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Héros d'un autre temps

Ecrit par Kerorian
Chapitres 1 à 5   •   Chapitres 6 à 10   •   Chapitres 11 à 12
Chapitre 6 : L'Autre   up

Au plus profond des Bois Perdus, une lueur verte apparut, illuminant la large dalle de pierre devant l'antique temple de la forêt. Puis, de ses rayons éblouissant sortit un jeune homme vêtu de bleu.
Encore plus épuisé par son sort, Link s'affala contre la roche. Il dut faire un effort considérable pour seulement se remettre debout, titubant jusqu'aux hauts flancs rocheux qui entouraient ce sanctuaire oublié pour s'appuyer dessus. Le héros respirait avec difficulté, il avait froid et sentait à peine ses membres qui peinaient à le porter. En dépit de son agilité et de sa protection divine, Link avait écopé de blessures critiques, qui seraient déjà venues à bout de n'importe qui d'autre, et pourtant ce n'était pas ce qui lui faisait le plus mal. Avec une lenteur effroyable, il descendit le long escalier du sanctuaire en ruminant ses pensées. Lui qui avait triomphé d'innombrables monstres, pièges et défis, affrontant même sur un pied d'égalité le seigneur du mal, avait été vaincu par un épéiste surgi de nulle part. Et pire encore, Zelda avait été enlevée sous son nez, encore une fois. Ça aussi ça allait devenir une habitude.

Il échappa un cri quand ses jambes flanchèrent subitement et le firent dégringoler les dernières marches. Exténué, Link se força pourtant à se relever et traversa le long couloir qui menait jusqu'au dédale. Fort heureusement, dénué de monstres en l'absence de Ganondorf. Sa vision obscurcie et l'esprit confus, il se laissa tomber à moitié contre l'échelle à la sortie du couloir, et l'escalada avec peine, le moindre effort lui coûtant cher. Une fois arrivé en haut, il se laissa glisser, ou plutôt tomber jusqu'au creux plus bas, le choc lui envoyant une onde de douleur atroce à travers tout le corps, mais il était presque arrivé. En serrant les dents, le héros rampa sur les derniers mètres qui le séparaient de l'entrée cachée d'une fontaine des fées, et il accueillit la fraîcheur et la sérénité qui régnaient dans l'antre avec soulagement en se traînant péniblement jusqu'à la source où voletaient les petits êtres mystiques. Il tendit un bras faible vers la plus proche, qui vint tournoyer autour de lui en libérant une fine poudre rose qui le soulagea immédiatement. Une seconde fée se rapprocha, puis une autre, et petit à petit, sous l'effet de leur précieuse magie et de l'eau pure dans laquelle il baignait, Link se reconstitua rapidement une pleine santé. Débordant à nouveau de vitalité, il se remit sur pieds et salua bien bas ces esprits bienveillants.

- Merci, mes amies les fées. Une fois de plus, vous me tirez d'un bien mauvais pas.

Puis aussitôt il ressortit de la caverne secrète, presque au pas de course. Retournant sur les hauteurs, il bondit par-dessus les allées du labyrinthe jusqu'à sauter à terre lorsqu'il en atteignit l'entrée du sanctuaire, à la limite des Bois Perdus dans lesquels il s'élança sans le moindre doute. La forêt était sûrement maudite. Infestée de monstres et de chemins qui ne menaient nulle part, n'importe qui risquait sa vie simplement en y pénétrant, et même une armée entière n'aurait pu en venir à bout. Pourtant, Link s'y déplaçait à toute allure comme s'il y avait toujours vécu. Il savait reconnaître les chemins à prendre et ceux à éviter, parvenant même à s'orienter dans ce dédale sans repères. La forêt de la mort était pour lui l'ultime refuge, il y serait toujours en sécurité.

Il traversa plusieurs clairières, passa dans un vieux tronc mort aussi large que la grande rue du Bourg d'Hyrule et arriva finalement auprès d'une fosse aquatique, peu large mais profonde, d'où dépassait une ancienne construction en granite. Ni une ni deux, Link piqua une tête dans l'eau, plongeant jusqu'au fond et se faufila dans l'antique passage qui reliait les Bois Perdus au domaine Zora.
D'habitude, il se pressait pour traverser le long et sombre couloir sous-marin, mais vêtu de sa tunique bleue le trajet n'était plus un problème. Même endommagée, elle conservait ses propriétés fabuleuses. Cela dit, il nagea tout de même avec vigueur jusqu'à atteindre la fosse jumelle à l'autre bout du tunnel.
Là, il remonta lentement à la surface. Sa tête émergea sans un bruit de l'onde et il put s'assurer d'avoir le champ libre pour s'extraire de sa cachette aquatique. Le héros fit les premiers mètres à découvert au ras du sol, et se fit tout petit en apercevant la sentinelle Zora, postée devant la cascade qui bouchait l'entrée du domaine. Rapidement, Link chercha un moyen de se jeter à l'eau sans que le garde ne le remarque... mais il doutait pouvoir tromper l'homme-poisson sur son propre terrain et finit par tenter l'audace en se levant complètement et faisant signe au vigile. Celui-ci ne cacha pas sa surprise de le voir ici, mais lui rendit son salut avant de s'approcher. C'était plutôt encourageant.

- Salut à toi, ami Zora fit le héros quand il fut tout proche.
- Salut à toi, Link. Je ne m'attendais pas à te voir arriver ici, surtout par ce passage.
Il lâcha un soupir de soulagement. Après des mois entiers de nervosité et de tension, trouver un visage amical était inespéré.
- Il y a eu des complications.
- Je vois ça oui.
En suivant le regard du Zora, Link vit à quel point il avait l'air dépenaillé. Sa tunique était déchirée et calculée de sang. Il était couvert de poussière et ne portait ni son épée ni son sac.
- Vous allez bientôt en entendre parler, mais Zelda a été enlevée.
- Enlevée !? Par qui ?
- Je l'ignore. Trois hommes vêtus de manteaux noirs sont arrivés par un portail magique, deux d'entre eux portaient des masques de cuivre et le troisième brandissait une épée à deux mains. Je n'ai pas réussi à les arrêter, mais j'ai pu empêcher le bretteur de s'enfuir, il doit rôder quelque part et je vais le retrouver pour l'interroger.
- Seulement trois hommes ? Et malgré ta présence ils ont suffi à enlever la princesse ? Quelle catastrophe... l'armée Hylienne va encore être sur les dents.
- Je ne te le fais pas dire, à tous les coups ils vont croire que c'est moi le responsable. Mais quoiqu'il en soit, ils ont dû agir pour le compte de quelqu'un d'autre, ce n'étaient pas des sorciers. Par conséquent, si j'arrive à retrouver l'encapuchonné et à lui faire cracher le morceau, je pourrais peut-être trouver un moyen de rejoindre Zelda et de la ramener.
- Cela semble être une quête aussi périlleuse qu'improbable... mais je crains que les Zoras ne puissent guère t'aider, nous ne sommes pas versés dans l'art des sortilèges. Mais nous pouvons peut-être t'assister dans ta chasse à l'homme.
- C'est une mauvaise idée, il est beaucoup trop dangereux pour que vous puissiez l'arrêter. Après, si vous l'apercevez, je ne dirais pas non à ce que vous me signaliez par où il est passé.

Le Zora hocha la tête, préoccupé par la tournure des événements, mais Link ne s'inquiétait pas trop pour le peuple de l'eau. Ils s'étaient toujours montrés prudents, et il doutait que son adversaire, qui allait maintenant chercher à être discret, aille s'en prendre à eux.
- A quoi ressemble-t-il ?
- Je n'ai pas pu voir son visage, mais il a mon gabarit. Je crois qu'il a les cheveux gris.
- Un nabot aux cheveux gris, avec un manteau noir et une épée à deux mains donc ?
- Je t'en ficherai du nabot, tiens.
La sentinelle lui tapa sur l'épaule avec un sourire. Dans ces heures qui s'assombrissaient, il risquait de ne pas leur rester grand-chose de plus que l'humour pour garder le moral.
- Je dois retourner là-bas, je vais passer par la rivière.
- Prends garde à toi, la princesse Ruto ne te pardonnerait pas s'il t'arrivait quelque chose.
- Tu as raison l'ami, déjà qu'elle ne me pardonnait pas d'arriver en retard...
Saluant une dernière fois le Zora, enchanté de savoir qu'il pouvait compter sur ses anciens amis, Link s'approcha du bord du chemin en hauteur devant la cascade et s'apprêta à plonger.
- Oh, et si les soldats nous demandent... on ne t'a pas vu.
- Merci. Méfiez-vous d'eux quand même, ils seraient prêts à désigner un coupable pour un oui ou un non.
- J'en informerai le roi. Que les Déesses te gardent, Link.

Le héros lui retourna sa bénédiction et se jeta à l'eau. Le courant était puissant ici, et l'entraîna d'autant plus rapidement en direction de l'aval qu'il nageait lui-même dans ce sens. Une fois passé la seconde cascade, qui marquait la limite du domaine Zora et à partir de laquelle le torrent se transformait en rivière, Link se laissa à nouveau couler au fond de l'eau par prudence. Avant d'entamer ses recherches au hasard, il devait retrouver une arme à la hauteur. Inutile de songer à prendre la masse des Titans du temple du feu, si elle serait largement assez puissante pour contrer l'épée de l'encapuchonné, elle serait toutefois trop lente pour le toucher. D'autant qu'il n'avait pas le temps de traverser le volcan entier pour s'en emparer.

Une fois de plus, Link se laissa couler dans la rivière et traversa la plaine d'Hyrule en profitant du fait que les soldats cherchaient une boule de lumière qui s'était envolée au loin, et non pas un faux poisson à deux pas des remparts, sa tunique bleue l'aidant à se dissimuler au fond de l'eau. Il avait besoin de rejoindre les Gerudos, tant pour les mettre au courant de la crise que pour récupérer une épée à peu près fiable, quitte à compenser la fragilité de la lame à l'aide de sa magie.

Non loin du Ranch Lon Lon, une patrouille de cavaliers passa au galop. Sur un ordre de l'officier, les soldats se scindèrent en deux escouades pour couvrir plus de surface, l'une partant en direction des Bois Perdus et la seconde se dirigeant vers le lac Hylia. Sitôt qu'ils se fussent éloignés, une ombre serpenta le long d'un grand pin près du ranch, glissant le long de l'écorce depuis les branches sans un son, sans attirer le regard. Emmitouflé dans son linceul de ténèbres, le bras replié contre le corps pour minimiser les efforts de son épaule blessée, l'assassin surgit du néant et se glissa au ras du sol, gagnant le ranch en rampant d'ombre en ombre, faisant d'une cachette le moindre creux dans la roche ou le sol.
D'un coup d'oeil prudent, le bretteur noir s'assura que la voie était libre avant de s'avancer à découvert. L'endroit ne manquerait pas de lui offrir un abri le temps qu'il se soigne, songea l'assassin, encore qu'il lui restait à éviter les occupants.

Quand la porte de la maison émit un craquement sec en s'ouvrant, le fugitif bondit littéralement jusqu'à l'étable et en poussa le portail en ayant juste le temps d'apercevoir le bout d'une dentelle claire, disparaissant dans l'abri aux vaches un battement de coeur avant que Malon ne sorte de chez elle en chantonnant comme à son habitude. Faisant fi de l'odeur musquée des bovins qui levèrent un regard plein d'indifférence à son intrusion, l'assassin mit tous ses sens aux aguets. L'étable offrait plusieurs cachettes potentielles, mais aucune issue, tandis que les vaches commençaient à mugir alors que l'heure de manger tardait à arriver à leur goût.

A travers la porte branlante, le rôdeur pouvait entendre la fermière se rapprocher par le ton de sa chanson. En contenant une grimace de douleur à cause de son épaule, il s'élança pour prendre appui sur le mur et se propulsa jusqu'à la charpente pour s'y dissimuler. Quand Malon poussa la porte, quelques secondes à peine plus tard, elle ignorait tout de la menace qui guettait le moindre de ses gestes. Elle accomplit sa tache routinière, donnant eau et foin à ses vaches sans interrompre un instant sa douce mélodie. Mais lorsque la fermière se retourna enfin pour quitter l'étable, elle découvrit une ombre lui barrant le passage. Quand elle croisa le regard rouge de la silhouette sombre, comme deux rubis dans la pénombre de son capuchon, la jeune femme recula d'un pas tandis que son chant s'étranglait quand sa gorge se noua.

- Qui êtes-vous ?
- Navré jeune fermière, répondit à voix basse l'assassin, mais je crains de devoir vous intimer de garder le silence.
- Je... je vais vous demander de sortir de chez moi ! fit-elle en reculant.
- C'est bien mon intention, mais j'ai quelque chose à faire avant.

Quand il s'avança d'un pas leste en rejetant un pan de son manteau au-dessus de son épaule en dévoilant la lourde épée dans son dos, Malon aurait voulu crier mais elle ne réussit pas à articuler un son. De toute façon, qui aurait pu venir à son secours ?

Voilà une heure que la nuit était tombée, mais la plaine d'Hyrule grouillait encore d'une intense activité. De nombreuses patrouilles, à pied ou montées, persistaient à fouiller ses coins et ses sous-bois à la lueur des torches. Mais ce faisant, ils devenaient visibles, prévisibles même. Enveloppé d'une cape en feutrine noire, ses cheveux dorés et son visage clair couverts de poussière et de terre, Link échappait une nouvelle fois aux gardes. Il rampait entre les buissons, se suspendait aux rocs ou s'accrochait à de hautes branches pour échapper aux regards. Le héros déchu avait informé la tribu des voleuses du drame qui s'était produit, leur recommandant de se méfier de l'étranger aux yeux rouges et s'était procuré une nouvelle lame, une simple épée d'acier prise en butin sur un soldat hylien lors d'un raid. L'origine de cette arme autant que sa modeste conception déplaisait au fugitif, mais il ne pouvait guère trouver mieux. Au moins était-il armé, bien qu'il ait perdu nombre de ses affaires en fuyant précipitamment le château.

Comme il lui tardait de retrouver Malon ! Et dire que la veille même, ils s'enlaçaient tous deux dans la nuit, inconscients du drame qui surgirait le lendemain. Link avait besoin de retrouver un être vraiment cher, d'être consolé par sa tendre amie. Reprenant le chemin qu'il connaissait désormais, il se glissa dans le ranch par les falaises et longea les murs de la maisonnée en guettant le moindre bruit, commençant à devenir paranoïaque en craignant de voir surgir à tout instant un soldat. Prudemment, il poussa la porte de leur chaumière, juste assez pour glisser un oeil à l'intérieur. Le vieux Talon avait l'habitude de dormir avec ses poules, dans le foin. Mais visiblement, ne voyant pas de silhouette massive dans la pénombre et n'entendant aucun ronflement, le fermier n'était toujours pas rentré des "festivités" du château. Le héros supposa que les gardes avaient interdit toute circulation. Ça lui facilitait la tâche.

Link glissa d'abord la tête par l'entrebâillement de la porte pour s'assurer que la pièce soit vide, en dehors des fameuses cocottes du ranch dormant paisiblement sur la paille, et grimpa rapidement l'escalier jusqu'à la chambre de sa belle, qu'il trouva vide. Alors qu'il faisait nuit noire, cette absence n'était pas normale. Mais avant de s'affoler, l'ex-Kokiri essaya de trouver une raison logique. Par exemple, les soldats d'Hyrule auraient pu venir interroger la pauvre fermière, peut-être pendant des heures, lui faisant prendre un retard abominable sur sa routine tranquille et l'obligeant ainsi à continuer même après que le soleil se soit couché.

Ne pouvant s'empêcher de s'inquiéter malgré tout, ayant trop peur de perdre la belle rouquine alors qu'il venait tout juste de lui avouer ses sentiments, l'ancien héros redescendit l'escalier pour aller vérifier l'étable tandis que sa main recommençait à le démanger. Tandis qu'il s'apprêtait à pousser la porte vacillante, il lui sembla entendre une voix. Malon avait l'habitude de s'adresser à ses animaux, les vaches ayant visiblement des conversations plus intéressantes que celles du vieux Talon, songea Link avec un bref amusement, et si les gardes l'avaient bel et bien retardée à ce point, la jeune femme devait être en train de leur raconter tous ses malheurs.

Mais quand il entra dans l'étable, son sang se glaça dans ses veines lorsqu'il tomba nez à nez avec l'assassin encapuchonné qui tenait sa longue épée à la main. Comprenant ce qui s'était passé, comprenant qu'il avait encore échoué à protéger ceux et celles qui lui étaient chers, le héros poussa un cri de rage en dégainant et frappant d'un seul geste. Sa lame crissa contre celle de son ennemi, produisant quelques étincelles qui illuminèrent un bref instant les yeux du guerrier noir, les faisant luire comme des brasiers durant un battement de coeur. D'un geste puissant, l'étranger le repoussa et l'envoya heurter le mur. Link saisit son bouclier et s'apprêta à charger, prêt à lui faire payer toutes ses atrocités quand une voix le stoppa dans son élan.

- Link, non ! Arrête !
A deux pas à peine du bretteur en noir se tenait Malon, les deux mains jointes contre la poitrine sous la panique de leur affrontement soudain. Pris de court, Link regarda tour à tour la fermière et son rival qui tenait une posture défensive.
- Malon éloigne-toi vite de lui ! Il a...
- Il a enlevé la Princesse Zelda, je sais. Mais je t'en prie, écoute-moi...
- Eloigne-toi de lui ! Vite !
- Link !
- Laisse tomber, Malon, fit l'encapuchonné. Il ne voit pas plus loin que le bout de son épée.
Posant les mains sur ses hanches, la fermière retourna un regard sévère au bretteur en pinçant les lèvres.
- Il faut dire que tu n'es pas très engageant, Kazel.
- Il essaye de me tuer, répondit d'un ton calme l'intéressé.
- Vu ce que tu as fait, ça peut se comprendre non ?
- Absolument, mais ce n'est pas pour autant que je vais le laisser faire.
- Assez ! s'écria le Héros du Temps.

Ses armes à la main, Link ne cessait de dévisager l'un après l'autre Malon et l'étranger en noir. Il craignait que ce dernier ne soit venu égorger la fermière, et voilà qu'il les trouvait en train de discuter comme si de rien était. Pire, la rousse le défendait même, alors qu'elle savait de quel crime il s'était rendu coupable. Il ne savait plus quoi penser. Link finit par pointer son épée sur son adversaire, qui conservait sa position défensive, en hésitant à le charger. Dans l'espace confiné de l'étable, l'épée plus courte du héros serait bien plus maniable et lui conférerait un avantage indéniable... mais il craignait que Malon ne se retrouve prise dans leur combat. Si tant est qu'elle méritait encore qu'il se soucie d'elle.

- Qu'est-ce qu'il fait ici ? Pourquoi tu le défends !?
- S'il te plaît Link, range ton épée, on va t'expliquer.
- Il n'y a rien à expliquer, il a massacré les gardes du château et a tenté de me tuer !
- Tu lui as sauté dessus, comme tu viens de le faire. Il fallait bien qu'il se défende.
- Il était en train d'enlever la princesse Zelda !
- Et toi tu lui as tiré une flèche à la tête ! s'énerva brusquement la fermière en s'empourprant. Tu as failli la tuer parce que tu t'ennuyais ! Essaye au moins d'écouter pourquoi il a fait ça avant de te mettre à hurler !

Un peu hébété face à la fureur de la jeune femme, qu'il n'avait encore jamais vue en colère, Link se tut quelques instants. Son regard n'arrêtait pas de glisser vers le dénommé Kazel, qui s'était reculé d'un pas et avait lentement abaissé sa lame. Ses yeux rouges demeuraient fixés sur le jeune Hylien. Malon se prit le visage entre les mains, se passant les paumes sur les yeux puis les joues et le héros réalisa qu'elle avait l'air épuisée.

- Il vaut mieux qu'on aille s'asseoir autour d'un thé, proposa-t-elle, c'est une longue histoire.
- Je pense qu'il vaudrait mieux que je vous laisse, intervint l'encapuchonné, j'ai suffisamment abusé de ta générosité, Malon.
- Et qu'est-ce qui te fait croire que je vais te laisser partir ? fit Link d'un ton hostile.
- Parce que tu te crois capable de m'arrêter ?
- Haaaalte ! coupa Malon en se glissant entre eux, les mains levées pour les tenir à l'écart l'un de l'autre. Pas de concours de virilité mal placée, j'ai horreur de ça. Vous rangez les épées et vous fichez le camp de mon étable, allez zou !

Link ne l'entendait pas de cette oreille et gardait un oeil particulièrement méfiant sur son ennemi mais la fermière le jeta presque littéralement dehors avant de se camper fermement devant l'entrée en croisant les bras. Sentant alors qu'il ne gagnerait pas contre elle, l'ancien héros se résigna à ranger son épée, se tenant toutefois prêt à dégainer à la moindre occasion, et s'éloigna de la porte. Peu après, l'encapuchonné sortit à son tour et suivit Malon jusqu'à la maison, où il assit à la table, dos au mur. Link entra en dernier mais refusa de s'asseoir, ne parvenant pas à accepter que cette fermière qu'il avait tant aimée défende ce monstre.

- Arrêtez de vous regarder comme chien et chat, soupira Malon en s'écroulant à moitié sur une chaise après avoir mis de l'eau à chauffer, je vous interdis de vous taper dessus chez moi.
- Ce n'est pas dans mes intentions, assura froidement l'encapuchonné.
- Alors ? Qu'est-ce que ce Tadjïnn t'a raconté pour que tu le défendes ? fit Link avec hargne, en usant d'une insulte Gerudo.
- En vérité, beaucoup de choses... si bien que je ne sais pas par où commencer.
- Si tu me permets Malon, je devrais peut-être m'en charger.

Avec un hochement de tête fatigué, elle approuva l'idée du rôdeur et alla glisser un sachet d'herbes parfumées dans la casserole d'eau bouillante.

- Mais tout d'abord, Link, sache que j'aurais préféré que ça ne se passe pas comme ça.
- T'avais qu'à ne pas venir alors !
- Il aurait pu te tuer, fit Malon en revenant s'asseoir. Mais il ne l'a pas fait.
- Je ne lui en ai pas laissé l'occasion.
- Je te l'avais dit, Malon. Il est borné et refusera d'écouter quoi que ce soit.
- Tu as surgi d'un portail dimensionnel et as enlevé Zelda ! Tu es un ennemi, qu'est-ce que j'ai à entendre de plus !?
- S'il te plaît, Link. Assieds-toi et écoute-le.

Le Héros rechignait à l'idée de s'installer à la même table que ce monstre qui allait essayer de les baratiner pour s'en sortir. Le bon coeur de Malon allait se retourner contre elle cette fois, s'il ne faisait pas attention. Quand la fermière fit mine de se lever pour aller chercher le thé, Kazel la retint et le fit à sa place. Link sentit ses poils se hérisser lorsque le bretteur noir toucha le bras de Malon pour l'arrêter, et préféra s'adosser au mur en croisant les bras.

- On avait besoin de la princesse Zelda, résuma alors Kazel.
- Qui ça "on" ?
- Ma reine, son peuple, son royaume. "On".
- Besoin pour quoi ?
- Pour avoir une chance d'approcher un jour de la quiétude dans laquelle, vous, Hyliens, vivez, siffla alors avec une soudaine hostilité l'encapuchonné.
- Leur royaume est envahi de monstres, intervint Malon. De ce qu'il m'a dit, ça ressemble un peu aux temples que tu me décrivais mais à grande échelle.
- Cela ne fait que quelques années à peine qu'on a réussi à sécuriser le château, mais ça attire de plus en plus de gens... et du même coup, de plus en plus de monstres, et de plus en plus forts.
- Et alors ? Ce n'était pas notre problème, vous n'aviez qu'à vous débrouiller et nous foutre la paix.
- Link ! s'exclama d'un air choqué la fermière. Comment peux-tu dire ça ? Ces gens étaient désespérés, ils ont besoin d'aide !

Le héros soupira. Pour avoir traversé une époque où le mal était roi, il imaginait sans peine à quoi pouvait ressembler le "royaume" de Kazel, si celui-ci disait la vérité... mais l'élu des Déesses devinait que son rival ne dévoilait que ce qui l'arrangeait.

- S'il avait voulu de l'aide, il serait venu nous la demander. Au lieu de quoi il est entré de force dans le château pour enlever Zelda. C'était quoi votre plan, la sacrifier à un sorcier maléfique pour qu'en échange il vous protège des monstres ?
- Je ne sais pas, répondit d'un ton imperturbable Kazel sans le quitter des yeux. Mes ordres étaient de la capturer, alors je l'ai capturée.
- Et sans un accroc dans la voix. T'as du cran mon saligaud.
- Je devrais avoir honte d'essayer de sauver ma patrie ?
- Ça suffit, les garçons.

Kazel se tut et profita de ce bref répit pour goûter au thé. Malon se réchauffait les mains sur sa tasse fumante et Link fixait celle qui l'attendait, en se demandant pendant un instant si l'étranger n'avait pas profité de ramener le thé pour l'empoisonner. Le doute faillit le faire se jeter sur la fermière pour lui arracher la tasse des mains, mais quelles que soient ses raisons, l'encapuchonné ne semblait vouloir aucun mal à la rouquine.

- Le problème, reprit Malon, c'est que maintenant il est coincé ici.
- Bien fait !
- Et si au lieu de faire le malin, tu m'aidais à trouver un moyen de rentrer chez moi, l'Hylien ?
- Et pourquoi je ne te casserais pas la tête plutôt ?
- Déjà parce que tu en es incapable, imbécile, et ensuite parce que si tu sauves les miches de ta jolie blonde il va bien falloir que tu fasses le voyage.
Malon roula des yeux, rendue irritable par la fatigue. Le conflit permanent entre les deux hommes n'arrangeait rien.
- D'abord vous allez vous calmer ! Et ensuite... il a raison Link. Qui sait ce qui arrivera à la Princesse Zelda si on l'abandonne à son sort.
- Je n'avais pas prévu de l'abandonner, mais pourquoi je le ramènerais alors que c'est lui qui l'a enlevée ?
- Parce que si tu m'aides à chasser les monstres qui envahissent le royaume, on pourra se passer de la princesse. Tu pourras repartir avec et ne plus jamais entendre parler de moi, tandis que si tu t'amuses à y aller seul tu seras traité en ennemi et tu te feras tuer, abandonnant ainsi à la fois Zelda ET Malon.
Piqué au vif, Link gonfla la poitrine. Il n'aimait pas la façon dont cet assassin l'impliquait dans ses plans, et avec quels arguments.
- Si ton peuple est aussi fort que les deux larbins qui t'accompagnaient, je pense pouvoir vous délivrer de la peur des monstres en vous supprimant tous moi-même.
- Link ! s'écria Malon. C'est horrible ! Ces pauvres gens vivent dans la peur et la misère, ils en sont réduits à tenter des actes désespérés. Si c'était Hyrule, tu n'hésiterais pas un instant à les sauver !
- Laisse tomber, Malon. Le porteur de la Triforce du Courage est comme les autres fidèles à la famille royale. Lâche et cruel.

Le ton acide du rôdeur et son insulte franche firent bondir le héros qui porta la main à son épée. La fermière se leva dans un sursaut, manquant de renverser sa tasse, en craignant qu'il n'attaque finalement l'encapuchonné. Mais Link resta où il était, fixant le regard de rubis de son Némésis. Il devina que Malon lui avait parlé de lui également, et ça l'enrageait qu'elle ait fait confiance à ce sale type au point de lui raconter ses secrets. Dans le même temps, le héros commença à construire des hypothèses. Lorsqu'il les avait surpris, sur le seuil du portail, Kazel s'était retourné comme s'il l'avait reconnu. Cela ne l'aurait pas surpris que celui qui avait demandé l'enlèvement de la Princesse Zelda lui ait aussi parlé de lui.

Quant à pourquoi enlever la Princesse, Link avait sa petite idée. La Triforce de la Sagesse, qu'elle portait encore, ainsi que sa grande puissance magique. Puisqu'il utilisait lui-même des sorts similaires, le héros pouvait se faire une idée du niveau requis pour ouvrir un portail entre les mondes, par conséquent Kazel avait forcément le soutien d'un sorcier extraordinairement puissant. Un sorcier qui convoitait certainement le fragment de la Triforce de Zelda... et ça ne lui inspirait rien de bon. Le dernier à avoir tenté l'expérience avait transformé Hyrule en monde de cauchemar. D'autant qu'il doutait que Malon ait trahit sa confiance, ou même seulement eu le temps de lui raconter pour le fragment du Courage, ce qui soutenait sa théorie que l'encapuchonné visait le pouvoir des déesses. Il aurait pu "l'épargner", même s'il lui en coûtait de l'admettre, pour préserver son fragment et venir le chercher plus tard.

- Bien tenté, "Kazel". Mais ton histoire pue le piège à plein nez.
- Si j'avais voulu te capturer, je l'aurais fait au lieu de te dire de rester à terre, idiot.
- Tu savais pour nos fragments de la Triforce. Qu'est-ce que vous allez faire à Zelda ?
- Je n'en sais rien. Je te l'ai déjà dit. On m'a chargé de l'attraper, je l'ai fait, c'est tout. La magie ce n'est pas mon truc.
- Et je devrais te croire ? J'ai plutôt l'impression que tu te payes ma tête.
- Et si au lieu de jouer les durs tu prenais une décision ? Parce que pendant que tu me casses les pieds, Zelda elle, est en danger.
- C'est toi qui l'as mise en danger, ne fais pas semblant de te soucier d'elle maintenant !
- Je ressentirais la même chose que toi si on avait enlevé ma reine, fit Kazel en se levant de sa chaise. Alors si on peut trouver une solution pour sauver son peuple ET ta princesse, j'en serais ravi ! Sauf que pour ça, il va falloir descendre de tes grands chevaux et te dépêcher de prendre une décision !
Fatiguée tant de l'heure avancée que du conflit imminent, Malon se leva à son tour pour s'interposer entre les deux hommes.
- Il est tard, et la journée a été dure pour tout le monde. Allons dormir, la nuit porte conseil...

Kazel sembla approuver, puisqu'il recula d'un pas en signe de bonne volonté en inclinant un peu la tête. Cependant, son regard de rubis, la seule chose qui brillait sous le couvert sombre de sa capuche, restait solidement fixé sur Link. Le héros ne résista pas toutefois lorsque la fermière commença à le tirer par la manche vers les escaliers. Il la suivit en montant les marches mais refusa de quitter du regard l'assassin qui continuait à le fixer, et ce jusqu'à ce qu'ils aient refermé la porte de la chambre. Link tourna le dos à la fermière, pour la laisser se changer en paix et essaya de mettre un peu d'ordre dans ses idées. Il retira lui-même sa chemise pour se mettre plus à l'aise, et ne rejoignit la belle rousse sur le matelas que lorsqu'elle l'appela. Cette fois il n'y eut pas d'ébats, l'heure n'étant pas aux réjouissances. Malon se blottit tout de même contre lui, heureuse de l'avoir vu revenir à peu près sain et sauf malgré les terribles événements de la journée, et épuisée elle se laissa rapidement gagner par le sommeil. Mais le héros déchu lui ne parvint pas à fermer l'oeil, trop préoccupé par ses pensées.

Lorsque l'aube se leva, Link se glissa hors du lit avec la même nervosité qui l'agitait la veille. Il avait à peine somnolé de la nuit, mais avait fait un choix. Il enfila prestement le peu d'équipement qui lui restait tandis que la fermière remettait sa robe des champs et descendit au salon. Mais celui-ci était vide. Au fond, les poules dormaient encore paisiblement dans le foin mais aucune trace de Kazel.

- Ah le sale type, il nous a faussé compagnie.
Il aurait dû le voir venir. Un assassin envoyé par l'ennemi n'allait pas gentiment attendre que le Héros prenne une décision quant à son sort. Maintenant il pouvait être n'importe où, prêt à lui mettre des bâtons dans les roues à tout instant quand il essayerait de retrouver Zelda.
- Quelle mauvaise foi.
Link s'arrêta, au milieu de l'escalier et chercha l'encapuchonné du regard. C'était bien sa voix, mais impossible de le trouver. Inconsciemment, sa main se porta vers son épée.
- Où tu es, Charlie ?
- Charlie ?
Un flou sombre bougea depuis la charpente, au-dessus du foin. En clignant plusieurs fois des yeux, Link réalisa qu'il s'agissait du manteau noir de Kazel et ce dernier était bel et bien là. Il venait tout juste de descendre du plafond, démontrant à la fois ses talents et sa dangerosité. Ses fines lèvres pâles étaient pincées en une moue partagée entre la méfiance et la perplexité.
- Tu peux la lâcher, dit-il en désignant l'épée du héros d'un geste du menton. Nous ne nous battrons pas ici.

A contrecoeur, le jeune blond délaissa son arme et finit de descendre l'escalier, peu avant que Malon ne les rejoigne après avoir enfilé sa robe, ses bottes et avoir noué ses cheveux. Elle salua assez volontiers l'assassin, qui lui retourna son bonjour sobrement. La fermière commença à faire chauffer de l'eau, ayant bien besoin d'un solide petit-déjeuner pour se remettre d'aplomb alors que les deux guerriers continuaient à se regarder en chien de faïence.

- Tu as l'air fatigué, lâcha Kazel.
- J'ai mal dormi, rétorqua sèchement le héros.
- Restez pas plantés debout comme ça, les garçons. Asseyez-vous et mangez quelque chose.

Malon leur servit un grand verre de lait frais - du bon lait Lon Lon, idéal pour bien démarrer la journée ! - et deux tranches de pain. Elle apporta peu après un pot de confiture et jeta un oeil aux oeufs durs qu'elle faisait cuire dans la casserole, mais ils n'étaient pas encore prêts. Bien qu'il gardait toujours un oeil sur l'encapuchonné, Link commença à se faire une tartine. Ce n'était vraiment pas de refus après tout, et Kazel en fit autant lorsqu'il eut terminé.

- Alors, demanda enfin l'assassin en brisant le silence. Tu as fait un choix ?
- ... J'accepte, lâcha Link en faisant la moue. Je ne peux pas te faire confiance, mais je vais sûrement avoir besoin de toi pour retrouver la princesse.
- Tout comme je vais avoir besoin de toi pour rentrer chez moi.
- Mais qu'on soit clairs, je t'ai à l'oeil. Si je te soupçonne de me préparer un coup en traître, je n'hésiterai pas à t'affronter.
- Le contraire m'aurait inquiété.
- Puisque c'est arrangé, dit Malon avec un faible entrain, cessez donc de grogner et mangez ! Une dure journée nous attend tous.

Sur ce point au moins, les deux guerriers étaient d'accord.

Chapitre 7 : Enfin chez soi   up

Après un copieux petit-déjeuner, les deux guerriers finirent de s'équiper et commencèrent à réfléchir à leur prochaine destination. Leurs talents ne leur seraient d'aucune aide face à la tâche qui les attendait, il leur fallait un soutien extérieur. Mais où trouver une telle main secourable lorsque le royaume tout entier convoitait leur tête ? Kazel ne pouvait vraiment participer à la réflexion. Etant étranger à Hyrule, il ne connaissait aucun sage ou magicien, ni qui que ce soit. Sauf moi songeait amèrement Link.

- Ce n'est même pas la peine de songer à consulter les mages du château. Nous n'aurions pas fini de poser notre question qu'ils nous auraient déjà jeté un sort de neutralisation.
- Et j'imagine qu'il y a peu de mages capables de nous renseigner sur le sujet en dehors de la cour ?
Link secoua la tête d'un air grave.
- Il y a déjà peu de mages en Hyrule, et je ne suis même pas sûr qu'un seul d'entre eux soit capable de telles prouesses.
- Cela demande une puissance si phénoménale que ça pour ouvrir un portail ?
- C'est à toi de me le dire, c'est toi qui avais un sorcier de ton côté.
L'assassin lui répondit d'une grimace.
- Cela dit, fit Link, je crois que je sais au moins qui pourrait nous donner une piste.
- Ah oui ? Et on a une chance de le rencontrer sans devoir affronter la moitié de l'armée ?
- Tout à fait. C'est un... vieil ami, et s'il ne peut pas nous répondre, il saura nous dire qui le pourra.

Kazel leva les mains, avec une impatience contrastant avec le calme qui apparaissait de sous sa capuche.
- Alors qu'est-ce qu'on attend ?
- Il va nous falloir traverser la plaine d'Hyrule, jusqu'aux Bois Perdus... et le jour vient de se lever. Si on sort, on va se faire griller.
- Moi je pourrais y aller sans me faire voir, fit le bretteur noir avec une pointe de moquerie.
- Mais ça te prendrait un temps fou, rétorqua Link en lui jetant un regard assassin. Et tu ne passeras jamais la forêt de la mort sans moi.
L'encapuchonné croisa les bras. Il semblait offensé, mais pressentait que le surnom des Bois Perdus n'était pas qu'un simple titre.
- Donc il nous faut y aller tous les deux, reprit Kazel. En même temps.
- Oui, et qui plus est nous ne pouvons pas nous permettre de traîner. Je doute que tes petits copains épargnent Zelda très longtemps...
- Probable, en effet.

Le héros déchu se frotta le menton alors que Kazel se retournait. Plus loin, les chevaux du ranch gambadaient avec insouciance dans leur enclos.
- Si tu préfères la vitesse à la discrétion, on peut emprunter des chevaux.
- Tu es fou, coupa Link d'un ton cassant. Si une patrouille essaye de nous intercepter, on n'arrivera pas à la distancer !

Malon surprit leur conversation en sortant à ce moment de l'étable, où elle donnait leur première tournée de fourrage aux vaches.
- Vous pourriez prendre Epona ? Il n'existe pas de jument plus rapide, et vous êtes suffisamment maigrichons pour qu'elle vous porte tous les deux.
- Qu'est-ce que vous avez tous à me traiter de gringalet ? soupira Link avant de reprendre son sérieux. Et c'est hors de question.
- Pourquoi ? demanda Kazel. Si elle est si rapide, ça résoudrait notre problème.
- Outre les dangers que ça représentera pour Epona, elle est connue. Si on s'enfuit grâce à elle, tout le monde saura que Malon nous a aidés... et les soldats ne mettront pas une heure avant de lui tomber dessus.

A cette idée, la fermière se pinça les lèvres. L'idée d'être assaillie par une horde de soldats furieux ne l'enchantait guère, mais Kazel avait un plan.
- Alors il suffit de faire en sorte qu'on ne puisse pas la soupçonner de complicité.
- Ah oui ? Et comment monsieur le génie ? Je te rappelle que j'ai passé une partie de ma vie ici, et que ça se sait.
- Et je te rappelle, rétorqua calmement l'assassin, que tout le royaume te prend pour un assassin et un kidnappeur.
L'ancien héros s'empourpra à une définition aussi crue... et incontestable. Malon vint lui apporter un peu de soutien en se rapprochant de lui.
- Alors personne ne s'étonnera si tu en rajoutes une couche.
- Je n'aime pas ce que tu essayes d'insinuer. Qu'as-tu en tête ?
- J'ai cru voir tout ce qu'il nous faut là-dedans, dit Kazel en désignant l'étable d'un geste du menton.

Perplexe, Malon pencha la tête sur le côté en dressant un sourcil, ayant du mal à imaginer comment une vache pouvait l'innocenter. Link fut tout autant sceptique, jusqu'à ce qu'il comprenne.
- Alors là, sûrement pas.
- De quoi ? demanda la fermière.
- Comme tu le disais, ils nous verront, reconnaîtront ton cheval... et seront ici dans l'heure qui suit.
- Tes plans à la noix, tu peux te les garder, espèce de tordu !
- Qu'est-ce qu'il veut faire ?
- Tu as mieux à proposer, Link ?
Le héros déchu ne trouva rien à répondre.
- Mais qu'est-ce qu'il veut faire à la fin !?
- Il veut te ligoter.

La nouvelle la stupéfia et la fermière resta bouche bée, tandis que son regard passait de son ami à Kazel. Elle réfléchit un instant, puis finit par hausser les épaules.
- Ça ne m'enchante pas, mais il n'a peut-être pas tort. S'ils pensent que j'étais votre prisonnière ils me laisseront tranquille... mais ça vous ferait passer pour des voleurs.
- Je préfère qu'on me prenne en plus pour un voleur que de te mettre en danger, assura Link avec fermeté. Sauf que ce plan n'est pas sans risque malgré tout !
- C'est le moins risqué qu'on ait, et il nous offrira la vitesse dont a besoin.

Link s'apprêta à rétorquer quelque chose. L'idée d'abandonner sa chère amie, seule et ligotée alors que l'armée entière était sur le pied de guerre lui déplaisait souverainement.
- Il a raison... Ils ne pourront pas empêcher la population de quitter le château encore longtemps, alors que ce soit les soldats ou mon père, quelqu'un viendra bientôt. Et la princesse Zelda a bien plus besoin d'aide que moi, en ce moment.
- Et m... isère. Tu me payeras ça Kazel. Mais c'est moi qui m'en charge, hors de question que tu la touches !
La menace sous-jacente dans la voix du héros fit ricaner Kazel.
- Je comprends que tu sois impatient de jouer avec cette jolie rousse, mais c'est moi qui vais le faire. Toi, tu bâclerais le travail de peur de lui faire mal et tu mettrais en péril le plan.
- J'ai dit que je te laisserai pas la toucher, siffla le héros entre ses dents en s'avançant d'un pas vers Kazel.
- C'est encore à moi de donner le dernier mot je crois ? le coupa Malon. Je n'aime pas votre plan, mais il tient debout. Les soldats ne s'en prendront ni à moi ni à Epona, et vous vous pourrez aller sauver la princesse Zelda.

Link mourrait d'envie de répondre quelque chose, de contester... mais force était de constater qu'ils disaient vrai l'un et l'autre. Il se retourna en crachant un juron et flanqua un coup de pied dans une pierre.
- Si tu lui fais mal, même si tu lui arraches ne serait-ce qu'un cheveu, gronda le héros en pointant un doigt menaçant sur Kazel, je jure devant les Déesses que je te tue !
- Tu en es incapable, ricana l'assassin en lui posant une main sur l'épaule. Laisses faire les experts et va plutôt chercher ton cheval en attendant.
- Tss...

Le héros déchu tapa du pied dans un autre caillou avant de laisser l'encapuchonné emmener Malon dans l'étable. Il ne cessa de ruminer sa colère sur le chemin, et même ses retrouvailles bienvenues avec Epona ne l'aidèrent pas à se calmer. Il sella la courageuse jument et monta dessus avant de retourner devant l'étable. Link mourait d'envie de surveiller son sombre rival alors qu'il transformait sa bien-aimée en saucisson... mais pour cette même raison, le Gerudo blond doutait être capable de s'empêcher de lui sauter à la gorge. Aussi, Link attendit en flattant l'encolure de sa jument jusqu'à ce que l'homme en noir ne sorte enfin de l'étable. Il l'accueillit d'un regard assassin, que Kazel ne prit pas la peine de relever.

- C'est fait. Tu veux aller la voir avant de partir ?
- Je préfère éviter.

Sans rien ajouter, Kazel monta sur le dos de la jument et ils quittèrent le Ranch Lon Lon à une vitesse raisonnable. Même pour Epona, il y avait une grande distance à parcourir et il fallait l'économiser. Pendant un temps, le trajet se passa sans encombre. Aucune patrouille en vue, pas d'obstacle, pas de nuages noirs invoqués par un sorcier fou...

- Alors comme ça, t'es expert en ligotage de fermière ? lâcha Link d'un ton acide, profitant du calme actuel du voyage.
- Mes talents ne se limitent pas qu'à agiter mon épée dans tous les sens. Mais tu penses vraiment que c'est le moment de parler de ça ?
- Je meurs d'envie de te faire la peau, Kazel, et pour plus d'une raison. Hélas je crains que le moment ne soit en effet mal choisi, une patrouille nous a vus.

L'encapuchonné tourna la tête dans la direction que Link lui montrait. Une patrouille de quatre soldats venait de passer la colline et s'agitait en les apercevant. Ils leur donnèrent la chasse en talonnant leurs montures, l'un d'eux se saisissant d'un cor pour souffler dedans, provoquant un bruit d'enfer qui alerta certainement tous les autres gardes sur la plaine. En réponse, Link donna de la voix et flanqua une claque sur l'épaule de la courageuse jument qui partit au triple galop. Le brutal et violent changement de vitesse faillit faire perdre l'équilibre à Kazel. Même s'ils étaient deux sur elle, Epona était la monture la plus rapide d'Hyrule, et lancée à pleine vitesse elle semblait voler au-dessus de la plaine.

- Ils ont des arcs ! cria Kazel pour se faire entendre alors que le vent sifflait autour d'eux. Je m'en occupe !
- N'utilise pas ton épée ! Elle est trop grande, elle risque de déséquilibrer Epona.
- Alors je t'emprunte la tienne.

Epona était rapide, mais pas assez pour rester constamment hors de portée des flèches des soldats d'Hyrule, en particulier chargée comme elle l'était. L'encapuchonné s'empara de l'épée de Link et en éprouva le poids quelques instants, avant que les premiers traits n'approchent dangereusement en sifflant dans les airs. Le premier les rata de peu et Kazel dévia le second en vol d'un geste précis avant de changer l'épée de main quand une seconde patrouille approche sur l'autre flanc. Plus lents, les soldats d'Hyrule peinaient à les suivre et devaient s'en remettre à leurs armes de jet pour tenter de les arrêter, mais Link faisait zigzaguer sa jument pour les rendre plus difficile à viser et Kazel démontrait une fantastique dextérité en frappant chaque flèche en plein vol pour les stopper.

Un soldat réussit à presser son destrier jusqu'à portée de lance et essaya de les embrocher. D'une passe habile, l'encapuchonné repoussa sa pique et la saisit pour tirer dessus et le désarmer. Mais le milicien avait une sacrée poigne et refusa de lâcher prise. Pire encore, il commença à tirer en sens inverse tandis qu'Epona prenait de l'avance, plus rapide que la monture du soldat, et Kazel fut forcé de lâcher sous peine d'être désarçonné. Dans une dernière tentative de les arrêter, le lancier projeta son arme d'hast sur les cavaliers en fuite. L'épéiste noir flanqua un coup ascendant à la lance et l'envoya tourbillonner dans les airs. Lorsqu'elle retomba à près d'un mètre sur leur gauche, Kazel changea son épée de main et se pencha dangereusement pour rattraper la pique.

- On arrive aux Bois Perdus, prépare-toi à sauter !
- Pourquoi ça ? demanda le rôdeur en jetant la lance dans l'autre sens, obligeant un cavalier à faire un écart pour l'éviter et perdre ainsi du temps.
- Aucun animal, même aussi brave qu'Epona ne s'approchera des Bois Perdus. Il faut finir le trajet à pied !
- La journée s'améliore, dis-moi !

Presque à l'envers sur la croupe de la jument, Kazel continuait à repousser les flèches qui passaient dangereusement près d'eux. Les soldats les talonnaient d'assez près, trop à son goût, mais ne se faisaient pas distancer. Epona était trop chargée, et courait depuis trop longtemps à pleine vitesse pour réussir un tel exploit.

- Maintenant !

Comme un seul homme, les deux épéistes s'élancèrent de leur monture. Link fit un grand saut, exécutant une roue en vol pour faire volte-face tout en saisissant son bouclier pour le lever en direction des soldats à leur poursuite lorsqu'il retomba au sol avec souplesse. Kazel au contraire exécuta un bond court, tournoyant presque à l'horizontale pour se changer en une forme floue et retrouver plus rapidement le plancher des vaches en s'exposant moins aux flèches.

- Par ici, vite !

Alertée du danger des Bois Perdus par son instinct, Epona commença à paniquer, se cambra et rua en hennissant alors que l'encapuchonné jetait son épée au Héros du temps tout en dégainant la sienne.
Ils reculèrent aussi vite que les tirs des soldats le leur permettaient, jusqu'à ce que les montures des miliciens ne s'affolent à leur tour et provoquent une confusion totale. Plusieurs soldats furent jetés à terre, et l'un d'eux faillit être piétiné lorsque deux chevaux se heurtèrent en pleine panique. Le temps de poser pied à terre et de reformer les rangs, les deux fuyards au manteau sombre étaient en train de disparaître dans l'obscurité d'un vieux tronc d'arbre mort. Il était de leur devoir de poursuivre et punir les ennemis de la famille royale... mais aucun homme sain d'esprit n'oserait s'aventurer dans les Bois Perdus.

Sauf Link, qui guida son horripilant compagnon dans la pénombre permanente de la forêt au pas de course pendant plusieurs minutes. Ils avaient tout intérêt à avoir pris de l'avance si jamais les soldats d'Hyrule décidaient de tenter leur chance malgré tout. Après avoir tourné plusieurs fois, le jeune guerrier s'autorisa enfin à faire halte et tendit l'oreille. Mis à part les sons de la forêt et le souffle de leurs respirations rapides, Link n'entendait rien. Une brume légère épaississait l'air, faisant jouer des tours à la lumière et distordait les distances. Elle laissait un goût étrange dans la gorge et étouffait les sons lointains.

- Ils ne nous ont pas suivis, on est sortis d'affaire.
- Pour un héros, tu as tendance à utiliser des techniques sournoises.
- La ferme, et suis-moi au lieu de te payer ma tête. Et surtout, ne me perds pas de vue ou tu mourras.

Kazel ne répondit rien tandis qu'ils rengainaient leurs armes et obtempéra. Il essaya de se familiariser avec les lieux mais n'en tira qu'un mauvais pressentiment. Le seul fait de regarder l'interminable cime des arbres, ou le couvert si épais des feuilles qu'il en masquait le ciel, et l'assassin se sentait... perdu.
Un sentiment particulièrement désagréable pour lui, qui avait été entraîné de bien des façons pour toujours trouver sa voie. Mais ici, il avait le sentiment d'être aveugle, sourd et ignorant. Même lorsqu'il regardait deux fois du même côté, ne serait-ce qu'à quelques secondes d'intervalles, l'épéiste avait l'impression de voir deux lieux différents. Et c'était une sensation d'autant plus dérangeante que Link, lui, progressait d'un bon pas de la façon la plus naturelle qui soit. Il fallait le reconnaître, sans le héros, il n'aurait jamais pu passer par ces bois.

Ils marchèrent longtemps, passant par-dessus des ruisseaux et des crevasses, sautant d'arbre en arbre pour traverser des gouffres et contournant d'immenses troncs et rocs pour mieux s'enfoncer dans des cavernes qui ressortaient plus profondément encore dans ce labyrinthe naturel. De plus, il perdait également la notion du temps. Lorsqu'il se demanda depuis combien de temps ils marchaient ainsi, Kazel se surprit à être parfaitement incapable de donner une durée. Cela aurait pu faire une demi-heure comme une demi-journée. Pour ne rien arranger, la forêt grouillait de bruits et de présences. Le bretteur se sentait constamment observé, voire même suivi.

- Je ne voudrais pas remettre ton sens de l'orientation en question, finit par dire Kazel, mais on est déjà passés devant cet arbre.
- Ah oui ?

Le héros daigna à peine regarder le grand chêne au tronc sombre que lui désignait l'encapuchonné. Il haussa les épaules et poursuivit sa route sans essayer de rassurer son compagnon de route. Pour sa part, Kazel ne l'entendait pas de cette oreille et fit une encoche sur une pierre avant de la glisser entre deux branches. Ainsi, il en aurait le coeur net, puis il se dépêcha de rattraper l'Hylien. Il avait déjà le sentiment d'être perdu avec un "guide" et redoutait le pire s'il devait affronter seul la forêt. Ils continuèrent à tourner dans les bois. Kazel remarqua plusieurs pistes, qu'il aurait pu imputer à la faune locale... si elles ne tournaient pas en rond. Au bout d'un moment, l'assassin finit par abandonner toute tentative de comprendre cet environnement hostile, s'avouant incapable de trouver des explications logiques aux phénomènes qui régnaient en maître en ces lieux.

- On tourne en rond, Link.
- Comment ?
- Cet arbre, lâcha l'encapuchonné en pointant un grand chêne sombre. C'est celui dont je te parlais tout à l'heure. Encore !
Le héros ne semblait pas plus troublé que ça et regarda le vénérable chêne en croisant les bras.
- Ah oui, tu es sûr ?
- Evidemment, regarde ! L'assassin s'avança pour ramasser la pierre qu'il avait glissée là plus tôt. C'est moi qui ai mis cette pierre la dernière fois qu'on est passé devant. On tourne en rond, espèce de crétin !
Loin de s'affoler, Link lâcha au contraire un ricanement dédaigneux en toisant son rival sombre.
- C'est vrai, c'est bien le même arbre.
- Je croyais que tu savais où tu allais, alors qu'est-ce que tu attends pour nous sortir d'ici ? Qu'on vienne nous chercher ?
- Regarde autour de toi, idiot. Tu reconnais autre chose ?

Kazel dut se retenir de lui flanquer son poing dans la figure avant de jeter un oeil aux environs. Le doute l'envahit alors. Si l'arbre était le même, l'environnement en revanche ne lui était pas familier. Lors du dernier passage, l'assassin était persuadé que le chêne se trouvait sur un terrain plat et à proximité d'un arbre aux fruits rouges... Or, ici ils étaient sur une pente et aucune branche ne portait de fruits. Et à bien y regarder, Kazel n'apercevait aucune trace du buisson à fleurs blanches qui avait attiré son regard la première fois... et de mémoire, il ne l'avait pas aperçu la deuxième fois non plus.

- Qu'est-ce que ça veut dire ? murmura Kazel, incrédule.
- On ne t'a jamais dit que la forêt était vivante ? Elle aussi s'ennuie à toujours rester à la même place.
- Tu veux dire que les arbres bougent ? Que toute la forêt bouge ?
- Va savoir, rétorqua avec le héros avec un sourire moqueur avant de recommencer à marcher. Maintenant dépêche-toi, on est presque arrivés.

L'épéiste noir le suivit avec empressement tout en balayant les alentours du regard, ne parvenant pas à déterminer si Link disait la vérité ou se moquait de lui. Désormais, il avait l'impression de voir des mouvements à l'extrême limite de son champ de vision. Mais chaque fois qu'il fixait son regard sur quelque chose, il se sentait stupide de dévisager un buisson tout ce qu'il y a de plus naturel... jusqu'à ce qu'il se retourne à nouveau et ne reconnaisse plus le paysage. Quand il releva la tête, Kazel se figea. Link n'était plus devant lui. L'assassin regarda tout autour, sans apercevoir personne. Une sourde appréhension commença à l'envahir et il porta la main à son épée. Si jamais le héros avait voulu se débarrasser de lui malgré tout, il n'aurait pas pu trouver meilleure façon qu'en l'abandonnant ici.

Kazel tourna sur lui-même pour essayer de se repérer, mais constata avec horreur qu'il n'aurait même pas su dire par où il venait d'arriver. Aucun chemin ne lui évoquait quoique ce soit, dans aucune direction. Il regarda vers la cime des arbres, habitué à prendre de la hauteur mais n'en reconnut aucune. Même le grand chêne sombre, si imposant, qu'ils avaient dépassé il y a quelques minutes à peine avait disparu. Le guerrier finit par tirer son épée et marqua d'une croix l'arbre le plus proche avant de s'éloigner de quelques pas. Peut-être Link avait-il simplement tourné derrière une grande souche et allait réapparaître. Cela ne faisait pas vingt secondes qu'il l'avait perdu de vue. Enfin... peut-être ? L'angoisse le saisit subitement à la gorge. Combien de temps avait-il passé à essayer de voir un arbre bouger, sans prêter attention au héros qui se déplaçait en ces lieux comme s'il y était né ? Combien de temps avait-il passé à tourner dans tous les sens à chercher un repère qui avait disparu dès qu'il avait cessé de le regarder ? Et surtout, depuis combien de temps est-ce que le silence était tombé ?

Kazel ne le remarquait que maintenant, et cela lui fit resserrer sa prise sur sa grande épée. La forêt n'émettait plus un seul son, comme si elle retenait sa respiration pour guetter le moindre de ses gestes. Comme lui-même le faisait lorsqu'il frappait depuis les ombres. Un épais tapis de mousse étouffait le moindre écho. Ses pas légers ne produisaient pas le plus petit bruit même lorsqu'il marchait sur des feuilles au sol, et sa respiration qui s'accélérait n'émettait qu'un son mat, comme si l'atmosphère épaisse des bois l'aspirait. Il se retourna, voulant retourner à l'arbre marqué pour au moins avoir un point fixe et se figea, glacé d'horreur. L'arbre avait disparu, remplacé par un grand couloir végétal, comme un tunnel de buissons et de ronces, dont les branches se courbaient comme autant de doigts griffus pour noircir le ciel. Au bout de cinq mètres à peine, le tunnel était plongé dans une obscurité étouffante. Kazel réalisa qu'il était incapable de détourner son regard de ce passage. Il y sentait une présence, enfin, ancienne et menaçante. Il leva son épée pour se préparer au combat, sentant ses membres trembler pour la première fois depuis plus de dix ans.

Quoiqu'il puisse y avoir dans ces ténèbres, l'entité était emplie de puissance et de malice. Son sang se figea dans ses veines lorsqu'il aperçut une paire d'yeux dorés luire soudainement au coeur des ténèbres. Ils semblaient à la fois assez prêts pour qu'il puisse les toucher en tendant le bras - pressentant qu'il y laisserait son membre s'il se risquait à une telle folie - et en même temps à des centaines de mètres de lui. Une seconde paire apparut, puis une autre, et encore une autre. Bientôt, le sombre couloir fut illuminé de ces pupilles ambrées aux reflets d'or et de bronze qui le dévisageaient. Dès qu'il en fixait une, deux autres à la périphérie de sa vision semblaient s'approcher.

Kazel n'osa plus fermer les yeux, quand bien même il les sentait s'assécher et le piquer d'être ouverts depuis trop longtemps, mais il savait que ces choses dans l'ombre lui sauteraient à la gorge s'il le faisait, avant même qu'il ne puisse les rouvrir. Il abaissa sa garde pour pointer sa lourde épée vers eux, dans un geste d'avertissement. Les lueurs semblèrent s'arrêter. Comme le bout de sa lame glissait dans les ombres du tunnel, il avait un repère de distance. Du moins en avait-il l'impression, car désormais il lui semblait que les yeux étaient à moins d'une largeur de main de son épée, à quelques pas à peine de lui.
Loin d'intimider ces regards dans le noir, son geste parut les amuser, car un sourire sauvage dévoila des multitudes de crocs dont les tailles et formes trahissaient un goût pour la chair sous chaque paire de lueurs. Parfois ce sourire s'étirait d'une paire à une autre, et même plus encore.

Un bruissement discret rompit le silence. Aussi léger qu'un serpent qui rampait dans la mousse, et qui pourtant parut retentir comme un orchestre furieux tout entier. Les yeux s'illuminèrent alors d'une nouvelle lueur alors qu'une étincelle de haine et d'impatience embrasait leur regard. Ils allaient attaquer ! Quelque chose le frappa à l'épaule, par derrière. Kazel bondit sur le côté, lâcha malgré lui un cri tout en envoyant sa large épée balayer son flanc. Obnubilé par ces lueurs, il avait complètement négligé ses arrières.

- Woah ! fit Link en esquivant de justesse la lourde lame. Ça va pas la tête !? Qu'est-ce qui te prend ?
- Que... Link ?

Se rappelant la menace imminente, l'assassin se retourna vers le tunnel végétal. Les yeux avaient disparu, et le silence aussi. La forêt respirait à nouveau, et les ténèbres du couloir de ronces n'étaient plus que des ombres clairsemées lorsqu'un fin rai passait entre les branches. La présence avait disparu.

- Ça s'arrange pas dis-moi, critiqua Link en arquant un sourcil. Voilà que tu attaques des buissons.
- Je... j'ai vu...
- Quoi ? Tu as peur du noir ?

