temps.
Link fut ravi de la précision : il y avait donc un moyen pour que le pouvoir de l'épée ne faiblisse pas au bout de quatre coups. Il remercia encore l'Arbre Mojo et quitta les lieux.
- Cette fois, ce sont des adieux, fit Saria en le ramenant à l'entrée du village.
- Peut-être, oui.
Elle lui sourit, puis mit ses mains dans le dos, se balançant d'un pied sur l'autre. Sans hésiter, il déposa un baiser sur son front, puis quitta les lieux. Il espérait que l'Arbre Mojo n'avait rien oublié de lui dire. Le plus urgent était de retrouver ses amis. Ensuite, ils pourraient décider tous ensemble de la marche à suivre et dans quel ordre se rendre chez les Gorons, les Piafs et les Zoras.
Hönir et Lovio avaient fouillé tout le petit bois où ils avaient fait halte à la recherche de Link, en vain. Dire qu'ils étaient inquiets était peu dire. Ils avaient remarqué que les affaires de Link avaient disparu avec lui, mais ils n'arrivaient pas à croire que leur ami soit parti seul pour les Bois Perdus. Quelque chose s'était passé, mais quoi ?
Ils n'avaient pourtant pas eu le temps de traîner plus longtemps sur les lieux de leur campement, Malon ayant repéré au loin un groupe de Bokoblins. Se promettant de revenir ici dès que possible, Hönir avait décidé d'éloigner Mina et sa fille le plus possible du danger et ils avaient repris leur route. Lovio avait eu du mal à partir, mais étrangement, le tapis ne semblait pas inquiet pour Link. Après plusieurs heures de voyage, le chariot et ses occupants quittèrent enfin les plaines, passant un pont de bois au-dessus d'une rivière. Il ne leur fallut pas trop de temps pour trouver d'autres êtres humains escortés par un petit groupe de soldats qui sécurisaient les lieux. Hönir fut tenté de laisser là Mina et Malon, mais il respecta la promesse de Link et les conduisit jusqu'à un campement de réfugiés qui s'était construit autour d'un de ces relais équestres qui ponctuaient les longs trajets sur les routes d'Hyrule. Lovio fut le premier à y arriver. Il atterrit avec son tapis qui s'enroula aussitôt pour se couler sous son bras.
- Hey ! M'sieur client, je vous reconnais ! Z'avez trouvé la Grande Fée ?
- Oh, monsieur le marchand ! Comme on se retrouve ! Oh, je suis désolé pour l'autre fois, s'excusa Lovio en se frottant l'arrière de la tête, un peu gêné d'avoir secoué Terry aussi fort au bazar.
- Ooooh, passons à autre chose, si vous l'voulez bien...
Terry, en bon professionnel, ne souhaitait pas tenir rancoeur à quelqu'un pouvant se révéler un futur client. Ses mains claquèrent sur la boîte en bois qu'il avait sur les genoux, ce qui en déclencha l'ouverture, dévoilant certaines de ses marchandises.
- Cherchez-vous un article en particulier, m'sieur client ? Ou préférez-vous vous délester de quelque objet ?
Lovio n'eut pas le coeur de lui dire qu'il ne voulait rien acheter et examina les articles. Il avait de très beaux scarabées. De son côté, Hönir avait parqué le chariot avec les autres, suivant les ordres des soldats qui protégeaient le camp de réfugiés. Le relais avait été assailli par les habitants de la citadelle fuyant l'invasion des armées de son frère. S'étaient ajoutés ceux des fermes de la plaine envahie par les Bokoblins et les spectres en armure. Un véritable village de tentes de fortune s'était alors levé tout autour du relais. Le Gerudo n'était pas à l'aise au milieu des victimes de la soif de conquête de son frère. Dès leur arrivée, il avait préféré dissimuler son visage sous une capuche et une écharpe, ne voulant surtout pas causer d'ennuis à Mina et sa fille, ni déclencher un mouvement de panique. Il ne comptait de toutes façons pas rester ici plus longtemps que nécessaire.
- Vous voilà en sécurité, fit-il à Mina en l'aidant à descendre du chariot.
Son regard croisa le sien et il le détourna aussitôt, toujours aussi intimidée par la jeune femme. Celle-ci posa ses mains sur les siennes une fois à terre.
- Faut-il déjà nous séparer ?
Mina comprenait bien qu'Hönir devait se mettre à la recherche de Link, sans compter l'histoire avec son frère, mais elle n'avait pas vraiment envie qu'il parte.
- Mina, je...
Elle lui sourit, ce qui lui fit louper un battement de coeur, et mit son index sur sa bouche dissimulée par son écharpe.
- Je sais. Mais avant que vous partiez, laissez-moi regarder vos blessures une dernière fois.
