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Le Royaume Perdu

Ecrit par Nesumi
Chapitres 1 à 8   •   Chapitres 9 à 17   •   Chapitres 18 à 24
Chapitre 18 : Le refuge   up

De la citadelle, Cezra et Ygaël avaient repris leur route vers l'est, en direction de Cocorico. Le Sheikah n'avait pas hésité longtemps ? bien qu'il ne soit plus le bienvenu dans son village, c'était là-bas qu'ils avaient le plus de chances de retrouver Link ou, du moins, d'apprendre où il se trouvait actuellement. S'il n'oubliait pas qu'il avait promis à sa compagne de retrouver son cousin Shiki, il souhaitait d'abord s'assurer que son frère allait bien et prendre des nouvelles de Neyria. Que ce soit par curiosité ou parce qu'elle sentait qu'Ygaël ne ferait rien pour elle avant, Cezra avait accepté en protestant au minimum.

- Ce serait bien de trouver un abri, fit-elle remarquer en levant la tête vers le ciel qu'on apercevait entre les frondaisons des arbres du petit bois qu'ils traversaient.

La lumière avait soudainement décliné entre le soir qui approchait et les nuages annonçant la pluie. Au loin, retentit le tonnerre et Cezra donna aussitôt deux coups de talons dans les flancs du loup blanc qui n'apprécia guère.

- La pluie va nous tomber sur le bout du nez. Il doit bien y avoir quelque chose dans le coin pour éviter de nous tremper comme des soupes, non ?

Ygaël poussa un long soupir, mais reprit sa progression en trottinant. Il connaissait les environs comme sa poche pour y avoir patrouillé très souvent du temps où il était encore aux ordres de sa grand-mère. Ses sens l'avaient averti du changement de temps bien avant que le ciel ne vire au gris et il avait déjà pris la direction d'un abri. Il ne fallut d'ailleurs pas très longtemps pour qu'ils arrivent devant une cabane isolée. Miraculeusement épargnés par les monstres, le toit et les murs en rondins étaient couverts de mousse verte et de quelques champignons. Cezra vola jusqu'à l'unique fenêtre crasseuse et claqua des doigts pour rendre son apparence humaine à Ygaël. La Twili jeta un oeil inquiet vers le ciel alors que le tonnerre se rapprochait, roulant dans les hauteurs des montagnes environnantes.

- J'espère qu'il n'y aura pas de rats là-dedans, dit-elle en ouvrant la porte d'un geste magique.
Elle rentra à l'intérieur aussitôt. Une odeur horrible d'humidité et de vieilles cendres la prit aux narines. Elle fut bien tentée de sortir, mais un éclair zébra le ciel et elle pénétra plus avant dans l'unique pièce.
- Ça devrait le faire pour cette nuit si tu allumes un bon feu, continua-t-elle précipitamment. Allez, ramène du bois sec et plus vite que ça.

Ygaël la regarda avec perplexité. Il s'était attendu à ce qu'elle proteste devant l'air misérable de la cabane et encore plus une fois qu'elle aurait vu qu'il n'y avait qu'un vieux lit à la paillasse défraichie, une table et deux chaises pour tout mobilier. Il s'était même préparé à lui rétorquer qu'elle avait connu pire dans sa cellule de la Tour du Jugement. Le jeune homme la rejoignit rapidement, quelques bûches dans les bras. Cezra était en train d'examiner la paillasse, soulevant la vieille couverture miteuse du bout des doigts d'un air dégouté.

- J'allume un feu et je vais chasser de quoi manger avant qu'il pleuve.
Cezra laissa retomber le couvercle du coffre brutalement en le regardant.
- Tu veux aller chasser ? Maintenant ?
- Je ne trouverai rien s'il pleut et on ne va pas rester le ventre vide. Tu préfères y aller ?
- Tss, bien sûr que non, mais c'est toi qui sentiras le chien mouillé, pas moi.
Ygaël sourit en coin à sa remarque, mais n'ajouta rien. Il prépara le bois et alluma le feu. Très rapidement, une douce chaleur commença à envahir la cabane.
- Tu devrais trouver des couvertures propres dans le coffre là-bas et des fruits secs dans les jarres, fit-il alors qu'elle le transformait en loup.
- Comment tu sais ça toi ? demanda-t-elle.

Le loup se contenta de pointer le museau vers le coffre, puis disparut à l'extérieur. Cezra resta sur le pas de la porte un instant. Elle poussa un léger cri aigu lorsqu'un nouvel éclair zébra le ciel et retourna se cacher dans la cabane, soulagée qu'Ygaël ne soit pas là pour rire de sa petite faiblesse toute momentanée.

* * *

Il pleuvait à torrents et l'orage se déchainait quand Ygaël poussa la porte de la cabane, un lapin entre les crocs. Le loup était trempé jusqu'aux os. Sa fourrure dégoulinait d'une eau glaciale, créant une grosse flaque sous lui. Dans l'âtre, le feu brûlait toujours bien, ses flammes créant des ombres dansantes sur les murs de la cabane. Ygaël s'ébroua et chercha Cezra des yeux. Il déposa sa proie au sol et approcha du lit où une couverture tremblait. Du museau, il lui donna un petit coup. Le petit cri surpris de Cezra le fit reculer. Il n'aurait jamais pensé que la Twili puisse réagir ainsi et il trouva cela plutôt adorable.

- Oh, c'est toi, fit Cezra en sortant la tête de dessous sa couverture comme si la situation était parfaitement normale.
Elle laissa glisser ses yeux sur le loup et fronça le nez.
- Je t'avais prévenu ? tu sens le chien mouillé ! C'est dégoûtant !
Elle claqua des doigts et le loup laissa la place à Ygaël dans ses vêtements à la mode Twili. Ses cheveux et sa peau étaient pourtant toujours trempés et il ne put réprimer un frisson.
- Je vais préparer un ragoût. Ça nous fera du bien.
Il ôta sa tunique avant qu'elle ne soit complètement humide et ses chaussures, puis essora ses cheveux avant de les essuyer dans une couverture rangée dans le coffre.
- C'est tout ce que tu as ramené ? Un pauvre petit lapin rachitique ?
Il lui sourit en coin, peu dupe de l'assurance qu'elle tentait de garder alors que sa voix tremblait un peu.
- Les animaux sauvages se font de plus en plus rares et la pluie est tombée bien plus vite que je le pensais.

Un éclair passa. Le roulement de tonnerre qui suivit fit trembler les vitres. Ygaël admira le courage de Cezra. Elle tremblait de tous ses membres, mais ne se réfugiait pas sous la couverture. Il préféra ne faire aucune remarque et s'occupa du repas. La Twili l'observa aller et venir entre la table et les jarres. Le jeune homme savait exactement où se trouvaient la marmite, les différents aromates séchés ou les graines pour préparer le ragoût. Le voir faire l'apaisa un peu entre les coups de tonnerre et elle réussit à ne pas retourner se cacher.

- Tu es déjà venu ici, dit-elle finalement en abandonnant le lit pour le rejoindre près du feu où il remuait leur dîner.
- Bien sûr. C'est un peu chez moi.
- Et tu en es fier ? Parce que ça manque d'entretien quand même. Et de meubles dignes de ce nom.
Ygaël laissa échapper un rire à sa remarque.
- Je pensais que tu ne le dirais jamais, fit-il avec malice.
- Quoi ? Tu te moques ?
Il lui sourit alors qu'elle se plantait devant lui, ses petits poings sur les hanches, l'air courroucé. Elle avait été obligée de laisser tomber la couverture salvatrice pour prendre cette pose outrée.
- Je commence à te connaître, répondit-il seulement.

L'orage redoubla et cette fois, Cezra eut l'impression que la maison allait s'écrouler. Elle poussa instinctivement un cri et se raccrocha à la première chose à sa portée ? Ygaël. S'il fut surpris, il posa une main dans son dos, laissant un léger sourire flotter sur ses lèvres alors qu'elle avait son visage niché contre son épaule.

- Même en humain, tu sens le chien mouillé, entendit-il murmurer.
- Tu n'es pas mieux ? tu as pris l'odeur de la vieille paille de mon lit, fit-il doucement, sans aucune moquerie.

Cezra resta immobile alors que la pluie continuait de frapper aux carreaux et que éclairs et tonnerre se déchainaient au-dessus de leurs têtes. Si elle était toujours terrifiée, elle tremblait malgré tout un peu moins maintenant qu'elle était dans les bras de son compagnon. Ygaël s'assit par terre sans la lâcher et attrapa la couverture pour les emballer dedans du mieux qu'il le pouvait.

- J'ai trouvé cette cabane il y a des années, bien avant d'être exilé de Cocorico, commença-t-il à raconter. Elle devait appartenir autrefois à un bûcheron. Elle m'a servi de refuge plus d'une fois quand j'étais en mission. Quand j'ai quitté les Yigas, je suis revenu ici. Je n'y habite pas vraiment, mais pour se poser de temps en temps, c'est suffisant.
- Tu as vraiment été un Yiga, alors ?
Cezra avait relevé la tête à sa question et le regardait dans les yeux. Ygaël savait qu'elle détestait autant les Yigas que Nahdrim. Elle lui avait raconté comment le clan avait participé à la capture et à la déchéance de son peuple.
- C'est l'une de mes plus grosses erreurs, admit-il, se préparant à ce qu'elle laisse éclater sa colère.
- Mais qu'est-ce qui t'a pris ? Tu es un Sheikah, non ?
Elle resta blottie contre lui, ses petites mains chaudes sur son torse nu. Il y avait plus d'incompréhension que de colère dans sa voix.
- Je venais d'être exilé de Cocorico. Je n'avais plus de famille... J'ai cru à...
Ygaël se stoppa dans son discours. Il avait dit quasiment la même chose à Link, mais en vérité, il n'avait pas raconté toute l'histoire.
- Un peu après mon exil, j'ai croisé la route d'un père et de sa fille qui allaient vers l'est, reprit-il, détournant les yeux pour regarder les flammes sous la marmite. Ils m'ont offert un repas et m'ont proposé de les escorter jusqu'au village où ils se rendaient. Je voulais me rattraper de mes erreurs, alors j'ai accepté, et ça m'éloignait de Cocorico, ce qui n'était pas plus mal. Luma était... nous nous sommes très vite bien entendus, et même plus que ça. Avec elle, tout semblait plus facile, même de parler de la disparition de mon frère, de la mort de mes parents... Elle aussi avait perdu sa mère et une soeur pendant la guerre. Nous nous comprenions.

Il fit une pause, attendant que Cezra lui fasse une remarque assassine sur son manque de jugement ou sur le fait qu'il était tombé amoureux de la mauvaise personne, mais rien ne vint. Il n'eut pas pour autant le courage de la regarder, continuant à fixer obstinément le feu devant lui.

- Je les ai accompagnés pendant plusieurs semaines, de village en village. Puis, un jour, elle m'a avoué la vérité ? que son père et elle appartenaient au clan des Yigas, qu'elle craignait de m'en parler de peur que je la rejette, que les Yigas n'étaient pas ceux que les Sheikahs dépeignaient...
Il eut un rire nerveux à la fin de sa phrase.
- Aujourd'hui encore, je ne sais pas pourquoi j'ai accepté de les suivre. J'étais tellement en colère contre Impa qui m'a caché tant de choses alors que je lui avais toujours obéi, je me sentais si coupable d'avoir failli à mon devoir et d'avoir laissé tant de monde se faire tuer. Sans compter que j'avais été obligé de laisser ma soeur derrière moi et que j'étais persuadé qu'elle aussi, me méprisait comme le reste de mon clan et de ma famille... Plus le reste avec Link... Je crois que j'ai tout simplement abandonné, parce que cette fille, elle, me tendait les bras en m'offrant tout ce que je n'avais plus...
Ygaël tourna finalement les yeux vers Cezra.
- Je suis un bel imbécile, tu peux le dire.
- Tout de suite les grands mots. Tu n'es pas si beau que ça, répliqua-t-elle avec son brin de malice habituelle.
Ils restèrent tous les deux à se regarder pendant quelques instants, sans sourire, ni rien dire. Ygaël ne comprenait pas pourquoi elle ne l'avait pas insulté et pourquoi elle n'était pas révulsée par son contact. Cezra n'arrêtait pas de le surprendre.
- Tu crois que le ragoût est prêt ? Je meurs de faim, brisa-t-elle le silence en premier, un peu gênée.
- On devrait pouvoir manger, oui.
Il lui adressa un bref regard reconnaissant, puis leva l'index vers le ciel.
- Tu entends ? L'orage est passé.
- Ce n'est pas trop tôt.
La Twili en profita aussitôt pour se glisser hors de la couverture et s'éloigner de lui. Le rapprochement physique avait assez duré et elle ne voulait surtout pas qu'il se fasse des idées. Ygaël n'ajouta rien et touilla le ragoût une dernière fois. Il se leva ensuite en silence pour ramener deux écuelles en bois et les remplir généreusement.
- Ta tambouille sent assez bon. J'espère que le goût vaut l'odeur, s'amusa-t-elle en retrouvant son air supérieur.
Ygaël se contenta de sourire très légèrement, puis plongea sa cuillère dans son écuelle. Il avait une faim de loup, sans mauvais jeu de mots.

* * *

Cezra se réveilla en sursaut. Elle haletait et une sueur désagréable lui couvrait le corps. Elle prit une grande inspiration en reconnaissant la vieille cabane.

- Ce n'était qu'un rêve... murmura-t-elle en sentant un sanglot étreindre sa voix.

Un cauchemar plutôt, mais surtout un souvenir. Un souvenir odieux et terrifiant dont la noirceur semblait lui coller à la peau, l'engluant totalement dans la peur qu'elle avait ressentie ce jour-là. Pour l'oublier, elle tourna la tête vers Ygaël. Le jeune homme dormait près du feu, à même le sol. Il lui avait laissé le lit même si ce n'était pas vraiment un cadeau entre la paille qui piquait à travers la toile grossière du matelas et l'odeur désagréable qui en émanait. Enfin... c'était sûrement mieux que le plancher poussiéreux et plein d'insectes. Elle n'en avait vu aucun, mais elle était sûre qu'il y en avait et qu'ils n'attendaient qu'une occasion pour lui grimper dessus, comme dans sa cellule au coeur du désert. A cette pensée, elle eut un nouveau frisson, de dégoût cette fois, et se passa les mains sur les bras pour évacuer les bestioles imaginaires.

A ce geste, quelque chose d'anormal la frappa. Une sensation inhabituelle qu'elle ne put identifier que lorsqu'elle regarda ses mains. Elles n'étaient plus aussi petites que d'ordinaire. L'espoir gonfla son coeur et elle se détailla des pieds à la tête. Elle ne comprenait pas comment, mais elle avait retrouvé sa véritable forme ! Aussitôt, elle bondit hors du lit, un véritable sourire de joie sur les lèvres. Elle tâta son visage, suivit la longueur de ses cheveux, celle de ses bras. Pas de doute ? elle était elle-même. Le petit lutin dont les yeux mangeaient le visage était enfin redevenu la jeune femme qu'elle aurait toujours dû être. Que s'était-il donc passé ? Nahdrim était-il mort pour que son sortilège ait disparu ? Si seulement cela pouvait être vrai !

Elle tourna sur elle-même de ravissement, mais s'arrêta en entendant Ygaël se retourner sur son plancher. Cezra attendit qu'il se réveille, mais il dormait comme un loir. Il avait pourtant dit plus tôt que son instinct de loup ne lui permettait de ne dormir que d'un oeil. Quel menteur ! Elle s'approcha doucement de lui, se demandant quelle tête il allait faire quand il la découvrirait ainsi. Assurément, il la trouverait très belle. Elle n'imaginait pas qu'il puisse penser le contraire. La Twili observa le visage du jeune homme. Ses cheveux blancs s'étalaient sur ses épaules et sur son visage. Elle devait reconnaître que, contrairement à ce qu'elle lui avait dit plus tôt, il était plutôt beau. Pour un Sheikah, bien entendu. Pour un Twili, il serait assez vilain.

Elle s'accroupit devant lui pour mieux voir son expression alors qu'il continuait à dormir. Très doucement, elle écarta une mèche de ses cheveux pour dégager son visage. Pour une fois, Ygaël avait l'air de profiter d'un sommeil réparateur sans cauchemar. Était-ce parce qu'ils se trouvaient dans un endroit qu'il pouvait considérer comme chez lui ou parce qu'il s'était confié à elle ? Difficile à dire, bien évidemment. Cezra n'avait fait aucune remarque à son histoire. Oh, elle avait bien pensé qu'il avait été plus qu'idiot de ne pas avoir senti l'entourloupe dès sa rencontre avec cette fille, mais elle n'avait pas eu envie de le dire à haute voix. Après tout, elle aussi savait ce que cela signifiait de faire confiance à la mauvaise personne et de se faire berner en beauté, de se faire trahir.

Sans s'en rendre compte, Cezra avait commencé à suivre du doigt le tracé d'une cicatrice qui partait de son cou pour courir sur son épaule. Ce n'était pas la seule qui parcourait le corps d'Ygaël. Les tortures de Nahdrim avaient laissé des souvenirs sur sa peau malgré les soins qu'elle lui avait apportés. Les blessures s'étaient refermées et elle lui avait sauvé la vie, mais elle n'avait pu tout effacer. Jamais ils n'avaient parlé de cet épisode et jamais Ygaël n'avait évoqué ses cicatrices ou la torture qu'il avait subie. Cezra savait d'expérience que ce n'était pas quelque chose dont on parlait facilement. Elle-même avait sur le corps des souvenirs semblables laissés par ce sadique de Nahdrim. Cette pensée la ramena à son cauchemar et elle ferma les yeux pour refouler la peur et les larmes qui menaçaient de revenir. Elle était plus forte que cela. Elle pouvait surmonter le passé.

- Il y a encore de l'orage ? entendit-elle murmurer.
Quand elle releva les paupières, Ygaël remuait pour se coucher sur le dos. Il n'avait pas ouvert les yeux, ce qu'elle regretta un peu tout en le redoutant. Il bailla et d'une main, souleva sa couverture.
- Viens dormir.
D'ordinaire, Cezra aurait protesté qu'elle n'avait peur de rien, qu'elle n'était plus une enfant. Elle l'aurait secoué pour qu'il se réveille et serait retournée dans son propre lit. Mais elle n'en fit rien. Elle n'était pas fâchée comme elle l'aurait dû. Au contraire, elle trouvait même cela adorable de sa part.
- Tu viens ou pas ?
Comme il tournait la tête vers elle, elle posa sa main sur ses yeux. Ce serait finalement plus amusant qu'il la voit ainsi au matin.
- Oui, oui, mais pas de gestes déplacés.
Elle vit ses lèvres s'étirer dans un léger sourire amusé.
- Je dors, moi.

