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Le prince sanglant, ou la dernière femme-rose

Ecrit par Morticia et El Wap

Chapitres 1 à 30  •  Chapitres 31 à 60  •  Chapitres 61 à 81
Chapitre 31
Chapitre 32
Chapitre 33
Chapitre 34
Chapitre 35
Chapitre 36
Chapitre 37
Chapitre 38
Chapitre 39
Chapitre 40
Chapitre 41
Chapitre 42
Chapitre 43
Chapitre 44
Chapitre 45
Chapitre 46
Chapitre 47
Chapitre 48
Chapitre 49
Chapitre 50
Chapitre 51
Chapitre 52
Chapitre 53
Chapitre 54
Chapitre 55
Chapitre 56
Chapitre 57
Chapitre 58
Chapitre 59
Chapitre 60
Chapitre 31   up

YorwanLe lendemain matin à l'aube, le petit groupe commença l'escalade de la montagne. A cause du manque de sommeil, Yorwan et Flamme tombèrent un certain nombre de fois dans la neige. Le bon côté de la chose, ils furent rapidement parfaitement réveillés. Le mauvais, c'est qu'ils furent trempés plus vite encore. Ajouté au froid, cela rendit leur première journée en montagne extrêmement désagréable jusqu'à l'heure du repas où la femme-fleur prépara une délicieuse soupe.
De là où ils étaient, les trois amis et leur guide avaient une vue superbe sur la plaine, et même sur Bourg-Clocher. Malheureusement, ce qui quelques jours à peine aurait été un magnifique panorama n'était plus qu'un champ de ruines ensanglanté et particulièrement déprimant. Même si elle savait que tout cela n'était pas sa faute, Flamme se sentait coupable de ce qui était en train d'arriver à Termina. Après tout, il était parfaitement possible que Link ne soit venu que pour retrouver sa plus fidèle collaboratrice... Non, elle refusait simplement d'imaginer cette possibilité... et de toute manière, ce n'était absolument pas le genre de ce monstre impitoyable de se lancer à la recherche de quelqu'un travaillant pour lui, à part si cette personne était en possession de ce qu'il appelait des "secrets d'état". D'un autre côté, il était parfaitement possible qu'elle connaisse de tels secrets sans le savoir...

Le deuxième jour, ils atteignirent pratiquement le sommet, mais Link leur expliqua qu'il ne le rejoindrait pas car cela n'aurait fait qu'ajouter un danger inutile à une progression déjà très risquée. Flamme en fut déçue, bien plus qu'elle ne l'aurait imaginé... Atteindre le sommet d'une haute montagne, voilà un exploit digne d'une femme-fleur... Sans s'en rendre compte, elle en garda une rancune stupide et aveugle à l'encontre du Goron.
Ce fut un peu avant le coucher du soleil qu'elle laissa toute cette rancune s'évacuer, alors qu'ils commençaient à chercher un endroit pour passer la nuit. Entendant au loin un loup hurler, la femme-fleur ne put s'empêcher de se demander si ces animaux avaient d'assez bonnes dents pour percer la peau d'un Goron... Un sourire mauvais se dessina sur ses lèvres tandis qu'elle décidait de tenter l'expérience.
Arrêtant de marcher, elle se concentra, et comme autrefois lorsqu'elle servait son cher Link, elle marmonna une invocation destinée à faire apparaître une meute de loups. Elle craignit tout d'abord avoir fait une erreur dans les paroles en voyant qu'il ne se passait rien, mais alors qu'elle se préparait à recommencer, un hurlement beaucoup plus proche retentit dans la montagne, et rapidement une meute de six loups apparut devant eux.
- C'est impossible, goro ! s'exclama Link. En cette saison, ils devraient être dans la vallée, goro ! Il va falloir les affronter, préparez-vous à... Argh !
L'un des loups, le plus gros de tous, venait de se jeter à sa gorge, l'empêchant de finir sa phrase, et répondant au passage à la question de Flamme : sa mâchoire était largement assez puissante pour passer au travers de la peau d'un Goron... La preuve que rien ne valait une bonne expérience pour vérifier ces doutes.
La jeune femme se rendit brusquement compte de ce qu'elle avait fait lorsque Lésa vint se cacher derrière elle en pleurant.
- Flamme ! Faut le sauver ! Tu dois tuer les loups avec ta super épée, tu dois...
- Tu dois mettre Lésa à l'abri, coupa Yorwan. J'ai vu une petite grotte tout à l'heure, et maintenant que Link est... qu'il n'est plus là, on y entrera tous.
- Mais...
- Fais ce que je te dis ! Je vais couvrir vos arrières, et ensuite j'essayerai de vous rejoindre.
Le verbe "essayer" inquiéta un peu la femme-fleur, mais elle décida de tout de même faire ce que lui avait ordonné le Sheikah, quitte à revenir l'aider par la suite. La fillette et elle s'éloignèrent donc, laissant leur ami aux prises avec les loups assoiffés de sang.
Grâce aux yeux de la petite fille, elles ne mirent que peu de temps à trouver la grotte dont Yorwan avait parlé. Lésa voulut y allumer un feu pour se réchauffer, mais la jeune femme préféra ne rien en faire de crainte d'attirer d'éventuels autres loups, et la serra tout simplement contre elle pour l'empêcher de grelotter. Au bout de quelques minutes cependant, ne voyant pas Yorwan arriver, Flamme décida d'aller voir ce qui se passait.

Grand bien lui en prit, car le Sheikah était en très mauvaise position. Appuyé contre la paroi de la montagne, il se défendait contre les trois loups qu'il n'avait pu tuer. Parmi ces survivants se trouvait le chef de la meute qui semblait couvert de blessures, et surtout bien décidé à tuer le jeune homme.
Dès qu'elle vit cela, Flamme sortit son épée et se jeta vers les animaux. Cette agression surprit ceux-ci, qui ne s'attendaient manifestement pas à être attaqués par celle qui les avait fait venir, et surtout pas alors qu'ils étaient tout près d'accomplir leur mission. La femme-fleur profita donc d'un certain effet de surprise pour éliminer deux d'entre eux. Le dominant, comprenant probablement que la situation était désespérée pour lui, décida de ne pas partir seul et planta ses crocs dans la jambe de Yorwan. En quelques secondes, un craquement sourd se fit entendre, suivi de près par un hurlement du jeune homme. Aussitôt, Flamme se jeta sur le loup et l'acheva d'un seul coup d'épée tandis que le Sheikah se laissa glisser sur le sol, les larmes aux yeux.
- Yorwan ? ça va ?
- Ma jambe... je crois... je crois qu'elle est cassée... j'ai mal...
- Ne bouge pas, je vais...
L'achever. C'était une occasion unique, Flamme en était consciente. Le jeune homme ne pouvait plus se défendre, ou en tout cas plus de façon efficace, et elle pourrait ensuite tuer aussi la Kokiri... après cela, il ne lui resterait plus qu'à retourner auprès de son maître, de lui jurer qu'elle lui était fidèle, le lui prouver en lui annonçant que les derniers rebelles se cachaient dans la forêt kokiri, et les choses reprendraient enfin leur cours normal.
Son épée la ramena une nouvelle fois à la raison en lui brûlant cruellement la main et forçant la jeune femme à la lâcher dans la neige, qui étrangement ne fondit pas malgré la température de l'arme. Flamme la reprit immédiatement pour la ranger, étonnée de constater qu'elle était à nouveau froide.
- Navré... de t'arracher... à la contemplation... de ton épée, murmura Yorwan, mais si... tu pouvais m'aider... à rejoindre la grotte, je n'aurais... rien contre... tu vois ?
La femme-fleur, qui avait totalement recouvert ses esprits à présent, acquiesça. Elle se pencha vers son ami qui passa le bras autour de son cou. Lorsqu'ils se redressèrent, le Sheikah poussa un grognement, mais ne dit rien. Il demeura muet tout le trajet, mais Flamme voyait clairement les efforts qu'il faisait pour ne pas hurler à chaque pas.

En revanche, Lésa ne fit aucune tentative pour retenir son cri d'effroi lorsqu'elle les vit arriver tous les deux.
- Vite ! Assieds-le près du feu qu'il se réchauffe ! ordonna-t-elle.
La jeune femme hocha la tête et se prépara à obéir, lorsqu'une voix stridente les interpella.
- Non mais vous êtes stupides toutes les deux ? Si vous mettez l'albinos près du feu, il sera mort demain matin au plus tard, pauvres crétines !

Chapitre 32   up

Flamme chercha du regard autour d'elle, sans voir qui avait parlé. Pourtant, ça ne pouvait être une illusion, puisque Lésa et Yorwan l'avaient aussi entendue.
- Regarde un peu plus haut...
La jeune femme leva les yeux et découvrit une petite fée bleue qui voletait au-dessus du feu. Comment cette petite luciole était-elle arrivée là ? Elle jeta un regard interrogatif au Sheikah pour voir s'il avait une explication, mais ce dernier était légèrement trop occupé à ne pas hurler de douleur pour faire attention à elle. Elle se tourna donc vers la Kokiri, qui, étrangement, ne semblait que très légèrement étonnée.
- Ben, tu parles ? commenta-t-elle. Je croyais que t'étais muette, Na...
- Je n'avais simplement rien à dire avant, coupa la fée. Bon, enlevez-lui son pantalon, je vais regarder l'état de sa blessure...
- Pardon ? s'écrièrent simultanément Yorwan et Flamme.
- Ecoutez, c'est ça, ou bien on peut déjà t'achever, l'albinos. Qu'est-ce que tu préfères ?
- Mourir ?
- Mauvaise réponse... Allez la femme-fleur, vire-moi ça !
Flamme soupira, puis s'approcha de son ami et commença à tirer sur le pantalon d'une façon un peu maladroite.
- Aïe ! Fais un peu attention à ce que tu fais ! Faut enlever la ceinture d'abord !
- Désolée, mais c'est la première fois que j'enlève le pantalon d'un homme !
- Link t'a jamais demandé de le faire ? Bizarre...
- Continue et je te fous dehors en espérant que tu mourras de froid !
Il poussa un grognement, mais ne répliqua pas. Flamme, qui plus que jamais méritait son surnom à cause de ses joues écarlates, s'activa alors à le déshabiller. Cette opération lui prit plusieurs minutes à cause du sang qui commençait à sécher contre le tissu mais surtout en raison de ses gestes hésitants et maladroits.
- Eh ben, heureusement qu'il n'était pas à l'agonie, se moqua la fée. Si un jour tu te fiances, la femme-fleur, j'espère qu'il ne sera pas trop pressé...
Flamme lui jeta un regard noir, mais elle ne parut pas s'en formaliser plus que cela. La luciole voleta jusqu'à la jambe de Yorwan sur laquelle elle se posa, déclenchant un gémissement.
- A ce point ? Par les Déesses, je n'ai pas besoin de chercher plus loin... Pour que même le poids d'une fée soit insupportable, il n'y a qu'une seule explication : ton os n'est pas cassé, il est brisé, réduit en miettes ! Même si on arrive à te sauver, tu ne remarcheras probablement jamais.
- Et combattre ?
- Si tu y arrives assis ou allongé, pas de problème, mais sinon...
Yorwan soupira profondément et Flamme ne put s'empêcher d'avoir pitié de lui. Tout le monde à Hyrule disait que pour un Sheikah, la seule chose pire que la mort était de ne plus pouvoir combattre...
- Allez l'albinos, la vie ne s'arrête pas pour autant ! Enfin, pas pour le moment en tout cas... Mais ça pourrait venir si on ne s'occupe pas correctement de toi. La femme-fleur, trouve deux morceaux de tissu aussi secs que possible pour que Lésa lui fasse un bandage, et ensuite, notre Danse Avec les Loups devra dormir... compris ?
- Pas sommeil...
- Pas le choix surtout !
- Je vous hais...
- C'est réciproque. Alors, tu te bouges, la rouquine ?
Flamme se retint au tout dernier moment d'essayer d'attraper la fée pour la jeter au feu et fit ce qu'elle demandait tout en réfléchissant. Comment avaient-ils pu oublier pendant tout ce temps que Lésa, en temps que Kokiri, avait forcément une fée ? Et surtout comment une fée, créature pourtant réputée extrêmement bavarde, avait-elle pu rester silencieuse durant tous ces mois ? Encore un mystère à éclaircir, comme s'il n'y en avait pas assez... Mais au moins, celui-là n'était pas vital, c'était toujours ça de gagné.
Rapidement, la femme-fleur trouva deux morceaux de tissu pouvant convenir - deux chemises appartenant à Yorwan - qu'elle tendit à la Kokiri.
- Merci... Tu es sûre que je peux le faire, Na...
- Bien sûr que tu peux, coupa la fée. Aie un peu confiance en toi !

Quelques minutes et un certain nombre de hurlements plus tard (Lésa savait faire des pansements, mais pas encore le faire sans douleur pour son patient), Yorwan put s'endormir dans un coin de la grotte. La fée leur expliqua alors que sa blessure devait rester au froid afin de limiter l'apport en sang dans sa jambe, et donc la quantité qu'il en perdrait.
La Kokiri s'endormit sur les genoux de Flamme au beau milieu de cette explication, et sa fée ne résista pas beaucoup plus longtemps au marchand de sable. De son côté, la femme-fleur resta un long moment à observer Yorwan. C'était de sa faute s'il était dans cet état, puisque c'était elle qui avait fait venir les loups... Ou plutôt, la faute de ce qu'elle avait été, la faute de Luscinia. Elle pouvait presque entendre les deux parties de son esprit se disputer...
Lorsque le sommeil la gagna finalement, elle venait de se rendre compte que dans ce conflit, il n'y avait pas deux mais trois camps...

Chapitre 33   up

Ce fut le vent, qui les réveilla peu après l'aube, mais Flamme crut tout d'abord qu'elle dormait encore et faisait un horrible cauchemar.
Durant la nuit, une tempête de neige avait commencé, et pour autant que la jeune femme pouvait en juger, elle risquait de ne pas s'arrêter avant plusieurs jours, voir même plusieurs semaines. Or entre leur provision prévue qui ne durerait pas plus d'une semaine, même en se rationnant, et l'état de Yorwan qui exigeait des soins urgents, la situation était grave. Elle décida cependant de ne pas faire part de ses inquiétudes aux autres. La dernière chose dont elle avait besoin, c'était de deux paniqués qui risquaient de commettre de grosses bêtises.
Malgré cela, la première journée dans la grotte se passa relativement bien. En changeant les pansements du Sheikah, Lésa assura que sa blessure avait l'air à peu près saine, et qu'en tous cas les chairs n'étaient pas gelées, si bien qu'on n'aurait peut-être pas besoin de l'amputer, ce qui soulagea le jeune homme.

Ce soulagement ne dura pas malheureusement. Le lendemain, Yorwan était pris d'une forte fièvre, sa blessure s'étant brusquement infectée pour une raison inconnue. Flamme se retint d'en parler devant Lésa, mais dès que celle-ci commença à tenter de désinfecter les blessures du Sheikah, la jeune femme prit la fée à part.
- Alors ? Qu'en pensez-vous ?
- Que si la tempête ne s'est pas arrêtée dans trois jours maximum, il est condamné, puisqu'il nous faudra au moins une journée pour redescendre, et qu'il n'en a que pour quatre ou cinq jours maximum...
Elle jeta un regard horrifié à la luciole bleue. Celle-ci venait de dire quelques minutes auparavant que la neige ne s'arrêterait pas avant une bonne semaine au moins ! Ce qui signifiait que...
- Il va mourir alors ?
- C'est ce qui arrive en général quand on se retrouve avec une jambe brisée et infectée au beau milieu du blizzard du siècle.
- Non ! C'est impossible ! On doit pouvoir faire quelque chose !
La fée la regarda d'un air surpris (nda : comment une fée peut avoir l'air surpris ? si seulement je le savais...)
- Tu t'inquiètes pour lui ? demanda-t-elle. Je croyais que tu le détestais !
- C'était vrai avant, mais maintenant, il est mon ami ! Je ne peux quand même pas le laisser mourir comme ça, ce serait totalement inhumain !
- Si ce que j'ai entendu ces derniers mois est vrai, tu as fait bien pire que de laisser un Sheikah mourir, ironisa la luciole. Tu ne penses pas qu'il est un peu tard pour te racheter une conscience ?
- Ecoute-moi bien espèce de lampe à ailettes, s'emporta Flamme, je n'ai de leçon à recevoir de personne, compris ? De toutes façons, même si toi tu t'en fiches, je vais essayer d'aller chercher de l'aide.
La jeune femme avait dit cela sur un coup de tête, pensant que la fée se moquerait d'elle et lui dirait qu'elle n'avait qu'à mourir pour un mourant si ça lui chantait, mais ce ne fut pas le cas, et au contraire elle redevint instantanément sérieuse.
- Tu serais prête à faire ça ? Vraiment ? Mais c'est... un homme ! Même déconditionnée, une femme-fleur continue à haïr les hommes enfin ! Il y a vraiment quelque chose d'anormal avec toi !
- Non... j'avais jamais remarqué... Et c'est quoi cette histoire de "même déconditionnée" ?
- Qu'est-ce que tu crois ? Que toutes les femmes-fleurs ont choisi cette voie ? Hétaïre est la preuve vivante que non !
- Quel rapport ?
- Et tu prétends avoir retrouvé la mémoire... Les femmes-fleurs enlèvent des fillettes de cinq ou six ans avec un fort potentiel, et jusqu'à la puberté, elles leur font du bourrage de crâne. Puis vient la fameuse cérémonie d'invocation d'un démon, et là elles perdent définitivement tout ce qu'il pouvait leur rester d'humain. Mais on dirait que ce n'est pas ton cas, comme si... Non, impossible... ça voudrait dire que tu serais... Mais bien sûr !
Perdue dans ses pensées à haute voix, la fée ne semblait pas remarquer que tout le monde, y compris Yorwan, la fixait sans comprendre sur quel sujet elle pouvait bien être en train de délirer.
- Bien, je sais ce qu'il me reste à faire, déclara-t-elle soudainement. Toi la rouquine, il est hors de question que tu prennes le moindre risque en allant jouer aux bonhommes de neige dehors. C'est MOI qui vais aller chercher des secours à Labrynna. Ça tombe bien, je connais justement du monde là-bas.
- Mais...
- Pas d'objection, on fait comme ça et puis c'est tout !
Avant qu'ils n'aient pu émettre la moindre protestation, la fée vola à toute vitesse à l'extérieur de la grotte. Une fois remise de sa surprise, Flamme se tourna vers Lésa.
- Ta fée... elle est toujours comme ça ?
- J'en sais rien, elle n'avait jamais parlé avant... Je croyais qu'elle était muette, et Mido se moquait tout le temps de moi à cause de ça... Quel crétin lui alors ! Il va être fou de rage quand je rentrerai et que je lui raconterai tout ce qui nous est arrivé !
- Parce que tu crois encore qu'on va survivre ? demanda Yorwan d'une voix éteinte. C'est beau... l'optimisme...
- Je ne crois pas, riposta la fillette, j'en suis certaine ! Il n'y a pas de raison pour qu'on meure, pas vrai ?
- Parle pour toi... Moi, je vais mourir... mais pas comme cette fille l'avait dit. Quoique, peut-être que Flamme aura au moins... la pitié de m'achever...
La jeune femme le fixa, étonnée de le voir tenir de tels propos, mais se rassura rapidement en voyant qu'il était écarlate. La fièvre le faisait probablement délirer...
- Je ne te tuerai pas Yo, je le jure. Même par amitié, je ne veux plus être une meurtrière, même pour te faire plaisir. Alors dors, c'est ce que tu as de mieux à faire.
Le Sheikah la fixa d'une manière indéfinissable, entre la colère, la supplication et une certaine satisfaction, puis ferma les yeux et s'endormit rapidement. Ni Flamme ni Lésa ne prononcèrent un seul mot, mais toutes deux implorèrent en silence les déesses pour qu'elles laissent le jeune homme en vie.

Chapitre 34   up

- ANNA ! NON ! ÇA N'EST PAS VRAI, REVIENS ANNA ! JE T'EN PRIE !
Flamme se redressa brusquement, réveillée par le cri qui venait de retentir dans la grotte. Elle regarda aussitôt autour d'elle, mais ne vit personne en dehors de Lésa - qui par un étrange miracle dormait toujours - et de Yorwan qui s'agitait dans son sommeil, il n'y avait absolument personne. D'où venait donc ce cri ?
- Tu n'as pas le droit d'être morte ! s'écria soudainement le Sheikah. Reviens Anna ! Reviens...
Le jeune homme bougeait de plus en plus, allant même jusqu'à donner des coups dans le vide, comme s'il tentait dans ses rêves de repousser quelqu'un ou quelque chose, et il transpirait largement, mais Flamme n'arrivait à dire si c'était à cause de la fièvre qu'il devait encore avoir, ou bien simplement à cause de son rêve.
Probablement poussée par l'inquiétude, mais aussi par une certaine curiosité, la jeune femme alla s'asseoir à côté de lui et posa sa main sur son front, avant de la retirer précipitamment : celui-ci était au moins aussi chaud que son épée lorsqu'elle retrouvait son ancienne personnalité. Finalement, la luciole caractérielle avait peut-être raison, il allait peut-être mourir...
Non, elle refusait simplement d'envisager cette possibilité. Il était son ami, son meilleur ami, et probablement le premier qu'elle ait jamais eu ! Il était absolument hors de question de le laisser mourir ! Il devait bien y avoir un moyen de le guérir, quelque chose qui pourrait au moins faire tomber la fièvre ! La jeune femme resta un moment à regarder le sol, perdue dans ses pensées, lorsqu'elle remarqua une minuscule graine sur la roche. Bien sûr qu'il y avait un moyen... et elle venait de le trouver. Elle attrapa la petite graine et la serra dans ses mains, tandis qu'à ses côtés, le Sheikah s'agitait de plus en plus.

Yorwan était au village sheikah, au cimetière plus précisément. Comme toujours, Guenn, Alesc'h et Anna étaient avec lui, et ils jouaient. Ils n'étaient encore que des enfants d'environ sept ans et ils étaient inséparables. Tout ce qu'ils faisaient, ils le faisaient ensemble et les gens de passage au village les prenaient souvent pour des quadruplés. Et d'un côté, ils n'étaient pas si loin de la vérité, puisqu'ils étaient deux couples de jumeaux, nés le même jour, et convaincus de mourir tous ensemble un jour.
Ce matin-là, ils avaient décidé de visiter le temple de l'ombre. D'après les rumeurs qui couraient dans le village, il était habité par un grand nombre de monstres, dont certains étaient dotés de pouvoirs magiques. Il était donc naturellement interdit aux enfants d'y pénétrer, et c'est ce qu'Alesc'h s'obstinait à leur répéter tandis qu'ils grimpaient la barrière qui en gardait l'entrée.
- On s'en moque, répondit naturellement Yorwan. On va juste aller s'amuser un peu, ça ne fera de mal à personne ! Anna, dis-le-lui !
- Il a raison tu sais, acquiesça la fillette de sa voix si douce qui faisait toujours frémir Yorwan de plaisir. En plus, Yo et moi, on sait faire de la magie, alors on est tranquilles.
Elle ne disait jamais un mot plus haut que l'autre, restant toujours calme et posée. Et elle était tellement jolie... Un jour, son père avait dit que lorsqu'elle serait grande, en dehors de ses cheveux qui étaient bruns, elle ressemblerait à la princesse Zelda tant elle était belle et douce. Cependant ce n'était ni pour sa beauté ni pour son calme que Yorwan était amoureux d'elle, mais juste parce qu'elle lui faisait une confiance aveugle alors que même ses parents répétaient sans cesse que jamais il ne ferait un Sheikah digne de ce nom à cause de son manque de respect des règles qu'on lui imposait. Anna de son côté, disait que même s'il ne devenait pas un grand sorcier sheikah, elle resterait toujours avec lui et elle le suivrait partout.
Ce jour-là pourtant, il aurait peut-être mieux valu qu'elle ne le suive pas, qu'elle écoute Alesc'h qui pour une fois avait raison.
Mais ils étaient pourtant entrés dans ce vieux temple sentant la poussière et la moisissure. Yorwan marchait devant, Anna et Alesc'h au milieu, et Guenn restait un peu en arrière, comme toujours. Il aimait bien les explorations, mais pas au point de foncer droit devant sans savoir où il allait. Il était le plus réfléchi du quatuor et les adultes le citaient toujours en exemple aux trois autres, aussi bien pour son bon sens que pour son sens inné du combat : même les adultes n'arrivaient déjà plus à le battre. Mais ce jour-là, ses qualités de combattant ne lui furent d'aucune utilité.

Et Anna était morte. Yorwan était à la cérémonie funéraire, et il pleurait toutes les larmes de son corps, sans que personne n'ose lui dire que c'était indigne d'un Sheikah de se laisser aller à de telles effusions. Tout le village savait ce que la petite fille représentait pour lui. Tous savaient qu'il se sentait coupable, qu'il était coupable, puisque c'était lui qui les avait entraînés dans cette excursion.
Jamais il ne se le pardonnerait...sa meilleure amie, son amoureuse, était morte à cause de son incompétence en matière de magie. Yorwan savait qu'il aurait dû décider de s'entraîner plus dur pour devenir tellement bon que plus jamais ce genre de choses ne puisse se reproduire en sa présence, mais il en était incapable. Les adultes avaient raison depuis le début, il ne serait jamais vraiment un Sheikah, et surtout il ne serait jamais un grand sorcier, ni même un sorcier tout court. Après tout, c'était aussi la faute de la magie, puisqu'elle avait été incapable de sauver Anna.
Il deviendrait un guerrier, comme Guenn. Ou un assassin. Il se souvenait avoir entendu un étranger de passage, un ancien ami de son père dire à celui-ci que bientôt, il faudrait que quelqu'un se décide à tuer Link, parce que l'ancien héros commençait à se comporter bizarrement depuis son retour, et que la princesse n'écoutait plus que son avis. Oui, il serait peut-être celui qui tuerait Link...après tout, il venait bien de tuer Anna, alors pourquoi ne pas continuer sur cette voie de sang ?

Le Sheikah était adulte à présent et il se cachait dans les bois kokiris. Son village venait d'être détruit par la faute d'une femme-fleur qui avait fait croire aux anciens qu'elle voulait se joindre à la rébellion, et ceux-ci l'avaient conduite à Guenn, le dirigeant de cette dernière. Yorwan était présent lors de cette rencontre, et dès le début il avait senti qu'on ne pouvait faire confiance à cette femme. Elle était trop belle, avait une voix trop douce, de trop bonnes manières... Elle ressemblait trop à ce qu'Anna aurait pu être si elle avait pu grandir, et rouvrait en permanence la présence du jeune homme.
Et pourtant... quelque chose en lui avait désiré être près d'elle aussitôt qu'il l'avait vue. Quelque chose qui lui disait qu'il tenait l'occasion de recommencer à vivre pour lui-même, que pour cela il suffisait maintenant qu'il retrouve cette femme-fleur et qu'il ne la quitte plus jamais. Il avait failli le faire... seule la nouvelle de la prochaine exécution de Guenn l'en avait empêché.
Après tout, à cause de cette femme, il allait se retrouver seul, le dernier membre libre de leur quatuor...Il avait donc laissé tomber toute idée de la rechercher. Et elle était venue à lui. Il avait voulu la tuer, mais elle était devenue amnésique, et donc fragile, presque touchante malgré son horrible caractère...il avait décidé de rester auprès d'elle, quoi qu'il arrive. Il ne la quitterait jamais plus...

Yorwan ouvrit les yeux, et constata avec surprise que sa fièvre avait totalement disparu. Il se demanda un instant s'il était mort, mais une douleur lancinante venant de sa jambe lui assura le contraire.
- Finalement, ça a marché, murmura Flamme.
Le Sheikah se tourna vers la jeune femme qui tenait dans sa main une énorme fleur bleue et jaune qui embaumait toute la grotte. Elle souriait, de la même façon qu'Anna souriait autrefois... Il réalisa brusquement que c'était la première fois qu'elle souriait depuis des semaines, et que cela lui manquait, tout comme leurs disputes... Finalement, il aurait peut-être mieux valu qu'elle ne retrouve pas la mémoire.
- Yorwan ? Tu te sens bien ? Enfin, je veux dire... tu as l'air bizarre...
- J'ai une jambe en bouillie, idiote, répliqua-t-il avec un large sourire euphorique. C'est normal que j'ai l'air bizarre ! Mais je me sens beaucoup mieux quand même... tu as fait comment ?
- Médecine traditionnelle des femmes-fleurs, expliqua Flamme en agitant la fleur. J'ai trouvé une graine, et je l'ai transformée en cette jolie fleur capable de guérir la fièvre et pas mal d'autres petites choses. Alors, merci qui ?
Sans trop savoir pourquoi, il se redressa et la serra dans ses bras.
- Yo... que... ?
- Merci Flamme. Merci pour tout...

Chapitre 35   up

L'effort fourni par le jeune homme fut si grand par rapport à son actuelle faiblesse qu'il s'évanouit presque instantanément, un large sourire aux lèvres. Flamme en revanche ne souriait pas. Normalement, il aurait dû arrêter de délirer lorsque sa fièvre avait disparu... Bah, elle n'était pas médecin, peut-être que c'était parfaitement normal après tout. Il aurait fallu demander à Lésa, mais elle n'avait pas envie de réveiller la fillette.
Elle força donc Yorwan à se rallonger et alla jeter un coup d'oeil à leur sac de provision histoire de s'occuper. Malheureusement, elle eut la mauvaise surprise de découvrir que celui-ci était presque vide. Avec cela, ils ne tiendraient même pas une journée. A part si l'un d'entre eux cessait de manger pour une raison ou une autre...
Flamme songea pendant une seconde à priver le Sheikah de nourriture, puisque de toutes manières il était condamné, mais elle chassa illico cette idée de son esprit. Il allait peut-être mourir dans peu de temps, mais ce n'était pas une raison pour se comporter comme une barbare avec lui. Priver Lésa de repas étant totalement inconcevable, la femme-fleur décida de se mettre au régime...

La Kokiri et le Sheikah se réveillèrent quelques heures plus tard, tous deux morts de froid et de faim. Lésa ne se gêna d'ailleurs pas pour le faire remarquer.
- Je sais, soupira Flamme. Mais on n'a plus grand-chose, alors ne t'attends pas à un festin... une demi-galette de blé chacun, pas plus.
- Quoi ? C'est tout ? Mais j'ai tellement faim que je pourrais manger un Goron entier !
- Tu t'y casserais les dents à cause de leur peau... Ecoute Lésa, c'est ça ou rien, on n'a pas le choix.
La fillette soupira, mais accepta le morceau de galette que lui tendait Flamme et commença à le grignoter sans joie tout en regardant la jeune femme donner son "repas" à Yorwan... et ne rien prendre pour elle.
- Tu ne manges pas Flamme ? s'étonna-t-elle.
- Pas faim.
- Tu devrais manger quand même tu sais. C'est mauvais de rester sans manger dans le froid !
- Je fais ce que je veux, d'accord ? Je vais pas me forcer à manger juste pour te faire plaisir !
Un silence pesant s'installa ensuite et personne ne voulut le rompre, ce qui n'était peut-être pas plus mal d'après Flamme. Elle était épuisée, il fallait bien l'admettre, et la seule chose qu'elle désirait, c'était dormir un peu... Mais elle s'y refusait fermement, de peur que ses deux amis ne la croient faible... Et surtout, elle ne voulait pas mourir endormie, et elle se sentait si faible qu'elle craignait de ne jamais se réveiller si jamais elle fermait les yeux.
- Dis Flamme, tu crois qu'elle va bientôt revenir ? demanda Lésa tandis qu'elle inspectait la jambe de Yorwan. Je commence à être inquiète, tu sais...
- De qui tu parles ?
- Ben, de Navi ! Je pensais qu'elle mettrait beaucoup moins de temps pour aller chercher du monde...
- Tu sais, elle est probablement morte de f... Ta fée est Navi ?! s'exclama Flamme. Tu plaisantes j'espère ! Pourquoi tu ne nous l'as pas dit plus tôt ?
- Ben... j'y avais jamais pensé, c'est tout. Pis en plus, elle parle jamais, alors ça change rien, tu ne crois pas ?
Lésa étouffa un bâillement, puis laissant tomber cette conversation qui ne l'intéressait pas particulièrement, elle alla se coucher en boule contre Yorwan, et rapidement tous deux s'endormirent.
Flamme ne put s'empêcher de les trouver à la fois adorables et pitoyables. Adorables, parce qu'on aurait dit un frère et une soeur, ou peut-être un père et sa fille qui restaient soudés face à l'adversité. Et pitoyables, parce qu'il n'y avait qu'une chance sur mille pour qu'ils se réveillent... Mais au moins, eux mourraient innocents, alors qu'elle était coupable de tant de crimes qu'elle n'avait pas eu le temps de rattraper, et surtout il y avait cette promesse faite à Saria qu'elle ne pourrait jamais tenir...
Contre sa volonté, ses yeux commencèrent à se fermer et elle perdit connaissance, emportant avec elle l'image de la neige qui cessait de tomber pour laisser passer une jeune femme accompagnée par un groupe de Gorons.

Chapitre 36   up

Lorsque Flamme rouvrit les yeux, elle fut frappée par la blancheur éclatante de l'endroit où elle se trouvait. Elle se demanda un instant si elle était morte et au paradis, mais son estomac gargouilla bruyamment pour lui assurer qu'elle était encore en vie, et affamée par-dessus le marché. De toutes façons, si elle était morte, elle ne serait certainement pas allée au paradis après tout ce qu'elle avait fait...
Mais si elle était bien vivante, plusieurs questions importantes se posaient. A savoir où elle était, qui l'avait amenée ici, et surtout qu'étaient devenus Yorwan et Lésa ? Avec un peu de chance, ils étaient ici aussi, mais rien ne lui permettait d'en être sûre. Après tout, ils pouvaient parfaitement être morts tous les deux...
- Tiens, tu fais plus dodo ? C'est bien, maman va être contente !
La jeune femme tourna la tête et découvrit une fillette avec de longs cheveux... bleus ?
- Qui es-tu, petite ? Et c'est où ici ?
- Ici, c'est dans la montagne des Gorons, à Labrynna, expliqua la petite fille. Ma maman et des Gorons, ils ont été vous chercher dans la montagne. Même que ma maman, elle a dit que c'était grâce à Navi qui est venue la prévenir.
- Ah... et les deux autres, ils sont où ?
- Les autres ? Quels autres ?
Flamme ne répondit pas et lui jeta un regard horrifié. Ils étaient donc morts ? A cause d'elle ? Non, cela ne devait pas être vrai... Ils n'avaient pas le droit d'être morts, c'était hors de question !
- Tu... tu ne vois pas de qui je parle ? Une petite fille un peu plus vieille que toi, et un Sheikah avec une jambe en morceaux... ils étaient avec moi dans la montagne, et...
- La petite est en train de jouer avec les Gorons, déclara une voix de femme derrière la fillette aux cheveux bleus. Quant au Sheikah, sa jambe est totalement guérie, et il est en train de manger avec mon époux. Je venais justement voir comment vous alliez à sa demande...
La femme sortit de l'ombre. Elle était très grande, bien plus que Flamme en tout cas - ce qui n'était pas particulièrement difficile à vrai dire -, sa peau était presque blanche, et ses cheveux étaient d'un bleu un peu plus foncé que ceux de la petite fille, ce qui fit supposer à la femme-fleur qu'elles devaient être de la même famille.
- Au fait, je ne me suis pas présentée... Je me nomme Medusa, et je suis l'oracle des âges. Et voici ma fille, Nayru. Vous sentez-vous assez forte pour vous lever ? Il y a un délicieux repas qui vous attend...
- Oh, je pense que si c'est pour manger, je devrais bien trouver quelques forces... Ce n'est pas Yorwan qui a cuisiné au moins ?
- Non, c'est mon époux, Chronos, et il est probablement le meilleur cuisinier de tout le pays. A vrai dire, il réussit tout ce qu'il fait...
Medusa jeta un regard plein d'affection à sa fille et Flamme ne put s'empêcher de sourire. Elle se reprit rapidement cependant et s'efforça de se lever, mais cette opération fut plus délicate qu'elle ne l'avait cru, et une fois debout elle serait tombée par terre si l'oracle ne l'avait pas rattrapée de justesse.
- On va y aller doucement, proposa-t-elle en entraînant la jeune femme en dehors de la pièce. Vous dormez depuis deux jours et vous n'avez presque rien mangé depuis quatre jours au moins, il est normal que vous soyez particulièrement affaiblie.

Yorwan se trouvait dans la pièce voisine, assis à une table en compagnie d'un vieil homme d'une soixantaine d'années environ dont le regard s'illumina en voyant Medusa et Nayru. Lorsqu'il s'aperçut que Flamme les accompagnait, le Sheikah voulut s'avancer vers les trois femmes, mais il s'arrêta brusquement, comme s'il venait de se rappeler quelque chose d'important.
- Alors, tu n'es pas morte finalement ? se moqua-t-il d'un ton railleur. C'est bête, je pensais être débarrassé, moi...
- De quoi parles-tu ? s'étonna le vieillard à côté de lui. Il n'y a même pas cinq minutes, tu disais encore que tu espérais de toute ton âme que ton amie était encore en vie !
Yorwan lui jeta un regard noir et devint écarlate, mais fort heureusement pour lui Flamme ne s'en aperçut pas. Les nombreux plats qu'elle avait à présent sous les yeux semblaient l'avoir hypnotisée. Medusa s'en rendit compte et l'aida à s'asseoir devant une assiette vide qu'elle remplit avec une sorte de ragoût sur lequel Flamme se jeta sans chercher à se contrôler le moins du monde.
- Alors l'albinos, comment ça se fait que tu puisses encore tenir debout ? demanda la jeune femme entre deux bouchées. Navi a dit que tu ne pourrais plus jamais marcher pourtant...
- C'est grâce à Medusa, expliqua-t-il. Mais je n'ai toujours pas compris comment elle avait fait...
- C'est pourtant simple, soupira l'oracle des âges. Grâce à mes pouvoirs, j'ai pu faire revenir ta jambe à son état passé, et donc avant qu'elle ne soit brisée.
- C'est peut être simple pour vous, grommela le jeune homme, mais moi je ne comprends pas comment ce genre de choses peut être possible... Franchement Chronos, vous comprenez quelque chose vous ?
- Oh, cela fait des années que j'ai laissé tomber tout espoir de comprendre les actes des femmes, répondit le vieil homme, et en particulier lorsque ces femmes s'appellent Medusa et sont oracles des âges.
Flamme fut surprise de découvrir que le vieillard était le mari de l'oracle. Pourquoi une femme aussi belle, qui ne devait pas avoir plus de trente ans, s'était-elle enchaînée à un vieil homme qui devait avoir au bas mot le double de son âge ? Elle n'eut pas le temps d'essayer d'éclaircir ce mystère, car Lésa arriva en courant et se jeta sur elle en pleurant de joie, suivie de près par Navi.
- Flamme ! s'exclama la Kokiri. J'avais tellement peur que tu te réveilles pas !
- Tu n'aurais pas dû t'inquiéter, je suis solide !
- Tellement solide que c'est toi qui étais dans l'état le plus catastrophique, railla la fée. Heureusement que j'étais là, sinon tu aurais fini en surgelé !
Pour toute réponse, la jeune femme lui lança un morceau de viande qui traînait dans son assiette, et Navi ne l'évita que de justesse. Elles commencèrent à se disputer, et lorsque Yorwan et Lésa décidèrent de s'en mêler, cela vira à la bataille de nourriture sous le regard mi-amusé mi-réprobateur de Medusa et Chronos.
Et pour la première fois depuis longtemps, Flamme ne cessait de rire.

Chapitre 37   up

Dès le lendemain, Flamme fut jugée assez forte pour marcher un peu, et le trio partit pour la demeure de Medusa et Chronos. Celle-ci n'était pas particulièrement grande, mais elle était particulièrement chaleureuse, ce qui surprit un peu la femme-fleur. Elle n'aurait jamais cru trouver ce genre de personnes et de lieux dans un monde où vivaient des adoratrices de démons. Mais rapidement, les autres femmes-fleurs et sa promesse à Saria sortirent momentanément de ses pensées, et elle n'était pas la seule à ne plus y penser.
Yorwan, Lésa, Navi et elle passaient leur temps à ne rien faire, à part regarder passer les nuages, et essayer d'attraper des sauterelles dans l'herbe. Flamme se révéla d'ailleurs particulièrement douée à cette occupation, mais Lésa et Yorwan refusaient totalement de le reconnaître. Elle l'accusa d'être de mauvaise foi, et ce fut le début d'une bagarre généralisée qui ne se termina que lorsque le Sheikah commença à saigner du nez après un coup de poing de Navi sur laquelle il avait failli tomber. En bref, ils s'amusaient.
Parfois, Nayru venait les rejoindre, sous la surveillance de Chronos. Le vieil homme intriguait Flamme qui se demandait comment il avait pu séduire Medusa. L'existence de leur fille lui faisait penser qu'il devait cacher des ressources insoupçonnées, mais malgré son inexpérience la plus totale dans le domaine de l'amour, il lui semblait que cela ne pouvait être suffisant. Elle prit donc la décision de lui poser franchement la question.

- Toi, tu veux me demander quelque chose, déclara Chronos en la voyant approcher. Et vu la tête que tu fais, ça doit concerner la différence d'âge entre moi et Medusa, pas vrai ?
- Comment...
- C'est ce que tous les gens qui ne sont pas de la région se demandent. Comment une aussi jolie femme peut-elle avoir épousé un petit vieux dans mon genre ? A vrai dire, s'il y a bien une différence d'âge, ce n'est pas dans le sens que l'on croit.
- Vous ne voulez quand même pas me faire croire qu'elle est plus vieille que vous !
- C'est pourtant la vérité, soupira le vieil homme. Medusa est oracle du temps, et pour cette raison, elle vieillit dix fois plus lentement qu'un Hylien normal. C'est d'ailleurs ce qui me permet d'affirmer que notre fille sera aussi oracle... Je suis sûr que tu vas me prendre pour un fou si je te dis que Nayru a trente ans !
Flamme songea en effet qu'il ne devait plus avoir toute sa tête. L'âge sans doute... quoique... si des sages qui sacrifiaient leur vie pour un pays pouvaient être condamnés à rester ni morts ni vivants pour l'éternité, si un homme qui avait tout risqué pour sauver son pays pouvait brusquement se mettre à le ravager sans raison, alors pourquoi un oracle ne pourrait-il pas vivre en temps différé ?
- Je vous crois, annonça-t-elle finalement. Après tout, j'ai déjà vu des choses bien plus bizarres que ça.
- Je n'en doute pas... vous venez de loin tous les trois d'après ce que m'a raconté Yorwan, et votre chemin est loin d'être terminé... Vous recherchez vraiment la Triforce ?
- Oui... A l'heure actuelle, nous allons chez les femmes-fleurs, parce qu'on nous a dit qu'il y avait dans leurs terres un passage vers le saint royaume.
- Ah... c'est donc le fragment de la force que vous cherchez à récupérer pour l'instant, n'est-ce pas ? Oui, c'est un bon choix pour le commencement... les deux autres seront bien plus durs à récupérer, je le crains. Il vous faudra tuer des innocents...
- Je ne pense pas que Link soit particulièrement innocent...
- Non bien sûr, il n'est pas innocent, ou pas au sens où on l'entend généralement. Mais si ma mémoire ne me fait pas défaut, c'est la princesse Zelda qui possède le fragment de la sagesse. A ce qu'on raconte, elle est enceinte de ce tyran, et se sert de tout son pouvoir pour empêcher son enfant de naître. Je doute qu'elle accepte de se laisser tuer si elle n'est pas certaine du sort de son héritier...
- Eh bien... s'il le faut, je prendrai l'enfant avec moi, voilà tout !
Chronos eut un petit rire amusé qui ne plut pas du tout à Flamme. Elle avait pourtant été extrêmement sérieuse !
- L'avenir te donnera peut-être raison mon enfant... En attendant, tu devrais retourner t'amuser avec tes amis. Vous ne pourrez plus rester très longtemps ici je le crains... Des forces mauvaises sont en train de franchir la montagne, et elles en ont après vous.
- Comment le sav...
- Je le sais, tout simplement. Allons, va !
La jeune femme eut une petite moue boudeuse, puis alla rejoindre les autres qui étaient allongés dans l'herbe et regardaient les nuages. Sans un mot, elle s'installa entre Lésa et Yorwan, puis ferma les yeux.
- Qu'est-ce que tu voulais à Chronos ? demanda le Sheikah.
- Rien... enfin, rien d'important quoi. Dis Yo, je peux te poser une question ?
- Bien sûr. Mais je ne garantis pas que je répondrai.
- Je suis sérieuse, bâtard d'albinos !
- Moi aussi, espèce de peste de caractérielle, répliqua-t-il avec un large sourire. Alors, c'est quoi ta question ?
- Qui est Anna ?
Il se redressa brusquement, plus pâle que jamais.
- Qui t'as parlé d'elle ?!
- Toi. Dans la montagne, tu t'es mis à délirer à cause de la fièvre et tu as parlé d'Anna, de Guenn, d'Alesc'h, du temple de l'ombre, de magie et de quelqu'un qui était mort... Alors, qui c'est ?
Le jeune homme s'assombrit. S'il y avait bien une chose dont il ne voulait pas parler avec Flamme, c'était d'Anna... A vrai dire, il ne voulait parler d'elle avec personne. Même Guenn et Alesc'h n'avaient jamais pu lui arracher un seul mot sur ce sujet depuis "l'accident".
- C'est... quelqu'un, ça ne te regarde pas.
- Ah... comme tu veux. Je peux très bien comprendre, c'est une réaction normale après ce genre de choses, pour ce que j'en sais en tout cas.
- Une minute, objecta le Sheikah. "Après ce genre de choses" ? Qu'est-ce que tu crois qu'il m'est arrivé exactement ?
- Eh bien... c'était ta petite amie et elle t'a plaqué, n'est ce pas ? Crois-moi, je peux comprendre que tu ne veuilles pas en parler, même si ce genre de choses n'est pas vraiment de mon domaine.
Sa petite amie ? Le Sheikah devait admettre que sur ce point au moins, la femme-fleur n'était pas tombée trop loin. Mais pour le reste, elle était totalement à côté de la plaque et il était hors de question de lui laisser croire qu'à un moment ou à un autre de sa vie, il s'était fait larguer. Il avait sa fierté...
- Anna était une amie d'enfance et elle est morte quand on avait sept ans. Tu es contente ?
- Oh ! Ecoute Yorwan, je suis désolée, je ne savais pas, sinon je t'assure que jamais...
- Tu ne pouvais pas savoir... Bon, j'ai un truc à faire.
- Quoi ?
- Un truc...
Il se leva et partit vers la maisonnette où se trouvait Medusa, sous le regard médusé des trois filles. Aussitôt, Flamme se demanda si la mort de cette Anna n'avait pas un rapport avec le fait que Yorwan semblait détester user de magie...

Chapitre 38   up

L'heure du départ commença à approcher. Le trio préparait ses affaires, faisant la liste de ce qui leur manquait, et regardant sur une carte la route qu'ils devraient prendre. D'après celle-ci, il leur faudrait au bas mot un mois avant de parvenir jusqu'à la mer.
- Et une fois au bord de la mer, on fera quoi ? demanda Yorwan. On saute à l'eau et on nage ?
- Une chose à la fois, tu veux ? On va déjà essayer d'arriver là-bas entiers !
- Pourquoi entiers ? s'inquiéta Lésa.
- Parce que Labrynna est un pays très dangereux d'après Medusa, expliqua Flamme. Il y a pas mal de créatures très dangereuses par ici, et je ne parle même pas des gens ! Il paraît qu'ils ne supportent pas les étrangers...
- En effet, confirma Navi. On dit que leur reine est tombée amoureuse d'un marin venu de Termina, et que celui-ci l'a finalement quittée pour reprendre la mer. Il aurait promis de revenir, mais cela fait plusieurs années et on est toujours sans nouvelles de lui...
- C'est triste... dis, comment tu sais tout ça ?
C'était une excellente question que Flamme se posait aussi. D'un autre côté, la fée avait probablement beaucoup voyagé autrefois...
- Tu es déjà venu avec Link ?
La fée sursauta et sa lumière s'affaiblit brutalement.
- Je ne vois pas de quoi tu parles ! s'offusqua-t-elle. Je n'ai rien à voir avec ce criminel, je...
- Tu crois qu'on va te croire peut-être ? se moqua la femme-fleur. Des fées bleues qui s'appellent Navi, ça ne court pas la plaine d'Hyrule...
- Oh... c'est vrai que ce n'est pas un nom très commun... D'accord, je l'avoue, c'est bien moi qui accompagnais Link durant son périple à Hyrule... Mais il n'avait rien d'un monstre à l'époque ! C'était quelqu'un de très doux et entièrement dévoué à Hyrule ! Il aurait pu mourir pour notre terre, pour Zelda, ou pour n'importe lequel de ses amis !
- Oui, nous savons ça, lui assura Yorwan. Tout le monde sait qu'avant, c'était quelqu'un de bien. Mais j'y pense, toi tu sais peut-être pourquoi il a changé !
La luciole le regarda un instant, puis sembla paniquée et voulut s'enfuir en volant. Flamme dut lui sauter dessus pour l'empêcher de partir se cacher.
- C'est une impression où tu veux nous cacher quelque chose ? demanda-t-elle. Tu sais, on ne va pas se moquer de toi ou te faire du mal...
- Je... c'est... c'est ma fauuuuuuuuuuuuuuuuute !
Sa lumière s'éteignit totalement, laissant apparaître une minuscule adolescente en train de pleurer toutes les larmes de son tout petit corps.
- Voilà, c'est ça la vérité, c'est à cause de moi qu'il est comme ça, c'est parce que je suis partie ! L'arbre Mojo m'a fait parvenir un message me demandant de rentrer, parce qu'un véritable Kokiri avait besoin d'une fée, et qu'il voulait que ce soit une fée spéciale, et donc il a pensé à moi !
- Et c'est tout ? s'étonna Yorwan. Tu sais, je ne pense pas qu'à l'époque, il ait pu devenir furieux simplement parce que tu as dû partir t'occuper de quelqu'un d'autre...
- Je n'ai pas fini, sanglota la fée. Je... je ne voulais pas me mettre à pleurer en le quittant, alors j'ai décidé de partir pendant qu'il dormirait...
- Ah, il a pu mal le prendre... mais je ne pense quand même pas que...
- Je n'ai pas fini ! A cause de ça, il a cru qu'il m'était arrivé quelque chose... il est allé à Termina, à Holodrum, à Labrynna même ! Et quand il est revenu, il était... ce qu'il est devenu...
Il y eut un moment de silence. En effet, cette explication était assez logique. Link avait très bien pu partir à la recherche de la fée, et là tomber sur quelque chose - ou quelqu'un - qui avait fait de lui le monstre qu'il était. Ou bien la seule perte de son amie avait-elle suffi à le rendre fou ? Flamme songea que la question pouvait être posée, même si l'état actuel de Navi ne lui permettait pas de trop lui en demander sur le sujet...
- Vous voyez ? c'est ma faute ! cria la fée. Sans moi, jamais vous n'auriez eu à faire tout ça, jamais vous...
- Jamais je n'aurais pris conscience du mal que j'ai fait, l'interrompit Flamme. Si Link n'était pas devenu un tel monstre, jamais je ne serais devenue amnésique, et jamais je n'aurais pris la décision de venir en aide à Saria et aux autres sages... donc dans un sens, je devrais te remercier.
C'était optimiste. Peut-être un peu trop, surtout venant de la part de la femme-fleur. Mais au moins, cela aida la petite fée à se calmer et à redevenir lumineuse, ce qui était dans l'ensemble un assez bon point.
- C'est normal en fait, expliqua-t-elle. Je suis une fée, tout ce que je fais découle à une bonne chose au final ! Vous voulez que je vous raconte la fois où j'ai aidé Link à se battre contre un dragon géant ?
Tout en l'écoutant raconter son histoire abracadabrante, Flamme se demanda si elle n'aurait pas mieux fait de la laisser s'enfuir...

Chapitre 39   up

Deux jours plus tard, le quatuor était à nouveau sur les routes, en direction du sud désormais. Le temps était au beau fixe, il faisait une température idéale... Pour un peu, Flamme en aurait oublié ce qui se passait de l'autre côté des montagnes tant cette région était paradisiaque. Ou plutôt, presque paradisiaque... le fait que Navi ait réappris à parler lui gâchait un peu ce moment de douceur. Finalement, la femme-fleur comprenait pourquoi Link était devenu dingue... Il avait supporté cette espèce de pipelette pendant les Déesses seules savaient combien de temps, et lorsqu'elle l'avait quitté, il était tout simplement devenu fou... de joie. Elle aurait réagi exactement de la même manière à sa place...
- Au fait Flamme, tu devrais faire ré-aiguiser ton épée, déclara la luciole au beau milieu d'une histoire sur comment-Link-avait-vaincu-un-gros-monstre-tout-pas-beau. Elle est extrêmement précieuse tu sais ! C'est l'épée kokiri, la lame sacrée du peuple de la forêt ! Elle a été confiée aux Kokiris il y a des siècles de cela par une femme envoyée par les déesses qui fuyait ses ennemis avec ses deux enfants. On raconte qu'après, cette femme a...
- C'est bon ! l'interrompit Flamme. On va aller dans la ville la plus proche, et je vais faire examiner ton épée, OK ?
- D'accord, ça me va. Tu sais, cette épée a beaucoup servi à Link ! Par exemple, le jour où il s'est battu contre...
La femme-fleur s'éloigna pour ne pas avoir à supporter un autre récit héroïque. Pour elle, quoi que Navi puisse lui raconter, Link était et resterait un tyran monstrueux. Heureusement qu'il était orphelin et sans famille, sans quoi les malheureux qui auraient eu le moindre lien avec lui se seraient sûrement tués de honte.

Le lendemain, le petit groupe entrait dans le village Lynna. Celui-ci n'avait rien de la grande ville à laquelle Flamme s'attendait, mais il était tout de même doté d'une rivière, de quelques magasins et surtout d'un forgeron qui faisait aussi office d'armurier et de médecin à l'occasion. La jeune femme laissa donc Yorwan, Navi et Lésa partir de leur côté et se rendit à la forge.
La première chose qui la frappa une fois sur place, c'est qu'il n'y avait pas grand monde. Et surtout que les rares clients et employés étaient tous des hommes. L'un d'eux, un barbu avec des cheveux poivre et sel, s'approcha d'elle avec un grand sourire.
- Bonjour ma petite demoiselle, vous voulez voir le médecin ? C'est moi !
- Non, je viens voir l'armurier...
- Une femme ? Avoir besoin d'un armurier ? C'est pas pour affûter vos couteaux de cuisine au moins ? Parce que je vous préviens que...
Cette seule idée semblait le mettre hors de lui, et le fait qu'on puisse la prendre pour une simple femme capable de perdre du temps à s'occuper d'une maison rendait Flamme folle de rage. Ce crétin ne savait donc pas reconnaître une femme-fleur lorsqu'il avait le privilège d'en voir une ?
- J'ai besoin de faire aiguiser mon épée, le coupa-t-elle froidement. Et autant vous prévenir au cas où vous refuseriez qu'elle coupe encore largement assez pour vous trancher la tête, compris ?
- Eh eh, tu as du caractère ma jolie ! ça faisait pas mal de temps que je n'avais pas rencontré de femme épéiste, ça me manquait ! On dira ce qu'on voudra, les femmes sont souvent aussi douées que les hommes pour manier les épées, pas vrai ? C'est dans leurs cordes ce genre de choses, ça doit être à cause de la forme.
Rester calme. Ne pas s'énerver... il ne devait pas penser à ça. Il n'avait pas intérêt à penser à ça. D'ailleurs, elle ne devait surtout pas penser à ce genre d'idioties non plus, ou elle allait finir par le réduire en pièces, et à main nue par-dessus le marché, puisque son épée avait tendance à ne pas aimer les effusions de sang...
- Vous vous occupez de mon épée ou pas ?
- Bien sûr ma jolie... Moi aussi j'ai une certaine expérience avec ce genre d'engin. Oh, pas de la même façon que toi je pense, mais...
- Encore un mot, une allusion, un regard, une pensée de ce genre et je vous arrache les poils de la barbe un par un avec une pince à épiler avant de vous les faire avaler en même temps que vos tripes que j'aurai préalablement fait sortir d'un seul coup d'épée. Alors ?
Difficile de savoir si c'était la menace en elle-même ou l'air soudain chaleureux et le grand sourire de Flamme qui firent leur effet, mais le vieil homme pâlit brusquement et perdit toute expression perverse.
- Je suis désolé mademoiselle, j'le ferai plus, promis ! Vous... vous me donnez votre épée ?
Elle lui tendit l'arme avec un léger sourire et il partit en courant pour s'en occuper. Cette technique de menace était légèrement barbare sur les bords, mais elle avait l'énorme avantage de très bien marcher... Il faudrait qu'elle essaye sur Navi la prochaine fois qu'elle commencerait son bavardage.
Le forgeron revint une dizaine de minutes plus tard, l'épée en main, et une expression préoccupée sur le visage.
- Qu'est-ce qu'il y a ? demanda Flamme, un peu inquiète. Il y a un problème ?
- Où avez-vous eu cette épée ?
- Je l'ai trouvée à Termina. Enfin, trouvée... je soupçonne qu'on l'ait laissée quelque part pour être sûr que je la trouve. Pourquoi cette question ?
- C'est... c'est "l'épée des bois"... d'après la légende, elle était conservée dans le Temple des Astres, jusqu'à ce que la première adoratrice du démon l'en retire pour la cacher dans un pays légendaire, Hyrule. Vous... vous ne devriez pas l'avoir !
- Ah ? Personne ne m'avait jamais dit ça... mais c'est vrai que ça se tient. Combien je vous dois ?
Il la regarda dans les yeux, visiblement estomaqué. A priori, il s'était imaginé une réaction plus... non, en fait, il avait certainement juste pensé qu'elle réagirait, ce qui n'était absolument pas le cas.
- Vous ne pouvez pas reprendre cette épée, déclara-t-il. Cette lame est réputée pour être maudite, et seule l'Elue pourrait la prendre sans crainte.
- Ça tombe bien, il paraîtrait que ce serait moi, répondit la jeune femme. Mon épée. Ou je vous explose la tête.
- ...
Il hésita un instant, puis lui tendit l'arme dont elle se saisit rapidement, et avec un grand sourire par-dessus le marché.
- Merci. Je savais que vous finiriez par être raisonnable...
- Vous ne m'avez pas laissé le choix... Mais soyez prudente ! Cette arme est maudite, et si vous étiez une bonne escrimeuse, vous le sentiriez !
- Je ne suis pas une escrimeuse. Je suis une femme-fleur...
Le forgeron lui jeta un regard d'horreur absolu, mais avant qu'il n'ait eu le temps de dire quoi que ce soit, un cri plein de terreur s'éleva dans la ville.
- FLAMME !
C'était la voix de Lésa.

Chapitre 40   up

Yorwan était complètement paniqué. Où était donc Flamme ? Trouver une forge dans ce patelin minable n'était tout de même pas si compliqué que cela ! Elle avait dû se perdre, comme la pauvre idiote sans cervelle qu'elle était, et le résultat ne s'était pas fait attendre : Une bande de moblins dirigée par un Zora à qui il manquait un bras menaçait de tuer Lésa si la femme-fleur ne se dépêchait pas. Et après ça, elle oserait encore dire que ce n'était pas elle qui attirait les ennuis... elle allait l'entendre !
Si elle arrivait. Ce qui n'était pas garanti à l'heure actuelle... Flamme était tellement imprévisible ! Voilà au moins un point sur lequel elle était totalement à l'opposé d'Anna. Il allait falloir qu'il s'en souvienne... Mais il verrait cela plus tard. Pour le moment, il y avait une urgence : sauver Lésa. Et pour cela, il n'aurait pas le choix : il allait devoir se servir de la magie, même si cela le dégoûtait au plus haut point...
Le jeune homme se concentra, essayant de sentir l'énergie qui circulait en permanence dans le sol et l'air. Une fois ce courant trouvé, il commença la partie la plus difficile, surtout pour quelqu'un manquant de pratique comme lui, à savoir canaliser cette énergie et lui faire faire ce qu'il désirait... Le Sheikah y était presque parvenu et se préparait à transformer la magie pure en feu, lorsque quelqu'un le bouscula, le faisant tomber par terre et surtout brisant sa concentration. Il n'avait plus qu'à tout recommencer...
Il se releva donc et jeta un rapide coup d'oeil vers les moblins, pour s'apercevoir qu'il n'aurait jamais le temps de recommencer tout le processus de zéro. Il allait donc devoir se jeter sur les monstres, et s'arranger pour mourir le plus lentement possible pour laisser à Flamme le temps d'arriver et de sauver la Kokiri. Et si elle ne le faisait pas... il reviendrait la hanter à tout jamais pour lui faire payer ça. Tiens, l'idée était assez intéressante...
- Yorwan !
Le Sheikah n'eut pas le temps d'approfondir cette idée pourtant plutôt agréable, car la femme-fleur avait finalement retrouvé son chemin. Il lui lança donc un regard noir pour s'assurer qu'elle ne saurait jamais qu'il était plus que soulagé de la voir.
- Tu en as mis du temps ! Il y a du boulot pour toi, des types ont pris Lésa en otage et ils veulent te voir.
- Et toi, tu n'as rien fait, commenta sèchement la jeune femme. Tu parles d'un homme...
- J'ai essayé, je te signale ! J'ai voulu utiliser la magie, mais on m'a déconcentré, et... Eh, tu pourrais m'écouter quand je parle !
Elle venait de le planter là pour s'approcher des monstres et de leur chef zora. Celui-ci, qui jusque là était demeuré parfaitement inexpressif, eut un petit sourire ironique qui n'annonçait rien de bon.
- J'étais certain que ce petit piège vous ferait venir, Dame Luscinia, déclara-t-il. On dirait que vous tenez réellement à cette petite... Quelle honte pour une femme-fleur !
- Vous n'êtes qu'un misérable mâle, et zora par-dessus le marché, ce qui est une double malchance, il faut bien l'admettre. Les déesses n'ont pas été tendres avec vous... et je ne le serai pas non plus si vous prétendez me juger. Lâchez cette gamine et dites-moi ce que vous me voulez.
- Vous pensez peut-être me faire peur ? Vous n'êtes qu'une amnésique, vous ne savez plus quels sont vos pouvoirs, ni comment les utiliser. Vous êtes inoffensive, vous êtes faible... vous êtes une femme.
Rester calme, détendue... ne pas lui sauter dessus et lui arracher chaque écaille avec une épingle rouillée et enduite de poison. De toute façon, elle n'avait même pas cela sur elle. Et surtout, ce petit minable ne valait pas la peine qu'elle s'énerve ainsi, qu'elle redevienne une meurtrière...
- Dernier avertissement, laissez la Kokiri partir, où je n'hésiterai pas à vous faire très mal.
- Qu'est-ce que je pourrais avoir à craindre d'une femelle ? Vous autres êtes inférieures aux mâles, vous ne servez qu'à porter notre progéniture.
- ...
D'accord. Il le prenait comme ça... Elle aurait pu essayer d'être à peu près gentille, mais il y avait des limites à ce qu'elle pouvait supporter. Et entendre une espèce de crétin manchot avec une peau plus bleue que le ciel lui donner des leçons sur la place qu'elle était censée avoir dans la société dépassait plus que largement cette limite. Cette vermine machiste allait comprendre à quel point énerver une femme-fleur qui venait de découvrir sa protégée menacée par une bande de cochons géants après s'être fait draguer par un vieux pervers, était une mauvaise idée.
En un mot, il allait morfler.

Ou plutôt, il aurait morflé s'il n'y avait eu un léger problème, sous la forme d'un mouvement de foule causé par de hautes flammes s'élevant de la... rivière ?
Yorwan, loin de chercher à comprendre comment un tel phénomène était possible, s'élança vers les moblins et leur arracha Lésa avant d'attraper Flamme par le bras et de se mettre à courir dans la direction opposée à celle prise par les gens normaux.
- Je peux savoir ce que tu fiches ? tempêta la femme-fleur. Espèce de bâtard d'albinos dégénéré, il y a le feu là-bas ! Tu veux qu'on meure ?
- Le feu est sur la rivière, il ne devrait pas se communiquer sur la berge normalement. Enfin, je crois... mais une chose est sûre, c'est que si on va dans l'autre direction, ces barbares vont finir par nous retrouver !
- Mais je VEUX qu'ils nous retrouvent ! Je veux faire la peau à cette espèce de misogyne écailleux !
- Plus tard ! crièrent Yorwan et Lésa d'une même voix.
La jeune femme ne répliqua pas, mais tout en courant elle se jura de retrouver ce Zora pour lui faire comprendre qu'on n'insultait pas impunément une femme-fleur... Elle commençait à réfléchir à ce qu'elle pourrait bien lui faire, lorsqu'elle La vit.

Elle se trouvait au milieu du pont et était en train de vider sur l'eau le contenu de grandes jarres d'huile qui prenait feu aussitôt. C'était une vieille femme, avec les restes d'une ancienne beauté pas tout à fait éteinte... C'était la femme qui lui avait parlé plusieurs mois auparavant, alors qu'ils s'apprêtaient à entrer dans le désert gerudo. C'était Kireina, la reine des femmes-fleurs, celle qui avait invoqué le démon qui lui avait volé son âme, celle à cause de qui elle avait fait tout ce mal, celle à cause de qui elle était devenue Luscinia...
Brusquement, la reine sembla s'apercevoir qu'elle était observée et elle se tourna vers le petit groupe. Les deux femmes se dévisagèrent quelques secondes, puis Kireina détourna le visage et disparut en se téléportant.

Chapitre 41   up

Finalement, même si Luscinia été parvenue à lui échapper, Link était assez content de la prise de Bourg-Clocher. Il avait eu des gens à torturer à profusion, et surtout, il avait trouvé une jeune fille absolument merveilleuse.
Tout d'abord, elle était totalement sublime, plus belle encore que Luscinia, ce qui n'était pas peu dire du point de vue de l'Hylien. Et sa beauté lui semblait d'autant plus grande qu'elle n'était pas une femme-fleur, et que sa pureté n'était pas inviolable... Et pour finir, elle était dotée d'un don rare, que les déesses n'accordaient que très rarement : elle pouvait voir le futur avec une précision et une fiabilité inégalable.
Link avait tout d'abord eu des doutes lorsqu'on lui avait amené la jeune fille et qu'un Sheikah lui avait assuré qu'elle avait un don de vision. Bien sûr, cette race avait le don de découvrir les caractéristiques paranormales chez les autres, mais tout de même. Il lui semblait assez improbable qu'une jeune fille de Termina dotée d'un tel pouvoir ait pu atteindre son âge sans avoir été recrutée de force par les femmes-fleurs. Ceci dit, sa beauté étant certaine, laisser une telle fleur aux mains de ses hommes aurait été un crime... et surtout, ça aurait été se priver d'un nouveau jouet des plus intéressants. Il avait donc demandé au Sheikah qui la lui avait amenée de les laisser seuls, et s'était approché d'elle, un léger sourire aux lèvres.
- Je sais ce que vous voulez, murmura la jeune fille. Je préfère encore mourir...
- Cela pourra toujours s'arranger si tu devais ne plus me plaire. Comment t'appelles-tu ?
- Hétaïre. Et je peux déjà voir votre mort...
- Tu penses peut-être me faire croire que tu as réellement un don de double vue ? Je sais que les Sheikahs sont friands de ce genre de sottises, mais je suis bien moins crédule qu'eux, petite !
Hétaïre ne parut pas impressionnée et elle se permit même un sourire moqueur, chose que seule Zelda osait normalement faire face à Link. Zelda, et parfois Luscinia, les rares jours où elle était de bonne humeur.
- Celle qui porte votre enfant n'a-t-elle pas aussi ce pouvoir ? Ces visions ne vous ont-elles pas permis de vaincre le Prince du Malin autrefois ? Ont dirait que cette stupide femme-fleur n'est pas la seule à avoir des problèmes de mémoire... Peut-être la malédiction de la Triforce qui refait surface chez vous, bien qu'Elle vous ait quitté.
Link resta quelques instants sans rien dire, puis lui donna une violente gifle qui fit tomber la jeune fille. Pourtant celle-ci souriait toujours. Elle avait peur bien sûr, mais sa terreur lui donnait des ailes. Et puisqu'elle était certaine de mourir, ou au moins de souffrir autant qu'à l'époque où elle avait été chez les femmes-fleurs, elle pouvait bien se permettre de s'amuser un peu avant.
- Je te trouve bien insolente pour une simple adolescente... Tu ne sais donc pas qui je suis pour me parler ainsi, jeune idiote ?
- Je sais qui vous êtes mieux que vous ne le savez vous-même, répliqua Hétaïre. Vous avez tout été, vous n'êtes plus rien, puisqu'on vous a volé ce qui faisait de vous quelqu'un. Vous n'êtes plus qu'une enveloppe vide, espérant trouver un moyen d'échapper à son destin !
- Et toi, tu connaîtrais mon futur ?
- Le vôtre, et celui de toute personne dont je désire connaître l'avenir ! Malheureusement, ceux que j'ai tenté d'avertir de ce qui les attendait ne m'ont pas écoutée. On ne peut pas changer ce qui doit arriver, vous devriez vous faire à cette idée, même si...
Elle s'interrompit brusquement, comme consciente qu'elle avait failli en dire trop.
- Même si quoi ? Finis ta phrase jeune fille, ordonna le tyran, ou tu connaîtras la douleur suprême !
- Cette souffrance ne m'est pas destinée ! C'est vous qu'elle attend, pour votre crime, pour vos crimes !
- La douleur éternelle, ironisa l'Hylien. Oui, on m'a souvent promis cela... Mais pour l'instant, ça n'a toujours été que des paroles en l'air.
- Je dis douleur suprême, pas éternelle. Votre calvaire aura une fin, puisque votre faute a permis de sauver l'esprit de... Par la déesse du temps ! Je n'arrive pas à y croire, comment ai-je pu ne jamais voir ça avant ?
Le temps de cette révélation venait probablement d'arriver, songea Hétaïre. Mais tout de même, un tel secret... comment avait-on pu garder une telle chose cachée toutes ces années ? C'était tout simplement incroyable !
L'ex-apprentie femme-fleur était si préoccupée par la vision qu'elle venait d'avoir qu'elle ne s'aperçut que Link s'était approché d'elle que lorsqu'il lui tordit le bras dans le dos.
- Je crois que tu as beaucoup de choses à me dire, Hétaïre... Tout ce que j'ai sauvé, c'est l'esprit d'une gamine qui aurait dû devenir femme-fleur, et qui est finalement devenue une tueuse sanguinaire, crainte par toute personne ayant deux sous de bon sens...
- Lâchez-moi ! Vous me faites mal !
- Oh, mais ça ne marche pas comme cela ma toute belle, se moqua le tyran. Tu vas me raconter tout ce que tu as pu voir sur ma soi-disant fin, et ensuite je te laisserai peut-être tranquille pour un moment...
- Plutôt crever que de vous aider !
L'ancien héros se mit à sourire d'un air peu encourageant. Il venait de reprendre l'avantage... Cette petite idiote ne serait pas différente de Malon ou les autres, elle craquerait rapidement face à son don pour la torture mentale et physique.
- Je te l'ai déjà dit, petite... pour ce qui est de mourir, je pourrai facilement arranger cela. Et puis, j'ai une grande amie qui m'a fait découvrir qu'il y a bien pire que la mort... je ne prétends pas avoir atteint son niveau, mais je ne suis tout de même pas trop mauvais en matière de douleur...
La jeune fille le regarda un instant d'un air inquiet, se demandant ce qu'il allait lui faire, puis elle reprit soudain courage. De toute manière, elle pouvait bien lui raconter deux ou trois petites choses... si elle utilisait un langage suffisamment mystique, il n'y comprendrait pas grand-chose, et ne chercherait pas à lui en demander plus.
- Alors jeune fille ? Qu'as-tu de beau à me raconter ? demanda l'Hylien en lui serrant davantage le bras. A ta place, je ferais vite...
- Le Prince du malin n'a pas entièrement quitté ce monde, loin de là, murmura la jeune fille. Quelque chose de lui a survécu, et c'est cela qui causera à la fois sa propre fin et la vôtre... La femme-fleur mourra aussi de sa main, et l'enfant qu'elle a emprisonnée autrefois reprendra la place qui lui revient de droit. Le jour où la brune éloignera enfin la rousse, l'Elue n'aura plus qu'à commettre son ultime meurtre, sa dernière trahison, pour acquérir la totalité du pouvoir qui lui est destiné... ET VOUS NE POURREZ RIEN Y CHANGER !
Il la toisa du regard. Cette petite avait du cran. Et un don, c'était certain, sans cela, elle n'aurait jamais parlé ainsi de Ganondorf... Il eut un nouveau sourire. Parfait... il venait de perdre un beau jouet, pour gagner une véritable mine d'information... Le tyran assomma la jeune femme d'un coup dur la tête, puis il fit appeler Alesc'h. Le Sheikah arriva dans la minute qui suivit, toujours aussi mystérieux et plus androgyne que jamais.
- Vous m'avez fait demander, Monseigneur ?
- Oui, Alesc'h. Je voudrais que tu emmènes cette jeune fille à Hyrule, dans mon palais. Offre-lui la plus belle chambre que tu trouveras, je tiens à ce qu'elle mène une vie... royale.
- Cette Hylienne doit avoir de grandes qualités cachées pour que vous soyez aussi généreux avec elle, ironisa le Sheikah. Peut-être devriez-vous la présenter à vos meilleurs hommes pour les récompenser...
- A ta place, je ne serais pas aussi insolent, le menaça Link. Aux dernières nouvelles, tu ne l'as toujours pas retrouvé, n'est-ce pas ? C'était pourtant une mission enfantine pour toi... Mais j'ai pu me tromper à ton sujet.
Alesc'h parut particulièrement froissé par cette remarque, mais il parvint à sourire d'un air parfaitement soumis.
- Il s'est trouvé un protecteur bien plus puissant que moi hélas, expliqua-t-il. Je n'arrive pas encore à savoir qui exactement, mais tous les espions que j'ai envoyés sont morts...
- Alors envoie l'armée, sinistre crétin ! Je VEUX ce Sheikah à ma botte ! hurla l'Hylien. Tu ne comprends donc pas la situation ? Il suffirait qu'il se fasse tuer, et tout serait perdu ! TU COMPRENDS CELA ?
Le Sheikah fit un pas en arrière, un peu effrayé. En temps normal, son maître ne s'énervait jamais ainsi contre lui... Il devait absolument La prévenir de ce qui se passait... Elle saurait certainement quoi faire.
- Bien Monseigneur, je ferai selon vos désirs...
Il prit Hétaïre dans ses bras, puis partit après une ultime courbette devant son tyrannique seigneur. La situation devenait dangereuse pour lui, et pour tous les autres, et cela par la faute de cette catin de Luscinia. Quel dommage que le poison n'ait pas parfaitement fait son effet sur elle...

