L'ascension d'un prodige
Code d'honneur du chevalier :
3. Il est fidèle à la parole donnée ; elle ne peut, ni ne doit être mise en doute.
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- Je n'ai pas besoin de tes services, aujourd'hui. Tu es congédié pour la matinée, dit Zelda à l'adresse de son chevalier servant, non loin des appartements royaux.
Sur ce, elle le laissa, lui et son incompréhension, au milieu du couloir. La princesse pouvait enfin se sentir libérée de sa présence et être plus à son aise. Au moins, avec Cassius à ses côtés, elle pourrait avoir une conversation et oublier pour quelques heures son statut de prêtresse royale. Elle le retrouva sur leur lieu de rendez-vous et tous deux ne perdirent pas un instant. Mais Link ne pouvait pas se permettre de la laisser sortir sans escorte... Il prit la liberté de les suivre de loin en surveillant constamment les alentours.
Il vit notamment Zelda tenter de décrypter les mots gravés sur le sanctuaire. Quel étrange édifice... Link se demandait bien quelle était la raison de sa présence. Nul ne pouvait entrer dedans, alors à quoi bon ? Sa surveillance se serait parfaitement déroulée si Cassius n'avait pas fini par le remarquer. Le bleu vif de sa tunique semblait l'avoir trahi parmi les hautes herbes. La princesse fut révoltée par ce comportement : se faire suivre de la sorte, c'était... d'un irrespect ! Elle n'avait pas les mots pour qualifier cela. Zelda ne se priva pas pour réprimander son chevalier servant à propos de ses précédents ordres : il devait rester au château et non la suivre. Elle fit remonter cela à son père, qui ne manqua pas de lui souligner que c'était le devoir de Link de la protéger et qu'il n'avait ça que pour son bien.
De plus, le roi lui reprocha son insouciance et lui rappela maintes fois qu'elle se devait de prier au lieu de jouer les chercheuses. Cela n'était pas digne d'une princesse. Zelda n'osa point répliquer. Elle se sentit bien honteuse vis-à-vis de Link. Toutefois, elle aurait préféré qu'il s'en tienne à son congé. Son père ne manqua pas de lui faire remarquer que le capitaine de la garde avait toutes les cartes en main pour lutter contre le retour du Fléau, contrairement à elle qui n'arrivait pas à exploiter le pouvoir qui dormait en son sein. Zelda le savait... L'atout de Link dont il parlait était bien la Lame Purificatrice. À elle seule, elle reflétait toutes les capacités et le talent du prodige. Quant à la princesse, elle se sentait le total opposé...
Dorénavant, la prêtresse royale ne daignait même plus lui adresser la parole. Elle savait très bien qu'elle heurterait un mur. Elle ne lui parlait que pour lui donner des injonctions ou des indications. Zelda commença aussi à penser qu'il marchait plusieurs mètres derrière pour se faire oublier. Et depuis son entrevue avec son père, dès que la jeune fille voyait l'épée de légende, un terrible sentiment de honte l'accablait et lui rappelait à quel point elle n'était pas à la hauteur.
Un matin, la princesse fit un étrange rêve. Ou plutôt, elle ne saurait dire si c'était un cauchemar. Dans son songe, elle se voyait courir au milieu d'une prairie, comme si elle fuyait quelque chose. La peur se lisait sur son visage. Mais un individu la tenait par la main et l'entraînait dans sa fuite. Tout était si flou... Elle n'apercevait pas son visage. Seulement le bleu de son vêtement. Puis pendant quelques instants, ce fut un trou noir dans son esprit. Il n'y avait plus que des plaintes et de puissantes détonations. Quand la vision lui revint, Zelda tenait l'individu dans ses bras et le suppliait de ne pas la laisser seule. Bien qu'elle ne vît pas son visage, la princesse sentit à travers son songe que tous deux s'échangeaient un regard d'adieu.
Zelda se réveilla en sursaut, le front en sueur et le souffle court. La peur qu'elle venait de ressentir faisait vivement battre son coeur dans sa poitrine. La jeune fille ne comprit pas comment elle avait pu faire un tel songe. Et le bleu de cette tunique... Elle le reconnaîtrait entre mille. L'Hylienne fronça les sourcils en se rallongeant, ne sachant pas pourquoi son chevalier servant avait figuré dans son rêve. Pourquoi avait-elle été aussi affectée alors qu'il commençait peu à peu à l'insupporter ? Cela n'avait pas de sens. Zelda n'aimait pas ça.
Elle voulut oublier ce cauchemar pendant sa toilette matinale mais elle ne cessait d'y songer. Cela la perturbait bien trop à son goût. Si bien que, quand elle trouva Link en train de l'attendre comme à son habitude, elle le renvoya aussitôt en prétextant qu'elle n'avait pas besoin de ses services pour la journée. Mais bien sûr, le chevalier continuait de la suivre, de loin. Finalement, Zelda lui demanda de revenir auprès d'elle. Cela l'agacerait moins. Ainsi suivie de près par le chevalier, Zelda se dirigeait vers la sortie du château. Elle avait prévu de prier à la cathédrale dans l'espoir que sa situation s'améliore. Link fut mis au courant et se tint davantage sur ses gardes. Dans la citadelle, tout le monde pouvait être suspect. Alors qu'ils traversaient une cour, un chevalier messager arriva en courant et tendit une lettre à la princesse après l'avoir saluée.
- Un courrier provenant du village Goron, Votre Altesse, lui annonça le preux qui ne tarda pas à s'éclipser rapidement.
Cela intrigua Zelda qui s'empressa de lire les quelques lignes. Ce n'était pas dans l'habitude des Gorons d'écrire sur du papier... En temps normal, celui-ci prend feu à cause des températures extrêmes.
- C'est une lettre de Daruk, expliqua-t-elle à Link sur un ton neutre. J'ai l'impression qu'il a du mal à maîtriser sa Créature Divine...
Elle leva le regard vers lui mais se reporta bien vite sur la lettre, peu à l'aise.
- J'essaierai de lui rendre visite la semaine prochaine. J'ai déjà tant à faire pour les prochains jours...
Et sur ces mots, elle reprit la route sans tarder. Dignement, Zelda marchait d'un pas soutenu et se dirigeait vers l'un des bâtiments qui permettaient de quitter le château. Par pure bienveillance et courtoisie, Link pensa qu'ouvrir la porte à la fille du roi lui épargnerait un effort supplémentaire. Le jeune homme la dépassa alors, ce qui surprit Zelda, puis il lui ouvrit la porte. La blonde fronça les sourcils et croisa les bras, irritée.
- Tu n'es pas un domestique, que je sache, souligna-t-elle sans cacher son agacement. Et je suis tout à fait capable d'ouvrir une porte.
Zelda passa l'ouverture sans même lui accorder un regard, ce qui blessa profondément le chevalier. Lui qui pensait bien faire... Silencieusement, il lui emboîta le pas en scrutant discrètement les alentours. Link ignora royalement les deux jeunes nobles qui se moquaient de lui, non loin de là. Dans le couloir, il dévisageait chaque domestique ou garde qui marchait en sens inverse. Son regard suspicieux, voire froid, les rendit mal à l'aise et effraya même quelques bonnes femmes. Zelda ne tarda pas à remarquer leur étrange réaction à son passage et elle se retourna, les sourcils froncés, pour constater que c'était bien dû à son chevalier servant.
- Eh bien ? Qu'est-ce qu'il vous prend, aujourd'hui ? lui demanda la princesse avec agacement. Si vous n'êtes pas d'humeur, il fallait accepter votre congé.
Elle l'observa dans l'espoir de le voir rebrousser chemin mais Link resta impassible et immobile. Zelda retint difficilement un soupir et continua sa route en optant une allure rapide. Par Hylia, elle n'avait pas besoin d'un chevalier servant tel que lui. Elle était bien capable de se débrouiller seule. La blonde n'avait jamais eu besoin d'aide jusque-là. Quant à Link, il fut désolé que son comportement soit mal interprété. Mais il ne faisait cela que pour mener à bien sa mission...
Ils quittèrent enfin les murs du château puis s'engagèrent sur le chemin menant jusqu'à la citadelle. Il y avait du monde dans les rues, certains habitants se pressaient pour se rendre au marché de la place centrale et préparer leur repas. Bien évidemment, la princesse ne passait pas inaperçue aux yeux de tous. Chacun la saluait à sa manière en veillant toujours à rester humble devant elle. Les Hyliens lui offraient tous des sourires, ce que remarqua Link. Mais surtout, lorsqu'il la vit parler avec gaieté à une mère et son fils, Link vit bien qu'elle avait grand coeur et qu'elle était très proche de son peuple. Zelda était une bonne personne qu'il se devait de protéger. Seulement... il aurait voulu comprendre pourquoi la princesse et lui s'entendaient moyennement.
En vérité, le chevalier comprenait très bien ce qu'elle pouvait ressentir. La princesse portait elle aussi un lourd poids sur les épaules, l'environnement du château ne cessait de le lui rappeler. Cela la rendait peut-être anxieuse. Tous deux parvinrent à la cathédrale et la prêtresse royale alla prier devant la statue de la déesse, dans une zone qui lui était exclusivement réservée. Link patientait dehors. Il observait des enfants jouer, ou même des charrettes transporter des marchandises. Le temps n'était pas si mauvais, quelques oiseaux se plaisaient à entonner leurs airs favoris. Deux jeunes femmes nobles sortirent de l'édifice religieux en lançant quelques regards indiscrets derrière elle.
- Je n'arrive pas à croire qu'elle n'ait toujours rien invoqué, chuchota l'une d'elles. Célestine m'a dit qu'elle passerait essentiellement ses journées à vagabonder de droite à gauche.
Son amie tiqua en replaçant correctement les cheveux.
- Ses privilèges lui sont montés à la tête, répliqua-t-elle froidement avec un certain mépris. Elle pense peut-être que tout se fera seul ?
Les femmes remarquèrent la présence de Link et eurent des frissons de peur, notamment car il les fixait. Elles pensèrent immédiatement qu'il les sermonnerait et qu'il les maudirait pour leurs paroles, mais rien de tout cela se produisit. Elles accélèrent silencieusement et disparurent quelques instants plus tard. En vérité, leur discussion avait déstabilisé Link. Il avait rarement entendu de tels propos contre la princesse. C'était bien la première fois... Mais étaient-elles seulement au courant ? Et si cela s'avérait être le cas... Ce devait être très dur pour la princesse.
Le jeune homme se retourna et passa la tête à l'intérieur de la cathédrale pour regarder la princesse. Elle priait avec calme et pudeur, les mains jointes et la tête baissée. Pour Link, il n'y avait aucun doute : elle se donnait corps et âme pour accomplir sa mission. Il la regarda avec une certaine tristesse puis reprit son poste. Le prodige regrettait de ne pas être traité comme les passants. Lui aussi espérait que leur relation s'améliore. Peut-être qu'en se faisant oublier quelque temps, cela irait mieux ?
Quelques jours passèrent pendant lesquels Zelda n'hésita pas à faire le moindre reproche à son chevalier servant. Selon elle, Link n'adoptait jamais le bon comportement. Mais loin de se décourager, ce dernier persistait dans ses efforts. Tant qu'il assurait son rôle... Tous deux se rendirent ainsi sur la Montagne de la Mort car Daruk avait quelques difficultés à diriger Vah'Rudania. Zelda trouva par ailleurs le voyage interminable, enfermée dans le mutisme de son compagnon de route. La princesse sentait son regard posé sur elle dès qu'elle tournait la tête pour observer le paysage. Une certaine angoisse la tiraillait par moments. Peut-être qu'en faisant part de ce ressenti à son père, celui-ci ordonnerait à Link de suivre moins souvent sa fille.
Arrivés à un certain niveau du volcan, ils durent prendre un remède ignifus pour parvenir à surmonter la terrible chaleur qui régnait. Au village Goron, les deux jeunes gens saluèrent Daruk et ils partirent en direction de la Créature Divine, à une centaine de mètres de là. Link put l'admirer pour la première fois et même monter dessus. Mais quand il voulut suivre la princesse dedans...
- Je n'ai pas besoin de ton aide pour effectuer mes recherches, trancha froidement Zelda qui s'empressa d'entrer sans prendre le temps de voir sa réaction.
Link, impuissant, resta immobile devant l'entrée de la Créature Divine, sous le regard déconcerté de Daruk. Le prodige goron ne comprenait pas bien la situation. La dernière fois qu'ils les avaient vus, la princesse n'avait pas ce comportement avec Link, pourtant... Elle paraissait distante, certes, mais pas aussi sèche.
- Viens, p'tit gars, lui intima Daruk en essayant de sourire. Je vais te montrer quelle vue on a de là-haut !
Il pointa le dos de Vah'Rudania, et Link hocha la tête en signe d'accord. Ils y furent en quelques minutes, pendant que Zelda mettait en route l'immense machine. Effectivement, la vue était splendide, donnant sur une partie du volcan et sur les lointaines terres du royaume, verdoyantes. Link, agréablement surpris, éprouva de l'admiration pour son pays natal et toutes ses richesses. Raison supplémentaire pour protéger Hyrule du retour de Ganon. Le jeune homme ne pouvait pas se permettre de le laisser détruire un tel trésor naturel. Daruk, à côté, se léchait les babines face à tous ces délicieux rochers qui l'entouraient. Cependant, à cause de l'habituel mutisme de Link, il perdit un peu de son enthousiasme et l'assimila à l'attitude de la princesse.
- On m'a toujours dit que la princesse n'avait pas un caractère facile, même si elle est très tournée vers les autres peuples.
Le Goron se gratta l'arrière de la tête tandis que Link l'observa calmement.
- Elle m'a l'air tout particulièrement sévère avec toi... C'est bien la première fois que je la vois comme ça, réfléchit Daruk qui essayait de trouver une explication. Tu es un gars sympa, je ne pense pas que tu lui aies porté préjudice.
Link fit un léger "non" de la tête. Jamais il n'aurait fait une telle chose. Daruk finit par hausser les épaules. Décidément, il y avait bien des choses qu'il ne pouvait expliquer.
- Tu sais quoi, p'tit gars ? Avant-hier, alors que je pilotais Vah'Rudania, un bloc de pierre massif s'est détaché du mont de la mort ! lui apprit Daruk en fronçant les sourcils. Heureusement que j'avais mon bouclier pour me protéger... Mais tu peux me croire : ce n'est pas un phénomène normal.
Il croisa les bras en acquiesçant.
- C'est certainement dû à cette saleté de Ganon. Il n'est toujours pas apparu mais il saccage déjà mes belles caillasses. C'est insupportable.
Daruk fit des moulinets avec son bras pour montrer qu'il était prêt au combat.
- Il va voir de quel bois je me chauffe ! s'exclama-t-il avec détermination. Tu peux compter sur moi.
Le vieux prodige donna une petite tape amicale dans le dos de Link, ce qui manqua pourtant de lui briser la nuque. Daruk sourit de toutes ses dents.
- Tu vas lui donner la raclée du siècle, pas vrai p'tit gars ? Toi, tu vas en faire qu'une bouchée de ce Ganon !
Le ventre du chevalier se tordit et sa poitrine sembla se compresser. Bien sûr, Link opina pour le lui affirmer. Mais une fois de plus, il savait toute l'importance de son devoir et toutes les conséquences qui pouvaient en découler.
- Oh, et puis ne t'inquiète pas pour la princesse, rajouta finalement le Goron en souriant plus sereinement. Tout finit par s'arranger, tu sais ? Enfin j'imagine... Ce serait dommage qu'elle en vienne à te détester.
Les yeux de Link s'agrandirent légèrement et son visage afficha un certain effarement. Aussitôt, Daruk regretta ses paroles et tenta de se rattraper, en vain. La princesse en personne finit par les rejoindre et annonça au pilote qu'elle avait effectué quelques modifications pour que les manoeuvres soient plus faciles pour lui, ce qui le ravit tout particulièrement. Il était hors de question qu'il se laisse distancer par les autres prodiges ! Zelda lui offrit un sourire pour le rassurer et ce simple geste marqua l'Hylien. Il se demandait si un jour, lui aussi aurait droit à un sourire de sa part. Quelle que soit la raison.
Quelque part, tapis dans l'ombre, un individu méditait sur son futur plan. Tout semblait parfait pour lui. La situation ne pouvait être meilleure. D'après ses espions, la relation entre la Princesse et ce satané héros serait déplorable. Bien... en détruisant leur lien, leur élimination ne serait que plus simple. Il n'était pas encore l'heure de passer à l'action, même si le grand jour approchait à grands pas. Un peu de patience et tous les efforts seraient récompensés... Il n'y a que dans la précipitation que nous échouons.
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Allongé sur son lit dans sa chambre du château, Link fixait le plafond sans vraiment y prêter attention. Une heure plus tôt, la princesse s'était de nouveau énervée contre lui car il n'avait pas répondu à sa question. Ou plutôt, il n'avait pas osé répondre... Pour le jeune homme, il n'en avait pas le droit. De plus, il ne savait pas quelle réponse donner devant autant de monde autour. Zelda l'avait donc renvoyé sans ménagement, terriblement vexée par ce qu'elle considérait comme de l'insolence et du mépris.
Peut-être devait-il en parler à Impa ? Elle pourrait lui donner quelques conseils, ou explications. Que faisait Link de mal ? Ses yeux se plissèrent légèrement et il quitta machinalement son matelas pour se rendre dans le couloir où l'air y était frais. Ses pas résonnaient entre les murs humides. Quelques minutes plus tard, alors qu'il s'apprêtait à monter un escalier, Link entendit la conversation de deux hommes, plus haut, qui attira son attention.
- Tu ne croiras jamais ce que je vais te dire, dit l'un des gardes royaux à son compagnon qu'il venait de rejoindre. Il y a à peine une heure, j'étais chargé de surveiller la salle du trône avec d'autres camarades. Figure-toi que la princesse est venue demander audience au roi.
L'autre homme ricana.
- Cela ne devrait pas être bien compliqué, c'est sa fille.
- Oui, mais écoute la suite, le pria son compagnon. Comme tu le sais, le prodige hylien est son chevalier servant.
- Le type qui ne parle jamais avec ses airs froids ?
Le premier garde hocha la tête et poursuivit. En les sentant se rapprocher, Link se cacha dans un coin sombre pour écouter jusqu'au bout. Il ne saurait dire pourquoi, mais le jeune homme avait un mauvais pressentiment.
- La princesse a dit à son père qu'elle n'avait plus besoin de ses services et qu'elle pouvait bien se débrouiller seule.
Le souffle de Link se bloqua en entendant cela. Co... comment ?
- Pis, enfin pis... Elle aurait même demandé à changer de chevalier servant si son père tenait tant à ce qu'elle soit protégée.
- Je la comprends, renchérit l'autre garde alors qu'ils arrivaient en bas de l'escalier. Le roi a accepté ?
Son compagnon lui affirma que la demande avait été rejetée et que la conversation fut close dans les secondes suivantes. L'expression de la princesse aurait fait peine à voir, d'après ses dires. Tous deux s'éloignèrent et changèrent de sujet. Quant à Link, il restait adossé au mur glacial, la tête baissée et le visage sombre. Oh, il avait très bien compris le message, oui. Zelda tentait de le rejeter par tous les moyens. Elle ne voulait pas de lui. Même les autres gardes royaux ne semblaient pas le porter spécialement dans leurs coeurs. Silencieusement, Link fit demi-tour et se dirigea vers la salle d'armes pour y faire la seule chose où il était bon : s'exercer à l'épée. Et comme une traînée de poudre, la nouvelle à propos de la demande de la princesse se propagea parmi tous les gardes royaux, puis les chevaliers. Le prodige le sentait bien, il était épié de partout. Et pour s'en protéger, il n'avait que son expression impassible.
- Link ! l'appela une voix derrière lui qu'il ne connaissait que trop bien.
Ne sachant pas s'il éprouvait réellement de la joie, Link se tourna vers son ami et le vit arriver seul. Conrad n'était pas accompagné de Gautier, ce qui était plutôt étonnant. Le jeune homme replaça la Lame Purificatrice dans son fourreau et attendit que le brun arrive à son niveau. Bien entendu, Conrad avait eu vent de la nouvelle mais il ne venait pas pour demander confirmation. Non, il venait en aide à son ami. Enfin... il voulait l'aider indirectement, à sa manière.
- Hum... si tu es libre, on pourrait s'acheter une crêpe au miel à la citadelle ? lui proposa Conrad en espérant que son ancien camarade accepte.
Le blond le fixa un long instant sans bouger. Son coeur s'était un peu allégé suite à la proposition de Conrad, une personne sur qui Link pouvait toujours compter. Il accepta donc et ils partirent pour la citadelle, chez l'un des meilleurs crêpiers. Ils s'assirent ensuite à une table et purent déguster leur goûteux dessert.
- Gautier est parti voir sa fiancée, lui apprit Conrad. Il devrait revenir d'ici une semaine. Ce chanceux... Tu sais comment ils se sont rencontrés ?
Link fit non de la tête, attentif. Le brun croisa les bras.
- Dans un relais, vers le plateau du Prélude. Gautier m'a dit qu'il avait eu le coup de foudre.
Conrad claqua la langue en se grattant nerveusement les cheveux. Il ne croyait pas en ce genre de choses. Quoi qu'il en soit, les deux amoureux avaient passé plusieurs jours ensemble pour apprendre à se connaître.