Cezra se glissa sous la couverture, contre lui. Sa peau était bien chaude et il ne sentait plus le chien mouillé. Elle attendit le moment où il allait se réveiller en comprenant que le corps qui se pressait contre le sien n'était plus celui d'un lutin, mais il se rendormit rapidement. La Twili ne sut si cela la vexait ou si c'était très bien comme cela. Bercée par la chaleur et la respiration d'Ygaël, elle ne fut pas longue à se rendormir.

L'aube pointa finalement son nez. Une aube morne et crépusculaire, comme toutes celles que le pays tout entier vivait depuis quinze longues années. Ygaël sortit du sommeil, baillant légèrement, alors que la nuit s'éclaircissait. Le sol était dur et il avait hâte de se dérouiller les muscles. Il sentit un poids inhabituel contre lui et se rappela vaguement que Cezra était venue le rejoindre dans la nuit. Il tourna la tête vers la Twili et resta interdit en voyant la jeune femme qui dormait encore dans ses bras. Son cerveau eut un temps de retard avant de reconnaître sa compagne. Il prit alors conscience de la totalité de son corps contre le sien, de sa poitrine contre son flanc, de sa jambe enroulée dans la sienne et il n'osa plus bouger un muscle. Comment sa malédiction s'était-elle levée ? Était-ce définitif ? Savait-elle qu'elle avait retrouvé sa forme d'origine ? Toutes ces questions se bousculaient dans son esprit alors qu'il observait ses traits. Comme elle le lui avait dit, Cezra devait avoir à peu près son âge. A vrai dire, il reconnaissait à peine son visage de lutin dans celui-ci, si ce n'était, peut-être, son nez ou les dessins que faisaient les différentes couleurs de sa peau. Ses joues rebondies lui donnaient un petit air de poupée, mais il sourit en réalisant qu'elle détesterait sûrement cette comparaison. Sa tête, son épaule étaient plus petites qu'il l'aurait cru. Même sous sa forme humaine, Cezra était finalement un petit gabarit. Elle remua légèrement, se pressant un peu plus contre lui. Il réalisa que cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas tenu une femme entre ses bras. Oh ! Pas qu'il en ait eues beaucoup, il n'était pas ce genre d'homme et toute sa vie avait plutôt été tournée vers ses devoirs de guerrier que vers l'épanouissement de sa vie privée, mais Luma avait été la dernière et cela remontait à quasiment deux ans. Il laissa échapper un soupir. Il ne voulait pas penser au passé.

Sa main libre vint d'elle-même caresser délicatement la joue de Cezra et son pouce s'égara un instant sur ses lèvres. Il mentirait s'il disait ne pas la trouver jolie et ne rien ressentir à ce corps pressé contre le sien. Leurs débuts n'avaient pas été faciles, et si seulement quelques jours avaient passé depuis leur rencontre, un lien certain s'était créé entre eux de part leurs blessures similaires, leurs objectifs communs. La Twili n'avait pas un caractère facile, mais quoi de plus normal après ce qu'elle avait vécu ? Depuis leur discussion au palais du Crépuscule, il avait également pris conscience que son ton supérieur et acerbe, sa manie de tout régenter étaient un moyen de se protéger du passé, tout comme lui le faisait en se retranchant derrière la distance et la solitude qu'il s'était imposées. Si on y réfléchissait, elle était bien plus courageuse que lui ? elle n'avait jamais cessé de se battre, même prisonnière de la Tour du Jugement, même sous le joug de Nahdrim. Alors que lui, c'était tout le contraire ? il avait fui. Fui ses responsabilités, fui sa famille, fui son pays. Si la Déesse ne l'avait pas mis sur le chemin de son petit frère, il serait aujourd'hui loin d'Hyrule et toujours aussi lâche.

Ygaël ne put s'empêcher de sourire en regardant à nouveau le visage apaisé de Cezra et il déposa un baiser sur son front, hésitant encore à la réveiller. Les premiers rayons de l'aube atteignirent finalement la cabane et la lumière du jour crépusculaire se glissa par les carreaux sales jusqu'à eux. A peine avaient-ils illuminé leurs corps enlacés que Cezra reprit son apparence de lutin maudit. Ygaël en eut le coeur serré pour elle et, plus surprenant, il comprit qu'il était également en colère. Il se força à regarder le plafond, gardant Cezra contre lui. A cet instant, il aurait voulu avoir Nahdrim sous la main pour lui faire payer la souffrance de la Twili. Sans s'en rendre compte, il avait refermé sa main sur l'épaule de Cezra et serrait plus fort.

- Le petit-déjeuner n'est pas prêt ?
Ygaël tourna à nouveau la tête vers elle.
- Pourquoi tu fais cette tête ? Tu as fait un cauchemar ? Et arrête d'agripper mon épaule aussi fort. J'aurais dû te transformer en loup, tu aurais été plus confortable. Tu sais que tu as les os pointus ?
La Twili se dégagea de son étreinte. Un instant, Ygaël voulut la retenir, lui demander si elle s'était rendu compte qu'elle avait retrouvé brièvement son apparence, mais il n'en fit rien. Il ne voulait pas voir de la tristesse ou du malaise sur son visage. Ygaël s'assit alors qu'elle volait jusqu'à la fenêtre de la cabane, lui tournant le dos.
- Je vais rallumer le feu, il reste du ragoût.
- Ce sera mieux que rien, c'est sûr.

Il se leva pour aller jusqu'à la cheminée. Cezra lui jeta un bref coup d'oeil avant de regarder à nouveau par la fenêtre, serrant les poings. Elle avait envie de hurler et de pleurer, mais elle ne pouvait se le permettre. Elle n'était même pas sûre qu'Ygaël sache ce qui s'était passé et elle n'avait aucune envie de le lui dire. Elle ne voulait pas voir de pitié dans son regard.

Chapitre 19 : Un compagnon agaçant   up

Ralis ne quittait pas Shiki des yeux. Bien que ce dernier soit dans le corps de Link, le Zora ne retrouvait plus rien de son ami, et pas seulement à cause de la couleur de sa peau, de ses cheveux ou de ses yeux. Son attitude, sa façon de se tenir et de parler, l'intensité de son regard ou encore la manière qu'il avait d'engloutir sa nourriture... Tout était différent et c'était perturbant.

- Encore.
Shiki tendit son bol de bois vers Neyria pour qu'elle le resserve pour la troisième fois. Comme il trouvait que la jeune fille n'obtempérait pas assez vite, il agita le bol devant elle.
- Encore.
- Tu n'as qu'à te servir, répliqua Neyria en se retenant tout juste de lui sauter à la gorge.

Ralis l'en avait déjà empêché quand Shiki était finalement descendu de son perchoir pour réclamer à manger. Il sentait que s'il ne se montrait pas le plus raisonnable de tous, cela risquait fort de virer au pugilat en moins de temps qu'il n'en fallait pour dire "jabu-jabu". Pourtant, le Zora bouillait à l'intérieur et avait, lui aussi, envie de secouer Shiki pour retrouver Link.

- Je préfère qu'on me serve, répondit Shiki de son petit air narquois.
- Pas de bol, ça ne marche pas comme ça avec nous.
Shiki et Neyria s'affrontèrent encore une fois du regard. Ce serait à qui céderait le premier, mais cela pouvait durer longtemps vu qu'ils étaient aussi têtus l'un que l'autre.
- Où est Link ? demanda finalement Ralis en resservant le prince des Ombres sous le regard désapprobateur de Neyria.
- Quelque part ici, répondit Shiki en pointant sa tête de son index noir. Ou dans un autre plan. Difficile à dire.
- Je ne saisis pas bien...
- Je ne suis pas sûr que tu aies les capacités pour comprendre de toute façon.
Neyria se raidit alors qu'il insultait son ami et elle mit la main sur la poignée de sa dague.
- Hin, hin. Je serais toi, je ne jouerais pas à ça. Si tu me blesses, tu blesses ton propre frère, se moqua-t-il.
- Ou cela le forcera à revenir.

Neyria n'était pas prête d'oublier que Shiki avait cherché à la tuer au sanctuaire de Cocorico. Elle ne se souvenait que trop de la terreur qu'elle avait ressentie quand il l'avait attrapée pour la noyer, de ce sentiment d'impuissance face à sa force brutale et à son envie de tuer. Rien que l'idée qu'il ait pu coincer Link définitivement dans un recoin de son esprit la révulsait.

- Je t'ai dit que tu le reverrais bientôt. Nous avons conclu un pacte, lui et moi.
- Quel pacte ? demanda Ralis.
- Il avait besoin de moi pour se débarrasser des Agents du Crépuscule et je n'avais pas envie de crever avec lui. On a fait un compromis.
- Alors maintenant, va-t'en et laisse Link revenir.
- Neyria...
Ralis soupira mais posa sa main sur le genou de son amie pour tenter de l'apaiser. Si elle braquait Shiki avec son ton agressif, ils n'obtiendraient pas de réponses à leurs questions.
- Shiki, d'où viens-tu ? Et pourquoi es-tu là, dans le corps de Link ?

Le jeune homme dévorait son troisième bol de gruau de champignons et de poisson. Il n'avait rien mangé d'aussi infect, mais son estomac criait famine. Il s'essuya la bouche du revers de la main dans un geste qui n'avait pas grand-chose de princier.

- Je vous l'ai dit, non ? Je suis le prince des...
- Des Ombres et du Crépuscule, ouais, ouais, c'est ça, ricana la jeune femme.
- Ma chère Neyria, c'est pourtant la vérité, répondit-il en braquant sa cuillère vers elle. Je suis le souverain légitime du royaume du Crépuscule.
- C'est donc à toi et ton peuple qu'on doit l'état d'Hyrule ?
- Quoi ? Tu n'aimes pas le crépuscule ?

Shiki leva la tête vers le ciel. Cela faisait si longtemps qu'il n'avait pas vu les lueurs crépusculaires, leurs teintes jaunes et orange qui viraient au rose et au violet à mesure que le jour déclinait. Celles qui baignaient Hyrule n'étaient qu'une pâle copie de celles qui illuminaient son monde natal.

- Si tu veux tout savoir, reprit-il en revenant à la jeune fille. Mon monde est comme le tien : envahi et sous le joug de Nahdrim.

En prononçant ce nom, Shiki sentit la colère l'envahir et la soif de sang poindre. Il ferma les yeux et respira à fond pour se maîtriser. Il n'y était pas parvenu les deux fois précédentes, il s'y était même abandonné avec bonne volonté, mais cette fois, il ne comptait pas céder. Il ne voulait pas que cette maudite déesse revienne lui botter les fesses et le renvoie dans les limbes. Pas alors qu'il avait réussi à passer ce pacte avec Link pour prendre possession de son corps. Quand il releva les paupières, il remarqua que les deux autres étaient sur leurs gardes. Il avala une nouvelle bouchée de son repas, autant pour finir de se calmer que pour s'ancrer à une sensation, fut-elle celle d'un goût déplaisant. Il les regarda tour et tour et décida de leur donner quelques explications. A défaut de gagner leur confiance, ce qu'il ne cherchait pas vraiment, il avait tout de même un peu besoin d'eux pour atteindre ses objectifs.

- Mon esprit a été séparé de mon corps il y a longtemps. Je ne saurais même pas vous dire quand, ni comment. Un instant, j'étais le splendide prince que j'ai toujours été, celui d'après, j'étais à peine une conscience prisonnière dans le corps d'un Agent du Crépuscule. La vérité, c'est que je suis prisonnier de Nahdrim depuis qu'il a pris possession de mon royaume et asservi sa population.

Le visage courroucé de Cezra lui apparut. Sa cousine avait tenté tant de fois de s'échapper, de lui faire comprendre qu'il jouait le jeu des envahisseurs... Et lui... Il écarta cette pensée pour revenir à ce qu'il disait.

- Bref, je me suis retrouvé coincé et même si Link n'est pas une lumière, j'ai gagné au change.
Il adressa un nouveau sourire moqueur à Neyria.
- Mais... comment t'es-tu retrouvé...
- La morsure, répondit Neyria. Quand l'Ecorcheur l'a mordu, il en a profité pour infecter mon frère.
- Tu es plus maligne que tu n'en as l'air.
Ralis ceintura Neyria alors qu'elle bondissait pour arracher les yeux de Shiki et elle protesta avec véhémence. Le prince, lui, trouvait cela très divertissant.
- Les Ecorcheurs, comme vous les appelez, sont en fait des Twilis transformés par Nahdrim et sa sorcière, reprit-il comme s'il n'était pas menacé de mort. Ils sont réduits à l'état de monstres capables de transmettre leur malédiction s'ils mordent quelqu'un. Cette malédiction est magique, j'ai réussi à me servir de ça pour changer de corps.

Shiki n'allait pourtant pas leur dire qu'il ignorait alors si cela allait marcher ou pas. Il avait tenté le tout pour le tout après avoir essayé, en vain, de manipuler le corps du Twili maudit. L'esprit de celui-ci était tellement tordu et perdu qu'il avait été impossible de lui parler ou de l'influencer comme il avait pu faire avec Link. Rien que de se souvenir de cette sensation d'être englué dans le marais de boue noire et visqueuse qu'était devenu cet esprit lui donna la nausée et il reposa son bol devant lui.

- Très honnêtement, je pensais évincer le propriétaire de ce nouveau corps, mais Link a plus de volonté que je m'y attendais. En plus, il a fallu que je tombe sur le porteur de la Triforce du Courage. Ce n'est vraiment pas de chance...
- Et maintenant ?
Shiki regarda Ralis comme s'il lui avait posé une question idiote. C'était pourtant évident, non ?
- Maintenant ? Je compte bien récupérer mon corps, pardi ! Une fois que ça sera fait, je me débarrasserai de ce salopard et je récupérerai mon trône.
- Tu laisseras Link tranquille ? demanda le Zora.
- Ce corps est pratique pour ce que je veux faire, répondit-il en tapant son torse des deux mains. Mais en dehors de ça, il est petit, malingre et je ne suis pas aussi moche.
- Est-ce que tu sais où est ton corps ? intervint Neyria qui commençait à réfléchir aux différentes options.
- Pas le moins du monde. Tout ce que je sais, c'est qu'il n'est pas dans le Crépuscule et qu'il n'est pas non plus dans la Tour du Jugement. Ce qui est curieux, parce que c'est là que cet enfoiré a installé le Miroir des Ombres...

Neyria et Ralis échangèrent un regard. Tous deux connaissaient la légende sur le Miroir des Ombres. Impa leur en avait parlé lorsqu'ils étaient plus jeunes et il était au centre de la légende sur le Héros du Crépuscule qu'Ygaël adorait tant.

- Mais... il n'a pas été détruit ?
- Par mon arrière-grand-mère, oui. Vous connaissez cette vieille histoire ?
- C'était vrai, alors ? réalisa Neyria. Si Ygaël savait ça.
- Le berger qui a aidé la princesse Midona est l'ancêtre de Link et Neyria, précisa Ralis.
- Ah ? Et bien le miroir a été détruit par Midona, mais Nahdrim l'a réparé. Bref, il s'en sert comme passerelle entre nos deux mondes.
- Il faut prévenir Impa, réfléchit le Zora.
- Pourquoi faire ? ça ne vous servira à rien vu qu'il est dans le Désert Gerudo. Mais si je récupère mon corps, tout devrait rentrer dans l'ordre vu que Nahdrim draine mon pouvoir pour garder le passage ouvert.
Shiki sourit d'un air supérieur alors que les deux autres le dévisageaient, comme s'ils cherchaient à savoir s'il mentait ou pas.
- Alors ? Vous commencez à comprendre que vous avez besoin de moi ?

Neyria lui jeta un regard noir. Elle ne supportait vraiment pas son arrogance, surtout quand il l'affichait sur le visage de son frère. Malheureusement, il avait raison et elle commençait à l'entrevoir. Alors que Shiki éclatait de rire à la tête qu'elle faisait, elle se passa les mains sur le visage en pensant à Link : allait-il vraiment revenir ? où était-il en ce moment ?

***

Zelda avançait dans le couloir du château avec lenteur, craignant de s'effondrer à chaque pas. Elle faisait de son mieux pour marcher droit, se concentrant sur ses pieds, à bien les déplacer l'un après l'autre. Les yeux embués par les larmes qu'elle retenait, elle ne savait pas trop où elle allait exactement. La bibliothèque. Oui, c'est là qu'elle avait décidé de se rendre. Quand elle fut enfin devant, elle pria pour que Gustav y soit comme à son habitude. Elle avait dit à leur père que c'était à elle de lui annoncer la nouvelle. Elle n'était pas certaine que le roi l'ait entendue quand elle l'avait laissé.

- Gustav ?

La bibliothèque royale était immense. Ici se trouvait tout le savoir d'Hyrule depuis des siècles. Certains parchemins dataient même du premier roi. Zelda avait toujours trouvé l'endroit calme et reposant à défaut de dévorer les ouvrages qui s'y trouvaient. Depuis plus d'un an, la bibliothèque était devenue l'antre de son frère. Lui qui avait toujours été plus à l'aise sur les terrains d'entrainement s'y enfermait pendant des heures, voire des jours entiers, dormant sur place. Zelda pénétra plus avant dans la grande et haute salle aux murs couverts de rayonnages, cherchant son frère des yeux. Elle le trouva penché sur un parchemin, au milieu de piles de livres probablement extirpés d'un recoin des archives qu'il n'avait pas encore éclusé.

- Gustav ?
- Qu'est-ce que tu veux ?
Le prince ne releva même pas la tête pour lui parler. Zelda nota qu'il avait l'air très fatigué.
- Mère nous a quittés, annonça-t-elle d'une voix tremblante.

Cette fois, elle ne put retenir ses larmes. Leur mère était tombée malade subitement et aucun médecin n'avait rien pu faire, ni aucune prière. Même le pouvoir de la Déesse s'était révélé insuffisant à vaincre le mal qui avait affaibli la reine. Il avait suffi de quelques semaines à peine pour que cette maladie ait raison d'elle. Zelda réussit à trouver le courage de faire le tour de la table pour rejoindre Gustav. Son frère avait beaucoup changé depuis un an. Ils se parlaient de moins en moins et, bien que cela déplaise à leur père, le prince passait plus de temps chez les Gerudos qu'au château. A chaque fois qu'il rentrait, c'était pour s'enfermer ici et se disputer avec leur père. Le roi l'accusait de négliger ses devoirs royaux et son frère hurlait qu'il travaillait à la grandeur du royaume. Leur père avait plus d'une fois menacé de lui interdire de quitter le château, mais n'était jamais allé jusqu'à en donner l'ordre.

