Edito : l'avenir des donjons dans The Legend of Zelda
Ecrit par Max4081 le 12.02.2020
Ce Sanctuaire a cela d'efficace qu'il présente lui aussi une difficulté croissante dans ses énigmes, et qu'il faudra user de la torche mais aussi de flèches pour transporter la flamme bleue à bon port. Plusieurs énigmes nous laissent le choix, mais il faut se servir à la fois de la torche et de flèches enflammées pour venir à bout de tous les obstacles. Qui plus est, le Sanctuaire met sur notre chemin des ennemis, que l'on pourra éliminer par divers moyens (en exploitant les flammes ou en leur jetant un boulet hérissé de pointes avec Polaris). Seul petit bémol, si la torche échappe au joueur et tombe dans la lave, il n'a d'autre choix que de quitter le Sanctuaire pour revenir plus tard avec une nouvelle torche.
Enfin, le Sanctuaire de Kiyo'Uh, Étoiles en nombre, situé dans la forêt des Korogu, est lui aussi assez singulier. Cette épreuve consiste à résoudre l'énigme gravée sur une stèle dans une salle rectangulaire présentant des emplacements pour insérer des sphères brillantes. Ce qui est unique ici est l'ambiguïté de l'énigme, car elle pourrait faire référence à plusieurs choses. Le Sanctuaire met donc ici à l'épreuve notre sens de l'observation et nos capacités de déduction, car il s'agit de trouver à quoi l'inscription sur la stèle fait référence, en scrutant attentivement l'environnement autour de nous, puis de comprendre comment résoudre l'énigme.
Il y a donc plusieurs Sanctuaires qui se démarquent par l'ingéniosité de leur concept, ou simplement leur efficacité. Le jeu contient en effet une grande diversité d'épreuves, qui demandent au joueur de mettre en oeuvre des talents différents selon la situation, et on peut constater que non seulement les Sanctuaires constituent une récompense efficace à l'exploration du joueur curieux et aventureux, mais en plus de cela, beaucoup d'entre eux sont efficaces en tant que tels, c'est-à-dire des mini-donjons intégrant des énigmes et des concepts inventifs, et ils savent se renouveler assez bien au cours de l'aventure.
Seulement, tout n'est pas rose pour autant, et on peut relever plusieurs faiblesses aux Sanctuaires. Tout d'abord, le point central, la clé de voûte de Breath of the Wild, est également ce qui peut parfois nuire à la qualité des Sanctuaires : la non-linéarité et la liberté totale du joueur. Cette liberté absolue implique une chose, c'est le fait que l'on est absolument libre de découvrir n'importe quel Sanctuaire dans n'importe quel ordre (à l'exception de ceux du Plateau du Prélude et de l'Ode aux Prodiges). Et cet état de fait pose un certain nombre de contraintes pour les choix de game design qui ont été faits vis-à-vis des Sanctuaires. En effet, dû à la structure-même du jeu et à sa non-linéarité de tous les instants, il n'est pas possible d'introduire une mécanique dans un Sanctuaire et de la réutiliser dans un autre en la complexifiant, et dans un autre pour l'approfondir encore davantage, etc.
Pour chaque nouveau Sanctuaire, il est donc nécessaire d'utiliser une mécanique différente, mais la courte durée desdits Sanctuaires ne permet pas de l'exploiter beaucoup et d'approfondir son utilisation, se limitant à des usages simples. On peut aussi utiliser la même mécanique dans plusieurs Sanctuaires, mais le problème subsiste, à savoir qu'on ne peut pas partir du principe que le joueur va explorer un Sanctuaire avant l'autre. Il est donc nécessaire de représenter la mécanique dans chacun d'eux, et de se limiter à un usage assez basique de cette mécanique de jeu. On ne peut pas demander au joueur de devoir utiliser à son plein potentiel un gimmick qu'il vient juste d'apprendre en lui présentant des énigmes qui lui sembleront tirées par les cheveux. Les Sanctuaires compensent cela en offrant une grande liberté dans la résolution des énigmes, qui peuvent parfois être en partie contournées, pour peu que le joueur sache utiliser les nombreuses interactions autorisées par le moteur du jeu. C'est ainsi qu'en exploitant toutes les possibilités offertes par ce moteur et en les associant à des énigmes utilisant les différents modules, le jeu se renouvelle sans cesse car il y a énormément d'associations de concepts différentes possibles, le bémol étant qu'il n'est pas envisageable de réutiliser l'une de ces associations en partant du principe que le joueur la connaît, et en en exploitant tout le potentiel, pour les raisons citées plus haut.