- Ah ! La fois où il est revenu et qu'il m'a dit qu'ils s'étaient fiancés, je ne l'ai pas cru !
Le simple chevalier rit puis prit une bouchée de sa crêpe.
- Un de ces jours, si tu es en permission, nous pourrions partir pour la forteresse d'Akkala. Ils proposent une formation de canonnier. Ça pourrait peut-être nous aider, pour plus tard. Tu en penses quoi ? lui demanda-t-il en effectuant des moulinets avec sa fourchette.
Link haussa les épaules. Jamais il n'avait été intéressé par les canons, même si c'était des armes redoutables à longue portée. Le capitaine de la garde se reporta sur son plat et se plut à le finir, ravi de le manger. Conrad, par pure sympathie, lui rappela qu'il pouvait toujours lui parler de ses problèmes.
- T'es un bon gars, Link, le rassura son ami en souriant. N'en doute jamais, d'accord ? N'écoute pas ce que les autres peuvent dire sur toi. Ils ne sont pas à ta place, ils ne te comprennent pas.
Le blond baissa la tête vers son assiette.
- Merci, Conrad... murmura-t-il, soulagé par ses paroles.
Son ami ne put s'empêcher de sourire et fut content d'avoir pu lui venir en aide. Il décida donc de lui payer une autre crêpe. Ce n'est pas ça qui allait le ruiner, non plus ! Et ça lui faisait plaisir, donc Conrad n'avait rien à perdre.
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Il serait presque inutile de préciser à quel point la princesse fut froide et distante avec son chevalier les jours qui suivirent. C'est à peine si elle lui accordait un regard. Pourtant, un matin, elle le congédia et partit avec Cassius pour inspecter un sanctuaire récemment découvert par des voyageurs. Cela fit bien rire le poète sheikah qui avait assisté à ce renvoi. Ils partirent pour l'ouest, sans escorte. Link trouva cela aberrant, surtout que les Yigas pouvaient entrer en action n'importe quand. Au moment où il s'apprêtait à en faire part à Impa, le roi en personne vint trouver le jeune prodige et lui ordonna sur-le-champ de rejoindre sa fille malgré son congé.
Sans plus attendre, Link sella son cheval et partit au galop en espérant qu'il ne se soit rien passé. Au loin, il discernait la colline sur laquelle la princesse se serait rendue, et le jeune homme poussa une exclamation pour que son cheval accélère. Durant un long instant, il imagina même que Cassius pourrait être un Yiga infiltré. Cependant Link se reprit rapidement. S'imaginer les pires scénarios ne le mènerait nulle part. Zelda avait déjà pris beaucoup d'avance, alors il fallait la rattraper au plus vite. Ce ne fut qu'une heure plus tard que Link parvint enfin aux colonnades antiques. Devant le sanctuaire, Zelda inscrivait ses observations sur un petit carnet pendant que le poète essayait de déchiffrer d'anciennes écritures. Quand elle entendit un cheval arriver au galop, la princesse se retourna, étonnée, puis fronça les sourcils en reconnaissant le chevalier. Cassius leva les yeux et observa ce qui allait se passer. Link sauta à terre et accourut vers la blonde, soulagé de constater qu'il n'y avait rien à signaler.
- Je peux savoir ce que tu fais ici ? lui demanda sèchement Zelda en croisant les bras. Il me semble t'avoir demandé de rester au château car je n'avais pas besoin de toi.
L'expression impassible du prodige manqua de la faire grimacer mais réussit à accroître son agacement. Il n'y avait que le roi pour lui envoyer ce garçon.
- Peu importe que tu sois aussi sous les ordres de mon père, continua-t-elle en le regardant durement. J'en ai assez que tu me désobéisses de la sorte. Tu penses sûrement avoir toutes tes libertés avec moi ?
Face à son silence, elle planta ses doigts dans ses bras pour ne pas éclater. Mais contenir sa colère semblait bien plus dur que prévu.
- Retourne au château, je n'ai pas envie de te voir.
Zelda tourna les talons pour revenir vers le sanctuaire. Mais lorsqu'elle entendit des pas la suivre, sa colère monta d'un cran et signa le début de son explosion. Brusquement, elle se retourna, plus qu'énervée, et déversa sa mauvaise humeur sur le pauvre chevalier.
- Cesse de me suivre ! cria Zelda en serrant les poings, ce qui fit sursauter Cassius derrière. Ne comprends-tu donc pas ce que je te dis ?! Je n'ai pas besoin de ta protection, ni même de ta présence ! Comment pourrais-je être plus claire, dis-moi ?!
Link ne répondit pas et garda la même expression faciale pour éviter de montrer son incompréhension et le fait qu'il se sentait vexé. La princesse s'approcha à grands pas de lui, ce qui le fit un peu reculer pour garder des distances convenables. Mais tout ce qu'il faisait pour essayer de respecter le titre de la princesse ne faisait qu'augmenter la colère de cette dernière.
- Je te somme de me répondre, pour l'amour d'Hylia ! s'écria Zelda, hors d'elle. Pourquoi est-ce que tu ne daignes pas m'adresser la parole ? Tu penses sûrement que ton titre de prodige et de héros, élu des déesses, te permet de me snober de la sorte ?
L'air déconcerté de Link ne l'atteint même plus ; Zelda attendait des explications de sa part. Mais comme d'habitude, rien de vint. Seul Cassius osa intervenir afin de la calmer, pour le bien de tous.
- Votre Altesse, ne vous emportez point ainsi... la pria-t-il d'une petite voix. Toutes ces recherches vous ont fatiguée, nous devrions rentrer.
Zelda offrit un dernier regard noir à l'Hylien puis finit par soupirer pour se reprendre.
- Tu as raison, Cassius, dit-elle en rangeant son carnet dans sa sacoche. Quant à toi...
Elle ne prit pas la peine de faire face à Link et le dépassa.
- Je ne veux plus te voir, déclara la princesse d'une voix glaciale.
La bouche du jeune homme s'entrouvrit, il se sentit comme foudroyé par ses derniers mots qui portaient atteinte à son devoir même. Son coeur se serra désagréablement, signe que Link était profondément blessé. Ce rejet fut pour lui le plus violent de toute son existence. Et le pire était qu'il n'en comprenait pas les raisons. Zelda monta sur son cheval et appela Cassius, resté figé à quelques mètres du prodige. Pour la première fois, le poète regarda Link d'un air désolé et vint poser une main sur son épaule.
- Tu devrais attendre un peu avant de partir, lui conseilla-t-il à voix basse.
Link hocha lentement la tête et l'observa s'éloigner puis disparaître avec la princesse. Pour lui, c'était dur. Terriblement dur, même... Comme si tout venait s'opposer à lui juste parce qu'il avait retiré une épée de son socle.
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Assis sur le lit de sa chambre, Link nettoyait silencieusement le fourreau de l'Épée de Légende. L'ambiance qui régnait était pesante. Depuis la veille, il ne cessait de repenser aux paroles de la princesse. Tout tournait en boucle dans son esprit, comme pour le blesser davantage. Le jeune homme avait beau faire tous les efforts du monde, rien ne fonctionnait. Il commençait peu à peu à perdre espoir. Quelqu'un frappa doucement à sa porte puis un garde royal fit son apparition en tenant un petit paquet dans ses mains.
- Un colis de votre père, annonça-t-il d'une voix monotone.
L'homme ne laissa pas le temps au jeune capitaine de réagir, il alla de lui-même déposer le paquet sur le bureau puis il sortit sans rien ajouter. Link posa doucement son fourreau sur le côté, quitta son matelas puis se dirigea vers la table, le coeur lourd. Ses parents... Ils lui manquaient tellement... Ne pas être autorisé à les voir représentait pour lui une punition injustifiée. Le roi en avait-il vraiment pris la décision ? Comment pouvait-il séparer un enfant de sa famille ? Le blond déglutit avec difficulté, la gorge sèche.
Dorénavant seul dans sa chambre, il resta immobile de longues minutes en fixant le vieux colis. Finalement, il approcha sa main, déballa ce que son père avait amené au bureau de la Garde et découvrit un portrait miniature où figuraient sa mère et Karl, joliment orné pour l'occasion. Une perle d'eau tomba à côté suivie de plusieurs autres, incontrôlables. Link s'essuya maladroitement les yeux et dut s'appuyer sur la planche de bois pour éviter de s'asseoir. Pour lui, c'était la goutte de trop. Les rejets de la princesse, ses devoirs, l'absence de sa famille, l'amour de sa mère... Le prodige ne put s'empêcher d'éclater en sanglots bien que ça ne lui ressemblait pas. Mais il n'y avait qu'ainsi que sa peine pouvait être extériorisée. Link s'essuya les joues en reniflant puis contempla ces deux visages connus et aimés après s'être assis. Face à tant de beaux souvenirs qui lui revenaient en mémoire, il posa une main sur ses yeux et se retint de fondre encore plus en larmes. Sur le lit, son épée émit un bruit qui ne le tira pas de son chagrin mais capta son attention.
- Ne vous laissez pas abattre, Maître, le pria l'esprit de la Lame Purificatrice.
Ce fut tout ce qu'elle dit mais cela suffit à calmer légèrement Link. Cette voix qui résonnait dans sa tête avait raison. Peu importe ce qu'il arrivait, le héros devait aller jusqu'au bout de sa mission. Il ne pouvait pas se laisser emporter ainsi... Link accomplirait son devoir. Et une fois que tout serait fini, il rejoindrait sa mère et son père pour participer à la sécurité d'Elimith, et surtout pour s'excuser de sa longue absence.
Code d'honneur du chevalier :
4. Il ne se bat pas par la pointe de l'épée mais par la force de son esprit chevaleresque.
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J'ai été odieuse avec lui... Voilà ce qu'écrivit Zelda dans son journal, une fois sa colère dissipée. Elle s'était bien trop emportée contre le prodige et avait versé sur lui toute sa frustration due à sa condition actuelle. Mais au moins, la princesse avait été franche. Et sans qu'elle ne sache comment, Impa vint la trouver pour lui parler de sa dernière entrevue avec son père.
- Vous allez trop loin, déclara la Sheikah avec fermeté. Vous savez à quel point il est dangereux pour vous de sortir sans escorte par les temps qui courent.
Assise à son bureau dans son étude, Zelda détourna le regard, presque honteuse. Elle le savait bien... Tout ce que la jeune fille désirait était d'être escortée par des personnes différentes.
- Vous devriez lui demander pardon, lui suggéra Impa en fixant une tour à travers la fenêtre.
- Après tout ce que je lui ai dit, je pense qu'il ne veut plus me voir.
Sa nourrice croisa les bras, mécontente.
- Pensez-vous que c'est une raison valable pour ne rien faire ? Il y a bien des façons de s'excuser, répliqua-t-elle en cherchant le regard de la princesse. Une lettre de votre part pourrait très bien faire l'affaire. Songez-y.
Impa la salua puis quitta l'étude dans l'espoir que Zelda réfléchisse à cette dernière discussion. Mais la blonde décida de reporter cela car elle avait déjà bien trop à faire. Elle devait se rendre à la source du Courage une fois de plus puis au désert Gerudo pour effectuer des recherches sur la source d'énergie de Vah'Naboris. La princesse réunit donc une escorte pour la conduire jusqu'au lieu de prière, puis elle entama ce nouveau voyage. En quittant les murs du château, elle avait vu Link qui l'observait s'éloigner, au loin. Le message n'en avait été que plus clair pour lui. Il ne la suivait plus.
Link savait qu'il ne reverrait pas la prêtresse royale avant une bonne semaine car elle partirait directement pour la Cité Gerudo après la source du Courage. Puisqu'il bénéficiait de quelques jours libres, le prodige rendit visite à son amie d'enfance Mipha, au plus grand bonheur de cette dernière. Elle le trouva pourtant plus fermé que lors de la cérémonie d'intronisation. Il fut évident pour la Zora que Link venait de vivre quelque chose de difficile, mais elle ne sut quoi. Et quand elle apprit à son ami la présence d'un lynel sur le mont de la foudre, ce dernier n'hésita pas une seconde pour l'éliminer avec une aisance déconcertante. Au moins, les habitants du domaine ne seraient plus effrayés. De plus, Sidon, le jeune frère de la princesse, éprouva davantage d'admiration pour lui. Plus tard, il voulait l'égaler ! Dans quelques décennies, certainement...
Pourtant, Mipha finit par demander à Link de retrouver la princesse même si elle était déjà escortée. Sa place demeurait auprès d'elle, peu importe sa volonté. La Zora put constater la légère hésitation qu'il éprouva, mais le jeune homme finit par approuver et ne tarda pas à partir pour le désert Gerudo. Cependant il appréhendait grandement les conséquences de sa "désobéissance".
o O o
- C'est terrible, Urbosa... prononça Zelda d'une petite voix à côté d'une des pattes de la Créature Divine. Depuis quelques temps, il me suffit de voir la Lame Purificatrice pour... pour que je me dise que je ne suis toujours pas prête.
La princesse déglutit en baissant les yeux.
- Et cela depuis que mon père y a fait allusion. Il m'est arrivé de ne pas supporter de l'apercevoir.
- Vous ne devriez pas y prêter attention, Madame, essaya de la rassurer Urbosa en posant une main sur son épaule. Je crois profondément en votre pouvoir, il ne tardera pas à se manifester, j'en suis persuadée.
La Gerudo lui sourit chaleureusement mais Zelda ne sut faire de même. Elle n'avait que trop entendu ces mots... Son titre et son père ne cessaient de lui mettre la pression malgré ses vains efforts. Ses recherches ne semblaient pas avancer non plus. Au loin, à l'horizon, elle vit alors une tache bleue se former et se rapprocher peu à peu. Zelda plissa les yeux afin de mieux voir et finit par soupirer.
- Oh non... fit-elle en tournant le dos à Link. Il est quand même venu.
Urbosa leva les yeux vers lui et fut, au contraire, soulagée de le voir car il avait plus d'étoffe que les quelques chevaliers venus avec la princesse. Justement, ceux-ci patientaient à l'ombre, non loin de là. Ils parlaient simplement entre eux, sans même surveiller les alentours. La suzeraine des Gerudos attendit que le prodige soit à leur hauteur pour s'adresser à lui :
- Bonjour, Link, le salua-t-elle avec joie. Je ne savais pas que tu devais nous rejoindre.
Zelda, sans le regarder, s'éloigna et poursuivit ses études en oubliant sa présence. Son attitude déconcerta Urbosa qui remercia tout de même le jeune homme pour son déplacement. Il représentait un bon moyen de dissuasion pour les Yigas. La guerrière alla voir l'escorte et la renvoya d'elle-même auprès du roi hylien car leurs services n'étaient plus utiles. Elle revint ensuite vers Link.
- La princesse ne va pas tarder à aller analyser le sanctuaire près de notre cité, lui annonça Urbosa en jetant un coup d'oeil à la jeune fille accroupie à une quinzaine de mètres de là. Pour ma part, je vais rester ici pour piloter Vah'Naboris.
La Gerudo reporta son attention sur lui.
- Tu sauras me trouver en cas de problème.
Elle lui accorda un clin d'oeil rassurant auquel Link répondit par un hochement de tête. En voilà un jeune voï, à cheval sur son devoir ! Ce n'était pas le cas de tous. Il lui paraissait simple et humble, contrairement à certains chevaliers ou gardes royaux.
Une trentaine de minutes plus tard, Zelda et son chevalier servant partirent en direction de la cité, plongés dans un silence encore plus lourd qu'habituellement. Pour elle, nul doute que Link lui en voulait terriblement pour ses mots crus. Et puis ce n'était certainement pas le moment pour revenir dessus. Son embarras fut si vif qu'elle préféra mettre au point un stratagème pour se soustraire rapidement à sa présence. De son côté, Link avait attaché ses cheveux en un chignon pour lui procurer un peu de fraîcheur au milieu de ce sable brûlant. Il regrettait de ne pas avoir une tenue plus légère. Mais l'inconvénient serait son manque de protection suffisant.
Durant des heures, la princesse essaya d'activer le sanctuaire, sans réussite. Et lorsque la nuit tomba, elle décida de rentrer dans la cité. Bien entendu, Link ne put la suivre et cela donna quelques idées à la princesse. Enfin un lieu où elle était sûre qu'il ne pourrait pas la suivre ! Le prodige fut contraint de dormir aux portes de la ville, sous un abri et enroulé dans une couverture prêtée par Urbosa. Il dormait non loin des gardes gerudos et donc bénéficiait d'une certaine sécurité.
Mais le jour suivant, alors qu'ils se rendaient au bazar Assek, Zelda rebroussa chemin sans un mot et retourna vers la cité. Elle ne se priva pas pour rappeler à Link sa stricte interdiction d'entrer et la princesse s'évapora au sein de la ville Gerudo. Mais le chevalier n'était pas naïf. Persuadé qu'elle faisait cela dans le but de l'éviter, il resta méfiant car des ennemis de la famille royale pouvaient très bien se trouver au sein des murs. Link n'en doutait pas une seconde. Rapidement, il courut en direction de Vah'Naboris et monta à bord puisque la Créature Divine avait été immobilisée quelques instants avant son arrivée. Urbosa fut surprise de le voir si tôt dans son séjour.
- C'est... à propos de la princesse, dit soudainement Link en reprenant son souffle.
La Gerudo s'attendait si peu à ce qu'il parle qu'elle resta figée durant un long instant en se demandant si elle n'avait pas rêvé. Son questionnement s'évapora très vite puisqu'il reprit :
- Elle use des lois de votre peuple pour m'interdire de la rejoindre dans la cité. Mais elle ne peut pas rester sans surveillance.
Urbosa le comprenait bien, néanmoins les Gerudos étaient quand même des guerrières, capables de défendre et d'attaquer avec talent.
- Tu soupçonnerais qu'il y aurait des espions dans ma propre cité ? lui demanda Urbosa en mettant les mains sur ses hanches.
Il opina pour le confirmer et Urbosa dut reconnaître que ce n'était pas improbable, hélas... Mais tout de même. Elle trouvait qu'il s'inquiétait un peu trop. En pensant cela, les yeux d'Urbosa s'agrandirent et un fin sourire se dessina sur son visage. L'inquiétude de ce voï la toucha, si bien qu'elle décida de déjouer les lois de son peuple.
- Je peux te permettre de la rejoindre, mais ce ne sera pas sans... un certain sacrifice de ta part, lui promit-elle en restant sérieuse malgré son idée amusante. Je crains que tu ne doives abandonner ta dignité de voï le temps de ton infiltration. Qu'en penses-tu ?
Link ne bougea pas. Cependant, l'apparition de discrètes rougeurs sur ses joues le trahit et dévoila sa gêne. Urbosa ne put s'empêcher de rire fortement en le voyant hésiter. Mais elle se calma quand il accepta, à sa grande surprise. La suzeraine aurait juré qu'il refuserait, mais à tort.
- Bien. Laisse-moi te trouver des vêtements adéquats et tu pourras faire ton travail, lui dit-elle en souriant. Je dois avouer que tu m'impressionnes, Héros.
L'embarras du jeune homme se manifesta d'autant plus quand il passa une main sur sa nuque. Si l'enjeu n'avait pas été de taille, jamais Link n'aurait donné son accord pour se déguiser en femme. Une fois qu'Urbosa lui permit de se travestir, le chevalier put tromper les gardes et entrer dans la Cité, caché sous son voile. Pour une fois, il était soulagé d'être plutôt petit pour son âge, car son nouveau physique se rapprochait bien de celui d'une jeune fille. L'épée de légende était restée auprès de la suzeraine pour ne pas le trahir ; il l'avait remplacée par un petit sabre gerudo que lui avait prêté Urbosa. Mais malgré ses recherches, Zelda resta introuvable, volatilisée. C'était fort inquiétant... Elle ne désirait vraiment pas de lui.
Link finit par retourner voir Urbosa pour lui rendre les habits et récupérer son équipement. Il n'avait plus qu'à patienter jusqu'au retour de la princesse. Urbosa lui suggéra de séjourner quelques temps au Bazar Assek tout en lui promettant de l'avertir si Zelda revenait. Le jeune homme s'en alla alors silencieusement, le visage fermé. Le prodige gerudo ne put s'empêcher de penser qu'il cachait incroyablement bien ses sentiments, et que c'était sans doute cela qui lui faisait défaut auprès de la princesse. Certainement qu'au fond, ils partageaient quelques points en commun, tous les deux...
Comme prévu, Link se rendit au bazar et s'installa contre le tronc d'un palmier, à l'ombre. De là, il pouvait observer les quelques voyageurs appartenant à différents peuples qui venaient pour acheter des produits locaux ou vendre leurs marchandises. Finalement, c'était un lieu plutôt animé. L'Hylien soupira puis ferma les yeux avant de s'assoupir quelques minutes. Après son long périple depuis le domaine Zora, il avait bien besoin d'un peu de repos. Pourtant, Link se sentit désagréablement observé, ce qui lui fit rouvrir les yeux. En effet, à une douzaine de mètres de là, un homme le fixait étrangement en se grattant le cou. Le chevalier fronça les sourcils sans hésiter à le dévisager, mais l'inconnu tourna finalement les talons et emprunta le chemin menant vers le canyon. Link trouva cela vraiment étrange. Mais puisque l'homme s'en allait, cela n'éveilla pas plus ses doutes.
En début de soirée, l'une des gérantes du bazar, une Gerudo à la peau mate, vint le trouver pour lui remettre un courrier arrivé par pigeon voyageur. Urbosa annonçait le retour de la princesse dans la cité mais au vu de son humeur, il valait mieux pour lui de ne pas venir... Zelda serait partie pour un site de recherches mais elle n'avait obtenu aucun résultat concluant. Urbosa l'avertirait quand il pourrait venir la voir. Link replia la lettre puis la rangea dans sa petite sacoche avant de réserver un lit pour la nuit. Au moins, il n'aurait pas à dormir dehors.
o O o
- C'est inquiétant. Une de nos soeurs a vu un Yiga rôder autour de la cité, hier... dit la gérante du bazar à l'adresse d'une amie adossée au comptoir. Jamais encore l'un d'eux n'avait osé s'approcher autant.
Link, qui était en train de déguster son repas de midi non loin de là, tendit l'oreille en feignant de ne pas les écouter. Le moindre mouvement chez les Yigas restait douteux.
- Tu penses qu'ils en veulent à notre trésor ancestral ? demanda la deuxième Gerudo visiblement soucieuse. Ce ne serait pas la première fois.
La gérante croisa les bras.
- Qu'ils essaient ! À leur place, je préfèrerais ne pas terminer en charpie chez mon ennemi.
Le chevalier repensa à l'homme de la veille. Simple voyageur ? Cette pensée le titillait.
- Quoi qu'il en soit, la dernière fois qu'ils ont tenté de s'en prendre à la grande Urbosa, ils ont bien failli y laisser leur vie, se rappela la gérante en s'accoudant au comptoir. J'espère que ça leur a servi de leçon.
Link avait donc toutes les raisons de rester sur ses gardes. Ennemis directs de la famille royale, ces assassins sans scrupules n'étaient tout de même pas à prendre à la légère. S'ils parvenaient à leurs fins, les conséquences pourraient être désastreuses... Impa lui avait déjà expliqué tout ce qu'il devait savoir à leur sujet. Le prodige termina son repas puis sortit afin de s'exercer à l'épée. Il prenait chaque entraînement avec grand sérieux. Surtout, Link apprenait à maîtriser le pouvoir de la Lame Purificatrice.
Le soir venu, Urbosa fit appel à Link et le pria de la rejoindre sur Vah'Naboris. L'Hylien se rendit le plus vite possible sur la Créature Divine en espérant que tout aille bien. Une fois à l'intérieur, il chercha la suzeraine dans toutes les salles puis il finit par sortir pour vérifier si elle n'était pas dehors. Effectivement, Urbosa se trouvait au-dessus de l'une des pattes de l'immense chameau, accompagnée de la princesse. En la voyant, Link ralentit son allure et se fit plus discret en comprenant que Zelda dormait. Mais il n'échappa pas à l'ouïe affinée de la suzeraine.
- Te voilà déjà ? s'étonna-t-elle en tournant la tête vers lui. Merci d'être venu si rapidement.
Urbosa lui accorda un sourire.
- Tu n'es pas son chevalier servant pour rien.
En signe de peine, Link haussa légèrement les sourcils et se fit violence pour ne pas regarder sur le côté. La Gerudo ne manqua pas de le remarquer, son air sérieux revint.
- Ta relation avec la princesse n'a pas l'air de s'améliorer, on dirait... dit-elle doucement. J'en suis désolée. Elle t'a rejeté, n'est-ce pas ?
Link baissa la tête et opina.
- Oui... murmura-t-il difficilement.
Le prodige gerudo le dévisagea avec tristesse puis reporta son attention sur la jeune fille. Peut-être qu'en lui parlant un peu d'elle, il comprendrait ? Urbosa apprit au chevalier que Zelda avait travaillé sur les reliques du matin jusqu'au soir, presque sans pause. D'où le fait qu'elle soit si exténuée à l'heure qu'il était.
- Tu sais, malgré les apparences, la princesse a un grand coeur, ajouta Urbosa en replaçant une mèche de cheveux à sa jeune amie. Elle ne souhaite que le bonheur et la survie de son royaume. Depuis son plus jeune âge, je la vois se battre pour accomplir son destin, en vain... À force d'efforts non récompensés, elle a peu à peu commencé à perdre son estime et sa confiance en elle.
Link, derrière les deux femmes, regarda la prêtresse royale avec empathie. La suzeraine ne faisait que confirmer ce qu'il soupçonnait.
- La princesse, lors de ses sessions de prière aux différentes sources, est obligée de se plonger dans l'eau glacée durant des heures, poursuivit Urbosa qui fixait l'horizon. Combien de fois en est-elle ressortie pâle et les lèvres violettes ? Ma chère amie a toujours prié avec ferveur. Sa détermination se ressent aussi lors de ses recherches.
La rousse hocha la tête.
- Elle est très investie. Mais... quand elle te voit, maître de la Lame Purificatrice et voï prodigieux dans l'art du combat, la princesse ne peut s'empêcher de se comparer à toi.
Les épaules du jeune homme s'affaissèrent. Il n'y avait jamais songé.
- Toi, tu es prêt à te battre. Mais elle... sans son pouvoir éveillé, elle ne peut rien faire. Les recherches sont devenues sa dernière solution pour venir en aide à son peuple.
Link détourna la tête, affecté par ses paroles, et ses poings se serrèrent faiblement. Tout ce travail de la part de Zelda, personne ne le remarquait. Pas même le roi... Au final, même lui, son propre chevalier servant, n'avait perçu qu'une infime partie de ce qu'elle faisait vraiment. Urbosa constata le trouble du jeune homme et s'empressa de le rassurer.
- Bien sûr, ce n'est pas de ta faute. Ne te méprends pas.
La guerrière regarda Zelda avec une tendresse presque maternelle.
- Derrière son titre de princesse se cache une jeune fille pleine de qualités, en quête d'elle-même, lui affirma Urbosa en caressant la joue de sa protégée. Même si les temps sont durs entre vous deux, ne perds pas espoir et continue de la protéger.
Elle se tourna vers Link et lui sourit chaleureusement, ce qui sut alléger le coeur du jeune homme.
- Pour le moment, la princesse ne sait pas à quel point elle a de la chance de t'avoir à ses côtés. Elle mérite que tu sois son chevalier servant.
Ses mots surent gonfler le coeur du jeune capitaine d'un espoir naissant, mais aussi d'une certaine fierté. Link savait qu'un grand nombre de chevaliers auraient aimé être à sa place, pour la gloire et l'honneur. Mais ce n'était pas son cas. Le regard qu'il portait maintenant sur Zelda avait changé puisqu'il commença à éprouver de l'admiration pour cette jeune fille qui multipliait ses efforts afin de venir en aide à son royaume. Tous deux avaient le même objectif. Mais les efforts de Link, eux, avaient fini par payer, contrairement à ceux de la princesse.
- Je t'ai demandé de venir pour tu ne lui en veuilles pas trop, lui avoua la rousse avec sérénité. Seul un cercle restreint de personnes la comprend.
Urbosa tourna de nouveau la tête vers le blond et lui offrit un sourire encourageant.
- Alors ce ne serait pas une mauvaise idée que tu en fasses partie, toi aussi.
Link fixa la Gerudo un long instant, pensif, puis finit par acquiescer pour donner son approbation. Urbosa le remercia sincèrement et le laissa repartir silencieusement. Elle resta toute la nuit aux côtés de sa tendre amie et veilla sur son sommeil, comme le ferait une mère envers sa fille.
o O o
Deux jours plus tard, la veille de son départ, Zelda avait usé d'un nouveau stratagème pour se libérer de Link. Elle avait feint une nouvelle fois de rentrer dans la cité Gerudo, mais la princesse était rapidement ressortie par la porte est. Elle réussit à contourner le capitaine de la garde et partit pour un site de recherches : les sept héroïnes. Au moins, elle ne ressentait plus de l'irritation, ses conditions de travail seraient donc meilleures.
Les pas de l'Hylienne s'enfonçaient dans le sable malgré le chemin tracé par les centaines de voyageurs au fil du temps. Au milieu de cette immensité qui s'offrait à elle, Zelda appréciait la liberté et le calme de cet environnement. D'une certaine manière, rien ne lui rappelait sa condition de princesse. Elle était comme une jeune fille ordinaire, sans impératifs. Bien sûr, ce moment de tranquillité s'arrêterait dès que Zelda reprendrait ses recherches. Rien qu'à cette pensée, cela la fit soupirer. Combien de temps encore lui restait-il avant le retour du Fléau ? La prêtresse royale craignait le pire... Qu'elle ne soit pas prête.
Zelda avait dépassé le Bazar Assek depuis longtemps déjà et se dirigeait maintenant vers l'est, en dehors du sentier. Il commençait à faire chaud, la chaleur étouffante se fit davantage ressentir. La princesse décida de retirer son vêtement bleu pour ne rester qu'en chemisier et bustier. Loin devant elle se dessinait déjà les immenses statues des héroïnes. Peut-être y trouverait-elle des indices supplémentaires sur les anciens combats contre Ganon ? Des indications qui pourraient la guider. La blonde entendit comme un froissement à côté d'elle et qui l'intrigua aussitôt. Sa tête se tourna vers la source du bruit et elle découvrit trois cercles orangés se tracer sous ses yeux. Sous l'horreur, ses pupilles se rétractèrent et la peur lui paralysa les jambes. Trois Yigas apparurent devant elle, tenant fermement leur serpe coupe-gorge.
- Terrible erreur de votre part, Princesse, se moqua l'un d'eux en s'approchant.
Les lèvres de la jeune fille frémirent et, instinctivement, elle se précipita en direction du canyon où se trouvait le relais le plus proche. Son rythme cardiaque avait littéralement explosé dans sa poitrine, tous ses sens étaient en alerte.
- Ne tentez pas de nous échapper ! lui cria un des assassins tandis qu'ils se lançaient à sa poursuite.
La panique qui s'emparait de Zelda était telle qu'elle ne prêtait plus attention à ce qui l'entourait. Elle courait si vite, fournissait tant d'efforts que son souffle ne tarda pas à siffler à chaque inspiration. La flèche qui la frôla lui arracha un cri et la fit changer de direction. Mais déjà un cercle réapparut au-dessus d'elle et un Yiga tomba lourdement sur son chemin pour la bloquer. La princesse hoqueta d'effroi et fit immédiatement demi-tour alors que les larmes lui montaient aux yeux. Une corde vint soudainement s'enrouler autour de ses jambes et la fit basculer dans le sable, laissant échapper une triste plainte de sa part. Dans la panique, Zelda rabattit ses jambes vers elle, le souffle saccadé, et tenta désespérément de retirer ces liens mortels qui la tenaient prisonnière.
Une ombre se dressa sous ses yeux et son sang se glaça quand elle vit la silhouette de la serpe s'élever. Zelda se tourna pour voir le Yiga qui la tenait à sa merci, son visage pâlit brusquement. Elle pensa alors à sa chère mère et la force parut la quitter. Inexorablement, elle ferma les yeux et détourna la tête pour ne pas voir en face la satisfaction de ce traître, cet assassin... Les trois hommes l'entouraient.
Il y eut alors une exclamation et deux lames de fer s'entrechoquèrent avec violence, suivies d'un cri de rage de la part du Yiga. Zelda rouvrit subitement les yeux et vit l'élu de la Lame Purificatrice asséner un coup de bouclier dans la tête de son ennemi, ce qui l'assomma sur-le-champ. Stupéfaite, les yeux de la jeune fille s'écarquillèrent et un étrange frisson la parcourut quand elle vit Link jeter un regard glacial aux deux autres assassins. Il se plaça entre eux et la princesse et les dévisagea durement. Il s'en doutait. Leur clan préparait un mauvais coup depuis qu'ils étaient ici. Les Yigas eurent un mouvement de recul mais l'un d'eux fit tourner son arme dans ses mains et se précipita vers Link. Les deux élus réunis ! Ils pourraient les tuer et faire d'une pierre deux coups.
Le prodige s'élança à son tour pour ne pas que Zelda soit blessée par inadvertance. Son bouclier para le premier coup avec force et déséquilibra son ennemi. Cependant, le deuxième Yiga apparut au-dessus de sa tête et lui tomba dessus, prêt à lui trancher la gorge. Link esquiva en bondissant sur le côté et contre-attaqua en lui assénant un coup en revers. Il se demanda sérieusement s'il devait ôter la vie à ces hommes, mais devant la princesse... Le Yiga sauta vivement en arrière tandis que son acolyte prenait le relais en se jetant sur le jeune homme. Il l'attaqua à maintes reprises sans ménager ses efforts. Tout se passa si vite... Zelda plaqua une main sur sa bouche pour étouffer un gémissement de peur. Mais quand elle vit le Yiga en retrait attaquer lâchement par derrière, elle manqua de crier pour avertir Link.
Ce dernier eut à peine le temps de sauter sur le côté pour l'éviter. Mais la serpe lui érafla la joue et le fit grimacer. Sa concentration au maximum, Link empoigna fermement son épée et fit une attaque circulaire en frappant les Yigas du plat de la lame. Il y mit tant de force que leurs souffles se bloquèrent et il les propulsa puissamment en arrière. Aussitôt, l'un d'eux disparut, à bout de force, tandis que l'autre se remit debout, le souffle court.
- Ne... ne pense pas que ce soit fini, Héros... l'avertit l'homme en reculant d'un pas. Nous avons déjà infiltré votre satané château, vous n'êtes nulle part à l'abri...
Il ricana et Link fronça les sourcils en se remettant en position de combat.
- Nous frapperons plus fort la prochaine fois. Soyez-en sûrs !
L'assassin bondit vers son camarade assommé et disparut avec lui dans la seconde. Le chevalier surveilla un long instant les alentours pour vérifier qu'ils étaient bien partis puis il rengaina son épée et rangea son bouclier avant de se diriger vers la princesse. Elle le regardait d'une étrange façon. Même s'il ne décela pas de la réticence ou de l'agacement à son égard, Link ne put dire ce qu'il y voyait. Il s'accroupit devant elle et défit les liens autour de ses jambes. En vérité, le jeune homme l'avait très bien vue le contourner en quittant la cité et il l'avait suivie à cause de ses nombreuses suspicions.
- Vous n'êtes pas blessée ? lui demanda-t-il soudainement sans oser la regarder.
Le souffle de Zelda se bloqua et elle se sentit encore plus perdue. Elle venait de frôler la mort mais ce garçon qu'elle rejetait depuis longtemps lui était quand même venu en aide. Et il lui adressait la parole pour la première fois. Link lui avait parlé d'une voix douce, sans mépris ou dégoût comme elle se l'était imaginé.
- Ils... ils n'en ont pas eu le temps, répondit-elle en l'observant faire.
Link, ayant fini d'enlever la corde, leva lentement les yeux vers elle et les ancra dans les siens. Zelda eut un pincement au coeur. Après tout ce qu'elle lui avait fait, comment pouvait-il la regarder avec tant d'empathie ? Tous deux étaient troublés pour des raisons différentes. Bien qu'ils aient eu peur des conséquences de cette attaque, l'un s'étonnait de l'absence de froideur, et l'autre ne comprenait pas cette volonté de vouloir la protéger. Link finit par se relever et offrit courtoisement sa main pour que l'Hylienne puisse faire de même. Zelda fut, dans un premier temps, hésitante mais finit par poser sa main au creux de la sienne. Cela créa comme une faible décharge électrique qui les prit de court mais à laquelle ils ne laissèrent rien paraître.
Zelda se releva, encore chamboulée par tous les événements, et prit une certaine distance avec le jeune homme, par pudeur. Elle se tint le bras et se mit en marche pour la cité, plongée dans un lourd silence. La blonde ne savait quoi dire car trop perturbée. Elle n'avait plus aucune envie de faire des recherches pour le restant de la journée. Inconsciemment, ses mains tremblaient en tenant son vêtement bleu. Impa avait raison. Quelle inconscience de sa part d'avoir voulu écarter l'une des seules personnes capables de la protéger...
Arrivée devant les portes de la cité, la princesse se retourna pour remercier Link mais celui-ci s'éloignait déjà pour s'asseoir sous l'abri qui lui était réservé, habitué à s'y rendre dès que Zelda entrait dans la ville des femmes. Cette dernière éprouva de la honte vis-à-vis d'elle-même et n'eut pas la force de le rejoindre. Elle alla voir Urbosa dans son palais pour lui raconter sa mésaventure et son choc qui en avait découlé.
- Mais je... je ne pensais pas que l'élu de l'épée me viendrait en aide... souffla la jeune fille en baissant la tête. J'ai été si odieuse avec lui ces derniers temps... Je pensais qu'il avait fini par me détester.
- Allons, Madame. Vous vous étiez trompée à son sujet. L'essentiel est que vous ayez compris, n'est-ce pas ? la rassura la suzeraine en souriant doucement.
Zelda opina discrètement.
- Link n'aurait jamais failli à sa mission. La Lame Purificatrice ne l'a pas choisi pour rien.
La blonde leva la tête, un peu étonnée qu'elle lui dise ça, et lui jeta un regard interrogateur.
- L'épée de légende ne choisit-elle pas automatiquement la réincarnation du héros pour ses talents d'épéiste ?
Urbosa s'accouda à son trône en fixant tendrement sa jeune amie.
- Un homme pourrait être le meilleur épéiste du monde. Mais s'il n'a pas un coeur pur, s'il a la volonté de dominer ou de tuer, il ne sera jamais élu par l'Épée, lui rappela la Gerudo en guettant sa réaction. Vous ne pensez pas ?
Zelda reconnut qu'elle avait raison et ne tarda pas à se réfugier dans la chambre qui lui avait été prêtée. Ainsi, elle put méditer sur ces paroles toute la journée. À chaque fois qu'elle se souvenait de ses durs mots à l'encontre à Link, sa honte s'accroissait et la rongeait de remords. Pendant tout ce temps, il n'avait fait que son devoir de chevalier servant et de prodige. Link n'avait rien demandé de tout cela. Comme elle, finalement... Tous deux traînaient les chaînes d'un même destin auquel ils ne pouvaient échapper. Et bientôt, l'envie de s'excuser devint beaucoup plus préoccupante. Si bien que le soir, alors qu'elle ne parvenait pas à trouver le sommeil, Zelda quitta sa couche et vérifia qu'il n'y avait personne dans les environs. La fête qui avait lieu dans l'unique bar de la ville l'empêchait aussi de dormir. Discrètement, elle se faufila le long du mur et parvint à l'entrée sud de la ville. La température avait fortement baissé et de la vapeur s'échappait de sa bouche à chaque expiration. La princesse dut alors promettre à la gardienne de nuit qu'elle n'allait pas s'éloigner de la cité et qu'elle appellerait à l'aide si cela s'avérait nécessaire.
Zelda put enfin sortir de la ville après quelques négociations. Doucement, elle longea les murs, son coeur s'emballait au fur et à mesure à cause de l'anxiété. Elle ne savait pas comment s'y prendre... Au bout d'une quinzaine de mètres, l'Hylienne trouva enfin l'abri qu'elle recherchait. Son allure diminua et ses inspirations se firent plus espacées. Devant la princesse se dessina soudainement une silhouette allongée, dos à elle.
- L... Link ? l'appela-t-elle avec beaucoup d'hésitation.
Cela lui parut si inhabituel de s'adresser à lui. Seul le silence lui répondit et Zelda comprit qu'il s'était endormi. Elle éprouva de la peine en le voyant dans de telles conditions précaires, mais la loi des Gerudos ne ferait jamais d'exception. Alors qu'elle s'apprêtait à tourner les talons, la princesse entendit un tissu se froisser et du sable se mouvoir. Aussitôt, elle refit face à Link qui la regardait de trois quarts.
- Je suis désolée si je t'ai réveillé... s'excusa-t-elle en se frottant l'avant-bras, mal à l'aise.
Le jeune homme se releva pour s'asseoir et cacha un bâillement par politesse. Link se demandait bien ce que voulait la future souveraine surtout que ce n'était pas dans ses habitudes de s'adresser à lui, à une heure aussi tardive qui plus est.
- Je voulais te remercier pour ce que tu as fait tout à l'heure, avoua enfin Zelda en le regardant malgré l'obscurité. Je te dois la vie.
Link accepta ses remerciements d'un calme hochement de tête. Même si ce n'était pas la première fois qu'elle faisait cela, il lui sembla que la princesse ne s'en sentait pas obligée ce soir-là. Il percevait la sincérité dans sa voix.
- Il y a une autre raison à ma venue, ce soir.
Cette annonce le surprit d'autant plus, notamment quand Link vit la jeune fille terriblement embarrassée et honteuse. Zelda se touchait nerveusement les mains en regardant sur le côté.
- Je... je voulais m'excuser pour le comportement inacceptable que j'ai eu envers toi. J'ai été détestable et désagréable... souffla-t-elle en baissant la tête. Depuis que tu es à mes côtés, je n'ai pensé qu'à ma propre personne sans même me soucier de ce que tu pouvais ressentir. Maintenant, je le comprends bien... Tous ces efforts que tu faisais pour mener à bien ton rôle...
Elle marqua une courte pause avant de rependre :
- Je ne mérite pas d'avoir un chevalier servant tel que toi. Je suis terriblement confuse. Je t'ai rejeté maintes fois et pourtant, tu es quand même venu à mon secours...
Zelda cessa de parler sans oser le regarder. Après toutes ces semaines, l'élu de l'épée la détestait sans doute... Elle l'avait rejeté tant de fois qu'il n'y avait que cette explication. De son côté, le coeur de Link s'allégea brusquement et un poids quitta ses épaules. Sa bouche s'était légèrement entrouverte en l'écoutant parler. Au fond de lui, Link était particulièrement touché par ses excuses et la reconnaissance dont elle lui faisait preuve.