Chapitre 42   up

A des milliers et des milliers de kilomètres de là, Flamme ignorait tout des pensées haineuses formulées par un Sheikah androgyne à son égard. Ceci dit, mais si elle avait su, elle ne s'en serait probablement pas préoccupée plus que cela. En effet, contrairement aux prévisions de Yorwan, l'incendie avait largement dépassé le cadre de la rivière, et le quatuor courait aussi rapidement que possible pour éviter de finir en steak trop cuit. Ou plutôt, Flamme, Lésa et Yorwan couraient, tandis que Navi se laissait tranquillement balader, assise sur une épaule du Sheikah. Le feu allait fort heureusement un tout petit peu moins vite qu'eux, si bien qu'ils purent lui échapper et sortir du village en un seul morceau.
- On a eu chaud, commenta Yorwan. Ceci dit, je brûle de savoir qui est la vieille folle qui a allumé le feu. Tu la connais, Flamme ?
- Tes jeux de mots sont catastrophiques, bâtard albinos. Oui, je sais qui c'est, et... je ne veux pas en parler.
- Tiens, tu nous fais des cachotteries maintenant ?
- Ecoute, tu nous racontes tout ce qu'il y a à savoir sur Anna, et je te dis tout ce que je sais sur la vieille, d'accord ?
- Crève.
- Je vois qu'on est sur la même longueur d'onde, commenta la jeune femme. Bien, et si on s'éloignait de ce fichu village ? Je n'aimerais pas retomber sur monsieur macho et ses sous-fifres... Je suis sûre que mon épée m'empêcherait encore de leur régler leur compte une bonne fois pour toutes...
- Et tu fais toujours ce que ton arme te demande ? se moqua Navi. Pour une héroïne, ça ne le fait pas vraiment...
Aussitôt la femme-fleur lança un regard noir et la petite fée alla se cacher derrière Yorwan aussi rapidement qu'elle le put.
- Je ne suis pas une héroïne, compris ? Dis ça encore une seule fois et je t'arracherai les ailes...
Navi poussa un petit cri et se cacha dans la tunique du Sheikah pour être sûre que la jeune femme n'essayerait pas de mettre ses menaces à exécution. Celui-ci commença à gesticuler dans tous les sens pour la faire sortir tandis que Lésa le regardait faire en riant de tout son soûl.
Flamme soupira. Comment pouvaient-ils penser à rire alors qu'ils étaient recherchés par une dingue probablement envoyée par Link, et que la reine des femmes-fleurs en personne s'était dérangée pour les sortir du pétrin. Or connaissant Kireina, ce n'était pas forcément une bonne nouvelle... en temps que femme-fleur, elle était parfaitement capable de les avoir sauvés uniquement pour avoir le plaisir de les tuer elle-même. Cela ne serait pas la première fois qu'elle ferait ce genre de choses, et certainement pas la dernière non plus.
Navi, qui venait de sortir de la tunique de Yorwan et cherchait à présent à échapper au Sheikah furieux, s'immobilisa brusquement dans les airs.
- Flamme ?
La jeune femme ne se tourna même pas vers elle.
- Oui ?
- Tu voulais que le Zora macho et ses copains nous rattrapent, pas vrai ?
- Oui, pourquoi ?
- Parce que le Zora macho est là, femelle. Pensais-tu vraiment qu'un incendie suffirait à nous faire perdre votre trace ?
Cette fois, Flamme se retourna.
- Tiens, mais vous n'êtes peut-être pas si stupides que ça finalement... Malheureusement, je crains de devoir vous tuer à présent.
- Penses-tu me faire peur, femme ? se moqua le poisson misogyne. Tu es peut-être bonne parleuse, mais je doute que tu sois aussi douée dans le feu de l'action.
La jeune femme réagit au quart de tour : elle sortit son épée de son fourreau, puis se jeta sur le Zora qui eut tout juste le temps de se protéger avec son aileron pour empêcher la jeune femme de le décapiter. Visiblement, il ne s'attendait pas à ce qu'elle passe à l'acte... Flamme de son côté était assez surprise, son épée semblait ne pas désapprouver ce combat. Tant mieux dans le fond, elle allait pouvoir se détendre un peu.
Les moblins ne l'entendaient pas de cette oreille. Voyant leur chef en danger, ils se précipitèrent pour le tirer des griffes de la femme-fleur. Mal leur en prit, car les premiers à arriver près d'elle se firent littéralement embrocher sur l'épée de la jeune femme. Les suivants s'arrêtèrent en pleine course en voyant cela, se demandant à présent si la vie du Zora avait réellement assez de valeur pour qu'ils risquent la leur sous le regard moqueur de Flamme. Le Zora en profita pour repousser la jeune femme et pour sortir sa propre arme, une lame ou moins deux fois plus large que Flamme.
- Voilà la preuve de ma supériorité sur toi, femelle, déclara-t-il d'un ton pompeux. Une arme que tu ne pourrais soulever à deux mains, il me suffit d'une pour m'en servir.
- Admettons que tu aies plus de muscles que moi. Je dispose d'une chose que tu n'as jamais eue et n'auras jamais : un cerveau !
- Toi...
Ivre de rage, le Zora se précipita vers elle et leva son épée, prêt à la découper en tranches, mais il s'arrêta en pleine course et tomba par terre, frappé par une sorte d'éclair en boule. Flamme se tourna aussitôt vers Yorwan, prête à lui dire très exactement ce qu'elle pensait du fait qu'il avait osé interrompre SON combat sans qu'elle l'y ait autorisé, mais le Sheikah ne la regardait absolument pas. Il fixait une silhouette enveloppée dans une grande cape noire. Une silhouette étrangement familière...
- Kireina !
- Tiens tiens, tu as retrouvé la mémoire on dirait, constata la vieille femme. Je connais quelqu'un qui risque de ne pas apprécier la nouvelle...
- Link ? Je pense que je me remettrai de ça sans trop de problèmes. Les petites crises de mécontentement de Monseigneur ne m'intéressent plus tellement.
- Elles devraient pourtant ! A ce que je vois, tu as toujours une cervelle de Goron !
Flamme ignora les ricanements de Yorwan et jeta un regard noir à la vieille femme, prête à lui envoyer une réplique cinglante, lorsqu'elle entendit quelqu'un courir derrière elle. Profitant que plus personne ne le regardait, le Zora s'était relevé et s'apprêtait à venir embrocher la femme-fleur, oubliant un instant qu'il devait la ramener vivante. Elle eut tout juste le temps d'esquiver pour éviter de finir en brochette.
- Vous, ce n'est vraiment pas le moment !
- Tu prétends me donner des ordres, femme ?
- Disons plutôt un conseil, crâne de poisson ! Je déteste être dérangée quand je parle, compris ? Alors fais cou-couche panier et fiche-moi la paix trente secondes !
- Espèce de sale petite...
Le visage du Zora passa du blanc à un rouge vif pas particulièrement esthétique et rassurant, si bien que la jeune femme se demanda si elle n'y avait pas été un tout petit peu trop fort avec lui. Il était probable que oui, car le mercenaire souleva sa lourde épée au-dessus de lui, prêt à l'abattre sur elle.
Yorwan, voyant ce qui allait se passer, se jeta sur la jeune femme pour la protéger, faisant au passage tomber Lésa et Navi qui se retrouvèrent prises en sandwich entre Flamme et le Sheikah. Le Zora parut un peu surpris de cette tentative de protection, mais il se ressaisit bien vite et avec un sourire sadique se prépara à laisser retomber son arme sur le quatuor. Kireina resta un instant sans pouvoir bouger, puis elle sembla reprendre le contrôle d'elle-même.
Sans quitter le petit groupe du regard, elle se concentra et murmura quelques mots sans queue ni tête. Les quatre amis virent une lueur rougeâtre les entourer, puis ils disparurent juste au moment où l'épée du manchot s'abattait exactement là où ils s'étaient trouvés. En voyant l'air à la fois ahuri et furieux du Zora, Kireina ne put retenir un petit rire qui ne dura pas.
Affaiblie par l'effort qu'elle venait de faire, la vieille femme tomba à genoux. Elle n'avait décidément plus l'âge de ce genre de choses... Luscinia avait intérêt à bientôt pouvoir se débrouiller seule, car elle ne pourrait plus lui venir en aide très souvent...
Profitant de la faiblesse de la reine des femmes-fleurs, l'un des moblins survivants l'assomma d'un unique coup de poing, puis il se tourna vers son chef pour savoir ce qu'il devait en faire.
- Emmène cette vieille folle à sa Majesté Link. C'est une femme-fleur à en juger par ses cheveux et ses yeux, il devrait être content. Même si elle est un peu vieille pour lui, il pourra toujours s'amuser à la torturer, j'imagine.
Le monstre hocha la tête avec un grognement, puis mit la vieille femme sur son épaule et partit dans la direction qu'il espérait être celle de Termina. Pour cette capture, il serait probablement récompensé...

Chapitre 43   up

Lorsque Flamme ouvrit les yeux, elle remarqua tout d'abord qu'elle avait un mal de crâne absolument atroce. Quoi que cette vieille folle de Kireina leur ait fait, elle n'y était pas allée de main morte, c'était le moins qu'on puisse dire. Et puis, il y eut... l'odeur.
Une odeur salée, une sorte de mélange de poisson, d'algue, de sable chauffé, d'embruns... en un mot, l'odeur de la mer. Mais c'était impossible, ils avaient encore tant de chemin à faire avant d'y arriver ! Encore tant de danger à affronter avant de s'opposer au plus grand d'entre eux, l'océan, l'impitoyable océan...
Et pourtant, quand elle se redressa pour regarder autour d'elle, la jeune femme ne put le nier. Ils y étaient, ils étaient au bord de la mer, tout près de la fin d'une partie de leur aventure, peut-être même de la fin tout court... Kireina les avait donc téléportés ? Non, impossible, pourquoi aurait-elle fait cela ? Puisqu'elle voulait les tuer, il aurait été plus logique qu'elle éloigne les mercenaires pour s'occuper de leur cas en toute tranquillité, non ? A moins qu'il n'y ait autre chose, à moins qu'elle n'ait voulu... les sauver ? Mais encore une fois, pourquoi aurait-elle fait cela ? A cause... à cause d'un lien particulier entres les deux femmes peut-être... Cela disait vaguement quelque chose à Flamme, mais impossible de savoir quoi.
Un grognement se fit entendre derrière la jeune femme qui se retourna. Yorwan, qui à première vue avait lui aussi mal à la tête, venait de se réveiller, suivi de près par Lésa qui ne semblait pas beaucoup plus en forme que les deux adultes.
- Où sommes-nous ? demanda le Sheikah. Qu'est-ce que cette espèce de vieille chauve-souris nous a fait ?
- En un mot, je dirais qu'elle nous a transportés au bord de la mer par magie.
- Ça fait un peu plus d'un mot, j'espère que tu l'as remarqué...
- Je t'en prie Yorwan, ce n'est pas le moment d'essayer de faire de l'humour... j'ai l'impression qu'un troupeau de Gorons s'est amusé à faire la course dans mon cerveau...
- Bienvenue au club... Bon, on devrait se chercher un bateau, non ? Il me semble que les femmes-fleurs vivent de l'autre côté de la mer, non ?
Flamme acquiesça simplement. Pour une fois, l'albinos n'avait pas une trop mauvaise idée... ça lui arrivait de plus en plus souvent d'ailleurs. S'il n'avait pas eu un humour aussi stupide, elle aurait presque dit qu'il était devenu intelligent. Presque.
- Il y a une maison là-bas, signala Lésa en pointant du doigt un cabanon en ruines. Peut-être qu'il y a quelqu'un qui pourra nous aider à aller chez les femmes-fleurs !
- Je me demande qui peut bien vivre dans une bicoque pareille, se demanda Flamme. Ce truc n'a l'air de tenir debout que par miracle...
- Elle appartient probablement au petit vieux qui est devant, tu crois pas ? Il a l'air rudement gentil, on va le voir ?
Sans attendre la réponse, la petite Kokiri se mit à courir en direction du vieil homme, suivie par les deux adultes qui se demandaient comment elle pouvait être aussi en forme alors qu'eux ne rêvaient que de dormir. D'un autre côté, les Kokiris étaient des immortels, ils devaient avoir une résistance particulière face aux petits tracas de la vie quotidienne... peut-être même étaient-ils immunisés contre les migraines. Ce qui expliquerait qu'ils arrivaient à supporter aussi facilement les fées.
Lorsqu'ils rejoignirent la fillette et le vieil homme, ceux-ci étaient en pleine conversation et ils les ignorèrent durant un bon moment. Il ne fallut rien de moins que la voix soudain stridente de Navi pour rappeler aux deux bavards qu'ils n'étaient pas seuls au monde.
- Lésa ! Je peux savoir avec qui tu parles encore ?
- Oh, pardon ! Je vous présente monsieur Cheval ! C'est un étudiant de la mer ! Je lui ai demandé s'il pouvait nous aider à aller sur la mer, et il a dit oui, c'est gentil, pas vrai ?
Très gentil en effet. Mais à présent qu'ils se rapprochaient du territoire des femmes-fleurs, Flamme trouvait la gentillesse particulièrement suspecte. D'autant plus que ce vieil homme lui rappelait vaguement quelque chose, sans qu'elle puisse dire quoi exactement.
- Quelle adorable enfant, murmura Cheval en se tournant vers la jeune femme. Est-ce votre fille mademois... Par l'oracle ! Vous...vous... vous êtes une femme-fleur !
- Nous avons tous nos petits défauts que voulez-vous... Je peux vous assurer que je me passerais bien de celui-ci.
- Votre visage me dit quelque chose... n'êtes-vous pas Lu... Lu... ah, je n'arrive pas à retrouver ce nom... La filleule de serment de la reine Kirieina ?
- Luscinia. Oui, c'est effectivement moi...
Tiens, elle était la filleule de serment de Kireina ? Effectivement, maintenant qu'il le disait... ça lui semblait parfaitement logique. Et ça l'était, elle se souvenait que tout le monde disait d'elle qu'elle avait toujours eu un immense potentiel.
- Filleule de serment ? s'étonna Yorwan. C'est quoi encore ce délire ?
- Ce n'est pas un délire, mon cher albinos complètement taré. Chaque femme-fleur, à partir du jour où un démon s'est emparé de son âme, doit prêter le serment qu'elle obéira toujours à sa reine et à celle qui l'a fait jurer qu'on appelle la marraine de serment. Dans mon cas, ça veut tout simplement dire que la seule personne à laquelle je dois rendre des comptes, c'est Kireina. Simple, non ?
- Si tu le dis...
- Je le dis justement ! Bien, à présent que ce détail est réglé, revenons à cette histoire de traverser la mer. Vous seriez réellement prêt à nous aider, monsieur ?
- Comme si un homme pouvait refuser quoi que ce soit à une femme-fleur, mademoiselle. Bien sûr que je vous aiderai... mais êtes-vous réellement consciente des risques encourus par vos compagnons ? Il n'y a qu'une seule personne à être jamais revenue vivante de votre île. Par personne, je veux bien entendu dire en dehors des femmes-fleurs elles-mêmes...
Encore Link... il était diablement connu dans la région celui-là... Une idée étrange traversa alors l'esprit de Flamme.
- Dites-moi, cette personne... qu'est-ce qu'elle allait faire exactement chez les femmes-fleurs ? Du tourisme ?
- Non. C'était un adolescent au coeur pur, et il m'a dit être à la recherche d'une amie aussi importante à ses yeux qu'une soeur qui avait mystérieusement disparu depuis plusieurs années. Il pensait que peut-être elle se trouvait sur... qu'a donc votre fée ?
Navi, en entendant les mots recherche et amie, s'était éteinte et s'était posée sur l'épaule de Lésa pour pleurer toutes les larmes de son petit corps.
- Ça lui rappelle de mauvais souvenirs, expliqua Flamme. Continuez votre histoire s'il vous plaît.
- Bien... Ce tout jeune homme, qui ne m'a hélas jamais révélé son nom, pensait que son amie pouvait se trouver chez les adoratrices des démons. Il m'a donc emprunté ma barque et est parti à l'aventure sur les mers. Il en est revenu quelque temps plus tard, une ou deux semaines si ma mémoire est bonne. Mais ce n'était plus vraiment le même malheureusement... Il était devenu froid, distant et semblait particulièrement déboussolé. Quant à ses yeux, autrefois d'un bleu profond, ils avaient pris la teinte du feu... j'ignore ce qui a bien pu arriver à ce pauvre jeune homme, mais je ne souhaite cela à personne.
Des yeux couleur de feu ? Mais Link avait toujours les yeux bleus pourtant, Flamme s'en souvenait parfaitement. Elle se souvenait même d'une conversation à ce sujet. L'ancien héros du temps lui avait confié que si ses yeux étaient toujours du même bleu azur, c'était parce que... parce qu'il utilisait la magie pour les colorer. Il avait refusé de lui expliquer pourquoi il devait faire cela, mais elle avait trouvé toute seule... Mais à cause de cette fichue amnésie, impossible de se souvenir de ce qu'elle avait découvert, même si, elle en était certaine, cela avait été le premier pas vers sa perte de mémoire...

Chapitre 44   up

Après un rapide repas composé essentiellement de poissons et de crabes offerts par Cheval, le trio monta à bord de la petite barque, détacha la grosse corde qui l'empêchait de dériver et partit vers l'horizon.
Etant le seul homme du groupe, Yorwan avait été désigné volontaire par Flamme et Navi pour ramer tandis qu'elles s'occupaient du gouvernail et que Lésa scrutait l'océan dans l'espoir de voir, déjà, l'île des femmes-fleurs. Flamme avait bien tenté de lui expliquer qu'ils n'arriveraient pas en vue de cette terre maudite avant deux jours au minimum, mais c'était peine perdue, la fillette semblait totalement euphorique à l'idée de se rendre utile.

Même si elle refusait de se l'avouer, Flamme se sentait aussi d'assez bonne humeur. Peut-être était-ce parce que Yorwan était en train de s'épuiser pour les faire avancer, ou parce qu'elle s'approchait du premier fragment de la Triforce, ou tout simplement parce qu'elle allait retourner à l'endroit qui ressemblait le plus à ce qu'elle pourrait appeler chez elle. Chez elle... c'était une drôle d'idée quand on y pensait. Et encore plus quand on l'associait à l'île des femmes-fleurs.
C'était un endroit absolument épouvantable. Peuplé de jeunes femmes toutes plus superbes, plus intelligentes et plus douées les unes que les autres, probablement parce que ces femmes étaient aussi les monstres les plus sanguinaires et les plus cruels que le monde ait jamais connu. Et Flamme était l'une d'entre elles...
Elle soupira. Tout de même, c'était amusant toute cette histoire. Elle avait été la meilleure de toutes les femmes-fleurs, et à présent elle les considérait toutes comme des erreurs - et elle la première. Ça lui rappelait un peu une autre histoire, celle de... tiens, qu'est-ce que c'était déjà comme histoire ? Une qui lui avait été racontée par... par...
- Link...
- Tu as dit quelque chose ? s'étonna Yorwan.
- Hum ? Non, je réfléchissais à voix haute...
- Tu pensais à Link ? Il te manque peut-être ?
Si la vague pointe de jalousie dans la voix du Sheikah échappa totalement à la jeune femme, l'accusation ne manqua pas de la faire réagir.
- Et puis quoi encore ! Je réfléchissais juste à ce que Cheval nous a raconté sur ce type avec des yeux de feu, c'est tout !
- Mouais... et quel est le rapport avec Link au juste ? Il a les yeux bleus, pas rouge. Tout le monde sait ça.
- Il les AVAIT bleus. Maintenant, ils sont comme les miens, couleur de feu.
- Il met des lentilles colorées ?
- Tu comptes être sérieux un jour ? Et puis c'est quoi ça des lentilles colorées ?
Yorwan haussa les épaules avec un petit sourire d'excuse.
- A vrai dire, je n'en ai pas la plus petite idée. Mais je trouvais que ça collait bien.
- Crétin albinos...
- Oui, je sais, tu m'adores. Mais au lieu de me faire tant de compliments, si tu m'en disais plus sur cette histoire, hein ?
Rester calme, ne pas tuer ce petit bâtard albinos qui pourtant l'aurait mérité...
- Cette couleur de l'iris a une signification particulière. Toutes les femmes-fleurs ont les yeux de la même couleur, tu le savais ? Kireina m'avait expliqué un jour ce que ça montrait, mais je n'arrive pas à m'en souvenir.
- Ça a peut-être un rapport avec les démons, suggéra Lésa.
- Pardon ?
- Ben oui. Ils viennent de l'enfer les démons, non ? Et l'enfer, c'est tout en feu, comme vos yeux.
Les yeux écarquillés, Flamme fixa la fillette durant plusieurs minutes avant d'arriver à nouveau à parler.
- Bien sûr ! Lésa, tu es un génie ! C'est ça, c'est exactement ça ! Tous ceux dont l'âme est touchée ou volée par un démon sont en quelque sorte brûlés, et cette brûlure est visible dans leur regard ! C'est ça, c'est exactement ça ! Lésa, tu es incroyable !
- Je sais, répondit la petite Kokiri en souriant largement. Mais c'est quand même agréable à entendre !
Ils éclatèrent tous de rire, mais en une seconde Yorwan retrouva son sérieux, et même une gravité anormale.
- Les déesses nous protègent, je viens de réaliser quelque chose...
- En effet, si tu commences à réfléchir, c'est inquiétant, railla Flamme. Qu'est-ce que tu viens de réaliser ?
- Les yeux enflammés sont la marque des démons...
- Oui, c'est bien... mais c'est ce que Lésa vient juste de dire, tu sais.
- ... et Link a les yeux enflammés, continua le Sheikah comme s'il n'avait rien entendu. Ce qui veut dire que...
- Que tu as bien écouté ce qu'on a dit, c'est b... La Triforce nous protège ! Tu penses que...
- Oui, exactement.
- Nous sommes fichus !
- Vous pouvez nous expliquer ? suggéra Navi. Parce que si vous, vous avez compris, ce n'est pas notre cas !
Flamme prit une grande inspiration, encore sous le choc.
- Comment dire ça... il est... il est possible que... qu'un démon ait volé l'âme de Link...
- Possible ? répéta Yorwan. C'est la seule explication, oui !
- Non. Comme je l'ai dit, il suffit que le démon touche l'âme pour que les yeux changent de couleur. Et s'il est venu sur l'île, ça a pu arriver une demi-douzaine de fois au bas mot.
- Si c'est ce que tu penses, marmonna le Sheikah d'un air particulièrement peu convaincu.
Mais ce n'était pas ce qu'elle pensait, bien au contraire. Le fait qu'il n'ait plus d'âme pouvait parfaitement expliquer le comportement et le mode de réflexion si inhumains qui caractérisaient Link depuis qu'il était revenu à Hyrule... Simplement, elle ne voulait pas inquiéter ses compagnons pour rien. Les Terres des femmes-fleurs allaient comporter suffisamment de dangers réels et immédiats, inutile d'y ajouter d'autres craintes...

Chapitre 45   up

Les yeux fixés sur un petit nuage blanc en forme de crapaud qui ressemblait fortement à Yorwan, Flamme rêvassait. Ou plus exactement, elle repassait dans sa tête tout ce qui lui était arrivé depuis qu'elle s'était réveillée dans la plaine, totalement amnésique. Elle en avait fait du chemin depuis, et elle avait beaucoup changé. Plus en bien qu'en mal d'ailleurs, ce qui était tout de même assez surprenant de la part d'une personne sans âme, pour ne pas dire anormale. D'un autre côté, le fait de ne pas avoir d'âme étant lui-même totalement anormal, pouvait-on parler de normalité pour quelqu'un comme elle ?
- Dis, tu m'écoutes ? fit Yorwan en agitant ses doigts devant les yeux de la jeune femme. A quoi tu penses encore ?
- A quelque chose de tellement compliqué que je n'arrive même pas à me comprendre, soupira Flamme. Qu'est-ce que tu voulais me dire ?
- Qu'on arrive en vue d'une île. Etant donné que tu es la seule à être déjà venue, tu pourras peut-être nous dire si c'est bien la tienne.
- Celle des femmes-fleurs, nuance. Je ne me considère absolument plus comme l'une d'entre elles !
- Admettons. Ça ne répond absolument pas à ma question, tu sais.
Après une petite grimace exaspérée, Flamme arracha son regard du nuage pour le laisser dériver à la surface de la mer, et elle eut tôt fait de repérer l'île dont parlait le Sheikah. Elle sentit son coeur se serrer et elle cessa de respirer durant quelques secondes. Aucune erreur possible, il s'agissait bien de l'île des femmes-fleurs.
- Que les Déesses nous protègent, nous ne pouvons plus faire demi-tour à présent...
- J'en déduis que c'est le bon endroit, soupira Yorwan. Je ne sais pas pourquoi, mais je l'aurai parié. Mais tu sais, si tu y tiens vraiment, on peut toujours regagner le continent. Je pourrais très bien comprendre que tu renonces finalement à...
- Je n'ai pas peur ! protesta Flamme. Tu peux penser ce que tu veux à mon sujet, j'ai fait une promesse à cette gamine et je la tiendrai, quoi qu'il arrive ! Maintenant, cap sur cette maudite île !
- Euh... Flamme ?
La jeune femme jeta un regard polaire au Sheikah.
- Quoi encore ? Tu ne sais pas comment diriger un bateau ?
- Ben... c'est surtout que c'est toi qui tiens la barre en fait... Après, si tu insistes, je peux te jeter à l'eau et diriger la barque moi-même, mais je doute que tu apprécies.
S'efforçant d'ignorer que son visage était devenu cramoisi de gêne et de colère contre elle-même, Flamme grommela quelques insultes sans queue ni tête à l'encontre de son ami et plus particulièrement de son humour, puis elle orienta leur embarcation vers l'île sous les regards amusés de Yorwan, Lésa et Navi. Mais lorsqu'elle posa ostensiblement sa main sur son épée, ils reprirent instantanément leur sérieux pour une mystérieuse raison. Flamme songea qu'elle aurait pu se sentir insultée de leur peur, mais après réflexion, elle ne leur dit rien. Avoir peur d'elle pouvait être quelque chose de particulièrement raisonnable après tout.

Deux ou trois heures plus tard à peine, ils débarquèrent sur une superbe plage de sable blanc et fin bordée d'immenses palmiers si hauts qu'ils semblaient toucher le ciel. Le ciel était d'un bleu éclatant, la mer turquoise les appelait à la baignade : un véritable avant-goût du paradis. Qui ne tarderait pas à se terminer en enfer si les femmes-fleurs les trouvaient là, Flamme ne le savait que trop bien. Il y avait des patrouilles régulières dans le but précis de détecter toutes les personnes qui n'avaient rien à faire sur l'île pour leur régler leur compte au plus vite. Elle avait été particulièrement douée à ce petit jeu autrefois.
- Et maintenant, on fait quoi ? demanda Yorwan. On visite le coin, on drague un peu, on récupère la Triforce de la Force et on rentre à la maison ?
- La seule chose que tu vas faire, c'est mourir, sale mâle, déclara Flamme, ou tout du moins une voix particulièrement proche de celle de la jeune femme.
La nouvelle venue, ou plutôt, celle des nouvelles venues qui venait de parler, était un petit bout de femme plus minuscule encore que Flamme. Elle aurait pu être assez jolie, mais une immense cicatrice lui barrait le visage et ses cheveux de feu presque ras étaient bien trop courts au goût de Yorwan. Ceci dit, elle avait de magnifiques yeux, exactement les mêmes que ceux de Flamme, et de toutes les autres femmes-fleurs présentes en fait.
- Alors Luscinia, reprit la balafrée, tu ne t'amusais plus assez avec ton roi, alors tu es rentrée avec quelques petits jouets pour t'amuser ? Seulement voilà, j'ai une mauvaise nouvelle pour toi. Kireina n'est pas là, et JE suis sa remplaçante temporaire. Pour cette raison, je déclare que...
- Touche un seul de leurs cheveux et tu es morte, déclara platement Flamme.
- Je comprends que tu puisses vouloir t'amuser, mais ce n'est pas à toi de décider. Je te confisque tes prisonniers.
- Ce sont mes amis, pas mes prisonniers.
- Appelle-les comme tu veux, ça ne change rien au p... Tu peux répéter ? Tes... amis ?
Elle regarda Flamme quelques secondes, l'air à la fois choqué et interloqué, puis éclata de rire.
- Je vois que tu as appris de nouveaux mots durant ton séjour sur le continent, mais on dirait que tu n'as pas tout à fait appris à les utiliser, railla-t-elle. Tu ne pourras jamais comprendre le sens du mot "ami", et encore moins l'utiliser, Luscinia !
- C'est toi qui ne comprends pas, Sanaël, répliqua Flamme d'une voix toujours aussi calme et neutre. Ce sont mes amis et ils sont sous ma protection.
- Tu n'as pas le droit, hoqueta Sanaël, tu n'es pas la reine ! Seule Kireina peut faire ça ! Même moi, sa remplaçante, je ne peux pas !
- Et bien je vais créer un précédent. C'est ça qu'on appelle le progrès. Mais si mes souvenirs sont bons, cette notion t'est inconnue, n'est-ce pas ?
Yorwan la regarda sans comprendre. Que lui arrivait-il donc ? Cette Sanaël tenait leur vie entre ses mains et Flamme ne trouvait rien de mieux à faire que de l'énerver en prenant de grands airs !
- Tu n'as pas changé, constata la balafrée en s'efforçant de cacher sa colère, sans grand succès. Moi qui aurais pensé que le continent t'améliorerait un peu, c'est raté.
- Oh ! mais il m'a améliorée, Sanaël. A un point que tu n'imagines même pas. Bon, ce n'est pas tout ça, mais nous avons des choses à faire. J'ai été absolument ravie de te revoir, ça m'a permis de m'assurer une fois de plus que tu ne valais rien, mais je dois te quitter à présent. A jamais, j'espère.
Elle tourna le dos à la reine intérimaire qui semblait avoir dépassé les limites de la folie furieuse, mais n'eut pas le temps de faire deux pas avant que celle-ci ne se mette à hurler.
- TU VEUX JOUER A ÇA, LUSCINIA ? TRES BIEN ! VOUS ALLEZ TOUS LES QUATRE SUBIR L'ORDALIE !
Flamme ne sembla absolument pas surprise par cette déclaration et lorsqu'elle se retourna, elle paraissait même assez satisfaite.
- C'est d'accord, Sanaël, répondit-elle un léger sourire aux lèvres. Je m'en remettrai au jugement des démons et des déesses, de même que mes amis.
- Reste à savoir lesquels décideront de se préoccuper de vos destins.
- Je n'ai pas le moindre doute à ce sujet.
- Heureux hasard, moi non plus...

Chapitre 46   up

Si l'on faisait abstraction des insultes et autres piques que Sanaël et Flamme se lancèrent en permanence, le trajet jusqu'au village des femmes-fleurs fut relativement calme. Durant les quelques minutes où ils marchèrent, Yorwan regarda tout autour de lui, et plus particulièrement autour de Flamme.
Il était encore sous le choc. Qu'est-ce qui arrivait exactement à son amie ? Elle ne s'était pas comportée de manière aussi... aussi... aussi... orgueilleuse depuis au moins deux semaines, peut-être même trois ! Mais le simple fait de se retrouver au milieu de ses consoeurs semblait vraiment lui faire perdre la tête. D'un autre côté, il devait bien admettre que s'il avait eu l'occasion de parler à Sanaël, il n'aurait certainement pas été beaucoup plus aimable. Pour une étrange raison, elle lui était totalement antipathique, et à voir l'expression de Lésa, c'était un cas général. Même les autres femmes-fleurs semblaient la détester au plus haut point, réservant ce qui ressemblait bien à de l'adoration pour Flamme qui, toujours prise dans sa petite dispute, ne s'en apercevait pas.
- Qu'est-ce qu'elle a ? demanda Lésa en pointant la jeune femme du doigt. Je la trouve drôlement bizarre... Et c'est quoi une loraldie ?
- Je ne sais pas. Je ne sais pas pour les deux questions, précisa Yorwan, et ça m'inquiète un peu...
- Une ordalie est un jugement divin, intervint Navi. Ça se pratiquait autrefois à Hyrule, mais c'était tellement barbare que lorsqu'elle est arrivée au pouvoir, la famille royale s'est empressée d'abolir cette pratique. En un mot, on faisait subir à l'accusé une épreuve, souvent un combat à mort contre un gladiateur ou un monstre. S'il survivait, il était innocent, sinon, il était coupable. C'était simple, mais efficace, non ?
- Juste un poil barbare, commenta le Sheikah d'un ton grinçant. Et qu'est-ce que ça a de divin comme jugement ?
- Les Déesses n'auraient jamais permis qu'un coupable survive. En tout cas, c'était la théorie de l'époque, mais j'ai les plus grands doutes à ce sujet. En fait, j'ai déjà assisté à ça une fois, et...
- Silence, ordonna une jeune fille de treize ou quatorze ans peut-être qui marchait à côté d'eux. Nous arrivons au village, vous ne devez pas le souiller par vos paroles impures.
Yorwan se tourna vers elle, prêt à lui dire ce qu'il pensait de l'impureté de ce qu'il disait, mais l'adolescente commença à jouer avec une sorte de poignard dont la pointe recourbée comme un hameçon fit venir toutes sortes de pensées pas très réjouissantes à l'esprit. Il préféra donc se priver de répondre, ce qui fit apparaître un sourire triomphant sur le visage de la jeune fille.
En entrant dans le village, le Sheikah fut frappé par l'incroyable simplicité de tout ce qu'il voyait. Les maisons étaient presque toutes de bois, et même les deux ou trois bâtiments de pierre avaient des toits de chaume. Dans les ruelles, quelques poules gambadaient, surveillées du coin de l'oeil par deux vieux chiens à moitié endormis et surnaturellement galeux, eux-mêmes surveillés par de vieilles femmes lisant des grimoires au moins aussi âgés qu'elles. En fait, on aurait presque pu se croire dans un village ordinaire, comme les mondes en connaissaient des centaines. Tout de même, qui aurait pu croire que Flamme venait d'un village de bouseuses, plus minable encore que Kokoriko ?
La jeune femme justement semblait elle aussi un peu surprise, et il était visible que les souvenirs qu'elle avait retrouvés après des mois d'amnésie ne correspondaient absolument pas avec ce qu'elle voyait.
- Dame Luscinia ! s'écria une des vieilles femmes. Venez vite tout le monde, Dame Luscinia est de retour ! Elle doit avoir des nouvelles de sa Majesté !
Une vingtaine de femmes, toutes dans une tranche d'âge se situant entre treize et quatre-vingt ans, sortirent des maisons et se précipitèrent autour de Flamme, la bombardant de questions diverses et variées sous l'oeil critique de Sanaël qui semblait passablement vexée d'être ainsi mise de côté.
- Eloignez-vous d'elle, ordonna-t-elle au bout de quelques minutes. Luscinia va se soumettre à l'Ordalie, tout comme les étrangers impurs qu'elle a osé amener ici. Vous connaissez toutes la loi, je me dois de la conduire au palais, alors écartez-vous !
Bien qu'elle récolta nombre de regards haineux, la jeune femme au crâne presque rasé demeura inflexible, et les femmes-fleurs retournèrent à leurs activités, non sans se tourner de temps à autres vers Flamme pour lui sourire. Sanaël poussa un grognement dégoûté, puis se remit en marche et fit signe au quatuor d'avancer aussi.

Le palais dont avait parlé Sanaël était plus une ruine qu'autre chose, mais une ruine récente, comme s'il avait subi une catastrophe naturelle ou une puissante attaque quelques années voir quelques mois plus tôt. Les pierres grises commençaient déjà à être envahies par du lierre et des mousses incroyablement colorées, tandis que le toit était transpercé par endroits par des branches d'arbres et de lourdes poutres de bois et de métal.
- Qu'est-ce qui s'est passé ici ? s'étonna Flamme. J'avais le souvenir d'une île resplendissante et je reviens sur une île... sur une île...
- Une île misérable, une île ravagée, compléta Sanaël. Pitoyable, n'est-ce pas ?
- Et pourquoi sommes-nous aussi peu ?
- Tout ça, c'est... à cause du vieux temple, murmura la balafrée d'une voix terrorisée. Il y a quatre ans, une apprentie a tenté de s'enfuir et elle a tenté d'y entrer, soi-disant parce qu'elle y avait vu une lumière rouge. Je faisais partie de l'équipe chargée de la ramener et je l'ai vue entrer... Dès qu'elle a été à l'intérieur, il y a eu une sorte de tremblement de terre, des nuages noirs ont caché le soleil, la terre a craché du feu, j'ai cru que c'était la fin du monde, l'époque du règne des démons... et puis j'ai été assommée par une pierre. Quand je me suis réveillée, j'ai couru jusqu'au village. Il avait été détruit et le palais était dans l'état actuel. La majorité des apprenties étaient mortes, ainsi qu'une bonne partie des initiées, soupira la jeune femme d'un ton morne. Et il y a quelques mois, alors qu'on fouillait dans les décombres du palais, Kireina a trouvé un vieux texte et elle est partie à ta recherche. Voilà, tu sais tout...
Flamme resta un moment immobile, comme incapable d'accepter le cataclysme qui s'était produit sur l'île, puis elle s'aperçut que Sanaël faisait d'énormes efforts pour ne pas fondre en larmes, et dans un mouvement de pitié, de compassion, elle voulut poser sa main sur son épaule, mais la reine intérimaire la repoussa violemment.
- Ne me touche pas ! grinça-t-elle. Nami !
L'adolescente qui avait ostensiblement menacé Yorwan quelques minutes plus tôt s'avança, et si son attitude était docile, son regard montrait clairement que si elle obéissait, ça n'était certainement pas par respect ou par peur de Sanaël.
- Que puis-je faire pour toi cette fois ? demanda Nami avec une légère inflexion insolente.
- Conduis-les à la chambre de l'initiée qu'ils se préparent mentalement à ce qui les attend. Et en vitesse, si ce n'est pas trop te demander !
- Ce doit être faisable en effet... Suivez-moi, les impurs. Et vous aussi, Dame Luscinia. Ça n'est pas la porte à côté après tout, expliqua l'adolescente d'une voix moqueuse.

En fin de compte, c'était pourtant bien la porte d'à côté et presque au sens propre du terme. Une fois à l'intérieur des ruines, Nami se tourna vers la première porte à gauche, l'ouvrit et les laissa passer.
- Et voilà, ceci sera vos appartements pour les quelques heures qu'il vous reste à vivre, leur annonça-t-elle avec un petit sourire mauvais. Amusez-vous bien...
Elle referma alors la porte en la claquant fermement, les laissant livrés à eux-mêmes. Flamme commença par faire un rapide tour de la pièce, puis elle se laissa tomber sur un énorme coussin, soulevant au passage un nuage de poussière.
- Eh bien, je crois qu'on ne s'en sort pas trop mal dans l'ensemble, commenta-t-elle calmement. En fait, on s'en sort même plutôt bien, vous ne trouvez pas ?
- Non, je ne trouve pas, répondit Yorwan avec aigreur. Nous allons nous faire tuer, tu te rappelles !
- Nous allons subir des épreuves relativement difficiles, corrigea la jeune femme avec un sourire apaisant. Crois-moi, j'ai déjà assisté à une ou deux ordalies, et il arrive que les gens s'en sortent.
- IL ARRIVE QU'ILS S'EN SORTENT ? explosa le Sheikah. Et c'est censé me rassurer ça ?
Flamme soupira.
- Tu n'es qu'un trouillard de crétin d'albinos dégénéré. Mais malgré ça, si tu donnes le meilleur de toi-même, tu peux réussir l'épreuve que Sanaël va t'imposer. Crois-moi, tu es beaucoup plus malin qu'elle et tu es sorcier. Tu vas t'en sortir.
- Si tu n'avais pas asticoté cette Sanaël comme ça, je n'aurai même pas à subir d'épreuve...
- Que tu crois. Elle est ma rivale depuis que nous sommes devenues des femmes-fleurs, alors je la connais, expliqua Flamme. Cette idiote est l'un des rares exemples de fillette volontaire pour venir sur cette île, juste parce que son père l'a défigurée avec son sabre un jour qu'il était ivre. Depuis, elle hait les hommes, et quoi qu'on ait fait, elle aurait trouvé une raison pour s'en prendre à toi. Et à moi par la même occasion, puisque j'aurais bien été obligée de te défendre.
Malgré tout le self-contrôle qu'il s'imposa, Yorwan ne put s'empêcher de rougir, ce que Flamme, qui inspectait les fissures du plafond d'un air circonspect, ne remarqua pas, une fois de plus.
- Tu... tu aurais été forcée de me défendre ? balbutia le Sheikah d'une voix rauque. Pourquoi ?
- Parce que tu es mon ami, répondit-elle d'un ton solennel en faisant redescendre ses yeux pour les planter dans ceux du jeune homme. Je n'avais jamais eu d'amis avant toi et Lésa, et vu mon charmant caractère, je n'en aurai probablement jamais d'autres. Je ne peux quand même pas te laisser mourir sans tenter de te fournir au moins une chance de t'en sortir ! Ce serait... Qu'est-ce qui t'arrive, l'albinos ? Tu es complètement écarlate !
- Fait chaud, c'est... c'est pour ça...
- Si tu le dis... c'est vrai que nous sommes au niveau de l'équateur après tout...
Il y eut un moment de silence gêné et Flamme retourna à son examen du plafond.
- Dis Flamme, ça va être quoi les épreuves ? s'inquiéta Navi au bout d'un moment.
- Je ne sais pas exactement... enfin, je ne sais pas pour vous. Pour moi, je le sais. Et je ne veux pas en parler, murmura-t-elle d'un ton lugubre.
- C'est si terrible que ça ?
- C'est pire encore... En tout cas, je sais que vos épreuves seront en rapport avec vos races, vos âges, et peut-être vos personnalités si Sanaël arrive à les cerner... alors essayez de rester aussi impassibles que possible devant elle, quoi qu'il puisse arriver.

Chapitre 47   up

Le lendemain matin, peu avant l'aube, Nami vint chercher le quatuor pour le conduire dans la clairière où devait avoir lieu l'ordalie. Lorsqu'ils y arrivèrent, le soleil levant donnait une teinte sanglante à la terre et Lésa, encore mal réveillée, se colla contre Flamme. Cette dernière avait remis son masque hautain et orgueilleux, mais Yorwan aurait parié un million de rubis qu'elle était largement aussi inquiète que lui, et peut-être même plus.
Les quelques femmes-fleurs que comptait encore l'île arrivèrent quelques minutes plus tard et s'installèrent sur des troncs d'arbre renversés qui semblaient être là depuis la nuit des temps. Une bonne partie d'entre elles semblait encore bien endormie, mais il y en avait deux ou trois, dont Sanaël, qui semblaient en pleine possession de leurs moyens.
- C'est fou, je n'arrive pas à aimer le sourire de cette idiote balafrée, murmura Flamme.
- Ça doit venir du fait qu'elle sourit en te regardant, répondit Yorwan. Vu comme elle te déteste, ça n'est pas bon signe qu'elle soit contente.
- Elle a de quoi l'être en plus... Mais ce n'est pas le moment de parler de ça. Sanaël va nous faire un joli petit discours pour nous annoncer qui sera le premier à subir l'épreuve et deux ou trois petites choses dans ce genre.
En effet, la reine intérimaire s'approcha d'un air hautain et les dévisagea tous avant de se tourner vers les femmes-fleurs.
- Mes soeurs, ces étrangers impurs et Luscinia ont accepté de recevoir l'ordalie et de se soumettre aux volontés des Déesses, mais surtout à celles des démons qui gouvernent nos vies à toutes. Toute la nuit durant, j'ai interrogé les étoiles pour savoir quelles épreuves il convenait de leur imposer et dans quel ordre ils devraient les endurer, et les astres m'ont répondu. La première à souffrir, et probablement à mourir, sera cette enfant éternelle aux cheveux de paille. Elle devra plonger sa main gauche dans un bain de braises durant une minute entière, et si un seul cri, un seul gémissement franchit ses lèvres ou si elle retire sa main, elle sera mise à mort par notre soeur Nami.
Flamme ne put retenir un petit cri d'horreur. Sanaël était une sadique tirant un plaisir révoltant de la souffrance des autres, elle le savait, mais jamais elle n'aurait cru qu'elle irait jusqu'à imposer l'épreuve du feu à une Kokiri. Pour une enfant des bois, les flammes étaient probablement la pire torture imaginable...
- Sanaël, tu n'es qu'une...
- Naturellement, continua la balafrée sans prêter attention à l'interruption de sa rivale, sa fée, en temps que moitié de son âme, sera autorisée à la soutenir dans cette épreuve si elle le désire, mais en aucun cas elle ne devra user de magie pour soulager leur douleur. Après cela, viendra l'épreuve du mâle qui devra affronter notre soeur Nami et son redoutable poignard incurvé à mains nues dans un combat à mort. Puis ce sera le tour de Luscinia qui devra invoquer son démon, ce qui ne devrait poser trop de problèmes à notre soeur si elle est aussi douée qu'on veut le faire croire...
La soeur en question lui décocha un regard noir, mais parvint à se retenir de répondre. Inutile de s'attirer davantage d'ennuis après tout... Tandis que Sanaël faisait magiquement apparaître un brasero, Flamme attrapa Yorwan par le bras et le tira vers un tronc où ils s'assirent.
- Lésa va vraiment devoir...
- Oui, murmura Flamme d'une voix étouffée par l'angoisse. Et on ne peut rien faire pour elle, à part... à part regarder et espérer que les Déesses seront avec elle...

Une incroyable détermination était ancrée sur le visage de la petite Kokiri alors qu'elle s'approchait lentement du brasero, Navi posée sur son épaule. La fillette hésita un instant, puis se mordit les lèvres et posa les mains sur les braises. Elle ne retint que de toute justesse un cri de douleur tandis que des larmes commençaient à couler sur ses joues. Sa fée, paniquée, commença à voleter dans tous les sens jusqu'à ce qu'elle croise les regards de Flamme et Yorwan. Comme si elle venait d'avoir une idée, elle se posa à nouveau sur l'épaule de Lésa et commença à lui chuchoter quelque chose qu'elles étaient les seules à entendre.
Le temps passa alors lentement, très lentement. Trop lentement pour Flamme qui se sentait au bord de la crise de nerf et avait planté ses ongles dans le bras de Yorwan pour se calmer. Et puis, enfin, au bout de ce qui leur sembla des heures, Sanaël, pâle comme la mort, reprit la parole.
- L... l'enfant à réussi son épreuve, annonça-t-elle d'un air incrédule. Nami ! Va chercher un baume pour les brûlures et des bandages. Elle a amplement mérité des soins...
L'adolescente poussa un grognement puis partit en courant vers le village tandis que Lésa retirait enfin sa main des flammes. Mais au lieu de s'effondrer sur le sol pour laisser libre cour à sa douleur comme n'importe quel être normalement constitué l'aurait fait, elle alla se jeter dans les bras de Flamme.
- Tu as vu ? J'ai réussi, j'ai réussi ! Moi aussi je suis forte, comme vous deux ! Je suis forte comme une grande !
- Tu es plus forte qu'une grande, lui assura Flamme d'une voix éteinte. Aucune de ces femmes-fleurs n'aurait pu tenir aussi longtemps que tu l'as fait.
Elle serra la petite fille dans ses bras tandis que Navi s'asseyait sur les genoux de Yorwan.
- Tu sais quoi ? C'est grâce à toi que Lésa a tenu, déclara-t-elle au Sheikah. Je lui ai dit d'être comme tu avais été quand tu avais la jambe brisée, et elle a réussi.
- Je n'ai pas arrêté de gémir quand on était dans la montagne, objecta-t-il. Je ne suis pas un très bon exemple...
- Bah, ça a marché, c'est le plus important. Tiens, ta copine Nami est de retour.
La jeune femme-fleur s'approcha d'eux, jeta un petit pot de céramique et des bandes de tissu à Flamme, puis sortit son poignard et dédia un sourire mauvais à Yorwan.
- A ton tour, sale mâle impur, ricana-t-elle. Et laisse-moi te dire que je suis infiniment plus dangereuse que le feu...

Chapitre 48   up

NamiUn superbe coup de pied retourné envoya Yorwan sur le sol. Encore une fois. En cinq minutes de combat, ça n'était jamais que la septième fois après tout, et il n'avait jamais été coupé qu'une petite vingtaine de fois. A savoir bien peu lorsqu'on connaissait le talent de Nami. En fait, si la chance était de son côté, le Sheikah pouvait peut-être espérer survivre encore quatre ou cinq minutes. Six grand maximum.
Flamme soupira. Si seulement elle avait pu faire quoi que ce soit pour l'aider... Elle l'aurait fait sans la moindre hésitation. Ne serait-ce que parce qu'il était totalement déshonorant pour elle d'être l'amie d'une telle loque, même pas capable de battre une simple adolescente. Rien que pour ça, s'il perdait, elle l'étranglerait. Et s'il survivait... elle aviserait le moment venu. Mais ça avait peu de chance d'arriver.
- Aie ! Flamme, ne serre pas autant le bandage, tu me fais mal, protesta Lésa. Tu veux pas regarder ce que tu fais au lieu de fixer Yorwan ?
- Je ne le fixe pas.
- Ça y ressemble drôlement pourtant, railla Navi. Il est plutôt mignon, d'accord, mais là, c'est presque inconvenant ce que tu fais !
- Encore un mot la luciole, et c'est toi qui vas aller faire un tour dans le brasero la prochaine fois, compris ?
- Je crois que j'ai saisi l'idée.
- Parfait, murmura Flamme en recommençant à s'occuper de la blessure de la Kokiri d'un air absent.

Yorwan, en se relevant de sa septième chute, tourna un instant la tête vers les trois filles, et s'aperçut que Flamme le regardait. Et mieux, qu'elle avait l'air anxieux. Finalement, il pouvait bien mourir, le grand miracle avait eu lieu : Flamme s'inquiétait pour lui. Après un instant de réflexion, il décida tout de même qu'il valait mieux ne pas mourir. Parce que s'il survivait, la jolie femme-fleur serait certainement rudement contente, et ça pourrait être plutôt intéressant ça...
- Le combat, c'est de ce côté, espèce de sale mâle !
Un nouveau coup de poignard dans le dos rappela le Sheikah à l'ordre. Avant de penser à la récompense de son amie, il fallait peut-être réussir à gagner le combat. Ce n'était qu'un détail bien sûr, mais ce genre de détails avait tendance à être capital. Restait à savoir comment vaincre cette mini sadique assoiffée de sang.
La sadique miniature en question se mit alors à rire d'un air fort peu chaleureux, ce qui donna une idée au Sheikah. Elle était parfaitement stupide, ridicule, et n'avait qu'une chance sur un million de fonctionner, mais dans l'état actuel des choses, ça valait toujours le coup d'essayer. Il se jeta donc sur Nami qui, surprise, n'eut pas le temps d'esquiver, et sous le regard incrédule de toutes les femmes présentes, il commença à la chatouiller. La réaction de l'adolescente ne se fit pas attendre, elle se mit à glousser, tentant de se débattre pour empêcher le Sheikah de continuer, mais sans succès. Rapidement, elle laissa tomber son poignard.
Sans s'empêtrer de quelques notions de galanterie que ce soit, Yorwan envoya au loin Nami qui tomba sur le sol et s'empara prestement de son arme. La jeune fille voulut se relever, mais il pointa le poignard sur sa gorge, l'empêchant de se redresser.
- Sale mâle, je n'arrive pas à croire que tu aies utilisé une manière aussi lâche, aussi...
- C'était un combat à mains nues que je sache. J'ai utilisé mes mains, j'ai respecté les règles.
- Pervers !
- A l'occasion, oui. Mais tu n'es pas mon style. Trop jeune.
Les deux adversaires se dévisagèrent un moment, aucun n'osant faire le moindre mouvement de peur que l'autre en profite. Puis soudain, le jeune homme laissa tomber le poignard à côté de la jeune fille. Il ne pouvait quand même pas la tuer, ça serait s'abaisser au niveau des femmes-fleurs et de Link, ce qu'il ne voulait pas. Et puis... avec ses cheveux et ses yeux couleur de feu, Nami ressemblait vaguement à Flamme. Elle n'avait absolument pas le même visage et les mêmes expressions, mais la ressemblance était là.
- Qu'est-ce que tu fais ? s'étonna l'adolescente. Pourquoi tu ne me tues pas ?
- Parce que je ne suis pas un adepte du meurtre, contrairement à certaines...
Nami le regarda dans les yeux, visiblement surprise. A première vue, la pitié ne faisait pas partie des notions qu'on lui avait inculquées depuis l'enfance, mais le comportement du Sheikah semblait tout de même la toucher.
- Nami, tue-le, ordonna Sanaël. S'il refuse de continuer le combat, il doit...
- Je refuse. Se battre contre un adversaire qui préfère mourir que tuer, c'est déshonorant. C'est Kireina qui m'a appris ça, tu ne peux pas réfuter ce qu'elle a dit !
La reine intérimaire lui dédia un regard dégoûté, appréciant assez peu cette remise en cause de son autorité déjà fragile.
- Je vois... dans ce cas... l'une d'entre nous devra...
- Il remporte l'épreuve, décréta une vieille femme. Telle est la loi lors d'un combat, si les deux adversaires abandonnent. L'aurais-tu oublié, Sanaël ?
- Non, bien sûr que non, grogna-t-elle. Tu as de la chance, Sheikah ! Je te déclara vainqueur de ton épreuve, tu as donc le droit de vivre. A toi Flamme, murmura-t-elle d'un ton inquiétant.
Le visage tendu, la peau exsangue, la jeune femme se leva sans un mot, sans un regard vers ses amis et se dirigea vers le centre de la clairière d'un pas décidé. Aussitôt, Nami se releva, attrapa Yorwan par le bras et l'entraîna vers Lésa et Navi.
- Qu'est-ce qui te prend ? lui demanda-t-il.
- Ce n'est pas bon d'être trop près du lieu d'invocation d'un démon. Pas bon du tout...

Chapitre 49   up

D'un geste assuré, Flamme traça sur le sol une étoile à cinq branches enfermée dans un cercle qu'elle décora de petits symboles ésotériques. Ces derniers étaient loin d'être indispensables puisqu'ils n'assuraient qu'une protection mineure, mais elle les avait toujours trouvés beaucoup trop jolis pour être oubliés. Et puis, si elle devait mourir, autant faire les choses dans les règles de l'art.
Car elle allait mourir, c'était l'évidence même. C'était généralement ce qui arrivait lorsqu'on avait l'idée stupide d'invoquer un Démon Majeur, or celui de Flamme en était un. Cette catégorie particulière de démons était la plus puissante, la plus incontrôlable, et aucun Hylien n'avait jamais pu imposer sa volonté à l'un d'eux. Bien sûr, le pentacle dans lequel elle allait s'enfermer devait protéger Flamme, mais le Démon Majeur tenterait à coup sûr de s'en prendre aux autres personnes présentes, et la jeune femme allait se sacrifier pour l'empêcher de dévorer qui que ce soit et le renvoyer en enfer. Aucun démon ne pouvait demeurer dans le monde des vivants si celui qui l'avait invoqué n'y était plus, c'était une règle.
Flamme soupira et jeta un bref regard à ses amis. Ils allaient lui manquer... Mais elle n'avait guère le choix, hélas. Si elle échouait à son épreuve, ils seraient probablement tous mis à mort, et tous les efforts qu'ils avaient faits jusque là auraient été inutiles.

Plus décidée que jamais, la jeune femme se concentra et commença à murmurer les formules d'invocation. Celles-ci lui vinrent avec une facilité déconcertante compte tenu du fait que nombre de passages de son passé lui demeurait inconnu, mais elle préféra ne pas se préoccuper de ce détail et se laissa entraîner par le doux rythme de ces paroles héritées d'un autre temps, celui de la première femme-fleur.
A quelques mètres d'elle, Lésa et Yorwan la surveillaient avec anxiété, craignant de voir arriver quelque malheur. Que feraient-ils si quelque chose arrivait à Flamme ? Outre le fait que plus rien n'empêcherait Sanaël de les exécuter, la disparition de la jeune femme signifierait la fin de la mission dont ils s'étaient investis, car ni le Sheikah, ni la fillette ne se sentait de taille à reprendre le flambeau. Et inutile de parler de Navi qui s'était cachée dans la tunique de Lésa pour ne pas voir ce qui se passait.
Soudain, l'air devint flou autour de Flamme, comme si la température y augmentait brutalement. Peu à peu ce flou se changea en une masse de vapeur immense et blanche qui prit la forme d'un monstre immense et se colora rapidement. Ce ne fut plus alors un simple nuage, mais bel et bien un démon en chair et en crocs, un être infernal prêt à dévorer tout ce qui passerait à se portée.
- C'est vraiment gros, un Démon Majeur, constata Nami d'une voix neutre.
- Et ça a une sacrée mâchoire, riposta Yorwan sur le même ton. Mais Flamme le contrôle, c'est ça ?
- En théorie, oui. En pratique, c'est impossible d'imposer sa volonté à ces grosses bestioles, je crois. La situation risque de tourner à notre désavantage.
- Ça veut dire qu'on va tous mourir ?
- Probablement.
- Je craignais cette réponse.
- Il ne faut jamais poser de questions dont on ne veut pas connaître la réponse.
Cette passionnante discussion philosophique fut interrompue par un tonitruant rugissement du démon. Ce dernier, après s'être aperçu que le pentacle où se trouvait Flamme l'empêchait manifestement de la dévorer, avait passé en revue toutes les personnes présentes, et le regard qu'il dédia à Lésa annonça à la fillette qu'elle était la plus appétissante de l'assemblée. Avec un sourire torve, la créature écailleuse commença à avancer vers la petite Kokiri toute tremblante.
- Arrête ! lui ordonna fermement Flamme. Je t'interdis de toucher à un seul de ses cheveux !
- Viens donc me redire cela hors de ton cercle, railla le démon d'une voix caverneuse et pleine de mépris. Pauvre sotte, ignores-tu que...
Il s'interrompit en la voyant quitter d'un pas assuré la protection qu'elle avait tracée au sol. Ce geste totalement inconsidéré choquait le démon, ainsi que toutes les femmes-fleurs présentes à en juger par leurs expressions horrifiées.
- Ne la touche pas, répéta obstinément la jeune femme. Autrement tu auras affaire à moi.
- Tu es courageuse, Hylienne. A moins que...
Il huma l'air ambiant, comme s'il recherchait une fragrance particulière, qu'il trouva d'ailleurs. Ce parfum lui arracha un grognement dégoûté, et il lança à Flamme un regard écoeuré.
- Une Intouchable, cracha-t-il. Il a fallu que je tombe sur une saleté d'Intouchable, pour la seconde fois en trop peu de temps ! Tu as de la chance, Hylienne, ta mort ne m'appartient pas. Ceci dit, les autres membres de cette petite assemblée ne bénéficient pas de la même protection. Or moi, ici, j'ai froid, et ça me rend irritable. Alors renvoie-moi d'où je viens, ou le sang risque fort de couler pour réchauffer l'atmosphère.
- U... une Intouchable ? C'est quoi ça ?
- Des histoires qui ne me plaisent pas. Je peux rentrer ?
Incapable d'articuler la moindre parole, Flamme se concentra et fit disparaître son démon sans vraiment s'en rendre compte. Après qu'une mourante ayant subi des heures de torture l'ait proclamée Elue, elle se retrouvait bombardée Intouchable par un Démon Majeur. Toute cette histoire devenait un sacré bordel, à la limite du délire d'une psychopathe sadique doublée d'une schizophrène...
- Luscinia, tu m'écoutes ?
Sanaël la fixait d'un air contrarié, visiblement vexée d'être ainsi ignorée.
- Oh, pardon. Tu disais quelque chose ?
- Parfaitement, reprit la reine intérimaire d'un air pincé. Je disais que, contre tous mes pronostiques, vous aviez tous réussi vos épreuves.
- Même qu'elle me doit une fortune maintenant, se moqua Nami. On avait parié.
L'adolescente se fendit d'une immense sourire signifiant clairement l'importance des sommes mises en jeu.
- Bref, vous êtres libres et avez droit à un souhait, grommela Sanaël. N'importe lequel, mais demandez quand même pas l'impossible...
Il ne fallut pas deux secondes à Flamme pour savoir ce qu'elle allait demander. Elle fit signe à Lésa, Yorwan et Navi de se taire, et sourit à sa rivale avant de lui révéler son souhait.

Chapitre 50   up

- Je veux que vous nous emmeniez au vieux temple.
- Pardon ?!
- Parce qu'en plus d'être idiote, tu es sourde ? Les déesses ne t'ont vraiment pas gâtée, ma pauvre.
- Continue comme ça, et je pourrais décider de vous tuer quand même.
- Je suis morte de peur, railla Flamme en étouffant un bâillement.
La Reine intérimaire lui jeta un regard noir, puis soupira.
- Que veux-tu faire là-bas ? Il n'y a rien dans ce temple, juste une dalle de pierre avec de drôle de symboles et une espèce de socle. En plus, je t'ai dit ce qui s'est passé la dernière fois que quelqu'un y est entré ! Tu veux donc nous tuer toutes ?
- C'est une idée ça... Mais ce n'est pas mon but premier. Dans ce temple, il y a un passage vers le Saint Royaume, et c'est là que je dois me rendre. Rien ne me fera changer d'avis.
- Très bien, Flamme, soupira la jeune femme, vaincue. Si tel est votre souhait à tous...
- Ça l'est, déclara fermement sa rivale.
- ... je vous conduirai demain matin au vieux temple. Le reste de cette journée sera consacré à...
- Faire la fête ! s'exclama Nami en souriant largement.
Flamme et Sanaël se tournèrent vers elle en même temps, et d'un même regard lui demandèrent des explications.
- Ne me fixez pas comme ça toutes les deux ! Dame Luscinia, on s'ennuie tant ici, votre retour est un événement ! Vous n'allez pas nous priver de ce plaisir, minauda-t-elle en lui lançant un regard suppliant, les yeux pleins de larmes.
- Il ne lui manque plus qu'un chapeau à plume et un accent espagnol, grogna Sanaël. Quelle comédienne...
- Au moins, elle, elle joue juste, fit remarquer Flamme. Pas comme une certaine personne de ma connaissance, ajouta-t-elle avec un regard appuyé en direction de la reine intérimaire. D'accord, petite, une fête fera du bien à tout le monde je pense. Pas vrai, la balafrée ?
Sanaël ne répliqua pas.

En deux temps, trois mouvements, les femmes-fleurs bricolèrent une fête étonnement joyeuse de la part d'une bande d'adoratrices de démons. Certaines allèrent jusqu'à enchanter des instruments afin qu'ils jouent de la musique avec un nombre tolérable de fausses notes.
Elles se mirent alors à danser entre elles, se retenant d'inviter Yorwan à leur servir de cavalier. Les plus vieilles, parce que ç'aurait été un sacrilège, les plus jeunes parce que son combat contre Nami les avait convaincues qu'il devait avoir les mains baladeuses. Pour s'occuper, le malheureux Sheikah n'eut donc d'autre choix que de s'attaquer aux réserves de bière du village. Et celle-ci étant sensiblement plus alcoolisée que celles auxquelles il était habitué, il ne lui fallut pas longtemps pour être incapable de distinguer sa main droite de la gauche, en dehors du fait que la droite tenait sa chope.
Il regarda alors autour de lui d'un air distrait, cherchant les visages qui lui étaient familiers. Navi et Lésa étaient en pleine discussion avec Nami, Sanaël faisait des efforts monstres pour rester dans son coin et ne pas montrer que cette petite surprise-partie ne lui plaisait pas, et Flamme discutait avec une vielle femme-fleur.
Ah, Flamme... Didiou, l'était vraiment jolie chelle là ! L'avait un caractère de... comment on dit déjà ? Ah, ouais, un caractère de cochon, mais en dehors de cha, ch'était un beau brin de fille, pas de problème de che côté ! Juchte que ch'était dommage qu'elle choit une femme-fleur quoi. Tiens, elle le regardait ! Normal, l'était drôlment beau goche pour un sheikah, perchonne lui réjichtait. Oh ! v'la même qu'elle v'nait l'voir !
- Yorwan, je crois que tu as assez bu...
- Bof, j'ai prechque rien bu ! protesta-t-il tandis que le sol commençait à tanguer dangereusement. Dis, qu'est-che qu'elle a la terre ichi ?
- Le sol n'a rien, Yorwan, mais je n'en dirais pas autant de toi...
Elle che r'tiens d'chourire ma parole ! Faut dire, chuis tellement chuper...
- Tu danches avec moi, chérie ? proposa-t-il avec un sourire qui se voulait charmeur. Tu vas voir, j'va te faire voir le chetième chiel tellement que j'chuis bon !
Elle le regarda un instant d'un air bizarre, se demandant ce qu'il voulait dire exactement par-là, puis éclata de rire.
- Pourquoi pas ? Mais je te conseille de garder tes mains à leur place si tu ne veux pas d'ennuis, compris ?
Yorwan acquiesça et voulut accompagner ce geste d'une digne révérence pour honorer la dame de ses pensées, mais il perdit le peu d'équilibre qu'il lui restait et tomba à genoux par terre.
- Ma déeche ! cria-t-il à Flamme, toutes ses inhibitions envolées. Ch't'aime, tu peux même pas imaginer ! Chuis à toi, chi tu veux de moi ben chûr.
Loin de se trouver embarrassée par cette déclaration assez peu romantique, la jeune femme se remit à rire.
- Finalement, je vais aller me coucher. Et si tu veux mon avis, tu ferais bien de faire pareil. Bonne nuit.
Elle se baissa et l'embrassa sur la joue, puis s'éloigna en riant toujours autant. Dès qu'elle fut hors de vue, Yorwan s'effondra définitivement sur le sol et s'endormit.

Chapitre 51   up

Le lendemain, Yorwan se réveilla avec un mal de crâne carabiné, et la sensation qu'il avait fait une bêtise, mais impossible de se souvenir laquelle. Ça devait être à cause de ce rêve où il avait fait une sublime déclaration d'amour à Flamme. Il s'aperçut alors qu'il était allongé par terre, la bouche puant l'alcool, et vu l'état dans lequel il avait dû être, ce n'était probablement pas un rêve.
- Alors, tu as fini de dessaouler ? demanda Flamme d'une voix fruitée tandis qu'elle entrait dans la pièce où avait eu lieu la fête. Même si tu étais amusant, je te préfère largement dans ton état normal.
- A... amusant ?
- Parfaitement. Tu as dit un tas de choses hier soir, expliqua la jeune femme avec un sourire parfaitement sadique. Que tu m'aimais par exemple...
A cette seule idée elle éclata de rire, ne remarquant pas que le Sheikah était devenu plus rouge que les cheveux d'une Gerudo.
- Ouais, ridicule, bredouilla-t-il. Leur bière devait être aussi forte que le machin des Gerudos pour me faire dire des trucs pareils. Bon, c'est quoi la suite du programme ? ajouta-t-il rapidement pour changer de conversation, celle-ci ne lui plaisant pas plus que cela.
- Nous partons sur-le-champ pour le temple. Tu ferais bien de te préparer.
- Ah ? Parce que... je viens aussi ?
Yorwan avait espéré que son état lui permettrait de se reposer un peu pour une fois, mais le regard que Flamme lui lança avait quelque chose d'atrocement définitif.
- D'accord, j'ai rien dit, soupira-t-il. On part dans combien de temps ?

Tout le long du chemin, Sanaël et Nami, qui avait décidé qu'elle serait du voyage, tentèrent de convaincre Flamme de changer d'avis, sans grand résultat. Elle était plus inflexible que l'acier, même si la reine intérimaire préférait dire "plus bornée qu'un Goron aveugle dans le blizzard des mois du début du printemps", expression obscure s'il en est.
Enfin, après une heure de marche au milieu de la forêt tropicale, ils arrivèrent devant une immense construction de pierres rouges ornées de multiples sculptures compliquées représentant pour la plupart le visage anguleux d'une adolescente dont le regard dur, malfaisant et imbu de lui-même semblait fixer le petit groupe d'un air mauvais.
Presque timidement, Flamme s'approcha du temple et y entra. Les ténèbres régnaient à l'intérieur, et le temps que ses yeux s'y habituent, les autres l'avaient rejointe, mais l'atmosphère était si lourde à cause de ce visage omniprésent qu'aucun d'eux n'osait parler.
Comme l'avait dit Sanaël, il n'y avait rien dans ce temple en dehors d'un bloc de pierre taillée et d'une dalle de marbre rouge scellée dans le mur du fond où était gravée...
- La Triforce, souffla Flamme, interloquée. Par Nayru, qu'est-ce qu'elle fiche ici ?
C'était effectivement une bonne question. Le symbole d'Hyrule n'avait strictement rien à faire dans cette partie de ce monde ! D'un autre côté, s'il y avait là un passage vers le Saint Royaume, ça pouvait se tenir, en supposant que cette dalle était la porte d'entrée. Il ne restait alors plus qu'à trouver la clé et la serrure. Et si... dans le temple du temps, il s'agissait de l'épée de légende et de son socle, peut-être que là aussi...
Par curiosité, Flamme s'approcha du bloc de pierre en face de la dalle. Il n'avait rien d'étrange, aucune sculpture, aucune écriture, rien. Juste une grosse fissure sur le dessus, assez large pour y faire passer un très gros poignard par exemple. Ou une petite épée, ça marcherait sûrement aussi. La jeune femme sortit donc son arme, la dressa au-dessus du bloc et fit entrer la lame dans la fissure. Elle s'y emboîta à la perfection.
Le symbole de la Triforce s'illumina aussitôt, les aveuglant tous momentanément. Lorsqu'ils virent tous à nouveau, la dalle avait cédé la place à une sorte de liquide rouge et or d'où émanait une lumière sanglante.
- Qu'as-tu fait ? s'écria Sanaël, terrifiée.
- J'ai ouvert un passage, murmura sa rivale. Je l'ai ouvert et je vais l'emprunter...
D'un pas déterminé, elle s'avança vers le liquide, essayant de ne rien laisser paraître de sa frayeur. Dans quelques instants, elle aurait atteint le but de son voyage, le premier fragment de la Triforce ou elle serait définitivement morte. Ce n'était pas une perspective des plus réjouissantes, mais il était trop tard pour revenir en arrière désormais et elle franchit la porte en fermant les yeux.

Lorsqu'elle les rouvrit, elle se trouvait dans un espace produisant une lumière douce et où le ciel et la terre semblaient confondus en un tout harmonieux. Il n'y avait absolument rien autour d'elle, juste cette étrange luminosité... et une présence derrière elle.
- Bonjour, ma fille. Je t'attendais...

Chapitre 52   up

A quoi pensaient donc les Déesses lorsqu'elles avaient décidé que les femelles mammifères devraient garder leurs enfants dans leur ventre jusqu'à ce qu'ils soient totalement formés ? En ce moment, Zelda regrettait amèrement de ne pas pondre. Cela lui aurait permis d'étouffer dans l'oeuf, c'était le cas de le dire, la menace que représentait son enfant. Mais au lieu de cela, elle était forcée de prolonger la torture en l'empêchant de naître, et par là même de supporter d'atroces maux de dos qui lui gâchaient la vie.
La princesse se laissa tomber sur un fauteuil et poussa un profond soupir. Si au moins Link venait lui rendre visite, elle pourrait se défouler sur lui, mais Môssieur le tyran d'Hyrule préférait courir après une catin qu'il ne pourrait jamais mettre dans son lit ! Non, Zelda n'était pas jalouse, c'était impensable, elle était juste outrée qu'il ne se préoccupe pas plus d'elle. Elle portait son enfant après tout !
- Je suis ridicule...
Comment pouvait-elle encore aimer ce monstre ? Probablement son côté enfantin. Link n'avait jamais vraiment grandi quand on y réfléchissait. Simplement, l'adorable chérubin naïf, presque niais, et à la maladresse si touchante s'était changé en garnement capricieux et bourré de vices. Ce qui n'empêchait pas la jeune femme d'être toujours folle de lui.
Un bruit d'ailes dérangea la princesse dans ses réflexions. Il n'y avait jamais d'animaux dans sa prison dorée, car Link tenait à ce qu'elle soit parfaitement seule. La seule exception à cette règle, c'était les colombes qu'Alesc'h utilisait pour lui faire parvenir des nouvelles du monde. Or, pour ce que Zelda en savait, l'androgyne était très occupé ces derniers temps. Pour qu'il prenne la peine de lui faire passer un message, ce devait être très important. Elle se leva donc et commença à chercher son messager ailé qui devait déjà être mourant.
Le malheureux volatile se trouvait au pied d'un mur qu'il avait visiblement percuté en vol, ce qui l'avait tué sur le coup, lui évitant la mort lente et douloureuse de ses prédécesseurs. Non sans difficultés, la blonde princesse se pencha et attrapa le message accroché à la patte de la colombe.
"Votre Altesse Royale,
"J'ai enfin de bonnes nouvelles à vous communiquer. Le départ du tyran vers Termina a semble-t-il permis un réveil miraculeux de la magie à Hyrule.
"En effet, les esprits des sages s'agitent, les forces de la Nature se rebellent contre les sbires du Seigneur Link, causant de graves pertes dans ses troupes demeurées ici. Il s'agit là d'un signe évident que l'Elue se rapproche et que notre calvaire touche à sa fin.
"Cela dit, je crains de n'avoir aucune nouvelle information au sujet du Porteur du dernier Fragment, même si mes soupçons sur la personne dont je vous ai parlé dans ma dernière lettre me semblent de plus en plus fondés.
"Courage, donc, Majesté, vos douleurs cesseront bientôt."
Zelda se laissa à nouveau tomber dans le fauteuil, et poussa un soupir de soulagement. Allons, tout espoir n'était donc pas perdu.

Pendant ce temps, Alesc'h se dirigeait vers les cachots du palais d'Hyrule. Le Sheikah n'avait aucune raison officielle de se rendre là-bas, mais quelques petits mensonges lui avaient permis de convaincre les gardes que cette visite était ordonnée par Link. Les Hyliens étaient tous tellement stupides... Alesc'h n'avait que du mépris pour eux.
En entrant dans la cellule où croupissait son ami d'enfance, l'androgyne ne put retenir un hoquet de surprise. Lui qui était si beau garçon avant son arrestation avait tant maigri !
- Guenn ? Tu dors ? s'inquiéta Alesc'h.
- Non, murmura le cadavre vivant en relevant la tête. C'est toi, Alesc'h ? Tu ne devrais pas être ici, ça peut paraître louche !
- Je m'en fous. J'en ai assez de cette vie, et de toute façon, je ne suis plus utile ici.
- Plus utile à Link ?
- Non, à notre cause, rectifia l'androgyne. Et surtout... Link a décidé de te faire exécuter. Pour l'exemple.
- Ah.
Il ne semblait ni surpris, ni inquiété par cette révélation.
- Et que comptes-tu faire pour y remédier, Alesc'h ?
- On va s'évader.
- Je vois. Et la solution sérieuse, c'est quoi ?
- C'était la solution sérieuse, Guenn. Au cas où tu l'aurais oublié, je ne...
- ... plaisante jamais, compléta le jeune homme. Oui, je suis au courant. Mais l'espoir fait vivre, dans mon cas plus que jamais. Allez, explique-moi comment on va s'y prendre.
Alesc'h soupira. Guenn était parfois totalement désespérant. C 'était une part importante de son charme. L'androgyne lui expliqua donc son plan en détail.
Quelques heures plus tard, les deux complices étaient dans la plaine d'Hyrule et s'éloignaient aussi vite que possible du Bourg sans regarder où ils allaient, car ça n'avait pas d'importance.

Ils étaient libres.

Chapitre 53   up

Flamme avait un peu de mal à croire ce qu'elle voyait. Elle était face à Ganondorf, ancien tyran d'Hyrule, porteur de la Triforce de la Force, Prince du Malin. Et il n'essayait pas de la tuer, de la menacer de lui faire du mal où juste de l'anéantir.
Non, il ne faisait rien de tout cela.
Il lui souriait.
Un grand sourire chaleureux, encore qu'un peu triste.
Et il l'appelait sa fille.
Il y avait quelque chose de pourri au Saint Royaume.
- Quelque chose ne va pas, mon enfant ? s'inquiéta le Gerudo.
- Plusieurs en fait. Et je ne suis pas votre enfant. Je vous interdis de m'appeler comme ça !
- Au risque de te décevoir... Luscinia, je suis ton père.
- Mensonge !
- Crois-moi, ma fille, je souhaiterais que cela ne soit vérité, car ta conception est l'un de mes souvenirs les plus honteux.
La jeune femme aux cheveux de feu avait envie de hurler, de tout casser, de tuer ce monstre qui se prétendait son père, mais elle parvint à se calmer. Pour une mystérieuse raison, elle voulait qu'il lui raconte tout, même si, elle en était certaine, ce ne serait qu'un tas de mensonges.
- C'est ridicule, fit-elle d'une voix neutre. Je ne vous ressemble même pas.
- Physiquement, tu es le portrait de ta mère, admit Ganondorf. Mais psychiquement, tu es telle que je fus du temps de ma jeunesse. A l'époque, je n'étais pas encore roi, mais je lisais beaucoup afin de devenir un monarque éclairé. Mes lectures me firent d'ailleurs envisager la possibilité d'une paix entre Gerudos et Hyliens.
- Vous avez une étrange notion de la paix, nota Flamme avec acidité.
- Les faits que tu me reproches ne sont pas dus à ma seule responsabilité, protesta-t-il. Mes rêves de paix allaient à l'encontre de certains projets des Déesses, aussi Din, celle des Trois qui avait le plus d'influence sur le peuple gerudo, fit-elle ressortir les plus vils instincts que recelait mon âme, et dès lors je n'eus d'autre désir que d'étendre mon pouvoir afin que des fratries ennemies, celle des Gerudos soit enfin victorieuse.

Et j'y parvins, en grande partie grâce à mon frère de haine qui désormais marche dans mes pas : Link. Pourtant, je sentis que ma fin arriverait par un sang voisin du sien, aussi me préparai-je à l'accueillir lorsqu'il se montrerait à nouveau. Je ne voulais pas le tuer lui, mais ses éventuels héritiers.

Puis un jour, certains de mes serviteurs capturèrent une espionne hylienne qu'ils jugèrent assez belle pour éveiller mon intérêt et qu'ils m'amenèrent. Elle était effectivement de toute beauté, mais je m'aperçus qu'elle avait avec Link un air de famille qui ne me disait rien de bon. Je pensais la faire tuer, mais Din m'apparut et m'ordonna fermement de m'unir avec cette jeune femme car d'elle naîtrait un héritier qui réaliserait mes rêves. Je lui ai obéi et ai gardé la jeune femme sous haute surveillance, mais elle sut s'enfuir lors de ma "chute".

A ce stade du récit, Flamme poussa un hurlement de désespoir et lança à l'intention de Ganondorf nombre d'invectives qui le firent verdir.
Ce n'était pas vrai. Ça n'avait pas le droit d'être vrai. Elle connaissait cette histoire, et ce n'était pas la sienne. C'était celle de la petite fille de Polgara, et elle s'appelait Kallima, pas Luscinia.
- Vous vous êtes trompé de personne ! hurla-t-elle finalement. Votre fille est probablement morte lors du tremblement de terre ! Moi, je n'ai rien à voir avec vous, je suis juste venue récupérer votre fragment de la Triforce !
Le Prince du Malin soupira, l'air sincèrement déçu, et Flamme s'en voulut presque de briser ainsi ses espoirs.
- Très bien. Mais obtenir ce fragment ne te sera point aisé, ma fille, expliqua-t-il. Il te faudra faire preuve de ta puissance, car jamais Din n'accordera sa protection à un être faible, et ses critères de sélection sont particulièrement... sélectifs.

Chapitre 54   up

Une nouvelle attaque projeta Flamme au loin. Il avait beau prendre de grands airs, soupirer à tout bout de champ et affecter que ce qu'il faisait lui déplaisait au plus haut point, Ganondorf ne faisait pas semblant de lui jeter des sorts, au contraire. Une preuve pour la jeune femme que son séjour au Saint Royaume n'avait en rien diminué sa tendance à la fourberie.
Bon, d'un autre côté, elle devait admettre qu'elle n'avait pas non plus été brillante sur ce coup-là en s'étant fait avoir pas son joli petit discours. Mais elle allait se reprendre à présent. L'échec n'était pas une option. Encore moins l'abandon.
La jeune femme se concentra donc et fit apparaître une langue de feu qui enveloppa le Gerudo. Elle crut un instant avoir gagné, puis sans effort apparent, il éteignit l'incendie comme si ce n'était qu'une allumette. Elle tenta ensuite de l'enfermer dans une gangue de glace, mais il la fit fondre avec une facilité déconcertante. Il n'eut guère plus d'ennuis avec les poignards qui surgirent du néant, et Flamme était tellement énervée par ce fichu sorcier du désert qu'elle lança ses boules d'énergie à un bon mètre au-dessus de lui.
Et pourtant, elles heurtèrent quelque chose.
Intriguée par ce phénomène clairement surnaturel, Flamme bombarda la zone dans l'espoir d'éclaircir le mystère. Elle surveillait toujours Ganondorf d'un oeil bien sûr, mais ce qui se passait au-dessus de lui attirait toute l'attention de la jeune femme. Chose étrange, le Gerudo n'avait pas le moins du monde l'air surpris, et semblait même plutôt heureux de ce qu'elle faisait. Ce qui énerva passablement la jeune femme pour qui son petit sourire sous-entendait qu'il la croyait dingue.
Sachant qu'elle n'était déjà pas particulièrement de bonne humeur avant, cet excès de rage eut pour résultat de lui faire perdre très légèrement le contrôle de sa puissance, si bien que la boule d'électricité qu'elle envoya en l'air aurait alimenté une ville de grande taille durant un nombre certain d'années. Elle stagna et, durant quelques secondes, Flamme eut une vision claire de ce qui se passait.

Des sortes de fils invisibles étaient tendus au-dessus de Ganondorf comme s'il n'était qu'une marionnette manipulée par une personne d'une puissance effarante, une personne dont le visage dur ornait les murs du vieux temple dans la forêt, une personne dotée d'un charisme phénoménal. Une personne qui, en toute logique, devait être Din, la Déesse de la Force.
- Tu as fini par comprendre, constata simplement Ganondorf avec un soulagement non dissimulé.
Elle eut la délicatesse de ne pas lui demander de cesser de débiter des évidences. De toute façon, elle était trop occupée à réfléchir pour avoir entendu ce qu'il avait dit.
Ganondorf n'était qu'un pantin, il n'avait pas la moindre envie de se battre, il ne faisait aucun mouvement de son plein gré, il lançait ses sorts contre sa volonté. Si elle parvenait à rompre le lien entre sa Déesse et lui, il serait à sa merci. Et pour cela, il suffirait qu'elle rompe les fils d'une manière ou d'une autre. Quel genre de sorts pourrait donc avoir cet effet ?
La réception d'une vague d'énergie en pleine poitrine interrompit d'une façon assez cavalière ses recherches. Ce genre de choses est généralement assez douloureux et plutôt mauvais pour la réflexion. Essayez et vous verrez.
Malgré ces inconvénients plus qu'évidents, cette attaque eut au moins le mérite de donner une idée à la jeune femme, dans le genre simple mais efficace.
La première étape consista à placer autour d'elle un champ d'énergie qui, en théorie, devrait arrêter toutes les attaques du Gerudo. Ce qu'elle prévoyait de faire nécessitait une certaine concentration, elle n'avait donc pas le temps dans tous les sens pour esquiver.
Flamme s'assit alors en tailleur sur ce qui tenait de sol dans cet étrange endroit hors du monde et de l'espace et commença sa préparation mentale.
Elle voulait de la lumière d'un genre un peu particulier, dont les particules seraient si concentrées, si denses, dans un espace si réduit, qu'elles pourraient facilement couper en deux un cheveux dans le sens de la longueur, ou un diamant aussi, si l'occasion se présentait. Cela lui prit un petit moment, un tel concept étant un peu compliqué pour quelqu'un vivant dans un monde médiéval, mais elle finit par visualiser exactement ce dont elle avait besoin. Flamme concentra alors sa volonté et se tourna vers les "fils".
Puis elle lâcha la sauce.
L'effet ne se fit pas attendre. Elle aurait pu trancher toutes les matières les plus solides, mais les fils ne devaient pas être bien consistants car cette lumière magiquement modifiée n'eut qu'à les effleurer pour les détruire. Flamme fut un peu déçue par ce manque de résistance, mais elle n'allait quand même pas se plaindre.
Dès que les liens furent tranchés, Ganondorf tomba à genoux, pâle et tremblant, mais incontestablement triomphant, ce qui ne manqua pas de surprendre la jeune femme. Il aurait au moins pu faire semblant d'avoir un tout petit peu peur de ce qu'elle prévoyait pour lui ! D'un autre côté, elle savait qu'il n'attendait plus rien de la vie et que la mort qu'elle allait lui offrir serait sa libération.
- Pardon, souffla-t-elle.
- Tu n'as pas à t'excuser, ma fille, lui assura-t-il. Simplement, n'oublie pas tout ce que je t'ai dit. Ta quête des origines ne fait que débuter, et ton passé te surprendra.
Flamme ne lui demanda pas ce qu'il voulait dire. Ces mots étaient pour Kallima, pas pour elle. Si elle la rencontrait un jour, elle lui ferait passer le message, mais elle n'avait pas trop d'espoir de ce côté.
Alors, doucement, elle utilisa son pouvoir et arrêta le coeur de l'ancien tyran qui s'effondra sur le sol en la regardant, un doux sourire sur les lèvres.
La jeune femme n'eut guère le temps de se préoccuper de l'homme qu'elle venait de tuer, car une lumière rouge du même ton sanglant que celle provenant de la porte dans le temple l'enveloppa. Durant une seconde, une très courte seconde, elle se sentit plus forte qu'elle ne l'avait jamais été et que quiconque le serait jamais.
Puis elle s'évanouit.

Chapitre 55   up

- Alors, quoi de neuf ?
Yorwan se tourna vers Nami qui venait d'entrer dans la pièce où ils avaient installé Flamme, et haussa les épaules. Que voulait-elle donc qu'il y ait de nouveau ? On ne ressortait pas d'un coma aussi profond en deux jours ! En fait, la plupart des gens n'en ressortaient jamais. Mais comment dire ça à la jeune femme-fleur qui s'empressait chaque fois de tout répéter à Lésa ? Comment faire comprendre à ces deux idiotes optimistes qu'il n'y avait plus le moindre espoir désormais ? Et surtout, combien de temps avant que la vie ne quitte définitivement Flamme, comme cela arriverait forcément ?
Autant de questions qui restaient sans réponse pour l'heure. Ce qui tombait bien, puisque le Sheikah ne voulait pas de ces réponses. Elles auraient coupé court à ses propres élans d'optimisme stupide, et il n'en avait pas la moindre envie. Flamme comptait bien trop à ses yeux pour qu'il puisse accepter l'idée de sa mort. Les gens qui nous sont chers paraissent toujours immortels... jusqu'à ce qu'ils meurent. Yorwan ne l'avait que trop bien appris avec Anna, mais réitérer avec Flamme ne l'enchantait pas.
De toute façon, il n'avait pas le choix. Depuis qu'il avait fait sa connaissance quelques mois plus tôt, la femme-fleur avait bouleversé sa vie jusqu'à en devenir le pivot. S'il la perdait, il perdait tout.
- Eh, stupide mâle, je t'ai posé une question !
Le Sheikah sursauta en entendant à nouveau la voix de Nami. Il s'était encore perdu dans ses pensées... ça lui arrivait tout le temps depuis deux jours.
- Ah ! désolé, j'avais l'esprit ailleurs ! Eh bien... il n'y a rien de nouveau. Ah, si, j'ai réussi à la faire boire un peu tout à l'heure. A défaut d'autre chose, elle ne devrait pas se déshydrater ! Non pas que sa disparition me dérangerait bien sûr, mais mourir de soif n'est pas exactement une mort digne, pas vrai ?
- Tu sais, je suis une femme-fleur, alors moi et la dignité... Tiens, à ce propos, l'empoisonnement, c'est digne comme mort ?
Yorwan lui jeta un regard méfiant.
- Tu as décidé de te débarrasser de moi ?
- Tu n'es pas au centre de ma vie, stupide mâle, commenta simplement l'adolescente. Non, si je demande ça, c'est uniquement parce que Sanaël s'amuse à faire des mixtures à base de champignons et de plantes depuis ce matin.
- Pour Flamme ?
- Je n'ai aucune preuve, mais il y a des chances en effet. C'est pas exactement le grand amour entre elles...
- Oui, j'avais cru le remarquer. Merci du tuyau !
- Toujours prête à aider Dame Luscinia, assura Nami en quittant la pièce.
Dès qu'il fut seul, le Sheikah se permit un profond soupir. Comme si ce n'était pas assez de devoir veiller sur Flamme, il fallait en plus qu'il la protège contre sa psychopathe de rivale. Or la psychopathe en question ayant (théoriquement) les pleins pouvoirs sur cette île, ça risquait de ne pas être une partie de plaisir. Maintenant, c'était certain, il avait dû faire quelque chose de très mal dans une vie antérieure, c'était la seule explication à cet acharnement du destin contre lui...

Le lendemain, Yorwan demanda à Navi et Lésa de bien vouloir le remplacer au chevet de Flamme, puis il prit son courage à deux mains et alla annoncer à Sanaël qu'ils allaient quitter l'île. Ce qui plut beaucoup à la femme-fleur. Il précisa qu'ils emmenaient Flamme avec eux, ce qui lui plut beaucoup moins.
- Dame Luscinia est l'une des nôtres, elle doit rester ici !
- Regardez donc sa main droite et le signe qui s'y trouve ! protesta le Sheikah. Flamme possède un fragment de la Triforce, elle doit retourner à Hyrule pour obtenir les deux autres fragments et ainsi nous débarrasser de Link, c'est son destin ! Si vous vous y opposez, les Déesses vous feront regretter votre impudence !
En réalité, il n'était pas certain que les Déesses sachent seulement que Flamme existait, mais sa rivale balafrée parut choquée par cette nouvelle et semblait donc le croire, ce qui était une bonne chose.
- L... la Triforce ? C'est impossible !
- Je vous proposerais bien de venir vérifier, mais je crains que vous ne profitiez de cette occasion pour tenter quelque chose de définitif contre elle. D'ailleurs, c'est aussi pour cela que je ne la laisserai pas entre vos mains. Vous seriez capable de me la tuer, alors que c'est un plaisir que je me réserve.
Sanaël lui jeta un regard pour le moins choqué, puis soudain un sourire triomphant apparut sur son visage, et Yorwan décida qu'elle était encore moins belle quand elle était contente.
- Vous êtes amoureux d'elle ! accusa la reine intérimaire. Je me doute depuis le début qu'il y avait quelque chose de louche, mais maintenant j'en suis certaine !
Le silence du Sheikah fut prit comme un aveu.
- Comme c'est intéressant... et comme c'est pitoyable aussi. Et le plus pitoyable, c'est que je suis certaine qu'elle vous retourne vos sentiments ! C'est minable, c'est stupide, c'est...
- ...
- Désolée, je m'emporte. Bref, vous êtes conscient qu'en la tuant, je ne ferai que lui épargner une très longue agonie ? Personne ne s'est jamais réveillé d'un coma aussi profond, c'est tout simplement inimaginable.
- Je vois. Vous agiriez par pure compassion, si je comprends bien ?
- Il ne faudrait tout de même pas exagérer. Je suis une femme-fleur tout de même, et je ne nie pas que tuer cette teigne m'apportera un plaisir non négligeable. Mais on m'a éduquée de façon à chercher à aider mes consoeurs, et dans le cas de Luscinia, la meilleure aide à apporter est un poignard entre les deux omoplates.
Yorwan la foudroya du regard.
- Et bien moi, je vous dis qu'elle ne mourra pas. D'après une vos vieilles relations, elle doit me tuer, et une morte ne le pourrait pas. Donc je l'emmène, que ça vous plaise ou non. A présent je me retire... Oh, et vous devriez faire quelque chose à propos du feu.
- Du feu ? Quel feu ?
Celui que je viens d'allumer par magie sur le beau grimoire posé sur ton bureau, idiote, songea Yorwan tandis qu'il quittait la pièce de l'ancien palais qui servait d'appartements à Sanaël.

Chapitre 56   up

Le lendemain matin, Lésa, Navi, Yorwan et Flamme, toujours plongée dans le coma, s'éloignaient dans le bateau de Cheval. Les femmes-fleurs avaient légèrement modifié le bateau par la magie. Il était un peu plus grand. Les femmes fleurs l'avaient transformé un petit voilier. La voile prenait très bien le vent, même en avançant face à celui-ci. Ils avançaient vite. Yorwan estimait qu'ils devaient atteindre le continent au cours de la nuit. Après s'être assuré que l'enchantement des femmes fleurs marchait parfaitement et que le bateau arriverait tout seul à bon port, il s'approcha des filles.
- Toujours rien ?
- Sa respiration est un peu irrégulière, mais à part ça, rien.
Yorwan grogna. Un changement dans le rythme respiratoire pouvait signifier des problèmes de coeur, ou d'autres disfonctionnements corporels. Il espérait de tout coeur arriver à la côte le plus vite possible et trouver une sage fée. Avec un peu de chance, ils pourraient emprunter une charrette et retourner chez Medusa. Elle saurait faire quelque chose, elle.
- Yorwan ?
Le Sheikah se retourna vers la petite Kokiri.
- Tu crois que Flamme va se réveiller ?
Il détourna le regard. Il avait bien appris à mentir, mais il ne pourrait pas le faire en regardant la petite dans les yeux.
- Il faut bien qu'elle se réveille. On a besoin d'elle, le monde a besoin d'elle.
- Ne t'inquiète pas, Lésa. Tu as entendu le gros démon ? Il a dit que c'était une intouchable. Les dieux ne confèrent pas ce titre à une fille condamnée à finir en légume.
- Ça me rappelle quelque chose...
La petite fée voleta jusqu'à l'épaule du Sheikah.
- Est-ce que les démons ont une autre définition du terme "intouchable" que les gens d'Hyrule ?
Yorwan se retourna vers la fée.
- Vu la façon dont il a réagi, je ne crois pas que ce soit très différent.
Lésa s'approcha d'eux.
- Hé, moi, je ne sais pas ce que c'est, un intouchable. Personne ne m'a expliqué, sur l'île. C'est quoi ?
Yorwan voulut s'asseoir sur les couvertures pour pouvoir en parler plus confortablement, mais un cri s'échappa des tissus au moment où il s'assit. Le jeune homme fit volte-face et tira la couverture.
- Mais euh !
Nami était roulée en boule, tel un chaton, au milieu de toutes leurs affaires.
- Qu'est-ce que tu fais là, toi ?
- Moi ? Je dormais tranquillement jusqu'à ce qu'un pachyderme m'écrase.
- Le pachyderme va te jeter à l'eau si tu ne trouves pas une meilleure justification à ta présence sur le navire.
- Je prends juste un taxi pour aller voir du pays. Ça te pose un problème ?
- Et tu comptes aller voir quoi, comme pays ?
- Je ne sais pas encore... ça dépend de vos projets. J'ai cru entendre que vous comptiez aller défoncer la gueule du roi Link. Je me suis dit que ce serait marrant d'y participer.
- De un, il n'y a absolument rien de marrant là-dedans, de deux, on ne joue pas. On a 99 % de chances d'échouer et si jamais cela arrive, il n'y aura plus d'espoir pour personne nulle part sur terre.
- C'est quoi, l'espoir ? Encore un truc de faibles et impuissants mortels ?
Yorwan regarda la passagère clandestine avec un air d'incompréhension. Le bourrage de crâne des femmes-fleurs lui avait-il déjà fait oublier les valeurs élémentaires de l'humanité ? Navi répondit pour lui.
- L'espoir, c'est une sorte de pensée, une pensée qui te persuade que malgré la souffrance et la douleur que tu dois subir, quelque chose de bien, de meilleur peut encore t'arriver.
Nami resta silencieuse quelques minutes, probablement pour méditer sur cette chose qu'elle avait dû oublier il y a longtemps. Lésa profita du silence pour revenir à la charge avec sa question à elle.
- Alors... c'est quoi, une intouchable ?
Le Sheikah lui répondit :
- Les intouchables, ce sont de très rares élus. Les déesses leur ont prévu un tel destin qu'elles leur donnent une sorte de protection qui éloigne toutes les mauvaises créatures n'ayant pas de rôle à jouer dans leur destinée.
- Le rôle de Flamme est si important que les déesses ont su interdire au roi des démons de l'approcher ?
- C'est bizarre, les interrompit Nami. Il y a cinq ans... Dame Luscinia a quand même dû pactiser avec lui. A ce moment-là, il a tout de même dû l'atteindre et lui prendre son âme.
Lésa regarda Nami d'un air horrifié.
- Tu veux dire que... Flamme n'a plus d'âme ?
- Ben ouais... Elle n'aurait pas d'aussi beaux yeux et cheveux dans le cas contraire. C'est la marque du pouvoir accordé par les démons.
Yorwan ne répondit pas. Il ne savait pas comment l'expliquer, mais durant tout le temps qu'il avait voyagé avec la femme-fleur, il ne lui avait pas vraiment semblé qu'elle soit dépourvue d'âme. Avant son amnésie, il n'en aurait peut-être pas dit autant, mais maintenant qu'il la connaissait, elle était si humaine, si vivante par rapport à Link. Elle avait exprimé tant d'émotions et de sentiments. Il ne savait pas comment l'expliquer, mais il lui semblait que le démon n'avait pas emporté son âme.

Durant ce temps, Lésa commençait à s'affoler. Elle était persuadée que si Flamme était dans le coma, c'était à cause de la perte de son âme, et qu'il n'y avait désormais plus rien pour animer le corps. Nami avait du mal à lui expliquer que la prise d'âme signifiait simplement la suppression des sentiments faibles et inutiles et que même après la cérémonie, les initiées étaient capables de penser, de réfléchir, d'avoir des désirs et des passions. Elle citait en exemple toutes les femmes fleurs âgées de plus de 16 ans. Lésa la regarda d'un air inquiet.
- Toi... on t'a aussi pris ton âme ?
- Non, pas encore. Ça devrait être dans 2 ans.
- Mais tu as les cheveux roux et les yeux jaunes...
- Ce sont mes couleurs naturelles. D'abord, mes cheveux sont brun-cuivrés, pas roux comme le feu. Ensuite, mes yeux sont brun-ocre. Si j'ai été sélectionnée pour faire partie des femmes-fleurs, c'est à cause de ce physique, soi-disant un signe de prédestination à rejoindre leur clan.
Ses deux interlocuteurs l'examinèrent en silence. C'était plutôt vrai... Dans l'atmosphère tendue de l'île, ils ne l'avaient pas remarqué, mais les cheveux de Nami étaient nettement moins flamboyants que ceux de Flamme. Ses yeux étaient également plus sombres, moins envoûtants. Les pupilles avaient une forme et une taille parfaitement normale. L'apprentie Nami, maintenant qu'elle avait commencé à dévoiler ses secrets, continua sur sa lancée.
- Les anciennes disaient que je détenais un grand potentiel guerrier et que je pourrais devenir une des plus puissantes femmes-fleurs de la communauté. C'est pour ça que Sanaël me surveillait d'aussi près et m'envoyait faire toutes les tâches ingrates. En essayant de me soumettre, elle justifiait par la même occasion son autorité et son titre de reine intérimaire. Je commençais sérieusement à en avoir marre lorsque vous êtes arrivés. Donc, je préfère Dame Luscinia et l'aventure plutôt que les tâches de ménage de Sanaël.
- On ne t'a pas encore dit que tu pouvais venir.
- Mais... Yorwan, si on l'oblige à retourner sur l'île, elle va perdre son âme. Tu ne veux quand même pas que ça lui arrive.
"Personnellement, chez les femmes-fleurs, je ne vois pas la différence."
Nami n'attendit pas la réponse de Yorwan. Elle annonça sur le tas que l'absence d'âme chez Luscinia avait probablement une influence sur son coma, l'empêchant de trouver la force nécessaire au réveil. Lésa éclata en sanglots. Navi vola dans tous les sens pour essayer de la calmer. Nami se mit à grogner des jurons pour leur demander de se taire. Dans toute cette cacophonie, Yorwan ne sut garder son calme qu'en contemplant le visage endormi de Flamme. En voilà au moins une que le bruit ne dérangeait pas.

Mais alors qu'il était plongé dans sa contemplation, un détail l'interpella. Flamme fronçait ses sourcils et ses paupières.

Chapitre 57   up

Dame Luscinia, dans ses plus beaux atours de femme-fleur, défiait avec arrogance son adversaire. Le personnage à l'autre bout de l'arène était une femme de son âge, de sa taille, de sa force. Elle était brune et ses yeux, bleus comme le ciel. Elle était vêtue d'un pantalon ample et d'une tunique grise sans manches. Dans ses mains, elle tenait une épée au manche de bois qui tenait plus de la dague. Luscinia ricanait. La fille au cure-dent ne représentait aucune menace pour l'adoratrice de démons. La femme-fleur était persuadée de la balayer en quelques gestes.
- Ainsi donc, c'est toi, la fameuse Kallima. Celle qu'on dit l'élue, la descendante de Ganondorf, la seule et unique héritière légitime de la Triforce de la force. Et cette élue tient à m'affronter avec un jouet ? C'est vraiment trop risible...
- Toi, tu es cette pathétique femme-fleur qui a tout oublié des plaisirs de la vie et qui est incapable de ressentir autre chose que le plaisir barbare de la domination. Tu ne sais même plus faire la différence entre la souffrance et la mélancolie.
- Et ça ne me manque pas. Quel enivrant plaisir que de pouvoir avancer en balayant les obstacles en claquant des doigts. Ce combat va bien me divertir, quoique la victoire m'est déjà acquise.
- Ne sois pas si sûre de toi. Je suis pleine de surprises.
Kallima s'avança, faisant danser l'épée des bois dans sa main. Luscinia eut un rire narquois et s'avança également dans l'arène. Elle dégaina une longue épée se terminant en dents de harpon. Si elle touchait l'ennemi, elle resterait accrochée à sa prise. Cela n'impressionna pas Kallima.
- La Triforce est à moi, Luscinia. C'est moi, l'élue. C'est moi qui gagnerai.
- Des clous ! Tu n'as rien d'une guerrière, tu n'as aucun sang froid, tu es envahie par ces faiblesses que sont la peur et la loyauté. Tu n'as pas les tripes pour faire face à un adversaire tel que la plus puissante et la plus cruelle des femmes-fleurs. Cette Triforce n'a rien à faire entre tes mains. Elle fera de bien plus grandes choses avec moi.
- La puissance, la cruauté et la perfection ont aussi leurs faiblesses. Et ne t'inquiète pas, je les connais. Maintenant, cesse de jouer à la wonder-woman et défends ce qui reste de ton existence.
- Ce qui...
Mais la femme fleur n'eut pas le temps de réfléchir plus longtemps au sens de ces paroles. Kallima s'était élancée dans l'arène. Luscinia dégaina son arme et s'élança à son tour sur son adversaire. Il y eut un violent choc d'épée, un cri de douleur, du sang tombant sur le sable, accompagné par la chute d'un corps.

Flamme ouvrit les yeux.

Elle ne comprit pas tout de suite ce qu'elle voyait. Il y avait une sorte de luciole qui tournait partout, un feu follet occupé à se bagarrer avec un nuage blanc. Puis, il y eut une petite voix fluette d'enfant qui résonnait dans sa tête. Cela faisait atrocement mal. Elle voulut gémir, mais réalisa qu'elle n'en avait plus la force. Elle ne pouvait pas bouger, elle devait endurer cette espèce de chaos.

- Silence tout le monde ! Flamme a ouvert les yeux.
- Elle ne s'appelle pas Flamme ! Elle s'appelle Luscinia.
- On s'en fout, de son vrai nom. Elle est parmi nous et c'est tout ce qui compte.
Yorwan écarta sans ménagement les gamines pour observer la malade. Oui, elle avait ouvert les yeux, mais elle ne semblait pas très consciente de ce qui se passait autour d'elle. Ses yeux étaient perdus dans le vague et elle avait l'air de souffrir. Sans hésiter, Yorwan lui prit la main et ordonna aux autres membres de l'équipage de faire le plus grand silence.
- Flamme, ou quel que soit ton vrai nom... C'est moi, Yorwan. Nous sommes sur le bateau de Cheval, nous retournons à Termina. Tout le monde va bien...
- ... Sauf un abruti qui cause à quelqu'un qui ne peut pas l'entendre.
- La ferme ou on te jette vraiment à la mer.
- J'aimerais bien voir ça. Tu ne m'auras pas comme à l'ordalie.
- Silence, Nami ! Ne vois-tu pas qu'il essaye d'établir un contact mental avec Flamme ?
- Je t'ai déjà dit qu'elle s'appelait Luscinia !
- Je ne m'appelle pas Luscinia.

Chapitre 58   up

Tout le monde regarda Flamme. Elle venait enfin de parler. Elle reprenait connaissance.
- Je ne sais pas comment je m'appelais avant. La dernière fois qu'on m'a appelé par ce nom remonte à bien trop longtemps, mais je sais que le nom que porte chaque femme-fleur est attribué à leur arrivée sur l'île. Les anciennes consultent les astres et les esprits pour trouver l'appellation la plus favorable à leur caractère et leur destin. Comme la plupart des filles arrivent sur l'île très jeunes, elles oublient très vite leur ancienne vie et leur vrai nom.
Lésa, toute étonnée par cette révélation, se retourna vers Nami.
- Et toi, tu ne t'appelles pas Nami ? C'est quoi ton vrai nom ?
L'apprentie femme-fleur resta silencieuse. Yorwan profita de ce soudain silence pour s'enquérir de la santé de la jeune fille.
- Je pense que ça va... mais j'ai encore l'esprit en compote. J'ai une de ces migraines...
- C'est un peu normal. Tu es restée dans le coma pendant plusieurs jours. Reste allongée, dors et repose-toi. Tu dois en avoir besoin.
- Je crois que... j'ai surtout besoin de rester seule un moment. Il faut que je réfléchisse... que je fasse un point.
- On devrait arriver à Labrynna dans trois ou quatre heures... on fera une pause sur la plage. Tu pourras t'y reposer aussi longtemps que tu le voudras.
Flamme fit la moue, mais se résigna. Elle était coincée sur un bateau avec ce mâle et trois agitées. Tant qu'ils n'auraient pas atteint la terre ferme, elle devrait les supporter. Elle referma les yeux et se rendormit.

Le reste du voyage se fit dans le plus grand silence. Yorwan se taisait parce qu'il était concentré sur le trajet du bateau, Lésa et Navi parce qu'elles voulaient respecter le repos de Flamme et Nami parce qu'elle n'avait rien à dire au mâle ou aux moucheronnes. Mais Nami était surtout perturbée par la révélation de Dame Luscinia. Cette histoire de nom... elle réalisait plus que jamais qu'elle aurait pu vivre une autre vie. Elle aurait pu grandir sur le continent, au milieu d'insignifiants mortels... Est-ce que cela pouvait être pire que d'être la bonne à tout faire de Sanaël ? Elle aurait eu droit à des tas de choses qui lui semblaient parfaitement étrangères. L'apprentie ne savait plus quoi penser. Le continent devait grouiller de choses si étranges, incongrues, stupides... qu'elle avait envie de découvrir. Le temps passé sur l'île lui apparaissait maintenant comme du temps gâché. Comme elle avait hâte d'arriver sur la terre ferme. Elle avait un monde entier à découvrir. Et plus elle sentait son île s'éloigner, plus elle se sentait libre et forte.

Enfin, un coup de vent dévoilant la plaine lune révéla les côtes blanches de Labrynna. Yorwan longea les plages une quinzaine de minutes pour retrouver la demeure de Cheval.
Flamme, qui s'était réveillée, gémit à l'idée de retourner chez le vieil homme. Elle ne voulait voir personne, elle voulait être tranquille. Yorwan dut lui expliquer qu'ils devaient rendre le navire à Cheval, même s'il ne ressemblait plus à celui que le vieil homme leur avait donné, et de plus, ils seraient plus confortablement installés chez lui. Là, au moins, ils auraient droit à des lits et un vrai repas. Flamme fit une grimace. Yorwan comprit à ce moment que quelque chose de fondamental avait changé en Flamme. C'était peut-être dû à la fatigue, mais la jeune fille avait perdu toute son agressivité. Pourvu qu'elle se remette, car sans elle, leur quête aurait du mal à se terminer.

Chapitre 59   up

Le vieux scientifique était toujours debout. Il fut très heureux de revoir la petite Kokiri et le Sheikah en parfaite santé, mais afficha un air plus perplexe en voyant les deux femmes-fleurs. Ce n'était pas habituel que ces femmes demandent l'hospitalité de simples mortels, mais d'un autre côté, leur refuser quelque chose pouvait lui coûter très cher. Il fit donc entrer tout ce petit monde et tira des hamacs de la remise. Il leur offrit également de partager la soupe de poisson qu'il se préparait. Les voyageurs acceptèrent son hospitalité avec joie, sauf Flamme, toujours aussi amorphe. Elle alla immédiatement se coucher et s'endormit sur le champ, malgré les piaillements de Lésa, Navi et Nami.

Le vieux scientifique se risqua à demander à Yorwan ce qui s'était passé durant leur séjour. Il n'en revenait toujours pas qu'ils soient revenus vivants de l'île.
- Oh... on a dû subir une ordalie, un brasier, des femmes-fleurs déchaînées, un roi des démons...
- Le roi des démons ???
- Comme on te le dit, le vieux.
- Nami !
- T'as pas à me dire comment je dois parler, mâle dégénéré.
- Mais si tu tiens à ce qu'on t'emmène en Hyrule, il va falloir te montrer plus sociable que ça.
- Crève !
- Flamme a bien appris. C'est que ça ne doit pas être si compliqué que ça.
- Ne joue pas à ce petit jeu-là, minable. Je dirai ce que je veux, où je veux, quand je veux, et ce n'est pas un Sheikah raté qui me fera changer d'avis.
- Bon, dans ce cas, on va trancher et demander à Flamme son avis.
Yorwan fit mine de se diriger vers le hamac de la femme-fleur. Nami, comprenant que sa supérieure allait être réveillée pour simplement lui demander de respecter les plus faibles, grogna une excuse. Yorwan se retourna dans un grand sourire.
- Tu apprends vite.
Nami se contenta de lancer un regard noir au Sheikah et partit se coucher sans prononcer le moindre mot. Le mâle avait peut-être gagné cette manche, mais la guerre était loin d'être terminée. Il paierait pour chaque humiliation.

Cheval, gêné, proposa aux trois dernières personnes debout d'aller continuer la conversation dehors, pour ne pas déranger les dormeuses. En réalité, le pauvre vieillard était paralysé en présence des adoratrices de démons. Il a peur de prononcer la phrase qu'il ne fallait pas pour se retrouver taillé en pièces avant de comprendre ce qui lui arrivait. Lésa, fatiguée elle aussi par la traversée, partit se coucher. Yorwan et le vieil homme finirent donc la soirée dehors, tout en sirotant un petit vin importé d'une île lointaine par des pirates.
- Sérieusement, jeune homme... depuis combien de temps voyagez-vous avec ces... femmes ?
- Flamme, quelques mois. La petite, c'est une passagère clandestine que j'ai ramassée sur l'île.
- Comment faites-vous pour les supporter ? Moi, je serais devenu fou. C'est d'ailleurs pour ça que je me suis isolé de la civilisation.
- J'ai fini par m'habituer à Flamme. Elle a ses qualités, alors autant supporter ses défauts. Par contre, je ne sais pas combien de temps je supporterai l'apprentie.
- A votre place, j'éviterai la confrontation directe. Ces filles-là, ça a la rancune tenace et les coups partent sans prévenir.
- Redouter les femmes fleurs et s'installer sur une plage où toutes celles qui se rendent sur le continent risquent de passer, vous ne trouvez pas que c'est un peu incompatible ?
Très fier de sa remarque, le jeune homme vida son verre en trois gorgées.
- N'exagérez rien. Oui, je sais plus que quiconque le danger qu'elles représentent. Mais j'ai su trouver un arrangement avec la reine il y a une quinzaine d'années. Elle avait besoin d'une personne à terre qui puisse assurer la liaison avec l'île depuis le continent, qui garde les navires, les colis qu'on livre à terre... Installer un camp de femmes-fleur n'était pas l'idéal. Un de leurs camps avait été attaqué et détruit trois ans auparavant. Alors j'ai le droit de rester sur cette plage sans avoir à me faire du souci de la part de ces adoratrices, tant que je garde les barques qu'elles amènent à terre et fais venir tout les ingrédients et matériaux dont elles ont besoin. On ne se pose pas de question à Lynna. Un scientifique peut avoir besoin de plantes, minéraux et potions en tout genre.
- En somme, vous menez une vie assez tranquille.
Cheval se resservit un verre qu'il avala d'un trait.
- Je n'ai pas à me plaindre. Mais vous, jeune homme, qu'est-ce qui vous oblige à voyager avec elles en guettant l'instant où elles vous poignarderont dans le dos ?
Yorwan ne put s'empêcher de frémir. Cela lui rappelait la prédiction d'Hétaïre. Pourquoi n'avait-il pas encore fui ? Il en avait eu, des occasions, et la menace était bien réelle, surtout que la petite Nami ne lui avait toujours pas pardonné son humiliante défaite sur l'île. La raison était certainement qu'il voulait absolument venger son frère, sauver Hyrule et que sa seule façon d'y arriver était de s'entourer de combattants émérites, et que jusqu'à présent, il n'ait rien trouvé de mieux que Flamme. Et s'il avait trouvé la force de la supporter, c'était parce qu'il l'aimait, mais ça personne ne devait le savoir. Cheval le sortit de sa rêverie.
- Croyez-moi, jeune homme... ces deux-là sont certainement les plus humaines que j'ai jamais vues, mais elles ont toutes les deux l'étincelle de la violence froide dans le regard. Leurs épées se dégainent vite et en silence.
- Merci du conseil, mais je le savais déjà lorsque j'ai entamé mon péril.

La conversation se termina rapidement, et les hommes partirent se coucher à leur tour. Cependant, Yorman ne trouvait pas le sommeil. La suite des événements était beaucoup trop inquiétante. Il faudrait déjà arriver à revenir en Hyrule sans se faire intercepter par les troupes de Link, arriver à s'introduire dans le palais, trouver la princesse et puis... il y avait celle du courage. Un homme aussi inhumain que Link pouvait-il toujours conserver la Triforce du courage ? L'affronter et le vaincre relevait certainement du miracle.

Ce fut à ce moment-là qu'il réalisa que Flamme s'était levée et se dirigeait vers la porte. Il la suivit silencieusement. Il la trouva assise sur un rocher, occupée à contempler les vagues.
- Alors, tu vas mieux ?
Elle se retourna, mais retourna vite à sa contemplation des ondulations de l'eau.
- Yorwan... à ton avis, quel âge j'ai ?
Le garçon glissa sur les galets et s'étala de tout son long.
- Comment ? Ton... mais pourquoi ?
- J'ai besoin de connaître ton estimation. Et ne t'inquiète pas, ta vie ne dépend pas de ta réponse.
- Heu... mais j'ai jamais... heu... 22, 23 ans ?
- Et cela fait combien de temps que Ganondorf est monté au pouvoir ?
- Heu... les 4 ans depuis le retour de Link, plus les 5 autres depuis sa défaite... les 7 ans de règne... 16 années en tout.
- Kallima a donc au maximum 16 ans, ce qui fait une différence d'âge de 6 ou 7 ans entre nous deux. Il s'était royalement trompé.
- Qui ça ?
- Ganondorf. Il attendait de pied ferme sa fille dans le saint royaume. Il a cru que c'était moi.
- Une fille ? Ce type a eu une fille ?
- Et tu ne devineras jamais qui c'est.
- Bah... à te regarder, je trouve que tu as suffisamment de caractère et de sadisme pour être cette fille.
Le garçon s'arrêta en voyant le visage de son amie pâlir.
- Quoi ? Qu'est-ce que j'ai dit ? C'était pour te taquiner.
- Crétin d'albinos, sa fille, c'est Kallima.
- Quoi ?
S'il ne s'était pas déjà assis, il se serait à nouveau échoué sur les galets.
- M'enfin ! Là, il n'y a pas photo. On ne peut pas prendre une jeune femme pour une adolescente. Tu ne peux pas être cette fille. Ne me dis pas que tu...
- Je sais... mais depuis ce combat, j'ai réalisé que je connaissais Kallima et qu'en même temps, je n'avais pas de souvenirs d'elle. C'est bizarre, mais je ne me souviens pas de son visage, de scènes de confrontations entre elle et moi, d'elle sur l'île... pourtant je sais qu'elle existe, qu'elle s'est montrée hostile à l'enseignement des femmes-fleurs, de la révérence avec laquelle on la traitait...
- Cela fait bien quatre ans que tu n'es plus revenue sur cette île et de plus, ton amnésie ne s'est pas encore totalement dissipée. C'est normal que des points de ta vie soient encore dans l'ombre. La mémoire est fugace et joueuse. Il y a des choses qui s'envolent sans qu'on ne s'en rende compte, et d'autres qui restent agrippées quel que soit l'ouragan.
- Merci...
- Et si ça te perturbe tant que ça, on demandera demain matin à Nami de nous parler de Kallima. Elle a plus ou moins son âge, elle a bien dû la remarquer. Tu pourras définitivement te convaincre qu'il y a un sérieux fossé entre elle et toi.
- Tu as raison... euh...
Elle venait de réaliser qu'ils étaient assis côte à côte et qu'il lui susurrait des mots d'encouragement. Les yeux de Flamme brillèrent de leur habituelle malice. Elle se retourna vers le garçon.
- Depuis quand tu fais des réflexions intelligentes, toi ?
- De quoi je me mêle ? Je voulais simplement être sûr que tu avais retrouvé ton état mental normal. Visiblement oui, t'es toujours aussi grimaçante. Ça m'apprendra à donner des coups de main. Quand je pense que le fait que tu ne râles plus m'inquiétait.
- Et alors, n'est-ce pas de l'amour ? Tu ne m'avais pas dit sur l'île que tu étais prêt à tout pour moi ?
- J'étais bourré et je venais d'échapper à une mort certaine. J'étais pas dans mon état normal.
- T'es jamais dans un état normal, pauvre albinos lobotomisé.
- Rouquine prétentieuse à demi-Gerudo !
- JE NE SUIS PAS SA FILLE !
- Pourtant, tu es sa parfaite réincarnation féminine !
- Pauvre naze !
- Femme chou-fleur...

Chapitre 60   up

Le groupe partit le lendemain vers midi. Ils achetèrent un peu de poisson et d'algues séchées à Cheval, puis se mirent en marche. Leur premier objectif était le village Lynna. Flamme et Lésa voulaient absolument voir si la cité n'avait trop souffert. De plus, ils avaient besoin d'obtenir une carte de la région et de décider du chemin à suivre. Le fait qu'ils aient rencontré des hommes de Link en Labrynna signifiait qu'il connaissait leur itinéraire et que d'autres larbins pouvaient les attendre sur le chemin du retour.

Il était très risqué de repartir par les montagnes. Yorwan et Flamme se disputaient sur la stratégie à suivre. La femme-fleur voulait rejoindre Termina en longeant les côtes le plus possible. Le trajet irait plus vite et, Link ayant soumis le pays il y a à présent près d'un mois, l'attention des troupes serait probablement relâchée. Yorwan, lui, envisageait un plan beaucoup plus sophistiqué. Il voulait anticiper la logique de Link. Il supposait que le roi avait eu vent de leur projet et qu'il se doutait que ses proies tenteraient de prendre l'autre chemin pour éviter de le croiser et qu'au contraire, la surveillance de la mer de Termina serait plus féroce que jamais. Il valait mieux, selon Yorwan, passer par l'endroit où Link s'y attendrait le moins : c'est à dire, les montagnes. Flamme lui répondit du tac au tac qu'ils surprendraient davantage l'ennemi en fonçant droit dans le piège. Cela devenait trop compliqué pour tout le monde et une bagarre générale s'en suivit. Elle se termina par une réplique cinglante de Nami à l'égard de Yorwan.
- Une certaine personne ici présente pourrait régler rapidement le problème. Le mâle, si t'es un Sheikah, tu devrais savoir faire des sorts de téléportation, non ? Pourquoi tu ne nous téléportes pas à Hyrule au lieu de nous faire perdre notre temps ?
Tout le monde s'arrêta. On regarda Yorwan. Pouvait-il vraiment faire ça ? Pourquoi n'en avait-il jamais parlé ? Lésa s'empressa de répondre à la femme-fleur novice.
- Yorwan ne pratique pas la magie. Il s'est orienté dans les arts du combat.
- Comme quoi il a tout raté dans la vie. Le mâle, si tu te souciais plus de ne pas faire honte à ton peuple, tu pourrais nous tirer de là en trois secondes. Les Sheikahs sont des experts en magie pratique, non ? Pourquoi t'essaye pas de nous faire un petit sort de téléportation ? T'es même pas capable d'exécuter un sort classique, minable ? A quoi tu sers, alors ?
Yorwan s'immobilisa, la peau plus pâle que d'habitude. Il regarda Nami avec un regard indéfinissable. Ni Flamme ni Lésa ne l'avaient jamais vu ainsi et même l'apprentie femme-fleur eut un mouvement de recul. Il semblait être à la fois fou de rage, dévoré par une profonde tristesse et tentant de tout contenir derrière un visage impassible. Il s'écoula dix secondes interminables durant lesquelles Flamme, Lésa et Navi prirent enfin conscience de ce qui se passait. Ensuite, Yorwan fit brusquement demi-tour. Il fit une dizaine de mètres, fit un mouvement de bras de bas en haut. Il y eut une lumière verte, puis plus rien. Yorwan n'était plus là.

- Et il nous a laissés ici, ce con ! Il sait rien faire correctement !
- Et toi, t'es la fille la plus méchante que je connaisse, hurla Lésa ! Yorwan a du mal à utiliser la magie, c'est vrai, mais c'est pas une raison pour l'insulter. Tu lui as fait très mal, très mal. Il a eu tellement mal qu'il nous déteste et qu'il nous a abandonnées. C'est de ta faute s'il est parti à tout jamais.
- Mais non, Lésa, répondit calmement Flamme en prenant la petite fille dans ses bras. Il va bouder une petite heure et puis il va revenir. Il ne doit pas être loin. On va faire les courses puis l'attendre sur la grand place.
- Mais pourquoi vous vous encombrez de ce minable ? Il ne nous sert à rien. On perd notre temps.
- Nami, ne redis plus jamais ça !
L'apprentie femme-fleur regarda sa supérieure d'un air surpris. Flamme avait dit ça avec un ton de colère. Sanaël ne s'était jamais montrée aussi autoritaire. Elle se tut et les jeunes filles firent leurs emplettes. Trois heures plus tard, Yorwan n'était toujours pas revenu.

Lésa se remit à pleurer et Navi à faire des suppositions catastrophiques. Nami, ayant reçu l'ordre de ne jamais plus rien dire sur le Sheikah, ne disait rien. Flamme ne savait pas quoi faire pour pouvoir réfléchir tranquillement. Elle ne pouvait pas croire que l'albinos les aurait quittés sur un coup de tête. Il n'était tout de même pas aussi stupide. Il voulait faire partie de l'aventure. Il ne voulait pas les perdre. Il avait sa revanche à prendre sur Link. Il ne pouvait pas les abandonner sans prendre le risque de ne jamais savoir les rattraper.

Qu'est-ce qu'elles allaient faire sans lui ? Il y a quelques semaines, la jeune fille aurait dit que cela n'aurait pas été une grande perte et qu'effectivement, pour le peu d'utilité qu'il avait, le chasser en le traitant de sans-magie aurait été parfaitement convenable. Mais en prenant du recul, la jeune fille sentait que ce périple ne serait plus le même. Maintenant qu'il n'était plus là, Flamme réalisait à quel point le Sheikah lui manquait.

chapitres suivants...

Ce texte a été proposé au "Palais de Zelda" par son auteur, "Morticia". Les droits d'auteur (copyright) lui appartiennent.

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Mis à jour le 30.04.25