- Très bien, capitula-t-il après un silence. Mais d'abord, nous devons nous occuper d'Impa.
Mina hocha la tête, retrouvant un visage plus grave.
- Je vais voir si je trouve un prêtre, dit-elle en s'éloignant.
Hönir n'était pas certain que cela soit une obligation pour enterrer la malheureuse, mais il ne dit rien. Il grimpa dans le chariot et s'occupa de resserrer la couverture dans laquelle ils avaient emballé le corps sans vie de la vieille femme. Il fronça le nez sous l'odeur qui s'en dégageait : il était vraiment temps de faire quelque chose.
- Tu vas partir ? demanda soudain Malon dont la petite tête auburn apparut à l'arrière du chariot.
- Nous devons retrouver Link et nous avons des choses à faire, répondit-il sans la regarder.
Les enfants le mettaient toujours un peu mal à l'aise, il ne savait pas comment gérer leurs questions. Et si Malon était déjà grande, elle était la fille de la femme qui lui tournait les sangs et le rendait complètement pataud...
- Tu vas revenir voir Maman ?
Cette fois, le colosse ne sut que répondre. Il se concentra sur les liens de la couverture qu'il avait déjà resserrés. Tout plutôt que d'affronter les petits yeux de la gamine qui le scrutait avec attention.
- Je crois qu'elle aimerait bien que tu reviennes. Tu l'as déjà embrassée ?
- Malon... écoute... vous allez partir d'ici pour un endroit plus sûr. Peut-être que ton papa vous attend quelque part.
- Ça, ça risque pas : il est mort depuis longtemps.
Hönir la regarda enfin. Elle avait posé sa tête sur ses bras appuyés sur le bord du chariot. Elle le fixait de ses grands yeux et il ne savait comment interpréter son regard. Mina n'avait rien dit de son époux et il n'avait pas posé la question. Il n'en avait pas tellement eu l'occasion de toute façon. Mais il devait avouer que savoir qu'il n'y avait pas d'autre homme dans la vie de Mina était satisfaisant. Il se traita de tous les noms de penser ainsi alors que la jeune femme avait perdu son mari et Malon son père.
- Hönir ?
La voix de Mina les interrompit au grand soulagement du Gerudo. Il remit son écharpe en place et sortit la tête du chariot. La mère de Malon revenait avec une jeune femme de l'âge de Lovio et Link, habillée tout en bleu.
- Voici Célès. Elle est la nièce d'un prêtre.
- Bonjour. Mon oncle est malheureusement occupé avec les blessés. Je vais m'occuper de rendre un dernier hommage à votre défunte.
Hönir hocha la tête. Il prit le corps d'Impa dans les bras avec respect et le sortit du chariot.
- Nous avons improvisé un cimetière de l'autre côté de la route, fit Célès en les entraînant à sa suite.
Il ne fallut pas longtemps pour déposer Impa à sa dernière demeure. Des tombes fraîches étaient alignées dans un champ. De nouvelles étaient déjà creusées. Hönir serra les dents. Tous ces morts... Son frère n'était peut-être pas encore le Banni, mais il était déjà un fléau, c'était certain. Un vieux fossoyeur du nom d'Igor l'aida à mettre le corps en terre, puis le recouvrit de terre. Célès récita les prières adéquates. Alors que Mina et Malon se recueillaient en silence, le Gerudo sortit son couteau et grava le nom d'Impa dans une stèle de bois qu'il planta à la tête de la tombe. Puis, ils retournèrent tous au campement. Célès en profita pour leur apprendre que les soldats avaient décidé d'évacuer les réfugiés d'ici deux jours pour les mener plus à l'est, loin des plaines, en sécurité, puis les laissa pour retourner à ses tâches.
- Resterez-vous au moins cette nuit ? demanda Mina au Gerudo.
Celui-ci jeta un oeil à Malon qui s'occupait des chevaux. Elle aurait tellement voulu que Link fasse galoper Epona comme il l'avait promis.
- Nous devons repartir à la recherche de Link, répondit-il finalement.
- Le tapis a l'air de penser qu'il n'est plus dans les plaines, intervint Lovio en réapparaissant, un sac bien rempli en travers de son épaule et sa bourse bien plus plate qu'à son arrivée au campement.
- Le tapis "pense" ?
- Bien sûr que le tapis pense, fit l'Hylien en posant son fardeau.
Le tapis qui l'accompagnait hocha les pompons pour approuver les dires de son ami. Il s'agita comme s'il essayait de dire quelque chose à Hönir.
- Il dit que Link n'est pas en danger.
Le tapis approuva encore une fois et désigna une direction de son pompon doré.
- Et là, il nous indique la direction de Firone. Je ne sais pas comment, mais Link doit être là-bas.
Hönir renonça à comprendre. Il espérait simplement que Lovio et son tapis ne se trompent pas.
- Nous repartirons demain matin, à l'aube. Sois prêt sinon je pars sans toi.
- On y va en tapis ? demanda Lovio avec une innocence qui n'en était pas vraiment.
Hönir le foudroya du regard et désigna le cheval noir qu'il avait récupéré à leurs assaillants.
- Moi, je monte à cheval.
- Bien sûr.
La conversation s'arrêta là et Hönir fila s'occuper de son nouveau cheval. La soirée finit par arriver, puis la nuit. Mina avait préparé le meilleur repas qui lui était possible avec les provisions qu'elle avait dans le chariot et quelques épices achetées par Lovio. Ils dînèrent dans une bonne ambiance malgré la situation. Malon finit par aller se coucher dans le chariot, épuisée, et Lovio se trouva un coin à proximité avec le tapis.
- Hors de question que vous alliez dormir sans que j'aie vu vos blessures, fit Mina à Hönir maintenant qu'ils étaient seuls.
Le Gerudo sentit ses joues s'empourprer, mais il ne se hasarda pas à refuser. Il ôta sa chemise et laissa Mina faire. La jeune femme posa ses mains sur le dos d'Hönir et il sentit une décharge lui parcourir le corps à ce contact. Elle ôta le pansement pour vérifier la plaie causée par la flèche qui lui était destinée et qu'il avait arrêtée sans se poser de question. Elle y appliqua un onguent de sa composition, puis refit le bandage.
- Hönir, je...
Elle avait murmuré si bas qu'il ne fut pas sûr qu'elle ait bien parlé. Il attendit qu'elle continue, mais le silence s'installa. A la place, il sentit les mains de Mina parcourir lentement son dos, comme si elle en détaillait chaque muscle, chaque cicatrice. Le corps du Gerudo était taillé pour le combat. Son père l'avait entraîné, et après sa disparition, il avait continué, seul, en cherchant souvent la bagarre, que ce soit contre des monstres ou des Hyliens faciles à provoquer. Il avait ensuite continué avec Frambra. A cette pensée, il regarda ses mains. De larges mains de guerrier. Comme celles de son frère. Comme si elle avait su qu'il pensait à cela, Mina attrapa le visage d'Hönir pour lui basculer la tête en arrière et qu'il puisse la regarder. Avec douceur, ses pouces caressaient ses joues mal rasées. Elle ne souriait pas, elle semblait étrangement tendue. Il connaissait l'éclat de son regard, il l'avait déjà vu chez d'autres femmes. Cette fois, cela lui colla une boule dans la gorge. Il n'osait plus bouger alors que cela ne lui ressemblait pas. Il était totalement captivé par les yeux de Mina. A sa grande déception, elle rompit le contact. Il se tétanisa quand elle s'assit sur ses genoux. Elle attrapa une de ses mains pour mêler ses doigts aux siens et de l'autre revint caresser son visage, observant les moindres détails comme si elle souhaitait le graver dans sa mémoire. Puis, elle lui sourit doucement et il eut très chaud. L'instant d'après, il ne fut plus en état de réfléchir : Mina venait de sceller ses lèvres aux siennes.
* * *
- Debout là-dedans !
Lovio fut brutalement tiré du sommeil par le pied d'Hönir qui entrait dans ses côtes. Il se réveilla en baillant, puis s'étira de tout son long.
- On s'en va.
Lovio eut à peine le temps d'avaler un peu de pain et de fromage qu'Hönir faisait déjà ses adieux. Il adressa quelques mots à Malon et Mina, puis grimpa sur son cheval. Lovio n'eut d'autre choix que de faire de même, sautant sur le tapis volant avec leurs bagages. Alors qu'ils s'éloignaient en direction de la forêt de Firone, il fit de grands gestes en direction de leurs nouvelles amies, leur souhaitant une bonne continuation et leur promettant de retourner les voir. En tête, Hönir ne se retourna pas une seule fois. Il avait fait ses adieux à Mina à leur réveil et il n'était pas doué pour ce genre de choses. Sans s'en rendre compte, il esquissa un sourire au souvenir de la nuit qu'ils avaient passée ensemble. Il ne regrettait rien, mais maintenant, il fallait se concentrer sur leur quête. S'il voulait protéger l'avenir de Mina et de sa fille, il devait retrouver Link, reforger l'épée de Légende et affronter son frère une bonne fois pour toutes.
Ce texte a été proposé au "Palais de Zelda" par un groupe d'auteurs (voir plus haut). Les droits d'auteur (copyright) lui appartiennent.