Zelda savait qui blâmer pour cette situation intenable : Métaké. La Gerudo avait totalement envoûté son frère de ses belles paroles et de sa plastique avantageuse. Gustav était complètement fou d'elle. Au départ, Zelda avait été plutôt heureuse qu'il découvre enfin ce que l'amour signifiait, qu'il ait pu trouver quelqu'un comprenant son attrait soudain pour l'histoire ancienne du royaume et le fasse sourire. Ainsi, il ne pouvait que comprendre ce qu'elle et Ganondorf ressentaient l'un pour l'autre. Mais très vite, la princesse avait déchanté. L'amour était devenu obsession et Gustav n'écoutait plus personne en dehors de Métaké. Evidemment, Zelda s'en était ouverte à Ganondorf, mais son amant lui avait simplement dit de ne pas s'en faire. La dernière fois qu'ils en avaient parlé, il s'était même agacé et avait sous-entendu que, peut-être, elle était un peu trop protectrice envers Gustav, voire jalouse. Cela l'avait anéantie qu'il puisse penser cela d'elle et depuis, elle ne lui avait rien écrit et ne l'avait pas revu. Pourtant, à cet instant, elle se moquait de tout cela. Ils venaient de perdre leur mère et elle avait besoin de son grand frère. Elle posa sa main sur son bras alors qu'il n'avait pas prononcé un seul mot.

- Elle t'a dit quelque chose ?
Gustav attrapa sa main, la serrant un peu trop fort. Sa voix était froide et distante.
- Est-ce qu'elle t'a dit quelque chose ? répéta-t-il plus sèchement.
- Gustav... Tu me fais mal...
Le prince ne relâcha pas sa prise pour autant. Pour la première fois de sa vie, Zelda eut peur de son frère.
- Est-ce qu'elle t'a parlé de la Triforce ?
- La Triforce ? fit-elle sans comprendre où il voulait en venir. Gustav... mais de quoi tu parles ?
- De tout ça ! cria-t-il en la tirant brutalement vers la table, lui désignant la montagne de documents et de livres qu'il étudiait.
- Ce n'est qu'une légende, comme celle de Célesbourg ou du Poisson-rêve.
- Non ! Et tu le sais très bien ! Mère t'a forcément parlé de ça ! Elle a refusé de me dire quoi que ce soit. Même sur son lit de mort elle n'a pas dit un mot. Mais je sais qu'elle m'a menti en disant qu'il n'y avait rien à savoir ! Elle était la grande prêtresse ! Elle t'a forcément révélé où était la Triforce ou comment la trouver !

Zelda avait l'impression de découvrir un autre homme. Elle s'était toujours demandé ce que son frère cherchait en étudiant l'histoire ancienne, elle avait cru que c'était pour mieux se préparer à son avenir de roi, mais cela dépassait visiblement ce cadre. Ce qu'elle voyait dans son regard, c'était une obsession maladive, de la jalousie et de l'envie. Elle ne pouvait détacher ses yeux des siens et elle sentit un vertige la submerger. Comme lorsqu'elle avait vu Ganondorf la première fois, elle eut l'impression qu'un gouffre infini s'ouvrait sous ses pieds. Elle entendit le grondement impatient du Banni et les coups sourds qu'il donnait dans les murs de sa prison dimensionnelle. Ils résonnaient en elle au point qu'elle crut qu'elle allait se briser.

- Dis-moi ce que tu sais ! cria Gustav encore une fois, la ramenant brusquement à la réalité en la projetant contre la table.
- Mais je ne sais rien. Gustav, je t'en prie !
- Hyrule a besoin de la Triforce ! J'AI besoin de la Triforce, alors tu vas me dire où elle est !
Zelda cria alors qu'il lui tordait le bras. La douleur ne dura pas longtemps. Il y eut un énorme bruit, puis Gustav fut projeté au loin.
- Princesse ! Vous allez bien ?
Leida se pencha vers elle pour l'aider à se relever. Avec inquiétude, elle palpa son bras, mais rien n'était cassé.
- Je... oui, ça va.
Zelda regarda son frère qui gisait au sol. Il avait été projeté contre une bibliothèque par Leida et était à moitié assommé par les livres qui lui étaient tombés dessus.
- Ne restons pas là.

Leida l'entraîna hors de la bibliothèque en la soutenant. Elle donna des ordres à deux Sheikahs dans le couloir pour qu'ils s'occupent du prince. Zelda suivait machinalement, encore sous le choc. Elle ne comprenait pas le comportement violent de son frère, ni le sens de sa vision. Surtout, les dernières paroles de sa mère lui revenaient sans cesse en mémoire. "Prends garde à ton frère, l'Ombre est sur lui."

***

- Tu comptes dormir encore longtemps ?

Neyria eut un mouvement brusque de recul en découvrant le visage noir de Shiki à quelques centimètres à peine du sien. Le jeune homme souriait avec cette arrogance qu'elle avait détestée au premier regard. Elle détestait encore plus ce frisson de peur résiduelle qu'elle ne pouvait s'empêcher de ressentir en sa présence.
- Pousse-toi de là, fit-elle en joignant le geste à la parole.
Elle avait repoussé Shiki sans ménagement et le jeune homme tomba sur les fesses. Il n'en perdit pas son sourire provocateur et suivit Neyria des yeux. En fait, il suivit surtout sa chute de reins. Il trouvait la jeune fille très agréable à regarder et ne serait pas contre un rapprochement plus physique. A cette pensée, il sentit l'esprit de Link protester. Ce n'était pas une véritable pensée et Link ne s'adressa nullement à lui, mais plutôt une sensation entre la consternation et la colère.

- Allez, fais pas l'hypocrite. Je sais bien qu'elle t'a fait plus qu'un peu d'effet la première fois qu'elle t'a mis à terre, se moqua-t-il.
- Assez traîné, ordonna Neyria. Il faut se remettre en route.
- Ce n'est pas moi qui me suis endormie comme une souche à peine le repas terminé, répondit Shiki en se relevant.
Il approcha d'elle, se délecta de la sentir se raidir à nouveau, et murmura à son oreille :
- Tu es très belle quand tu dors. J'ai adoré le petit filet de bave qui coulait sur ton menton.
Elle voulut le frapper au cou du tranchant de la main, mais il avait déjà bondi en arrière, prévoyant son geste.
- Je ne bave pas !
Shiki se contenta de lui faire un clin d'oeil, une expression disant "qui sait ?". Au moment où il lui tournait le dos, il reçut le paquetage de Link dans les bras.
- Arrête de l'asticoter, le prévint Ralis, déjà fatigué par leur nouveau compagnon.
- Ou quoi ? Es-tu son chevalier-servant ? répliqua Shiki en lui relançant le sac à dos.
- Ou même moi, je ne pourrais l'empêcher de te faire la peau.
Le Zora dévoila ses dents dans un sourire mauvais et lui rendit le paquetage.
- Chacun porte ses affaires, Votre Altesse.

Shiki aurait bien répliqué que le sac n'était pas à lui, mais Nim se planta devant lui, ses petits bras croisés sur la poitrine. Tous les deux s'affrontèrent du regard et, à la surprise de Ralis, ce fut le prince qui détourna le regard. Il marmonna quelque chose dans une langue inconnue, mais mit le sac sur son épaule. Satisfaite, Nim bondit pour se percher sur l'autre. Shiki avait l'air de détester ça, mais il ne chercha pas à s'en débarrasser. Tous les cinq se remirent en route, suivant le seul sentier qui existait. Contrairement au chemin qu'ils avaient tenté de suivre dans la forêt de Firone, ici, le tracé était parfaitement visible et aucun bosquet ni mauvaise herbe ne poussait sur leur route pour entraver leurs pieds. La lumière avait considérablement baissé et la nuit n'était plus très loin. Neyria avançait en silence, l'esprit préoccupé par son dernier rêve. Elle se repassait la scène en boucle, essayant de comprendre quel était le message que la princesse Zelda essayait de lui faire passer.

- Ralis ? Tu te souviens de ce qui est arrivé au prince Gustav ? demanda-t-elle soudain, caressant doucement le menton de Taël perchée sur son épaule.
Le Zora n'avait pas besoin de demander pourquoi elle posait cette question. Il s'était habitué aux rêves que la princesse Zelda lui envoyait. Il aurait bien aimé qu'elle lui raconte le dernier, mais il ne fallait sans doute pas trop faire étalage de ces songes devant Shiki.
- Il est mort lors de la grande bataille des plaines. Celle où ton père a disparu, répondit-il après avoir réfléchi.

Neyria fronça les sourcils sous la réflexion. Cette bataille avait sonné le glas de l'armée d'Hyrule. Peu de temps après, les princesses Zelda et Lareta avaient organisé la fuite des enfants sur la Divinéa. Son oncle Keigo avait parfois parlé de cette bataille à Neyria et Ygaël. Il faisait partie des rares survivants et ne s'étalait pas sur les détails qui réveillaient de douloureux souvenirs. Ce qu'elle en avait retenu était que les combats avaient été terribles et que les survivants avaient fui comme ils l'avaient pu, abandonnant leurs morts et, certainement, la plupart de leurs blessés sur place. Autant dire que le prince Gustav n'avait jamais eu de sépulture digne de son rang. De toute manière, la Citadelle et le château étaient tombés à peine quelques jours plus tard, personne n'avait eu le temps de le pleurer.

- Si je me souviens bien de ce que disait ton oncle, le prince a pris une lance gerudo en pleine poitrine, reprit Ralis. Il est tombé de cheval au milieu des combats.
Neyria appuyait son pouce contre ses dents, ce qu'elle faisait toujours quand elle réfléchissait intensément.
- Et Métaké ? Que sait-on d'elle ?
- Qui ça ?
- Avant la guerre, il fréquentait une Gerudo. Elle était proche de la mère de Ganondorf. Elle... Je crois qu'elle était chargée d'un temple ou quelque chose comme cela.

Neyria pestait intérieurement. Elle était certaine qu'elle était sur le point de mettre le doigt sur quelque chose, mais elle n'arrivait toujours pas à trouver quoi. Pourquoi la princesse Zelda n'était-elle pas plus claire ? Pourquoi envoyait-elle des souvenirs aussi détaillés et pourtant si nébuleux quant à leur signification ? L'important n'était pas ici la mort de la reine ou son chagrin. Non, le point à retenir était la réaction violente de Gustav et ce qu'il cherchait.

- La Triforce, laissa-t-elle échapper dans un murmure.
- Cette saloperie...
Neyria et Ralis jetèrent un regard interrogatif à Shiki qui venait de soupirer ces quelques mots.
- Quoi donc ?
- La Triforce, maudite soit-elle, cracha-t-il en réponse.
- Qu'est-ce que tu sais sur elle ? demanda Neyria avec précipitation.
La lueur dans les yeux rouges de Shiki changea, abandonnant la haine qui y brillait quelques secondes plus tôt pour retrouver son arrogance.
- Pas mal de choses, ma jolie. Je suis prêt à toutes te les raconter en échange... Et bien, tu n'as qu'à deviner de quoi.
- Comment oses-tu ? explosa cette fois Ralis qui l'attrapa par le col.
Shiki éclata de rire et tapota les épaules du Zora comme s'il ne courait aucun danger.
- Tu es vraiment son chevalier-servant, hein ?
- Lâche-le, Ralis.
Neyria posa sa main sur le bras de son ami.
- Ce n'est pas le moment.

Elle leva la tête vers les frondaisons des arbres, invitant les autres à faire de même. Au-dessus d'eux, suspendus aux branches, de curieux petits êtres sortaient de derrière les feuilles ou les troncs. Mesurant à peine un mètre pour les plus grands, leurs corps étranges ressemblaient aux arbres alentours, leurs peaux ayant la même couleur que les diverses écorces de la forêt. A cette distance, il était difficile de savoir avec certitude si les grandes feuilles dans lesquelles se découpaient leurs yeux curieux étaient de simples masques ou leurs visages.

- Encore des bestioles bizarres... soupira Shiki, mal à l'aise.
- Des Kokiris... murmura Neyria, émerveillée.
- Ou des Korogus, ajouta Ralis.

Nim et Taël sautèrent des épaules des Hyliens pour rejoindre les Enfants de la Forêt en gazouillant. Elles furent accueillies par de petits rires et des "oooooh" de ravissement. Les Korogus se jetèrent du haut de leurs arbres, déployant des feuilles de nulle part qui se transformèrent pour les unes en parachute, pour les autres en hélice, leur permettant de rejoindre le sol en toute sécurité. Ils se dandinèrent sur leurs petits pieds pointus en continuant de s'exprimer, faisant un bruit semblable à celui des carillons de bambous que Neyria avait toujours connus suspendus dans la maison d'Impa.

- Oh ooooh ! Bienvenus, amie Hylienne, ami Zora et ami Twili ! dit l'un d'entre eux en se détachant du groupe. Comme le Vénérable Arbre Mojo va être heureux de vous voir.
- Il vous attend depuis siiiii longtemps, renchérit un autre.
- Je m'appelle Melka et voici Azettis, reprit le premier dont la feuille sur la tête était large et longue.
- Hors de question que je suive ces machins-là, dit Shiki sur un ton catégorique.

Ralis l'avait lâché depuis un moment et il s'était éloigné de quelques pas. Il y avait quelque chose chez les Korogus qui lui collait des frissons. Sans compter qu'ils savaient ce qu'il était malgré son apparence d'Hylien.

- Oh, le grand prince de l'Ombre et du Crépuscule a peur des Enfants de la Forêt ? se moqua Neyria sans hésiter.
- Je n'ai peur de rien, protesta-t-il un peu rapidement. Et surtout pas de ces trucs-là.
- Ce n'est pas ce que dit ta tête.
La jeune fille lui adressa un sourire en coin aussi narquois que pouvait l'être le sien habituellement.
- Nous avons de bons lits de feuilles bien moelleux pour que vous puissiez vous reposer, continua Melka comme s'il n'avait pas été interrompu.
- Nous avons de la nourriture pour vous aussi. De bons champignons ! Et des glands ! Et des châtaignes ! Des baies aussi ! De belles baies bien juteuses, enchaîna Azettis en bondissant d'excitation.

Il s'accrocha à la main de Neyria qui ne put s'empêcher de sourire. Les autres s'étaient rapprochés, les poussant à avancer. Shiki fit un pas de côté pour éviter un Korogu bien trop proche à son goût, comme si son contact pouvait lui transmettre une maladie mortelle. Il regarda autour d'eux, mais il devait se rendre à l'évidence : il n'y avait aucune échappatoire, les Korogus les encerclaient et les emmenaient encore plus profondément dans la forêt.

Chapitre 20 : Le Hall des Héros   up

Link avait avancé jusqu'à l'arbre d'or. Il n'avait guère su quoi faire d'autre après que Shiki ait disparu. Il priait juste de ne pas s'être trompé en acceptant son marché. Il serait vite fixé de toute façon. Enfin, vite... c'était une façon de parler puisqu'ici, le temps ne s'écoulait sans doute pas au même rythme que dans le monde réel.

A mesure de sa progression, Link avait pu observer d'autres souvenirs dans l'eau de la cascade. Encore une fois, il ne s'agissait pas des siens, mais de ceux de la princesse Zelda. S'il y avait croisé ses parents et Ygaël, il ne s'était jamais vu dedans, ni même Neyria. Et maintenant, il grimpait les quelques marches de pierre menant à l'ancienne salle du trône du château d'Hyrule. Encore un souvenir, certainement. Quand il atteint la dernière marche, il sentit la température baisser d'un cran. Sous ses bottes, il entendit crisser les gravats laissés par les pierres descellées aux murs et au plafond. Sur le sol au dallage chaotique courait un enchevêtrement de racines grosses comme le poing. Il y en avait tant qu'on ne voyait quasiment plus les dalles et leur dessin complexe qu'il avait aperçu dans les souvenirs de Zelda. Toutes les racines avaient la même origine : l'arbre d'or qui trônait au centre de la pièce et dont la lumière semblait pulser au rythme d'un lent battement de coeur. Sans hésiter plus, Link fit un pas, puis un autre, essayant de se frayer un chemin entre les racines. Il n'arrivait pas à quitter l'arbre des yeux, comme s'il l'appelait aux tréfonds de son âme. L'arbre d'or était au sommet d'un petit monticule recouvert par les racines et il dut grimper pour l'atteindre. Sa lumière l'éblouit et il plissa les yeux pour continuer sa progression.

Quand il fut enfin devant, il se rendit compte que l'arbre était bien plus haut qu'il l'avait cru. Son tronc était assez large pour qu'il puisse le tenir entre ses bras et ses branches s'élevaient bien plus haut que lui. Il tendit la main droite et la marque de la Triforce du Courage brilla plus qu'elle ne l'avait encore fait auparavant. Il hésita : pouvait-il toucher l'arbre ou commettrait-il un sacrilège ? Il approcha finalement sa main du tronc, mais avant qu'il ait pu en frôler l'écorce, il revit brièvement les images de son premier rêve : la princesse Zelda levant la main devant la bête qu'était devenu Ganondorf. Poussé par son instinct, Link s'accroupit pour découvrir que le sol ici n'était plus fait de vieilles dalles, mais d'une sorte de cristal doré. Il y avait quelque chose à l'intérieur et il dut coller son visage au plus près pour distinguer ce que c'était. Il recula sous la surprise, n'en croyait pas ses yeux.

Là, au coeur du cristal protégé par les racines de l'arbre d'or, se trouvait la princesse Zelda telle qu'il l'avait vue dans son rêve. Elle n'avait pas vieilli du tout en quinze ans. Les yeux fermés, elle semblait dormir, un sourire tendre sur les lèvres. Ganon était contre elle, tel que Link l'avait vu dans son rêve : énorme, avec une tête qui tenait plus du cochon que de l'être humain qu'il avait connu dans les souvenirs de la princesse. Zelda avait refermé les bras sur la tête de Ganon dans un geste apaisant et plein d'affection. Il ignorait la suite de l'histoire pour l'instant, mais il était certain que la princesse aimait toujours Ganondorf malgré sa transformation, malgré la destruction et malgré les morts. Les paroles de Zelda lui revinrent en mémoire : Ganondorf n'avait pas choisi d'être le porteur de la Triforce de la Force, il n'avait pas choisi d'être la réincarnation du Banni. Elle avait dit aussi qu'elle avait sa part de responsabilité dans le changement de l'homme qu'elle aimait.

Link en était à réfléchir à tout cela quand il sentit une présence à proximité. Il se redressa, laissant la princesse et Ganon, pour découvrir, au pied de l'arbre, qu'il n'était plus seul. Ce n'était pas l'esprit de Zelda, ni même Shiki, mais un gros loup à la fourrure noire, grise et blanche. Sur son front était dessinée une tâche peu banale et il portait un anneau de pierre bleu à son oreille. Il était assis, sa queue enroulée autour de ses pattes arrière, et dardait son regard de saphir sur Link. Celui-ci sentit qu'il n'avait pas à craindre cet animal et se leva pour lui faire face.

- Bonjour.
Le loup se leva, baissa la tête pour le saluer, et lui tourna le dos, descendant en quelques bonds le monticule de racines.
- D'accord...

Link soupira. Toutes ces énigmes, ces questions et ces esprits commençaient un peu à user sa patience. Néanmoins, il suivit le loup. Celui-ci l'entraîna loin de l'arbre et des ruines de la salle du trône. Ils marchèrent un temps sur le sol recouvert d'eau pour atteindre une porte qui semblait flotter dans l'air. Le loup gravit des marches qui apparurent sous ses pattes pour l'atteindre, Link sur ses talons. La porte était imposante. Ses vantaux en bois étaient sculptés de symboles que le jeune homme n'identifiait pas en dehors de celui de la Triforce, de l'oeil sheikah et du blason de la famille royale. Il y avait des médaillons, des figures féminines, des instruments de musique. Sans doute que tout cela était lié à l'Histoire d'Hyrule qu'il ne connaissait toujours pas.

Link jeta un oeil au loup qui lui indiqua la porte d'un geste du museau. Il était inutile d'hésiter plus. Link pesa de tout son poids sur les portes pour les pousser. Elles eurent un peu de mal à tourner sur leurs gonds, mais s'ouvrirent sans un bruit. Link fit un pas, puis sans crier gare, il y eut un éclair de lumière blanche qui les engloutit avec le loup. La seconde d'après, les portes s'étaient refermées.

* * *

Link venait d'apparaître dans une immense salle circulaire où étaient disposées des statues monumentales de jeunes hommes ou jeunes garçons. S'ils avaient tous été représentés avec la même tunique et le même bonnet, ils avaient en main des armes variées. L'une des statues tenait une sorte de grappin, une autre un boomerang, mais la plupart étaient armées d'une épée et d'un bouclier. Entre les sculptures, du lierre s'accrochait aux pierres grises des murs, grimpant jusqu'à un dôme de verre laissant entrevoir le ciel. Celui-ci était stupéfiant : sa moitié gauche était d'un beau bleu azur dans lequel brillait un soleil d'été ; sa moitié droite était une nuit de pleine lune constellée d'étoiles.

Au centre de la pièce, une dizaine de personnes discutaient autour d'une table ronde dans une ambiance à première vue joyeuse. Le loup trottina vers eux, laissant Link libre de le suivre. Il avait à peine fait un pas qu'un bruit métallique sur sa gauche lui fit tourner la tête. Un squelette vêtu d'une armure ébréchée et couverte de lierre, coiffé d'un casque abîmé, venait de sortir de l'ombre pour se planter devant lui. Il le détailla de son oeil unique, des pieds à la tête, puis se dirigea vers la table centrale sans plus se soucier de lui. Link avait senti un frisson le parcourir à cette inspection, mais la présence du squelette semblait tout à fait normale pour les autres.

Il marcha lui aussi vers le centre de la pièce. Ceux qui l'attendaient avaient son âge à peu près ou étaient plus jeunes. La plupart portait une tunique verte et Link trouvait qu'ils ressemblaient aux statues. L'un des plus jeunes et des plus blonds, vêtu d'une tunique bleue brodée d'un motif rappelant un homard, était debout sur son siège. Il tenait une baguette dans une main et l'agita brièvement. Aussitôt, une petite statue en fer se mit à briller, il poussa un cri pour l'appeler et l'objet se mit à sauter pour avancer dans sa direction.

- Oh, fantastique ! fit son voisin en applaudissant. Mais ce n'est pas aussi génial que mes griffes de taupe ? On creuse partout avec ?
- Est-ce que ça marche sur les êtres humains ? demanda un autre vêtu d'une tunique rouge et aux cheveux bruns.
- Tétra n'a pas tellement aimé que j'essaye avec elle, soupira le garçon à la baguette.
A sa moue qui en disait long sur la réaction de cette Tétra, les autres se mirent à rire.
- Mes amis, nous avons de la visite.

Celui qui venait de parler devait avoir à peine plus de dix-sept ans, mais il se dégageait de lui quelque chose qui forçait le respect encore plus que chez les autres. Il portait une tunique vert foncé avec une cotte de maille légère. Ses yeux bleus fixaient Link avec bienveillance et il lui sourit avec chaleur, ce qui eut pour effet de retrousser son nez légèrement.

- Bienvenue dans le Hall des Héros, mon jeune ami.
- Heu... merci.

Les autres avaient fait silence dès le moment où le jeune homme avait parlé. Tout d'un coup, l'ambiance légère avait fait place à un moment empreint de solennité. Tous les regards étaient tournés vers Link et l'observaient comme l'avait fait le squelette peu avant. Le loup donna un coup de tête contre la main du jeune homme, semblant vouloir lui apporter son soutien, puis devant ses yeux ébahis, il prit forme humaine.

- N'aie pas peur, petit. Ici, tu n'as que des amis.

Le jeune homme qui venait d'apparaître était le plus grand de tous. Il avait les mêmes yeux bleus que celui qui lui avait souhaité la bienvenue, le même âge et lui ressemblait un peu, à l'exception de sa frange qui avait le mouvement inverse. Sa tunique verte était un peu plus foncée et son bonnet pendait à sa ceinture.

- Qui êtes-vous ? demanda Link, complètement perdu.
- Nous sommes les anciens Elus de la Déesse Hylia, répondit celui qui avait été loup. Certains d'entre nous sont tes ancêtres directs, tu sais ?
- Et pour les autres, pour faire simple, nous venons d'autres temps, continua celui à la tunique bleue avec un sourire amical.
- Je ne comprends rien.
- Une lame sans courage est une lame impuissante, commença le squelette d'une voix d'outre-tombe. Tu es celui que les vicissitudes du destin ont désigné comme Héros, mais...
- Grand-père, tu ne vas pas recommencer, l'interrompit l'ancien loup, mi-amusé, mi-blasé. Et puis, tu ne pourrais pas faire comme nous et reprendre une apparence plus... enfin, moins...
Le squelette tourna la tête pour regarder droit devant lui et croisa les bras sur sa poitrine. Apparemment, l'autre l'avait vexé en l'interrompant de la sorte.
- Je vais t'expliquer.
Le jeune homme qui l'avait accueilli d'un sourire s'était levé pour les rejoindre.
- Viens avec moi.

Celui qui avait été loup s'écarta, non sans faire un clin d'oeil à Link. Il rejoignit le squelette et s'assit sur la table face à lui pour commencer une discussion à laquelle se mêlèrent quelques autres dans un joyeux désordre.

- Je m'appelle Link, moi aussi, commença le nouveau guide de Link en l'entraînant vers les statues. En fait, nous portons tous ce nom, mais je suis le premier de la lignée et votre ancêtre à tous. J'ai été le premier Elu par la Déesse, il y a très, très longtemps. C'est par moi et ma Zelda que tout a commencé.
- Mon frère m'a raconté cette histoire, se rappela Link, essayant de se concentrer sur la discussion malgré le choc. Il était question d'une île dans le ciel, je crois, et de la malédiction lancée par le Banni quand il a été vaincu.
- Le cycle sans fin des réincarnations, soupira l'autre en jetant un coup d'oeil vers ses compagnons.
Il s'attarda sur le squelette qui restait imperturbable à la discussion agitée qui avait lieu autour de lui. Comme d'habitude, il ne faisait aucun effort pour se mêler aux autres.
- Est-ce que je peux vous poser une question ? C'est un peu bête, mais... Vous avez tous l'air si jeune. Est-ce que ça veut dire que... enfin... vous voyez...
- Est-ce que nous sommes morts jeunes, c'est ça ?
Le Premier éclata de rire.
- Non, non, pas du tout ? Nous avons eu une longue vie, et même de nombreux enfants pour certains.
Il désigna l'adolescent à la baguette.
- Lui, par exemple, il est devenu roi du royaume qu'il a établi avec Tétra, son épouse, et celui qui t'a guidé jusqu'ici est l'ancêtre direct de ton père. Mais pour venir à toi, nous avons préféré prendre l'apparence et l'âge que nous avions lorsque nous avons été appelés à nous battre.
- La Déesse a élu un... squelette ?
- Pas exactement. Il s'agit du Héros du Temps.

Le Premier entraîna Link jusqu'à une double statue représentant un jeune homme de leur âge armé d'une épée et d'un bouclier, une petite fée sur son épaule. Devant lui, se trouvait un garçon d'une dizaine d'années jouant de l'ocarina, d'étranges masques à ses pieds.

- Il est sans doute celui d'entre nous qui a eu le destin le plus tragique. Il se retranche derrière cette apparence à cause de ce qui lui est arrivé, mais il était jeune quand le Destin a frappé à sa porte. Il a tant perdu...
Link attendit que le Premier lui raconte l'histoire du Héros du Temps, mais il n'en fut rien.
- Autrefois, il est venu en aide à son descendant pour lui enseigner ce qu'il savait, reprit-il en désignant celui qui avait été loup. Et aujourd'hui, comme nous, il a répondu présent pour t'aider. Même si je reconnais qu'il peut être un peu sec et pas toujours très aimable.

A ces mots, le Premier eut un sourire un peu embarrassé et se passa la main sur la nuque. Link eut un léger sourire en le voyant faire : c'était un geste qu'il faisait aussi et il avait remarqué qu'il en était de même pour Ygaël. Il regarda ensuite autour de lui, ses yeux glissant sur chaque statue et chaque Héros. Il se sentait bien ici, parmi eux, et il avait envie de faire leur connaissance, d'écouter leurs histoires.

- Comment allez-vous m'aider ? demanda-t-il finalement.
- Ton maître d'armes t'a bien formé et tu es naturellement doué avec une épée, mais tu manques de technique pour affronter ce qui vient. Quand tu devras prendre l'Epée de Légende en main, tu ne pourras pas la manier si tu n'es pas prêt. C'est là que nous rentrons en jeu.
Le Premier fit quelques pas vers une autre statue. Celle-ci, Link n'eut aucun mal à savoir de qui il s'agissait puisqu'aux côtés du Héros se tenait un loup.
- Le pacte que tu as conclu avec le prince des Twilis doit être mis à profit, continua le premier de la lignée. A chaque fois qu'il prendra possession de ton corps, ton esprit reviendra ici et nous t'apprendrons ce que nous savons.
Il se retourna et désigna l'épée que tenait la statue la plus proche.
- Cette épée... Elle a eu plusieurs noms par le passé, mais elle nous a tous été destinée par la Déesse Hylia elle-même. Elle l'a dotée d'une partie de sa puissance, de son âme...
Il regarda un instant ses mains vides avec une expression que Link devina être nostalgique.
- Elle sera ta plus fidèle alliée, reprit-il plus bas. Avec elle en main, tu ne pourras faillir. Elle te donnera la force et plus de courage que tu n'en as déjà. Elle sera toujours à tes côtés.

Link eut l'étrange impression que le Premier ne parlait pas simplement d'une arme, même enchantée. Son ton, son regard... tout indiquait qu'il évoquait une amie très chère à son coeur. Comme s'il sentait les interrogations de son dernier descendant, le Premier releva la tête et lui offrit un sourire rassurant.

- Je crois qu'on a besoin de toi, on a eu... un petit problème, intervint soudain le garçon qui avait parlé des griffes de taupe.
En le voyant de plus près, Link s'aperçut qu'il était encore plus jeune que celui à la tunique bleue. Il se sentit brusquement mal à l'aise devant son bonnet. Le bout ressemblait à une tête d'oiseau et semblait le fixer de son regard sans expression.
- Qu'est-ce qui... Encore ?

Le Premier soupira en regardant vers le centre de la pièce. Trois jeunes Link vêtus de tuniques de couleur différente étaient montés sur les épaules des uns des autres et provoquaient le Héros du Temps pour qu'il vienne les affronter. Un quatrième, à la tunique verte, qui ressemblait comme deux gouttes d'eau aux trois autres, les encourageait bruyamment. Le Premier s'excusa auprès de Link et se mêla à la scène pour tenter de calmer les quatre petits Link et éviter que ça ne dégénère.

- Ne t'en fais pas, c'est toujours un peu comme ça.
Le Link qui avait été loup était à nouveau à ses côtés. Il l'attrapa par les épaules.
- Grand-père a l'art d'agacer certains d'entre nous.
- Tu es vraiment l'ancêtre de mon père ?
- Oui, même si je ne sais plus à combien de générations. C'est un peu comme moi et Grand-père. De toi à moi, il n'aime pas trop que je l'appelle comme ça.
Il relâcha Link.
- Ygaël va bien, fit-il soudain.
- Quoi ? Comment ? Où est-il ?
- Il a eu quelques ennuis, mais il est libre. Il est en route pour Cocorico avec une nouvelle alliée. Il a hérité d'un nouveau pouvoir, tu comprendras quand tu le verras.

Les épaules de Link s'affaissèrent de soulagement.
- Il est vivant... J'étais tellement inquiet.
- Tu sais, de mon temps, le Crépuscule s'est abattu sur Hyrule et a menacé de tout engloutir. C'était différent de ce que notre royaume connaît maintenant. A l'époque, les vivants pris dans le Crépuscule se désincarnaient. Ils devenaient des fantômes qui n'avaient pas conscience d'en être.
Le regard de Link-loup sembla se perdre dans le lointain alors qu'il replongeait dans ses souvenirs.
- Si les choses sont différentes, c'est que Nahdrim n'a pas les mêmes pouvoirs que Xanto. Ce Twili avait de grands pouvoirs et Ganondorf lui en a donné de plus grands encore.
- Ganondorf ?
- Pas le même que celui de ton époque. Vois-tu, Grand-père a combattu la réincarnation du Banni qui était né dans son temps. Il s'appelait Ganondorf. Il l'a battu, l'a empêché de nuire, mais il ne l'a pas tué. Je te passe les détails, mais il a ressurgi à mon époque, s'est allié à Xanto pour gagner en pouvoir, mais cette fois, je l'ai tué.
- Et celui qui dort au château ?
- C'est une nouvelle réincarnation du Banni à qui on a donné le même nom. Le Ganondorf que Grand-père et moi avons connu était un être vil, sans scrupules.
- Ce n'est pas l'impression que j'ai eu de celui que Zelda me montre dans ses souvenirs.
- Peut-être, mais il a cédé au Mal, il a perdu son humanité pour n'être plus que Ganon, le Fléau.

Il soupira longuement et croisa les bras sur sa poitrine.
- Le Crépuscule et ses habitants ne sont pas mauvais. J'espère que toi et le prince arriverez à vous entendre. Vous avez le même but. Ygaël voyage aussi avec une Twili. Elle ressemble tellement à Midona, laissa-t-il échapper avec nostalgie.
Il tourna à nouveau son regard bleu vers Link.
- Aide les Twilis, Link, je t'en prie. Trouve le moyen de les délivrer du pouvoir de Nahdrim.
- Cela vous tient beaucoup à coeur, on dirait, répondit le jeune homme, un peu troublé.
- Comme toi et Ygaël, j'ai eu une alliée twili autrefois. Sans elle, je n'aurais jamais réussi à tuer Ganon. Elle était...

L'ancien Héros se tut un instant, détournant le regard. Parler de Midona était difficile malgré le temps qui avait passé. Après la chute de Ganondorf, il avait eu une vie bien remplie : il avait été chevalier de la Garde royale auprès de la princesse Zelda, il avait voyagé au-delà des frontières du royaume, il avait même fini par épouser Iria et fonder une famille. Mais malgré tout cela, jamais il n'avait oublié Midona. Iria le savait : il pouvait l'aimer de tout son coeur, dès le moment où le crépuscule baignait Hyrule, il ne pouvait s'empêcher de penser à la princesse twili, d'espérer la revoir un jour. Jusqu'à son dernier souffle, il avait pensé à elle.

- Bref, j'ai une dette envers elle, reprit-il, un peu embarrassé que son descendant le voit ainsi. Je tiens autant à la paix pour Hyrule qu'à celle pour le Crépuscule.
- Shiki pense que fermer un miroir peut résoudre le problème de son monde.
- Le Miroir des Ombres est une porte entre vos deux mondes, mais les Twilis sont sous l'emprise de Nahdrim. Je pense qu'il faudra un peu plus que fermer la porte pour que tout rentre dans l'ordre. Sans doute te faudra-t-il l'aide de la princesse Zelda et du pouvoir de son morceau de Triforce.
Link approuva, ne sachant quoi penser de tout cela. Son ancêtre lui donna une tape amicale sur l'épaule, retrouvant une expression plus légère que les minutes précédentes.
- Grâce au lien que j'ai avec Ygaël, je devrais pouvoir lui donner de tes nouvelles, mais pour le moment, il est l'heure que tu retournes dans ton propre corps. Nous nous reverrons très bientôt.

Link n'eut pas le temps de répondre quoi que ce soit que, dans un sourire et un signe de la main, le Héros du Crépuscule disparut progressivement devant ses yeux en même temps que le Hall des Héros et les autres Link. Puis, ce fut le noir complet.

Chapitre 21 : Moi, Impa   up

Depuis leur départ de la cabane, le silence pesait de tout son poids entre Ygaël et Cezra. Alors qu'ils traversaient les collines en direction de Cocorico, la Twili s'était enfermée dans un mutisme inhabituel qui avait beaucoup fait réfléchir le jeune homme. Après avoir retourné la question dans tous les sens, Ygaël en était venu à une double-conclusion.
La première : Cezra savait que la nuit dernière, elle avait retrouvé et perdu sa véritable apparence. Dans le cas contraire, elle ne serait pas de cette humeur de chien.
La seconde : la pleine lune pouvait avoir été la cause des événements de la nuit. Si Nahdrim était mort, le sortilège ne se serait pas réactivé avec l'apparition du soleil. Cette nuit encore, la lune serait pleine et il serait temps de confirmer sa théorie.
Ce qu'il ignorait, en revanche, c'était si la Twili savait qu'il l'avait vue sous sa vraie forme. Il ne se sentait pas le courage de lui en parler. Cezra lui tira soudain les oreilles en arrière pour stopper sa course. Elle se colla contre lui et lui désigna un point dans le ciel.

- Regarde, de la fumée !
Ygaël gronda. Cela ne lui disait rien qui vaille. S'il ne se trompait pas, la colonne de fumée était pile à l'aplomb des ruines de l'ancien village de Cocorico. Sans attendre, il reprit sa course, Cezra cramponnée à lui.
- Ne te précipite pas tête baissée ! C'est le meilleur moyen de tomber droit dans un piège.

Ygaël le savait fort bien, mais la dernière fois qu'il avait vu une telle fumée au-dessus de Cocorico, il y avait eu des morts. A l'époque, l'unique responsable était sa propre négligence. Ils arrivèrent par le plateau entourant l'ancien village. Le feu dévorait ce qu'il restait des maisons effondrées. L'air était saturé de la chaleur de l'incendie et des cendres âcres qui tourbillonnaient au-dessus des flammes. Sans écouter les protestations de Cezra, le loup contourna l'incendie pour se diriger vers le cimetière. Si l'ennemi était toujours dans les parages, il était forcément là-bas. Il n'avait pas fait vingt mètres qu'il se stoppa. Devant eux gisaient les cadavres de trois gardes en tenue sheikah, atrocement mutilés. Ygaël gronda de rage, mais continua sa route. Il ne pouvait plus rien faire pour ces malheureux, mais espérait encore que les habitants de Cocorico, ses amis, sa famille soient toujours à l'abri sous terre. Le jeune homme eut un coup au coeur en découvrant le cimetière mis à sac. Les anciennes tombes avaient été réduites en morceaux les unes après les autres.

- Arrête !
Cezra venait de s'interposer entre lui et l'entrée secrète éventrée, les bras écartés.
- Ce n'est pas une bonne idée.
Comme Ygaël grondait pour signifier sa colère, elle le retransforma en humain.
- Cezra, je dois y aller.
- Même s'il y a toute une armée là-dessous ?
Elle eut un claquement de langue agacée en observant son compagnon qui restait silencieux. A son regard, elle savait que rien de ce qu'elle dirait ne le ferait changer d'avis.
- Tu n'es pas obligée de venir avec moi, fit-il en avançant vers l'entrée du souterrain.
- Sans mes pouvoirs, tu auras du mal à te défaire du plus petit des Agents du Crépuscule.
Ygaël se retourna pour la regarder, surpris malgré tout.
- Tu sais ce qu'on va trouver en bas, n'est-ce pas ? demanda-t-elle en croisant les bras sur la poitrine.
Il hocha la tête. Que l'ennemi soit parti ou qu'il grouille encore en bas, il ne doutait pas que cela avait été un massacre. Néanmoins, il ne pouvait reculer. Il devait aller voir. Il y avait peut-être encore des survivants en train de se battre. Cezra soupira et claqua des doigts pour le transformer en loup. Elle lévita jusqu'à l'escalier qui s'enfonçait dans les ténèbres.
- Utilise tes sens de loup et reste sur tes gardes, dit-elle avant d'entrer la première.

Ygaël la vit se fondre dans les ténèbres comme si elle en faisait partie. S'il n'avait eu que ses sens humains, jamais il n'aurait su qu'elle était à ses côtés. Ils descendirent avec précaution. Les lampes avaient toutes été détruites et Ygaël dut faire attention à ne pas marcher sur les éclats de verre. Plus ils s'enfonçaient dans les profondeurs et plus le coeur du Sheikah se serrait sous l'angoisse de ce qu'ils allaient découvrir en bas. Son odorat lui apportait un grand nombre d'informations qui n'arrangeait rien : la forte odeur des Agents du Crépuscule, celle cuivrée du sang, de la fumée...
Ils finirent par arriver dans la caverne sans rencontrer aucun ennemi. Du promontoire où ils se trouvaient, ils avaient une vue imprenable sur le village. Des maisons étaient en flammes et la fumée s'accumulait au plafond, rendant l'atmosphère difficilement respirable à cette hauteur. De nombreux corps jonchaient le sol. Parmi eux, des guerriers de Cocorico et, surtout, beaucoup de créatures des ombres. Les combats avaient été violents, mais les gardes s'étaient bien battus.

- Où sont les habitants ?

La question de Cezra faisait écho à celle que se posait Ygaël. A première vue, il n'y avait aucun cadavre de villageois. Ils n'eurent pas l'occasion de s'interroger davantage que quelque chose fondit sur eux du plafond et les percuta, les envoyant rouler au sol. Cezra fut éjectée, mais lévita aussitôt, prête à déchaîner sur magie sur l'ennemi aux prises avec son loup. Elle hésita un instant : ce n'était pas un Agent du Crépuscule, ni un Bokoblin, ni même un Yiga.

- Tu vas mourir, sale monstre !
Le Piaf se releva pour faire face au loup, prêt à frapper de son glaive. Ygaël cessa aussitôt de gronder, ayant reconnu là un visage familier. L'autre, lui, décida d'en profiter pour porter un coup que le loup évita de justesse. Le Piaf n'eut guère l'occasion de recommencer, Cezra l'immobilisant par magie.
- En voilà des manières, fit-elle en approchant du Piaf qui s'agitait comme s'il avait une chance de rompre l'enchantement. Tu ferais mieux de te tenir tranquille ou le sort va se renforcer.
- Pour que j'arrête, il faudra me tuer, démon ! cracha le guerrier à plumes en lui lançant un regard meurtrier.
Cezra leva les yeux au ciel. Pourquoi fallait-il toujours que les gens disent ce genre de choses ? C'était d'un prévisible ! Elle préféra l'ignorer pour se tourner vers son compagnon. Elle soupira et lui rendit sa forme humaine sous les yeux ébahis du Piaf.
- Ygaël ?! Mais...
- Tout va bien, Scaff, tenta-t-il de l'apaiser. C'est une très longue histoire, je te raconterai tout, mais avant, dis-moi où sont les autres.

Le Piaf laissa son regard glisser sur son ami. Il connaissait Ygaël depuis dix ans, ils s'étaient entraînés ensemble, avaient combattu côte à côte. Quand le Sheikah avait été exilé, il l'avait soutenu, il était même parti à sa recherche quand son frère était revenu avec Nim. Pourtant, à cet instant, Scaff doutait. Après tout, Ygaël venait de se transformer en loup devant lui et était accompagné d'un démon du Crépuscule.

- Qui me dit que tu n'es pas avec eux ? lâcha-t-il finalement.
- Rien, c'est vrai, admit le Sheikah dans un soupir.
- On n'a pas de temps à perdre, Ygaël, trancha aussitôt la Twili. Allons-y.
- Scaff, je...
- Nahdrim est là, je le sens, fit-elle en retenant à peine sa rage. Tu m'as promis, souviens-toi.
- Je n'oublie pas, répondit-il sans quitter le Piaf des yeux. Scaff, je ne suis pas ton ennemi, et Cezra non plus. Nous aussi, nous nous battons contre Nahdrim et Ganon.
Il se tourna alors vers la Twili.
- Laisse-le partir.
- Et s'il nous attaque encore ? Je te préviens, je ne retiendrai pas ma magie une seconde fois.
- Fais-le, dit-il plus sèchement. Et allons trouver Nahdrim.
Cezra leva les yeux au ciel, agacée, mais obéit. Le Piaf retomba au sol, le souffle coupé par l'étreinte magique.
- Allons-y.

Ygaël dégaina son arme, signifiant par là qu'il ne comptait pas se battre sous sa forme de loup. Cezra ne chercha pas à l'en dissuader et avant que Scaff n'ait pu se remettre sur pieds, tous les deux étaient déjà en train de descendre l'escalier menant aux niveaux inférieurs.

* * *

Bien campée sur ses deux pieds, une lance dans une main et un sabre dans l'autre, Impa observait l'ennemi. Son regard glissa sur la peau noire et luisante des Ecorcheurs, accrocha l'éclat vermeil des armures des Darknuts, puis s'arrêta sur celui qui était sans nul doute la pire menace de tous : Nahdrim. Le bras-droit de Ganon, le Général qui menait les armées ennemies depuis plus de 15 ans. L'homme responsable de ce qu'était devenu Hyrule, peut-être même plus que Ganon lui-même d'ailleurs. S'il n'avait pas été là, avec sa maudite sorcière, la princesse Zelda aurait sans doute réussi à arrêter le désastre en scellant le Mal avec elle et le pays. Derrière son masque, drapé dans sa cape rouge et noire, Nahdrim rendait son regard à la Sheikah. Pour le moment, tout semblait figé, pourtant les deux camps n'attendaient qu'une chose pour s'étriper : que la barrière créée par Taya et ses soeurs se dissipent. Les flammes-nuit avaient surgi par dizaines de leur arbre pour se tenir la main et ériger un dernier rempart entre les combattants et l'ennemi qui avait envahi le village souterrain.

"Il s'est perdu et je ne m'en suis pas rendue compte. Tout est ma faute, mon amie. Si j'avais plus de temps, peut-être pourrais-je le sauver ? Le ramener sur le chemin qu'il n'aurait jamais dû quitter ? Qu'en penses-tu ? Y a-t-il encore une chance ?"

Impa serra les dents. Pourquoi se remémorait-elle ces paroles maintenant ?
- Ooh ! N'est-ce pas le plus beau des spectacles, Impa ? finit par dire Nahdrim en approchant de la barrière, les bras écartés. Depuis le temps que j'attends ça ! Cocorico à ma portée ! Toi, dansant dans la paume de ma main !
- Je n'appellerais pourtant pas ceci une victoire. Tu as le village, mais les habitants sont saufs et tu es du mauvais côté de la barrière, répondit-elle sans le quitter des yeux.
- Tu as toujours aimé avoir le dernier mot. Cela m'a toujours agacé.

Nahdrim pencha la tête de côté pour regarder le petit groupe de guerriers derrière Impa. Derrière son masque, il esquissa un sourire en apercevant celui qu'il cherchait.
- Toi aussi, Keigo, n'est-ce pas ?
L'intéressé se raidit alors que le Général adverse s'adressait à lui et il resserra sa prise sur son arme.
- Si tu savais tout le mal que nous avons pu dire de toi, lui et moi, fit Nahdrim à Impa sous le ton de la fausse confidence.
- Et c'est censé m'atteindre ?
Nahdrim éclata de rire et effectua un tour sur lui-même.
- Ah, Impa ! Toujours aussi froide ! Toujours aussi distante ! C'est à se demander comment tu as pu donner envie à un homme de te faire des enfants !
La Sheikah abaissa sa lance pour arrêter son fils qui s'apprêtait à tenter quelque chose pour laver son honneur bafoué par l'ennemi.
- Des provocations bien peu originales, se moqua-t-elle. Tu nous sous-estimes grandement.
- Keigo a réagi, fit l'autre en désignant le fils d'Impa qui serrait toujours plus la mâchoire de rage.
- C'est ce que tout fils ferait pour sa mère. Enfin... sauf toi, bien évidemment.
Nahdrim éclata d'un nouveau rire dément.
- C'est toi qui joues la provocation maintenant ? Crois-tu vraiment que ce sujet-là puisse m'atteindre ?
- Je ne crois rien du tout. Je sais ce que tu as fait et tu paieras un jour pour cela.

Nahdrim approcha de la barrière magique et se pencha légèrement en avant, les mains sur les hanches. Derrière les fentes de son masque, ses yeux brillaient de la folie qui l'habitait depuis maintenant deux décennies.
- Et qui m'apportera l'addition ? Toi peut-être ? Non... Si tu en avais le pouvoir, tu l'aurais fait depuis longtemps. Qu'est-ce que cela fait, dis-moi, de ne pas pouvoir venger la mort de sa plus chère amie ?
Il posa sa main sur la barrière qui le repoussa, puis releva les yeux vers Impa, un sourire mauvais sur les lèvres.
- Ou venger les autres ? Ton gendre, par exemple. Je me suis tellement délecté de ses cris et de ses supplications, fit-il en léchant ses doigts comme s'il venait de dévorer un festin. Fini la superbe d'Alric ! Fini la droiture, l'honneur, le chevalier ! Fini ! Fini ! Fini !

Impa continua de l'observer sans rien manifester comme émotions et elle priait pour qu'il en soit de même pour Keigo et les autres derrière elle.
- Je l'ai brisé, tu sais ? continua l'autre en créant entre ses mains une silhouette masculine par magie qu'il étira comme un pantin de papier.
L'Alric miniature poussa un cri silencieux alors que Nahdrim lui arrachait les membres avec une délectation obscène.
- Il n'est rien resté de lui à la fin. Juste une coquille vide, finit-il en réduisant sa création en miettes et en les jetant comme il l'aurait fait de confettis macabres.
Il rit encore en regardant Impa.
- Rien ? Pas même une petite réaction ? Zut, alors... Je crois que je n'ai pas pris le bon exemple.
Il se mit à faire les cent pas en faisant semblant de réfléchir, tapotant ses lèvres de l'index. Puis, il s'arrêta devant Impa et fit naître deux nouvelles silhouettes dans les paumes de ses mains.
- Et si nous parlions de ta fille ? La défigurer petit à petit a été un régal. Ou de ton petit-fils que j'ai attrapé l'autre jour ? Oui ! Là ! Tu me regardes enfin avec une envie de meurtre !

Impa le regarda danser de satisfaction, se demandant encore comment il en était arrivé à devenir cet être grotesque qui ne cessait de gesticuler en tous sens et au comportement erratique.
- Je crois qu'il n'y plus aucune chance de le sauver, mon amie... murmura-t-elle malgré elle.
- Mère...
Impa soupira et tourna la tête vers son fils, le seul enfant qu'il lui restait.
- Ce n'est pas que je m'ennuie, reprit Nahdrim, mais nous n'allons pas rester éternellement ainsi. J'ai d'autres plans une fois ce village maudit complètement rayé de la carte.
- Alors tu vas devoir prendre ton mal en patience, parce que tu ne passeras jamais cette barrière.
Nahdrim frappa le bouclier magique comme s'il frappait à une porte et fut encore repoussé.
- Mon plan était plutôt de te la faire traverser, Impa.
- Tu es vraiment fou pour avoir pu croire une chose pareille !
- Vraiment ?

Cette fois, Nahdrim ne souriait plus. Il marcha le long de la barrière, regardant les flammes-nuit avec une haine non dissimulée, ses longs doigts frôlant le mur de lumière, créant ainsi de petites étincelles de pouvoir.
- Je crois que c'est toi, la folle, de penser que cette barrière va tenir encore longtemps. Cette magie maudite, je vais l'effacer, et tes guerriers périront sous les crocs de mes monstres.
Sans qu'Impa ne comprenne comment, il réussit à arracher un brin de la magie de la barrière pour en faire un filament qu'il entortilla autour de ses doigts, l'admirant avec attention.
- La porte ouverte sur le Royaume du Crépuscule me donne accès à un pouvoir infiniment plus puissant que celui de Zelda. Savais-tu que le sien périclite de plus en plus ? Elle ne pourra bientôt plus garder mon Maître endormi. Oui... je vois à ta tête que tu le sais déjà. Et je parie que tu penses que l'Elu, ton autre petit-fils miraculeusement de retour, va résoudre le problème sous peu, non ? Je vais m'occuper de lui dès que j'en aurai fini avec toi. J'imagine qu'il doit déjà être en Firone à l'heure qu'il est, parti chercher cette fichue épée. J'ai déjà envoyé quelques Agents à sa rencontre. Pas que je crois vraiment qu'ils réussiront à le tuer, mais sait-on jamais ?

Les yeux de Nahdrim rencontrèrent enfin ceux d'Impa et tous deux s'affrontèrent en silence un long moment qui sembla interminable aux guerriers sheikahs. Ils étaient de plus en plus nerveux, d'autant plus que les Ecorcheurs et les Darknuts s'agitaient, comme s'ils sentaient que l'assaut ne tarderait plus. Nahdrim s'étira, joignit les mains et fit craquer les jointures de ses doigts.

- Mais en souvenir du bon vieux temps, je veux bien te donner une chance, Impa. Si tu viens m'affronter, je me désintéresserai de Keigo et de tes petits soldats.

Impa hésita. Elle jeta un oeil aux flammes-nuit qui tenaient bon, mais elles ne pourraient pas maintenir la barrière indéfiniment. Ce n'avait d'ailleurs jamais été le plan. Tout ce qu'elle avait voulu, c'était retarder Nahdrim jusqu'à ce que les habitants du village puissent fuir par les galeries. Il était temps pour le dernier bastion de déguerpir aussi.

- Trop tard. La patience n'a jamais été mon fort, tu le sais.

Devant les Sheikah médusés, Nahdrim matérialisa son long sabre à la lame noire et rouge dans une main et trancha la gorge du premier Ecorcheur à sa portée. La créature s'effondra dans des soubresauts d'agonie alors qu'elle se vidait de son sang vert. Nahdrim n'avait pas attendu pour tuer la suivante qui se laissa faire, puis la suivante et encore la suivante. Comme s'il suivait un ordre muet, les Darknuts abattirent eux aussi leurs armes sur les créatures du Crépuscule, faisant un véritable massacre.

- Mais qu'est-ce qu'il fait ? s'inquiéta Keigo.
- Regarde sa main...
Impa désigna d'un geste du menton la main libre de leur adversaire. Celle-ci luisait d'un halo vert en mouvement. A chaque créature tuée, elle brillait plus intensément.
- Quelle malice est-ce là ?
- Il sacrifie ses troupes pour emmagasiner leur essence magique, répondit Impa qui sentit un frisson lui parcourir le dos.
- Exact, fit Nahdrim en écho. Mais tu sais le plus amusant, mon petit Keigo ? C'est que mes Agents du Crépuscule ont désormais une très, très intéressante particularité : ils sont immortels.

Impa fronça les sourcils. Elle craignait bien une entourloupe de cette sorte. Nahdrim était peut-être dérangé, il n'était pas aussi fou qu'il le laissait croire et il n'aurait pas sacrifié en vain autant de ses monstres. S'il récoltait la magie de son armée, la barrière éclaterait à la première attaque et les Ecorcheurs ressuscités fondraient sur les Sheikah avant de trouver la galerie par laquelle les villageois s'étaient enfuis.

- Keigo, il est temps, dit-elle sans regarder son fils.
- Mère ?
- Suis le plan.
Avant qu'il ait pu dire ou faire quoi que ce soit, Impa avança droit vers la barrière et la franchit.
- Nahdrim, tu me voulais : me voilà.

