Légende de Zelda : Divinités antagonistes
Ce fut ainsi que le Soleil se coucha pour se lever à un autre endroit. Loin de Termina, le monde livrait lentement sa face à son étoile, dévoilant la superbe des paysages d'outremer.
Voilà que les étendues vertes des plaines se jetaient dans un océan émeraude de hauts plateaux et de vallées encaissées. La lune dichotome, grande balafrée, périssait mais persistait dans son rôle. Son éclat blafard acculait les ténèbres dans les retranchements. Puis un rai aveuglant prit le relais, achevant de décourager les ombres indiscrètes. L'astre mit à jour les teintes colorées de cet univers.
Il révéla ainsi l'énorme masse isolée dans ce lointain d'émeraude. Une ville entourée de remparts qui déversaient, par endroits, les eaux usées dans un même courant qui ceinturait la muraille. En contrebas, on pouvait apercevoir les toits de chaume et de terre cuite tutoyant la ferraille d'un réseau de canalisations assez complexe. Les habitations étaient nivelées en plusieurs strates, lesquelles évoluaient progressivement jusqu'à se rejoindre et cerner, de part et d'autre, un mont bleu qui trônait au centre de la ville, confrontant celle-ci à une organisation graduelle. Au sommet, un immense château.
Il ne faisait hélas vraisemblablement pas l'éloge de la verticalité. Seul le sommet de la tour qui traçait, avec le sol, une perpendiculaire, apportait un semblant de cohérence. Le reste n'était que structure bavante, branlante, ébranlée par on se savait quel cataclysme. Oui car il fut impensable qu'un architecte, même par folie créative, eut imaginé une telle bâtisse. Le château était perforé par ses propres entrailles, à savoir des éléments tels que d'énormes tuyaux venant éventrer le, pourtant si beau, pendule qui ne fonctionnait plus.
Et en y regardant de plus près, la cité souffrait aussi de dégâts matériels importants. La muraille vomissait ses pierres à certains endroits et des balafres zébraient la ville. Mère nature, dans ses plus beaux atours, s'était encombrée d'un furoncle. Enfin, n'allons pas jusque là. La cité, si elle n'était pas tant amochée, pourrait ressembler à un très beau jardin.
Les habitants vaquaient à leurs occupations, interrompus de temps à autres par l'apparition d'êtres difformes. Ceux-ci répondaient au nom de "Sans Coeurs" à en croire les cris horrifiés des passants. Certains, plus téméraires, osaient affronter leurs assaillants. En clair, la situation ne semblait pas nouvelle pour la plupart. Continuellement la cible de monstres en tous genres, la population était devenue plus forte pour résister.
Le nerf de la résistance se situait dans les faubourgs de la ville, plus précisément dans la maison d'un certain Merlin. A l'intérieur, un groupuscule particulier tenait une réunion pour décider de la suite des évènements. Tous étaient des combattants hors pair et avaient fait leurs preuves. Le leader était un jeune homme d'une vingtaine d'années, un peu plus. Ses cheveux bruns déversaient leur mystère jusqu'aux omoplates. Des mèches coiffaient les flancs de son visage. Il était très beau et en rien la présence d'une cicatrice traçant une diagonale ne venait affadir ses traits fins. Le col de sa veste était cerné par une fourrure. Son bassin était bardé du cuir de trois ceintures entrelacées. A côté de lui, une jeune adolescente tenant un énorme shuriken dans sa main. Très mignonne et enfantine, ses cheveux courts connotaient son expérience dans le combat ainsi qu'une éducation martiale assez rude. En face, une jeune femme ayant de faux airs de Malon, la chevelure et les vêtements étant assez similaires. Sa beauté et ses yeux innocents faisaient d'elle une déesse de chair. Enfin, un homme blond d'une trentaine d'années siégeait devant un ordinateur tout en étant réceptif à ce qui se disait à côté.
- Il faut perfectionner le système de claymores, annonça le jeune chef de guerre. Il y en a trop peu en proportion du nombre d'ennemis. Cid ! J'aurai besoin de toi demain pour lancer une mise à jour complète sur l'ordinateur d'Ansem.
- Ça ne va pas être de la tartiflette, Léon ! répondit l'homme blond assis devant son écran. En matière de logiciels bienveillants, on est à la pointe de la pointe, le dernier cri.
- Malheureusement notre cité ne peut attendre plus longtemps de consolider ses défenses. A l'heure où nous parlons, Maléfique et Pat Hibulaire se constituent une armée de Sans Coeurs considérable. Une telle force de frappe nous anéantirait en une journée... Quelqu'un sait où est encore passé Cloud ?
- Sans doute parti chasser du Sans Coeur, répondit la ninja qui se prénommait Yuffie. Il est mieux dehors qu'ici. Parler, c'est pas trop son truc.
- Tant qu'il n'aura pas réglé ses comptes avec vous savez qui, poursuivit la belle brune, il sera incapable d'avancer.
- Je sais bien Aerith mais j'aime que l'on soit alerte à chaque instant, imposa Léon. Il est un élément indispensable.
Le "Cloud" en question s'aventurait dans les vallées sombres. C'était un homme fraîchement entré dans l'âge adulte. Mercenaire solitaire, l'éclat blond de sa chevelure improbable contrastait radicalement avec son long manteau noir et le métal de l'énorme plaque de fer faisant office d'épée et reposant sur son dos. Fardeau qui ne semblait pas en être un à en juger par la facilité avec laquelle le combattant se déplaçait.
Son visage était cependant inquiet et son regard contemplatif. Face à lui, un paysage calciné par les flammes et des dizaines de Sans Coeurs sans vie, tranquilles.
"Qui ?" fut le seul mot que Cloud Strife put prononcer à la vue de ce spectacle. S'il se réjouissait à l'idée que le nombre de Sans Coeur diminuait, il se demandait tout de même quelle puissance pouvait être responsable de ce chaos et surtout si elle était uniquement dirigée contre ces monstres.
Quelque chose, ou quelqu'un, était arrivé à la Forteresse Oubliée, se disait Cloud. Il ne reconnaissait, dans ce merdier, la signature de personne. Pas même celle de son ennemi juré...
Le facteur Kelso. Un homme très matinal et très souriant. Il était la bonne humeur de cette ville sinistrée, aidant quidam était dans le besoin. Il effectuait sa tournée tous les jours, à ses risques et périls. Il lui arrivait de faire la navette avec les villes se situant à des dizaines de kilomètres et jamais sans escorte. Il savait se défendre, le bonhomme, et s'évertuait à ne dépendre de personne pour n'impliquer que sa vie, au grand désespoir de Léon.
Mais cette fois, il était tombé sur un plus gros morceau que lui. En chemin, il avait trouvé la mort. Personne ne s'en rendit compte puisqu'il était quand même revenu. Enfin, pas lui exactement. C'était quelqu'un d'autre, usant de sa magie pour lui ressembler comme deux gouttes d'eau. Impossible de déceler le piège. Toute la population avait ainsi été bernée, laissant entrer un danger plus grand que les Sans Coeurs.
Dans le monde entier, la polymorphie était un art peu rependu et très mal vu. Le Mando le savait : il n'y avait aucun risque à ce que quelqu'un ait habitué sa sensibilité magique pour se rendre compte que son apparence était un leurre. De surcroît, Enricko Machiavel avait pris le temps de bien intégrer les habitudes de monsieur Kelso, après que celui-ci les livre durant une bonne séance de tortures.
Afin de mettre la main sur l'artéfact que Ganondorf avait laissé à cet endroit, Enricko allait devoir refreiner ses pulsions destructrices pour jouer plus finement et obtenir les informations nécessaires. Et ça, il savait faire aussi. Quoi de mieux alors que de prendre l'apparence de l'unique facteur de la ville pour s'inviter dans tous les foyers et recueillir des informations ?
Ce que les habitants ne savaient pas, c'était que le Mando délivrait un courrier un peu spécial. A chaque visite, dans l'ombre d'une ruelle étroite, sous le chaume, dans la tuyauterie et autres cachettes, Enricko déposait une Larve Dodongo.
- Ces petites bêtes exploseront simultanément sur ordre oral, expliqua le polymorphe. J'ai désormais toute la ville en otage. L'autorité n'aura pas d'autre choix que de me laisser entrer dans le Château d'Ansem le Sage pour que je puisse enfin obtenir ce qui me permettra de trouver le Dieu de la Destruction, l'Avatar du Néant.
En un tour de main, il avait fait de la Forteresse Oubliée une monnaie d'échange. Maintenant, il avait toutes les informations nécessaires en tête. Il ne lui suffisait plus qu'à soudoyer le groupe de Léon pour qu'il le mène à Rome.
Cloud continuait son exploration sur ce sentier de destruction. De vraies miettes de pain ces corps calcinés ! Il remarqua, au loin, un crâne. Figure simiesque qui ne seyait pas au cadavre d'un Sans Coeur. Plus loin la cage thoracique, plus loin encore les jambes. C'était le corps d'un homme !
Cloud se rapprocha pour mieux inspecter la dépouille. Il vit que plusieurs bouts de papier encerclaient le défunt. Il s'agissait de fragments de lettres partiellement brûlés. Enfin, il aperçut une espèce de bandoulière, celle qui contenait justement toutes ces lettres.