Incapable de poser un nom sur ce qu'il avait aperçu, Kazel sentit ses pensées se faire confuses. Qu'est-ce qu'il avait vu, en fait ? Son esprit était embrumé, comme s'il venait de sortir d'un rêve. L'encapuchonné finit par secouer la tête et rangea sa lame.

- Rien. Laisse tomber.
- Ce n'est pas le moment de faire une pause-pipi, dépêche-toi. On y est presque.

Kazel lui retourna une grimace avant de le suivre, prenant bien garde à ne pas le quitter des yeux cette fois. Il étendit cependant ses autres sens, et remarqua qu'il entendait ses pas sur ces buttes couvertes d'herbe, de mousse et de feuilles mortes. Partout, on entendait des créatures faire leur vie. Des piaillements, des bruits secs, parfois des cris brefs suivis d'un silence. Lorsque Link lui avait dit que la forêt était vivante, il avait eu du mal à le croire, et encore plus à comprendre ce qu'il sous-entendait. Mais alors qu'il le suivait, s'enfonçant dans ce qui était une souche d'un arbre si long que les ténèbres en masquaient la sortie et qui paraissait vieille de plusieurs siècles, Kazel pouvait sentir un regard peser dans son dos, comme un chat affamé regardant un poisson dans son bocal. La forêt était vivante... et n'aimait pas les étrangers. Ce qui l'incita à augmenter d'un pas la distance qui le séparait de Link.

Chapitre 8 : Souvenirs d'enfance   up

Le village Kokiri. Enfin. Une vaste clairière, paisible, où deux sources d'eau pure s'écoulaient lentement. Des arbres morts depuis des siècles, peut-être des millénaires servaient de foyers, de maisons et de boutiques au peuple de la forêt. Les Kokiris étaient... des lutins. Insouciants du monde extérieur, ils se réfugiaient dans les bois où ils disparaissent en un clin d'oeil à la moindre menace potentielle. C'était une race d'enfants, innocente et sans histoire, qui vivait dans, grâce, et à cause de la forêt. Tout simplement. Cela, même Kazel aurait pu le deviner.

Mais Link avait été un des leurs autrefois, et les connaissait mieux que quiconque. Lorsqu'ils sortirent de l'imposante souche, couchée ainsi depuis des éons, il salua la sentinelle à l'entrée du village comme un vieil ami. Le petit rouquin, dont les yeux disparaissaient derrière la coiffure anarchique et le bonnet vert, sursauta, et après une seconde d'hésitation signala une alerte. Alerte qui, en l'espace de quelques battements de coeur, fit le tour du petit village Kokiri, et bientôt des silhouettes frêles, minuscules, vêtues de vert surgirent de partout pour approcher, à la fois fascinées et effrayées. De toute leur histoire - du moins dans cette trame temporelle - jamais les Kokiri n'avaient eu à souffrir la présence d'étrangers sur leurs terres, et ils ne savaient pas s'ils devaient les craindre ou profiter de leur présence.

- N'ayez crainte, dit Link en levant ses mains ouvertes en signe de paix. Nous venons en amis.
- Euh... nous n'avons jamais vu d'étrangers ici ! essaya de crier la sentinelle, mal à l'aise, prise au dépourvu. Je... je vous demande de partir !
- Du calme, assura le blondinet. Nous ne cherchons pas à vous faire du mal, nous voulons juste demander quelque chose à l'Arbre Mojo, puis nous nous en irons. Je vous le promets.

Une tension soudaine gagna les Kokiris. Cette génération était certes jeune, mais c'était la première fois que quelque chose perturbait leur vie. En dehors de la disparition de quelques-uns des leurs, ayant osé s'aventurer dans la Forêt. C'était d'autant plus déroutant que cet adulte mentionnait le Vénérable Arbre Mojo, leur "père" et leur protecteur.

- Allez chercher Mido, votre chef, dit Link en baissant enfin les bras en douceur. Et apportez-moi un ocarina. Je vous prouverai que je suis un ami.

Les enfants de la forêt se regardèrent les uns les autres. Ils secouaient la tête, haussaient les épaules ou grimaçaient, exprimant leur incompréhension et leur incapacité à gérer un événement inattendu. Link réalisa alors à quel point son ancienne famille était vulnérable à la moindre menace capable de passer les Bois Perdus. Derrière lui, Kazel s'avança pour se pencher à son oreille, et murmurer de façon à ce que lui seul puisse l'entendre.

- Un ocarina ?
- Mes talents ne se limitent pas qu'à agiter mon épée dans tous les sens.

Finalement, deux des trois frères Je-sais-tout allèrent chercher Mido alors qu'une petite blonde retournait chez elle pour ramener l'instrument. Link finit par baisser les mains en attendant leur retour, Kazel n'avait rien à ajouter et demeurait silencieux, un pas derrière lui. De temps à autre, l'encapuchonné se retournait pour jeter un oeil au tronc qu'ils venaient de dépasser, s'assurant qu'aucune des créatures de cette forêt maudite ne surgirait des ombres dans leur dos. Fado fut la première à revenir, et tendit l'ocarina demandé à Link qui la remercia. Il frotta un peu l'instrument contre sa tunique avant de le porter à ses lèvres pour souffler dedans et tester sa sonorité.

- Je ne m'attendais pas à ce qu'il me paraisse si petit.
- Tu n'es peut-être pas très grand mais ce ne sont que des enfants.
- Non, ce sont des Kokiris. La plupart sont un peu plus âgés que moi.

Kazel semblait perplexe, ayant visiblement du mal à admettre l'âge véritable des Kokiris, mais n'ajouta rien de plus alors que l'ancien héros commença à tirer quelques sons du petit ocarina, tant pour retrouver ses vieilles habitudes - n'ayant pas joué depuis longtemps - que pour passer le temps en attendant l'arrivée de Mido. De leur côté, les enfants de la forêt parurent ravis de ce petit interlude musical. Même s'ils ne le reconnaissaient pas, Link avait grandi parmi eux et connaissait les airs qu'ils aimaient jouer, rassurant son ancienne famille malgré leur venue soudaine et armée.

Quelques Kokiris commencèrent à battre la mesure, voire à taper dans leurs mains pour accompagner le musicien. Leur jeunesse éternelle et leur vie dans un lieu - normalement - parfaitement sûr les rendaient insouciants et peu prudents, mais festifs et chaleureux. Le calme retomba lorsque Mido arriva avec ses grands airs. Il essaya de se grandir en se plantant devant les deux étrangers et posant les poings sur les hanches. Contrairement aux autres, il était méfiant envers les deux adultes, en tant que chef du village c'était à lui de protéger les Kokiris et il prenait son rôle très à coeur.

- Qui êtes-vous, étrangers ? Les frères Je-sais-tout m'ont dit que vous vouliez voir l'Arbre Mojo. Pourquoi ?
- Ce serait un peu long à expliquer, répondit calmement Link, et difficile à comprendre. Mais c'est important, et le temps presse.
- Il est hors de question que je laisse des étrangers comme vous rencontrer le vénérable Arbre Mojo. Je ne sais pas comment vous avez fait pour traverser la forêt, mais vous devez repartir !
- Je ne suis pas un étranger, même si vous ne pouvez pas me reconnaître. Je suis aussi un ami de Saria.

Un murmure glissa entre les Kokiris, et même Mido resta figé pendant une seconde avant de reprendre en montant d'un ton sa voix d'enfant.

- Je ne vous crois pas ! En plus Saria a disparu il y a...
- Il y a plus de sept ans, n'est-ce pas ? En même temps que Link, le garçon sans fée qui vivait dans cet arbre, là-bas.

Il désigna du doigt son ancienne maison, depuis abandonnée, et les Kokiris le dévisagèrent avec des yeux ronds. Jamais un étranger n'avait mis les pieds dans le village Kokiri, et voilà que le premier qui s'y présente connaît leurs noms et leurs secrets. Même Mido était pris au dépourvu.

- Tu ne l'aimais pas beaucoup à l'époque, pas vrai ?
- Ce... c'est vrai. J'étais assez jaloux de sa relation avec Saria, répondit plus doucement le chef-enfant, mais quand il a disparu je m'en suis voulu. J'ai pensé que c'était de ma faute. C'était un bon gars, il ne méritait pas ça... si je le pouvais, je...

Il s'arrêta un instant avant de relever les yeux vers Link. Durant une seconde il pencha la tête, pris d'un doute qu'il chassa rapidement de ses pensées.

- Est-ce que vous l'avez vu ? Comment va-t-il ?

Kazel, toujours en retrait, remarqua alors que tous les autres Kokiris jusqu'à alors dissipés, voire turbulents, écoutaient très attentivement l'échange.

- Il va bien, dit Link, et un soulagement s'afficha sur tous les visages des enfants de la forêt. Il a réussi à échapper à la forêt de la mort, et à bien d'autres dangers. Il s'excuse, auprès de vous tous de ne pas avoir pu revenir.
Malgré lui, Link se fendit d'un léger sourire.
- Vous lui manquez tous, même toi Mido. Vous vous chamailliez souvent, mais c'est normal entre amis. Il aurait aimé pouvoir rentrer à la maison, mais le sort a fait qu'on avait besoin de lui ailleurs.
- Oh... alors nous ne le reverrons jamais ?
- Va savoir. Avec un peu de chance, il arrivera un jour à en finir avec ses épreuves et à revenir vous voir.
- Espérons-le. En tout cas merci monsieur, de nous avoir donné de ses nouvelles.
Link hocha la tête, sentant le regard plein d'interrogations de l'assassin sur sa nuque.
- Néanmoins j'ai dit que je prouverais que j'étais bien un ami, car ma seule parole ne vaudrait pas grand-chose en vérité.

Une curiosité nouvelle s'empara des Kokiris tandis que le héros portait l'ocarina à ses lèvres. Il prit quelques secondes pour faire jouer ses doigts sur le minuscule instrument, puis commença à jouer d'un air bien connu des enfants des bois, une gigue fraîche et entraînante qu'avait un jour composée l'une des leurs. Le chant de Saria.

- Cette mélodie... Saria ne l'apprenait qu'à ses plus proches amis.
- Je sais, fit Link en rendant l'ocarina à la petite blonde. Merci Fado.
- D'accord, je vous crois. Vous pouvez aller voir l'Arbre Mojo.

Le guerrier blond le remercia et commença à marcher, Kazel le suivant comme son ombre. Ils traversèrent rapidement le petit village, enjambant les pierres qui affleuraient de la rivière traversant les lieux jusqu'à atteindre un couloir végétal en S, qui arracha un frisson d'appréhension à l'homme en noir qui le trouvait bien trop familier à son goût, conduisant jusqu'à la clairière du vénérable Arbre Mojo.

L'ancien chêne, mort depuis des années, se dressait encore là. Son écorce brunie, ses branches si immenses qu'elles semblaient masquer le ciel continuaient encore à perdre quelques feuilles. Même après tout ce temps, l'arbre demeurait un symbole de solidité. Kazel devait bien le reconnaître, levant la tête pour essayer d'apercevoir la cime du vieux chêne, que l'Arbre Mojo était très impressionnant. Il comprenait mieux pourquoi l'autre bretteur voulait lui demander conseil en osant à peine imaginer la sagesse que pouvait recéler un être aussi ancien.

- Bonjour, vénérable Arbre Mojo, dit Link en s'inclinant respectueusement.

L'assassin le regarda de travers, baissant enfin la tête, lorsqu'il salua un arbuste au bois tendre avec trois pauvres feuilles ici et là. Un simulacre de visage poupin ridait son écorce, un peu au-dessus de son milieu.

- Ben dis donc, ça ne va pas mieux toi. Voilà que tu parles aux buissons.
- Ze vous prierais de rezter poli, zozota soudainement l'arbuste en le "fixant". Ze ne zuis pas "un buizzon", mais le vénérable Arbre Mozo ! Enfin... dans quelques zannées.
- Ça y est, moi aussi je deviens fou, je me fais engueuler par un arbre...
Link soupira profondément, mais ne se donna pas la peine de déclencher une autre rixe avec l'épéiste à capuche. Ce n'était pas le moment, et certainement pas le lieu.
- Pardon de revenir en portant de si mauvaises nouvelles, mais la situation est grave.
- Ze le zais déza, Link. Zelda a été enlevée, et il te faut rapidement trouver zun moyen d'aller la retrouver !
- Seulement, elle a été emportée dans une autre dimension, cela est largement au-delà de mes connaissances. Saurais-tu comment nous pourrions faire pour ouvrir un nouveau portail et la rejoindre ?
- Ze l'ignore, hélas ! Il z'agit d'une magie très rare et très anzienne, et conzerne des forces qui dépazzent de loin mes pouvoirs.
- On n'est pas plus avancés quoi, marmonna Kazel.
Link le foudroya aussitôt du regard, mais le bourgeon de l'Arbre Mojo n'avait pas dit son dernier mot.
- Mais ze zais qui peux vous aider. Tu les connais d'ailleurs bien, Link, et ils ont déza utilisé de tels pouvoirs.
- Bien sûr, comprit-il après un instant de réflexion. Les Sages.

Le bourgeon essaya d'acquiescer, du moins c'est ce que Kazel supposa en voyant ses branchages s'agiter un peu de haut en bas. Le Héros inspira profondément pour se donner du courage. Il n'aimait pas beaucoup rencontrer ses anciens amis, depuis qu'ils s'étaient élevés au rang de gardiens des temples. Cela éveillait... quelque chose de douloureux en lui.

- Merci, vénérable Arbre Mojo.
- Prenez garde, ze sens une ombre z'étendre à nouveau à l'horizon. Ton seul courage ne suffira pas cette fois. Vous aurez besoin d'azzocier vos forces pour défaire.
- On se débrouillera, grinça entre ses dents le héros en jetant un regard noir à Kazel. Plus vite je me débarrasserai de lui, mieux on se portera tous.
- Vous vous rezzemblez beaucoup plus que vous ne le penzez, déclara l'arbuste avec une extrême gravité. Et ze crains que vous n'ayez à compter l'un zur l'autre même après avoir zauvé Zelda...

Toute envie de se moquer du sage végétal quitta Kazel lorsqu'il réalisa que l'Arbre Mojo le fixait lui tout particulièrement. Ses petits yeux, semblables à deux pauvres trous dans de l'écorce, le mirent très mal à l'aise. Il eut beau tirer sur sa capuche, pour approfondir la couverture sombre qui masquait son visage, il n'y avait rien à faire. Il sentait le regard de l'arbuste peser sur lui, alors que Link prenait soin de ne pas le regarder.

- Nous ferons ce qu'il faudra. Encore merci, vénérable Arbre Mojo.

Le héros s'inclina une dernière fois avant de tourner les talons, et cette fois Kazel en fit autant. Ils retraversèrent le village Kokiri sous les regards curieux des habitants, montèrent par un petit chemin et s'enfoncèrent à nouveau dans les Bois Perdus sans échanger un mot. A peine eurent-ils perdu de vue le paisible village que le malaise gagna à nouveau Kazel. Il jurerait être dans une forêt totalement différente. Cette fois, l'assassin veilla à coller de près son guide qui serpentait entre les bois, les souches creuses et les rocs avec une inquiétante facilité.

Cela dit, son agilité était bien le moindre de ses soucis. Plus ils avançaient, tournant à droite, à gauche, escaladant ou sautant à bas de temps à autre, plus l'encapuchonné se sentait confus. Lorsqu'il tournait la tête ou levait les yeux, il se sentait pris de vertiges alors que ses sens entraient en conflit en lui envoyant des signaux contradictoires. Comme précédemment, il lui arrivait de reconnaître des éléments de l'environnement qui ne semblaient pas à leur place mais n'était plus aussi surpris. Il déglutit malgré tout avec difficulté en reconnaissant l'entaille qu'il avait faite dans un tronc, lors de l'aller, tout en sachant que ce n'était pas le même arbre. En revanche, il y avait une... musique qui résonnait, tantôt forte comme un orchestre, tantôt discrète comme un murmure. Lorsqu'il tendait l'oreille, Kazel avait parfois l'impression d'entendre des rires et des gloussements. Mais comme tout dans cette satanée forêt, il pensait avoir rêvé dès qu'il tentait de vérifier quoi que ce soit.

- J'ai l'impression d'entendre de la musique, finit-il par dire pour rompre ce faux silence.
- Comme un air de flûte ?
Kazel resta muet quelques secondes, fixant avec méfiance le héros.
- Oui.
Link ne répondit rien, continuant à errer à travers un sentier que lui seul semblait lire dans cette végétation vivante.
- Ce sont les Skull Kid qui jouent, lâcha-t-il enfin.
- Les Skull Kid ?
- On raconte que si un Hylien s'égare dans les Bois Perdus, il deviendra un monstre. Si c'est un adulte, il se changera en Stalfos. Si c'est un enfant, il finira en Skull Kid.
- Et j'imagine que la rumeur est vraie ?

Link soupira en hochant la tête, ce qui n'aida pas l'encapuchonné à se détendre. Il remarqua alors que le héros s'arrêtait parfois, l'espace d'une petite seconde et tendait l'oreille avant de changer de direction. Rien de très surprenant, mais chaque fois qu'il le faisait, la musique semblait devenir plus forte, plus vive durant quelques instants.

- Et au bout de combien de temps est-on considéré "perdu" ?
- Je ne sais pas. De ce que j'ai vu, je dirais quelques heures, tout au plus.
- Et depuis combien de temps marche-t-on ?
- Je ne sais pas, dit le héros avec une pointe moqueuse dans la voix. Quelques heures ?
- Ah-ha.

Ils continuèrent à progresser entre les arbres et les fourrés, à un rythme incertain. Les sens déboussolés de Kazel essayaient de lui crier qu'ils étaient au plein coeur de la forêt, mais sa logique tentait de ne pas se pencher sur la question car ils auraient aussi bien pu être à dix pas de la sortie qu'il n'aurait pu voir la différence. Puis enfin, le terrain se fit plus doux. Ce qui ressemblait vaguement à des chemins apparaissait, même s'ils s'entremêlaient et ne menaient généralement nulle part, et les troncs s'espacèrent. Pour l'assassin, c'était un progrès, jusqu'à ce qu'il entende un nouveau rythme dans les bois et porte la main à son épée.

- Quoi encore ? fit Link en percevant son geste.
- J'entends une voix, quelqu'un chante.

L'élu des déesses fut visiblement tenté de le traiter de fou, et Kazel n'était pas certain de pouvoir le contredire en ces lieux, mais il tourna lui aussi la tête.

- Moi aussi je l'entends.
- Ça s'approche.

Kazel essaya de percer du regard le couvert des feuillages, mais la végétation était trop dense et un brouillard de pollen troublait sa vision même à moyenne distance. Cela ne sembla pas inquiéter le héros outre mesure qui haussa les épaules et se dirigea vers la voix. Le guerrier en noir essaya de se convaincre que c'était encourageant, mais il savait aussi que la mort rôdait derrière chaque tronc et rien de tout cela ne perturbait son rival. Il pourrait tout aussi bien l'emmener devant un dragon des bois, si une telle créature existait, qu'il ne serait pas plus nerveux. Mais au lieu d'un dragon, ils tombèrent sur une petite clairière. Kazel ressentit un grand soulagement de pouvoir distinguer clairement à plus de dix mètres devant lui, et la luminosité assez chaleureuse du sous-bois avait quelque chose d'accueillant.

La responsable de la mélodie était également moins inquiétante que ce qu'il craignait lorsqu'ils découvrirent une fillette blonde, vêtue de vert, qui chantait un air étrange en jouant autour d'un vieil arbre mort. Une petite créature lumineuse voletait autour d'elle, et décrivit de grands mouvements lorsqu'elle aperçut les deux aventuriers. En les remarquant, la Kokiri cessa de chanter et se tourna vers eux en glissant ses mains derrière son dos, se dandinant sur ses talons avec un sourire malicieux aux lèvres, qui remit immédiatement Kazel sur la défensive.

- Des étrangers ! C'est rare par ici, du moins... sous cette forme, hii-hii !