* * *

L'épée de Nahdrim rencontra le sabre d'Impa encore et encore. Le Général avait retrouvé tout son sérieux depuis le début de leur affrontement. Aucun n'avait commis l'erreur de sous-estimer l'autre et tous les deux combattaient de toutes leurs forces. Impa essaya de repousser son adversaire, mais Nahdrim fit de même, s'arc-boutant sur sa lame pour faire céder la Sheikah. Il prenait un grand plaisir à leur duel si longtemps attendu si bien qu'il n'utilisait pas sa magie. Deux décennies qu'il rêvait de lui faire la peau et enfin ! Il l'avait à sa portée ! Autour d'eux, les deux camps observaient. Keigo n'avait pas obéi à sa mère et était resté pour assister au combat. Il avait bien tenté de traverser la barrière avec ses hommes, mais la magie des flammes-nuit les en avait empêchés. Quant à l'armée de Nahdrim, il ne restait plus qu'une poignée d'Agents du Crépuscule encore en vie et les deux Darknuts de son escorte personnelle.

- Non !
Le cri de Keigo se perdit dans les hauteurs de la grotte alors que Nahdrim venait de réussir à désarmer sa mère. Elle tenta de se défendre à mains nues, mais elle était épuisée, blessée, et il la projeta à terre.
- C'est fini, Impa. Tu t'es bien battue, fit le Général avec un semblant de respect dans la voix. Ne t'en fais pas pour Keigo : il va bientôt te rejoindre.
Nahdrim abattit sa lame sur la Sheikah qui n'avait plus la force de parer, mais une épée s'interposa au dernier moment, le repoussant.
- Ce n'est pas ton genre de rester au sol, Impa.
- Ygaël ! s'exclama-t-elle sans en croire ses yeux.
- Tu n'es pas mort dans le désert ! Excellent ! fit Nadhrim en éclatant de son rire dément, parant les assauts du jeune homme.
- Tue-le !
- Et ma petite Cezra adorée est avec toi ! Merveilleux !

Ygaël ne se laissa pas distraire par les palabres de son adversaire. Son bras frappait sans arrêt, tentant de percer la défense de Nahdrim. De son côté, Cezra rageait de ne pouvoir affronter elle-même son tortionnaire, mais elle était bien trop occupée à paralyser les Darknuts de sa magie.
- Quelle rage, Ygaël ! Tu m'en veux donc tant pour notre petit tête-à-tête dans le désert ?
Nahdrim réussit à feinter, contourna Ygaël et se colla contre son dos.
- Je n'en avais pas encore fini avec toi, lui susurra-t-il à l'oreille avant de s'écarter et de porter un nouveau coup.

Ygaël avait frissonné de dégoût, mais ne s'était pas laissé distraire. Il fit un bond en arrière pour éviter le sabre et parer l'assaut suivant. Jamais encore Ygaël n'avait mis autant de ferveur dans un combat, même les plus mortels qu'il ait pu connaître. Jamais encore il n'avait ressenti autant de haine pour quelqu'un. Il voulait tuer Nahdrim de ses propres mains, le faire souffrir, le voir disparaître dans une mare de sang. La haine et la rage étaient son moteur et seule sa propre mort pourrait l'empêcher de tuer cet homme. Impa, encore sous le choc, se remit debout. Ygaël était venu jusqu'à Cocorico et venait de lui sauver la vie. Elle sentit son coeur se serrer alors que son petit-fils se battait de toutes ses forces. Elle sentait sa rage, sa colère. Son regard glissa vers la Twili qui enserrait les Darknuts et les Agents du Crépuscule de sa magie et elle se sentit sourire légèrement malgré elle. Ygaël s'était trouvé une bien curieuse alliée, comme son lointain ancêtre avant lui.

- Mère !
La voix de Keigo la sortit de ses pensées.
- Que fais-tu encore ici ? Tu n'as pas saisi mes ordres ? fit-elle de son habituel ton autoritaire.
- Vous pensiez que j'allais vous laisser ?
Impa le regarda et lui adressa un sourire tendre qu'il n'avait plus vu sur son visage depuis l'enfance. Keigo eut un très mauvais pressentiment.
- Tu es bien comme ton père, répondit-elle simplement.
- Mère ?
Elle regarda les autres Sheikah qui attendaient derrière son fils.
- Moi, Impa, je vous donne mes derniers ordres, déclara-t-elle avec force. Quittez Cocorico et suivez le plan initial : détruisez les galeries après votre passage, protégez notre peuple, vos familles.
- Mère... commença à protester Keigo.
- Moi, Impa, répéta-t-elle, l'interrompant aussitôt. Je désigne mon fils aîné, Keigo, pour prendre ma place et guider les Sheikahs. Moi, Impa, lui transmets ma charge et mon nom. Cet ordre deviendra effectif une fois que vous serez en sécurité.

Les Sheikahs s'agenouillèrent, la tête baissée, pour signifier leur obéissance et leur respect. Ils se relevèrent, adressèrent un dernier regard à leur cheffe, puis s'éloignèrent, la mort dans l'âme.
- Toi aussi, Keigo. Taya t'accompagnera. Elle t'épaulera, comme elle m'a épaulée.
- Ne faites pas ça, Mère.
- Tu veux que je laisse Ygaël et son amie combattre seuls l'ennemi ? fit-elle avec un léger sourire. Hyrule a besoin de toi, Keigo. Link et Neyria ont besoin de toi. C'est ton rôle, désormais, de les aider.
Elle lui tourna finalement le dos et, comme si cela avait un signal, les flammes-nuit bougèrent pour resserrer leur barrière et faire reculer Keigo.
- Je suis tellement fier de toi, mon fils. Tu feras un excellent chef pour notre peuple, dit-elle sans cacher son émotion. La Déesse soit avec toi.

Elle ne s'attarda pas plus longtemps, récupéra son sabre et repartit en direction des combats. Keigo la regarda s'éloigner, la gorge nouée. Il aurait voulu la retenir, l'emmener avec lui, mais cela aurait été la déshonorer. Sa mère était une guerrière. Combattre le Mal était toute sa vie.
- Allons-y, dit-il finalement aux flammes-nuit, tournant le dos à sa mère et aux combats pour rejoindre les siens qui s'éclipsaient déjà par la galerie de secours.

Chapitre 22 : La dernière mission   up

Le sabre fut propulsé en l'air pour atterrir plusieurs mètres plus loin. La lame adverse atteint alors le masque, glissant sur la surface de métal, évitant l'oeil de peu. Nahdrim tomba brutalement au sol en arrière et le masque en même temps que lui. Il ne put que remonter le menton alors que le bout de l'épée d'Ygaël se posait sur sa gorge. Les deux hommes haletaient. Le combat avait été rude. Le Sheikah s'immobilisa avant de porter le coup fatal.

Plus loin, Cezra observait la scène tout en continuant à maintenir immobiles les deux derniers Agents du Crépuscule encore en vie. La Twili brûlait de venir terminer elle-même son tortionnaire, mais si elle lâchait prise, l'armée ennemie ressusciterait en moins de temps qu'il ne fallait pour le dire. Elle avait espéré qu'Impa se rende un peu utile en tuant les deux créatures d'un seul mouvement de sa lance, mais la Sheikah était plus occupée à combattre les Darknuts de son côté et à les garder à distance d'elle et Ygaël.

- Quoi donc ? Tu es si choqué ? railla Nahdrim.
Il passa sa main sur les horribles cicatrices de brûlures qui mangeaient le côté droit de son visage sans quitter Ygaël des yeux. Même dans cette situation, il ne perdait pas de son arrogance, le provoquant du regard.
- Ta mère m'a laissé ça en souvenir, si tu tiens à le savoir.
A la mention de Leida, Ygaël resserra sa prise sur le pommeau de son sabre du Crépuscule.
- Mais je lui ai rendu la pareille, susurra Nahdrim avec délectation. Mais ça, c'était avant de la torturer. Très lentement. Tu ne la reconnaîtrais pas si tu la croisais un jour.

La haine tordit les traits d'Ygaël. Nahdrim lui avait fait subir les pires tortures dans le désert, il avait pris un soin tout particulier à lui décrire ce qu'il avait fait à Alric, son père, avant lui. Mais alors, il n'avait rien pu faire pour lui faire ravaler ses paroles et payer ses actes. Aujourd'hui, c'était différent et peu importait s'il avait réellement défiguré Leida. Ygaël leva l'épée, visant la gorge, mais soudain, toute la caverne abritant Cocorico se mit à trembler violemment. Le séisme traversa la grotte gigantesque, déséquilibrant les vivants qui peinèrent à rester debout, ouvrant des fissures dans le sol et les parois. Les gigantesques piliers de pierre et le plafond ne furent pas épargnés et d'énormes blocs de rochers se détachèrent pour s'écraser au sol dans un fracas épouvantable.

Impa semblait être la seule à ne pas être surprise. Elle s'écarta légèrement de la crevasse qui s'ouvrait sous ses pieds et, sans une hésitation, se propulsa à l'aide de sa lance contre le Darknut qu'elle combattait, lui offrant un aller simple pour les profondeurs de la terre. De son côté, Cezra venait d'éviter de peu la chute d'un énorme morceau du plafond. Elle n'était pas blessée, mais elle avait été contrainte de relâcher sa magie. Perdue dans le nuage de poussière épaisse, elle toussait, essayant de repérer les Agents du Crépuscule qu'elle avait été contrainte de libérer avant qu'ils ne lui tombent dessus. Plus loin, Ygaël s'était déjà repris alors que Nahdrim se relevait en riant comme un dément.

- J'imagine que c'est ton oeuvre, Impa ! cria-t-il en époussetant ses épaules. Détruire Cocorico plutôt que le voir tomber entre mes mains ! C'est tellement ton genre !
Il n'eut aucune réponse de la part de la Sheikah, mais cela lui importait peu. Alors qu'Ygaël portait un nouveau coup, il l'évita d'un bond.
- Entends-tu, mon cher Ygaël ? La Mort arrive enfin.

A peine avait-il prononcé ces mots qu'un hurlement à glacer le sang résonna dans la caverne. Le Sheikah pâlit, reconnaissant là le cri d'un Agent du Crépuscule. Ce cri qu'il avait déjà entendu dans le désert. Ce même cri qui allait ressusciter toute l'armée de ses semblables. Avec horreur, il vit les corps des monstres sursauter, la vie parcourant à nouveau leurs membres longilignes, puis se relever les uns après les autres, à travers toute la caverne.

- Cezra ! Impa ! Il faut partir ! hurla Ygaël en cherchant les deux femmes des yeux.
- Je crois que nous avons suffisamment joué, Ygaël, reprit Nahdrim avec un sérieux qu'il n'avait encore jamais démontré.

Aussitôt, il tendit la main vers son sabre qui revint vers lui. Il l'agita de gauche à droite, et l'instant d'après, il était déjà sur le Sheikah qui para in extremis. Une nouvelle secousse parcourut la caverne et l'un des gigantesques piliers trembla tant qu'il s'effrita pour céder. Des tonnes de roches et de poussière s'abattirent sur les combattants et l'armée du Crépuscule. Des pierres tombaient tout autour d'Ygaël qui avait perdu Nahdrim de vue. Le jeune homme avait du mal à respirer, la poussière presque compacte envahissant ses poumons. Il ne voyait plus rien non plus. Tout d'un coup, il se sentit soulevé de terre par les épaules, à peine une seconde avant qu'un énorme rocher ne le réduise en bouillie.

- Pourquoi faut-il que je te sauve toujours la mise ?

Ygaël reconnut aussitôt la voix de Scaff et ne put s'empêcher de rire nerveusement entre deux quintes de toux. Jamais encore il n'avait été aussi heureux d'entendre son ami Piaf. Celui-ci monta le plus haut possible pour éviter le nuage de poussière dense. Des yeux, il cherchait une trace d'Impa.

- Tu étais toujours là, fit Ygaël en levant la tête vers lui.
- Parce que tu croyais que j'allais m'enfuir ? rétorqua le Piaf d'un ton à moitié vexé.
- Tu ne penses plus que je sois un démon ?
- Tu te bats contre Nahdrim.

Scaff ne s'étendit pas sur sa réponse, ce qui sembla suffire à Ygaël. Tous deux observèrent les dégâts au sol. La poussière retombait lentement, mais déjà, on distinguait les grands corps maigres des Agents du Crépuscule. Certains n'avaient été ressuscités que pour mourir sous les tonnes de gravats, mais la majorité était debout et prête à massacrer tout ce qui se trouverait à sa portée. Soudain, Ygaël crut entendre son nom.

- Cezra ! Scaff, là-bas ! lui désigna-t-il de la main.

Il n'avait pas été le seul à percevoir la voix de la Twili. Les Agents du Crépuscule se mettaient en mouvement dans sa direction. Le Piaf ne perdit pas de temps et plongea, Ygaël bien accroché à ses pattes. Ils finirent par distinguer la petite silhouette de Cezra qui se tenait à un bon mètre du sol, les bras écartés. Elle avait levé son bouclier pour se protéger de Nahdrim qui lui faisait face. Derrière elle, ils distinguèrent une forme allongée, dont la tenue bleue nuit et les cheveux blancs étaient devenus gris de poussière.

- Lâche-moi ! cria Ygaël à Scaff alors qu'ils arrivaient sur place.
Le Piaf obéit et ouvrit les serres. Le Sheikah tomba au sol, effectua une roulade pour amortir le choc et se releva aussitôt.
- Il faudra que je t'apprenne la ponctualité, lui fit remarquer Cezra.
- Je n'ai plus d'arme. Transforme-moi, répondit-il seulement.

S'il n'avait plus son épée, il avait encore des crocs et des griffes. Cette malédiction que Nahdrim lui avait lancée serait son arrêt de mort. Mais la Twili n'eut pas le temps d'activer la transformation qu'un mur bleuté se forma soudain entre eux et leurs adversaires. Ce n'est qu'à cet instant qu'ils remarquèrent que les flammes-nuit étaient revenues et avaient formé un cercle autour d'eux, de Scaff et d'Impa, les protégeant de leur magie comme elles l'avaient fait pour Keigo et des autres Sheikahs.

- Encore elles ! hurla Nahdrim de rage.
Le sorcier avait une blessure à la tête dont le sang coulait sur sa joue. Ses cheveux blonds et son costume étaient devenus gris de poussière.
- Elles ne tiendront pas indéfiniment, fit-il alors que son armée se regroupait autour du dôme de magie protectrice. Vous êtes faits comme des rats.

* * *

L'étau se resserrait. La masse grouillante des Agents du Crépuscule se rapprochait d'eux. Scaff décochait ses flèches les unes après les autres, chacune faisant mouche, mais il serait bientôt à court. Sans doute savait-il que ce serait en vain, mais il n'avait pas pu rester sans rien faire alors qu'Ygaël s'était précipité près d'Impa, qui gisait à terre. La Sheikah était coincée sous un énorme éboulis. Seule la partie supérieure de son corps était dégagée et elle avait du mal à respirer.

- Ygaël, cela suffit, dit-elle d'une voix faible.
Mais le jeune homme n'écoutait pas. Arc-bouté sur la roche, il tentait de la soulever pour dégager sa grand-mère.
- Ça ne sert à rien, intervint Cezra.
- Alors utilise ta magie ! hurla-t-il.
La Twili recula d'un pas, surprise par son ton, et fit non de la tête.
- Ça ne suffirait pas.
- A quoi te sert ta magie, alors ? A quoi sert le pouvoir de ton fichu cristal ?
Cezra n'avait jamais vu Ygaël aussi en colère. Qu'il le soit après elle qui n'était pour rien dans la situation la vexa et elle se ferma, croisant les bras sur la poitrine.
- Ygaël, arrête, intervint Impa.
- Ne parle pas. On va te sortir de là.
Impa fit un effort pour lever la main et attraper fermement la main de son petit-fils. Elle l'obligea à la regarder dans les yeux.
- Tu ne peux plus rien faire pour moi.
- Ne dis pas ça...

La voix du jeune homme venait de se briser. Malgré tout ce qui s'était passé entre eux, il ne pouvait pas se résoudre à ce qu'elle meure maintenant. Elle était sa grand-mère, elle l'avait élevé, avait remplacé sa mère quand Leida avait disparu, avait été son instructeur et son mentor... Il n'avait jamais réussi à lui en vouloir de son exil. S'il était venu à Cocorico aujourd'hui, c'était pour elle autant que pour les villageois. S'il n'arrivait pas à la sauver, il la trahirait une deuxième fois.

- Je sais que mon heure est arrivée, reprit Impa. La Déesse me rappelle à elle.
Ygaël secoua la tête, retenant difficilement ses larmes, la gorge nouée par l'émotion. Il s'assit près d'elle, serrant sa main dans la sienne.
- Ne sois pas triste, Ygaël. Je vais rejoindre ceux que j'aime. Ton grand-père, ta mère, ma meilleure amie... et tous ceux partis avant moi. Mon combat se termine ici, mais pas le tien.

Cezra leur tournait le dos, mal à l'aise avec la scène qui se déroulait devant elle et toujours un peu contrariée de la façon dont Ygaël lui avait parlé. Peut-être parce qu'il n'avait pas eu tout à fait tort : même avec le cristal d'ombre, sa magie n'était pas suffisante pour sauver Impa, ni pour les sauver, eux, de ce qui s'apprêtait à leur tomber dessus. Elle voyait bien que les flammes-nuit ne tiendraient pas longtemps. Elles avaient déjà utilisé beaucoup de leur magie et la barrière était beaucoup plus ténue que celle qu'elles avaient maintenue plus tôt.

- Ygaël, j'ai une dernière mission à te confier, dit Impa dans un murmure.
- Vous n'êtes pas gonflée, nota Cezra en se retournant. Vous l'avez exilé et maintenant, vous lui demandez un service ? C'est votre petit-fils quand même et...
- Cezra, l'interrompit Ygaël avec une douceur étonnante. Ça va aller.
Il adressa un regard de remerciement à la Twili, ne s'étant pas attendu à ce qu'elle prenne ainsi sa défense.
- Quelle mission ?
- Link et Neyria vont revenir avec l'Epée de Légende, mais seuls, le combat sera difficile.
- Ils ne seront pas seuls. Je serai là.
- Si on s'en sort, soupira Cezra. Parce que je ne veux pas vous casser le moral, mais c'est mal parti.
- Ils auront besoin de toi, Ygaël. De vous, continua Impa en jetant un oeil à la Twili et à Scaff. Mais vous devez retrouver les autres. Nous les avons protégés, cachés depuis toutes ces années, depuis l'épisode de la Divinéa, mais il est temps...
- Qui donc ?
- Ils sont six et leurs pouvoirs se sont éveillés depuis le retour de Link. Ils seront essentiels pour que ton frère et Neyria puissent vaincre le Mal.
Elle tourna la tête vers Scaff qui vidait son carquois.
- Sa soeur, Quill... Elle est déjà en route vers le Temple du Vent. Les autres... Ce doit être pareil.
- Les Sages des légendes, réalisa Ygaël à la mention du temple.
- Si Nahdrim et sa sorcière les trouvent, ils les tueront et se serviront de leurs pouvoirs pour briser le sceau de Zelda. Vous devez les protéger.