Un autre point qui fâche est le nombre conséquent d'épreuves de force dans le jeu. Des efforts ont bien sûr été faits pour essayer de palier à leur redondance, comme par exemple la présence d'un sol recouvert d'eau dans certaines épreuves, ou bien l'ajout de blocs de métal que l'on peut tirer hors du sol avec Polaris. Il n'empêche qu'il y a quand même plusieurs dizaines d'épreuves de force parmi les 120 Sanctuaires présents à l'origine dans le jeu, et on peut imaginer que cela est dû à la volonté des développeurs d'inclure suffisamment de points de téléportation, comme on l'a vu plus tôt dans l'interview. Bien que tirées d'une volonté louable, à savoir faciliter les déplacements du joueur, ces épreuves de force n'en demeurent pas moins redondantes et répétitives.
À quelques détails près, la formule des Sanctuaires est donc parfaitement adaptée à l'expérience de jeu proposée par Breath of the Wild. Le formidable moteur mis au point par Nintendo permet une grande liberté dans la résolution des énigmes, et les concepts utilisés, couplés à la grande richesse d'interaction offerte par ledit moteur, se renouvellent régulièrement, quand bien même certains reviennent. Il reste à améliorer le concept des épreuves de force pour les rendre moins redondantes. Pour ce qui est de l'impossibilité de développer un même concept en profondeur et sur la durée, ce n'est pas un problème, à condition que des donjons plus ambitieux s'en chargent. Et c'est là qu'on en vient aux Créatures Divines.
Les Créatures Divines : des puzzles aussi démesurés qu'ils sont facilement bouclés
En ce qui concerne les Créatures Divines, cette analyse se base en grande partie sur le travail de Mark Brown qui, sur sa chaîne YouTube (Game Maker's Toolkit, c'est en anglais), décrypte le level design de plusieurs sagas de jeux vidéo. Il a notamment dédié toute une série de vidéos aux donjons de la série The Legend of Zelda. Je vous encourage à y jeter un oeil si l'anglais ne vous rebute pas et que le sujet vous intéresse. Pour en revenir aux Créatures Divines, il s'agit de grandes structures qui nécessitent d'être comprises dans leur globalité pour être parcourues. En effet, leur mécanique principale consiste à les déplacer dans leur ensemble (quoique pas toujours totalement, on y reviendra), ce qui fait que les donjons eux-mêmes sont une sorte de puzzle géant, un peu à la manière de la Tour des Cieux de Skyward Sword, sauf qu'ici, le fonctionnement est différent et exploite mieux un environnement en trois dimensions.
On peut retrouver dans les anciens jeux Zelda certains donjons qui nécessitaient le même genre de vision globale pour être parcourus, comme le Temple Abyssal de Twilight Princess, le Galion des Sables de Skyward Sword, le Temple de la Forteresse de Pierre dans Majora's Mask ou encore la Tour du Vautour dans Link's Awakening. Le point commun de tous ces donjons est qu'ils exploitent une mécanique de gameplay majeure qui implique toute leur structure (l'escalier rotatif, le chronolithe, le cristal qui inverse la gravité, le pilier qui transforme la tour). Cela va contraindre le joueur à se représenter le donjon dans sa globalité, pour comprendre comment les différentes parties interagissent et se connectent entre elles. C'est en comprenant cela que le joueur astucieux peut s'approprier la mécanique du donjon et planifier ses déplacements en fonction des modifications induites par ladite mécanique, limitant ainsi le backtracking. En fait, il s'agit de bien visualiser les effets du gimmick que le donjon utilise pour planifier ses déplacements en fonction et atteindre les différents points clés de la structure de la façon la plus simple.