Le rôdeur sentit ses poils se hérisser tout le long de sa colonne vertébrale en ressentant la même présence que devant le couloir végétal, et le fait que cette fillette s'amusait à chanter et jouer dans la Forêt de la Mort ne l'encourageait pas à baisser sa garde.

- Vous ne le savez peut-être pas, mais un Hylien dans la forêt est un Hylien de moins.
- Lorsqu'ils se perdent ils se transforment en monstre, compléta Link. Je le sais, Fado, mais je sais où je vais et tant que cet idiot ne me perd pas de vue, tout ira bien.

La fillette jeta un regard vers l'encapuchonné, et l'espace d'une seconde elle perdit son sourire en le dévisageant à travers les ombres de son manteau, puis afficha à nouveau son rictus facétieux en haussant les mains et les épaules.

- C'est pour vous que je disais ça, en fixant le héros. Mais c'est vous qui voyez, hii-hii !

La Kokiri commença à s'éloigner, dansant une ronde qu'elle menait seule et se remit à chanter. Dès qu'elle traversa les premiers fourrés, elle disparut totalement et Kazel regretta infiniment de ne pas avoir des yeux dans le dos. Link ne semblait guère partager ses craintes et reprit la route.

- Les Kokiris possèdent-ils des pouvoirs ? demanda Kazel après ce qui lui sembla être une poignée de minutes.
- Ils resteront éternellement des enfants, rétorqua le héros d'un ton légèrement maussade. Et chaque Kokiri a une fée qui le guide et le protège, notamment dans les Bois perdus.
- Et c'est tout ?
L'élu des déesses lui jeta un regard soupçonneux par-dessus son épaule.
- A ma connaissance, oui. Pourquoi ?
Pendant un instant, les deux guerriers se fixèrent l'un l'autre, se défiant les yeux dans les yeux.
- Pour rien. On est encore loin ?
- Presque. Tu vois cet étang ? Encore un égarement ou deux et on sera à destination.
- Très amusant.

L'assassin ne put s'empêcher de jeter des coups d'oeil derrière lui tandis que Link continuait à avancer, empruntant le chemin en direction du sanctuaire de la forêt alors que la musique se faisait plus entraînante, comme pour les accueillir. Ils traversèrent encore une fois un épais couloir d'écorce et de lianes, qui rappelaient un bien désagréable souvenir au rôdeur, mais qui débouchait non pas dans la gueule du diable mais dans un vaste espace où l'on pouvait enfin voir le ciel ! Au loin, Kazel distinguait ce qui semblait être les ruines d'un antique château, qui avait dû être fabuleux dans sa jeunesse.

Il y avait toujours cette étrange impression d'être épié par des milliers d'yeux, et l'assassin était persuadé de distinguer du coin de l'oeil des lueurs jaunes à la lisière des bois environnants, lueurs qui disparaissaient dès qu'il tournait la tête, mais le sentiment de danger permanent s'était allégé. Link l'entraîna dans un ancien labyrinthe, qui dérouta son partenaire mais ne l'égara pas autant que ne le faisait la forêt. Kazel se montra même curieux sur la nature de ce dédale qui lui évoquait des rues étroites, entremêlées, et il se demanda si ce n'était pas là les vestiges du bourg qui avait dû exister au pied de ce château là-haut, et qui aurait été... végétalisé par la malédiction des Bois Perdus. Une telle hypothèse lui semblait aussi dingue qu'improbable, mais après ce qu'il avait vécu, le rôdeur était prêt à croire beaucoup de choses. Toutefois, le héros ne dit rien au sujet du labyrinthe et Kazel ne vit pas d'intérêt à poser réellement la question.

Ils remontèrent le long corridor qui donnait sur l'interminable escalier, la dernière étape avant le Sanctuaire de la Forêt, que les Kokiris appelaient aussi le bosquet sacré. L'encapuchonné sentit immédiatement que le lieu était particulier. Il y régnait une autre atmosphère, chargée d'énergies et de sentiments, mais il ne parvenait pas à les identifier. Une grande dalle blanche et grise était posée au sol, impeccable socle au milieu de cette jungle étouffante où pas une seule herbe folle n'osait s'aventurer. Le symbole du vent et de la forêt était gravé dessus, mais Link n'y accorda même pas un regard. En revanche, Kazel le fit jeter un coup d'oeil en soupirant vers une souche, sur le côté. Elle était basse et ne présentait rien de particulier, si ce n'est qu'un enfant aurait pu s'asseoir dessus. Le héros lui désigna les restes d'un escalier effondré depuis des éons, quelques mètres plus haut.

- C'est l'entrée du Temple de la Forêt, sur lequel veille une vieille amie.
- Et ça sera quoi cette fois, encore un arbre ? Une statue ?
- La ferme, rétorqua sèchement Link en sortant son grappin. Et monte là-haut.

Son rival fit la grimace lorsque la pointe en acier se propulsa pour se ficher dans une épaisse branche, au-dessus des dernières marches brisées. Son épaule le lançait encore d'avoir servi elle aussi de point d'accroche, mais il se renfrogna en silence alors que la chaîne se rétractait et hisse Link à l'entrée du Temple.

- T'as besoin d'un coup de main ou tu restes à prendre racine ?

Pour toute réponse, Kazel s'élança à toute allure contre l'arbre sur lequel s'était tracté le héros, et avec encore plus d'aisance que les Gerudos, il escalada le tronc au pas de course, se retournant lorsqu'il manqua d'élan pour sauter et s'accrocher à la plate-forme, avant de se hisser à la force des bras. Une fois debout à côté de son némésis, le rôdeur épousseta son manteau d'un geste sec.

- La prochaine fois, tu pouvais juste dire "oui" au lieu de faire le malin, l'acrobate.
- T'as ta méthode, j'ai la mienne. Maintenant, allons chercher ta copine.

Chapitre 9 : A la poursuite d'un fantôme   up

Les deux bretteurs s'avancèrent dans l'enceinte des hautes murailles, dont les tours interminables et les herbes folles masquaient même le ciel, projetant une ombre sur tout le domaine. L'assassin restait à l'affût, méfiant ici comme n'importe où dans cette forêt maudite, alors que Link paraissait distrait, peut-être nostalgique.

- Tu devrais dire à ta copine de faire un peu de ménage, railla Kazel en constatant l'état du château. Même chez moi ce n'est pas aussi sauvage.
- Hé bien puisque tu as de l'énergie à revendre, pourquoi tu n'irais pas filer un coup de main pour désherber ?
- C'est le château de ta copine, pas de la mienne.

L'encapuchonné nota que son rival ne démentait pas sa provocation, bien qu'il le pensait en ménage avec la fermière. Dans le même temps, l'ancien héros dressa un sourcil en s'interrogeant sur le sens caché derrière les moqueries de Kazel. Lorsqu'ils eurent dépassé la moitié de l'entrée, l'épéiste noir sentit un mouvement, une présence derrière eux. Cela devenait habituel dans cette satanée forêt, mais comme à chaque fois il se retourna et découvrit deux Lobos en train de les prendre à revers.

- Derrière ! s'écria-t-il en tirant sa longue épée.

Il se jeta de côté pour éviter un violent coup de patte qui aurait pu l'éventrer, et abattit sa lame dans le même temps. La bête se baissa à ras du sol et évita la riposte, pourtant rapide, avant de braquer un regard sauvage droit sur Kazel. Alerté à temps par son partenaire d'infortune, Link avait tout juste commencé à se retourner lorsque le second loup se jeta sur lui. Il eut à peine le temps de saisir son bouclier et de le lever pour éviter que la créature ne lui plante ses crocs dans la gorge, mais ne put l'éviter et le Lobos le renversa à terre. Lorsque l'assassin affronta le regard du monstre, il en tira une impression terriblement familière. Cette chose se voulait être un loup, mais il n'y avait aucune animalité dans ses yeux qui luisaient d'un jaune malveillant. Ce n'était pas un animal qui défendait son territoire ou mettait sa vie en jeu pour manger... ce n'était qu'un monstre, un démon même, qui tentait de les tuer pour la seule et unique raison qu'il avait enfin l'occasion d'éteindre une vie. Cette créature était une abomination, une insulte à tout ce qui respire. Comme toutes celles qui pullulaient dans sa patrie.

Une violente haine l'envahit et Kazel prit l'initiative. Jouant de sa meilleure allonge, il frappa de taille pour le couper en deux, mais le Lobos esquiva d'un salto arrière qui le laissa perplexe... avant de le conforter dans son intuition que cette créature n'avait rien de normal. Aucun animal ne pratique de telles acrobaties. Le loup aux mâchoires hypertrophiées, dégoulinantes d'une bave dont l'odeur agressait les narines, s'élança à quatre pattes pour l'attaquer. Rapide, se dit Kazel, plus d'un soldat aurait du mal à le suivre. Hélas pour le fauve, le bretteur noir n'était pas un simple guerrier. Il feignit une attaque puissante, ouvrant largement sa garde pour que la bête se rue sur lui, tous crocs dehors en écumant de frénésie, puis inversa son mouvement pour envoyer une frappe rapide par le bas. Mais au lieu d'ouvrir le Lobos en deux comme il l'escomptait, le monstre se hissa sur ses pattes postérieures et esquiva le coup. Le rôdeur remarqua que le faux-canidé était bien plus grand que n'importe quel homme, ainsi debout, juste avant que la bête ne le frappe de ses griffes démesurées. Par la gauche, puis la droite.

La première frôla le manteau de Kazel mais l'assassin esquiva facilement la seconde en se fendant par-dessous, avant de pivoter pour enchaîner sur une puissante attaque circulaire. Même si le Lobos faisait un nouveau salto, il était trop près pour esquiver et il y laisserait au moins une patte. Sauf que le loup n'esquiva pas. Il se replia sur une position défensive, levant ses bras couverts d'une fourrure d'acier devant lui et encaissa la lourde épée qui ripa vers le haut, pour la plus grande surprise du bretteur.
Il ne dut son salut qu'à ses fantastiques réflexes. Profitant de sa stupeur, le Lobos était repassé à l'attaque. Frappe gauche, frappe droite, avec tant de force que Kazel doutait même de pouvoir parer efficacement les coups et préféra bondir en arrière pour mettre une distance prudente entre lui et le monstre.

- Laisse-le frapper ! lui cria Link, qui avait fini par réussir à se relever et tirait son épée. Ils sont vulnérables après leurs attaques ! Ourf !

L'autre Lobos venait de le charger comme un bélier, le projetant plusieurs mètres en arrière mais le héros se réceptionna en roulant et se remit rapidement sur pieds. Il portait les traces de coups de griffes, au bras gauche, à la cuisse et au visage, mais connaissant sa résilience surnaturelle, Kazel ne se fit pas de mouron. Il appliqua plutôt le conseil de l'ex-Kokiri, en notant qu'effectivement le loup frappait terriblement fort... mais ce faisant baissait dangereusement sa garde. Changeant de posture, l'assassin provoqua son monstre. S'il restait à distance, il lui portait un coup d'estoc avant de se replier et veillait à toujours lui faire face, tout en gardant le second loup dans un coin de son champ de vision.

Le Lobos s'avança après une de ses frappes de la pointe et l'attaqua par la gauche. Mais lorsque Kazel para le coup tout en reprenant un peu d'espace, la bête recula au lieu d'enchaîner, et le bretteur commença à comprendre le fonctionnement primitif de ce monstre. Il recommença à le provoquer, jusqu'à ce qu'il attaque de nouveau. Gauche, et le monstre frappa par la gauche. Il esquiva de peu le coup, restant près pour offrir une cible tentante. Puis droite, et voici le coup de patte. Kazel se jeta en arrière en ramenant déjà son épée à hauteur d'épaule. Il sentit les griffes de la bête emporter un bout de cape, mais n'en avait cure. Et comme promis, le Lobos se dévoilait totalement. Emporté par son élan, la créature exposait largement son flanc et l'assassin ne laissa pas passer sa chance de lui porter un terrible coup de taille qui s'enfonça dans la poitrine du loup qui se cambra, alors que Kazel manquait de le fendre comme une bûche.

L'hideuse bête poussa un hurlement déchirant dont l'écho s'étouffa heureusement dans les herbes folles, avant que son corps brisé ne s'embrase de flammes bleues, et qu'en l'espace de quelques secondes la terrible créature ne soit plus qu'un souvenir, consumé par un quelconque maléfice qui acheva de convaincre Kazel qu'ils étaient bel et bien des démons, ou quoique ce soit de similaire. Une poignée de battements de coeur après, un second cri d'agonie envahit le sanctuaire et le bretteur put voir - avant que les flammes bleues ne dévorent le Lobos - que Link avait opté pour une stratégie plus "rentre-dedans". Levant son bouclier, il avait chargé le monstre pour ouvrir de force sa garde, et avait exploité l'avantage d'une épée plus maniable pour passer sous la défense du loup et lui transpercer la poitrine, enfonçant sa lame jusqu'à la garde dans son poitrail.

- T'aurais pu prévenir que ta chérie avait des chiens de garde !
- Il n'est pas censé y avoir de monstres ici !
- Hé bien, qu'est-ce que ça devrait être alors ?

Les deux guerriers rangèrent leurs armes, et Link paraissait profondément soucieux. L'assassin l'examina rapidement, l'air de rien, et devina que son trouble était dû bien plus à la présence des Lobos qu'aux blessures subies. Elles saignaient encore, maculant ses vêtements de rouge, mais ne représentaient pas grand-chose pour sa fantastique résistance. Peu après, ils atteignirent la porte qui donnait sur l'intérieur de l'antique château. Il leur fallait d'abord traverser un long corridor, qui n'avait rien de particulier sinon l'incroyable prolifération de lierres et lianes du sol au plafond, et l'imposante Skulltulas à mi-chemin. L'ancien héros marmonna un juron en l'apercevant.

- Ce n'est pas pour te vexer, mais il faut vraiment qu'elle fasse le ménage plus souvent...
- Va te faire... tss.
Link commença à tirer son grappin de sa ceinture, mais son rival l'interrompit en posant la main sur son bras, dégainant son épée de l'autre main.
- Je m'en occupe, je veux vérifier quelque chose.

Agacé par cette perte de temps, le héros sachant très bien que la carapace dorsale des Skulltulas pouvait dévier n'importe quelle lame - même celles forgées par Biggoron ! - mais était aisément traversée par son grappin, Link laissa cependant l'encapuchonné faire, curieux. Celui-ci retourna son épée, la saisissant comme un javelot, et prenant son élan la projeta avec une force inouïe à travers le couloir, tant et si bien qu'elle transperça l'exosquelette en forme de crâne de l'araignée qui poussa un cri ignoble avant de tomber au sol. Peu après, des flammes l'enveloppèrent elle aussi, et du monstre ne resta bientôt que la terrible épée qui l'avait occis. Face à une telle prouesse, Link resta bouche bée. Il savait que Kazel était doté d'une force phénoménale, mais rien ne rappelait plus sa dangerosité extrême que ce genre d'exploits.

- Ferme la bouche, lui lança l'assassin en allant ramasser son arme. Tu vas gober des mouches.
- La carapace des Skulltulas est censée être presque impénétrable... comment tu as fait ça ?
- "Presque" était le mot magique.

L'argument ne convainquit guère le héros déchu. Jusqu'à aujourd'hui, les seules armes qu'il avait trouvées pour pénétrer la coquille macabre des araignées étaient son arc - qu'il avait perdu en fuyant le palais, après avoir échoué à arrêter Kazel et ses sbires - et son grappin. Même le souffle d'une de ses bombes était impuissant. Le Gerudo blond était convaincu que la Masse des Titans pouvait aisément briser leur carapace... mais les monstres octopodes le repoussaient toujours avant que le puissant marteau ne puisse les toucher. Alors jamais il n'aurait cru qu'un lancer d'épée pouvait les tuer.

- Et puis, toi aussi tu peux en faire autant avec ça, non ?

Kazel pointa du doigt les Gantelets d'Argent du héros, parfaitement conscient que c'étaient eux qui lui conféraient sa force surhumaine, mais Link secoua la tête. Il ignorait quelle était la source du pouvoir de son rival, mais elle surclassait largement ses gants magiques.

- Non. Si j'essayais, mon arme ricocherait sur la carapace.
- Je ne te pensais pas aussi mauvais alors. J'ai encore plus honte d'être coincé ici à cause de toi.
- Espèce de !
La stupeur laissa bien vite place à la rancune, et l'ancien Kokiri faillit cogner l'assassin. Cependant, deux problèmes bien plus graves le préoccupaient.
- Dépêche-toi, au lieu de jouer avec les bestioles.

Les deux guerriers eurent tôt fait de traverser le reste du corridor, et de pénétrer dans la grande place du château, une vaste et sinistre salle dont le plafond s'élevait à plus de vingt mètres, et dont les murs épais étaient fait d'une roche sombre qui jetait un voile angoissant sur les lieux. Plusieurs balcons, en plus du leur, donnaient accès à d'autres ailes du domaine, et deux profondes alcôves débouchaient directement sur le parc. En face, un escalier étroit permettait d'accéder à des couloirs plus intimes, où les premiers propriétaires du château devaient aimer se promener pour réfléchir en paix.

Au centre de la pièce, quatre flambeaux d'or et de vieux bronze étaient disposés en angles, bien que le sens des décorations se soit perdu avec le temps. Link constata avec un sentiment amer que les flambeaux brûlaient, chacun d'une lueur différente, comme autrefois lorsqu'il avait vaincu les quatre esprits majeurs qui hantaient le château. Il aurait dû se sentir soulagé de ne pas devoir traquer une fois de plus des ennemis qu'il avait déjà abattus par le passé, d'autant plus que le domaine était immense... mais ce ne fut pas le cas. Quelque chose d'anormal se passait ici, le héros craignait de plus en plus pour sa vieille amie. Au centre du carré formé par les antiques torches, se tenait une étrange cabine, à peine assez grande pour que deux Link s'y tiennent côte à côte, et encore en se serrant un peu, et bien qu'il ne sache pas ce qu'elle était, même Kazel eut un étrange pressentiment en l'apercevant.

- Je m'attendais quand même à un accueil plus chaleureux.
- Si je te mets ma main dans la trogne, ça te réchauffera ?
- J'en doute. C'est quoi ce machin ?

Ils descendirent l'escalier de leur balcon et s'approchèrent du carré aux flambeaux. Link ne put s'empêcher de garder un oeil dessus, alors que sa main se tenait prête à saisir son épée. Il angoissait à l'idée de voir les flammes s'éteindre subitement, et de ce que ça signifierait... mais rien ne se passa.
Il n'y avait que l'étrange aura qui émanait de la cabine et qui semblait les appeler. Du moins, une de plus, car le château tout entier regorgeait d'émanations intangibles, comme si les pierres elles-mêmes étaient animées d'une conscience propre et surveillaient leur progression. Kazel ne dit rien à ce sujet, mais il en avait la chair de poule. Bien plus sensible que l'ancien héros, dont la finesse des sens n'était pourtant plus à prouver, le temple de la forêt lui faisait l'effet d'une gueule monstrueuse grande ouverte à l'envers, qui n'attendait que de les engloutir. Et la cabine ressemblait bien trop à une glotte, lorsqu'il se faisait cette comparaison.

- C'est un élévateur, expliqua finalement Link, il mène au coeur même du château, à l'endroit où j'ai autrefois vaincu le spectre de Ganondorf qui faisait de ce sanctuaire un temple du mal.

Le Gerudo blond nota que son compagnon se crispa au nom du seigneur des ténèbres, mais préféra ne rien dire. Pour sa part, Kazel ne trouva pas rassurante l'idée de s'enfoncer plus profondément dans ce sinistre temple, sans compter le risque de devoir se battre contre des fantômes, mais il n'avait pas le choix. Il suivit Link dans la cabine, qui commença à descendre dans les entrailles du château abandonné. L'assassin préféra se dire qu'il ne remarquait pas l'absence de mécanisme, ni chaîne, ni cliquetis ni rien, pour déplacer l'élévateur et ouvrit l'oeil alors qu'ils arrivaient dans une nouvelle pièce arrondie, aux murs lisses et percés d'ouvertures larges comme trois hommes.

- Hmm... vers la droite ou la gauche ?
- Comment ?
- Ces murs, dit Link en les pointant du doigt, forment un anneau mobile. En le faisant tourner, on ouvre un accès à certaines salles, ou le ferme.

Kazel se rapprocha de la paroi, sceptique, mais après une observation plus attentive il remarqua que la pierre était moins dense qu'il ne le pensait, et quelques rainures au sol témoignaient du déplacement des murs. Toutefois l'assassin avait un doute, et s'accroupit pour passer ses doigts au sol.

- Quelqu'un s'en servi il y a peu de temps alors. Le château est abandonné depuis si longtemps que les araignées sont plus grandes que nous...
- C'est pas bientôt fini les vannes ?
- Pourtant, il n'y a pas beaucoup de poussière sur les rainures. Beaucoup moins que ce à quoi je m'attendais.

Le jeune Hylien se rapprocha pour réaliser que le bretteur disait vrai. Même à l'étage au-dessus, les balustrades étaient recouvertes d'une pellicule grise assez épaisse, et ne serait-ce que dans cette pièce le sol et les alcôves étaient mouchetées de poussière... mais pas la base de l'anneau.

- Aide-moi à le faire tourner.
- Pourquoi, t'es pas fichu de le faire tout seul ?
- Si, mais je ne te laisserai pas glander dans ton coin. Ramène-toi.
- Pff... bon, à droite ou à gauche ?
- Je ne me souviens plus, alors on va le faire tourner jusqu'à ce que je dise stop.
- Tu sers vraiment à rien...

Plutôt que l'injurier copieusement, Link le conduisit jusqu'à l'un des pans dépassant de l'anneau et qui servaient de levier. Il décompta jusqu'à trois, puis ils commencèrent à pousser. En dépit de sa masse impressionnante, la muraille était aisée à déplacer, en particulier pour deux hommes dotés d'une force augmentée. Dans un roulement sourd, qui résonnait lourdement à travers la roche comme le ronflement de quelque bête colossale, l'anneau minéral pivota d'un cran, s'enclenchant avec un claquement retentissant dans sa nouvelle position. Mais ce n'était pas la bonne, et Link secoua la tête avant de recommencer à pousser. Après quelques essais, le héros déclara enfin stop et ils purent entrer dans le couloir caché, dont les dimensions étaient stupéfiantes pour une pièce secrète. Une gigantesque porte de bois bleue et barrée de fer les attendait au bout du corridor, et une profonde appréhension gagna les deux guerriers tandis qu'ils avançaient.

- Donc ta copine devrait être là derrière ?
- Peut-être, du moins j'imagine que c'est ici qu'on a le plus de chance de la trouver.

Tirant un peu plus sa capuche sur son visage, Kazel ne dit rien à propos de la nervosité extrême du blondinet. Depuis l'enlèvement de Zelda, et à juste titre, Link était très tendu... mais l'assassin ne l'avait encore jamais vu aussi anxieux.

- Pourquoi as-tu été si surpris de trouver des monstres dans un tel endroit ?
- Ce château est un sanctuaire, un temple sacré et protégé par l'un des Sages. Aucune force maléfique n'est censée pouvoir y prendre pied.
- Ça sent l'arnaque ton histoire. Entre l'état de ton "sanctuaire" et toutes les présences hostiles que je ressens, j'aurais plutôt tendance à penser que le château attire les monstres.
- C'est bien le problème. A l'époque, il était bel et bien infesté de créatures maléfiques... mais parce que les Sages avaient été dispersés, scellés, et car Ganondorf lui-même avait veillé à corrompre les lieux.
Kazel tiqua à nouveau au nom du roi des voleurs, mais le héros ne releva pas.
- Mais depuis que je l'ai vaincu, et que j'ai réveillé les sages, le temple de la forêt est censé être sûr, et exempt de tout monstre.
- Il y a un truc qui tourne pas rond, quoi.

Hochant la tête, Link poussa la grande porte lourdement fortifiée et ils s'aventurèrent dans le coeur du château. Ici, dans cette salle hexagonale ils trouvèrent une grande chapelle mais il n'y avait aucun vitrail élégant et la lumière du jour n'y pénétrerait jamais. Une estrade se dressait devant eux, haute de près de six mètres, et un escalier sur leur droite leur permettait d'y accéder. Mais à peine eurent-ils passé la porte qu'une sensation de danger imminent gagna Kazel. Un coup d'oeil sur son compagnon inquiet lui apprit qu'il ne partageait pas son pressentiment, alors qu'il commençait à grimper les marches. La seule atmosphère de cette étrange salle était étouffante, et l'air vicié qui y circulait n'en était pas le seul responsable. L'assassin la percevait comme si elle maculait le moindre espace. Une énergie malveillante imprégnait la pièce toute entière. Le sol, les murs, même les cordons qui entouraient l'estrade et l'oxygène lui-même puaient la magie noire, à tel point que Kazel se demandait à quel point l'Hylien qui le devançait avait le nez bouché pour ne pas s'en rendre compte. Sans parler des tableaux. Ces gigantesques toiles, qui représentaient un immense château décrépi en arrière-fond sous un ciel nocturne, au bout d'un chemin tortueux encadré par des arbres morts aux branches crochues.

Kazel remarqua désagréablement que les six tableaux qui ornaient la salle étaient tous strictement identiques... et l'idée qu'ils représentent le château où ils se trouvaient en ce moment même fit encore monter d'un cran sa nervosité. Ils atteignirent bientôt le plateau de l'estrade, surface plane décorée d'un tapis rond très ésotérique. En son centre était brodée la Triforce, entourée d'un anneau barré par six traits perpendiculaires. Dans l'espace formé par les traits, un triangle pointait vers chaque tableau. Sur tout le tour du tapis était écrit un texte en vieil hylien, mais sous cet angle il était impossible de le lire.
Mais le tapis n'était pas ce qui attira leur attention. Sur la Triforce de la draperie, une femme aux cheveux verts était agenouillée, vêtue d'une longue robe noire comme une nuit sans lune, fendue sur les côtés jusqu'aux hanches. Brodés au fil d'argent, des motifs aussi délicats que complexes couraient le long de la fine soie.

- Sa... Saria ?

Comme si elle remarquait seulement leur présence, la demoiselle se releva avant de leur faire face. C'était une jeune femme, à première vue du même âge que Link, avec un visage allongé aux traits fins. Elle avait de grands yeux d'un bleu merveilleux, qui ressemblaient beaucoup à ceux du Héros du Temps mais avec une touche plus féminine. Ses cheveux se recourbaient sur son épaule du côté droit, dissimulant une de ses oreilles pointues, tandis qu'une broche taillée dans de l'onyx les tenait relevés sur la gauche. De face, sa robe ne laissait aucun doute quant à sa féminité. La jeune femme était menue, délicate sous tous les aspects de sa silhouette, mais l'étoffe qui l'enveloppait sublimait ses atours discrets. Sans aucun doute possible, elle était belle. Douloureusement belle.

- Bonjour, Link, dit-elle d'une voix délicieusement douce.

Elle leur sourit tour à tour, illuminant son merveilleux visage du bout de ses lèvres tout juste rosées qui donnaient envie d'y goûter. Si l'Hylien paraissait tomber sous le charme, ou une confusion que l'assassin craignait de comprendre, Kazel en revanche fut frappé d'un avertissement horriblement répulsif.

- Mais... tu... tu as... tu es...
- Magnifique ? minauda-t-elle d'un air joueur.
- Hé bien... oui, oui c'est vrai, mais... tu es adulte !

Saria gloussa, puis s'avança d'une démarche légère, la soie fine de sa robe, si légère qu'elle en devenait translucide sur les extrémités, glissait sans un bruit sur le sol. Ce seul mouvement mit Kazel sur la défensive, si bien qu'il dut se faire violence pour ne pas l'attaquer sur-le-champ.

- Et ça me va bien, tu ne trouves pas ? demanda-t-elle en faisait un tour sur elle-même.
- Si, bien sûr, répondit-il Link, complètement perdu. Mais... comment est-ce possible ? Tu es une Kokiri, tu ne peux pas grandir !
- C'est vrai, mais je suis plus qu'une Kokiri mon cher. Je suis un Sage, tu as oublié ? Et il se trouve que cela m'accorde quelques pouvoirs... me permettant notamment de changer cette apparence juvénile, qui me décrédibilisait. Sur ces mots, Link reprit ses esprits, s'étonnant d'une telle déclaration.
- Que veux-tu dire ? Tu as eu des problèmes avec les autres Sages ?
- Non, pas vraiment. Tu sais comment ils sont, mais... j'étais la seule à être une enfant. Toi et Zelda avez grandi, Ruto aussi... et moi, j'étais condamnée à rester une gamine, une petite chose énigmatique, habillée comme un lutin des contes anciens.
- Je ne pensais pas que ça pouvait te faire soucis...
- Et ça ne devrait pas... Tu as toujours été entouré de femmes magnifiques, la princesse Zelda, Nabooru, Malon... et tant d'autres. Moi aussi j'avais envie de pouvoir te plaire.
Touché, et également confus d'une telle déclaration, le héros hésita quelques instants avant d'avancer vers sa vieille amie.
- Tu n'as pas besoin de te métamorphoser pour que je te trouve belle, Saria.
- Mais ma nouvelle apparence ne te déplaît pas, n'est-ce pas ?
- Ce serait mentir que de prétendre le contraire.
L'ancienne Kokiri gloussa à nouveau, dissimulant ses fines lèvres derrière ses doigts graciles.
- Et puis, ce nouveau corps est tellement plus pratique pour... certaines choses.
- Oh, euh...
Elle s'amusa d'autant plus lorsque le héros rougit jusqu'à la pointe des oreilles avant de détourner le regard, ne sachant vraisemblablement plus où se mettre, alors que Kazel roula des yeux.
- Ce n'est pas possible d'être neuneu à ce point, l'Hylien ! Qu'est-ce qu'il te faut de plus pour que tu comprennes ?
- Qui est ton ami, Link ?
- La ferme, Kazel. Et ce n'est pas mon ami, c'est...

L'assassin le coupa dans sa phrase d'une tape à l'arrière du crâne. Lui ne se laissait pas distraire par les artifices du Sage en noir, et remarqua que son expression avait changé. Sous son sourire de façade, il devinait sa cruauté cachée.

- Espèce d'abruti, je te rappelle que l'anneau de pierre était fermé quand on est arrivés.
- On est au temple de la forêt, et elle en est la gardienne ! Elle doit sûrement avoir un truc pour s'y déplacer bien plus librement que nous.
- Comment tu as pu survivre si longtemps en étant aussi naïf ? Elle ressemble à ta copine, te drague un peu, et ça y est, tu es prêt à gober tout ce qu'elle te dira ? Ouvre les yeux, crétin.
Estimant qu'ils avaient perdu bien trop de temps, Kazel tira sa longue épée, mais le héros s'interposa entre lui et le Sage en dégainant ses propres armes.
- N'y pense même pas, Kazel.
- Pourtant il a raison, stupide héros.
- Quoi ?

Vif comme l'éclair, l'assassin réagit à l'instant même où Saria bougea. Il saisit Link par la tunique, et le tira à lui, l'éloignant de la jeune femme en noir dont la main s'était changée en lame noire. Les dentelures de l'arme lui griffèrent les côtes, mais sans causer de réels dommages.

- Mais... Saria ?
- Kazel, c'est ça ? Tu as de bons réflexes... enfin, c'est dommage pour vous, ça ne fera que prolonger votre agonie.
- Qu'est-ce qui te prend, Saria ? Que t'est-il arrivé ?
Le Sage éclata d'un rire cruel, avant de s'élever dans les airs, rappelant un terrible souvenir à l'Hylien.
- Tu étais bien plus perspicace lors de notre dernière rencontre, héros !
- Non... tu ne peux pas être...
- Hé bien, maintenant tu sais pourquoi les monstres sont revenus, grommela le rôdeur.

Flottant librement à plusieurs mètres du sol, Saria s'allongea dans les airs et souleva le bas de sa robe en ricanant, offrant une vue qui fit rougir de colère le Héros du Temps à l'idée qu'un monstre puisse corrompre le corps de son amie. Kazel resta insensible à ses charmes et se concentra à la recherche d'une idée pour faire descendre leur adversaire. Mais contrairement aux rares monstres ailés qu'il avait déjà affrontés, le Sage ne semblait pas avoir besoin de se poser. Elle éclata d'un rire jubilatoire lorsqu'elle tendit la main. Une hallebarde sinistre y apparut dans un nuage de fumée et elle commença à la faire tournoyer avec habilité. Chaque extrémité de l'arme d'hast était équipée d'une lame, la rendant deux fois plus dangereuse.

- Tu es bonne pour le cirque, sorcière. Maintenant descends, que je te descende tout court.
- Tu es courageux, pour quelqu'un qui cache son visage, rétorqua la magnifique démone aux cheveux verts. Sois brave, et meurs le premier !

Elle plongea depuis les airs pour l'embrocher. L'assassin détourna sa lance du plat de la lame et abattit immédiatement son épée dans une riposte experte. Pourtant, son ennemie échappa au pire lorsque Link para le coup pour elle. Profitant de l'opportunité en or, bien qu'inattendue, le Sage en noir frappa de sa deuxième lame le Héros du temps qui ne pouvait se défendre, et sans la bénédiction des Déesses lui aurait fait mordre la poussière sur le coup. Furieux, Kazel essaya de repousser l'Hylien paralysé par sa blessure d'un coup d'épaule et dut frapper de taille en ne tenant son épée que d'une main. Mais le bretteur blond revint pourtant à la charge et interposa son bouclier pour sauver la sorcière qui éclata de rire avant de frapper de la droite et la gauche les deux épéistes.

L'encapuchonné bloquait les assauts avec brio, mais chaque tentative de riposte était gênée par le héros qui n'hésitait pas à tourner le dos à Saria pour l'empêcher d'attaquer. Le Gerudo changeait sans cesse de position, faisant volte-face à chaque seconde pour lutter contre la double lance du Sage et les coups brutaux de l'assassin. Mais même l'élu des déesses ne pouvait affronter deux guerriers d'un tel niveau en même temps. La hallebarde tournoyante du Sage l'entailla plusieurs fois, lui faisant ployer le genou lorsque le fer enchanté déchira sa chair une quatrième fois et que son bras droit était engourdi jusqu'à l'épaule à force de bloquer l'espadon de Kazel. Furieux, l'assassin finit par devoir feinter son propre allié - du moins pensait-il qu'ils l'étaient - pour le faire s'exposer et pouvoir lui décocher un violent coup de poing qui le fit tomber. Jubilant encore, Saria profita de l'opportunité pour le frapper à l'abdomen. Il se contorsionna pour limiter les dégâts, mais la hallebarde creusa malgré tout un sillon sanglant dans son ventre avant qu'il ne puisse bondir ensuite en arrière en frappant par réflexe. Saria l'esquiva en s'élevant dans les airs, riant à gorge déployée.

- A quoi tu joues, triple idiot !?
- C'est Saria ! Je ne peux pas te laisser la blesser.

La sorcière plongea de nouveau, faisant virevolter sa double lame. Kazel bondit pour lui échapper, mais affaibli par ses blessures, Link était contraint de se replier derrière son bouclier, Elle frappa, sans causer de dommage, avant de reprendre de la hauteur pour les toiser avec mépris.

- Donne-moi une bonne raison de ne pas vous pourfendre tous les deux ! ordonna l'assassin en pointant sa grande lame sur le héros.
- Elle est mon amie, et la gardienne du Temple, imbécile !

Leur échange fut interrompu par un nouvel assaut de la démone aux cheveux verts, qui tenta de les faucher de sa double hallebarde, sans causer de dommages significatifs avant de reprendre les airs.

- Gardienne de mes fesses ! C'est toi même qui disait y'a pas dix minutes qu'il n'était pas censé y avoir de monstres ici !
- Sois poli, le noiraud ! cria la sorcière.
- Elle est possédée par un spectre ! Si on la délivre, tout reviendra à la normale ici.
- Et qu'est-ce que tu veux que ça me fou... woah !

Saria, comprenant que ses ennemis ne pouvaient pas riposter, tentait désormais des attaques débridées. N'ayant pas besoin de se défendre, elle pouvait frapper comme une furie. Kazel était un fantastique bretteur, mais même lui ne pouvait pas simplement subir un tel ouragan de violence. Il fallait qu'il brise son assaut. L'assassin para une frappe haute puis renversa son épée à l'envers pour bloquer la seconde tête de la hallebarde. La sorcière projeta ensuite sa lance vers la jambe de l'épéiste pour réduire sa mobilité, mais il la replia pour esquiver le coup et projeta son pied dans le visage du Sage qui tituba en arrière, avant de s'envoler à nouveau et de s'essuyer le nez. Un mince filet de sang en coulait, et énervait la Kokiri possédée.

- Attention Kazel ! C'est elle qui doit nous aider à trouver une solution.
- Génial, pesta l'assassin. Et comment on l'exorcise ?
- Euh... aucune idée.
- Mais tu sers vraiment à rien !

Le Sage attaqua cette fois Link, qui bien que blessé repoussa avec brio la double lance grâce à son bouclier. Kazel vint à sa rescousse avant qu'elle ne le jette de l'estrade. Elle lui envoya une estocade en arrière, mais au lieu de la parer, l'assassin se déporta sur le côté et attrapa la hallebarde pour la tirer à lui. Puisqu'il ne pouvait pas l'occire, il allait l'assommer. Kazel se glissa dans son dos et passa le bras autour de sa gorge pour l'étrangler, se demandant brièvement quelle était la résistance d'un Sage possédée par un démon. Il n'eut pas le temps d'obtenir une réponse. Saria dématérialisa son arme pour la faire réapparaître sous la forme d'un long couteau pour le frapper avec. Il jura et dut lâcher prise pour s'éloigner d'un bond, lui permettant de s'envoler à nouveau en retransformant sa lance.

- C'est quand tu veux pour faire un truc, l'Hylien !
- Attention !

Comme l'assassin, Saria avait changé de plan. Au lieu de fondre depuis les airs et de s'exposer aux ruses du bretteur en noir, elle fit tournoyer sa hallebarde qui s'illumina d'énergie et projeta une boule de foudre sur Kazel. Pris de court par l'attaque magique, il tenta de lever sa lourde épée pour se défendre mais le projectile la traversa sans même ralentir, frappant de plein fouet l'encapuchonné. La violente explosion, couronnée d'éclairs, lui fit lâcher son arme et le souleva du sol pour le projeter plusieurs mètres en arrière. Kazel fit de son mieux pour se réceptionner en roulant, mais la plate-forme était étroite et il tomba dans le vide. Il tenta de s'accrocher au rebord, mais l'attaque l'avait engourdi, ralentissant ses gestes, et ses doigts ne parvinrent pas à saisir la prise avant qu'il ne glisse de l'estrade.
Enfin débarrassée de ce gêneur, la sorcière sourit.

- Un de moins. Maintenant à ton tour, mon mignon.
- Essaye donc. Tu ne seras pas le premier spectre que je terrasse !

Le Sage fit de nouveau tourbillonner sa lance, qui irradia à nouveau une sinistre lumière. Mais contrairement à son compagnon, Link avait déjà affronté de telles attaques et savait comment les contrer. Bien loin de les craindre, il était prêt à parier qu'en les renvoyant à l'envoyeur, il forcerait le spectre du Mal à quitter le corps de son amie. Cependant, l'ancien héros avait négligé un détail. Saria lui projeta une nouvelle boule de foudre en jubilant. L'Hylien resta calme, minutant soigneusement son coup pour frapper le projectile magique pour le retourner à la sorcière. Mais au moment de l'impact, le sortilège enveloppa l'épée du jeune homme. L'air se mit à crépiter autour de l'arme avant de la faire exploser. L'onde de choc renversa Link, qui se maudit d'avoir oublié qu'il ne maniait plus une lame sacrée mais une arme tout ce qu'il y a de plus banal. Au moins, il n'avait pas subi plus de dommages et le héros eut tôt fait de se remettre sur pieds d'un bond, ce qui n'empêcha pas la sorcière de se tordre de rire en le narguant.

- Vous êtes pathétiques ! Deux petites boules de foudre, et toi et ton copain êtes déjà vaincus.
- Tu ricaneras lorsque tu m'auras réellement battu !
- Ce qui ne devrait pas tarder, petit !

Une fois de plus, la hallebarde se chargea d'énergie. Link abandonna son bouclier et se jeta sur le côté pour esquiver la boule de foudre et rejoindre l'épée de Kazel. Si elle n'avait pas arrêté l'attaque magique, le héros avait remarqué cependant qu'elle n'avait subi aucun dommage contrairement à la sienne. Il s'empara du lourd espadon et le souleva. Sa masse impressionnante ne gênait nullement le jeune guerrier, qui avait l'habitude de manier la Lame de Biggoron d'un calibre similaire et possédait des gants de force. Sa ténacité n'impressionna nullement la sorcière qui s'esclaffa de plus belle.

- Je te croyais plus malin que ça, "héros". Tu n'as pas vu ce qui est arrivé à ton copain ?
- Et si tu attaquais, au lieu de ricaner bêtement ?

Link se mit en garde, la lame légèrement inclinée vers le bas et une main en avant pour la soutenir. Le Sage renifla avec mépris, avant de rassembler son énergie pour lui projeter une boule de foudre plus puissante que les précédentes. Mais contrairement à Kazel, le héros connaissait quelques sortilèges. Il enveloppa le robuste espadon avec sa magie et frappa l'attaque de Saria. Un geyser d'étincelles surnaturelles jaillit de l'impact, et la boule de foudre fut renvoyée à la sorcière. Avec un glapissement de surprise et d'incrédulité, la démone parvint à contre-attaquer à l'aide de sa hallebarde pour réexpédier le projectile. Link exploita l'allonge de sa grande épée, et l'étira plus encore grâce à une attaque cyclone qui projeta sa magie autour de lui et frappa de loin la boule de foudre qui fonça percuter de plein fouet Saria, bien trop proche cette fois pour réagir.

Elle hurla de douleur, deux voix superposées très distinctes s'échappant en même temps de sa gorge alors qu'elle retombait au sol. Des arcs électriques continuaient à crépiter autour du Sage, qui se prit la tête entre les mains et commença à se tordre dans tous les sens en hurlant comme une démente. Bientôt, une seconde silhouette se superposa à la sienne, comme un mauvais calque qui ne lui ressemblait pas. Plus elle s'agitait, plus les deux corps semblaient essayer de s'éloigner l'un de l'autre alors que le duo de voix se désaccordait. Le timbre clair d'une enfant se sépara totalement du ton grave et lointain d'une entité irréelle sous le regard affolé du héros.

Avec un cri déchirant qui retentit dans la sombre chapelle oubliée, le spectre d'un homme imposant en armure noire, coiffé d'un heaume à corne en forme de crâne surgit du corps de la jeune femme, dont la carrure rapetissa à vue d'oeil. D'une séductrice plantureuse, elle redevint une petite Kokiri au charme énigmatique. Son élégante robe, devenue bien trop grande pour elle, tomba au sol dans un froissement d'étoffe presque silencieux. Peu après, Saria s'effondra en haletant péniblement alors que le spectre de Ganondorf stabilisait son vol en reprenant ses esprits.

- Misérable insecte, gronda une voix qui ne connaissait aucun autre sentiment que la haine. Je te ferai connaître mille tourments et tu me supplieras de t'achever pour mettre un terme à ton agonie !
- Je t'attends, démon ! Maintenant que tu es exposé, je n'ai plus à retenir mes coups !

Le monstre invoqua à nouveau son arme, qui prit cette fois la forme d'une lance dotée d'une unique lame, mais à la taille démesurée, comme un témoignage de la force redoutable de son porteur. Il la fit virevolter avec bien plus de violence que ne le faisait le Sage, et Link comprit que la possession empêchait le spectre d'utiliser toute sa puissance. Mais cela ne changeait rien. La lame de Kazel était suffisamment robuste pour encaisser les boules de foudre, et en la renforçant avec sa propre magie, le héros pouvait les renvoyer. Puisqu'il avait déjà vaincu ce spectre autrefois, puis Ganondorf lui-même par la suite, il ne doutait pas un seul instant de l'issue du combat à venir. Jusqu'à ce qu'il devine un sourire des plus vicieux sous le heaume squelette de son ennemi.

- Imbécile.

La boule d'énergie, plus imposante et rayonnante que toutes les autres, fusa en direction de Saria qui reprenait à peine connaissance. Ayant compris trop tard, Link ne pouvait intercepter l'attaque. Il ne pouvait que regarder, impuissant, la redoutable sphère de foudre noire fondre sur sa précieuse amie.
Une ombre surgit depuis le rebord de l'estrade, dans un coin de son champ de vision, et enveloppa le Sage un battement de coeur avant l'impact. La violente explosion et le crépitement des arcs électriques couvrirent presque le terrible cri qui retentit. Quand le flou lumineux se dissipa, le héros découvrit Kazel écroulé sur le côté, à moitié affalé sur Saria, inerte. Sa cape avait à moitié brûlé sous l'attaque, et une fumée à l'odeur de chair calcinée immonde montait depuis son dos. Tout d'abord soulagé de savoir que son amie allait bien, sa petite tête aux cheveux verts s'agitant lentement, Link se sentit bien vite envahi par une rage intense.

- Tss... quel imbécile. Se sacrifier pour cette pitoyable enfant.
- Je te ferai payer ta lâcheté, infâme démon !
- Ha ! Commence par essayer de m'atteindre, misérable insecte !

Le spectre eut tout juste le temps de finir sa phrase qu'une boule de feu le percuta, le prenant par surprise. Une seconde, plus forte, lui fonça dessus juste après mais il la contra. Elle explosa cependant à l'impact, au lieu d'être déviée, bien qu'elle ne causa pas de dommages au spectre-sorcier. Utilisé ainsi, le Feu de Din perdait en puissance mais gagnait une autre utilité. Link profita de la distraction pour prendre de l'élan, planter la longue lame de Kazel dans le sol, et exploitant au maximum les acrobaties des Gerudos et la force fantastique que lui conféraient ses gants de pouvoir, se projeta haut dans les airs sans lâcher son épée.

En plein vol, il frappa de toutes ses forces la création du seigneur du mal, fracassant son armure et lui arrachant un râle profond en le faisant tomber au sol. Il ne lui donna pas l'occasion de reprendre les airs et le harassa de coups brutaux. Le spectre se défendit de son mieux avec sa lance, piquant de la pointe ou la faisant tournoyer, mais cela ne suffisait pas à endiguer la fureur du héros qui continuait, malgré ses propres blessures, à lui infliger un terrible châtiment. D'un coup de taille, Link le blessa grièvement au bras et réduisit son habilité. Il le frappa ensuite d'un coup de pommeau pour le sonner, ne serait-ce qu'une seconde, et exécuta une attaque cyclone pour trancher profondément dans la chair spectrale de ses jambes.

Fracassé, vaincu, le démon tomba enfin à genoux. Link bondit alors dans les airs, retournant la lourde épée pointe vers le bas, et avec un cri perçant l'enfonça avec tant de violence dans la gorge du spectre qu'elle le traversa de part en part et se planta dans le sol. Le faux-Ganondorf émit un gargouillis répugnant en portant la main à la lame qui le transperçait, ses yeux rouges fixant avec une haine farouche le Héros du Temps. Refusant d'accepter sa défaite, il saisit le guerrier blond par le col, dans un dernier geste de défi. Mais bientôt, les flammes bleues commencèrent à le ronger.

La dernière fois, Ganondorf avait banni le spectre dans une autre dimension pour le punir. Le seigneur des ténèbres n'étant plus, son double aussi maléfique que lui n'avait plus aucun autre destin que l'annihilation totale. Jusqu'à la dernière seconde, Link toisa le spectre. L'azur profond de ses yeux affrontait, sans ciller, les flambeaux rougeoyants de ceux du démon, jusqu'à ce qu'ils ne soient consumés par les flammes spectrales. Du terrible monstre, il ne demeura aucune autre trace qu'une grande épée plantée dans la pierre, comme un mémorial de sa défaite.

Chapitre 10 : Contemplez l'abysse...   up

Le spectre de Ganondorf enfin vaincu, pour toujours, Link se pressa de rejoindre ses compagnons. Le Sage de la forêt paraissait en bonne santé, quoique secouée, mais Kazel demeurait immobile, étendu sur le flanc.

- Comment va-t-il ?
- Mal. Il devrait survivre, mais nous ferions bien de le soigner au plus vite.
- Tu as quelque chose qui pourrait l'aider dans le temple ?
Saria secoua la tête.
- Rien, mais il y a une fontaine aux fées, cachée tout près de l'escalier menant au sanctuaire. Elles auraient tôt fait de le remettre sur pieds.
- Bonne idée, je cours les chercher.

Il s'apprêta à partir, avant de sentir ses joues rosir et de tousser pour masquer sa gêne.

- Euh... tu devrais enfiler quelque chose. Tu vas attraper froid.
- Oh, certes.
Le Sage haussa les épaules en faisant enfin attention à sa nudité.
- Chaque chose en son temps. Il est mourant, dépêche-toi !

Grimaçant à cause de ses propres blessures, Link partit au pas de course, dévalant les marches quatre à quatre. La fontaine aux fées n'était pas loin, mais le bretteur encapuchonné était au plus mal. Il piétina d'impatience dans l'élévateur, mais une fois à l'étage au-dessus, s'élança dans l'aile opposée à l'entrée. Les fées ne pouvaient pas être transportées en dehors de la fontaine, à moins d'avoir un récipient approprié. Le héros fonça récupérer un grand vase, puisqu'il n'avait pas brisé chaque pot rencontré dans cette trame temporelle-ci et retraversa le château en sens inverse, ses blessures le tiraillant douloureusement.

Une fois de plus, il dévala l'escalier du sanctuaire et sauta dans la grotte cachée des fées. Il s'excusa de les déranger, encore, surtout si tôt, mais les supplia d'accepter de l'accompagner car l'un de ses compagnons était mourant. Elles guérirent le héros tandis qu'il s'expliquait, et l'une d'elles se dévoua pour se glisser dans le vase, dont Link remplit le fond avec un peu d'eau de la fontaine. Il retira sa chemise pour en faire un bouchon improvisé, remerciant chaudement ses précieuses amies, et maintenant au mieux de sa forme, piqua un nouveau sprint en direction du château.

Il arriva à bout de souffle, n'en pouvant plus de courir comme un dératé, dans les dernières marches de l'escalier de la chapelle où gisait Kazel, et entendit la voix de Saria lorsque les battements frénétiques de son coeur ne lui bouchaient pas les oreilles.

- Je sais aussi où vous pourrez trouver les informations dont vous aurez besoin, disait-elle d'un ton grave. Mais... ça ne va pas te plaire.
- Tant mieux, ironisa l'assassin qui s'était assis. Ce serait dommage que mon séjour ici ne devienne agréable.
- On dirait que ça va mieux, dis donc, fit Link en finissant de gravir les dernières marches. Je me suis pressé pour rien.
- Tiens, déjà de retour ? grinça Kazel. J'aurais cru que tu te serais vautré dans les marches.

Commençant déjà à regretter de s'être autant pressé, le héros libéra toutefois la fée entourée d'un halo rosé qui commença à tourner autour de l'assassin. Les battements de ses ailes libérèrent une fine poudre qui fit immédiatement effet. En quelques secondes à peine, Kazel commença à se détendre, ses chairs se refermant, cicatrisant mieux qu'elles n'auraient jamais pu le faire naturellement et la douleur disparut. Au bout d'une minute, la luciole se mit à faiblir et peinait à voleter. Link la renferma dans le vase avant qu'il ne lui arrive un mauvais sort alors que l'encapuchonné s'étirait en appréciant de retrouver la santé.

- Je vais la ramener à la fontaine avant qu'il ne soit trop tard.
- Entendu, dit Saria en serrant la robe noire contre elle pour préserver sa pudeur. Je vais remonter avec toi et aller me vêtir, puis nous parlerons de votre prochaine destination.
- On peut te laisser seul un moment, Kazel ?
- Oui. Magne-toi de ramener la fée, idiot.

Le Sage et Link, qui pestait dans sa barbe contre cet insupportable grincheux, le laissèrent alors tandis qu'il finissait de se remettre de sa récente blessure. L'assassin resta assis où il était, guettant à l'ouïe la progression du duo, dont les voix se répercutaient contre les antiques murs du château. Dès qu'il les estima avoir passé l'anneau de pierre et atteint l'élévateur, Kazel se releva et s'approcha de son épée, toujours plantée dans le sol.

- Il ne te reste que peu de temps, tonna-t-il avec agacement. Alors parle ! Tes chuchotements me tapent sur les nerfs.
- Kazel...

Une voix d'outre-tombe émanait de la puissante lame fichée dans la pierre. Elle était encore écrasante malgré le fait que le lien qui la retenait à la réalité s'effilochait un peu plus à chaque seconde, et chargée de haine et de rancune.

- Pourquoi... as-tu aidé le Héros ?
- Il doit vivre, car on a besoin de lui pour un autre plan, bien plus grand que tous ceux que ta pitoyable essence ne peut concevoir.
- Chien insolent ! Ta trahison... ne passera pas... inaperçue.
- Hin ! Quelle trahison ? Tu n'es qu'un spectre raté, un déchet ectoplasmique. Tu as rempli le seul rôle que tu avais à jouer, celui de servir de repère dans ce monde pour ouvrir le portail qui me conduisit à Zelda. Maintenant, on n'a plus besoin de toi.
- Ton arrogance... te tuera. J'attendrai... cet instant... avec impatience.
- J'en doute, puisque tu cesseras bientôt totalement d'exister. Mais sache tout de même que tu m'as été plus utile que prévu, puisque tu m'as fourni le moyen parfait pour gagner la confiance de Link.

Les derniers échos de la voix se perdirent dans l'éther, les bribes de ses mots échappant à toute compréhension, avant que l'épée ne redevienne silencieuse. Kazel récupéra son arme et entreprit de rejoindre ses compagnons à l'étage, en n'éprouvant pour seul regret de l'anéantissement du spectre que la destruction de son manteau d'ombre. Mais pour accomplir sa mission, ce n'était pas si cher payé. Ce n'était qu'une affaire de sentiments personnels, puérils, qu'il eut tôt fait d'étouffer alors qu'il se recomposait le visage grincheux que le héros lui connaissait en montant dans l'élévateur.

Il fit les cent pas autour des flambeaux qui cernaient l'ascenseur, en ne cessant de jeter des coups d'oeil autour de lui. Chaque fois qu'il tournait la tête, Kazel était persuadé de percevoir du mouvement à la périphérie de son champ de vision, ou bien d'entendre quelque chose bouger dans son dos. Mais impossible de trouver quoique ce soit. Peut-être le Temple était-il vraiment hanté après tout. Link fut le premier à revenir, et des émotions contradictoires semblaient se disputer sur son visage lorsqu'il aperçut l'assassin.

- Comment te sens-tu ?
- Bien. Je n'aurais jamais cru qu'une créature aussi petite que cette fée puisse être aussi utile.
- Comme quoi, la taille importe peu.
- Vrai, acquiesça Kazel en écartant les mains. Il suffit de nous regarder après tout.
Pour la première fois, il vit le héros rire. C'était plus un ricanement en vérité, mais il avait réussi à l'amuser, même un peu. Toutefois, Link changea rapidement de sujet.
- Saria me disait tout à l'heure que tu voulais me montrer quelque chose ?
- Pas que je sache, répondit l'assassin en comprenant toutefois ce qu'avait sous-entendu le Sage. Toi, en revanche, tu sembles vouloir me dire quelque chose.
L'Hylien lui fit la moue, ruminant ses pensées au lieu de lui répondre. Il avait quelque chose sur le coeur, mais n'osait pas le formuler. Enfin, après une période d'hésitation, il se jeta à l'eau.
- Ouais... je voulais te remercier d'avoir sauvé Saria.
- Hmpf. Pas de quoi. Elle n'avait pas souhaité se retrouver dans une telle situation.
- Comme Zelda ?
Link ne put pas s'empêcher de lancer une pique, et se mordit aussitôt la joue en se morigénant. L'encapuchonné lui renvoya une grimace depuis l'ombre de sa capuche.
- Je te l'ai déjà dit. Si j'avais pu faire autrement, je l'aurais fait. Lorsque j'ai moyen de sauver ou d'épargner une vie, je le fais.
- Hmm... si tu le dis. Mais tout de même, tu as mis ta propre vie en jeu pour sauver celle de Saria.
- J'ai pas trop réfléchi... j'ai vu une gamine effondrée par terre, une créature hostile qui la menaçait... j'ai sauté.

Dans les yeux du héros, Kazel put lire une nouvelle émotion. Auparavant, il n'y avait que de la rancune, voire de la haine, et peut-être un soupçon de jalousie. Elles étaient toujours là, mais désormais un début de respect brillait au fond de ses iris azurés. Avec un nouveau ricanement, Link se fendit d'un sourire en coin.

- Une chance que tu sois un bel idiot alors !
Des piques blessantes, on passait aux provocations presque amicales. Il y avait du progrès. Beau joueur, Kazel se laissa prendre au jeu et désigna son propre pied au héros.
- Tu l'as vu celui-là ?
Mais bien vite l'humour gêné laissa la place au silence. Ils attendirent le retour de Saria et le temps commençait à être long. Dix minutes de plus s'écoulèrent, puis vingt, puis trente. S'impatientant, Kazel finit par rompre le calme morose des lieux.
- Toutes tes copines sont aussi longues à s'habiller ?
- Ça dépend lesquelles, fit le héros en haussant les épaules. Il faut dire que si sa penderie est à l'autre bout du château, elle n'est pas rendue.
- Certes. Il faut cependant croire qu'elle n'a pas de pouvoir spécial pour s'y rendre en un instant.
- Certes, lui retourna Link en grinçant des dents. Ou alors elle tisse elle-même sa tunique... ah non, la revoilà.

Réapparaissant enfin depuis l'une des portes menant au parc, le Sage avait revêtu sa tunique verte et ses vieilles bottines, et leur fit un grand signe de la main en les hélant. Sur l'épaule, elle portait une grande cape noire et une épée dans un fourreau à l'aspect ancien, pour ne pas dire antédiluvien. Il semblait avoir été somptueux à une époque, travaillé pendant sûrement des dizaines et des dizaines d'heures par un maître-artisan... mais l'âge avait effacé les gravures, usé les reliefs et terni son éclat.

- Désolée de vous avoir fait attendre, les garçons.
- Qu'est-ce que c'est que cette épée ? demanda Link.
- C'est pour toi. La tienne a été détruite lors du combat, et nul ne peut accéder à l'épée de légende. Cependant tu ne peux continuer sans une véritable arme.

Elle lui tendit l'épée. Curieux, et peut-être un peu sceptique au premier abord en estimant vaguement l'âge extrême de l'artefact, le héros prit toutefois l'arme et tira la lame de son fourreau pour l'examiner. Tout comme Kazel, il fut surpris par le son incroyablement clair qu'elle produisit, puis par son aspect. Si sa gaine avait subi le passage du temps, l'épée, elle, semblait avoir été forgée la semaine passée. Un peu plus longue que le bras de Link, la lame semblait faite d'or. Épaisse à sa base, la lame s'effilait petit à petit pour se terminer par une longue pointe, caractéristique des armes des temps anciens et conçues pour transpercer de lourdes armures. Une Triforce était gravée, sur chaque face, juste au-dessus de la garde en forme de croix.

Il effectua quelques mouvements avec, pour en éprouver le poids et l'équilibre, et s'étonna qu'une telle relique puisse être en si bon état. Elle était lourde, même d'après ses propres standards, mais ne représenterait pas une gêne pour lui.

- Elle ne vaut pas la Lame Purificatrice, mais entre tes mains elle devrait pouvoir terrasser n'importe quel monstre ou fantôme.
- Elle est ensorcelée ? s'enquit Kazel.
- En effet, afin de pouvoir affronter la magie. Toutefois prends garde, Link. J'ignore dans quelle mesure l'enchantement fait encore effet.
- Peu importe, avec une telle arme je vais pouvoir aller sauver Zelda sans craindre de voir ma lame se briser au beau milieu du combat.

Le héros voulut tester le tranchant de l'épée dorée, qui semblait incroyablement aiguisé. Il grimaça lorsque le fil affûté le surprit en lui entaillant le doigt, alors qu'il l'avait à peine passé dessus. En portant la plaie à sa bouche pour empêcher le sang de couler, Link ne put s'empêcher de jeter un regard vers Kazel, qui comme lui avait compris que la relique passait sans problème à travers la bénédiction de protection que lui avaient octroyée les Déesses.

- Et ça, c'est pour Kazel.

Le Sage s'approcha de l'assassin et lui tendit la cape qu'elle portait sur l'épaule. Son manteau ayant à moitié brûlé, Saria avait jugé plus sage de lui en fournir un nouveau. Kazel déplia l'étoffe et toussa un peu avec la Kokiri lorsqu'un nuage de poussière les enveloppa. Il étudia ensuite sa nouvelle cape avec minutie. Celle-ci ne possédait aucun enchantement, rune ou autre sorcellerie pour augmenter la capacité à se dissimuler de son porteur, contrairement à son vieux linceul d'ombre en lambeaux. Cependant, elle était pesante et très épaisse.

En la tâtant précautionneusement, Kazel découvrit qu'il y avait une double épaisseur, et qu'entre les deux couches de tissu se cachait un maillage métallique. Plus qu'une cape, c'était une véritable armure mobile, qui pourtant ne produisait pas le moindre bruit à moins de la frapper, et encore, l'étoffe étouffait la plus grosse partie des sons. L'assassin n'était pas très familier des cottes de maille, mais il savait que plus le maillage était serré, plus la chemise de métal était efficace. Et si ses doigts ne le trompaient pas, celui de son nouveau manteau était extraordinairement étroit. Beaucoup trop même, se dit-il, pour le poids final.

- En quoi est-il fait ?
- J'avoue n'en avoir aucune idée, dit Saria. C'est un alliage antique, qui a été perdu depuis au moins un millénaire, au bas mot.
- Au bas mot... je vois.

Depuis sa capuche, Kazel jeta un coup d'oeil au Héros du Temps avant de lui tourner le dos et de s'éloigner de quelques pas. Il se tortilla dans les restes de son manteau afin de le remonter jusqu'au-dessus de ses épaules et s'en enveloppa la tête pour rester caché le temps d'enfiler sa nouvelle cape. Il commença à s'habituer à ce nouveau poids, bien plus élevé que celui de son vieux linceul, en continuant à se tordre pour enfiler le capuchon de l'antique robe.

- Tu es si moche que ça, que tu crains à ce point de nous montrer ton visage ?
La première réaction de Kazel fut un ricanement amusé.
- Si seulement tu savais, éluda l'assassin en se rapprochant enfin, sa capuche baissée au maximum.
Rassurée de savoir les deux aventuriers convenablement équipés, le Sage de la Forêt hocha la tête pour elle-même et attira leur attention.
- Bien, le temps nous est compté alors n'en perdons pas plus que nécessaire.
- Tu as raison. Est-ce que tu sais comment nous pouvons rejoindre le monde de Kazel ?
- Hé bien... non.
Le héros fit la moue. Cela signifiait qu'ils allaient devoir explorer un autre temple au lieu de pouvoir rejoindre au plus vite Zelda.
- Mais je sais qui devrait le savoir.
- Nous n'avons pas le temps pour les énigmes, remarqua l'assassin.
- C'est vrai. Il s'agit de Rauru, le Sage de la Lumière. Il est le plus ancien et le plus érudit d'entre nous, et son domaine s'approche bien plus des sortilèges que vous recherchez que le mien ou celui de Darunia, par exemple.
- C'est sûr que savoir fabriquer une flûte de pan ou reconnaître un champignon comestible ne va pas beaucoup nous aider pour changer de monde.
Link flanqua un coup de coude à son sarcastique compagnon. Il semblait soucieux.
- Rauru est le Sage du Temple du Temps, qui se trouve au coeur même du château. Ce qui pose deux problèmes majeurs.
- Je n'aurais aucun mal à m'y infiltrer, fit Kazel en croisant les bras.
- ... d'une part, le Temple lui-même est gardé. Impossible donc de s'y promener en toute quiétude.
- Il nous suffira de les assommer.
- D'autre part, outre le fait que je ne tiens pas à me rendre complice de tes crimes déjà trop nombreux, le sanctuaire a été scellé après qu'on ait vaincu Ganondorf, il y a sept ans, condamnant ainsi à la fois l'accès au Saint Royaume, à l'épée de légende, et au véritable Temple de la Lumière.
Le jeune Sage de la Forêt acquiesça gravement tandis que Kazel se crispait encore à la mention du roi des Gerudos.
- Mais il y a quelqu'un d'autre qui pourrait également le savoir... ou au moins vous permettre de vous adresser à Rauru.
- Qui ?
- Impa.

Comprenant leur prochaine destination, Link se raidit immédiatement. L'ancienne nourrice de Zelda, et dernière des Sheikahs, devait probablement posséder un savoir impressionnant sur les magies perdues ou occultes... mais il n'était absolument pas pressé de retourner dans son sanctuaire.

- Direction le Temple de l'Ombre, alors...
- J'en ai bien peur, dit le Sage en jetant un coup d'oeil soucieux vers Kazel. Mais tu as déjà surmonté ses horreurs, à une époque bien plus sombre qu'aujourd'hui. Tu triompheras encore une fois de plus de ses profondeurs.
- C'est vrai...

Cela ne le consolait pas pour autant. Il se résigna toutefois, et peu après ils quittèrent le Temple de la Forêt en remerciant Saria. Les deux acrobates traversèrent en un rien de temps le labyrinthe qui séparait le sanctuaire des Bois Perdus en escaladant les murets pour courir sur leurs hauteurs, coupant à travers les zigzags d'un bond. Une fois dans le dédale végétal en revanche, Link reprit la tête et tourna, semblait-il au gré du hasard, dans l'épaisse jungle. Son compagnon ne chercha même plus à se poser de question, le collant de près pour ne pas le perdre à nouveau, alors que les signaux contradictoires de ses sens aiguisés lui donnaient des vertiges.

Après un moment à errer, ils arrivèrent face à une grande arche de pierre assez grossière et fort usée par les années. Du granite, remarqua distraitement Kazel, qui l'air de rien était très heureux de pouvoir enfin fixer son esprit sur quelque chose de stable et normal dans cette satanée forêt. Ils pénètrent dans un long corridor de roche, assez large pour que cinq hommes puissent avancer de front sans problème. La température augmentait à mesure qu'ils progressaient dans le tunnel. Des heures durant, les deux épéistes marchèrent d'un bon pas, leur fatigue grandement atténuée grâce aux pouvoirs des fées, mais elle se faisait sentir malgré tout à long terme. En tendant l'oreille, ils pouvaient entendre de l'agitation provenir de l'autre bout du couloir, encore très long. Des voix, profondes et rauques et les sons d'activités physiques. Le tintement distinctif du métal sur le métal trahissait la présence d'une forge, et le raclement sourd suivi parfois d'un claquement sec dénonçait lui le travail de la pierre.

- Qu'est-ce qui nous attend de l'autre côté ?
- Les Gorons, répondit Link. Ne t'inquiète pas, ce sont des amis et des êtres d'une grande bonté.
- Suffisamment pour qu'ils n'essayent pas de te faire la peau à cause de ta tentative "d'assassinat" sur Zelda ?
- Grmbl... oui. Ils me connaissent bien, si je leur explique ils me croiront.
Kazel hocha vaguement la tête, préférant ne rien ajouter, mais il sembla au héros qu'il se rembrunissait sous sa capuche.
- Ah, et ils sont assez... collants, quand ils sont contents.
- Collants ?
- Tu verras bien, éluda l'Hylien en haussant les épaules.

L'assassin semblait circonspect, mais n'ajouta rien et ils continuèrent à avancer. La lumière se fit bientôt plus forte en approchant de la sortie, ainsi que les sons qui se répercutaient dans les parois de la demeure des Gorons. Ils quittèrent le corridor et Kazel étudia les lieux. C'était un labyrinthe de couloirs et de petites salles creusées à même la roche dans un profond cratère, que le guerrier enveloppé de noir devinait être un volcan au vu de la température et des odeurs de souffre. Après un moment à marcher le long des chemins à découvert, le héros s'arrêta près d'un rocher de taille moyenne.

- Salut, Link.

Durant une seconde, Kazel s'immobilisa, les yeux ronds. Il hésita même à assommer le jeune Hylien, persuadé que la chaleur lui avait fait tourner la carte pour de bon. Car d'accord... qu'il parle à un arbre magique, pourquoi pas... mais pas à un pauvre caillou, sacré bon sang de... Il fit un bond de deux mètres en arrière lorsque la pierre bougea subitement, se levant sur des jambes puissantes.

- Link ? C'est toi ?
- Hé oui. Tu as tellement grandi depuis la dernière fois !
Avec un cri de joie, l'homme-rocher ouvrit grand les bras et étreignit le héros, qui protesta vigoureusement en essayant de se débattre, en vain. Ses arguments se changèrent en râle douloureux, jusqu'à ce que le Goron ne lâche son idole.
- On n'avait plus aucune nouvelle de toi ! Avec tout ce qui se passe en ce moment, on était tous très inquiets !
- Désolé les amis... mais les derniers événements ont été un peu... compliqués.

Le fils de Darunia remarqua alors la présence de Kazel, qui essayait de se convaincre que c'était parfaitement normal que le champion des Déesses ait des arbustes et des cailloux comme amis. Au stade où ils en sont, l'assassin n'aurait même pas été surpris de le voir tailler le bout de gras avec des poissons.

- Bonjour !
- Ah oui. Link, je te présente Kazel, dit Link d'un ton amer. C'est lui qui... va m'aider à retrouver la Princesse Zelda.
- Alors c'est un copain aussi ! Salut Kazel !
- Euh... non ne... argh !
Avant qu'il ne réalise qu'il devait s'enfuir, minéral-Link lui fit subir le même accueil chaleureux, typiquement Goron, et le rôdeur crut que le prince de la montagne allait le casser en deux.
- Je t'avais prévenu, Kazel, se moqua le héros lorsque l'autre Link lâcha prise.
- T'avais pas dit qu'ils avaient une force monstrueuse, espèce de...
- Ah mais lui c'est encore un enfant, hein. Lui c'est un adulte.

Le Gerudo blond désigna un véritable colosse rondouillard derrière lui, qui apercevant leur frère de sang, afficha un visage ravi, et se roula en boule pour foncer jusqu'à eux. Sa charge, un peu trop spontanée visiblement, obligea Kazel à se jeter sur le côté et manquer de tomber jusqu'au rez-de-chaussée, se rattrapant de justesse au rebord. Certes, la chute bien qu'impressionnante n'aurait pas représenté le moindre danger...mais l'assassin ne tenait nullement à se retrouver seul au milieu de la tanière de ces fous au derme de pierre.

Mais le temps qu'il ne remonte, Link - le vrai - ayant visiblement failli se faire déboîter quelque chose par la démonstration d'affection d'un Goron dans la force de l'âge, avait refait les présentations et le pointait du doigt. Immédiatement, une alarme s'alluma dans sa tête alors que le géant se tournait vers lui avec un immense sourire niais, lui tendant les bras.

- Non ! l'avertit Kazel en commençant à reculer.
- Viens faire un câlin, ami de Link !
- Même pas en rêve !

Si ce monstre l'attrapait, l'assassin doutait de survivre à sa sympathie et préféra bondir deux étages plus bas, se réceptionnant souplement. Au vu du gabarit et du poids du Goron, il ne pourrait pas le suivre. Du moins le pensait-il avant de voir le colosse se rouler en boule et se laisser tomber comme... comme une pierre. Sa chute fit un vacarme épouvantable et provoqua une violente secousse dans le sol, mais n'entama même pas l'humeur du Goron qui se déplia aussitôt pour lui tendre à nouveau les bras.

- Mais vous vous fichez de moi !

Reprenant la fuite, Kazel effectua le voyage en sens inverse. Il prit de l'élan et escalada la paroi avec l'aisance d'un lézard pour monter au premier étage et constata avec soulagement que la créature rocheuse ne pouvait pas en faire de même. Ouf ! Puis un autre rocher vivant se déplia, tout aussi imposant que l'autre, et lui sourit de son énorme visage enjoué.

- C'est toi le copain de Link ? Viens faire un câlin !

Avant même de finir sa phrase, le Goron se jeta sur lui et l'assassin dut se glisser sous lui comme une anguille pour l'esquiver. Perplexe, mais pas moins déterminé, le mortellement amical golem se retourna et repassa à l'attaque. Kazel s'enroula autour de son bras, esquivant "l'assaut" et frappa par réflexe la nuque du Goron du tranchant de la main. Tok. La douleur qui remonta le long de son bras jusqu'à l'épaule paralysa l'assassin durant une seconde alors que le mastodonte se retournait déjà, n'ayant même pas senti le coup qui aurait pourtant probablement envoyé au tapis même Link.

N'ayant aucune autre option pour sauver sa vie, et ayant remarqué qu'ils étaient lents, Kazel prit la poudre d'escampette au pas de course en secouant sa main terriblement endolorie. Un autre Goron manqua de l'écraser en sautant depuis le dernier étage. Les voix portant très loin en résonnant contre les parois, tout le monde était déjà au courant du retour de Link et de son ami. Et bien sûr, les hommes-rocs étant très amicaux, tous voulaient le saluer.

Le Héros du Temps pour sa part le regarda courir et paniquer avec hilarité, reconnaissant la scène de son enfance lorsque Darunia en avait fait leur frère de sang. Pour sa part, Link prit le temps de discuter avec quelques vieilles connaissances et de se requinquer un peu. La journée avait été longue, depuis qu'ils avaient abandonné Malon le matin même, et le héros ne put s'empêcher de se faire du souci pour elle. Il profita aussi d'être un peu tranquille pour acheter deux bouteilles, remplies de potion rouge et quelques provisions humainement comestibles. Il aurait aimé reprendre des bombes, ou des flèches... mais il n'avait pas de quoi ni les transporter, ni les payer - le plus gros de la monnaie lui restant étant partie dans les potions - et il n'avait pas confiance dans les arcs gorons.

Après deux heures à retrouver ses frères de sang et à survivre tant bien que mal à leur amitié, Link entreprit de regagner la dernière étape pour pouvoir sortir sur le flanc de la montagne et rejoindre le village Cocorico. Il y retrouva également Kazel, perché à une poutre au plafond, ce qui le fit partir d'un grand éclat de rire.
- Il fait beau là-haut ?
Pour toute réponse, l'assassin lui offrit un geste grossier et vérifia qu'aucun bisounours en granite ne l'attendait à proximité avant de descendre. Lui ne partageait nullement l'hilarité du héros et fut enchanté de quitter ce cratère étouffant. Ils descendirent les pentes de la montagne, jusqu'à arriver en vue du village voisin tandis que la nuit commençait à tomber.

- Le village Cocorico va bientôt fermer ses grilles.
- Et alors ?
- Et alors ça veut dire qu'il va falloir se faire discret.
- C'est bien ce que je dis : et alors ?

Link soupira, et après avoir chassé quelques Araknons un peu trop curieuses, les deux hommes s'installèrent sur un bord de la route propice à une petite pause. La journée se faisait vraiment très longue, et si l'un comme l'autre ils se sentaient capables de continuer, un peu de répit était le bienvenu. Ils cassèrent également une graine pour se sustenter, n'ayant rien avalé depuis leur départ du Ranch Lonlon, et ce malgré le fait qu'ils aient marché toute la journée et livré plusieurs combats. Et subi l'hospitalité des Gorons.

Puis, une fois la nuit tombée, et après que le village ait fermé ses portes et allumé les torches, les deux aventuriers reprirent la route. Cela faisait bien plus de quinze ans que Cocorico n'avait pas connu de réelle menace, et encore moins en provenance de la montagne. Celle-ci étant habitée par les pacifiques Gorons, il n'y avait rien à craindre de ce côté-ci. De fait, les sentinelles avaient tendance à se relâcher. Et bien que ni Link, ni son silencieux compagnon n'en aient besoin pour se faufiler, cela leur facilita la tâche lorsqu'ils entreprirent d'escalader la falaise jouxtant le village pour pouvoir s'y infiltrer plus facilement.

Après une lente et physique progression, ils se glissèrent enfin dans le hameau à proximité du bazar. Sans un bruit, le héros conduisit son compagnon vers l'échelle qui menait jusqu'à l'arrière du moulin. Il eut une pensée amusée en repensant à la façon dont il en avait fait tourner les pales à toute allure, grâce à quelques notes enchantées, avant de se concentrer sur leur mission. En pleine nuit, les patrouilles brandissaient des torches et suivaient un circuit tout tracé, les rendant aussi voyantes que prévisibles. Rien de plus facile pour les deux compagnons que de les éviter. Se tapissant par terre, ils attendirent que les gardes fassent leur ronde et s'éloignent avant de sauter de la butte du moulin jusqu'au sol.

Ils empruntèrent l'allée qui menait jusqu'au cimetière, entouré d'une palissade de poteaux taillés en pointe et durent opérer un camouflage d'urgence lorsqu'ils croisèrent un couple sur le retour. Link escalada à toute allure l'enceinte en bois, sautant de l'autre côté pour s'y cacher en s'accrochant aux flèches pour garder un oeil sur le sentier tandis que Kazel se tassait dans un coin en s'enveloppant dans sa cape. Il fallait bien reconnaître que, ratatiné au ras du sol comme il le faisait, l'assassin devenait quasiment invisible dans les ombres. Même le héros qui l'avait vu se cacher peinait à distinguer sa forme dans les ténèbres, contrairement au couple qui ne soupçonna la présence ni de l'un ni de l'autre et les dépassa sans encombre. Par prudence, les deux guerriers attendirent une poignée de minutes avant de quitter leur couvert. Kazel n'eut qu'à se relever alors que l'Hylien devait sauter dans l'autre sens pour retourner sur le sentier. Ils jetèrent un coup d'oeil méfiant sur les allées qui serpentaient entre les tombes pour s'assurer de ne pas faire une autre rencontre, mais il n'y avait ici rien d'autres que de nombreuses sépultures, quelques fleurs ici et là, et des lanternes abandonnées en dehors du passage. Link avertit son compagnon de ne pas s'en approcher, celles-ci appartenant le plus souvent à des esprits hostiles. Sans provoquer la colère d'aucun spectre, les deux hommes traversèrent les alignements de tombes jusqu'à atteindre une haute butte avec une vieille palissade.

- C'est là-haut, dit à voix basse le héros.
- Je vais monter en premier, puis je te hisserai.
Link se colla dos à la paroi et se tint prêt à faire la courte échelle à l'assassin. Utilisant la force surhumaine offerte par les gants, il le propulsa aisément jusqu'à la barrière qu'il franchit sans problème.
- Attends, je t'envoie mon grappin.

Doucement, pour éviter de faire cliqueter sa chaîne, le héros déplia manuellement l'ancien trésor du fossoyeur et jeta la pointe à son complice qui la rattrapa. Kazel servit du contrepoids lorsque Link fit se rétracter la chaîne, le hissant jusqu'à la palissade pour la dépasser à son tour.

- Ça n'aurait pas été plus simple de prendre appui dessus ? interrogea l'encapuchonné en tapotant la barricade.
- Trop fragile. Le grappin se déchausserait à la moindre traction.
En prêtant attention à la barrière, l'assassin put remarquer qu'elle était plutôt vermoulue. Leur petit manège avait laissé une profonde marque dans le bois. S'ils avaient tenté d'y ficher le harpon du héros, ils se seraient assurément cassé la figure.

chapitres suivants...

Ce texte a été proposé au "Palais de Zelda" par son auteur, "Kerorian". Les droits d'auteur (copyright) lui appartiennent.

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Mis à jour le 20.04.24