Impa serra fort la main d'Ygaël dans la sienne, gardant son regard rivé au sien, attendant une réponse. Le jeune homme était encore sous le choc de ce qu'il venait d'apprendre : les Sages existaient réellement et les princesses Zelda et Laruta avaient tenté de leur faire fuir le pays en même temps qu'eux et Link 15 ans plus tôt. Il n'avait jamais soupçonné cela. Quand Impa resserra un peu plus sa main dans la sienne, il se reprit et la regarda dans les yeux avec une résolution toute neuve.

- Je te le promets, fit-il solennellement.
Elle posa sa main blessée sur la joue du jeune homme sans se soucier du sang qu'elle y laissait, et lui sourit tendrement.
- Je suis navrée, tu sais... pour tout. Surtout, prends soin de ton frère et de Neyria. Surtout Neyria. Elle va m'en vouloir à mort cette fois. Je lui ai caché tant de choses... Mais je n'avais pas d'autre choix. Il fallait la protéger et...
Impa fut interrompue par une violente quinte de toux et elle cracha du sang.
- Ne dis plus rien, s'il te plaît.
- C'est fini, annonça Scaff d'une voix morne. Je peux peut-être essayer d'atteindre le plafond et...
- Cezra, viens là, demanda Impa.
La Twili hésita, toujours mal à l'aise.
- Si vous tenez à ce qu'on fasse un câlin général avec de mourir, très peu pour moi.
- Détruis l'arbre sacré, ordonna la Sheikah.
- Quoi ? Mais la barrière...
- Elle ne tiendra plus longtemps, tu le sais. Détruis l'arbre et profitez du chaos pour vous enfuir.
- Impa, commença à protester Ygaël.
- C'est mon dernier ordre pour vous trois.
- Tu ne comptes pas...
- Allez. C'est trop tard pour moi, mais vous, vous avez encore une chance.

Elle tendit la main vers sa lance à quelques mètres d'elle et Ygaël la lui remit en main. Impa sourit, soulagée de sentir son arme fétiche près d'elle pour ses derniers instants.

- Scaff, rassemble tes forces et tiens-toi prêt à emmener Ygaël.
- Jusqu'au bout, vous aimez donner des ordres, railla Cezra en la regardant.

Toutes les deux se jaugèrent du regard, mais ce fut la Twili qui céda la première. Elle soupira, résignée, et flotta en direction de l'arbre sacré. Il était assez loin d'elle, de l'autre côté de la barrière et elle n'avait pas le droit à l'erreur.
- Ygaël. J'ai besoin de toi.
Le jeune homme hésita. Il avait tant à dire à sa grand-mère, mais devant l'air des deux femmes, il capitula. Une fois qu'il fut à ses côtés, Cezra matérialisa un grand arc à double courbure fait du même matériau que le sabre qu'elle lui avait déniché dans son monde. Elle le lui colla entre les mains.
- Je vais créer une flèche magique. Surtout, ne rate pas ta cible.

Ygaël aurait bien demandé pourquoi elle ne demandait pas à Scaff de tirer puisqu'il était bien meilleur archer que lui, mais il le comprit en prenant l'arme en main. Celle-ci résonna avec sa tenue de guerrier twili et il sentit la magie du cristal d'ombre circuler dans ses bras. Sans attendre, il tendit la corde, laissant le soin à Cezra de faire naître sa flèche entre ses mains et de la placer entre les siennes. La Twili avait mis le paquet : la flèche crépitait, gorgée de magie du Crépuscule. Cezra se colla dans le dos d'Ygaël, les mains de part et d'autre de sa tête, maintenant ainsi la cohésion de la forme magique.
Ygaël pria les Déesses pour que rien ne vienne s'interposer entre lui et l'arbre sacré. Les monstres arrivaient, il ne devait plus hésiter. Il coupa sa respiration et lâcha la corde de l'arc. Aussitôt, la flèche partit en sifflant. Elle traversa la barrière des flammes-nuit, fila au-dessus des têtes des Agents du Crépuscule, manqua d'en percuter un de justesse, puis se planta dans l'arbre sacré devant la maison d'Impa pour y disparaître. Au même moment, les flammes-nuit s'évanouirent avec leur barrière de protection. Les monstres n'eurent pas le temps de se jeter sur Impa et les autres : l'arbre perdit sa lumière dorée pour devenir de jade. La couleur s'intensifia un court instant avant d'exploser, les aveuglant tous et faisant trembler toute la caverne encore plus qu'avant. Le sol, les parois, le plafond furent secoués par un terrible séisme et d'énormes blocs de pierres se détachèrent à nouveau un peu partout, créant une réaction en chaîne qui ne s'arrêterait pas cette fois. La panique s'empara des Agents du Crépuscule et ils entendirent Nahdrim les maudire.

- Maintenant, Scaff ! ordonna Impa.

Le Piaf hocha la tête, la mort dans l'âme, mais obéit. Il prit son envol, prit de la vitesse grâce à un piqué et attrapa Ygaël par les épaules. Il battit des ailes de toutes ses forces alors que le jeune homme criait le nom de sa grand-mère restée au sol.

- Cezra, fit Impa alors que la Twili allait suivre. Si tu tiens un peu à Ygaël...
- Qu'est-ce que c'est encore que cette histoire ?
- Si tu tiens un peu à lui, empêche-le d'affronter le Darknut à l'armure rouge et noire, continua la Sheikah sans se formaliser de la mauvaise foi de la jeune femme. Nahdrim le lancera à ses trousses, alors fais en sorte que jamais Ygaël ne le combatte. Il ne s'en relèverait pas. Ce Darknut, c'est...

Sa dernière phrase fut couverte par le fracas du plafond qui s'effondrait, mais Cezra en comprit l'essentiel. Son regard écarquillé trahit le choc que cela lui fit bien qu'elle se reprit aussitôt pour afficher son expression arrogante habituelle.
- D'accord. C'est bien parce que chez moi, on ne refuse jamais le dernier voeu des condamnés.
La Twili s'éleva dans les airs. Autour d'elles, le plafond s'effondrait violemment, soulevant à nouveau des tonnes de poussières, engloutissant les Agents du Crépuscule et ce qui avait été le deuxième village de Cocorico. Un énorme rocher s'écrasa à l'endroit où était Impa. Cezra toussa, cherchant la Sheikah des yeux. Malgré tout, elle avait quelques scrupules à la laisser mourir ici de cette façon.

- Tu as promis, Cezra, entendit-elle soudain dans son esprit.
- Oui, oui, j'ai promis, soupira-t-elle.

Sans se retourner, la Twili fila à travers le chaos pour suivre Scaff et Ygaël qui se frayaient un chemin tant bien que mal jusqu'au plafond qui venait de s'ouvrir vers l'extérieur. Elle espérait que c'en serait fini de Nahdrim, mais quelque chose au fond d'elle lui soufflait que les cancrelats de son espèce pouvaient survivre à pire que des millions de tonnes de roches et de terre lui tombant sur la tête.

Chapitre 23 : L'Arbre Mojo   up

Quand Link rouvrit les yeux, il était allongé sur le dos, sur un lit de feuilles bien moelleux au creux de ce qui semblait être un vieil arbre. De grosses fleurs lumineuses éclairaient faiblement l'endroit.
Il s'assit, passant sa main sur son cou endolori. Un pansement de feuilles fraîches avait été posé sur les marques de strangulation. Les images de son combat contre les Agents du Crépuscule lui revinrent en mémoire. Visiblement, Shiki avait tenu parole et avait vaincu les créatures, mais cela ne disait pas à Link où il se trouvait.

- Ami Hylien réveillé ? Dodo confortable ?
Link sursauta en entendant la petite voix venir du sol. Il écarquilla les yeux en découvrant la créature dont la couleur de la peau ressemblait tant à l'écorce de l'arbre qu'il ne l'avait pas vue avant qu'elle ne parle.
- Petit-déjeuner prêt. Azettis a préparé que des bonnes choses : des noisettes, des baies... Très bon tout ça pour remplir le petit bidon.

La créature lui fit signe de la suivre et Link obtempéra. Ses bottes à la main, il marcha pieds nus sur un tapis de mousse fraîche très agréable jusqu'à arriver dans une autre partie de l'arbre où se trouvait un petit foyer sur lequel cuisait une marmite.

- Link !
Ralis lui sauta dessus pour le soulever de terre, lui coupant le souffle.
- Ralis ! Doucement ! Je... Où sommes-nous ? Qu'est-ce qui s'est passé ? Où est Neyria ?
Le Zora le reposa au sol avec un grand sourire alors que la petite créature remplissait un bol de fruits chauds à la marmite.
- Nous avons atteint notre destination : nous sommes dans la Forêt Korogu, bien après les Bois Perdus.
Le Korogu tendit le bol à Link qui le prit en le remerciant, puis Ralis lui désigna des coussins de mousse où s'asseoir.
- Neyria est dehors. Mange d'abord. Nous irons la voir ensuite.
Ralis l'observa avec attention, puis finit par demander :
- Tu ne te souviens vraiment de rien ?
- Non, soupira Link. Mon dernier souvenir... Je combattais des monstres du Crépuscule. Qu'est-ce qui s'est passé, Ralis ? Est-ce que Shiki a...
- Oh oui ! Il a occupé ton corps pendant quelques heures. Il s'est débarrassé des Ecorcheurs et il nous a ensuite un peu pourri la vie. Vous avez vraiment passé un pacte, alors ?
Link hocha la tête, avalant une cuillère de son bol. Le mélange des fruits et des noisettes était délicieux.
- Je ne comprends pas encore tout, il a fallu se décider rapidement, mais oui... Je suis soulagé, je craignais qu'il ne me rende pas mon corps.
- Il a dit qu'il l'occuperait la nuit et toi, le jour. J'espère que ça ne durera pas très longtemps. On ne peut pas dire qu'il sache se faire des amis.
Ralis raconta alors à Link les derniers événements et ce qu'il savait de Shiki et de ses objectifs.
- Je pense qu'on peut le considérer comme un allié malgré tout, fit-il au Zora en terminant son petit-déjeuner. J'ai des choses à vous raconter, à Neyria et toi.
- Le Vénérable t'attend, ami Hylien, fit le Korogu en récupérant le bol.

Link lui sourit gentiment et le remercia. Ralis l'entraîna à l'extérieur. Quand ils arrivèrent à l'entrée de l'arbre qui les avait abrités, Link se figea en découvrant les merveilles de la forêt Korogu. Ici, comme à la source sacrée près de Toal, le Crépuscule ne semblait pas avoir de prise. La lumière était douce, chaleureuse, comme celle qu'il avait toujours connue sur l'île du Levant. Des insectes, des lucioles et des libellules, voletaient entre les racines gigantesques des arbres alentour dont le faîte se perdait loin en hauteur. Des oiseaux y pépiaient joyeusement, ce que Link n'avait plus entendu depuis son départ de l'île. Ici, régnait une paix absolue et la Lumière. Alors qu'ils descendaient la racine pour atteindre l'herbe tendre et les fleurs poussant au sol, Link aperçut les petites têtes des Korogus surgir de derrière leurs cachettes. Les Enfants de la Forêt le rejoignirent en se dandinant, secouant pour certains les petites branches décorées de graines qu'ils portaient dans les mains.

- Ils attendaient ton réveil avec impatience, fit Ralis, amusé. Shiki les a fuis comme la peste.
- Ils sont adorables, pourtant, répondit Link en s'accroupissant devant les Korogus pour les saluer.

L'un d'eux attrapa le bas de la tunique de Link pour l'entraîner plus loin. Les autres Korogus les suivirent dans un petit bruit sympathique de graines s'entrechoquant. Ils n'eurent pas à marcher beaucoup que les deux amis perçurent le son de l'ocarina de Neyria. La jeune fille était assise en tailleur par terre. Autour d'elle, de nombreux Korogus de toutes tailles et toutes couleurs, l'écoutaient avec attention. Nim et Taël étaient là également, dansant au rythme de la musique que Link reconnut comme la Ballade de la Déesse. Quand ils eurent rejoint Neyria, il s'aperçut qu'elle n'était pas assise par terre, mais sur un dallage de pierre en forme de triangle. Un piédestal vide se trouvait au centre.

- Brom brom... Bienvenue, fils d'Hyrule, fit une énorme voix de basse qui fit sursauter Link.

Le jeune homme se tétanisa de stupeur en voyant que l'arbre le plus gigantesque de la forêt se mettait à bouger. Ce qu'il avait d'abord pris pour des branches formait en réalité les contours d'un visage : là, une bouche surmontée d'une moustache, ici d'épais sourcils au-dessus d'un regard profond et sans âge. Lorsqu'il bougeait, des feuilles roses tombaient de ses branches en une pluie délicate. Link se sentit soudain minuscule et surtout, très impressionné.

- Link, je te présente le Vénérable Arbre Mojo, fit Neyria en se levant.
Elle sourit à son frère, ravie de le retrouver. Elle paraissait complètement reposée après une bonne nuit dans un lit de feuilles et un petit-déjeuner revigorant.
- Bonjour, Vénérable, répondit-il en s'inclinant légèrement.
- Brom brom... Je vois en toi le pouvoir de tes ancêtres.
A ces paroles, le symbole de la Triforce du Courage s'illumina sur la main de Link.
- Nous t'attendions depuis si longtemps, fils d'Hyrule. Si longtemps...
Link avait encore du mal à réaliser que c'était bien un arbre qui lui parlait et, à dire vrai, il ne savait pas trop quoi lui répondre.
- Il y a tant à te raconter et si peu de temps avant que le Mal ne revienne.
Le regard millénaire de l'Arbre Mojo se posa sur les trois jeunes gens devant lui, les détaillant longuement.
- Le temps presse, fit-il finalement. La magie de la princesse Zelda faiblit alors que celle de Nahdrim ne cesse de grandir. Hyrule a besoin que le Héros se réveille et le Héros a besoin de l'Epée de Légende. Je devine que tes prédécesseurs sauront guider ton bras dans cette tâche.

Link hocha la tête, ne sachant pas si l'Arbre Mojo savait que les anciens Héros l'aideraient vraiment ou si c'était une façon de parler. Il n'eut pas le temps de demander que le Vénérable reprit :

- Mais l'Epée n'est plus ici. Autrefois, elle reposait sur ce piédestal sacré, mais...
- Impa a pourtant dit... commença Neyria.
- Elle ignorait que nous avons dû envoyer l'épée ailleurs pour la protéger de l'influence du Banni, continua l'Arbre Mojo. Quand Ganondorf a basculé et que Nahdrim a ouvert le passage vers le Crépuscule, rien ne disait que la forêt ne sombrerait pas, elle non plus. Firone a été vite envahi par la Malice, la Corruption et le Mal et cela a demandé beaucoup de pouvoir pour préserver ce sanctuaire et protéger les Korogus et l'Epée. L'Elu avait disparu, nous le pensions perdu à jamais. Il a fallu prendre une décision.
- Où est-elle ? demanda Link en masquant sa déception de son mieux.
- Je vais vous envoyer à elle, mais rien ne sera facile.
- Ça, on s'en doutait un peu, soupira Neyria malgré elle.
- Brom brom, je sens votre déception et la comprends, mais nous n'avions pas le choix si nous voulions qu'un jour, l'Elu puisse à nouveau tenir l'épée dans ses mains.
Les trois amis échangèrent un regard : que pouvaient-ils répondre à cela ?
- Vous n'avez pas d'ennemis là où je vais vous envoyer, mais il va être temps pour vous d'affronter certaines vérités, surtout toi, Neyria.
La jeune fille, surprise, leva la tête vers l'Arbre Mojo.
- Les rêves... les souvenirs de Zelda... C'est de cela dont vous parlez ?
- Oui. Tu auras les réponses à tes questions, mais peut-être ne voudras-tu jamais les avoir connues malgré tout.

Neyria haussa les épaules, soulagée que les garçons ne demandent pas plus d'explications pour le moment. Il y avait des interrogations qu'elle avait gardées pour elle tout ce temps et elle craignait encore de les partager, comme si les dire à voix haute pouvait leur donner une forme concrète.

- Je crois que je n'ai guère le choix, dit-elle finalement.
L'Arbre Mojo reporta son attention sur Link.
- L'Ombre que tu portes en toi ne supportera peut-être pas la Lumière de l'Epée de Légende, sois en conscient.

Le jeune homme regarda sa main infectée par réflexe tout en pensant à Shiki. Maintenant qu'il savait que ce n'était pas le côté sombre et maléfique de lui-même, mais l'esprit d'un autre à peine plus âgé que lui, il commençait à voir différemment son bras d'écailles luisantes. Il n'en avait plus peur. L'infection ne progresserait plus, il en était certain, puisqu'il avait accepté de partager temporairement son corps avec Shiki. L'espace d'un instant, il se demanda s'il aurait à nouveau l'occasion de parler avec lui.

- Ralis, tu ne peux les accompagner, reprit l'Arbre Mojo.
- Quoi ? Non ! Il doit venir avec nous ! protesta Neyria en se raccrochant au bras de son ami.
- Ton destin est ailleurs, fils de Lareta. Il te faut retourner auprès des tiens pour l'instant.
Alors que Link s'apprêtait lui aussi à protester, le Zora se tourna vers Neyria et posa ses mains sur ses épaules. Il la regarda dans les yeux, lui sourit légèrement, puis colla son front contre le sien.
- Nos chemins se séparent, petite soeur, mais je suis sûr que ce n'est que pour un temps.
- Mais... Ralis...
- Tu n'es pas seule, tu es avec Link, Taël, Nim...

Neyria retenait ses larmes difficilement. Link ne l'avait encore jamais vue laisser à ce point affleurer ce genre d'émotions, elle qui jouait les dures en permanence. Cet échange lui rappela combien sa soeur et le Zora étaient proches, sans doute plus qu'ils ne le seraient jamais compte tenu des circonstances.

- Prends Taël avec toi, alors, fit-elle doucement.
- Neyria, Taël est ta flamme-nuit et...
- Elle te protégera en mon absence. Il t'arrive toujours des trucs invraisemblables et je ne serai pas là si...

La flamme-nuit gazouilla pour accepter et grimpa aussitôt sur l'épaule du Zora qui capitula. Il changea de position pour murmurer quelque chose à l'oreille de Neyria qu'elle seule entendit. Cette fois, deux larmes coulèrent sur ses joues qu'elle effaça aussitôt de la main.