- Mais c'est... le facteur !
Une volte-face. Le regard de Cloud, posé sur les remparts de la ville, s'aggrava. Il avait un mauvais pressentiment.
Il repartit en direction de la Forteresse Oubliée pour faire part de sa découverte... et de ses inquiétudes.
Le bris de la porte d'entrée interrompit Léon. Une fissure horizontale ébranla la façade entière avant que celle-ci ne s'effondre complètement, soulevant un nuage de poussière. L'écran dissimula, un temps, le Mando qui s'aventurait dans la bâtisse. Le rideau opaque s'estompa pour dévoiler l'imposteur qui revêtait encore l'apparence du facteur Kelso. Anarith, qui ne comprenait pas ce qu'il se tramait, s'approcha du personnage, soucieuse de le savoir indemne des éclats. L'épée de Léon vint cependant s'interposer entre elle et l'usurpateur.
- Léon ? s'enquérit la jeune femme.
- Qui es-tu ? demanda le chef de troupe tout en pointant son épée vers la tête de son vis-à-vis. Tu ressembles fortement à Kelso mais tu n'es pas lui. Tu lui as emprunté cette enveloppe corporelle.
- Oups, mon costume est imparfait ? ironisa Enricko. Dans ce cas...
Sa silhouette se brouilla quelques instants pour changer drastiquement, révélant son apparence véritable. Tout le monde fut surpris.
- ... je pense qu'il devient alarmant que j'apprenne les bonnes manières. A commencer par me présenter à mes hôtes. Je suis Enricko Machiavel, venant tout droit de la terre sainte d'Hyrule.
- C'est presque à l'autre bout du monde... Tu vas gentiment me suivre sans broncher si tu veux garder la tête sur les épaules.
- Doucement jeune impudent, car c'est moi qui dicte les règles ici. Je vous ai offert une vue sur l'extérieur afin que vous puissiez assister à mon petit spectacle. Voyez plutôt.
En effet, la façade dégagée offrait une vue panoramique sur l'ensemble de la ville qui déclinait.
Le Mando claqua des doigts. Une lumière vive scintilla, suivie par une explosion. Des cris retentirent dans la ville basse, mêlés au tohu-bohu soulevé par les interrogations des habitants qui observaient la scène de plus haut.
Léon, à mesure que les secondes attristaient son regard, abaissait son épée. Résigné, il savait que la moindre désobéissance coûterait des vies supplémentaires.
- Bien, affirma Enricko. Je vois que nous sommes sur la même longueur d'onde. Sachez que si tel était mon désir, je pourrais anéantir cette ville d'une salve de claquements de doigts. J'ai déposé des " mines " un peu partout et s'il faut que toute cette matière fécale passe sur l'hôtel du sacrifice pour que j'obtienne ce que je suis venu chercher, je ne grimacerais pas une seconde.
Léon et Cid s'échangèrent un regard grave qu'ils biaisèrent ensuite en direction de Yuffie et Anarith. La tension était palpable. Ces jeunes gens tenaient les destins de leurs concitoyens en main.
- D'accord, accepta Léon. Qu'est-ce que tu veux ?
- J'ai ouï dire que votre ancien souverain, Ansem le Sage, avait disparu il y a quelques années suite à la destruction du Jardin Radieux par une invasion de Sans Coeurs. C'est problématique car c'est à lui que Ganondorf avait remis le précieux artéfact que je suis venu quérir.
- Ganondorf... le cavalier du désert ? se souvint Cid.
- Tu le connais ? interrogea Léon.
- Il y a onze ans, un homme chevauchant un cheval noir et impressionnant... Ansem le connaissait bien.
- C'est exact. J'étais également présent. Je vais éclairer votre lanterne. Voici que mon récit nous ramène onze ans auparavant. Le récit d'une rencontre entre deux régents qui allaient changer notre monde et beaucoup d'autres.
Les souvenirs d'Enricko le saisirent en même temps qu'il narrait cet épisode de sa vie.
A une époque où Hyrule dansait, le Seigneur Ganondorf fomentait, à l'abri de tout soupçon. Son avidité, mue par la volonté d'Ascalon, avait dépassé les frontières de ce monde. Il décida de quitter la déesse de sable et ses dunes dorées pour les vallées émeraude du lointain. L'envie lui avait pris de "les" emmener, laissant la gouvernance de la Forteresse Gerudo à la chef par intérim, Nabooru. "Les", c'est-à-dire ses quatre disciples à l'heure où ils étaient fraîchement entrés dans l'âge adulte. Quatre mois de marche harassante, d'escalades périlleuses. Leurs corps et esprits honteusement lessivés étaient motivés par la seule contrainte de ne pas pouvoir faire demi-tour. Seul Ganondorf ne se pliait pas à l'exercice, exposant fièrement son déhanché qui se cadençait avec le trot de Bucéphale, sa majestueuse monture noire.
- Votre mort est votre seule responsabilité, lança Ganondorf. Si vous ne surmontez pas ce voyage, ne vous considérez pas comme des Mandos, ne vous considérez même pas comme des guerriers et retournez tranquillement à la terre lorsque vos corps devenus poussière seront balayés par les vents enhardis des Vallées Criardes.
- Vous ne comptez donc pas nous offrir assistance ? demanda Cardice.
Ganondorf ne répondit point, laissant Cardice se faire une idée de la réponse. Lambardy, qui marchait un peu en avant, soutint la jeune femme. Il lui fit signe de regarder le ciel. Cardice ne vit aucun intérêt à regarder le bleu pastel de la voûte lorsqu'un point noir ordonna à son regard de ne plus le quitter. Un Toucor fondait sur eux. Lambardy ordonna au volatile de disparaître, ce que la créature fit. Un vent de contentement sembla chatouiller les visages des quatre Mandos. De frêles sourires venaient illuminer leurs lèses figures. Ganondorf sourit en son for intérieur, fier de ses élèves qui ne se doutaient pas que celui-ci avait compris leur tacite machinerie.
Plusieurs nuits et jours disparurent derrière les montagnes qui semblaient ne rien vouloir révéler. Les Vallées Criardes n'en finissaient pas. Les vents s'y engouffraient, sifflants dans le creux le temps de créer leurs tempêtes puis bifurquaient vers le haut. Curieux évènement. Aussi curieux que dangereux.
Les bourrasques achevèrent de balayer les quatre silhouettes qui peinaient à suivre le Sombre Monarque. Les Mandos avaient puisé des trésors d'énergie pour arriver jusque là. Mais leurs carcasses ambulantes ne suivaient plus le rythme. Ils roulaient tels des virevoltants livrés aux humeurs du chinook.
Ganondorf se stoppa, non pas pour secourir ses malheureux disciples mais pour examiner les silhouettes qui lui faisait désormais face. Une vingtaine de soldats armés de lances. Un des soldats, le colossal Elaeus annonça à Ganondorf qu'ils étaient présents parce qu'un oiseau hideux avait fait parvenir message : un appel de détresse demandant à quiconque trouverait ce message d'envoyer des secours dans les Vallées Criardes. Il était question de secourir quatre hommes, une femme et un cheval noir. Ganondorf confirma et leur demanda d'aider Lambardy, Cardice, Rachiki et Enricko. Les troupes s'occupèrent ainsi des malheureux voyageurs. Le chef Gerudo félicita Lambardy pour avoir invoqué le Toucor et Enricko d'en avoir eu l'idée.
L'un des militaires, Dylan, informa le groupe :
- Vous ne craignez rien, désormais. Vous êtes sous la protection de la milice d'Ansem le Sage, souverain du Jardin Radieux.
Ansem le Sage. Un homme d'un certain âge qui semblait toutefois braver la gravité. Son corps était planté, droit. L'éclat blond de sa moustache et de sa barbe faisait écho à sa chevelure lisse au sommet qui tombait ensuite d'un flot ininterrompu. Souverain aimé par ses sujets, il n'affectionnait pas les trônes. Plutôt que de végéter dans un siège doré, il aimait s'adonner à des promenades journalières, au contact du peuple. Grand chercheur de son état, il tentait, avec ses disciples, de comprendre le monde, ses lumières et ses ténèbres, la finalité étant de préserver les hommes de leurs propres démons. Il avait, avec lui, un collège de personnes qui partageaient cette passion dévorante de la connaissance. Des disciples plus talentueux les uns que les autres. Il leur manquait toutefois des éléments pour corroborer leurs thèses et essais. Face au mur des mystères insolvables, Ansem avait besoin d'un sursaut pour driver ses recherches. Avachi comme rarement derrière son bureau, il explosa de joie lorsqu'il apprit qu'un homme disait s'appeler Ganondorf Dragmire et qu'il désirait s'entretenir avec lui. Les deux hommes se connaissaient bien.
Ganondorf avait laissé Cardice et Rachiki dans des hasards de corridors, véritables dédales. Il n'avait emmené avec lui qu'Enricko et Lambardy. Ces trois-là se retrouvaient dans la même pièce que le roi et trois de ses disciples. Le premier s'appelait Ienzo, un petit garçon aux mèches grises qui fondaient sur son oeil droit. Le second se prénommait Braig. La cascade de ses cheveux noirs et gominés suivait les contours de sa boite crânienne avant de s'incurver légèrement au niveau du cou. Enfin Xéhanort. Sa chevelure argentée et complexe déversait deux flancs grisonnants et hérissés. Séparés, en amont, sur la tête du scientifique par une crête lassée qui fondait vers l'arrière tel le début d'une soyeuse crinière. Enfin, deux mèches coupaient élégamment ses deux iris noisette qui ne reflétaient aucune émotion.
Ganondorf, dépassant son ami de trois têtes, s'inclina pour s'humilier devant lui et Ansem en fit de même. Ils se saluèrent ainsi avant de briser les barrières du protocole et de s'attraper avec une accolade amicale.
- Loin des yeux, près du coeur, Ganondorf. J'aime tes visites inattendues. Excuse-moi de ne pas pouvoir prendre l'initiative d'un voyage à Hyrule mais je n'ai personne pour me suppléer.
- Loin de moi l'idée de t'accabler. Je te remercie, toi et ta milice de nous avoir trouvé dans ce piège mortel. J'aurais pu survivre mais mes disciples auraient définitivement perdu la vie sans l'intervention de tes soldats.
- Point de manière entre nous, veux-tu. Parlons de nous, de nos royaumes, des nos projets, de tout.
- Hélas, je suis venu ici le temps d'une visite éclair car le temps m'est compté. Je repartirai aujourd'hui même. Ce sera certainement... la dernière fois que je pourrais te rendre visite avec une once d'humanité...
Ansem regarda son ami avec un voile grave. Inquiet, il demanda à son ami de discuter avec lui dans le balcon. Alors qu'Ansem ordonna à ses élèves de rester en retrait, Ganondorf argua que la présence de tous était nécessaire. Ainsi, Enricko, Lambardy, Ienzo, Braig et Xéhanort suivirent le duo.
Ils s'assirent tous autour d'une table ovale, laquelle tutoyait les arcades qui bordaient le balcon et laissait entrevoir les superbes allées du Jardin Radieux.
- Quel fabuleux royaume tu as, complimenta Ganondorf.
- Merci ami, remercia Ansem qui était toujours préoccupé par les précédents propos du Roi Sombre.
Le temps de lécher une glace artisanale au goût sucré et salé, Ganondorf fit une pause dans la conversation, plongeant Ienzo et Lambardy dans un malaise. Ils ne se sentaient pas à leur place.
- Ansem. Je me souviens de ces rêves de paix que nous évoquions à l'époque. Une époque où l'on agissait concrètement pour juguler l'invasion des forces obscures. Une époque où, avec toi, je m'adonnais à la lecture d'ouvrages plus intellectuels les uns des autres. J'ai une profonde nostalgie pour ces moments d'érudition que toi seul parvenait à m'offrir. Où en sont tes recherches sur le coeur des hommes ?
- Et bien, cher ami, il me manque des éléments pour avancer. Ce monde, son énergie semble dépendante d'autre chose. De zélés facteurs que je ne parviens pas à identifier et qui agissent directement sur les forces antagonistes de ce monde : le bien et le mal. Il semble qu'une force semble régir le coeur des mondes.
- Tu n'avanceras jamais dans ton raisonnement si tu n'explores pas au-delà du monde dans lequel nous vivons. Il y a plusieurs dimensions, plusieurs réalités. Notre monde n'est qu'une inconnue dans une grande équation de degré infini. Connais-tu un moyen de voyager entre les dimensions ?
- Il y en a un oui. Une arme appelée "Keyblade" possédée par une poignée d'élus peut briser les serrures entre les mondes et permettre au vaisseau Gummi, un engin créé par mon ami le roi Mickey, d'emprunter les corridors qui lient les différents mondes. Mais cela exposerait plus facilement notre monde aux influences et l'infiltration des ténèbres serait alors exponentielle.
- En fait, il y a quatre moyens. Le tien, même si je ne connais pas ces "Keyblades". Le second est de posséder le pouvoir sacré des Dieux : la Triforce. Celle-ci permet de transcender. Le troisième est de posséder tous les médaillons élémentaires qui régissent les lois de la nature pour ouvrir des voies vers les autres mondes. Il s'agit des médaillons de la Forêt, du Feu, de l'Eau, de l'Ombre, de l'Esprit et de la Lumière. Enfin, le quatrième est le Sceau des Mandos. Sans doute en existe-t-il d'autre mais ceux là sont largement exploitables.
- Je ne comprends pas tes termes, cher ami.
- Enricko, montre-leur.
Le Mando se leva et invoqua le Sceau dimensionnel. Ce dernier avala l'intégralité du balcon pour emporter le groupe. Ce fut la consternation pour Ansem et ses disciples. La plateforme qu'Enricko avait retranchée de son monde d'origine se retrouva dans un inter-cosmos psychédélique. Une lumière approcha à toute vitesse pour les happer dans une blancheur absolue. La lumière s'estompa pour révéler un nouveau décor.
Ils avaient été conduits dans un nouvel univers.
Devant eux s'étendait un plancher de verre à n'en plus finir. De fines particules pleuvaient sans cesse pour déposer une couche de poudreuse uniforme, laquelle cristallisait en quelques secondes. Ainsi, le nivelage de cette verrière était constamment assuré. Dans le ciel, des volutes colorées achevaient leurs terminaisons par des boules de verre. Sans doute était-ce qui constituait la flore de ce monde.
- Quelle est cette sorcellerie ? Interrogea Braig.
- C'est le Sceau des Mandos, répondit Ganondorf. Les Mandos sont un peuple béni par les Déesses. Hélas, il ne compte aujourd'hui que quatre survivants : mes disciples. Ce lien privilégié qu'ils ont avec les Déesses leur permet de transcender les barrières des mondes de la sorte. Ainsi, Enricko, celui qui maîtrise le mieux cet héritage, est capable de voyager entre les dimensions.
Ganondorf fit signe à son sbire de les faire revenir là où ils étaient. Ce dernier obéit. A nouveau, le Sceau Mando phagocyta la plateforme pour qu'elle revienne combler l'énorme trou qu'elle avait laissé.
Ils étaient de retour au Jardin Radieux.
Ansem était stupéfait. Les disciples de Ganondorf s'avéraient être d'excellents magiciens. Xéhanort, pour la première fois, laissa transparaître, dans son regard, un éclair de curiosité.
- Cher ami, commença Ansem, un tel spectacle n'était pas nécessaire. Je t'aurais cru sur parole...
- C'était un bagage certain pour poursuivre. Voici que j'arrive dans le vif du sujet, celui qui a motivé ma visite. Lambardy, donne-moi ce que je t'ai confié.
Le Mando portait une besace appesantie par le poids de son contenu, qu'il saisit. Il en sortit un livre énorme. Deux étranges flammes bleues lévitaient autour de l'objet, renseignant qu'il était sous scellés magiques. Lambardy se dirigea vers Ganondorf mais il l'éconduisit, le redirigeant vers le Souverain du Jardin Radieux. Le jeune homme confia alors le livre à Ansem. Lorsque ce dernier le toucha, une flamme disparut.
- Qu'est ce que ceci ? questionna Ansem.
- C'est le "Guide des mondes". Ce sont mes études les plus poussées que j'ai mené sur les dimensions, les mondes. J'ai beaucoup voyagé grâce à mes Mandos et j'ai pu comprendre beaucoup de choses. Elles seront la base des études que tu mèneras sans moi.
- "Sans toi ?". Qu'est-ce que cela signifie ? Que vas-tu faire ?
- Je suis ton ami aujourd'hui. Demain, je serai celui qui fera trembler le monde. Dès mon retour à Hyrule, je ferai tomber le régent pour prendre sa place et gouverner le pays. Une fois la Triforce en ma possession, je m'attaquerai au monde entier. Enfin, j'irai conquérir les dimensions parallèles.
Ansem se leva, excédé. Quelle comédie lui jouait son ami ?
- C'est une fable, n'est-ce pas ? demanda le Souverain du Jardin Radieux qui secouait le buste du Roi Sombre dans le but de le faire réagir. Réponds-moi, allons !
Ganondorf le regardait tristement, le regard désolé. Il fit un signe à Lambardy qui invoqua Ascalon. L'éclat noir de l'épée atteignit l'oeil d'Ansem qui bondit en arrière. Son corps avait jugé qu'il était en danger de mort devant cette arme redoutable. Xéhanort était vivement intrigué par l'épée légendaire et se leva pour mieux l'examiner.
- Je suis déjà mauvais, repris Ganondorf. Cette arme m'a pervertie par sa simple proximité. Je suis déjà trop puissant pour que le Royaume d'Hyrule puisse m'empêcher de le posséder. Je n'ai pas d'adversaire en mesure de m'arrêter là-bas. Du moins, pas encore. C'est pour cela que je suis venu aujourd'hui. Pour faire de toi mon ennemi. Mes disciples, même s'ils ne sont pas mauvais dans le fond, n'emploieront leurs forces qu'à assouvir un désir égoïste de vengeance.
Lambardy baissa la tête. Il culpabilisait de ne pouvoir s'affranchir de cette rancune destructrice. Enricko, le regard inquisiteur, toisait l'épée maléfique que Lambardy tenait tout comme Xéhanort.
- Ce livre contient tout mon savoir. Etudie-le, comprends les mondes, les ténèbres et combats-moi dans le futur pour exorciser le démon que je deviendrai bientôt. Le livre demeurera fermé sauf dans deux cas particuliers. Le premier est que ce soit toi qui le touche. Le second est que ce soit une personne parlant l'ancien Gerudo. Une double précaution dans le cas où tes recherches te plongeraient dans les ténèbres. La deuxième condition m'exclut vu que dans une volonté d'assimilation au Royaume d'Hyrule, j'ai voulu abattre l'héritage de mes prédécesseurs en exorcisant la langue même au profit de l'Hylien. Seule ma suppléante s'employa dans la fastidieuse besogne d'apprendre le Gerudo en étudiant les glyphes du Temple de l'Esprit.
Ganondorf jeta un regard réprobateur à Lambardy et Enricko.
- Etant donné que mes disciples ne s'opposeront pas à moi, je les ai exclus de la possession du livre. Bien que je les aime, ils ne feront qu'engendrer plus de destruction si mes études tombent entre leurs mains. Je m'en remets à toi car je sais que tu feras quelque chose de concret pour ce monde.
Ansem ne savait plus où dissimuler son désarroi. Lui qui pensait rire et débattre sur la complexité du monde avec son ami apprend que celui-ci sera bientôt un mage conquérant, utilisant sa magie noire pour détruire et posséder. Il se rassit, fixa un point dans le décor en expirant bruyamment.
- Bien, appuya Ansem. Je te suis reconnaissant. Tu as livré la part de lumière qui te restait. Je l'utiliserai pour détruire tes ténèbres et on pourra rediscuter comme avant.
- Marché conclu.
Une poigne fraternelle acheva cette analepse.
- Mais ce sera la dernière fois qu'ils se verront. Ganondorf Dragmire sera vaincu neuf ans plus tard par le Héros du Temps qui sauvera Hyrule de l'oppression.
- Je n'ai jamais entendu parler d'un tel objet, avoua Leon. Et vous ?
Cid haussa les épaules. Yuffie rétorqua d'un "non" bien salé. Aerith hocha horizontalement sa tête.
Leon tenta de meubler le silence qui s'installa ensuite. Voyant que le Mando s'apprêtait à claquer des doigts, ce dernier tenta de gagner du temps.
- ... mais il doit sans doute demeurer dans la bibliothèque d'Ansem le Sage. Je peux t'aider à le chercher. Je ne tenterai rien d'insensé.
- Sage résolution. Mais je veux tous vous avoir de visu. Pour cette raison, vous allez m'accompagner sans faire de vague. Toutefois, si vous le permettez...
Le pouce et le majeur d'Enricko se râpèrent violement. Une explosion retentit non loin. À cent mètres, une Larve Dodongo venait de néantiser deux maisons. Des personnes accoururent pour voir ce qu'il se passait. Face à l'expression d'horreur et d'incompréhension qu'affichaient ses interlocuteurs, Enricko expliqua son geste :
- J'aimerais que notre déplacement se fasse dans la plus grande discrétion. Ma petite entrée en matière tout à l'heure lorsque j'ai détruit le mur de cette maison a pu alerter certaines personnes. Cette diversion nous assurera un départ à l'abri des regards.
Leon bouillonna. Il s'imaginait en train de déchaîner ses pouvoirs sur le Mando. Il commanda intérieurement à sa main de ne pas saisir son épée.
Leon et le reste de la troupe s'exécutèrent et s'engagèrent sur le sentier en premier afin de conduire le polymorphe qui se laissait guider. L'explosion qu'il avait engendrée acheva de drainer les curieux vers le sinistre, rendant les faubourgs déserts et facilitant leur petite excursion. Ainsi, les habitants ne relevèrent que tardivement l'écroulement de la façade de la maison de Merlin : les locaux s'en étaient allés depuis une bonne dizaine de minutes.
L'Elu de la Géhenne ignorait cependant une chose : lui aussi venait d'être joué. Tandis qu'il relatait sa précédente venue avec une passion aveuglante, un accord tacite entre Leon et Cid avait incité ce dernier à changer la fonction des claymores sur son ordinateur à l'insu d'Enricko. Au lieu de repousser les Sans Coeurs, Cid les avait reprogrammé afin qu'elles transmettent un message.
Ce dernier était clair : "Des larves explosives ont été disséminées partout dans la ville et exploseront si on ne les déloge pas. Trouvez-les et jetez-les hors des remparts avec précaution. Cela dans les plus brefs délais."
Tous les habitants de la ville, en haut comme en bas, reçurent l'information et se mirent à chercher ces immondes bestioles. Celles-ci savaient se montrer agressives. La stratégie adoptée par tous était de les appâter afin qu'elles se découvrent et s'exposent à la vue de tous. Ombrageux étaient ceux qui osaient les attraper à mains nues dans cette grande opération de déminage.
Une malheureuse Larve Dodongo tressautait sur place, tentant de fuir l'ombre menaçante qui attentait à ses jours. Trop tard : un énorme swing envoya la créature en orbite, explosant bien loin des habitations. Cloud déposa la garde de son énorme épée sur son épaule droite et fixa les alentours. Son regard perçait les murs. Il était parvenu à détecter une dizaine de larves bien cachées.
- Créatures immatures que vous êtes ! s'écria-t-il. C'est un jeu de nourrisson que de repérer vos esprits en demande. Sachez refreiner vos pulsions pour survivre. Mais c'est trop demander pour des êtres sommaires comme vous !
Il bondit en hauteur pour survoler une larve qui siégeait sur une toiture. En l'air, il vrilla, ordonnant à son épée broyeuse de faire un tour complet avant de cueillir la masse rampante sur son plat et de l'envoyer en promenade aérienne.
- Que disais-je ? Vous n'êtes que des larves !
- Ah la la, soupira une voix à quelques mètres, si je m'attendais à te là trouver, Cloud...
Le jeune homme, qui venait de redescendre, observa le nouvel arrivant. C'était un vieil homme aux allures de druide. Sa longue robe bleue répondait à son couvre-chef : un chapeau de sorcier classique. Sa barbe faisait la belle en s'incurvant légèrement après sa longue chute. Son visage fort sympathique mettait en avant son binocle qui s'alignait avec son nez.
- Pourquoi cela te surprend-il Merlin ?
- Parce que figure-toi que je reviens de chez moi après y avoir fait un petit tour, répondit l'enchanteur, et je n'y ai vu personne. Ça ne ressemble pas à Leon de laisser les faubourgs sans surveillance. Et avec ma maison en mauvais état de surcroît.
- À tout comportement inhabituel, un stimulus inhabituel. Il leur est sans doute arrivé quelque chose. En attendant, je ne parviendrais pas à faire tout le ménage à moi tout seul. Si tu pouvais utiliser tes pouvoirs afin d'aider les habitants...
- C'est comme si c'était fait.
Merlin dégaina sa baguette pour enflammer le ciel d'une protubérance bleue qui se dispersa en une trentaine de lueurs. Celles-ci se mirent à pleuvoir sur la ville. Les gens comprirent que le magicien leur dévoilait l'emplacement des Larves Dodongos restantes. C'était à eux de jouer désormais. Cloud se mit également en chasse.
Le groupe arriva enfin au château pour s'aventurer dans un dédale de couloirs. Le chef de la Résistance et ses amis tentaient de gagner du temps en empruntant les mauvaises voies. Enricko qui commençait à déceler une forme de comédie mit ses doigts en évidence, ce qui eut pour effet de mettre un terme à la plaisanterie.
Trente minutes s'étaient écoulées depuis qu'ils avaient quitté la maison de Merlin et ils arrivaient enfin dans les quartiers personnels de l'ancien souverain. Plus précisément dans le bureau d'Ansem le Sage.
- À vrai dire, commença Aerith, il y a également une grande bibliothèque. Mais, d'après votre histoire, si Ansem a reçu l'ouvrage de la part de quelqu'un qu'il considère comme un ami et qu'il lui attribue une certaine valeur, il y a de fortes chances qu'il l'ait rangé ici.
- Je pensais la même chose, confia Enricko.
Celui-ci désigna Yuffie pour aller fouiller tandis qu'il ordonna aux autres de rester près de lui. Au bout de deux minutes elle trouva un énorme pavé constellé de deux flammes bleues. Elle le montra au polymorphe qui reconnut l'objet. Il ordonna à Yuffie de lui confier la trouvaille. Il se saisit du livre mais ne put l'ouvrir : les sceaux ne lui octroyaient pas ce droit.
- ...Comme je le pensais...
- Nous avons rempli notre part, rappela Leon. Retire toutes tes bombes sans faire d'histoire et quitte cet endroit.
Enricko sourit. Il avait obtenu l'artéfact qui lui avait valu un voyage à l'autre bout du monde en vol d'oiseau. Celui qui allait bientôt lui permettre de trouver l'exil de Lambardy. Le Mando recula. Sortant progressivement de la salle, le linteau de porte projeta son ombre qui mangeait peu à peu son visage. Toutefois, dans l'obscurité, Cid put déceler le rictus qui séparait sauvagement le visage d'Enricko. L'homme redouta le pire et se rua vers le polymorphe.
- Eclos! Tonna Enricko. Eclos, Grand Berserker!
La structure s'effondra sur l'homme. Un rideau de pierres et de débris venait littéralement de fondre sur Cid qui dû ployer. Un titan venait d'apparaître. Bardée de fer, son armure rappelait celle des gladiateurs. Muni d'un boulet, il se mit à faire tournoyer l'instrument de mort dans le but de réduire le quatuor à l'état de bouillie.
Enricko n'avait jamais eu l'intention de retirer gentiment ses Larves Dodongos. En invoquant sa créature, il venait de sauver un laps de temps précieux pour exploser toute la ville. Il claqua une première fois des doigts.
Il ne sentit et n'entendit rien. Aucune détonation. Pourtant, l'organisation graduelle de la ville apportait une bonne acoustique. Bien que demeurant dans les murs du château, cela relèverait du miracle de ne pas entendre une explosion si elle retentissait plus bas. Il réitéra son action maintes fois mais ne sentit toujours rien.
Il y eut une explosion, mais celle-ci retentit non loin de lui. Son monstre venait de s'effondrer. Sa masse n'était qu'un vulgaire bout de métal fondu. Il venait d'être terrassé par une puissante attaque. La fumée dévoila une silhouette confiante qui marchait allègrement sur le cadavre afin de rejoindre le polymorphe.
- Alors ? interrogea Leon. Ton numéro de pyrotechnie ne marche plus ?
- Je suppose que vous y êtes pour quelque chose, intuita Enricko. Comment vous êtes-vous débarrassés de mes Larves Dodongos sans que je m'en aperçoive ?
- Les claymores, répondit le chef de guerre. Les claymores. Tu as dû remarquer des systèmes de défense qui explosent au contact des Sans Coeurs. Nous avons convertis les données de sorte à ce qu'elles transmettent une information aux habitants : que des larves explosives avaient été cachées dans les habitations. C'est pour cela que nous nous sommes mis en tête de te ralentir au maximum dans ta quête. C'était une question de temps avant l'opération de déminage soit un succès. Nous étions conscients de ta mauvaise foi.
Yuffie, Cid et Aerith se dévoilèrent également. Le magicien fut assez étonné. Il scruta le corps sans vie de son démon puis plongea à nouveau son regard sur Leon.
- Je vois, je vois...Tu m'intrigues, l'ami. Mon nom est Enricko Machiavel. Avant de t'ôter la vie, j'aimerai connaître ton nom.
- On m'appelle Leon parce que je l'ai décidé. Mais mon véritable nom...
Le jeune homme dégaina sa Gunblade : une lame montée sur une crosse et un barillet.
- ... est Squall Leonheart. Et je suis ta dernière rencontre.
Le corps du combattant venait de siffler en direction du Mando qui fut surpris de prime abord. Il tenta d'esquiver le coup ascendant mais rien à faire : sa masse fut catapultée au travers du toit du château. Emportant, dans sa course, son lot de débris, la silhouette s'enfuyait sur une traînée écarlate constellée par de minis explosions qui jonglèrent avec son corps. Soudain, il mit fin à sa course et constata que la partie supérieure de sa tunique partait en lambeaux. Lévitant sur un coussin de flamme, il vit son adversaire sortir du château par la brèche qu'il venait de créer.
- Bien, commenta Enricko, je n'ai pas intérêt à le sous-estimer...
L'Elu de la Géhenne activa son Mandoraga. Il leva son poing droit en l'air au bout duquel une sphère incandescente se mit à grandir de manière exponentielle. Son feu étendit son diamètre de quatre-vingt mètres.
- Piñata des Enfers !
La gigantesque boule de feu se fissura pour déverser son butin : pas moins de trois cents Larves Dodongos plurent sans interruption sur Squall qui, loin de s'enfuir, décolla du toit pour faire front à la pluie de bombes. Sa Gunblade se mit à luire. Il put ainsi entamer sa danse mortelle.
- Salve tranchante ! cria Squall.
Ses coups, si précis et si rapides, découpaient une dizaine de larves par coups. La profusion de ses bras donnait l'impression qu'il en possédait huit. Une tornade de lames sévissait autour du guerrier en transe. L'explosion censée retentir lorsqu'une larve périssait était happée par l'arme du combattant qui accumulait toujours plus d'énergie.
Les corps scindés des Larves Dodongos s'échouèrent lamentablement au sol tandis que leur prédateur brandit son arme, chargé du souffle destructeur de trois cent de ces créatures. La Gunblade fendit l'air pour projeter son spectre : une lame d'énergie verticale haute de trente mètres qui alla fendre le ciel lui-même. L'énorme nuage qui trônait au centre de ses semblables venait de soupirer toute sa brume sur les côtés, laissant le centre bien dégarni.
Sur son chemin de destruction, la vague d'énergie avait tranché Enricko de tout son long. Mais ce dernier avait troqué sa chair contre un corps entièrement flamboyant. Un réflexe qui lui sauva la vie car son corps, dispersé en différents foyers de feu, put se recomposer en les agglomérant. Il piqua droit sur Squall, propulsé par une traînée de feu. Ce dernier, ne pouvant se mouvoir dans les airs, lâcha sa Gunblade pour prendre appui sur la crosse et sauter plus haut, esquivant ainsi l'attaque de son ennemi. Enricko, au moyen d'une cabriole, freina avant de s'écraser au sol et bifurqua sans transition. Il prit en chasse son adversaire qui, profitant du poids de sa descente, déposa toute sa masse sur la crosse de la Gunblade qui prolongea ainsi ses jambes. Son attaque " piquée " déchira l'espace dans le but d'empaler Enricko. Le Mando fit émerger une météorite qui éventra la terre pour se mêler à sa trajectoire. Enricko profita ainsi de cette fabuleuse poussée pour fuser vers son ennemi.
Le clash aérien fut d'une violence terrible. Le choc dégagea des anneaux concentriques de fumée. Il s'ensuivit un embrasement formidable qui emporta les deux combattants.
Plus bas, Cloud vit que les choses se gâtaient plus haut. Les nombreux flashs aux alentours du château l'alertèrent sur le combat qui y avait lieu. Il décida donc s'y rendre pour prêter main forte à ses amis.
Le Guide des Mondes virevoltait dans tous les sens. Récupéré dans la volée par Enricko, le magicien tendit la main vers la cour qui servait d'arène.
- PYROCRATIE ! S'écria-t-il. Change les règles qui gouvernent ce monde. Que le feu devienne roi et sujet !
Soudain, la chaleur excéda les deux cent degrés. L'arène calcinée était parcourue d'artères flamboyantes, le tout cerné par une couronne de flamme. Enricko avait créé un axe infernal car à la perpendiculaire, les nuages furent brûlés à cet endroit précis. Squall se retrouva piégé dans ce corridor où la chaleur et les flammes faisaient loi. Enricko tendit ensuite sa main vers le soleil. Leon s'extirpa à temps de ce piège infernal en sautant en dehors de la zone mortelle.
- Là, tu fais une cible parfaite ! Morsure solaire !
Enricko, d'un mouvement brusque, désigna son adversaire du doigt. Le soleil délivra une protubérance. Pénétrant dans l'atmosphère, l'ergot de feu suivit les directives du polymorphe et alla s'échouer sur Squall. Ce dernier fut pris dans la tempête de feu. Envoyé au loin, il freina sa course en plantant sa Gunblade dans les briques du château, l'égratignant sur une dizaine de mètres. À son tour, sa veste fut calcinée, puis réduite à l'état de poussière.
Les deux combattants firent une pause, jugeant qu'ils s'étaient sous-estimés et que le pronostic vital pourrait être engagé dans les prochaines minutes.
L'aura d'Enricko s'enflamma de plus belle. Il invoqua un King Dodongo ! Le dinosaure se recroquevilla avant même de toucher le sol pour entamer son manège. Le roulé-boulé emporta tout sur son passage.
- Yoyo du chaos ! s'époumona Enricko.
Un lien reliait la bête aux membres d'Enricko qui contrôlaient la trajectoire de son instrument de destruction. C'est ainsi que, voyant les manoeuvres d'esquive de son adversaire, Enricko tracta l'énorme masse pour lui permette de prendre en chasse Squall qui venait habilement de mettre la bête dans le vent. Ce dernier tournoya sur lui-même tout en criant :
- Atomiseur !
Un cercle de sphères explosives se mit à graviter autour du combattant. Lorsque King Dodongo entra dans le cercle, il fut atomisé par les protubérances provoquées par ces sphères. S'étant chargé de la bête, Squall s'élança dans les airs, l'épée en avant. Sa progression dans l'atmosphère auréola son corps d'une aura bleue. En un battement de cils, la comète qu'était devenu le corps de Leon déchira la chair d'Enricko sur son sillage. Mais ce n'était pas tout. Une explosion retentit sur le point d'impact : c'était la valeur ajoutée de la Gunblade qui, au moment de toucher l'ennemi, pouvait décharger ses munitions explosives. La douleur tirailla le torse encore fumant d'Enricko.
Le Sceau des Mandos avala le bras droit du polymorphe. Un autre sceau réapparut au-dessus de Squall pour déverser le membre d'Enricko qui libéra une bonne déflagration. Le jeune homme, assujetti à la puissance du souffle, s'enfonça dans le sol avec fracas.
Aerith, Yuffie et Cid étaient sidérés. Ils ne s'imaginaient une telle égalité. Spectateurs impuissants, ils observaient deux forces cosmiques se déchirant dans une tempête effroyable.
- Hé, interpella Yuffie, on devrait s'en mêler, non ?
- Il est vrai que je ne m'attendais pas à ce que cet "Enricko" tienne tête à Leon, admit Cid. Mais il ne faut pas s'en faire. Leon ne se bat pas encore à fond.
- Son adversaire a tout utilisé, tu penses ? demanda Yuffie.
- Je l'espère...
Et là, comme pour répondre aux interrogations de Yuffie, le polymorphe déploya son aura maléfique. Un vortex de flamme noir le déroba à la vue de tous. Squall le savait : cela n'augurait rien de bon.
- Le vrai combat commence maintenant, annonça le jeune homme. Montre-moi ce que tu sais réellement faire !
Ancré dans l'oeil de la tempête, l'Elu de la Géhenne se mit à changer drastiquement d'apparence. Ses traits de Mando disparaissaient pour devenirs démoniaques. Ses yeux et cheveux devinrent feu et fumée. Sa peau devint cendre. Enfin, des griffes acérées remplacèrent ses ongles.
Le cyclone cessa. L'individu glissa lentement sur le vent pour déposer délicatement sa nouvelle apparence.
- Toi qui m'obliges à aller dans mes retranchements, commença Enricko, implore désormais mon pardon afin que je t'épargne, moi, INFERNO ENRICKO.
- C'est tout ? Je pensais qu'il en ressortirait autre chose qu'une cigarette mutante.
Inferno Enricko sourit. L'être transfiguré joignit ses deux mains qui étouffèrent un orbe. Celui-ci se mit à grandir pour sublimer l'écart entre les deux membres du démon. L'orbe s'épanouit jusqu'à faire la taille de son invocateur qui s'élança dans les airs. L'orbe était noir, cerné par une couronne de flamme.
- SOLEIL NOIR !
Le démon envoya son orbe qui fondait sur Squall. Ce dernier, instinctivement, se mut pour esquiver l'attaque. Ce fut là sa fatale erreur.
En effet, seul le point de chute fut épargné par l'embrasement qui s'étala à n'en plus finir ! Le château et le relief sur lequel il trônait s'enflammèrent instantanément pour entamer une lente fonte !
Tous les habitants furent témoins de ce spectacle ahurissant. Le mont qui s'élevait fièrement dans la ville comme un trône ployait sous le joug du feu des enfers. Cloud accourut de plus belle pour assister ses amis.
Les flammes glissèrent soudainement vers l'épicentre de l'attaque, comme si le temps venait prendre le contre pied. L'implosion qui acheva de compresser l'énorme brasier aggloméra l'incandescence en un point : la Gunblade de Squall. Telle une fumée qui s'éleva en son feu, la silhouette obscure du défiant annihila l'océan ardent qui le submergeait, révélant ses guenilles lésées par le polymorphe. Léon était parvenu à préserver ses amis d'un sort funeste. Enricko, incisif dans sa tenue de braise, intuita la riposte qui s'ensuivit. Feignant une hâte dans les airs, sa masse bifurqua pour esquiver l'axe flamboyant qui scinda l'air lui-même.
La lame de Squall venait de croître jusqu'à une dizaine de mètres pour revêtir son manteau de flamme. Son allonge lui permettait de titiller son adversaire qui se mouvait dans les hauteurs. Le jeu du chat et de la souris eut raison de sa patience. Il fit disparaître son arme pour convoquer la plus puissante de toutes :
- Apparais Lion Heart !
Dans le rugissement de son propriétaire apparut l'arme légendaire, déversant son éclat dans une longue fente d'un bleu éclatant. La Lion Heart, la gunblade des gunblades, siffla comme un glas sonne. Le magicien ressentit l'immense puissance que renfermait cette arme. Aussi devait-il choisir entre l'affronter ou se repentir. Mais n'était pas Elu de la Géhenne qui voulait. Celui-ci était mû par une volonté d'éradiquer, par-delà les frontières du visible. Que Din le tenaille entre ses bras embrasés ou qu'un Goron sieste sur son corps ne plierait pas ce désir le moins du monde.
- Voilà que tu dévoiles tes pleins pouvoirs alors même que ma Géhenne exulte. Ton souvenir restera gravé en ma mémoire même lorsque ce monde sombrera dans l'oubli.
- Je voulais t'épargner mais il est trop tard désormais. DEFLAGRATION !
Il dirigea sa lame vers le ciel qui répondit à son appel : un axe prolongea la Lion Heart pour chatouiller les nuées et disperser leur masse vaporeuse. Enricko l'avait deviné : son adversaire brandissait pour un coup assassin, capable de déchirer les entrailles de la terre. Il opta pour un clash simultané avec une attaque qu'il jugea assez puissante pour remporter l'échange.
- Ma plus puissante attaque ! PROTUBERANCES SOL... !
Alerte, le polymorphe nota la présence dissimulée de Cloud qui tentait un coup de Trafalgar. Sa gigantesque broyeuse éventra l'image rémanente d'Enricko qui venait de surfer librement sur volute de vent. Mais découragé par l'apparition d'un nouvel adversaire, il se résigna. Se débarrasser du premier se présentait déjà comme un défi énorme. Remporter la victoire sur les deux bretteurs semblait impossible, même dans la condition actuelle du magicien. Il congratula ses adversaires tout en consumant sa chair dans les flammes :
- Je vous félicite pour votre ténacité mais elle ne sera que misère lorsqu'Ascalon me déifiera. Avec le Guide des Mondes, je suis assuré de trouver l'artéfact que je recherche. Considérez que le compte à rebours vers la destruction a commencé.
- RESTE-LA ! LACHE !
Squall abattit son trait qui alla rependre sa haine au sol. La superbe balafre qui creusa sauvagement la terre fiança lézardes et fissures qui morcelèrent le terrain. Le combattant avait malheureusement manqué sa cible qui s'était volatilisée. Léon, courroucé au plus haut point, tourna les talons vers l'immense bâtisse qui servait de château. Cloud l'apostropha pour obtenir plus de détails.
- C'est un illuminé, informa Léon. Il est venu quérir le Guide des Mondes. D'après lui, cet ouvrage lui permettrait de dénicher une dimension où est enfermée une épée démonique, laquelle lui donnera les pouvoirs d'un Dieu.
- Il a donc pris toute cette ville en otage pour avoir obtenir ce livre, devina Cloud.
- Il faut prendre la menace au sérieux. Je ne pense pas qu'il soit impossible d'obtenir de tels pouvoirs.
- Ne te soucie pas de ça. Il n'a qu'à obtenir ses pouvoirs, cela réduira le nombre d'ennemis à abattre.
- Nous en avons déjà bien assez comme ça, soupira le Chef du Comité de Restauration.
Déjà bien loin, Enricko fondait en chute libre. Redevenu humain, sa trajectoire s'attrista pour recouper celle de son oiseau. Le Simurgh connaissait le chemin du retour. Il n'eut qu'à fendre l'atmosphère à toute vitesse pour se rendre le plus vite possible à Hyrule.
- Nabooru... c'est toi qui vas provoquer la fin du monde, certifia le Mando.
Le temps semblait affoler le cliquetis des aiguilles, accompagnant la fonte inéluctable du soleil qui répandait un horizon doré. Ce ruissellement de feu rutilant était cependant invisible pour les citoyens de Bourg Clocher, étouffés par un brouillard très épais. Il était sept heures du soir, soit deux heures avant le couvre-feu imposé par le maire. Bien que l'activité commerçante s'amourachait des passants et touristes épicuriens, la présence des gardes, dissuasive, éconduisait peu à peu les gens des pôles attractifs du Bourg Clocher. Il était impératif de vider les rues au fur et à mesure. Link se renseignait auprès des passants, ombres ambulantes dans une brume épaisse, pour savoir où se trouvait le fameux marchand de masques. Ce dernier exerçait sa profession dans la zone ouest du Bourg Clocher.
Un détail inquiétait cependant Link : quelqu'un le suivait. L'ombre furtive, qui asseyait sa discrétion sur sa rapidité et le brouillard aveuglant, n'était pas parvenue à tromper les sens habitués de l'étranger. Celui-ci feignit d'emprunter une voie sur sa droite puis, happé par l'angle du bâtiment et sûr de s'être momentanément soustrait à la vue de son filateur, il sortit son grappin pour l'actionner et traquer son corps sur le toit d'une structure. De là, il put jubiler à la vue du suiveur complètement déboussolé après avoir perdu au jeu de la filature. En y regardant bien, le fileur semblait avoir des traits juvéniles. Il était très petit et sa longue chevelure renseigna Link sur son appartenance sexuelle. La distance et la brume qui les séparaient l'empêchèrent de confirmer son hypothèse. Aussi, il décida d'aller clarifier les choses. Son saut porta sa silhouette haut dans les airs avant que la pesanteur ne la précipite au sol, surprenant l'individu qui traquait le Héros du Temps. La personne, dans un hoquet de surprise, tomba en arrière.
- Ça va ? demanda Link. Tu n'es pas blessé ?
La jeune fille se releva sans répondre. Du long de son mètre et demi, la môme irradiait d'une énergie pour le moins hétéroclite. Ses longs cheveux dorés et ses yeux roses donnaient une impression de merveilleux, de féérique. Dans le même temps, elle paraissait intouchable affublé de sa robe blanche immaculée. Ses pieds et leurs suites étaient nus, le vêtement sauvant sa pudeur au niveau des cuisses.
Link, d'abord émerveillé devant l'innocence apparente de la gamine, voulut connaître les raisons obscures de son comportement.
- Ecoutes-moi, commença Link. J'ai bien remarqué que tu me suis depuis un petit moment. Ca ne se fait pas de faire ça tu sais ?
- Pourtant, répondit la jeune fille, mon intuition me dit que tu t'es déjà infiltré dans certains endroits sans y avoir été invité...
- Quoi... geuh... comment ? Mais comment tu pourrais le savoir ? D'accord, c'était pour rencontrer une princesse mais je n'étais qu'un gamin !
- Il n'y a que ça ? Tu es sûr ?
- Tu es extralucide dis-moi. Il y avait cette fois où je devais libérer des pervers d'une prison gérée par des femmes. Et aussi...
- Plus important, coupa la fillette, tu peux me voir, comme je m'en doutais.
- Si je peux te voir...?
Un sinistre scénario s'établit dans la tête de Link. Il pensait tout à coup que si la fille le pensait capable de la voir, cela voulait dire qu'elle était invisible pour le commun des mortels... DONC QU'ELLE ETAIT UN FANTOME !
- Je ne suis pas ce que tu penses, se moqua la petite fille. Je suis bien vivante. Mais certaines personnes ne peuvent pas me voir.
- Et pourquoi ça ? Interrogea Link. Quelles personnes ?
- Les personnes en conflits. Que ce soit avec leurs proches ou avec eux même. Des personnes dont le coeur est déchiré.
- Cela a toujours été ainsi ?
La jeune fille implora au jeune homme de poursuivre la conversation à l'abri des regards et surtout des gardes qui, de leur point de vue, voyaient un pauvre adulte discutant avec le vent. Ils s'isolèrent et la jeune fille repris la conversation.
- J'allais sur mon cinquième anniversaire lorsque mon père et ma mère rencontrèrent des difficultés financières. L'entreprise de papa avait fait faillite et maman ne travaillait pas. La misère avait divisé pour mieux régner. La peur étranglait mes parents. Le courant ne passait plus au fil des mois. Papa et maman se disputaient, se battaient. Ils employaient tellement d'énergie à se quereller que je n'existais plus pour eux. Petit à petit, j'étais devenue impuissante face à leurs crises et ma présence s'effaçait. Lorsqu'ils se rendirent compte que la colère les avaient rendus aveugles et qu'ils ne pouvaient plus me voir, moi, leur fille, ils furent anéantis. Dans un dernier acte d'amour, ils se donnèrent la mort ensemble sans savoir qu'ils l'avaient fait devant mes yeux...
Elle éclata en sanglots, se remémorant la scène. Link posa sa main sur son épaule dans l'espoir de lui témoigner sa compassion. Reprenant sa respiration, elle fut en mesure de continuer :
- Et... et depuis... j'ai toujours reconnu ces personnes souffrantes de séparations, des joutes familiales, de contradictions... parce que... parce qu'elles sont incapables de me voir. Je suis devenu la désincarnation de ce qu'ils rejettent : un appendice, un être inutile qui assiste à leurs déboires sans pour autant être la solution, sans pour autant être en mesure de leur apporter mon aide. La nature m'a fait discrète comme pour me punir d'avoir été incapable de sauver mon foyer, elle m'a réduit au silence.
Elle plongea le fuchsia de ses yeux en nage dans le regard compatissant de Link.
- Mais toi... tu m'as intrigué parce que dés que je t'ai vu, j'ai aperçu un soleil. Je t'ai suivi sans problèmes dans le brouillard. Ô grand frère, s'il te plait ! Soulage ma vacuité ! Donne-moi de ta radiance ! Permet-moi de devenir comme toi : une personne capable sur qui l'on peut compter.
- ... Comment t'appelles-tu, petite soeur ?
- ... Hélia...
Link avait affaire à une adulte avant l'heure. Sa maturité avait été forgée dans le métal chaud des coeurs trop passionnés et orgueilleux qui n'avaient su donner du crédit à son âme pure. La prière qu'elle avait adressée à Link n'était la seconde d'aucune autre. L'Epée de Légende pouvait attendre un peu. Il se redressa. Il sortit son Ocarina du Temps pour y jouer un air qui avait aidé plus d'une personne en détresse : le Chant de l'Apaisement. Des notes confièrent leurs doléances à la jeune fille transportée dans un élan inconnu. L'espace vide qu'elle sentait autour d'elle se combla d'un objet qui se posa délicatement dans ses mains.
C'était un instrument : une flûte.
- Mais... grand frère... à quoi cela va-il me servir ?
- Peut-être que cette flûte te demande de t'exprimer par son biais.
- Je n'ai jamais...
- Essaye. Où est passée ta bonne intuition de tout à l'heure ?
Hélia souri. Ses lèvres pincèrent le bec de l'instrument. Alors que les notes du Chant de l'Apaisement mourraient dans leur acoustique, celles jouées par Hélia prirent le relais pour dissiper même le gaz qui étreignait sa frêle existence. La musique éventrait le smog pour toucher les passants et chasser leurs sentiments néfastes. Les rancoeurs s'enfuyaient le temps de cet air improvisé.
Anju et Kafei qui avaient laissés leur fenêtre ouverte furent touchés par ce son mystique. En pleine dispute, leurs visages se décompressèrent. Ils s'embrassèrent follement, sans transition, pour se dévêtir et fondre dans leur matelas. Ils cadencèrent leur osmose sur la mélodie pour remplir leur devoir conjugal.
Nombreux furent ceux qui succombèrent à l'ivresse passagère de cette douceur venue d'un autre monde. Hélia joua six bonnes minutes avant de sentir ses lèvres capituler. A son arrêt, elle constata que la brume avait disparue. De nombreux passants ne dégageaient plus cette aura de colère qui les seyait habituellement. Mieux, ils témoignaient de leurs sentiments les plus beaux.
- Grand frère ! Mais qu'est-ce que tu as fais ?
- C'est à toi de me le dire... mais j'aime bien ça !
- C'est cette flûte qui a rendu tout le monde heureux ?
- Non. C'est toi.
Hélia avait besoin de réaliser ce qui se déroulait devant elle. Lorsqu'elle comprit enfin, son visage s'illumina, tout comme son corps qui scintilla dans la pénombre du jour mourant. C'était un petit soleil.
Deux silhouettes tapies dans l'ombre observaient les protagonistes. Deux similis qui partageaient cette même réflexion :
"Il faut éliminer ces gêneurs."
Il était 7h20 du soir. La brume avait repris son droit sur la chansonnette. Les voies empruntées par le bonheur vague se refermaient, condamnées par le brouillard. L'air, dans sa mort, enterrait également les joies passagères des errants.
Tandis que les deux nouveaux amis marchaient en direction de la partie ouest de la ville, Link interrogea Hélia :
- Toi qui vis à Bourg Clocher, as-tu déjà vu ces monstres qui apparaissent la nuit ?
- J'en ai vu quelques-uns, répondit la jeune fille. Ils sont... assez étranges.
- Et pourquoi donc ?
- Leur gestuelle. Ils se déforment comme une fumée le ferait et n'émettent aucun bruit.
- Je suppose qu'ils ne t'ont pas vue.
- Eh bien... je pense que non effectivement. Sinon je me serais faite attaquer comme ce pauvre citoyen la veille.
- J'ai entendu parler de cette histoire. Tu as assisté à son agression ?
- Non. Mais j'en ai entendu parler comme toi.
Le fameux citoyen assez fou pour ne pas porter le Masque d'Exorciste et s'aventurer dehors après le couvre feu. Le seul qui avait fini par se faire agresser. Si ce dernier parvenait à surmonter son traumatisme, Link l'interrogerait bien sur la nature de ces bêtes et leur mode d'attaque.
Quoique... Etait-il nécessaire d'attendre d'écouter un témoignage alors qu'il pouvait vivre cette expérience dans les heures qui suivaient ? Link sentait venir son sens du devoir qui, de ses épaules, affluait vers ses poings fermés.
Hélia sentait la motivation nouvelle de son grand frère. Ne connaissant ni ses exploits passés, ni sa puissance, elle voulut le raisonner :
- Ne joue pas les héros comme cet homme. Je sens que tu veux en découdre avec ces monstres mais même les gardes de la ville ne sont pas assez pour chasser ces créatures.
- ... En tout cas, il est important de t'acheter un de ces masques. On ne sait jamais... Les monstres pourraient très bien te détecter à un moment donné.
- Tiens ! Le marchand est juste là.
En effet. Arrivés dans le secteur ouest de la ville, Link et Hélia repérèrent très vite le commerçant en question. Link s'attendait à voir le fameux marchand de masque hylien. Il n'en était rien. Il s'agissait d'un homme assez robuste, affublé d'un bandeau rose ainsi que d'un haut jaune. Un pantalon ocre et des bottes noires achevaient la succession.
Ce dernier était en train de nettoyer son stand. Link l'interpella :
- Aaah ! Mais ça ne peut pas être fermé déjà, si ?!
- Eh bien je suis malheureusement victime de mon succès. Tous mes articles se sont écoulés aujourd'hui.
Le marchand de masques, voyant la moue rabattue de Link, lui conseilla :
- Le mieux est d'en demander un aux soldats. Il me semble que le maire en a distribué une dizaine à sa milice. L'un d'eux vous cèdera volontiers son masque par devoir de protection... je pense. Pour vous qui êtes armé, ça va, mais c'est surtout pour la petite...
Link nota que l'homme pouvait voir Hélia. Etait-ce symptomatique d'une harmonie partielle ou parfaite de l'individu ?
- Ah... Merci bien. Je vais appliquer votre conseil.
- Si vous survivez cette nuit, il y aura un réapprovisionnement demain. Revenez donc pour des nuits plus sûres. Hé hé...
Les deux prirent congé du marchand et, suivant ses recommandations, allèrent demander au garde le plus proche. Il s'agissait d'un soldat surveillant la sortie de l'ouest qui menait à l'océan. En voyant Link s'approcher, il sourit. Le Héros du Temps entama la conversation :
- Je m'excuse d'avance pour ce que je vais vous demander mais... voilà : une source nous a affirmé que chaque soldat possédait au moins un masque d'exorciste. En prenant en compte vos qualités de bretteur, je me demandais si vous pouviez nous confier le vôtre afin que cette petite, ici présente, bénéficie d'une protection comme les autres citoyens. Le marchand de masques n'en possède malheureusement plus. Si vous acceptez, je me porterai garant de votre protection personnelle en vous défendant contre les attaques éventuelles.
Le soldat ricana. Il posa sa main sur l'épaule de Link et prit le relai :
- "Je me porterai garant de votre protection personnelle" tu dis ? Ne sois pas sot. C'est très noble de ta part de dire ça, jeune guerrier, mais je refuse ce marché. De un, ma fonction de soldat est de protéger la population, d'être la chair à canon. Je n'accepterai jamais que quelqu'un tente de me protéger au péril de sa vie. Surtout un jeune homme comme toi. Ensuite, je ne ferai pas l'erreur de confier à cette petite un masque vide de signification alors qu'elle t'a toi, jeune héros. Car lui donner un masque, c'est tamiser encore plus sa lumière alors que le preux chevalier tel que tu es peux, non seulement la protéger mais également permettre à son être de rayonner.
Link s'interrogea. Cet homme parlait beaucoup pour un inconnu. Il semblait avoir une haute estime de l'Hylien et connaissait vraisemblablement le triste sort d'Hélia. Cette dernière exprima à voix haute ce que Link pensait.
- Vous savez ce qui m'est arrivé ? Vous connaissez Link ?
- Ma chère petite. J'ai connu le même sort que toi. Ma lumière s'est éteinte et ma présence s'est effacée à tel point que personne ne pouvait me voir. Pourtant, un jour, un gamin s'est arrêté sur mon sort. Il m'a prêté de sa radiance et m'a tiré vers les astres. Ce gamin est devenu l'homme qui se tient à côté de toi. Je l'ai reconnu tout de suite... et j'ai su, dès l'instant où mes yeux se sont posés sur toi, que tu souffrais de la même malédiction dont j'ai été victime.
- Mais oui, se souvint Link, tu es... euh... Shiro ! Oui, Shiro c'est ça ?!
- C'est exact !
Tandis que Link exultait de joie à la vue du soldat qu'il avait aidé, Hélia écourta les retrouvailles avec sa curiosité enfantine.
- Donc... donc grand frère vous a également aidé dans le passé ! Qu'est-ce que tu as fait pour qu'il réapparaisse aux yeux de tous, Link ?
- Pas grand-chose tu sais, avoua le jeune homme. Je lui avais donné assez de force pour se redresser quand il se lamentait sur sa faible présence. Il ne doit son aura actuelle qu'à lui seul.
- Oooh pas seulement mon ami, retint Shiro. Je t'ai confié une partie de mon âme, jeune héros, et à chaque fois que tu utilisais le Masque de Pierre, tu l'utilisais pour des actions de grande envergure. Je le ressentais sans vraiment le vivre. Une partie de moi vivait au rythme de tes coups d'éclats et c'est précisément cela qui m'a redonné confiance en moi.
Hélia observa Link, les yeux globuleux. Impressionné par le récit de Shiro, elle comprit que le Héros avait quelque chose à accomplir en ces temps de trouble. Peut-être était-il celui qui allait la guérir de son mal ? Peut-être était-il le combattant qui allait chasser tous ces démons ?
Elle raconta alors son histoire, sa meurtrissure, sa solitude, sa quête d'amour, le goût fade que la vie a cultivé en elle. Shiro, attristé par la sévérité du destin, lui confia :
- Lorsque je me suis lancé dans la voie militaire, je ne pensais pas du tout à me battre pour les autres. Je voulais gravir les échelons, être reconnu, jouir des prérogatives propres aux hauts gradés de l'armée. Ce n'était que ma troisième semaine de service lorsqu'on me demanda d'enquêter sur Igos, l'ancien roi Ikana. Accompagné par trois hommes d'expérience, je fus l'unique survivant d'une attaque surprise des soldats Sakdoss. Coincé dans ce lieu hostile entre Termina et Ikana, avec les pierres comme compagnes, ma présence s'est tue. Ma faim s'est tue. Une énergie fossile qui ne communiquait plus. Rien ne prouvait plus que j'existais et cela durant plusieurs années. La suite, tu la connais et ce qui m'a guéri, je pense, c'était de partager le destin d'un enfant qui ne se battait que pour les autres, qui agissait sans attendre en retour et qui n'avait que faire des récompenses. Une belle leçon d'humilité et d'abnégation pour un homme aussi vaniteux que moi.
Shiro marqua une pause en regardant l'enfant saisie d'une grande émotion. Sa gorge nouée transmettait ses spasmes à sa mâchoire. L'homme reprit :
- Tout ça pour te dire que nous n'avons pas vécu les mêmes choses. Forcément, ta malédiction ne disparaitra pas de la même manière. Dans ton existence, tu auras besoin d'un amour paternel comme d'un amour maternel. Je ne dis pas qu'il te faut des parents de substitution mais qu'à un moment, tu puisses reconnaître dans le regard de ces adultes ce que tu n'as pas eu et ce qui t'aurait permis d'avoir une croissance normale.
- Boui beusieur ! Snif !
- Allez va ! Tu es entre de bonnes mains.
- Merci Shiro, remercia Link. Fais bien attention cette nuit.
- Vous de même.
Il était 8h03 lorsque Link et Hélia rentrèrent à l'auberge. Le jeune homme, apprenant que le seul foyer de la petite était l'ancien repaire de Kafei : le lavoir, eut le coeur fendu. Même l'Epée de Légende ne pouvait aussi bien trancher quelque chose. Il comptait bien supplier Anju et Kafei de loger Hélia dans une de leurs nombreuses chambres. La sienne, pourquoi pas. Tiens, ça lui rappelait bien une certaine Malon auprès de qui il quémanda une chambre pour l'ex-princesse d'Hyrule.
Rétropédalage ! Link se demandait vraiment quelle espèce d'oiseau pouvait avoir un nid aussi immense. Son diamètre, d'après Hélia, devait atteindre les trois mètres !
Retour au récit. Crémia et Romanie n'étaient plus présentes. Seuls Anju et Kafei demeuraient encore dans la cuisine en train de discuter. Link venait d'apparaître dans leur champ de vision.
- C'est bon ? Tu as pu l'acheter ? demanda Kafei.
- Eh bien en fait non... mais c'est une longue...
- Quoi ?! Non mais... Link ! Sois sérieux ! Et ma bourse ?! Tu ne l'as pas dilapidée dans autre chose au moins ?
- Non ! Quelle idée... Au fait, je vous présente...
Link reçut un coup de coude bien placé entre deux côtes, ce qui eut pour effet de le faire chanceler légèrement sous le regard interrogatif du couple. Tandis qu'il s'apprêtait à sanctionner verbalement la jeune Hélia, il comprit aussitôt les raisons de son geste.
Personne dans la cuisine ne semblait avoir attardé son regard sur l'enfant. Elle était invisible pour le couple. Quoi de plus étrange pour le Héros du Temps que de la présenter ? Il tenta de poursuivre tant bien que mal :
- ... je vous présente... m-mes excuses. Oui ! Mes excuses pour avoir... ne pas avoir acheté... de Masque d'Exorciste !
- C'est surtout pour toi, rétorqua Anju qui était soucieuse pour le Héros du Temps. Je ne pense pas que les monstres s'immiscent dans les habitations mais si c'est le cas, ils pourraient bien t'agresser en pleine nuit.
- Je ne pense pas que cela va arriver, assura Kafei. Ordre du paternel : nous devons laisser les lumières allumées. La mairie se chargera de payer la facture d'électricité. Dès 9 heures, un garde se placera devant l'entrée de l'auberge.
- Je te rends ta bourse, annonça Link avant d'envoyer la bourse en direction de Kafei.
- Et moi, répondit ce dernier, je te donne tes clefs de chambre. A l'étage, au milieu. Tu devras la partager avec une autre personne.
- Pas de problème.
- