Légende de Zelda : Divinités antagonistes

Chapitre 110 : Le Crépuscule   

L'envers était fait d'un autre grain. Un voile sépia teintait le monde d'une maussade fadeur, donnant cependant aux nuages une magnifique chaleur ambrée. Le monde et sa matière s'effaçaient, se dématérialisant dans une vapeur pixélisée de carrés noirs.

Voici le monde qu'habillait le mur noir. Malon, raidie par sa stupéfaite contemplation, ne put se mouvoir davantage. Mais sa stature changea très vite lorsque, assaillie par de violentes douleurs, elle se cambra puis s'affala au sol.

- Mais... que m'arrive-t-il ??! Aaarrrhhgg!

Cette nouvelle réalité avait décidé d'habiller Malon d'un vêtement plus obscur. Des guenilles remplacèrent ses habits convenus. Fait plus intrigant : sa peau blanche cuivrée troqua sa clarté pour une complexion grise bleue. Ses cheveux saturèrent davantage leur rousse pigmentation pour atteindre le rouge carmin et, dans leur élongation, ils formèrent un courant sans fin qui reliait les terminaisons capillaires au niveau des dessous de bras. Enfin, ses yeux devinrent écarlates. Une soudaine transformation qui enfanta son lot de douleurs. Le supplice passé, Malon s'inspecta pour réaliser que son corps n'était plus le même. Elle s'écria :

- Noooon ! MAIS QUELLE HORREUR !

Ses larmes perlèrent. Elle maudit son intuition première de venir dans la forêt Kokiri. La belle voulut rebrousser chemin mais le dioptre s'était endurci pour l'emprisonner. Malon s'acharna en tapant sur la surface brunie par son entêtement. Mais rien n'y faisait... Malon se retourna constatant que, durant son martyr, elle avait laissé choir le calice de Latouane. Elle pensa alors que plus vite sa mission serait effectuée, plus vite elle pourrait revenir à son apparence d'origine et quitter le Crépuscule.

Oui. Ce lieu si étrange, agissant en penchant obscur de la réalité se nommait "Crépuscule". Espace liminaire de lumière vessie. L'atmosphère ambiante était la cause de la transformation de Malon. Tout ce qu'il s'y trouvait était voué à la dématérialisation. Ainsi, la nouvelle apparence de Malon agissait en rempart contre cette dure fatalité. Mais ça, elle ne le savait pas encore...

Une lueur perlée resplendissait plus loin. Malon dévia sa course pour la récupérer. A son approche, la lumière se dispersa pour reconverger et fuser en direction du calice. Ce dernier illumina un maillon sur les six. Il ne restait donc que cinq lumières à collecter. Finalement, la tâche s'annonçait moins ardue que prévu... pensa-t-elle...

Elle se rendit vite compte de la nature atrophiée de la faune. Le filtre de cette nouvelle réalité avait transformé les oiseaux en petits démons éthérés. La cendre de leur épiderme reflétait l'encre dans laquelle était écrite cette sinistre facétie. Si bien que ces animaux se montrèrent hostiles envers la jeune femme. Une monstruosité se présenta devant elle : un monstre ailé obscur présentant une tête béante dont le cratère était innervé de sillons rouges. Le tout couronné d'un col rehaussé d'excroissances tubulaires. Ce dernier projeta sa tête sur Malon qui esquiva en plongeant au sol. Entrecoupées de cris, ses esquives s'avéraient toutefois très efficaces contre les assauts répétés de la bête. Un coup de pied maladroit et involontaire eut le mérite de générer une rafale d'énergie qui percuta la créature, la repoussant sur plusieurs mètres.

- Que... ? C'est moi qui ai fait ça ?

Malon s'inspecta. Effectivement, une énergie affluait en elle grâce à la perle de lumière qu'elle venait de récupérer. Cette simple lumerotte était devenue la source de ses nouveaux pouvoirs. Le choc venait surtout du fait que Malon n'avait jamais eu d'expérience dans la projection de sort ou autre exercice de maîtrise. Face au monstre acculé, une confiance soudaine anima ses gestes. Malon projeta sa main droite. Il émergea de sa paume un obus lumineux qui alla occire la créature.
Malon s'interrogea : était-ce donc là la puissance d'une seule perle de lumière ? Qu'adviendra-t-il lorsqu'elle amassera les six ? La perspective intéressa la jeune femme qui s'aventura un peu plus dans cet univers assombri.

Il faut imaginer que "le Crépuscule" formait une zone délimitée en un cercle de deux kilomètres de diamètre. Les entrées pour y accéder étaient donc multiples. Sans le savoir, une autre personne avait emboîté le pas de Malon pour investir la zone de danger. Cassidy était venue pour assister Saria qui devait supposément se trouver dans la forêt. Elle n'avait toutefois pas été appelée par Latouane et n'avait, par conséquent, pas emprunté le même chemin pour parvenir au crépuscule. Elle entra donc dans un secteur qui n'avait pas été fouillé par la jeune fermière. Son pouvoir sur les ombres lui permit de se voiler d'un contre sort permanent contre l'infâme particule qui remaniait l'apparence des êtres venus de la lumière. Ainsi immunisée, sa nature fut préservée et elle put ainsi explorer le monde de l'obscure clarté.

Le rapport de son mystérieux ami était vrai, tout se dépeignait comme il l'avait décrit. La résistance du secret enquêteur envers les environnements malsains ne lui avait permis d'attraper qu'une seule perle de lumière avant de montrer des signes de métamorphoses. Le vaillant homme s'en était allé avant de laisser son corps appartenir à la réalité crépusculaire. Auquel cas, il aurait été coincé comme Malon. Cassidy était donc en possession de l'une des perles de lumière...

Malon, de son côté, s'accoutumait avec ses nouveaux pouvoirs lumineux. Son cri expulsa une onde falciforme qui trancha sans délai les monstres rampants qui arborait une frange étoilée. Ses aptitudes, renforcées par une deuxième puis troisième perle de lumière, sanctionnaient déjà les créatures de cet entre-deux. Toutefois, les quatrième et cinquième perles ne se laissèrent pas trouver aussi facilement que les trois premières. La quatrième était détenue par une sorte de pou ailé qui, arborant une phosphorescence donnée par la perle qu'il recelait en lui, était facilement identifiable. Un bref combat s'était engagé entre la bête et Malon, et ce fut cette dernière qui l'emporta, ajoutant une perle à sa collection.

La cinquième perle se trouvait bien plus loin. Mais Malon avait déjà développé une vision de rapace. Si bien qu'elle vit, au loin, le gardien de la fameuse perle : une gigantesque punaise cuirassée de trois mètres présentant six appendices sur sa partie ventrale. Malon les avait identifiés comme étant le talon d'Achille du monstre. Le mastodonte, après quelques assauts concluants, commença à exposer ses molles parties, donnant un créneau certain pour la contre-attaque. La force physique de Malon s'était également accrue au fil du temps. Si bien que ses bonds lui permettaient d'égaler les envols soudains de l'insecte. Surpris, le monstre présenta ses excroissances que Malon découpa grâce à deux lames lumineuses qu'elle venait d'invoquer. Les sécateurs dansaient sur le torse de la bête avec Malon en chef d'orchestre, générant une sanglante symphonie. Le monstre, atterré, expira la cinquième perle de lumière qui orna le calice des ombres. Une onde parcourut le corps de Malon dans un délectable frisson.

- Ça commence à être vraiment intéressant, constata la combattante en herbe. Hâte de trouver la dernière perle...

Les monstres lui laissaient désormais le champ libre. Dans sa toute-puissance, Malon générait une peur instinctive chez les créatures du crépuscule.

De son côté, Cassidy constata que la faune, bien que transformée, affluait massivement à contresens, comme fuyante une menace. La Sheikah se demanda quel prédateur pouvait ainsi mener sa loi dans le Crépuscule. Elle alla donc vers le secteur de la forêt que les monstres semblaient fuir.
Ses pas l'amenèrent dans une clairière dégagée où elle se figea temporairement. Une forme humanoïde se tenait devant elle. Une femme aux cheveux ruisselants de rouge empourpré et dont la peau s'était rabattue au bleu ardoise. Son vêtement noir et lésé la préservait jusqu'aux adducteurs, laissant sa suite sans commodités. Ses yeux écarlates la fixaient intensément.

Était-ce une créature du Crépuscule ? Pourquoi son apparence était-elle si "humaine" ? Était-ce cette sublime démone que les créatures fuyaient ? Cassidy voulut analyser la situation avant de se montrer hostile. Mais ce fut la démone en question qui brisa le silence :

- Tu... tu es la femme qui accompagnait le Sheikah Lyros lorsqu'il déploya son dôme autour du ranch... Je me trompe ?

Cassidy réalisa que son interlocutrice était la jeune femme qui résidait au Ranch Lon Lon avec son père et un employé. Avant d'affronter les Cohortes de l'Enfer, Cassidy accompagnait effectivement Lyros lorsque celui-ci marquait les villages de son sceau protecteur. La Sheikah se souvint alors avoir vu une femme ressemblant à l'entité qui lui faisait face. Dès lors, la suite des évènements s'écrit d'elle-même. Pénétrant dans le crépuscule, le corps de la demoiselle n'avait pas supporté ce micro climat surnaturel, optant pour une apparence plus atypique. Cassidy se présenta alors :

- C'est exact. Je suis également une Sheikah et je réponds au nom de Cassidy. Mais... que fais-tu ici ?
- Je pourrais te poser la même question... Je suis Malon et, de base, j'étais venue voir Link pour lui parler. Je suppose que tu le connais...
- Bien sûr. Il est le Héros du Temps et nous combattons dans le même but. Hélas, il a dû quitter d'Hyrule quelques temps, poussé par le devoir. Mais comment as-tu trouvé l'entrée du Crépuscule sans te perdre dans les Bois Perdus ? Et surtout... pourquoi y avoir mis un pied voyant l'aspect peu accueillant de cet univers ?
- Ah... il est parti... sans me consulter avant, soupira Malon. Tout ça parce que je suis son amie inutile qui ne charcute pas du Sakdoss lorsqu'elle a du temps libre... J'aurais bien rebroussé chemin si un esprit ne m'avait pas convoquée en ces lieux. Un certain Latouane m'a missionnée pour retrouver toutes les perles de lumière qui se cachent dans ce monde étrange. Il m'a dit que je devais porter mon témoignage au dragon... Firone. Puis, entrant dans ce monde-ci, je me suis métamorphosée en une créature hideuse...
- Latouane ? Fi... Firone ?!

Le nom "Firone" résonnait avec un passé très lointain. Seuls les Mandos, les Sheikahs et l'élite hylienne avaient connaissance de l'existence des anciens Dragons.

- ... Tu as donc été appelée... Cela veut dire qu'il y a de grands projets pour toi. Quel est ce témoignage que tu dois livrer au dragon tutélaire ?
- Je n'en sais rien et je n'en ai cure ! Ce qui m'importe principalement c'est la perle lumière qui luit dans ton poing fermé. Je les collecte et il ne me manque que celle-là...

Cassidy dut reconnaître que la jeune femme avait du flair. Sans doute une capacité accrue durant son bref séjour dans le Crépuscule. Cependant, avant de songer à coopérer, Cassidy émit quelques réticences. Déjà, le ton employé ne lui plaisait pas. Enfin, son interlocutrice témoignait d'une appétence exacerbée. Un impur sentiment semblait émaner de sa demande.

- Et si je refuse ? interrogea Cassidy. Je me rends compte à l'évidence que ton esprit est fragile devant la tentation du pouvoir...
- LA PERLE !!!

Un dôme laiteux se déploya telle une onde concentrique autour de Malon qui exprima son impatience. La Sheikah s'évapora pour échapper au cataclysme. La destruction sévit sur un diamètre conséquent avant de s'essouffler en une simple bourrasque luminescente. Une explosion de colère qui avait vallonné le territoire. Bienheureusement, la Sheikah réapparut devant l'éleveuse. Cassidy, l'ombre furtive, jouait de son pouvoir de téléportation à souhait. Elle réalisa ainsi que la négociation n'était plus possible...

- Je ne peux pas te laisser voir le Dragon Firone, déclara Cassidy. Pas dans cet état... Ton témoignage va condamner la forêt et même plus encore... Il en va de la survie de la lumière à Hyrule.

Une rage transfigura Malon qui se cambra vers l'arrière, désarticulée par ses pulsions dévastatrices. Inspirant toute sa frustration, elle bascula son buste en avant pour fuser en direction de Cassidy. Cette dernière opta pour une posture de combat. Pas de téléportation cette fois. Elle accepta la confrontation. Il n'en fut rien. Malon se stoppa. Figée par une peur soudaine, son regard semblait balayer l'infini céleste. Une gigantesque ombre venait de voiler le territoire d'une nouvelle pesanteur. Cassidy scruta également le ciel pour identifier l'origine de cette ombre gigantesque.

Un long ryu japonais sabrait le ciel de son fuselage longiligne, générant dans ses contours aériens, des rafales de vent qui brassaient la forêt. Une énième boucle permit au dragon de choir délicatement sur les deux duellistes. Il présenta ainsi son chef qui n'avait rien de draconique. Au contraire : les traits fins de son visage dessinaient un masque féminin perlé de deux yeux bleu marine. Hérissé par des oreilles palmées, son visage arborait une majesté certaine. Magie oblige : de son cou ruisselait un courant aqueux qui prenait fin dans la pointe de sa queue gigantesque, laquelle était ornée d'une nageoire et rehaussée d'une crête dorsale. Le pouls de cette rivière insolite s'exprimait donc en un circuit fermé, bleutée mascarade. Le tout était vêtu d'un gigantesque obi traditionnel gris foncé, noué au dos par un énorme noeud cordé noir. L'être mystique analysa les deux femmes puis il prit la parole :

- Ombre Hylienne Sheikah et... oh... Elue de la lumière... dépositaire du pouvoir doré. Tu réponds à l'appel des ténèbres alors que la lumière te traçait un sentier de sainteté ? Honte à toi, vile créature ! Tu marques ainsi le sceau infeste de la vermine hylienne. Moi, Firone, me résous à inonder la terre des impurs et à chasser les apostats !

Le dragon bifurqua, cambrant magnifiquement son long cou vers les cieux. Firone put ainsi naviguer dans les hauteurs pour regagner son domaine qui se situait plus profondément dans la forêt. Malon fléchit le genou, ployant sous le trop plein d'émotions délivrées par cette brève apparition. Le violent procès qui venait de la mettre à nu l'avait chamboulée au plus profond de son être. Elle réalisa qu'elle avait royalement échoué...

Son témoignage n'était pas le bon...

Chapitre 111 : Da Da Da   

- Allez ! Hop hop hop ! Relève-toi. Tout compte fait, je vais te passer ma perle de lumière afin de compléter ton calice. Cela permettra de dissiper le Crépuscule qui nous environne. Tu retourneras ainsi devant l'esprit de lumière qui t'a missionné pour lui demander quoi faire maintenant que le plan initial n'a pas fonctionné. Ensuite, dirige-toi toujours vers l'ouest. J'hâte mes pas vers le lac Faroria car je crains pour le sort du Sage de la Forêt...

Même si les paroles de Cassidy avaient fini par faire sens dans le magma informe qu'était le cerveau de Malon, la jeune femme était trop perturbée pour réagir immédiatement. Si bien qu'une vingtaine de secondes lui fut nécessaire pour saisir la perle que lui tendait Cassidy.

Le calice des ombres fut enfin complété. Irradiant d'une lumière sacrée, l'objet fut porté aux nuées par la fanfare sylvestre. A mesure que l'objet culminait, la forêt regagnait ses galons de clarté. Les lieux, assainis, renouèrent avec la beauté enchanteresse de leurs prémisses.

Malon ne tarda pas à retrouver le chemin de la source. Elle constata que le calice l'avait précédé. Flottant au-dessus de l'eau, il en perla un nectar lumineux qui abonda en des répliques cerclées. Il put ainsi répandre son onction. Un déluge de lumière inonda la source qui fit émerger une immense silhouette. Il en ressortit un être chimérique, haut de son garrot majestueux. Constitué de lumière, des ornements dorés venaient consteller son corps sculpté dans un fuselage caprin. Ses cornes fusionnaient en un cercle. Il s'agissait de Latouane dans sa forme recomposée. Ce dernier s'exprima.

- Merci... d'avoir restauré... mon pouvoir... Tu as fait preuve.... de beaucoup de courage... Hélas... tu as manqué de discernement... et tu t'es enivré du pouvoir... Le Dragon Firone va plonger... ce domaine sous les flots...
- Oui, je le ressens. J'ai manqué de sobriété... Je ne suis pas digne d'être une élue de la lumière...
- Et pourtant... les aptitudes que tu as reçues... sont la preuve du contraire...
- ... Tu as une connexion évidente avec ce dragon. Si ce que tu dis est vrai, aide-moi à lui prouver que je suis vraiment digne.
- Ô élue... Ton apparence ainsi altérée... ne moleste guère ton esprit désormais... Ton désir de pénitence... surpasse le déni de ta malédiction...

Malon, bien qu'ayant dissipé le crépuscule, avait préservé son apparence crépusculaire.

- Ce constat... me permet d'affirmer que malgré ce manifeste échec... ton esprit est résolu... Tandis que la faune... a regagné son vêtement habituel... toi... tu as préservé inconsciemment... cette apparence... car tu as jugé qu'elle te permettrait... plus facilement de réparer... tes erreurs... Je vais donc... faire tien... mon pouvoir et mon savoir...

Le corps de Malon fut porté dans les hauteurs par la lumière sacrée de Latouane. Emportée dans une tempête lumineuse, son corps retrouva ses anciens attributs. Le calme revint, au diapason de cette ataraxie nouvelle pour Malon. Revêtu de son habit véritable, elle commanda avec une assurance nouvelle :

- Latouane ! Toi qui me remets ta sapience : expose-moi ton plan pour apaiser l'ire de Firone.
- Il te faut... rediriger la lumière que tu viens d'absorber... en un rai diffus dans la source... La suite dépendra également... du Sage de la Forêt et de l'Adoratrice de l'Ombre...

Malon appliqua sans délai le plan de l'Esprit de lumière. Elle fléchit ses genoux, apposa ses mains à la surface de l'eau pour y appliquer un baume éclairé qui déploya sa chaude aurore sur l'ensemble. L'exécution de ce plan n'était pas l'affaire d'un instant...

Bien plus loin, une frêle et verte silhouette se déplaçait le long des vertigineuses cascades. En effet : la beauté verdoyante de la Forêt de Firone se stoppait, sans transition, sur des flancs lissés par les remous célestites. Et toutes ces saccades verticales assises en cercle nourrissaient un lac enfoncé dans le creux de ce miracle naturel. Il s'agissait du Lac Faroria. Et la forme mouvante n'était autre que le Sage de la Forêt : Saria.

Sa course était effrénée. Elle était aux prises avec des ennemis assez puissants. Sa fée, Orea, scruta les ombres massives qui s'agitaient dans le décor boisé. Elle avertit Saria de l'attaque qui sévit dans l'angle mort de la Kokiri. Un éclat doré scinda six arbres qui tressautèrent avant de choir bruyamment. L'effet domino permit de découvrir les menaçants assaillants. Trois colosses dorés : automates antiques décorés d'un or éclatant et munis, chacun, de trois paires de bras. Et chaque bras était armé d'un gigantesque cimeterre. Au calcul, cela faisait dix-huit puissants sécateurs qui attentaient à la vie de Saria. L'un s'excita pour exécuter une danse dévastatrice. Les lames brassèrent un périmètre mortel. Saria prit appui sur un tronc afin de prendre de la hauteur et ricocher en vrillant son corps. Virevoltant à l'horizontale, sa mince chair s'immisça entre deux sillons tranchants à l'inverse de l'arbre segmenté.

- Graine de folie !

De sa paume axée vers le bas perla une graine luminescente qui explosa au sol. De l'impact déferlèrent des troncs défilant en courbes articulées. Les axes affolés balayèrent les trois adversaires qui, flottant dans les airs quelques instants, s'écrasèrent lourdement au sol.

Au même moment le Dragon Firone, qui venait de survoler tout le domaine, passait au-dessus de Saria pour s'immobiliser au-dessus du lac. Sa longue stature prenait de haut le Sage de la Forêt qui se débattait avec ses trois serviteurs dorés : Da Nirvana, Da Zuniha et Da Ilhoma.

- Ha ha, se moqua Firone. Il est délectable de te voir retenir tes assauts pour préserver l'Ordre de Da : ces trois serviteurs qui ont une autre fonction que d'obéir à mes instructions. Les esprits sont loquaces. Ils t'ont confié le rôle véritable de ces gardiens antiques. C'est pour cela que tu les dispenses de tes sanctions létales.

Saria grinça des dents tout en adressant un sombre regard au gardien tutélaire de ces lieux. Effectivement, Saria ne faisait que de se défendre. Elle se gardait d'effectuer tout mouvement assassin. Toutefois, sa retenue la mettait en péril. Saria et Firone s'étaient déjà entretenus et les pourparlers n'avaient rien donné de concluant. Mais voici qu'arriva Cassidy, pleine de ressources. Trois ombres concourraient sous sa silhouette défilante. Elle distribua ses sombres contreparties qui, une fois arrivées au niveau des automates dorés, s'exprimèrent en des saillies verticales qui transpercèrent les serviteurs de Firone. Ceux-ci commençaient doucement à prendre l'ascendant sur une Saria qui ne faisait que câliner ses adversaires. Saria supplia Cassidy :

- Je t'en supplie Cassidy ! Il ne faut pas les anéantir ! Il s'agit de l'Ordre de Da : les trois bâtisseurs du prochain...

Le Sage de la Forêt se stoppa devant l'absurde démesure théâtralisée par les grandiloquentes incantations de Firone. Une gigantesque sphère d'eau se condensait au-dessus du Dragon sacré. L'atmosphère se rafraîchit, dominé par cet océan en surplomb qui scindait même les nuées. Des axes aqueux convergeaient en constellations autour du géant aquifère, attendant de le nourrir simultanément. Les eaux du ciel et de la terre abondaient en un seul corps céleste. Même les cascades étaient happées par ce gouffre gravitationnel, donnant lieu à un gigantesque capharnaüm où s'entrelaçaient des colonnes cérulées et oscillantes entre retombées et envolées. Le processus mimait celui de "protubérances solaires", sort ultime de feu utilisé par Lambardy notamment. Saria et Cassidy étaient tétanisées devant le "monstre" qui trônait au-dessus de leurs têtes...

Pendant ce temps, Malon venait de terminer son entreprise. Etant sous la protection de Latouane, la source était le seul point d'eau qui n'avait pas répondu à l'appel de Firone. L'eau était "prête". Il ne manquait que les efforts conjugués de Saria et Cassidy. Aussi surprenant que cela pouvait paraître, Malon se retrouvait sur Latouane. Ils cheminèrent ainsi à toute vitesse vers l'endroit où la météo semblait anormalement se gâter...

Chapitre 112 : Pu-erh   

Les jambes de Saria venaient de s'étirer en écorce. Une croissance arborescente lui permettant d'atteindre les hauteurs de Firone. Zigzaguant sur la verticale incertaine de son arbre incarné, elle invoqua deux énormes feuilles qu'elle éloigna avec ses deux bras déployés. Faisant office d'éventails, la sanction allait sévir en rafale :

- La brasse centenaire !

Elle croisa violemment les deux feuilles, fusionnant deux courants tubéreux en un seul et générant un filetage acéré de vents tranchants. Le vortex sublima le chaos ambiant pour mêler des débris dans la tempête. Le typhon rencontra la trajectoire de Firone qui, loin de se défiler, fit apparaître une auréole de laquelle s'insurgea un rayon en surchauffe. Les deux faisceaux élémentaires s'annihilèrent en une explosion formidable.

Une cascade s'éleva en corridor aérien pour rejoindre le cataclysme. Cassidy s'y engouffra et, nappant sa silhouette d'une vacuole d'ombre, fila à toute vitesse dans le colimaçon d'eau pour s'engouffrer dans l'énorme sphère. Elle jouissait ainsi d'un immense terrain de jeu où elle pouvait se mouvoir à souhait et, surtout, surplomber le dragon. Une succession de signes distinctifs permit à la belle Sheikah de moduler la densité de l'eau. Elle fit alors pleuvoir sur Firone une averse tranchante. Des concrétions taillées en lames qui se comptaient par milliers. Le Dragon invoqua son bouclier alvéolé dont les facettes assaillies s'éclairaient d'une aurore sacrée. Saria pensa ainsi que les flancs du dragon se présentaient en viande menue. Mais les rondins de bois pointus qu'elle projeta se confrontèrent à la dure réalité du bouclier qui n'avait pas révélé toute sa gibbosité. Le ricochet des troncs acérés s'exprima dans la surbrillance des hexagones agencés en ruche. Firone s'insurgea en invoquant des runes célestes qui firent pleuvoir des axes tambourinant. Saria, effleurée par une colonne d'énergie, accusa mal le coup et fut catapultée au loin. Cassidy regarda la scène avec effroi. Saria allait s'écraser et mourir...

Sa triste trajectoire se mêla avec les troncs qui venaient d'échouer dans leur adresse. Saria agita ses bras dans toutes les directions, tractant des forces invisibles de toutes parts. La sève de chaque segment de bois s'extirpa pour générer un concours élastique. Saria s'enfonça au coeur de ce méat malléable qui, cueillant son séant dans la plus formidable des énergies, catapulta la jeune femme en direction opposée. Fusant à pleins gaz, elle constella son giron proche de ronces évoluant en spirales. Elle les projeta ainsi pour une autre charge. Firone accusa le coup. Le Dragon avait enlevé sa barrière, manquant de vigilance. Se cambrant en arrière, Firone dut momentanément stopper la préparation de son attaque ultime. Les eaux stoppèrent leur afflux.

Firone éleva le flanc sur lequel se situaient les trois serviteurs. Une île flottante soutenait la menace dorée pour être, une nouvelle fois, divisée par les incantations de Firone. Ainsi, chaque automate sacré pouvait appréhender le périmètre de Saria. Le Sage de la Forêt se tenait sur une énorme lamelle verte glissant en feuille morte sur les supports venteux. Da Zuniha projeta deux boomerangs. La croix iridescente de leur trajectoire siffla dans le néant. Saria venait de se propulser plus haut, rehaussée par le souffle d'un bulbe qu'elle venait de faire éclore en extrémité de sa feuille volante.

Un autre duo de sécateurs, projeté cette fois par Da Nirvana, convergeait dangereusement vers Saria. Mais une colonne obscure mit en échec la course affolée des deux arcs dorés. En amont de cette obscure résurgence, Cassidy distribuait ses paumes dans une frénésie alternée. Elle put ainsi décocher, dans le prolongement de ses bras surexcités, une ribambelle de faisceaux qui tombèrent sur Firone. Acculé, le Dragon s'enfonça dans l'abîme tari qu'était devenu le Lac Faroria, nivelé davantage par les explosions en série.

Un cri draconique s'éleva pour soulever une énergie phénomènale. La terre elle-même expira des bourrasques ascendantes, exhalaisons de colère. Firone émergea de son trou pour sillonner l'espace aérien. Son contrôle sur les fluides lui permit de déloger Cassidy de sa sphère d'eau en générant des courants entrelacés en son sein. Celle-ci se téléporta trois fois dans sa chute pour atteindre le sol dans un moindre mal. Les trois îlots supportant les massives silhouettes de Da Ilhoma, Da Zuniha et Da Nirvana convergèrent sur le duo pour le sanctionner à coups de lames. Pendant que les deux femmes se débattaient avec les trois automates antiques, Firone avait déjà regagné sa position et accumulait davantage d'eau. Son attaque était bientôt prête...

C'était sans compter sur l'apparition d'un nouveau vis-à-vis. Et de taille. Face à Firone se dressait une sublime et lumineuse chimère qui dominait la forêt. La stupeur semblait figer l'action de Firone qui demeura silencieuse avant de laisser échapper un "Latouane ?". Ce auquel ladite créature répondit :

- Cesse donc ta vile entreprise... âme vacillante... De noirs sortilèges t'ont conduit... à menacer ce que... les déesses t'ont missionné... de protéger...

Et pendant que les deux géants sylvestres conversaient, Malon se laissa glisser du dos de la belle bête pour se réceptionner au sol, non loin de Saria et Cassidy. Elle hurla alors :

- Vous deux ! Suivez-moi s'il vous plaît ! Je vais vous conduire à un endroit où vos pouvoirs pourront mettre fin à cette situation périlleuse !

Saria et Cassidy détournèrent leur regard de leurs assaillants pour observer la nouvelle arrivante. Elles optèrent pour une attaque concertée. Joignant leurs mains, elles s'écrièrent :

- NOTT SUR SON CHEVAL D'YGG !

Une invocation déchira l'espace craquelé par de sombres arborescences et rythmé par un puissant galop. Les ténébreux segments articulés empalèrent le trio doré dans la brasse du treillage mortel. La nuit étoilée apparut en terminaison des axes désorganisés, contenue dans une forme équine. Le cheval nocturne venait ainsi, dans sa course, d'hérisser un sillon de beauté punitive. Si bien que les automates cessèrent temporairement de fonctionner. Ce laps de temps permit aux deux femmes de s'échapper avec la nouvelle venue.

Dans leur course folle, Cassidy reconnut Malon dans son vêtement routinier. Malon ne manqua pas de présenter ses excuses. L'Ombre Furtive expliqua alors au Sage de la Forêt qu'elles crapahutaient avec une sérieuse candidate au titre de "Sage de la Lumière". La bouche béante de Saria fut l'aventure ultime d'un insecte suicidaire. Les expectorations de la jeune femme arrachèrent Firone à sa rêverie. Le Dragon, trop occupé à converser avec sa lumineuse moitié, constata alors que ses deux némésis étaient en pleine cavale.

Firone décida donc de faire pleuvoir l'expression de sa colère. La masse aqueuse fondit inéluctablement pour, une fois atterrée, rebondir en de verticales répliques. Le bruit assourdissant du mur d'eau progressant dans une destruction panoramique était une sonorité sortie d'un autre monde. Latouane condensa une sphère lumineuse au sein du cercle ivoiré de ses cornes. Deux lumières se manifestèrent au sol pour répondre à l'appel. Elles se matérialisèrent en deux gardiens de pierre parcourus de lignes bleues phosphorescentes et maculés de lichen. Leurs silhouettes étaient limées d'après une physionomie humaine. Leurs contours étaient rehaussés par des excroissances venant couronner leurs chefs et, en une parfaite circonférence étoilée, déverser une collerette dentelée jusqu'à la poitrine. Leurs yeux s'exprimaient dans la même lueur bleutée qui scindait leurs corps d'une mystique symbolique. Enfin, leurs bras droits étaient armés d'une lance dont la gardé scindait l'axe en deux ailettes.

Ces mêmes gardiens frappèrent sobrement le sol à l'aide de leurs armes pour ériger une barrière. Une vague opalescente fleurit en terre et en ciel pour laisser, dans son déroulement, un dioptre imperméable. "L'océan" toquait inlassablement mais le mur se montrait inflexible. Les arbres, brassés dans la particule poussiéreuse que constituait le sol de la Forêt, dansaient dans ce gigantesque prisme d'une ocre intempérance. "La mer" en folie dressait un rideau entre le chaos de Firone et la forêt épargnée par l'action de Latouane.

Le spectacle avait de quoi offrir une succulente distraction aux filles. Il n'en fut rien. Malon savait intimement que la barrière de Latouane, bien qu'impressionnante, n'était que misère devant la rage folle de Firone. De surcroît, l'Ordre de Da avait abandonné la piste des filles. Les trois automates se dirigeaient dangereusement vers les deux gardiens de Latouane afin de les détruire et de désactiver la sainte barrière. Latouane fit intervenir, dans un rai lumineux, un golem de même facture que les deux autres gardiens. Il se démarquait cependant grâce à sa largeur. Sa hauteur et sa puissance lui permirent de contenir les assauts des trois ennemis dorés.

La course du trio féminin s'acheva au terme de sept minutes de débandade. Elles arrivèrent ainsi devant la fameuse source de Latouane, désormais seul point d'eau de la forêt. Malon avait pu exposer le plan de Latouane aux filles en pleine course. Saria et Cassidy se mirent au travail. Face à l'eau chaude qui lui faisait face, Saria déversa son flux magique qui matérialisa treize énormes feuilles qui sillonnèrent les bois pour saisir la fragrance des champignons. Dans une danse chaloupée de légèreté, les feuilles s'abreuvèrent des spores exhalées par les champignons phosphorescents. Si bien que leurs courses tracèrent des sillons enchantés telles des portées musicales qui couraillaient de notes colorées.

Cassidy se concentra pour rabattre les accents lumineux. Une douce pénombre environna alors le trio. Saria étala ses feuilles alimentées par leur fongique symphonie. Une fois à l'ombre, le Sage de la Forêt accéléra le séchage en les torsadant. Il fallut une minute supplémentaire pour accélérer de manière effective leur fermentation. Il ne restait plus qu'à les mettre à l'eau de source, chauffée préalablement par les soins de Malon.

L'infusion s'opéra en cinq minutes. Une délicieuse odeur émanait de la source, désormais teintée d'une aurore brune et d'une surface cuivrée, ondulante de savoureux remous. L'odeur se répandait plus rapidement qu'un trot, titillant les sensations olfactives de Firone avant même que les filles ne puissent revenir au niveau des entités tutélaires. Lorsqu'elles se présentèrent devant le mur avec les gardiens d'un tel et les automates d'un autre, elles virent que l'expression de Firone s'était adoucie. Si bien que l'Ordre de Da s'était immobilisé, préservant le golem d'une fin certaine. Latouane félicita, à sa manière, Saria Cassidy et Malon. Firone s'exprima alors :

- Mais c'est... du thé que je sens ? Hao Ling? Thé pu erh ?

Sans délai, Firone s'envola par-dessus la brèche que Latouane venait gracieusement de créer pour laisser sa contrepartie se hâter. Sa danse céleste l'amena rapidement au niveau de la source d'où infusait le délicieux thé noir aux reflets roux. L'on vit au loin sa longue silhouette se révérencer pour une lente délectation.

Dix longues et insoutenables minutes s'écoulèrent. L'eau stagnait toujours derrière le prisme salutaire tandis que l'Ordre de Da et les trois gardiens demeuraient immobiles. Soudain, l'eau se retira. Rebroussant chemin, s'étalant sur des sentiers épars, le temps sembla compter à rebours pour asseoir l'océan. Spectres virevoltants à travers le ciel, sillons d'ectoplasmes scindant la forêt de leurs reflets enchantés. L'eau gagnait ses recoins et ses étendues. L'eau parsemait ses jalons de vie et abreuvait les fausses taries. Les trois femmes virent abonder les salves aqueuses en toute direction. Une cascade dracha non loin d'elles. Nouveau décor. Nouvelle redistribution. Les flux galopaient à de nouveaux endroits. Le Lac Faroria n'était plus, réduit à un vertigineux canyon qui n'appelait que des échos.

Mais le temps de la contemplation était passé. Firone était revenu à son point de départ, fixant les combattantes ainsi que Latouane de sa haute stature. Le visage doux et apaisé, le Dragon déclara :

- Merci. Merci infiniment de m'avoir raisonné... Merci Latouane de me connaître si bien... Merci... Et maintenant, ce qui va suivre est très important...

Chapitre 113 : Actes fondateurs   

- Pardonnez mon état second. Il est le résultat d'un concours de circonstances. Il y a deux jours, les Ducs des Enfers ont courtisé mes ténébreux travers. Travers malmenés par une Lilith des plus hypnotisante, un Samaël des plus convaincant et un Méphistophélès des plus coercitif. Ils avaient prophétisé la mort de la lumière, matérialisée quelques heures plus tard, par le décès de Rauru. Ce sombre événement, survenant après la double hécatombe de Gaebora Kaepora et du Bourgeon de l'Arbre Mojo, vint consolider mes élans de destructions. Il faut donc comprendre que les Ducs des Enfers avaient déjà oeuvré à la tomberie de mon être. Mais, acculé devant cette noire besogne, ce qu'il me resta de bon s'en alla, adoptant la forme autonome qu'est Latouane.

Le Dragon adressa un sourire radieux envers la lumineuse chimère avant de reprendre :

- Latouane représente la foi que j'ai dans la pérennité de la lumière. L'attente d'un relayeur capable. Jeune enfant : j'ai ostracisé la race hylienne par le biais de ton manquement tout en omettant que les démiurges et autres déités ont l'apanage de l'impair. Mais voilà que, maintenant élevée au rang de Rauru l'Ancien, ton sacerdoce t'incombe de la plus haute discipline et de la plus remarquable abnégation. Ce fardeau peut encore être celui d'un autre si tu n'y consens pas. Es-tu apte à embrasser un destin aussi grand que le monde ?
- Mon intention était tout autre en pénétrant ces bois, avoua sans délai Malon. Je voulais m'enquérir de l'état d'être d'un ami qui a le plus incroyable des destins. Mais mes pas m'ont amené à toi, à la conscience de ce jeu qui me dépasse et à la connaissance de mon "moi potentiel". Même si je refusais, je ne pourrais jamais nier ce qui s'est déroulé aujourd'hui. Je ne peux m'éveiller à cette conscience pour, ensuite, l'éteindre dans un simulacre d'ignorance...
- Fort bien. En tant que Sage de la Lumière, ton rôle, même parmi les Sages, est de la plus haute importance. Te voilà prophète : capable de lire le Livre des Prophéties et ses pages vierges que les Déesses s'emploient à remplir. Te voilà porteuse de leurs avertissements qu'il faudra chanter aux ouailles. Il t'incombe également de réinstituer un cycle de maintien de l'équilibre. Aux mains de mages oligarches tels que les Sages, Rauru avait instauré une ronde de médaillons pour parfaire la balance entre ce monde et le Saint Royaume. Maintenant que le Sombre Monarque est mort des mains de Zelda, peut-être te faudra-t-il accentuer tes efforts dans une autre forme d'équilibre. La soudaine apparition du Crépuscule témoigne de la fragilité de notre réalité. Je pense donc que la Lumière va être le grand sujet des siècles à venir.
- Ah... on parle en siècles... réalisa une Malon abasourdie par le sacerdoce énoncé par le Dragon.
- Si je comprends bien, commença Saria, les Sages servaient à générer un effet miroir avec l'équilibre du Saint Royaume. Et c'est dans ce Saint Royaume que l'on a jugulé la puissance de Ganondorf. Mais maintenant que les Saints Triangles on trouvé leurs dépositaires en Hyrule et que le Malin n'y vit plus, notre monde doit s'ajuster désormais sur une autre balance ?
- Sage de la Forêt, ne sont-ce point les esprits de la sylve qui t'ont vanté l'importance de l'Ordre de Da ? Ces mains d'or qui ont pour mission de façonner le temps ?

Les propos de Firone demeuraient abscons. Cassidy et Malon ne comprirent pas la dernière formule mais Saria les éclaira :

- Cassidy. La raison pour laquelle je ne voulais pas que tu détruises les trois automates est la suivante : ces trois automates sont les bâtisseurs du prochain Temple du Temps. Une nouvelle aphélie se met donc en place. Rauru n'étant plus parmi nous, le siège de la lumière ne peut plus se situer là où il était. En me posant cette question, Firone me met fasse à une indéniable vérité : une preuve que l'univers physique et astral nous parle d'une nouvelle gouvernance. Il n'y a donc plus de question à se poser sur la suite des évènements. Le retour de Link coïncidera avec la venue d'une Épée de Légende reforgée qui marquera le sceau d'un nouvel équilibre et il se fera sur les terres oubliées de Firone.
- Il te faut donc ordonner, expliqua Firone, et l'Ordre de Da se pliera à ta volonté...

Malon, pressée par cette ultime adresse, s'avança vers Da Ilhoma, Da Nirvana et Da Zuniha. Elle regarda ces colosses si joliment parés et leur adressa un "bâtissez" qui n'augurait aucunement de la gigantesque manoeuvre qu'il allait engendrer.

Sans délai, les trois masses dorées engagèrent un colossal chantier. Des arcanes aériennes se mirent à entrer dans une danse circulaire, rythmées par un cliquetis régulier. Des chiffres entrèrent en rotation. Pléthore de sceaux temporels et autres horloges en hologrammes polluèrent le verdoyant panorama, le moirant dans une mouvante mosaïque. Des pans rocheux éventrèrent la terre sous l'action altérée du temps. Da Nirvana, par l'action de runes temporelles, fit émerger des lames circulaires qui sévissaient dans le concours de leurs trajectoires. Permettant, dans une cadence inversée, de cisailler les blocs qui émergeaient encore et toujours de la terre. Passant l'étape de la découpe parfaite, Da Zuniha réceptionnait les impeccables volumes et sculptait en parfait accord et symbiose avec l'architecture hylienne. Il y avait littéralement des tonnes qui dansaient librement dans les airs, simulant une légèreté.

- Par Nayru ! s'écria Cassidy. C'est tout bonnement prodigieux !

Da Ilhoma se figea pour regarder Malon comme un être en demande. La jeune femme sut instinctivement ce qu'il fallait faire. Elle décocha un faisceau lumineux qui fut renvoyé par le métal hurlant de l'automate. La lumière ricocha pour, après déflexion, s'élargir en trapèze et élaguer une surface plane de prime abord. Puis un second balayage permit de niveler, en parfaite égalité, un sous-sol marquant la forêt tel un puissant tampon céleste.

Les blocs épars s'agglomérèrent en une structure d'abord informe. Puis le moulin continu d'une structure rehaussée d'incohérences apporta, dans sa ronde, une logique d'agencement. Une énorme bâtisse flottait dans les airs tandis que le temps évidait la forme pleine. Des salles se détaillèrent dans l'excavation exercée par les affres du temps. Enfin, Malon, dans une prière improvisée, entra en résonance avec le bâtiment en lévitation. Une lueur enveloppait la jeune mage et la construction élevée par les efforts conjugués de l'Ordre de Da. Une fois satisfaite, Malon ordonna aux trois serviteurs de déposer le nouveau temple dédié au temps et à la lumière. Le bâtiment, bien que déposé avec délicatesse, souffrit de puissantes secousses en épousant les contours de la fausse creusée par l'action combinée de Malon et Da Ilhoma. Le point final d'une manoeuvre de seize minutes...

- Félicitations, congratula Firone. Voici le Temple du Temps, te consacrant ainsi au rang de Sage de la Lumière...

Grandie par cette conscience nouvelle, la silhouette plantée de Malon l'intronisait en prêtresse des lieux. Un nouveau Sage était né. Le Sage de la Lumière allait pouvoir exercer un nouveau ministère.

Chapitre 114 : Le début d'une nouvelle ère   

- Tu auras tout le loisir d'explorer ta création, commença Firone. Mais il te faudra souffrir ma présence encore quelques instants. J'ai plusieurs révélations à te faire.
- Je suis toute ouïe, répondit le Sage de la Lumière.
- Maintenant que tu es Sage de la Lumière, le Médaillon de la Lumière doit recouvrir sa puissance. Lorsque le Héros du Temps en aura besoin, il faudra lui remettre cette énergie renouvelée qui lui permettra de transcender les barrières de cette dimension, à l'instar du Sceau Mando.

Malon ne comprit pas tout mais Saria et Cassidy prirent le relai :

- La ronde des médaillons a été brisée par le décès de Rauru, annonça Saria. Link ne s'en est sans doute pas rendu compte car il ne puise pas sa puissance dans les médaillons mais celui de la lumière a dû redevenir un banal artefact. Il sera donc de ta responsabilité de restaurer la puissance du médaillon de la lumière lorsque Link reviendra...
- Tout comme la puissance combinée des Sages a pu distordre la réalité pour permettre d'accéder au Saint Royaume et d'y enfermer Ganondorf, la ronde des médaillons permettra au Héros du Temps de transcender le filtre de notre réalité. Le peuple ancestral des Mandos, décimé pendant la guerre et représenté par ses quatre survivants dont le roi Lambardy, utilise un sceau qui permet de réaliser les mêmes prouesses.

Cassidy posa sa main sur les épaules de Malon. Épaules qui allaient être rudement mises à l'épreuve. En l'espace de quelques heures, Malon avait vu son destin connaître un revirement des plus incroyables. Saria lui adressa un sourire et la rassura :

- Tu es la plus jeune des Sages et le destin t'accable sans nuance. N'aie crainte. Tu auras l'occasion de rester la jeune femme que tu es. Tu n'auras pas à te dénaturer pour devenir une déité parmi les "simples mortels". Mais ta conscience doit se faire violence. Accepter cette bascule. Tu n'appartiens plus seulement au destin d'Hyrule, tu le façonnes.

Saria s'avança et saisit la main de Malon. Le Sage de la Forêt plaça toute sa confiance en l'être qui allait changer la confluence éthérique de l'équilibre. Firone reprit :

- Il est une deuxième chose que tu devras transmettre au Héros du Temps. Le Chant que je vais t'enseigner est une ode dédiée au héros des temps anciens...
- Celui qui repose dans le Memorial Mando avec sa bien-aimée? questionna Cassidy.
- Celui-là même qui enferma Graal dans l'Epée de Légende qui est devenu Ascalon. Le Héros du Temps est le dépositaire de "l'Esprit du Héros" qu'Hylia a placé en ce monde pour répondre aux assauts de la malice. S'il est réellement digne, alors les notes qui vont suivre devraient lui ouvrir le céleste sentier menant au Château des Déesses.

Sur ces paroles de défiance envers l'actuel héros, Firone insuffla une première note qui résonna dans l'énorme enceinte de résonance que constituait son buste. Il s'ensuivit une soyeuse harmonie. Malon se laissa porter dans un premier temps pour ensuite accompagner la fanfare du Dragon. Leurs deux voix circonvolaient en une sylvestre poésie. Le chant martelait la marche solennelle des âmes ombrageuses. Cet instant de communion isola les deux interprètes dans une projection astrale où de verticaux reliefs empourprés les cernaient de toutes parts. Malon, en pleine expression vocale, reconnut le Mont du Péril couronné de son rond de fumée ainsi que la roche sanguine de la Vallée Gerudo. L'abstraite facétie de leur transcendance avait décidé de joindre les somptueux reliefs d'Ordinn et Lanelle. Pour finir, un continent céleste vint fondre sur Malon et Firone.

Vraisemblablement une terre suspendue dans les cieux qui venait prêter sa saveur. Trois autres voix se joignirent à la fête dans une confluence d'accords mélodieux. Une fabuleuse apothéose joignit les cinq voix sur une note longue qui clôtura la vision onirique de ce chaos sublime. Les cantatrices achevèrent leur performance. Une abondance ruisselait dans le corps de Malon. Un afflux nouveau qui la grandissait davantage. Elle venait d'apprendre "Le chant du Héros", une ode ayant le pouvoir de conduire un digne Héros au Château des Déesses.

La légèreté passagère de Malon fut stoppée par un inquiétant spectacle : des écorces, accompagnées d'une verte multitude, envahissaient l'immense silhouette de Firone. Cassidy s'affola :

- Mais... que t'arrive t-il ?!
- Ombre Sheikah... je suis appelé, comme mes semblables, à m'endormir. La transhumance des esprits a généré une migration énergétique dans laquelle je ne peux subsister sous ma forme. Du fait également des prières qui se raréfient à notre égard. Nous les Dragons. Même le gardien du ciel...

Le lichen, qui constituait la ligne de progression, habillait l'écaille pour, dans son sillage, épanouir des plantules et jeunes arbres. La posture de Firone s'affaissa, laissant resplendir sur son dos une crête d'arborescence. Les arbres se développaient dans un cri ascendant, obligeant Firone à ployer sous la masse d'une forêt naissante. Allongé, le visage tranquille, Firone s'adressa ensuite à Saria :

- Sage de la Forêt : dans quelques temps, lorsque la nature comblera le vide qu'elle a en horreur, viens quérir le fruit qu'elle engendrera. Ici. Sur mes restes. Il s'agira de mon testament. Puisse-t-il servir à tes semblables...

Le long corps de Firone s'évanouissait dans le mimétisme de la flore ambiante. Une forêt venait littéralement de naître, cernant le nouveau temple du temps. Dans le même temps, Da Ilhoma se désassemblait, imité par ses deux semblables. Mais la voix diffuse de Firone s'exprimait encore :

- Latouane... tu es ma succession. L'hôte de ces bois. Ton vêtement de lumière et ton inébranlable croyance assureront le maintien du nouvel équilibre. Je compte sur toi pour épauler les Sages et le Héros du Temps.

Latouane demeura silencieux. Son regard, bien que peu identifiable, exprimait sa volonté. La voix de Firone, s'effaçant dans les entrailles même de la terre, s'adressa à une Malon en pleurs :

- Merci, jeune Sage. Merci de relever des défis plus grands que toi. L'appel convoque toujours des gens dignes... Ton haut ministère te rend déjà gloire. Va ! Latouane, les Sages, le Héros... Ils ont besoin de toi... Chante au peuple d'Hyrule des louanges de vérité...

Le dernier écho venait de s'étouffer dans le timide bruissement de nature en train de se développer. Les trois femmes étaient sous le choc. Elles avaient besoin de digérer cette succession d'événements. Elles plissèrent donc le genou et entrèrent en méditation devant la jeune forêt qui leur faisait face. A l'instar de Lanelle et d'Ordinn, Firone venait de s'évanouir. Son "sanctuaire" présentait les abords toujours en mutation du Temple du Temps.

Après quelques minutes de recueillement, Malon s'aventura dans les bois expansifs. Elle déambulait sur les sentiers ondulants qui faisaient danser les arbres riverains. Le sol défiait sa marche tel un tapis roulant. Dans son expansion, le sanctuaire de Firone étalait sa surface autour du temple, repoussant inexorablement les éléments en aval. Mais Malon força le pas, suivie de près par Saria et Cassidy. Les gardiens qui avaient érigé une barrière pour contenir la rage de Firone emboîtaient également le pas.

Le groupe arriva très vite devant la bâtisse fraîchement construite. Une blancheur verticale, scindée de vitres sobrement teintées d'un camaïeu ocre jaune. La configuration oblongue était rehaussée par un toit recouvert de tuiles noires, lequel surmontait une nef éclairée des intervalles vitrés. Car oui, l'intérieur était éclairé d'une lueur dorée. L'entrée déversait un escalier bordé d'une rampe hachée de motifs en balustre noire. La vue en plongée permettait d'admirer un dallage carré et miroitant, lequel reflétait les sublimes clefs de voûtes qui distribuaient leurs lignes dans les piliers verticaux qui jalonnaient les façades latérales. Le blason de la Triforce resplendissait au centre de la salle qui précédait l'accès à la salle suivante : le choeur.

Une salle semi-circulaire, éclairée de tous les rayons et degrés par d'immenses vitraux verticaux. Une estrade émergeait au centre du déambulatoire. Et sur cette même estrade se situait le piédestal où était censée reposer l'Epée de Légende.

- Eh bien... réalisa Cassidy. Tout cela en quelques minutes. C'est de toute beauté. Il rivalise avec l'ancien Temple du Temps...

Et pendant que les trois femmes admiraient encore ce bijou architectural, les deux Gardiens se placèrent de part et d'autre du blason de la Triforce, avec un léger retrait par rapport à celui-ci. Ils se raidirent pour taire leur présence. Les lignes bleues qui illuminaient leurs corps s'éteignirent. Ils s'étaient plantés, droits, en gardiens du temple.

Après une dizaine de minutes, Firone avait fini de déployer sa forêt, jalonnée de part et d'autre de points d'eau et autres cascades. Malon demanda à Latouane de retourner à sa source. Ce que l'être fit. Et lorsque que fut enfin venu le temps de quitter les lieux, Saria regarda une ultime fois cette forêt sanctuaire : elle y retournerait bientôt pour cueillir ce "fruit" qui serait bénéfique pour son peuple.

FIN

Ce texte a été proposé au "Palais de Zelda" par son auteur, "Jean-Yann". Les droits d'auteur (copyright) lui appartiennent.