- Comment as-tu... ? demanda-t-elle seulement.
- Je te connais par coeur. Tout va bien se passer, Neyria. La Déesse est avec toi, avec vous, corrigea le Zora en regardant Link cette fois.
- Nous nous retrouverons bientôt, mon ami, répondit le jeune homme en tendant la main vers lui.
Le Zora l'attrapa, mais ce fut pour attirer Link contre lui dans une nouvelle accolade virile qui lui coupa le souffle.
- Prends tout de même garde à ce Shiki. On ne sait jamais...

Ralis craignait surtout que cela ne dégénère entre Shiki et Neyria en son absence, mais l'Arbre Mojo ne semblait pas vouloir lui laisser le choix. D'ailleurs, celui-ci avait décidé que les adieux ne devaient pas s'éterniser car le dallage triangulaire sur lequel ils étaient s'était mis à briller. Il s'écarta de ses amis pour en descendre.

- Ralis...
- Bon voyage, Neyria. Tout va bien se passer. Vous êtes ensemble.
Link attrapa la main de sa soeur pour illustrer les propos de leur ami.
- Nous allons vite récupérer l'épée et nous te retrouvons ensuite, promit-il.
- Ça marche. Faites vite, je ne suis pas sûr que mon frère apprécie trop mon retour, fit Ralis dans un sourire.

Neyria murmura le mot "idiot" avec affection sans quitter le Zora des yeux alors qu'autour d'eux, les Korogus s'étaient rassemblés et s'étaient mis à chanter une étrange mélopée. Les hautes branches millénaires de l'Arbre Mojo frémissaient, faisant pleuvoir de plus en plus de pétales roses. La lumière s'intensifia pour devenir une véritable colonne qui perça les frondaisons de la forêt, montant droit au ciel. Neyria et Link échangèrent un regard surpris en sentant leurs corps s'élever lentement au-dessus du sol, leurs cheveux et leurs vêtements flottant sous l'effet de l'apesanteur.

- Brom brom, bon voyage, Elus de la Déesse, dit l'Arbre Mojo tandis que les Korogus finissaient de chanter.
Lorsque la dernière note fut prononcée, la colonne de lumière devint insoutenable à regarder pour Ralis qui ferma les yeux. Quand il les rouvrit, ce fut à peine s'il put apercevoir les silhouettes de ses amis qui s'élevaient loin dans le ciel.
- Fils de Lareta, reprit le Vénérable. Il est temps que nous parlions.

Ralis hocha la tête, la gorge nouée. Taël l'encouragea en frottant sa tête contre sa joue. Finalement, il était heureux que la flamme-nuit soit restée. Il se sentirait certainement moins seul.

Chapitre 24 : Persil et échalote   up

Porté par le pouvoir de la colonne de lumière, Link tenait toujours fermement la main de Neyria. Leur ascension se faisait en douceur, mais semblait ne jamais vouloir prendre fin. Aveuglés par la lumière qui les entourait, ni l'un ni l'autre ne pouvait voir jusqu'où l'Arbre Mojo les envoyait et plus le temps passait, plus ils commençaient à angoisser.

La colonne de lumière finit par baisser en intensité et les deux Hyliens ralentirent leur progression. D'un coup, ils émergèrent au-dessus d'une mer infinie de cotonneux nuages blancs au milieu d'un ciel d'un bleu limpide. Ils eurent à peine le temps de goûter le spectacle que la magie cessa. La colonne de lumière s'évanouit et le trou qu'elle avait percé dans les nuages se referma. Quant à eux, ils se mirent aussitôt à chuter dans le vide. Cette fois, Link crut que c'en était fini de lui comme de Neyria. Il voyait avec horreur la masse de nuages se rapprocher et n'avait pas à faire beaucoup d'effort d'imagination pour savoir comment les choses se passeraient pour eux en atteignant le sol.

Un éclair violet et blanc passa soudain entre eux, les forçant à se lâcher les mains. L'instant suivant, Link avait perdu de vue sa soeur. Il eut beau regarder partout, elle avait disparu. Il cria son nom, ce qui manqua de l'étouffer quand l'air entra trop rapidement dans sa bouche. Cela le déséquilibra et il partit en vrille, tombant toujours plus vite. Son corps entra brusquement en contact avec quelque chose, ce qui lui coupa le souffle. Il lui fallut quelques instants pour arriver à rouvrir les yeux et comprendre qu'il ne tombait plus. Il tremblait de tous ses membres et ses mains s'étaient accrochées désespérément à ce qui venait d'arrêter sa chute : des plumes. De grandes et belles plumes rouge vermeil comme il n'en avait jamais vues.

L'oiseau tourna brièvement sa grosse tête vers lui, poussa un cri rauque, puis vira sur la droite tout en prenant garde à ne pas faire basculer son cavalier. En prenant mille précautions, Link réussit à se redresser, serrant les cuisses contre le corps massif de l'oiseau pour ne pas tomber et gardant les mains profondément enfoncées dans les plumes.

- Link ! Tout va bien ?

Alors que l'oiseau vermeil battait des ailes pour prendre de la hauteur, un de ses congénères le rejoignit, Neyria sur le dos. La jeune fille n'en menait pas plus large que son frère, elle aussi cramponnée à sa monture au plumage violet.

- Rappelle-moi de dire à l'Arbre Mojo ce que je pense de sa façon de faire, râla Link avec humeur.
- Regarde !

Neyria tendit la main droite devant eux et Link oublia immédiatement tout grief contre le Vénérable de la forêt. Il n'en croyait pas ses yeux. Là, au-dessus des nuages, flottaient une myriade d'îles comme il aurait pu en voir en mer. Il y en avait de toutes les tailles - des minuscules où on pouvait à peine tenir à deux, à d'aussi grandes que son île du Levant - et de toutes les sortes. Là, une île semblait n'abriter qu'un lac, ici une autre était entièrement recouverte de forêts, là encore on aurait cru qu'il y avait tout un champ de citrouilles. Chaque île flottait à sa propre altitude et il lui sembla même que certaines étaient en mouvement. C'était tout simplement extraordinaire.

Il jeta un coup d'oeil à sa soeur et sourit. Neyria admirait le spectacle avec l'expression d'une enfant émerveillée. C'était la première fois qu'il la voyait ainsi. Il réalisa que pour elle, ce devait être la première fois qu'elle voyait un ciel aussi bleu et la véritable lumière du jour.

- Avoue que tu la trouves plus que jolie quand elle sourit comme ça, fit soudain la voix de Shiki dans sa tête.
- C'est ma soeur, répondit Link mentalement.
- Mmm... c'est vraiment dommage qu'elle ait un si mauvais caractère.

Link préféra ne pas lui répondre. S'il était reconnaissant à Shiki de leur avoir sauvé la vie contre les Agents du Crépuscule, il aurait préféré qu'il reste sagement dans un recoin de son esprit en journée. Le prince des Twilis allait déjà occuper son corps toutes les nuits, il n'avait pas besoin de sa compagnie le reste du temps. Link préféra retourner à la contemplation des lieux. Leurs oiseaux voguaient au gré des courants aériens, les ailes ouvertes. Le jeune homme ignorait s'ils avaient dans l'idée de les emmener dans un lieu précis, mais de toute façon, ils n'avaient aucun moyen de les diriger. Ils ne pouvaient que se laisser porter et admirer le paysage.

Ils passèrent ainsi à proximité de nombreuses îles, mais quelle que soit leur taille, la végétation ou leur toponymie, ils ne virent aucun être vivant en dehors d'un ou deux oiseaux similaires à leurs montures. A mesure que les heures passaient, Link et Neyria avaient fini par se détendre et même par apprécier ce moyen de transport inédit.

- Je crois que ce sont des célestriers, fit soudain Neyria en haussant la voix pour que Link puisse l'entendre.
Devant son air interrogatif, elle continua son explication.
- Est-ce que tu connais la légende de Célesbourg ? Là où vivaient le premier Elu et la première Réincarnation de la Déesse ?
- Le village que la déesse Hylia a envoyé dans le ciel ? Ygaël m'a raconté cette légende pendant notre voyage.

A peine avait-il pensé à cela que l'image du Premier Elu lui revint en mémoire. Le tout premier Link. Le tout premier Héros. Il se souvenait très bien de lui et de leur rencontre dans le Hall des Héros. Il semblait avoir le même âge que lui et pourtant, il avait été évident que c'était lui qui présidait toute cette assemblée de héros qui s'apprêtaient à le former. Il s'était senti en confiance avec lui, tout autant qu'avec le Link qui pouvait se transformer en loup. Link sourit légèrement en pensant combien Ygaël aimerait certainement entendre parler d'eux. Il aurait tellement aimé que son frère soit là pour découvrir tout ceci avec lui !

- Ce n'est pourtant pas sa préférée, répondit Neyria qui pensait exactement la même chose.
- Je crois qu'il a voulu me faire un cours de rattrapage express des légendes d'Hyrule. Il savait déjà qui j'étais...
Et pourtant, Ygaël ne lui avait rien dit, ni sur leur lien fraternel, ni sur son destin d'Elu. Link ne lui en voulait pas, mais il espérait bien qu'ils auraient l'occasion d'en parler très prochainement.
- Ygaël a toujours préféré celle du Héros du Crépuscule. Moi, je ne me lasse jamais de celle du premier Héros. Enfin... quand elle me la racontait, ma grand-mère insistait toujours très particulièrement sur le voyage de Dame Zelda et de sa protectrice, la première Impa, fit leur soeur en souriant. Je crois qu'elle voulait me faire passer un message.
Neyria glissa ses mains dans le plumage épais de son célestrier.
- Dans l'histoire, elle racontait que le célestrier de Zelda était de cette couleur, et que le premier Héros, lui, en avait un rouge vermeil. Si je me souviens bien, il n'en existait qu'un seul. Je crois que voilà encore une preuve que tu es son héritier.

Link observa la grosse tête de sa monture. A vrai dire, il se sentait bien sur cet oiseau et il avait presque une impression familière en sa compagnie. Il faudrait qu'il en parle au premier Link la prochaine fois qu'ils se verraient.

- Neyria, il faut que je te parle de quelque chose !

Les deux oiseaux continuant à voler côte à côte, Link put parler à sa soeur de ce qu'il avait vu lorsque Shiki avait pris possession de son corps. Il ne lui cacha rien, ni ce qu'il avait découvert dans le cristal d'ambre entremêlé dans les racines de l'arbre sacré du château, ni sa rencontre avec les Héros. Alors qu'il terminait son récit, il eut la vague impression d'apercevoir de la tristesse dans le regard de sa soeur.

- Au moins, on pourra dire que c'est utile que ce Shiki de malheur occupe ta place quelques heures ! répliqua-t-elle finalement en retrouvant son expression habituelle.
- Tu ne l'aimes vraiment pas...
- Il est imbuvable ! Et il se permet de dire et de faire des choses...
Elle écarta la discussion d'un geste de la main.
- Il t'a dit qui il était exactement ? Ce qu'il veut ?
- Il veut retrouver son corps. L'ennui, c'est qu'il ignore ce que Nahdrim en a fait et tant qu'il l'a, il peut garder ouvert le passage avec le Royaume du Crépuscule.
- Il est vraiment prince, alors ?
- En tous cas, il a le même genre d'assurance que Ganondorf et Gustav.
- Et le même égo surdimensionné.
- Moi aussi, je t'adore, Neyria, entendit Link dans son esprit.
- Mais tu ne peux pas nous laisser tranquille, dis ? répondit le jeune homme aussitôt.

Il n'eut qu'un léger rire en réponse. Shiki se moquait de lui, mais il ne voyait pas comment l'empêcher de venir le parasiter. Il repensa alors à ce qu'avait dit l'Arbre Mojo avant de les envoyer dans le ciel et cela l'inquiéta : et si Shiki disparaissait une fois qu'il aurait retrouvé l'Epée de Légende ?

* * *

Les heures avaient passé et le ciel commençait à se teinter d'orange, de rose et de violet. Les célestriers avaient continué leur route vers la plus grande île des environs pour finir par la survoler. Une forêt épaisse la recouvrait entièrement. Au centre exact, se trouvait un arbre immense, presque aussi grand que l'Arbre Mojo, au feuillage d'un joli vert clair. Une partie de ses gigantesques racines trempait dans l'eau claire d'un petit lac. L'oiseau vermeil amorça sa descente, aussitôt suivi de son compagnon. Il ne leur fallut pas longtemps pour atterrir tranquillement au bout d'une des plus hautes branches du grand arbre, faisant déguerpir petits animaux et insectes.

Link et Neyria se laissèrent glisser au sol. Après ces longues heures de vol, il leur fallut un petit temps d'adaptation et ils en profitèrent pour observer les alentours. Les seuls bruits qu'on percevait étaient ceux de la nature et tous deux sentirent qu'ici, il régnait une paix et un calme absolu. Cette île était sous la protection de la Lumière. Le célestrier vermeil donna un coup de tête à Link pour que celui-ci cesse sa contemplation des lieux. Le jeune homme ne put s'empêcher de rire légèrement et caressa la tête et le large bec de l'oiseau.

- Merci de nous avoir emmenés jusqu'ici, lui dit-il avec un sourire sincère.

Le célestrier poussa un petit cri de sympathie et poussa Link dans le dos pour le faire avancer. Cette fois, l'Hylien ne se fit pas prier et avança dans la direction indiquée, suivant la branche immense jusqu'au tronc. Chose curieuse, l'écorce de ce dernier avait formé une sorte de chemin menant au sommet. Petits oiseaux et écureuils sortirent de leurs cachettes pour les regarder passer avec curiosité. A les voir s'avancer aussi près d'eux, Neyria en déduisit qu'ils n'avaient jamais vu d'Hyliens de leur vie.

- Neyria, lève la tête, lui indiqua Link en attrapant sa manche.

La jeune fille obtempéra pour découvrir que dans les branches les surplombant, de nombreux célestriers aux plumages colorés les observaient. Ceux qui les accompagnaient poussèrent leur cri et les autres les saluèrent en retour dans une joyeuse cacophonie. Ils reprirent leur route, sans se lasser du spectacle de ces oiseaux gigantesques de toutes les couleurs, tantôt installés dans leurs nids, tantôt sautillant sur les grandes branches de l'arbre.

- Doux raisin ! Qu'est-ce que c'est que ce raffut ! On ne peut plus réfléchir en paix ?

Link et Neyria eurent du mal à trouver d'où provenait la petite voix éraillée qui venait de s'exprimer. La créature était minuscule, perdue dans le feuillage du grand arbre. Elle était de forme vaguement triangulaire. Sa fourrure crème et brune la désignait comme un animal, mais la tige ornée d'une feuille qui trônait sur sa tête lui donnait aussi l'air d'un végétal. Elle semblait être dotée d'une énorme queue touffue. De tous petits yeux cerclés de noir brillaient en haut de sa tête et elle avait un nez très effilé qui rappelait à Link les trompes des papillons.

- Heu... bonjour, tenta Neyria.
- Kwiiii !

La créature se jeta à plat ventre contre le sol. Sa queue se déploya pour laisser place à une plante. La jeune fille échangea un regard avec son frère, aussi surpris qu'elle, puis s'accroupit près de la créature. Elle toucha la plante du doigt : elle était vraie ! Cette bestiole était vraiment un mystère !

- Bonjour, répéta-t-elle doucement en se mettant à quatre pattes pour mettre son visage à hauteur de la créature qui ne bougeait plus un seul muscle.
- C'est quoi ce truc débile ? soupira Shiki. Remarque, on a une belle vue d'ici, non ?

Link mit une poignée de secondes à comprendre que son "colocataire" ne parlait pas de la forêt qu'on apercevait au travers des frondaisons, mais de la position de Neyria. Il se surprit à rougir alors que ses yeux glissaient sur l'anatomie de la jeune fille et il détourna le regard, la colère grondant contre Shiki. Le problème était que la nuit approchait et que bientôt, ce serait le Twili qui aurait les commandes.

- Je ne te veux pas de mal, continua gentiment la jeune fille à l'adresse de la créature.
Le célestrier violet approcha et pencha la tête vers la bestiole à terre. Il poussa un cri qui fit sursauter la créature et la remit sur ses pieds. Sa queue avait retrouvé son aspect normal, la plante ayant disparu à l'intérieur.
- Tu es complètement fenouil ! protesta-t-elle.
La bestiole se rendit alors compte de la proximité de Neyria. Elle tremblait de tous ses membres et il était évident qu'elle hésitait à reprendre sa position de camouflage.
- Oh nion ! Ne me mange pas !
Neyria s'assit, les jambes en tailleur, et lui sourit.
- Il n'est pas question de te manger. Les célestriers nous ont amenés ici. Je m'appelle Neyria et toi ?
La créature hésita encore. Son regard alla de Neyria à Link, puis aux célestriers. Le vermeil lui fit un signe de la tête.
- Carvi, finit-elle par dire. Tu es une drôle de Tikwi. Tu as eu des soucis de croissance ?
- Je ne suis pas une Tikwi. Link et moi, nous sommes des Hyliens. L'Arbre Mojo nous a envoyés ici.
Le Tikwi écarquilla ses petits yeux.
- Des Hyliens ! Nom d'une échalote !
Carvi regarda cette fois Neyria et Link avec plus d'attention. Il ne paraissait plus avoir peur. Il se tourna finalement vers le célestrier vermeil.
- Tu dois les emmener voir le Maître !
D'un signe de son aile, l'oiseau désigna le ciel qui s'obscurcissait de plus en plus.
- Ail ! Il est déjà si tard ? Et bien, vous êtes coincés ici pour la nuit.
- Tu as parlé du Maître, qui est-il ? C'est lui qui a l'épée de Légende ? demanda Link avec empressement.
Carvi haussa ses épaules. Enfin, ce qui ressemblait à des épaules...
- Aucun Tikwi ne l'a vu depuis de nombreuses plantations. Il vit à Célesbourg.
- Célesbourg existe vraiment ? fit Neyria.
- C'est encore loin d'ici, petits pins, mais les célestriers pourront repartir dès l'aube. Ils ne volent pas la nuit. Vous pouvez rester dans le Grand Arbre si vous voulez.
- La nuit... zut... c'est vrai, réalisa la jeune fille.
- Ce n'est pas comme si on avait le choix.

Link parlait autant de Shiki que de la halte forcée. Cela aurait été trop simple s'il avait trouvé l'Epée de Légende à peine arrivé. Sa seule consolation était qu'il allait profiter de la nuit pour retourner au Hall des Héros et s'entraîner. Il espérait que tout irait bien entre sa soeur et Shiki.

A suivre...

Ce texte a été proposé au "Palais de Zelda" par son auteur, "Nesumi". Les droits d'auteur (copyright) lui appartiennent.

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Mis à jour le 20.04.24