Les Créatures Divines sont basées sur cette idée, à ceci près que leur mécanique de mouvement est libérée d'une contrainte très importante : elle n'est pas assujettie à la position du joueur. En d'autres termes, il n'y a aucun impératif pour Link à se trouver dans un endroit précis du donjon pour en affecter la configuration, pour la simple raison que l'on peut manipuler le donjon depuis le menu de carte de la Créature, là où il fallait par exemple sortir du Temple de la Forteresse de Pierre dans Majora's Mask, tirer sur le cristal, puis y entrer à nouveau pour parcourir le donjon retourné. Une autre très grosse différence, c'est que le joueur peut agir alors même que la Créature change de position. En effet, on peut très bien se déplacer et utiliser ses objets pendant que le ventre de Vah'Naboris est en train de tourner. Au contraire, dans Skyward Sword par exemple, le jeu s'arrête lorsqu'on tire sur le chronolithe, faisant place à une cinématique qui nous laisse agir seulement après le changement d'époque. Dans Breath of the Wild, le changement se produit donc en temps réel.
Ces différences sont très importantes, car elles impliquent des changements drastiques dans la façon d'aborder le donjon. Imaginez seulement pouvoir passer du passé au présent depuis la carte dans le Galion des Sables, ou bien pouvoir retourner la Forteresse de Pierre juste en allant dans un menu. Cela retire une grande partie de ce qui fait la difficulté de ces donjons : la navigation. En effet, puisque le joueur est contraint d'opérer le changement à un endroit bien précis, il doit noter dans sa tête les parties de la structure qui seront affectées et par lesquelles il devra repasser, puis anticiper les effets de la transformation avant d'opérer celle-ci, avant d'enfin se déplacer à nouveaux à ces endroits clés. Cela nécessite de s'approprier les lieux et d'en comprendre l'agencement à grande échelle, là où il suffirait de déambuler puis de modifier le donjon à loisir lorsque l'on croise un obstacle infranchissable. Et c'est un peu cette approche qu'a adopté Breath of the Wild. En effet, lorsque l'on commence à comprendre comment la Créature est modifiée par le menu de carte, on expérimente, on essaye des choses pour en voir les effets et on met la physique du jeu à l'épreuve. On retrouve ce côté bac à sable de Breath of the Wild jusque dans ses donjons. Et si c'est très amusant au début, ça pose vite quelques soucis du point de vue du challenge.
Là encore, c'est la non-linéarité constante recherchée par l'équipe de Fujibayashi qui pose certaines contraintes dans le design finalement adopté. Puisqu'il est possible de parcourir ces donjons librement, en activant les différents terminaux de contrôle dans n'importe quel ordre, on ne peut pas contraindre le joueur à exploiter la mécanique de mouvement de la Créature de façon extrêmement poussée. En effet, un tel apprentissage nécessite de commencer par des utilisations basiques de ladite mécanique, puis d'augmenter la difficulté petit à petit. Or avec un donjon non-linéaire, ce n'est pas faisable. C'est la raison pour laquelle, lorsque l'on a compris comment fonctionne cette mécanique pour chaque Créature, l'accès aux terminaux est relativement simple. Certes, les utilisations de l'idée de gameplay propre à chaque Créature sont variées et cette variété est bien exploitée dans les différentes énigmes, mais l'usage nécessité de la mécanique n'est jamais très poussé ou perturbant, pour les raisons citées plus haut.
Cela donne comme résultat des structures très cohérentes et qui forment un tout que l'on peut explorer librement, mais le challenge offert par des donjons en pâtit, si bien qu'ils sont simples à terminer et très rapides à parcourir. Je n'ai pas eu l'impression de continuer à penser "outside the box" après mon premier contact avec l'un de ces donjons, car une fois la mécanique comprise, l'accès aux terminaux et la navigation sont libérés de presque toute contrainte. Il n'y a aucun backtracking, pas de portes verrouillées qui nécessiteraient de penser davantage au chemin que l'on emprunte, au lieu où l'on se rend et à ce que l'on souhaite y faire. Le fait d'avoir comme unique objectif principal les différents terminaux rend la complétion de ces donjons extrêmement simple et rapide. Néanmoins, il reste un donjon dont nous n'avons pas encore parlé, et pour cause, il se démarque du reste.