- Voulez-vous vous asseoir ? lui proposa-t-il en désignant la place à ses côtés, sous l'abri.
Les yeux de la blonde s'écarquillèrent suite à cette question inattendue. Pour la deuxième fois, Link s'adressait directement à elle. D'une voix neutre qui ne témoignait d'aucune colère ou rancoeur. Et bien qu'elle fût déroutée par sa proposition, Zelda accepta avec soulagement. Le jeune homme aurait très bien pu rejeter ses excuses mais il n'en était rien. Impa avait raison à l'époque : le porteur de la Lame Purificatrice était doté d'une grande gentillesse et bonté. Zelda prit place à ses côtés, suivie par le regard du chevalier. Tous deux restèrent ainsi sans décrocher le moindre mot, à regarder l'horizon et la couleur bleu marine du ciel. La princesse fut alors prise de discrets tremblements à cause de la baisse de température. Elle devait songer à rentrer.
- Prenez ceci, Votre Altesse.
La jeune fille tourna la tête vers Link et le vit lui tendre la couverture prêtée par Urbosa. Son geste la flatta et elle l'accepta avec joie en restant toutefois soucieuse.
- Et toi ? Tu risques d'avoir froid.
Il secoua négativement la tête.
- Je récupèrerai la couverture quand vous retournerez dans la cité, la rassura-t-il en la lui passant autour des épaules. Ne vous souciez pas pour moi.
- Merci...
Zelda lui accorda un sourire qui sut au moins lui réchauffer le coeur. La princesse eut moins froid. Elle observa silencieusement les monts, perdus à l'horizon.
- Merci d'être venue me voir ce soir, lui dit soudainement Link.
Le souffle de la blonde se bloqua et elle vint ancrer son regard dans le sien. Voilà une autre réalité qui la rattrapait : lui aussi, il était seul. Comme elle. Le devoir les enfermait dans une sphère que personne ne pouvait franchir.
- En vérité, je n'aurais jamais pu dormir sans t'avoir présenté mes excuses, avoua-t-elle en souriant discrètement.
Cela se sentit dans sa voix et Link accueillit ce sourire avec sérénité. Cependant la princesse fronça bien vite les sourcils et se pencha légèrement vers lui en fixant sa joue.
- Par Hylia, tu as été blessé !
Le blond posa une main sur l'égratignure présente sur sa joue et dorénavant couverte de sang séché. Il avait totalement oublié... Quant à Zelda, les événements ont fait que cela lui était passé au-dessus de la tête... Link détourna le visage pour ne plus qu'elle ait à voir sa fine blessure due à la serpe d'un des Yigas. Rien de bien grave et d'alarmant. Zelda comprit qu'elle ne devait pas insister plus longtemps et il fut l'heure pour elle de revenir dans sa chambre afin de se reposer. De plus, le capitaine de la garde royale commençait lui aussi à avoir froid... Zelda lui remit donc la couverture en le remerciant une nouvelle fois pour son aide puis elle courut vers l'entrée où la gardienne l'attendait de pied ferme.
Link la suivit du regard jusqu'à ce qu'il ne puisse plus la voir et il s'enroula de nouveau dans le gros morceau tissu avant de se rallonger. Au moins, le jeune homme put se rendormir, bercé par l'odeur réconfortante qui n'était autre que celle de la damoiselle.
Code d'honneur du chevalier :
5. Le chevalier n'attend ni avantage matériel, ni honneur social des causes qu'il a librement décidé de servir.
o O o
Après avoir chaleureusement salué et remercié Urbosa, Zelda quitta définitivement l'enceinte des murs de la cité Gerudo pour rejoindre son chevalier servant, non loin de là. D'un oeil critique, Link scrutait les environs et se tenait prêt à riposter si les Yigas avaient le malheur de les attaquer.
- Bonjour, lui adressa poliment la princesse en arrivant à sa hauteur.
Il la salua d'un simple hochement de tête qui ne l'étonna pas. Zelda savait qu'il ne se mettrait pas facilement à lui parler du jour au lendemain. Et certainement le jeune homme avait-il ses raisons... Peut-être qu'elle le saurait un jour ? Ensemble, ils se mirent tranquillement en route pour le canyon Gerudo, accompagnés pour une fois d'un silence apaisant. Link avait appliqué un petit pansement sur sa blessure de la veille. Il marchait toujours derrière la princesse mais ne sentait plus d'hostilité venant de sa part. Vraiment, son comportement avait changé de tout au tout après l'attaque des Yigas. Link pensait que ce pouvait être passager, même s'il souhaitait le contraire.
- Une... une fois de retour, j'avertirai mon père quant au passage à l'action du clan Yiga, déclara Zelda assez fort pour se faire entendre. Nous devons renforcer la sécurité de la citadelle et mieux surveiller toute personne entrant au château. Après ce qu'il s'est passé hier, nous ne pouvons qu'être plus vigilants.
Link approuvait absolument. Qui sait quel serait leur prochain coup... Ces assassins étaient capables de tout, aussi lâches que perfides. Il plissa les yeux en fixant un point dans le vide. Son rôle venait-il enfin de prendre sens ? Ses efforts et sa vigilance avaient porté leurs fruits. Tout ce qu'il soupçonnait s'était avéré vrai. Mais il ne s'en réjouit point, loin de là. Tout cela ne présageait rien de bon... Même si dorénavant, la princesse semblait mieux accepter sa présence depuis son sauvetage. Ce changement dans leur relation le déstabilisait. Elle avait comme changé du jour au lendemain, commençant à devenir avec lui la jeune fille qu'elle semblait vraiment être. Link pensait ne pas avoir le droit de lui parler. Mais lorsqu'il lui avait demandé si elle était blessée ou même si elle voulait s'asseoir, la veille, Zelda n'avait pas réagi négativement. Elle n'avait pas prêté attention au fait qu'ils ne soient pas issus de la même classe sociale. Cela encourageait donc le chevalier à oser répondre à ses interrogations, ou même lui parler simplement. Mais bien sûr, cela se ferait peu à peu...
Le retour au château se fit en toute légèreté malgré la surveillance constante de Link. Par moments, la princesse prenait la faune en photo et n'hésitait pas à commenter la couleur d'un pelage, ou l'élégance d'une plume. Mais le plus souvent, elle faisait cela dans le but de cacher les remords qu'elle éprouvait, ou bien la honte. Zelda s'en voulait d'avoir si durement traité son chevalier servant. Vraiment, elle ne savait comme rembourser sa dette ni si Link lui avait pardonnée. Car le soir où elle s'était excusée, le prodige n'avait rien répondu. Quand elle parut devant son père le roi, seulement en présence d'Impa et d'Oswald, Zelda lui expliqua ce qu'il s'était passé et souligna avec justesse le courage dont avait fait preuve l'élu de l'épée. La Sheikah proposa que l'on remette une médaille à Link, mais Oswald s'y opposa fermement car il avait fait son devoir de chevalier servant. Nul besoin d'en rajouter avec une récompense de cette ampleur. Le roi lui donna raison et la réunion s'en finit là.
Sur le chemin menant jusqu'à ses appartements, Zelda raconta à sa nourrice comment elle s'était mal comportée avec Link, les mots qu'elle avait eus à son égard puis ses regrets. Mais au lieu de la sermonner davantage, Impa esquissa un sourire mêlé à du soulagement.
- D'une bonne entente entre vous pourra résulter un duo efficace contre le retour du Fléau, Princesse, lui assura sa nourrice. Vous n'êtes pas obligés de devenir amis mais apprenez à mieux vous connaître, au moins, pour rendre votre combat plus efficace. Vous ne pensez pas ?
La blonde réfléchit en fixant le sol sans ralentir la marche. La réflexion d'Impa était pertinente. Il fallait l'avouer.
- Oui, c'est vrai, admit-elle après avoir opiné. Seulement, il parle si peu... Est-il comme cela avec tout le monde ?
- Il ne l'a pas toujours été, répondit mystérieusement la Sheikah en ouvrant la porte de la chambre princière. Je pense que Link devrait vous en parler de lui-même.
Elle regarda un court instant Zelda puis poursuivit :
- Il est le premier concerné, après tout.
Zelda la remercia une fois de plus pour ses judicieux conseils puis elle entra dans sa chambre afin de se reposer. Elle remplaça sa tenue de voyage par sa longue robe bleue aux couleurs de la famille royale. Cette même robe qui avait appartenu à sa mère, dix ans plus tôt... La princesse la chérissait et veillait à ne jamais l'abîmer. Elle ne comptait plus le nombre de fois où elle se languissait de la reine et priait à voix basse. Sa mère était habitée par une force mystique mais elle n'avait jamais eu le temps d'en parler entièrement à sa fille. Tout son savoir, ses pratiques... Elle avait tout emporté dans la mort.
Une fois changée, la jeune fille se rendit dans son étude et y déposa tous ses résultats de recherche pour les trier. Une princesse de la sérénité était posée sur le coin de son bureau et dégageait une délicate odeur réconfortante. La fleur préférée de Zelda. En effet, elle la représentait à elle seule, d'une certaine manière. Toutes deux étaient sur le déclin... Peut-être qu'en fin de compte, elle n'avait pas hérité des pouvoirs de la déesse ? Une ratée, une incapable... Mais Zelda ne voulait pas donner raison aux nobles de la Cour. Elle trouvait leurs propos intolérables. Le plus dur pour l'Hylienne était sans doute de savoir qu'elle épouserait l'un d'eux, un jour, pour perpétuer la lignée royale. Tel était son autre mission à laquelle elle ne pouvait échapper. Certains jours, quand elle était de bonne humeur, Zelda acceptait cette obligation. Mais la plupart du temps, cela assombrissait son regard. Au moins, son père ne voulait pas encore en entendre parler car sa principale préoccupation restait le retour de Ganon.
De son côté, Link recevait la visite d'Impa dans la salle commune des gardes royaux. Elle venait le féliciter d'être venu en aide à la princesse ainsi que pour sa vigilance. Mais tout cela ne faisait que confirmer la présence d'espions au sein même du château, et peut-être de la Cour.
- Je continue à mener l'enquête, affirma la Sheikah assise sur un sofa rouge, les bras croisés. Mais trouver le moindre indice est si compliqué que n'importe qui peut être suspect. De plus, un message provenant de la Montagne de la Mort nous est parvenu : un groupe de monstres y a monté son campement. Les Gorons les surveillent étroitement mais ces infâmes créatures peuvent passer à l'action à tout moment. Nous envisageons d'intervenir d'ici peu.
Le visage du blond devint encore plus sérieux face à la réalité. Pour lui, le retour du Fléau n'était plus qu'une affaire de quelques mois. Un an, tout au plus. Imaginer combattre le Mal suffisait pour rendre Link soucieux et fermé. Il restait conscient des conséquences qui s'ensuivraient en cas de victoire, comme en cas d'échec.
- Dis-moi, Link, commença Impa sur un ton plus serein. En examinant ton dossier, j'ai appris que tu fêterais bientôt ton anniversaire.
Le jeune haussa les sourcils, pris de court par une telle remarque de sa part et un tel changement de sujet. Il lui confirma que c'était bien le cas.
- J'imagine que tu aimerais bien avoir une permission ? Tu as fait un excellent travail depuis que tu es au château. Tu le mérites bien.
- Et la princesse ? demanda-t-il immédiatement en pensant à la dernière attaque des Yigas.
La Sheikah fut contente de constater son inquiétude et son investissement dans son rôle de chevalier servant.
- N'aie crainte. Tant qu'elle reste ici, elle n'encourt aucun danger, lui assura Impa en hochant la tête. Je resterai à ses côtés.
Une fois que leur discussion prit fin, le capitaine de la garde s'en alla silencieusement dîner dans son coin, comme à son habitude. Pourtant, ce soir-là était différent des autres. Link ne se sentait pas seul bien que personne ne soit à sa table. Une atmosphère différente régnait dans la salle à manger, sûrement depuis que la princesse le traitait avec plus de gentillesse. Le jeune homme termina de manger puis partit en direction de sa chambre. Dehors, la nuit plongeait la citadelle dans le noir et laissait le calme pour maître. Les lanternes qui éclairaient les chemins donnaient l'impression d'une multitude de lucioles planant sur Hyrule. Mais Link préférait tout de même l'ambiance d'Elimith et les gros rires ressortant de l'unique taverne du village. Ses parents lui manquaient... La permission dont lui parlait Impa lui paraissait dorénavant nécessaire. Le roi avait dû comprendre que son devoir passait avant tout, donc que sa famille n'influencerait en rien son immense mission.
- Oh, tu es là, Link, prononça une voix modérée devant lui.
Le chevalier, qui rivait son regard au sol, leva la tête et vit la princesse arriver en tenue de prêtresse. Cela l'étonna au vu de l'heure plutôt avancée de la nuit. Zelda remarqua qu'il se questionnait à propos de sa tenue et elle se montra embarrassée.
- Je m'en vais prier dans le temple royal, lui expliqua-t-elle en joignant ses mains. Je n'ai pas eu le temps de le faire lors de mon dernier voyage donc je dois rattraper cette nuit.
Cette nuit ? se répéta Link en cachant sa sidération. Après un trajet de plusieurs heures et des événements exténuants, la princesse faisait une session de prière ? Urbosa avait raison : la prêtresse royale était volontaire et courageuse. Mais il fallait rester vigilant.
- Je vous accompagne, déclara simplement le chevalier sur un ton neutre.
Le visage de Zelda exprima de l'inquiétude.
- Tu es sûr ? Cela va durer quelques heures...
L'Hylien acquiesça et elle en fut soulagée, en quelque sorte. D'une part car elle se savait en sécurité, puis elle ne serait pas seule. La jeune fille le remercia et ils se dirigèrent vers le temple royal, isolé dans l'un des sous-sols. L'air y était frais et humide, un lointain vent sifflait entre les murs pour donner une atmosphère presque inquiétante. Mais Zelda s'y était habituée. Depuis son plus jeune âge, elle venait ici. Quand ils furent arrivés, Link poussa une lourde porte en bois massif et il découvrit un bassin creusé dans la roche où une statue de la déesse Hylia se dressait en son centre. La princesse retira ses sandales et s'enfonça dans l'eau glacée en masquant une grimace.
Cela n'empêcha pas Link de frissonner rien qu'à l'idée de se trouver à sa place. Lui qui était facilement frileux... Il referma la porte puis s'assit en tailleur, dos à la source pour préserver l'intimité de la princesse. Ce ne devait pas être facile pour elle d'accueillir quelqu'un dans un lieu sacré lors de ses prières... Quelques torches et lanternes éclairaient le bassin. Impa avait donné l'ordre que tout soit prêt pour ce soir-là. Les domestiques avaient fait du bon boulot. De longues minutes s'écoulèrent. Peut-être une demi-heure, si ce n'est plus. La Lame Purificatrice émit une vibration qui fit tressaillir Link et le força à lentement dégainer son arme en évitant de déranger la prêtresse royale. Avec stupéfaction, il vit la lame briller comme toutes les fois où son pouvoir était éveillé. Le blond ne comprenait pas pourquoi...
- La princesse est entrée en transe, Maître, lui annonça soudainement la voix de l'épée. Son aura fait écho avec la mienne.
Link l'observa un instant puis se tourna vers Zelda, toujours surpris. En effet, elle ne bougeait plus mais l'Hylienne laissait émaner comme une atmosphère de sérénité et de calme intense.
- Ne vous avisez pas à vouloir l'en tirer, le prévint l'épée. Il est bien difficile d'être en état de transe.
Jamais il n'aurait osé faire une telle chose ! Le respect que Link lui devait le poussait à rester de dos. Observer ainsi la prêtresse royale pendant sa session de prière était un geste presque effronté de sa part. Ce fut vers une heure du matin que Zelda revint à elle, exténuée. Plusieurs fois, son chevalier servant avait manqué de s'endormir mais son épée avait toujours été là pour le maintenir éveillé. La princesse le remercia pour sa patience et ils purent revenir vers l'aile ouest du château. Par courtoisie, Link l'accompagna jusqu'au couloir de ses appartements puis la quitta poliment. Tant pis s'il ne dormirait que cinq heures. Le sommeil n'était pas sa première préoccupation.
o O o
Une semaine passa pendant laquelle les deux élus se côtoyèrent dans une bonne atmosphère. La princesse se montrait bien plus douce et ouverte même si Link ne parlait pas. Après tout, elle ne pouvait rien y faire, surtout s'il était ainsi de nature. Les journées de Zelda se résumaient essentiellement à la recherche et à la prière. Tous deux ne se quittaient que lors des repas. Ce qui était le cas de ce jour-là, en ce début de printemps. Le prodige avait fini de manger depuis plus d'une heure déjà et attendait avant de pouvoir poursuivre son rôle de protection. Il prit la décision de retrouver Conrad et Gautier pour les saluer et demander de leurs nouvelles. Ses deux compagnons traversaient justement le grand hall quand il les croisa hasardeusement. Leur compagnie devait partir en exercice dans la plaine d'Hyrule, l'après-midi même.
- Alors, Link ! se réjouit le brun en posant une main sur son épaule. Tu vas mieux depuis la dernière fois ?
- Oui, répondit-il simplement sous le regard interrogateur de Gautier.
Visiblement, Conrad ne l'avait pas mis au courant de l'ancienne demande de la princesse quant à avoir un nouveau chevalier servant.
- Tant mieux, sourit son ami, content que tout se soit arrangé. On va demander notre solde. Tu veux nous accompagner ?
D'un signe de tête, le jeune capitaine accepta la proposition et le suivit à travers les divers couloirs du château. D'après Gautier, le ciel qui se couvrait annonçait une averse imminente. La température avait grandement chuté depuis la matinée, ce qui était plutôt anormal en ce mois de mars. Le trio se rendit au niveau des quartiers généraux où une petite file de chevaliers et soldats attendait de recevoir la paie. Link avait déjà reçu la sienne deux semaines auparavant de toute manière. Après avoir acquis leurs bourses, Conrad maugréa en la soupesant puis en la rangeant dans sa poche.
- Ce n'est pas avec trois cents rubis par mois que je vais pouvoir m'acheter une maison dans la citadelle... se plaignit-il.
- Tes parents sont nobles, ils vont t'aider à en acheter une, souligna Gautier en observant un valet plus loin. De plus, tu devrais avoir un héritage assez conséquent.
Le brun rétorqua qu'il ne voulait pas une maison au point de souhaiter la mort de ses parents... Cette lugubre pensée le fit frémir d'horreur et Conrad affirma qu'il accepterait des missions supplémentaires pour gagner mieux sa vie. Les jeunes chevaliers avaient bien souvent du mal à s'en sortir dans leurs premières années. Seuls les cas exceptionnels comme Link jouissaient d'une vie plus confortable. Cependant, le jeune prodige préférait envoyer une partie de sa solde à ses parents car il n'avait pas tant besoin d'argent. Il avait un toit et de la nourriture, cela lui suffisait.
Quand ils passèrent devant une grande horloge, Link s'attarda sur l'heure et constata qu'il se devait de rejoindre la princesse. De ce fait, il salua ses amis et se dirigea vers les cuisines royales, son habituel lieu de rendez-vous. Zelda l'y attendait auprès de sa nourrice, devant l'un des grands battants d'une porte.
- Tu restes fidèle à toi-même, se réjouit Impa en le voyant arriver. Je ne t'ai jamais vu en retard.
Le blond fut à leur hauteur et la princesse lui rappela le programme de la journée : après avoir prié à la cathédrale de la citadelle, elle devait bénir une vieille dame mourante, autrefois une grande dame de la Cour.
- Demain, nous nous rendrons à Akkala pour rendre visite à Faras, lui annonça Zelda par la suite. Il aurait des découvertes importantes à nous montrer. D'après ses dires, ce serait des armes dont l'aspect serait inspiré de l'équipement royal.
- Vous devriez en profiter pour vous rendre sur la Montagne de la Mort, lui conseilla la Sheikah en croisant les bras. Tous les jours, des nouvelles inquiétantes nous parviennent pour nous affirmer que des monstres y camperaient.
Impa fixa intensément le chevalier qui comprit facilement où elle voulait en venir. Quelques instants plus tard, il emboita le pas de la princesse en direction de la citadelle.
o O o
Le lendemain, lorsque Link émergea de son sommeil, l'air froid de sa chambre était si mordant qu'il se mit à grelotter sous ses draps. S'il avait su qu'il ferait une si basse température, il aurait sorti la couette d'hiver ! Rapidement, le jeune homme s'habilla chaudement en portant notamment quelques habits de sa tenue d'Elimith par-dessous sa tunique, ainsi que sa capuche pour se protéger en cas d'intempérie. Il se dirigea alors vers la fenêtre de sa chambre, tira les rideaux et dut aussitôt se protéger les yeux d'une lumière éblouissante. Après quelques secondes d'adaptation, Link put constater le vaste et aveuglant paysage blanc qui s'offrait à lui. Tout était recouvert de neige. Impossible, pensa-t-il aussitôt. Un tel dérèglement climatique ne pouvait être qu'inquiétant... Cela était-il un signe annonciateur du retour du Fléau ? Ganon voulait-il un paysage mort avant son arrivée ?
Le blond fronça les sourcils puis tourna les talons. Il partit manger rapidement son petit-déjeuner et rejoignit la princesse dans les plus brefs délais. Celle-ci l'attendait près des écuries en tenant leurs chevaux. Le froid piquait et rougissait les joues de tous ceux qui osaient sortir. Link trottina jusqu'à Zelda et monta sur le dos de sa monture afin de prendre la route.
- C'est une météo plutôt surprenante, dit la jeune fille en étudiant les alentours. Je n'avais encore jamais vu ça... J'ai ordonné que l'on distribue des couvertures aux familles dans le besoin.
Zelda esquissa un léger sourire et regarda son chevalier servant.
- L'essentiel est que la population aille bien. D'après les premières nouvelles, c'est le cas.
Le prodige trouva son sourire fort agréable et appréciable en ce début de journée assez difficile à cause du temps. Ils passèrent l'arche d'entrée et entrèrent dans la citadelle. Dans les rues blanches, des enfants jouaient à se jeter de la neige ou bien à créer quelques sculptures à leur image. La bonne humeur était bien présente, seuls les plus anciens trouvaient cette météo inquiétante et anormale. Link dut se baisser pour éviter une boule de neige perdue. Les enfants responsables aperçurent la princesse et l'élu de l'épée, et ils ne tardèrent pas à s'excuser humblement, confus.
Suite à cet incident insignifiant, les deux jeunes gens poursuivirent leur route vers le nord-est. La brise glaciale ne facilitait pas leur voyage et une nouvelle tombée de neige les força à tirer leur capuche sur leur tête. À croire que tout semblait contre eux. Ces quatre heures à cheval paraissaient bien longues...
- Dis-moi, Link. Où es-tu né ? lui demanda la princesse pour se changer les idées.
Il fut perplexe suite à cette question inattendue venant de sa part. Sa surprise se lut aisément sur son visage un court un instant.
- À Elimith, répondit-il finalement.
Sans qu'elle ne sache pourquoi, Zelda ne s'en étonna pas. Peut-être car il dégageait une de ces allures sereines et calmes typiques des villages de la campagne.
- J'imagine que tu n'y es pas revenu depuis des mois... Impa m'a dit que tu travaillais au château depuis trois ans.
- En effet.
Un silence s'installa entre eux, laissant seulement le claquement des sabots résonner autour d'eux et le vent siffler dans leurs oreilles. La conversation restait encore difficile avec lui même s'il répondait, ce qui n'était pas le cas quelques jours plus tôt. Link repensait aux derniers mots de l'Hylienne. Cela faisait plus de trois ans qu'il avait quitté son village natal... Il n'avait pas vu le temps passer. Bientôt, il aurait dix-sept ans. Tous le considéraient déjà presque comme un adulte. Son air fermé renforçait sûrement cette image-là.
Après quelques heures silencieuses de route, tous deux firent une halte près d'un vieil abri. Il ne leur restait qu'une trentaine de minutes avant leur destination mais leurs chevaux réclamaient une pause d'au moins un quart d'heure. Les élus des déesses s'assirent sous un arbre en attendant. Zelda était assise sur l'unique pierre car son chevalier avait préféré la lui laisser et s'asseoir à même le sol, en tailleur. De la vapeur s'échappait de leur bouche à chaque expiration et s'envolait lentement avant de disparaître. La blonde observait la Montagne de la Mort face à elle et située à des kilomètres. Elle se demandait bien quels types de créatures hostiles étaient venus la peupler.
Du coin de l'oeil, elle aperçut une masse blanche fondre sur Link et le faire sursauter. Inquiète, la princesse se tourna aussitôt vers lui et se figea de stupeur en découvrant le tas de neige tombé sur sa chevelure et recouvrant une partie de son visage. Le vent avait balayé une des branches au-dessus de sa tête et avait provoqué une chute fortuite de neige. Face à l'expression décontenancé du jeune homme, Zelda ne put s'empêcher de rire aux éclats tant la situation lui paraissait absurde et improbable. Doucement, Link s'épousseta puis secoua la tête, les joues rougies non seulement par le froid mais aussi par l'embarras. Mais quand un amas de neige tomba sur la princesse pour la calmer, ce fut à son tour d'être pris d'un rire léger et incontrôlé. Cela sidéra la princesse. D'une part car il se moquait ouvertement d'elle en retour, mais aussi parce que Link riait. Elle ressentit un étrange pincement au coeur qu'elle chassa en croisant les bras.
- Eh bien ? fit-elle en adoptant une expression mécontente. Tu oses te rire de la fille de ton roi ?
Sa question eut l'effet d'une douche glacée pour le chevalier qui se calma aussitôt en détournant le regard, honteux.
- Veuillez m'excuser, Votre Altesse, la pria-t-il en se faisant plus petit.
Zelda le considéra durant un long instant sans bouger. Elle attrapa finalement de la neige à ses pieds, la compacta au creux de ses mains et la lança sur le prodige. Il la reçut dans l'épaule et écarquilla des yeux en retenant un hoquet. Link la regarda avec tant d'incompréhension que cela la fit rire une fois de plus.
- Je te mets au défi de faire de même, lui adressa-t-elle en se relevant.
Il secoua la tête.
- Je... je ne peux pas, déclara-t-il en balayant la neige sur ses vêtements.
Elle comprenait parfaitement la raison et se contenta de soupirer doucement en souriant. Zelda examina les alentours et inspira l'air frais et revigorant.
- Quand j'étais petite, j'enviais souvent les enfants de la citadelle, lui avoua-t-elle en baissant les yeux. De la fenêtre de ma chambre, je pouvais les voir s'amuser. Bien sûr, je n'avais pas le droit de les rejoindre puisque je devais consacrer mon temps à la méditation...
Link la regardait avec attention en essayant de se mettre à sa place. La princesse avait vécu son enfance cloîtrée entre les murs du château tandis que lui, il avait bénéficié de toute la liberté et l'environnement d'Elimith. Elle devait se sentir bien seule... La reine était morte il y a dix ans de cela et n'avait pu rester auprès de son enfant, par conséquent. Lui-même avait failli perdre sa mère à cause d'une longue et exténuante maladie.
- Avez-vous déjà glissé sur la neige ? la questionna-t-il en ayant peur de la froisser.
L'Hylienne afficha un air étonné et lui demanda d'expliciter.
- Dévaler des pentes sur une ou plusieurs planches, ajouta Link en se frottant un bras.
Les yeux de la princesse se mirent à briller d'excitation en comprenant où il voulait en venir. Elle avait déjà entendu parler d'une telle activité pratiquée dans la région d'Hébra.
- Tu l'as déjà fait ? se renseigna-t-elle en atténuant son emballement. Est-ce trépidant ?
Link la dévisagea un instant d'un air impassible mais les traits de son visage ne tardèrent pas s'adoucir quand de beaux souvenirs lui revinrent en mémoire.
- Oui, dit-il calmement en hochant la tête. Voulez-vous essayer ?
- Ce n'est pas le moment... répondit Zelda à contrecoeur. S'il nous reste un peu de temps, nous pourrons essayer après avoir vu Faras.
Le chevalier approuva d'un signe et il fut l'heure pour eux de reprendre la route. Le paysage enneigé ne facilitait pas le bon marquage du chemin malgré les récentes traces de pas. Fort heureusement, des panneaux leur indiquaient la direction à suivre et les guidaient du mieux possible. Ils finirent par apercevoir l'étrange structure au sommet d'une colline, surplombant la région d'Akkala et l'océan. Ils trouvèrent même un Gardien non loin de la bâtisse. Leurs chevaux furent attachés au tronc d'un arbre, à l'abri des intempéries, puis la princesse vint frapper doucement à la porte. Une voix les incita à passer le seuil, ce qu'ils ne manquèrent pas de faire dans la foulée. Link put découvrir une grande pièce jonchée de feuilles et de pièces détachées affiliées aux Gardiens.
- Soyez la bienvenue, Votre Altesse ! s'exclama une voix masculine sur leur droite.
À l'unisson, les deux élus tournèrent la tête et virent un jeune homme d'une vingtaine d'années travailler sur son atelier. Il leur fit face et dévoila de singulières lunettes qui bougeaient dans tous les sens. C'était un membre du clan Sheikah à peine plus grand qu'eux. Le chercheur quitta son tabouret et vint leur serrer la main.
- Je suis Faras, se présenta-t-il poliment. Je travaille en partenariat avec Pru'ha et son équipe. Venez, avancez ! Je vais vous montrer mes dernières inventions !
Faras accourut vers un coin de la salle où reposaient des armes noires d'une beauté captivante. Elles intriguèrent aussitôt Link qui ne se fit pas prier pour suivre le Sheikah.
- Je me suis inspiré de l'équipement royal pour créer des armes anti-Fléau, leur annonça-t-il avec beaucoup de fierté. Malheureusement, je n'arrive pas à les rendre très solides pour le moment...
Il se retourna en tenant un fourreau noir qu'il tendit au chevalier. Link l'attrapa puis dégaina l'épée afin de la contempler avec admiration. Les gravures étaient si fines et délicates qu'il n'oserait jamais l'utiliser pour un combat, de peur de l'abimer.
- Comment pouvez-vous savoir si elle est efficace contre Ganon ? lui demanda Zelda, visiblement perplexe. Nous n'avons aucune donnée sur lui...
- J'ai étudié le mécanisme de création des lasers, chez les Gardiens. Il semblerait que ce soit dû aux frottements entre deux minerais en particulier, expliqua Faras en reprenant l'arme. Après analyse, j'ai trouvé desquels il s'agissait, je les ai utilisés et associés pour forger une première arme. La couleur noire m'a beaucoup intrigué, vous savez ? Je l'ai ensuite plongée dans l'eau de la source de la Force et il s'est produit un phénomène tout à fait étonnant.
Les sourcils de la blonde se haussèrent en apprenant cela. Toutes ces informations lui semblaient presque irréalistes.
- Une réaction a eu lieu, poursuivit Faras en se dirigeant vers un coffre sheikah à quelques mètres de là. Je ne saurais ni l'expliquer, ni la décrire correctement. Cependant, je peux vous affirmer qu'il y avait une alchimie entre les deux éléments. Une complémentarité. Cette arme possède très certainement des qualités de purification, tout comme l'eau des sources. Moins puissantes, certes, mais tout de même efficaces.
- Incroyable... souffla Zelda en examinant l'épée avec beaucoup de considération.
- Mais ce n'est pas la seule de mes découvertes ! se vanta Faras en sortant un étrange objet du coffre.
Cela ressemblait à un petit bâton en pierre sculptée d'où sortait une vague lueur orangée qui rappela immédiatement à Link le coffre dans sa chambre. Le chercheur activa subitement le mécanisme et le bâtonnet se déplia avant qu'une lame bleutée n'apparaisse et fasse sursauter les deux élus.
- Je vous présente le couteau archéonique ! Une arme légère et particulièrement efficace car peu de matériaux peuvent lui résister ! Je l'ai testé sur mon enclume, elle n'a pas fait long feu... Quel gaspillage de ma part, murmura-t-il dans sa barbe en prêtant le glaive au prodige.
Link l'inspecta sous toutes ses coutures, le regard pétillant d'admiration. En voilà, un bel accessoire ! La princesse complimenta Faras pour son excellent travail qui permettait aux recherches d'avancer.
- Je travaille actuellement sur des armes du même type mais c'est bien plus compliqué et sophistiqué. Je suis persuadé que la technologie archéonique pourrait s'avérer très utile face au Fléau, lui assura le Sheikah en croisant les bras. Ce Ganon n'aura qu'à bien se tenir s'il ne veut pas finir taillé en pièces.
- On pense qu'il serait responsable de la neige, dit Zelda avec une inquiétude visible sur son visage. S'il dérègle le climat, peut-être est-ce pour mieux nous affaiblir avant son arrivée ?
Faras prit le temps de réfléchir à ses propos bien qu'il finisse par la contredire.
- C'est fort peu probable, Princesse. Les neiges de printemps sont rares mais possibles. Croyez-moi, cela ne devrait pas vous effrayer. Voulez-vous lire mes écrits ? lui proposa-t-il en se dirigeant vers son bureau. Mes travaux figurent dessus.
- Avec plaisir, lui assura Zelda en se dirigeant vers une pile de feuilles.
- Cela sera un peu long à lire, cependant...
La princesse lui certifia que ce n'était point grave car elle avait encore quelques heures devant elle avant de partir pour la Montagne de la Mort. Pendant qu'elle lisait les notes du chercheur sheikah, Link en profita pour visiter l'atelier et examiner les prototypes d'armes plus ou moins réussies ou finies. Il y en avait de toutes sortes et pour tous les goûts. Même si le prodige préférait amplement le maniement de l'épée, il aimait tout particulièrement le tir à l'arc car ce fut la deuxième arme qu'il eut l'occasion de maîtriser étant petit. Pourtant, Link se débrouillait très bien avec les lances ou mêmes les espadons, bien qu'il ne les utilisait que très rarement lors de ses exercices. D'une oreille distraite, il n'entendait que vaguement les propos des deux scientifiques. Une fois qu'il eut fini de tout explorer dans la pièce, le blond sortit de la demeure et fit un tour du domaine en surveillant constamment ses arrières. Une flamme bleue unique dansait dans un étrange foyer devant la maison. Link n'en avait jamais vu de telle... Les Sheikahs possédaient vraiment une technologie hors du commun. Ce n'est que deux heures plus tard que Zelda sortit pour le rejoindre, sa longue lecture étant terminée. Elle aperçut Link accroupi devant la carcasse d'un Gardien pour le tâter.
- Link ! l'appela-t-elle en le rejoignant. Nous pouvons nous remettre en route.
Tant pis pour la glisse sur la neige. Tout bien réfléchi, c'était dangereux. De plus, n'en ayant jamais fait, Zelda risquait de se blesser inutilement.
- Ce soir, nous coucherons au monastère de Calèth près de la Montagne de la Mort, annonça-t-elle en se frottant les mains afin de les réchauffer. Nous n'aurons pas le temps de rentrer au château avant la nuit.
Link hocha la tête pour signifier qu'il était entièrement d'accord. Au moins, la princesse serait plus en sécurité que dans un relais. Tous deux reprirent donc la route vers le volcan d'Hyrule en se demandant quel type de créatures ils y trouveraient. Link, qui avait déjà vécu des batailles, connaissait la faune des monstres, du moins une certaine partie. Il avait surtout vu des bokoblins et des moblins. Mais peut-être y allait-il en avoir d'autres espèces ? Cette incertitude permanente ne lui plaisait guère et avait même tendance à le rendre inquiet. Il ne doutait pas de ses capacités à les vaincre, loin de là. Mais la princesse Zelda... Elle représentait une proie facile. Surtout, le prodige se demandait comment elle réagirait face à leur mort. Car affronter une telle chose, même pour un soldat expérimenté, restait une vision effroyable et glaçante.
Code d'honneur du chevalier :
6. Il ne recule pas devant l'ennemi ou l'obstacle.
o O o
Les deux élus des déesses reprirent leur chemin après avoir salué Faras, ce dernier leur ayant promis de poursuivre ses recherches sur les armes anti-Fléau et les Gardiens. Zelda et son chevalier servant redescendirent dans la vallée enneigée pour rejoindre la Montagne de la Mort. Mis à part quelques marchands, les routes demeuraient délaissées de toute présence humaine, il n'y avait que le calme et la sérénité de la nature qui les accompagnaient. Par moments, un renard bondissait devant eux pour aller se cacher derrière un buisson ou des oiseaux s'envolaient à leur approche. Zelda savait qu'ils devraient passer non loin de la source de la Force même s'ils ne s'y arrêteraient pas ce jour-là. Au loin, la forteresse d'Akkala était très nettement visible et dévoilait le scintillement des canons perchés à son sommet.
- Prions pour que tout ait fondu d'ici quelques jours, soupira Zelda en resserrant son emprise sur ses rênes. Il ne faudrait pas que la neige ait un effet néfaste sur les futures récoltes... Si jamais les ressources venaient à manquer, le château ouvrira ses greniers et ses caves pour distribuer des vivres à la population.
Link vit la princesse hocher la tête avec détermination, devant lui, ce qui éveilla chez lui un sentiment de reconnaissance et de respect. Les paroles d'Urbosa prenaient de plus en plus sens à ses yeux et il ne pouvait qu'en être soulagé. Zelda veillait constamment sur son peuple au détriment de ses propres intérêts. Mais combien de personnes en avaient seulement conscience ? Link savait que la Cour n'hésitait pas à lui faire le moindre reproche. La princesse énuméra dans un murmure ce qu'ils devaient faire une fois sur la Montagne de la Mort. L'inquiétude la trahissait à travers une posture légèrement plus courbée et des épaules affaissées, ce qui n'échappa pas au chevalier. Seulement, il n'osa point s'adresser à la princesse pour la rassurer. Cela ne faisait que bien trop peu de temps que leur relation s'était améliorée. Et quand bien même ils auraient été amis, ce qui n'arriverait sans doute jamais pensait-il, Link n'aurait su trouver les bons mots.
Plus d'une heure s'écoula avant qu'ils ne parviennent au pied de la Montage de la Mort. Leurs chevaux furent attachés près d'une source pour qu'ils puissent se désaltérer jusqu'au retour de leur maître. La neige n'était déjà plus présente, elle avait laissé place à une roche et une terre rougeâtres ainsi qu'à une température plus élevée. Les deux élus durent retirer leurs couches de vêtements chauds pour ne pas suffoquer en gagnant de l'altitude. Le volcan ne se trouvait plus très loin et tout peuple différent de celui des Gorons pouvait très difficilement supporter la chaleur. Le chemin qu'emprunta la princesse n'était pas très bien indiqué car le nombre de panneaux laissait à désirer. Pour se diriger vers l'ouest du volcan, elle devait se référer à la position du soleil, voire du château dans la mesure où elle l'apercevait au loin.
- Nous devons examiner le camp des monstres pour déterminer s'ils représentent un danger immédiat, répéta Zelda à voix haute pour elle-même. Toi qui as connu plusieurs batailles avant aujourd'hui, tu sais bien ce dont ils sont capables.
La blonde jeta un regard par-dessus son épaule pour observer son compagnon de route puis elle s'arrêta.
- Est-ce que... tu as déjà perdu des amis ?
Link lui répondit négativement à travers un simple geste de la tête. Il avait déjà vu des chevaliers perdre la vie mais ses camarades n'avaient jamais été parmi eux, fort heureusement. Il se demandait quelle aurait été sa réaction si cela s'était produit... Les amis du prodige restaient peu nombreux mais comptaient beaucoup à ses yeux. Devant lui, la princesse s'était remise à marcher correctement et observait avec minutie leur environnement à la recherche du lieu indiqué. Link la regardait en se posant lui aussi quelques questions. Avait-elle des amis proches ? Dans le cas contraire, comment avait-elle grandi jusqu'ici ? Ne connaissait-elle que la solitude ? Quoi qu'il en soit, jamais Link ne l'avait vue accompagnée d'une autre jeune fille.
Après moins d'une heure de marche, Zelda fit signe à son chevalier servant d'avancer silencieusement en posant son index sur sa bouche. Et dire qu'ils devaient s'en occuper eux-mêmes... Cela ne coulait pas sous le sens ! Le roi, son père, aurait dû plutôt envoyer une troupe de soldats. Mais peut-être pensait-il que le prodige saurait mieux s'en charger ? Les deux jeunes gens se plaquèrent derrière un rocher lorsqu'ils perçurent des couinements bien connus de Link. Avec une grande discrétion et beaucoup de précaution, il passa la tête sur le côté afin d'épier le camp de monstres, essentiellement composé de bokoblins de diverses couleurs. De simples sous-fifres de ce genre inquiétaient le roi ? Le blond fronça néanmoins les sourcils quand il vit trois bokoblins blancs assis autour d'un feu. Eux, ils étaient bien plus coriaces et féroces que leurs partenaires. Lors de sa deuxième bataille, Link avait pu constater la difficulté avec laquelle se battaient ses camarades face à eux.
Le chevalier se retira pour venir plaquer son dos contre la roche volcanique. Il prit une légère inspiration avant de tirer son bouclier sous le regard soucieux de la princesse, ce qu'il ne manqua pas de remarquer.
- Tant que vous resterez cachée ici, vous serez à l'abri, lui affirma Link avec gravité.
Zelda n'eut point le temps de répondre qu'il bondit en dehors de leur cachette et se précipita vers ses ennemis pour profiter de l'effet de surprise. La plupart ne purent réagir car déjà pourfendus par le rapide prodige. Link bondit sur un rocher pour prendre appui et mieux transpercer la peau d'une nouvelle cible à l'aide de son épée. Les trois bokoblins blancs sursautèrent, la bouche grande ouverte, puis se précipitèrent vers leurs armes primitives mais tout de même dangereuses. Du coin de l'oeil, le jeune homme les surveillait en combattant leurs semblables. D'un coup, il para une attaque et enchaîna avec une attaque circulaire pour éloigner ses ennemis. Un bokoblin eut le ventre tranché et tomba à la renverse dans une plainte presque déchirante. Seulement, ses congénères blancs prirent la relève, bondirent simultanément sur Link en le menaçant de leurs battes à pointes.
Le chevalier roula sur le côté pour les éviter mais dérapa sur un galet, ce qui le fit perdre l'équilibre. En se voyant dans une position de faiblesse, Link serra les dents et planta la Lame Purificatrice dans le sol pour ne pas tomber. Il l'arracha dans la foulée, évita une nouvelle attaque et s'élança vers l'un de ses ennemis. Dissimulée derrière son rocher, Zelda suivait le combat avec nervosité. Certes, ce n'était pas la première fois qu'elle le voyait combattre, mais cette fois-ci tout était bien plus brutal, violent. Quand elle vit une arme lui frôler le flanc, la princesse retint un hoquet d'horreur en serrant ses mains contre sa poitrine. Presque immédiatement, Link contre-attaqua après avoir désarmé son ennemi grâce à son bouclier.
Avec dextérité, il prit la vie de nombreux monstres sans même être blessé. Seulement, deux immenses silhouettes apparurent au sommet de la côte, provoquant une vague de frissons chez Zelda. Elle se plaqua fortement à la pierre, le souffle coupé. Des... des lynels... Ces créatures ressemblaient à la description faite par Mipha, quelques temps plus tôt. S'ils la voyaient, les conséquences seraient dramatiques... Link leva les yeux vers eux, ses traits se durcirent. Avec deux de ces monstres en plus, il allait avoir bien du mal à venir à bout de ce combat en restant indemne. Les lynels s'élancèrent vers l'Hylien et effectuèrent un bond gigantesque. Le sol trembla lors de leur réception, quelques bokoblins tombèrent en poussant un grognement.
Link eut un mouvement de recul : puisqu'il était en pente vis-à-vis de ses nouveaux adversaires, son désavantage certain le mettait dans une position délicate. Un bokoblin bondit sur lui mais le blond tourna sur lui-même et lui coupa sèchement l'abdomen. Une ombre passa au-dessus de lui, son coeur rata un battement juste avant qu'il ne se jette sur le côté pour éviter l'épée d'un des lynels. D'un geste rapide, Link lui asséna un coup au bras armé afin de l'affaiblir, avec succès. La créature poussa un puissant rugissement de colère et de douleur tandis que son congénère abattit à son tour sa masse sur Link. Le chevalier évita l'attaque en sautant en arrière, l'arme s'enfonça lourdement dans le sol et immobilisa son propriétaire bien trop longtemps pour que le prodige puisse agir. L'Hylien se précipita vers le lynel, monta sur son puissant bras musclé et sauta en prenant la fusée de son épée à deux mains.
Du point de vue de la princesse, ce fut une scène presque irréelle. Elle entendit son compagnon pousser une forte exclamation quelques instants avant que la Lame Purificatrice ne pénètre l'échine et paralyse le lynel. La douleur dut être foudroyante... Ce dernier se cabra dans un terrible hurlement. Link se baissa pour esquiver l'épée qui passa si près de son front que la lame parvint tout de même à lui couper superficiellement la peau. Il bascula sur le côté en grimaçant tandis que la maigre poignée de monstres restants venait l'encercler. Dans la panique, Zelda se releva et se fit violence pour retenir un cri d'effroi. Elle voulait lui dire qu'il était pris au piège ! Mais Link en avait déjà conscience... D'un coup, il roula sur le côté et se releva l'instant suivant pour terminer sa mission, les dents serrées. Quand le chevalier remarqua où regardait dorénavant le lynel, son sang se glaça dans ses veines. Il n'eut pas le temps d'agir que la créature se précipita vers la princesse en s'emparant de son arc.
- Couchez-vous ! hurla-t-il tout en chargeant l'épée de légende d'énergie.
Brusquement, il fit une attaque circulaire et déploya toute la puissance de l'épée pour éliminer en un coup les derniers bokoblins debout. Aussitôt, il s'élança à la poursuite de la dernière créature en rechargeant l'arme. Quant à Zelda, elle se jeta au sol lorsque le lynel décocha ses flèches meurtrières dans sa direction. La jeune fille se plaqua contre le rocher pour se protéger d'une autre attaque, le monstre replaça ses projectiles sur la corde. Link projeta alors un éclat de pouvoir vers lui en fendant l'air de son arme légendaire. L'une des pattes du lynel fut atteinte et le fit vaciller un instant. Cependant, le jeune homme pressentait déjà la suite, la pression monta d'un cran chez lui. Leur ennemi contourna la roche volcanique pour se retrouver loin face à la blonde et il prit son élan.
Précipitamment, Link reprit appui sur un rocher et s'élança vers la princesse en voyant l'effroyable créature dégainer son épée. Une fois de plus, sa concentration au summum, le temps sembla ralentir. Le chevalier se réceptionna subitement au sol puis pivota sur lui-même en plaçant son bouclier devant lui. D'un coup, la lourde épée bestiale s'abattit sur sa protection avec tant de force que l'épaule du jeune homme partit en arrière dans un craquement qui le fit grimacer de douleur. Sous le choc, son bouclier vint le percuter et le fit tomber à la renverse, juste devant la princesse. Zelda cria de peur en le voyant heurter lourdement le sol à ses pieds tout en maintenant son bouclier entre lui et l'arme du lynel. La bête recula, grogna avec animosité mais ne laissa aucun répit au jeune homme. De nouveau, il vint frapper son bouclier pour l'affaiblir encore plus et le lui faire lâcher.
Link poussa un gémissement alors qu'il était complètement écrasé contre le sol. Il devait rapidement trouver une solution avant d'être submergé par la fatigue. Son épaule droite, blessée, provoquait des pics de douleur et le gênait dans ses mouvements. Quand le lynel se retira une nouvelle fois, le chevalier jeta son bouclier sur le côté et attrapa la Lame Purificatrice à deux mains.
- Écartez-vous ! s'exclama-t-il à l'adresse de Zelda.
Celle-ci sortit de sa torpeur et se jeta machinalement sur sa gauche lorsque le lynel réitéra son attaque. Immédiatement, Link se pencha sur le côté pour esquiver, rassembla ses forces puis se releva en plongeant son épée dans le torse du monstre en poussant un cri de rage. Le lynel rugit, les yeux imbibés de sang et ancrés dans le regard de Link, puis il s'écroula après que l'épée eut été retirée. Le prodige haletait et le fixait en gardant toutes ses précautions. Quand il fut sûr que tous les monstres avaient péri, le chevalier rengaina son épée et son bouclier puis se dirigea vers la princesse, pâle comme un linge.
- Vous devriez vous asseoir si vous vous sentez mal, lui suggéra Link malgré son souffle court.
Prise de légers tremblements, Zelda acquiesça sans décrocher le moindre mot puis elle s'assit, rapidement imitée par son chevalier servant. Mais à peine fut-il au sol que ses traits se crispèrent, Link gémit en se tenant l'épaule. Il ne pensait pas que les lynels blancs seraient si puissants, lui qui n'avait affronté que des rouges jusqu'à présent. L'Hylienne s'inquiéta immédiatement et se pencha sur lui sans prendre la peine de cacher ses émotions.
- Par Nayru, tu es blessé ! s'alarma-t-elle affolée.
Elle vit deux plaies sur son visage, ce qui la fit d'autant plus pâlir. Zelda voulut soulever la frange du prodige pour examiner l'étendue des dégâts mais Link eut un brusque mouvement de recul avant qu'elle ne puisse le toucher. Cela la déstabilisa et la laissa dans l'incompréhension. Le jeune homme ne dit rien, ne s'expliqua pas, si bien que la princesse ne put interpréter sa réaction.
- Il... il te faut des soins, décréta-t-elle en se reprenant peu à peu. Tu restes un homme, la moindre blessure grave pourrait t'être fatale.
Son regard dévia sur l'épaule de Link qui persistait à la cacher sous sa main. Lui, il dévisageait la prêtresse royale en restant impassible malgré les événements. Ses blessures n'étaient pas graves, elles guériraient comme toutes les précédentes. Cependant, il craignait s'être déboité l'épaule. Zelda soupira lorsqu'elle comprit que son chevalier servant ne se souciait pas de son état. Elle observa alors le carnage autour d'eux avec un regard soucieux. Quel combat... court mais intense.
- Les monstres ont l'air de plus en plus féroces et dangereux... murmura-t-elle après avoir dégluti. Impa m'a encore affirmé que leur nombre grandissait de jour en jour. Le retour du Fléau ne sera pas aussi lointain que je l'espérais.
Un vent chaud balaya la peau de leur visage pendant qu'elle marquait une pause. L'odeur du sang qui flottait dans l'air était renforcée par la haute température de la région. C'en devenait presque étouffant par moments. Zelda attrapa ses mains et baissa la tête.
- Je te dois encore la vie, dit-elle avec réserve. Ton implication dans ton rôle de chevalier est exceptionnelle.
Elle releva la tête vers lui, les sourcils froncés. Son air sérieux désorienta Link.
- Mais tu devrais faire plus attention, Link ! Se jeter corps et âme dans un combat... C'est pure folie ! le sermonna Zelda avec autorité. Tu as pensé à ce qu'il se serait passé si tu n'avais pas eu que de simples plaies ? Tu ne dois pas uniquement me protéger. Tout un royaume compte sur toi. J'attends de ta part que tu sois plus responsable la prochaine fois.
Les yeux du garçon s'agrandirent légèrement car il ne s'attendait pas à se faire réprimander de la sorte. Avec embarras, il passa sa main gauche sur son cou et fixa ses pieds en réfléchissant sérieusement aux paroles de la princesse. Il n'avait qu'accompli sa mission, rien de plus... Même si elle n'avait pas tort : il aurait peut-être dû méditer son plan au lieu de suivre son instinct. Zelda constata que le ciel devenait rapidement orangé, signe que la nuit tomberait d'ici quelques heures. Elle se releva tout en cachant le malaise qui l'oppressait à cause de l'environnement morbide puis elle s'épousseta le pantalon.
- Rejoignons le monastère. Là-bas, ils seront en mesure de te soigner, lui annonça la blonde avec calme.
Link se releva et grimaça contre sa volonté quand une douleur s'éveilla dans son épaule. La princesse fronça les sourcils, lui fit face puis tendit la main vers lui.
- Je vais tenir ton bouclier. Si tu es blessé, tu ne dois pas porter une telle charge sur ton épaule.
Le chevalier, pris de court, fit un pas en arrière en secouant la tête.
- Je ne peux pas, lui assura-t-il car tout chevalier se devait de porter son équipement quoi qu'il arrive.
- Ce n'est pas le moment de jouer aux durs. À une autre, pas à moi, le prévint Zelda en le regardant durement.
Link parut hésiter mais finit par se plier à sa volonté. Lentement, il s'empara de son bouclier et le tendit à la jeune fille. Quand elle le prit, Zelda écarquilla les yeux à cause du poids relativement conséquent, bien qu'elle réadopta une attitude neutre quelques instants plus tard.
- Bien, mettons-nous en route.
o O o
La nuit englobait de plus en plus le royaume d'Hyrule quand les deux élus arrivèrent au monastère. Un vieux moine et une bonne soeur les accueillirent à bras ouverts et leur proposèrent aussitôt le couvert. Zelda insista pour que le prodige soit soigné avant le dîner, ce qui se fit sans plus tarder. La soeur s'occupa de lui procurer les soins nécessaires, c'est-à-dire nettoyer les plaies avec de l'eau bénie provenant de la source de la Force puis bander l'épaule douloureuse. En effet, il avait manqué de peu la luxation de son membre, ce qui invalidait son bras pour une bonne semaine environ.
La princesse le vit revenir au bout d'une trentaine de minutes alors qu'elle entamait son dessert. Zelda s'excusa bien vite de ne pas l'avoir attendu car la fatigue avait eu raison d'elle et l'obligeait à se coucher rapidement. Link lui fit signe que ce n'était pas bien grave puis il s'attabla à son tour dans la petite pièce qui servait de salle à manger. Ce n'était pas un grand monastère. Situé au sud-est de la Montagne de la Mort, son accès restait difficile à cause du manque d'indications. Il n'y avait qu'un étage où se situaient les quelques chambres d'hôtes.
- Je vais me coucher. Voulez-vous que je débarrasse ? demanda Zelda au moine quand elle eut fini.
Il refusa poliment.
- Ne vous contrariez pas avec cela, Votre Altesse. Je vais m'en charger.
- Merci, le gratifia-t-elle d'un sourire sincère.
Zelda regarda ensuite son chevalier servant. Elle avait des yeux cernés qui témoignaient de sa réelle fatigue.
- Passe une bonne nuit, Link. Tu le mérites bien.
Il la remercia d'un discret hochement de tête que la princesse commençait à comprendre peu à peu. Elle salua la bonne soeur puis monta dans sa chambre où l'attendaient ses affaires pour la nuit. Link termina son repas en présence des deux religieux. Ils s'assuraient qu'il ne manquait de rien.
- Ce soir, je louerai les déesses d'avoir choisi des personnes telles que vous, sourit la femme en lui offrant un regard bienveillant. Avec la princesse, vous fournissez tellement d'efforts pour préserver notre beau royaume que c'en est admirable. Puissiez-vous être honorés par toutes les générations qui suivront.
Link ne sut quoi répondre à ça. À la fin de son repas, il la remercia brièvement puis partit à son tour se coucher. La neige avait atteint le monastère, par conséquent la nuit s'annonçait fraîche. Malgré cela, il décida de dormir en laissant la porte ouverte pour se réveiller et agir en cas de problème. Mais dans son état, il ne serait pas apte à utiliser son bouclier. Le prodige gravit les marches de pierre et leva les yeux vers le fond du couloir où se trouvait la chambre fermée de la princesse. Il lui était reconnaissait pour son aide en allant au monastère. Même s'ils agissaient en gardant toujours une certaine distance entre eux, leur relation s'améliorait doucement. À force de rejet, Link avait fini par penser qu'ils ne s'entendraient jamais, que la princesse n'accepterait jamais sa présence. Pourtant maintenant, c'était bien différent.
Link entra dans sa chambre pour se changer. Il retira sa tunique, sa chemise de lin puis se dirigea vers un semblant de vieux et long miroir posé à même le sol dans un coin de la pièce. L'accessoire incliné lui donna une vue d'ensemble, lui permettant de voir l'étendue de ses blessures. Son bandage avait été appliqué avec grand soin, il maintenait efficacement son épaule et atténuait la douleur. Un lourd silence planait dans la chambre. Link avait un corps de jeune homme, dorénavant. Et dire qu'il ne s'en souciait presque jamais... Lentement, il releva son bras sain tout en s'observant à travers la glace puis l'Hylien contracta son biceps. De nombreux muscles se dessinèrent de son ventre jusqu'à son bras, ce qui le fit doucement sourire. Au moins, ses camarades n'allaient plus se moquer de lui.
- Excusez-moi de vous déranger dans votre contemplation mais je viens vous apporter une bouillotte pour la nuit, annonça soudainement une voix dans son dos.
Link sursauta puis se retourna subitement avant d'apercevoir la bonne soeur, nullement gênée de le voir ainsi. Pendant qu'elle déposait le récipient sur son dos, le chevalier se fit plus petit, ses joues s'embrasaient sous l'effet de la honte. Lui qui ne rougissait jamais en temps normal, le voilà bien dans l'embarras... La religieuse s'excusa une énième fois puis s'en alla silencieusement. Link ne l'avait pas attendue arriver et aurait préféré qu'elle frappe à la porte pour lui épargner une situation aussi absurde. Il s'empressa de se mettre en tenue de nuit puis se glissa sous les couvertures glacées du lit après avoir éteint son chandelier. Il défit sa queue de cheval et posa l'élastique sur la table de nuit à côté. Le jeune homme frissonna mais rapprocha immédiatement la bouillotte de son corps pour se réchauffer. Étrangement, cela lui rappela son enfance quand sa mère venait s'asseoir au bord de son lit par les rudes nuits d'hiver. Elle lui apportait une couverture supplémentaire pour qu'il n'ait plus froid puis lui contait une vieille légende afin qu'il s'endorme. Link soupira tristement en fermant les yeux. Dans quelques jours, il pourrait enfin revenir à Elimith pour rendre visite à ses parents. Depuis combien de temps languissait-il après eux ? Il tardait au chevalier de les revoir et de s'excuser pour son silence.
o O o
Le lendemain matin, de bonne heure, la princesse Zelda déjeunait en compagnie de la bonne soeur qui lui racontait son aventure, la veille au soir. Apprendre que le prodige se pavanait devant son miroir, cela n'avait pas de prix ! Toutes deux en rirent, l'arrivée du jeune homme ne fit qu'accentuer leur hilarité. Les symptômes du sommeil se lisaient encore sur son visage endormi et ses cheveux mal coiffés. Visiblement, il n'avait pas entièrement récupéré de son dernier combat. Link ne savait d'ailleurs pas pourquoi toutes deux riaient en le voyant approcher.
- Nous reprendrons la route d'ici une heure, lui annonça Zelda en reprenant son calme. Mon père attend très certainement notre retour.
Le blond s'attabla puis entama son repas. Les deux femmes ne cessaient de le fixer en souriant, si bien qu'il finit par être embarrassé par leurs regards insistants. Son regard interrogateur apitoya la religieuse qui lui avoua avoir raconté la situation de la veille. Link la dévisagea d'un air neutre durant un long moment jusqu'à ce que le morceau de pain qu'il tenait lui échappe des mains et plonge dans son verre. La femme se moqua gentiment de lui en lui donnant une serviette pour qu'il s'essuie tandis que Zelda souriait discrètement, appuyée sur sa main.
- Je ne te pensais pas aussi imbu de toi-même, Link, dit-elle pour le taquiner. On m'a pourtant dit que tu étais un garçon humble.
Les yeux du chevalier s'agrandirent légèrement alors que sa honte s'accroissait d'autant plus.
- Ce... ce n'est pas ce que vous croyez, se défendit-il en essuyant sa tunique.
- Je le sais bien, le rassura-t-elle en acquiesçant. J'étais seulement un peu... disons... surprise.
Link détourna le regard à cause de son malaise et il reprit son repas en restant définitivement silencieux. La princesse éprouva quelques remords car ce n'était pas ainsi qu'elle lui permettrait de mieux s'ouvrir aux autres.
- La neige a partiellement fondu sur les routes, leur apprit le moine en revenant de sa promenade matinale. Vous ne devriez pas avoir de problème pour rentrer à la citadelle.
- C'est une bonne chose, se réjouit la princesse en quittant le banc de bois. Je vais réunir mes affaires pour me tenir prête au départ.
Zelda posa son regard sur son chevalier servant.
- Link, je m'occuperai de sangler ton bouclier sur ton cheval. Tu dois éviter d'utiliser ton épaule meurtrie.
Il hocha la tête et la suivit du regard quand elle contourna la table pour aller à l'étage. Sous son apparence imperturbable, l'Hylien lui était reconnaissant pour cette attention. Il trouva tout même étrange qu'elle veille sur sa santé alors que ce devait être son rôle à lui envers la princesse. Décidément, Zelda était pleine de surprises...
Code d'honneur du chevalier :
7. L'honneur du chevalier réside dans la seule conformité de sa vie avec l'idéal qu'il s'est choisi librement.
o O o
Impa gravit les marches qui menaient jusqu'au trône où siégeait le roi, accompagné d'Oswald, son deuxième conseiller. À son approche, Rhoam Bosphoramus Hyrule se leva en affichant un air grave et intimidant. La Sheikah ne se laissa cependant pas impressionner et s'agenouilla un court instant pour le saluer.
- Mon roi, des nouvelles me sont parvenues de la forteresse d'Akkala, commença-t-elle d'une voix monotone. Comme vous le savez, le prodige hylien a défait le camp ennemi sur la Montagne de la Mort, il y a de cela trois jours. D'après mes sources, aucune nouvelle troupe ne serait venue les remplacer. Seuls des éclaireurs ont été aperçus à quelques lieues de la forteresse, hier.
Le souverain hocha dignement la tête avant de reprendre place sur son illustre siège. L'excellent travail du héros avait porté ses fruits. L'intimidation fonctionnait à merveille contre ces monstres infâmes.
- Faites savoir au général Acrom que je lui enverrai bientôt une quarantaine de chevaliers pour renforcer la ceinture de l'est. La mer reste l'un des principaux espaces par lesquels nous pouvons être attaqués par surprise.
- Bien.
Impa se retira après l'avoir salué puis le roi se tourna vers son deuxième conseiller en fronçant les sourcils.
- Pensez-vous que nos ennemis puissent nous envahir en accostant nos côtes ? lui demanda-t-il d'une voix rauque. Est-ce vraiment la bonne solution d'envoyer des hommes expérimentés en renforts ?
Oswald plaça ses mains dans son dos et acquiesça lentement.
- Monseigneur, j'ai relu attentivement les rares archives royales datant des millénaires passés. Il est mentionné noir sur blanc que la première vague d'attaques provenait de la mer de l'est, insista le conseiller au regard sombre. Ne pas en tenir compte serait une terrible erreur. Les canons de la forteresse y ont été installés dans cet unique but, par ailleurs.
- Je songe aussi à en placer sur les murailles autour de la citadelle, réfléchit le monarque en se tenant le menton. Cela renforcera notre défense.
- Pourquoi donc, mon roi ?
Le père de Zelda leva les yeux vers lui, surpris par cette question déroutante. Son conseiller s'empressa de poursuivre.
- Nous avons déjà des Gardiens Tourelles, précisa le conseiller. Ils sont bien plus efficaces que l'artillerie et demandent bien moins de ressources pour les faire fonctionner. Mais après tout, apporter des canons en soutien pourrait être une bonne idée... Je la soumettrai aux officiers de la garde.
- Je vous remercie. La survie de notre royaume me préoccupe plus que l'argent placé dans sa protection.
Impa, de son côté, marchait d'un pas rapide en direction des quartiers ouest du château. Avant d'écrire au général Acrom, elle voulait trouver Pru'ha afin d'avoir des informations sur ses futurs plans. Elles auraient déjà dû se voir la veille mais leur emploi du temps, bien trop chargé, les en avaient empêché. De plus, Impa devait prendre en compte les différentes demandes des villages hyliens. Depuis quelques temps, elle recevait de nombreuses lettres dans lesquelles les divers chefs voulaient plus de protection pour leur commune ou bien de l'argent pour rénover certains bâtiments.
- Impa ! l'interpella la princesse qui arrivait en sens inverse.
La Sheikah leva les yeux vers elle et esquissa un sourire bienveillant quand elles se rejoignirent. La jeune fille avait pourtant l'air soucieux au vu de son expression plus fermée que d'habitude.
- Que se passe-t-il ? lui demanda sa nourrice en perdant son sourire. Y a-t-il une urgence ?
- Je cherche Link, dit Zelda en scrutant les alentours. Nous devions aller voir l'évolution des Gardiens.
Impa soupira de soulagement, allégée que ce soit aussi peu inquiétant. Elle croisa les bras et regarda par-dessus son épaule en adoptant une allure décontractée.
- Il est parti tout à l'heure en permission, lui annonça-t-elle sur un ton neutre. Il est sans doute en route pour Elimith.
Le visage de la princesse se décomposa.
- Vraiment ? J'aurais aimé en être informée... souffla-t-elle en fronçant les sourcils. Je le cherche depuis vingt minutes.
Sa voix devint plus froide sur ses derniers mots, témoignant de sa frustration. Tout ce temps perdu pour rien... Zelda l'aurait plutôt dédié à ses études. Sa nourrice la dévisagea d'un air songeur. Elimith était justement l'un des villages ayant envoyé une lettre. Pourquoi ne pas faire d'une pierre deux coups ?
- Princesse, le chef d'Elimith a formulé une requête auprès de votre père. Je n'ai pas encore pu prendre connaissance des motifs, mais je pense que vous êtes la mieux placée pour les comprendre. Si vous partez dès maintenant, vous pourrez rejoindre Link, lui proposa Impa en plongeant son regard dans le sien. Sa présence reste un élément de dissuasion pour les Yigas. Vous continuerez d'être en sécurité.
Cela rendit l'Hylienne mal à l'aise.
- Mais il est en permission... Link a le droit de penser à autre chose qu'à son devoir, tout de même.
- C'est bien vrai. Vous êtes libre de choisir.
Impa replaça correctement sa coiffe traditionnelle, un sourire en coin.
- Si je me souviens bien, votre père organise demain soir une réception réunissant les nobles de la cour.
La princesse se crispa en déviant le regard. C'était exact... D'autant plus qu'elle détestait ce genre de soirée superficielle. Danser ne l'avait jamais intéressée, tout comme ses recherches n'intéressaient pas la cour.
- Je n'ai pas besoin de réfléchir plus pour décider de partir sur-le-champ, répliqua Zelda avant de tourner les talons et courir vers sa chambre, suivie par le regard tendre de la Sheikah.
Impa lui épargnait ainsi de subir cette réception car elle connaissait parfaitement sa jeune protégée. Son bonheur l'importait plus que tout. L'héritière du trône était aliénée par sa condition, voyager à travers le royaume était devenu sa liberté.
Zelda se changea, prépara son sac de voyage à toute vitesse puis se rendit rapidement dans l'écurie où l'attendait son cheval. Les domestiques la voyaient s'empresser de quitter l'enceinte du château, ce qui suscita de nombreux questionnements à son sujet. Où partait-elle ? Pourquoi aussi précipitamment ? La jeune fille monta sur le dos de l'équidé puis donna un coup d'étrier en poussant une petite exclamation. Le cheval se cabra puis partit au galop en direction de la plaine d'Hyrule. Zelda le savait... Elle devait passer le moins de temps possible seule, sous peine d'être prise pour cible. Une proie isolée est une proie facile. Ne sachant pas se battre, la princesse demeurait terriblement vulnérable. Elle espérait que son chevalier servant voyageait au pas afin de pouvoir le rattraper dans les plus brefs délais.
Lancé au galop, le cheval royal donnait l'impression de galoper en harmonie avec le vent, accompagné par le claquement de ses sabots et de l'équipement de la princesse. La neige avait fini de fondre la veille, les températures étaient remontées bien qu'il fasse toujours un peu froid. L'air qui fouettait les joues de Zelda lui donnait par endroits des sensations de brûlure et rougissait sa peau. Elle était penchée en avant pour ne pas perdre de vitesse et ne pas trop épuiser sa monture. Souvent, l'Hylienne surveillait d'un oeil critique les alentours pour vérifier qu'aucun individu suspect ne rôdait. Au loin, à quelques centaines de mètres, elle aperçut enfin Link et son cheval qui marchait en toute tranquillité entre les hautes herbes. Visiblement, il empruntait un raccourci pour parvenir plus tôt à destination. Zelda éperonna sa monture, soulagée de le trouver enfin.
- Link ! l'appela-t-elle quand elle fut assez proche pour être entendue.
Le prodige tourna prestement la tête, les yeux écarquillés par l'incompréhension, et découvrit bel et bien la princesse le rejoindre au galop. Aussitôt, il se demanda quelle bêtise il avait encore commise, ou même s'il avait oublié quelque chose. Zelda arriva à son niveau, les cheveux ébouriffés, et fit cabrer son cheval pour l'arrêter. Elle regarda un instant son chevalier servant puis croisa les bras, manifestement mécontente.
- Tu aurais pu me rappeler que tu partais aujourd'hui, lui reprocha-t-elle à travers un regard dur. Figure-toi que je t'ai cherché dans tout le château car nous devions aller voir les Gardiens.
Face à son éternel air impassible, la jeune fille soupira avant de reporter son regard au loin.
- Je m'attendais à des excuses de ta part. Je ne suis pas n'importe qui, s'indigna-t-elle en renfermant son emprise sur les rênes. Si tu n'étais pas mon chevalier servant, ni même la réincarnation du Héros, je t'aurais envoyé devant mon père pour cause de mauvaise conduite.
Les épaules du jeune homme s'affaissèrent discrètement. Ce n'était pas dans ses intentions de la vexer.
- Veuillez m'excuser, Votre Altesse, dit-il en faisant ralentir son cheval jusqu'à le faire marcher derrière elle.
Cependant, Zelda ne le vit pas de cette façon et n'accepta pas qu'il continue avec cette fâcheuse habitude de rester dans son dos lors des voyages à cheval. Sur la selle, elle se retourna en posant sa main sur la croupe du cheval et le regarda avec une certaine affliction.
- Reste à mes côtés, Link. C'est bien mieux que d'être seul...
Elle perçut l'hésitation du chevalier car cela allait à l'encontre des règles qu'il devait respecter envers sa damoiselle. Mais la princesse insistait en ne cessant de l'observer, si bien qu'il finit par se remettre à son niveau.
- Est-ce que tout va bien ? lui demanda finalement Zelda car elle sentait une étrange aura émaner de lui.
C'était peut-être la première fois qu'elle avait ce genre de pressentiment. Link tourna légèrement la tête dans le sens opposé de la princesse pour ne pas qu'elle puisse voir son expression.
- C'est à propos de tes parents, n'est-ce pas ? se risqua-t-elle d'une voix nonchalante. L'un d'eux serait-il malade ?
Le blond fronça les sourcils tandis qu'il serrait plus fortement la bride de son cheval.
- Non, ce n'est pas cela, souffla Link sans plus jamais parler jusqu'à Elimith.
En vérité, il appréhendait ses retrouvailles avec eux. Son absence et son mutisme les avaient beaucoup affectés, il le savait bien... Il redoutait de voir sa mère vieillie à cause de son combat face à la maladie, ou bien d'être rejeté. Bien sûr, cela était impossible qu'une mère rejette son fils pour cette raison ! Mais seules les pires pensées hantaient l'esprit du jeune homme. Les remords le rongeaient. Zelda n'osa guère insister davantage de peur de le froisser. Elle ne le connaissait pas très bien, jamais Link ne lui avait parlé de sa vie avant l'école de chevalerie, ni même de ses parents. Encore moins de ses goûts... En fait, la princesse ne saurait décrire son chevalier servant à part affirmer qu'il est le détenteur de la Lame Purificatrice, le prodige des Hyliens et capitaine de la garde royale. Peut-être devrait-elle prendre plus le temps de le connaître ? Mais en avait-elle seulement le droit ? Link pourrait ne pas vouloir lui parler de sa vie personnelle, ce qu'elle entendait parfaitement.
o O o
Les deux voyageurs passèrent enfin l'arche d'entrée d'Elimith après avoir poliment salué le gardien. Ce dernier n'avait pas reconnu la princesse puisqu'il ne l'avait jamais vue mais il fut heureux retrouver Link après toutes ces années. Les élus des déesses traversèrent calmement la rue principale, suivis par les regards insistants de certains habitants qui n'en revenaient pas de voir Link habillé en Prodige. De plus, tous se demandaient qui était cette jeune fille qui l'accompagnait, habillée de vêtements raffinés et élégants. Link sauta à terre, ce qui prit de court la princesse. Intriguée, elle l'observa marcher silencieusement vers une femme châtaine qui tenait un panier calé contre sa hanche. À la vue de son fils, Adélaïde se figea tant elle fut surprise et troublée de le revoir.
- Mon... cher fils... murmura-t-elle d'une voix chevrotante.
Le ventre du jeune homme se noua alors que sa gorge s'asséchait désagréablement. Voyant qu'il restait immobile face à elle, sa mère s'approcha davantage de lui en tendant sa main vers la joue de Link. Prêt à recevoir sa caresse, il ferma les yeux mais grimaça l'instant d'après quand l'une de ses oreilles fut tirée en guise de punition.
- Petit chenapan ! s'emporta Adélaïde sans se cacher de tous. Ça t'aurait coûté quelque chose d'envoyer une lettre de temps à autre à ta pauvre mère ? Je suis restée sans nouvelles depuis des mois ! Et dire que j'avais mis tout mon coeur dans le colis que je t'ai préparé... Tu l'as ouvert, j'espère ?!
Le jeune homme gémit de douleur en hochant doucement la tête pour ne pas avoir plus mal, face à l'air déboussolé de la princesse. Elle ne s'attendait pas du tout à assister à une telle scène... Zelda était partagée entre le malaise et son attendrissement face à ces retrouvailles. Adélaïde leva alors les yeux vers elle pour la dévisager longuement.
- Et tu oses ramener une demoiselle, par-dessus le marché ? Tu vas entendre ton père quand il va rentrer de sa ronde !
Elle lâcha enfin son oreille rougie puis se dirigea vers la prêtresse royale en dissimulant son embarras.
- Je suis Adélaïde, la mère de ce jeune impétueux. Et vous ?
Zelda lui accorda un sourire chaleureux avant de lui répondre.
- Je me nomme Zelda Hyrule, madame.
La châtaine hocha la tête le temps d'assimiler ses mots puis se figea quand son visage blêmit brusquement. Aussitôt, le regard d'Adélaïde se porta sur l'aigle royal présent sur la tenue de la princesse, et enfin sur son visage. Par Hylia, elle ressemblait tant à la reine... ! La mère du prodige se prosterna avec humilité devant elle en balbutiant ses plus plates excuses :
- Veuillez pardonner mon impertinence, Princesse Zelda. Je ne vous avais point reconnue...
Les villageois qui avaient tout vu s'approchèrent et saluèrent à leur tour la future reine de leur royaume. La jeune fille quitta le dos de sa monture.
- Relevez-vous, les pria Zelda, fortement confuse. Je ne peux vous blâmer pour cela...
Dans un village si reculé, son visage restait méconnu par la plus grande majorité des Hyliens. Après tout, seuls les citadins pouvaient l'apercevoir lors de ses passages en ville, ou bien les domestiques et chevaliers du château. De son côté, Link l'observait sans bouger. C'est alors que Mervin, le chef du village, se présenta enfin et remercia mille fois la princesse pour son déplacement.
- J'ai quelques requêtes à vous faire, Votre Altesse, lui déclara-t-il avec grand sérieux. Je vous en prie, allons en parler chez moi avec les anciens du village.
- Je suis à votre disposition, lui répondit-elle selon les formalités.
La princesse le suivit alors jusqu'à sa maison en même temps que trois autres vieillards, dont une femme. Quant à Adélaïde, elle se tourna vers son fils en affichant un air mécontent.
- Par Hylia, tu aurais pu m'épargner cet immense embarras en me présentant la princesse !
Link rentra légèrement la tête dans les épaules en évitant son regard. Son mutisme, décrit par son père, n'avait pas échappé à la mère de famille depuis son retour, ce qui la peinait grandement. Qu'était-il arrivé à son enfant pour qu'il devienne renfermé, lui qui était si ouvert avant ?
- Allons, tu as avalé ta langue ? lui demanda-t-elle à moitié sérieuse pour alléger l'atmosphère. Je t'ai connu plus bavard, mon petit.
Link ronchonna à cause de son dernier mot et fit une discrète moue en fixant un arbre à quelques mètres d'eux.
- Je ne suis pas petit, maugréa-t-il avant de prendre la bride du cheval blanc et de se diriger vers sa maison, en hauteur.
Cela fit rire sa mère, tout de même heureuse de constater qu'il n'avait pas changé de manière drastique. En quelques rapides pas, elle vint marcher à ses côtés pendant que les chevaux restaient en retrait, et Adélaïde lui donna un léger coup de hanche pour le stimuler un peu.
- Voyons, tu resteras toujours mon petit.
De sa main libre, elle lui ébouriffa tendrement les cheveux.
- Je suis si heureuse de te voir... Pour l'occasion, je vais te préparer un colombo de veau.
Son enthousiasme gagna aussitôt son fils chez qui les yeux se mirent à pétiller de joie. La cuisine de sa mère lui manquait tellement depuis toutes ces années... Il lui accorda finalement un fin sourire, elle fut d'autant plus touchée par ce geste.
- Tu vas voir, nous ferons un festin que tu n'es pas près d'oublier, lui certifia-t-elle avec assurance.
De son côté, Zelda écoutait attentivement ce que les villageois quêtaient auprès de la famille royale. Une plus grande protection face aux événements à venir, un commerce plus facile comprenant plus de charrettes à marchandises pour les ravitailler en certaines denrées puis des sacs de graines pour réitérer leurs futures récoltes.
- Nous avions déjà envoyé une lettre il y a de cela six mois, mais nous n'avions jamais eu de réponse... se désola Mervin en croisant les bras. Peut-être n'est-elle jamais arrivée entre les mains des conseillers royaux ? En tout cas, la demande de graines est la plus urgente, Votre Altesse. Si nous voulons faire vivre notre village et vendre sur tout le territoire, nous devons impérativement en recevoir.
La princesse fronça les sourcils, visiblement soucieuse.
- C'est étrange... finit-elle par dire. Il me semblait que chaque commune pouvait obtenir des semences à partir de leurs propres récoltes. Je ne vous accuse en rien, mais je trouve cela anormal.
Un vieillard passa une main dans sa chevelure à cause de la honte. La princesse percevait bien que quelque chose n'allait pas. Personne autour d'elle ne semblait vouloir lui expliquer la situation.
- N'ayez crainte, je suis ici pour vous aider, les rassura-t-elle en leur offrant un sourire. Dans le cas contraire, je n'aurais pas voyagé jusqu'à vous.
La vieille dame décida de prendre la parole pour ses semblables, la peur la tiraillait. Même si la princesse paraissait manifestement gentille, la villageoise avait peur des répercutions.
- Nous avons perdu les sacs de graines provenant de notre agriculture, avoua-t-elle finalement en baissant les yeux. Du moins, ils ont disparu du jour au lendemain de nos moulins. Nous n'avons jamais pu trouver le ou les coupables.
- S'agirait-il d'un vol ?
Mervin acquiesça gravement.
- C'est fort probable, Votre Altesse. Mais nous n'avons aucune piste, aucune preuve...
Zelda pensa presque instantanément au clan Yiga. Ils en seraient bien capables, ces traîtres. S'en prendre à de pauvres villageois, quelle bassesse de leur part ! La jeune fille en fut d'autant plus survoltée. Néanmoins, elle garda son calme et prit la décision qu'elle considérait comme la plus sage.
- Dès mon retour au château, je vous ferai parvenir plusieurs sacs de graines, leur promit-elle avec bienveillance. Je me concerterai avec mon père pour rendre le commerce avec Elimith plus accessible.
Elle les regarda chacun leur tour.
- Quant à la protection de votre village, je pourrais vous conseiller d'envoyer quelques jeunes d'Elimith au château pour suivre la formation de soldat durant un an, leur proposa la princesse en guise de solution. Cette période est plutôt longue, je le conçois, mais vous pourrez ensuite assurer la sécurité ici.
Mervin s'inquiéta plus encore.
- Mais pendant ce temps ? Si notre jeunesse nous quitte, qui viendra aider dans les champs ? Qui épaulera les personnes dans le besoin ?
Il fallut quelques minutes de réflexion à la princesse pour pallier à ce nouveau problème. Elle n'y avait pas songé... De plus, d'après ce qu'elle avait appris, le père de Link était le seul chevalier à vivre ici.
- Je peux vous faire parvenir un maître, si vous le souhaitez. Il pourra se consacrer à l'apprentissage des futurs soldats ici même, à des horaires que vous jugerez convenables.
Les membres du conseil échangèrent quelques regards pour évaluer les différents avis. Cette solution leur convenait mieux.
- Si vous parvenez à trouver quelqu'un, nous acceptons, conclut le chef, les mains sur ses hanches. Je ne sais comment vous témoigner ma reconnaissance, Princesse Zelda.
Tous les quatre s'inclinèrent quelques instants devant elle pour la remercier, ce qui la toucha sincèrement. Voir l'espoir grandir au sein de son peuple était sans doute l'une des plus belles récompenses qu'elle pouvait souhaiter. Zelda continua à parler avec eux durant de longues heures pour prendre des nouvelles du village et des environs. Elle appréciait discuter avec ces petites gens car ils avaient sans doute plus à lui apprendre que les nobles de la cour. C'était des personnes simples et attachantes. Link avait grandi parmi eux, nul doute qu'il devait avoir hérité des mêmes traits. Cette pensée fit ressurgir la honte de Zelda à cause de son ancienne attitude vis-à-vis de lui. Comme elle regrettait...
En fin d'après-midi, elle quitta le petit conseil après avoir demandé l'adresse de son chevalier servant, puis elle se dirigea vers sa maison tout en visitant les lieux par la même occasion. C'était un village tout à fait charmant et paisible, à l'abri de l'effervescence présente dans la citadelle d'Hyrule. Zelda gravit le petit chemin menant à la maison de Link, traversa un pont au-dessus d'un ruisseau et analysa la bâtisse typique de la région. Certes, elle se situait légèrement à l'écart du village mais restait chaleureuse et accueillante.
- Vous êtes là, Princesse Zelda ! se réjouit Adélaïde en la voyant arriver.
La jeune fille tourna la tête sur sa droite et aperçut la châtaine et son fils près d'une mare. Elle les rejoignit en profitant de l'air frais et de l'ambiance reposante. À leur hauteur, Zelda découvrit une famille de canards barbotant tranquillement dans l'eau, nullement dérangés par la présence humaine. Adélaïde put enfin poser quelques questions à la princesse pour avoir des nouvelles de la citadelle, des tendances actuelles, et même de l'intrigante tablette qu'elle portait à la ceinture. La prêtresse royale lui expliqua, pour cette dernière, qu'elle pouvait prendre des photos, sortes de tableaux encore plus fidèles à la réalité. La châtaine en fut bouche bée jusqu'à ce qu'elle entende les canards caqueter.
- Regardez comme ils sont heureux, s'enthousiasma Adélaïde en les observant avec bienveillance. Mon mari voulait qu'on les mange mais j'ai refusé catégoriquement.
- Le magret de canard est un met très apprécié au château, releva la princesse en s'accroupissant. Votre époux le sait certainement.
La mère de Link rit en le regardant tendrement.
- Je pense que mon fils aurait été le premier à apprécier ce plat. N'est-ce pas, Link ?
Zelda fut intriguée par sa remarque.
- Que voulez-vous dire ? demanda-t-elle en souriant.
De discrètes rougeurs apparurent sur les joues du jeune homme qui préféra détourner la tête et s'approcher de la mare pour contempler les volatiles.
- Link ne vous a rien dit ? s'étonna Adélaïde en dissimulant difficilement son amusement. Il a bien un défaut, et c'est certainement la gourmandise. Ah, il m'en a demandé, des gâteaux, des civets ou des poissons meuniers ! À croire que tout le satisfaisait. Je ne connais pas un plat qui le répugne.
Cette nouvelle laissa la prêtresse quelque peu perplexe car jamais encore elle n'avait vu Link manifester la moindre gourmandise. Ou alors, il le cachait très bien. Elle l'observa tendre la main vers les canards mais ceux-ci restaient désintéressés et s'écartaient, créant chez le chevalier une certaine déception. Il finit par se relever en évitant de croiser le regard de sa mère ou de Zelda.
- Link ! hurla une puissante voix féminine dans leurs dos. Ce n'est que maintenant que tu rentres ?!
Pris au dépourvu, le prodige sursauta brusquement et perdit l'équilibre tant sa surprise fut grande. Avec ses bras, il fit des moulinets dans le vide pour se rattraper mais son corps bascula inexorablement et il tomba dans la mare, ce qui provoqua une éclaboussure imposante. Les yeux de la princesse s'écarquillèrent avant qu'un rire vif ne la force à poser une main sur sa bouche pour le contenir. La tête de Link émergea de l'eau et fit redoubler l'hilarité des deux femmes. Florine arriva à leur niveau et ricana en voyant son ami d'enfance dans une situation aussi embarrassante et humiliante. Adélaïde supplia la princesse pour qu'elle conserve un souvenir grâce à la tablette sheikah, ce qui se fit dans les secondes suivantes. Link regagna le sol, rouge de honte, et lança un regard désemparé à sa mère. Ses vêtements et ses cheveux mouillés qui retombaient sur son front lui donnaient un air déplorable qui parvint à apitoyer la princesse.
- Oh, Link... rit-elle en essayant de reprendre son calme. C'est... C'est d'une tristesse de te voir ainsi !
Il ruisselait littéralement. Florine s'approcha et se moqua ouvertement de lui, en particulier de la peur qu'il avait éprouvée à son arrivée. Pour un soi-disant prodige et chevalier, il craignait donc une simple femme ? La mère du chevalier finit par le ramener dans sa maison pour qu'il puisse se changer et ne pas attraper mal. Pendant ce temps, Florine décida de faire visiter la teinturerie de son père à la princesse qui s'y intéressa avec joie. Ainsi, elle eut l'occasion de découvrir un métier qui lui était jusqu'à présent inconnu. Sa présence fut un véritable honneur pour le teinturier qui lui proposa de lui envoyer des habits si Zelda souhaitait changer leurs couleurs. Elle accepta avec joie. Une fois sa visite terminée, elle revint chez Link et frappa avec douceur à la porte bien que celle-ci soit déjà ouverte. Son chevalier servant était attablé et dégustait une crêpe préparée par sa mère pour fêter sa permission.
Ce qui marqua premièrement Zelda fut ses cheveux qu'il avait détachés pour les laisser sécher plus facilement. Le voir ainsi fut si étrange et inhabituel pour la princesse qu'elle se sentit inconfortable. Elle n'avait jamais vraiment fait attention à sa coiffure, pourtant. Le regard insistant qu'elle portait à Link le mit mal à l'aise et le contraignit à mettre son repas en suspens. La blonde le remarqua et fixa plutôt la petite bibliothèque sur sa gauche.
- J'apprécie l'ambiance de votre maison, avoua-t-elle pour que Link soit à son aise. Je la trouve conviviale. C'est bien différent des murs du château...
Son regard se porta alors sur un tableau accroché en face d'elle, ce qui l'attira. Lentement, elle se dirigea vers lui et découvrit Adélaïde, son mari et son fils, encore jeune enfant. Il souriait en montrant les dents, ce qui amusa la princesse mais la déstabilisa aussi. Jamais elle ne l'avait vu ainsi. Link avait bien changé.
- J'ai cru qu'il s'agissait d'une petite fille, sourit-elle tandis que ses doigts s'entrelaçaient devant son ventre.
Derrière elle, Link manqua de s'étouffer avec sa crêpe et se mit à tousser fortement en plaquant un de ses poings sur sa table pour reprendre sa respiration. La princesse lui refit aussitôt face, inquiète, mais tout semblait déjà s'être arrangé.
- Ex... cusez-moi... bredouilla-t-il, le souffle court.
Pourquoi diable tout le monde lui faisait la réflexion en voyant cette peinture ?! Adélaïde revint à ce moment-là dans la maison et aperçut la princesse devant le tableau.
- Oh, alors vous avez vu mon fils quand il avait cinq ans ?
- En effet, répondit-elle en atténuant son sourire amusé. Je ne m'attendais pas à...
Zelda ne parvint pas à finir sa phrase, si bien que ce fut la châtaine qui prit le relais.
- À le voir avec des cheveux aussi longs ? C'est vrai qu'il ne les attachait pas, avant. Ce tableau date ! Ce devait être quelques semaines après notre visite à la citadelle.
Adélaïde porta une main sur son menton pour réfléchir et se rappeler de ces beaux souvenirs.
- Oui, nous vous avions vue pour la première fois ! C'était votre première visite dans les rues d'Hyrule, si ma mémoire reste bonne. Tu t'en souviens, Link ?
Celui-ci nia en hochant négativement la tête. La princesse reconnut que c'était aussi son cas, elle ne gardait guère de souvenirs de cette sortie... Elle se souvenait seulement des acclamations de la foule ainsi que du sourire doux que sa mère lui accordait pour la rassurer. Le coeur de la jeune fille se serra et un voile de peine passa discrètement sur son visage. Sa défunte mère... Aucun jour ne passait sans qu'elle ne la languisse.
- Où dormez-vous ce soir ? lui demanda Adélaïde en sortant une assiette et des couverts de son buffet.
- Votre chef m'a proposé un lit dans sa chambre d'hôte, lui répondit-elle sur un ton neutre. Je pense rester deux nuits tout au plus, puis je rentrerai avec votre mari s'il accepte de m'escorter.
Elle savait que Link bénéficiait d'une semaine de repos, mais elle ne pouvait se permettre de rester à Elimith aussi longtemps. Son devoir l'attendait au château. Elle devait bientôt se rendre à la source de la Force pour prier.
- Karl en serait très honoré, lui assura la châtaine. Voulez-vous goûter l'une de mes crêpes ?
Les yeux de la jeune fille s'agrandirent car elle ne s'attendait pas à cette proposition puis elle finit par accepter en lui témoignant sa reconnaissance. Zelda trouvait les gens de la campagne bien plus attentionnés et bienveillants qu'en ville, leur manière de parler était si conviviale et franche en comparaison avec celle des nobles de la cour. Link observa la princesse s'attabler devant lui et entamer son met avec une certaine retenue polie. Rapidement, elle fut conquise par ce plat si simple et pourtant si bon. Cela lui rappela quelques moments de son enfance quand l'une de ses domestiques lui en préparait pour ses petits-déjeuners.
- Délicieux... Vous feriez une belle concurrence aux crêperies de la citadelle, complimenta la blonde à l'adresse d'Adélaïde.
- N'exagérons rien, ce n'est qu'une recette de grand-mère, Princesse, répliqua avec humilité l'Hylienne profondément flattée.
Le prodige éprouva une certaine joie pour sa mère car son travail venait d'être reconnu par une personne de haut rang. Après tout, il ne faisait que découvrir une princesse proche de son peuple. Peut-être ce sentiment se confirmerait-il dans les semaines à venir. Link était loin de penser qu'elle se forçait à aller vers les différents Hyliens, mais il ne pouvait pas non plus écarter la possibilité que la princesse jouait un rôle. Cependant, cela lui paraissait tout de même peu probable...
Le soir même, Zelda se rendit dans la chambre qu'il lui avait été prêtée, lui permettant de se reposer de cette journée finalement éreintante. Elle se changea puis se glissa dans les draps en grelottant. À cette période de l'année, les nuits restaient fraîches, surtout dans les hauteurs. Mervin avait allumé la cheminée de la chambre d'hôte pour l'occasion et pour lui accorder le meilleur confort possible. Quelques minutes après avoir éteint sa bougie, Zelda entendit des craquements derrière la porte qui la tirèrent de son début de sommeil superficiel. Pourtant, elle n'en fut guère plus inquiétée car elle ne pressentait aucun danger. Mervin rangeait certainement les quelques outils agencés dans le couloir. Ce fut avec le coeur léger que Zelda s'endormit.
o O o
Le jour suivant, le chef du village vint réveiller la princesse comme prévu et lui posa même sur le bureau le petit-déjeuner qu'il avait pris la peine de préparer. Elle le remercia pour ce geste attentionné et entama sa nouvelle journée avec bonne humeur. Zelda prévoyait de rendre visite à quelques artisans pour s'assurer qu'ils ne manquaient de rien puis d'aller voir les champs d'Elimith. Elle repartirait en début d'après-midi afin de rentrer au château avant la nuit tombée. La veille, elle avait fait la connaissance du chevalier Karl qui fut bouleversé de la voir. Il ne s'y attendait pas... Néanmoins, le blond accepta de la ramener jusqu'à la citadelle pour assurer sa protection. Avec Link au village, Elimith n'avait pas à s'inquiéter.
Zelda décida justement d'aller le saluer avant de commencer sa journée. De bon matin, elle traversa les rues presque désertes du village où la rosée était encore présente. Une légère brume planait au-dessus du sol. D'un pas tranquille, la jeune fille monta jusqu'à la maison de son chevalier servant et vit Adélaïde sur le seuil de la porte en train de balayer en chantonnant.
- Bonjour, Votre Altesse ! lui adressa la châtaine en s'arrêtant. Avez-vous bien dormi ?
- Oui, c'était très bien, répondit-elle en souriant.
À travers l'encadrement de la porte ouverte, Zelda aperçut une masse rouge affalée sur la table à manger, juste devant un bol et un pot de fleur. Elle fronça les sourcils et plissa les yeux jusqu'à reconnaître Link dans sa tenue hylienne quand elle fut assez proche de sa mère.
- Votre fils est malade ? demanda-t-elle, surprise de le voir ainsi.
Les yeux d'Adélaïde s'écarquillèrent, elle se tourna vers lui puis éclata de rire en comprenant. Par Nayru, non ! Link se portait très bien. L'hilarité de l'Hylienne dérouta quelque peu la princesse. Elle voyait bien le jeune homme dormir face contre table, les bras ballants. C'en était presque ridicule...
- Non, il récupère de la nuit qu'il a passée à monter la garde, lui apprit la châtaine après s'être calmée. Link est rentré il y a tout juste vingt minutes.
Zelda en fut d'autant plus surprise.
- Il a monté la garde ? Je pensais qu'il devait se reposer...
La mère de famille papillonna des yeux suite à ses questions mais finit rapidement par comprendre la situation.
- Mais vous le savez bien, Votre Altesse. Mon fils a demandé à Mervin s'il pouvait assurer votre sécurité pendant la nuit, lui dit-elle sur un ton étonné. Il n'a pas voulu m'en dire plus mais le fait que vous ne soyez pas aussi bien entourée qu'au château devait certainement l'inquiéter.
Cette nouvelle laissa la prêtresse royale sans voix. Même en permission, il persistait à assumer son devoir ? Cela la rendit mal à l'aise... Par sa faute, Link se fatiguait et ne pouvait profiter pleinement de cette semaine. Cela fit une raison de plus à la princesse pour rentrer. Adélaïde esquissa un doux sourire.
- Je pourrais lui poser la question quand il se réveillera, si vous le désirez.
- Ce ne sera pas la peine, lui assura Zelda en se tenant les mains. Je repasserai pour le saluer.
La châtaine lui demanda le programme de sa matinée, ce à quoi répondit la jeune fille. Elle lui énuméra tout ce qu'elle souhaitait faire, notamment observer certains métiers qu'elle jugeait peu connus à la citadelle.
- Puis-je vous y accompagner ? Je serai votre guide, proposa Adélaïde réjouie par l'idée d'aider sa future souveraine.
- Ce sera avec plaisir, affirma Zelda en souriant.
Ainsi, toutes deux partirent voir le meunier pour commencer la visite. Plusieurs moulins surplombaient le village dans les hauteurs, la plupart appartenait à un dénommé Calbert, un homme vigoureux et assidu dans son travail. Sur le chemin, Adélaïde en profita pour poser quelques questions sur son fils.
- Savez-vous si Link s'est bien intégré dans la garde royale ? questionna-t-elle en fixant le sol terreux. Quand j'ai appris que votre père, le roi, l'avait nommé capitaine, j'ai eu bien peur pour son avenir au château...
- De ce que j'ai pu constater, votre fils n'a pas l'air de se plaindre. De plus, ce n'est pas dans ses habitudes... pensa Zelda en baissant la tête.
La châtaine esquissa un sourire puis se frotta les bras quand le vent se leva.
- Hier après-midi, Link m'a rappelé qu'il était exclusivement sous vos ordres. Ma terrible inquiétude a fait que je l'avais oublié... soupira l'Hylienne avec une certaine peine. J'ai toujours craint de perdre mon fils depuis la perte de mon deuxième enfant lors d'une fausse couche.
Cette nouvelle choqua tant la princesse qu'elle tourna prestement la tête vers son interlocutrice, le teint pâle.
- Je... je suis terriblement désolée... bredouilla Zelda qui ne pensait pas en venir à de tels aveux.
Elle déglutit avant de se risquer à poser une nouvelle question.
- Link est-il au courant ?
- Oui. C'est pourquoi la vie lui est si chère à ses yeux. Pour une raison que j'ignore, il s'en est toujours voulu.
Zelda trouva cela étrange étant donné qu'aucun des deux n'était responsable de la mort précoce du bébé... La jeune fille posa son regard sur le moulin qui se rapprochait peu à peu. Une interrogation la démangeait toujours.
- Pourquoi Link est-il si fermé ?
Cette question désempara Adélaïde car elle-même n'en connaissait pas les raisons. Tout ce qu'elle savait, c'était qu'il était resté le même au moins jusqu'à son adoubement.
- N'hésitez pas à lui poser vous-même la question, Princesse, lui répondit-elle doucement. Après tout, il est le plus à même de vous en expliquer la cause. Il ne daigne rien dire à sa propre mère... Parfois, j'ai bien du mal à comprendre les hommes.
Zelda lui donna raison juste avant d'arriver au moulin. Calbert les accueillit avec joie et présenta aussitôt les lieux puis son métier à la princesse. Il était heureux qu'elle s'y intéresse. Ce n'est pas tous les jours qu'on recevait la visite princière ! La future reine alla ensuite voir l'éleveuse du village, encore plus haut, qui lui montra fièrement les bêtes de son troupeau. Toutes avaient un oeil vif reflétant leur excellente santé. Rien à voir avec les vieux bovins que l'on trouvait aux abords de la citadelle. Zelda la félicita pour les très bons soins et tout le temps passé auprès des animaux pour qu'ils soient aussi épanouis. Elle dut toutefois refuser le lait que la bouvière voulait lui offrir car elle y était intolérante...
Après cela, Adélaïde dut quitter l'hôte de son village pour préparer le repas de midi. La princesse la remercia pour cette belle et calme matinée partagée ensemble puis elle décida d'aller voir les champs de céréales pour profiter de la dernière heure qu'il lui restait. Zelda descendit le long d'un petit chemin tracé par la répétition de pas jusqu'à ce qu'elle arrive au lieu en question. Florine s'occupait d'arracher les mauvaises herbes qui avaient repoussé, accompagnée de Jeannot et de leur ami d'enfance, Link. Ce dernier s'était porté volontaire pour les aider à travailler la terre, c'est pourquoi il creusait le sol à l'aide d'une bêche en synchronisation avec son ami. Il était toujours vêtu de sa tenue hylienne rouge dont il avait retroussé les manches à force de travailler. Malgré l'air frais, le chevalier ne semblait pas dérangé.
Link avait dormi quelques heures avant de rejoindre ses anciens camarades. Midi approchait de plus en plus, la pause arrivait bientôt. Le jeune homme se releva en soufflant fortement à cause des douleurs dans son bas-dos. Rester courbé pendant près d'une heure, ce n'était guère agréable... Il planta son outil dans le sol puis, du dos de sa main, il essuya son front en sueur et aperçut enfin la princesse qui les observait en retrait. Le blond ne s'attendait pas à la voir ici.
- Bonjour, dit-elle en les rejoignant finalement.
Les deux autres villageois levèrent la tête pour la saluer puis ils se remirent rapidement à leur tâche.
- Merci d'avoir veillé sur moi cette nuit, dit Zelda à l'adresse de son chevalier servant. C'était très généreux de ta part.
Elle lui accorda un sourire discret pour garder une certaine intimité vis-à-vis des deux inconnus.
- Tu n'étais pas obligé de le faire, ajouta-t-elle quand elle ne vit aucune réaction de la part de Link.
Il regarda un court instant sur le côté certainement par modestie, pensait la princesse.
- Avez-vous passé une bonne nuit ? lui demanda-t-il après plusieurs secondes de silence.
- Oui, je te remercie, le gratifia-t-elle avec reconnaissance.
Les coups de pioche de Jeannot furent les seuls bruits qui les accompagnèrent quand ils ne surent quoi se dire. Quelle étrange atmosphère... Zelda se sentait un peu inconfortable. Cela dut se remarquer car elle se frottait nerveusement un bras.
- Je vais bientôt repartir pour le château. Il faut que j'aille préparer mes affaires, annonça Zelda en ayant un mouvement de recul.
- Je vous raccompagne.
Son ton déterminé parvint à surprendre Zelda. Enfin, cela lui importait peu. Le simple fait qu'il l'escorte jusqu'à la maison du chef lui faisait plaisir. Link se tourna vers ses deux amis :
- Je reviens, dit-il simplement à leur adresse.
Le jeune homme laissa sa bêche sur place puis emboîta le pas de la princesse quand elle partit vers le village. Il se demandait bien qui avait pu lui parler de sa garde nocturne. Il n'avait guère voulu embarrasser la fille du roi en lui proposant ses services. Une fois qu'ils furent assez loin du champ, Zelda se tourna vers lui et lui adressa un regard interrogateur qu'il ne parvint à décrypter.
- Link, je me demandais... commença-t-elle avec hésitation.
L'air impassible du jeune homme l'incita pourtant à continuer, comme s'il l'encourageait à poursuivre.
- Pourquoi parles-tu si peu ? Pardonne ma remarque mais tu paraissais plus expressif, enfant. J'ai eu l'occasion de parler avec ta mère, elle m'a dit que tu t'étais renfermé sur toi-même.
Le ventre de Link se tordit désagréablement, il éprouva un certain mal-être en repensant aux raisons de son mutisme. À l'origine, c'était un choix, devenu peu à peu une habitude dont il peinait à sortir. Il s'était cadenassé dans sa propre carapace.
- Je... débuta Link qui prenait grandement sur lui pour parvenir à lui expliquer.
Mais c'était si dur...
- Je ne te jugerai pas, lui promit Zelda qui voulait l'aider à surmonter ses problèmes s'il le désirait.
Elle voyait bien que Link n'était pas à l'aise.
- La pression de mon devoir est si importante... que le silence est devenu mon seul refuge, avoua-t-il enfin. Toutes ces personnes qui attendent de moi, tous ces nobles qui m'observent et qui n'attendent qu'un faux pas de ma part pour m'humilier et m'écarter... Le moindre mot, la moindre maladresse m'effraie. En fin de compte, que je parle ou non, je ne parviens plus à m'exprimer.
Sa voix se perdit dans un murmure qui entraîna un pincement au coeur au sein de la poitrine de Zelda. Alors lui aussi subissait la pression de son destin... Le regard des autres provoquait chez lui un mal-être qu'elle ne pouvait comprendre. En effet, pour la princesse, il était durement imaginable qu'un chevalier hors pair de sa catégorie puisse être durement jugé ou rejeté pour quelques maladresses. Ce qu'elle entendait, c'était le fait qu'il ne soit pas issu de la noblesse. La différence de classe sociale rajoutait une barrière et un point négatif pour lui aux yeux des nobles. Ces stupides nobles... Il n'y avait que leur titre qui leur importait.
Zelda fit quelques pas pour s'approcher de lui mais le jeune homme eut un mouvement de recul en l'observant avec méfiance. Le fait de s'être ouvert ainsi lui donnait l'impression d'être en position de faiblesse. Cela affecta la princesse qu'il garde autant ses distances. Mais elle était consciente que c'était normal au vu de leur relation. La princesse étant de très haute classe, Link devait respecter la distance entre eux.
- Je ne sais pas quoi te dire... prononça Zelda après une longue minute de lourd silence.
Effectivement, elle ne savait comment agir après cet aveu de sa part. La blonde était même peinée de voir les effets néfastes de la cour, mais aussi du destin qui leur était imposé.
- Si l'on ose te reprocher la moindre chose, viens me trouver et j'essaierai d'arranger la situation.
- Ne vous embarrassez pas avec ces histoires, Votre Altesse, la pria Link en détournant le regard, le visage d'autant plus fermé.
Navrée, Zelda fronça les sourcils, prête à intervenir, mais elle préféra s'abstenir car cela paraissait vain face à l'humeur de son chevalier servant. Lui qui avait eu la gentillesse de la raccompagner avant son départ, le voilà affligé par la dure réalité qui le poursuivait sans cesse. Certes, la jeune fille apprenait à mieux le connaître mais elle n'en tira que la honte d'avoir trop voulu savoir. Elle s'excusa pour son impolitesse puis affirma à Link qu'elle ferait le reste du chemin toute seule.
Le prodige la suivit du regard jusqu'à ce qu'elle disparaisse de son champ de vision. Il soupira en replaçant ses manches correctement car sa température corporelle commençait déjà à chuter après sa pause, puis il retourna au champ pour terminer sa tâche matinale. Link avait été pris au dépourvu par la question de la princesse. Sans doute avait-il donné une réponse trop froide à son goût... Peut-être qu'un jour, s'il triomphait du retour du Fléau, il parviendrait à redevenir comme le petit garçon qu'il était.
Ce texte a été proposé au "Palais de Zelda" par son auteur, "Onyx". Les droits d'auteur (copyright) lui appartiennent.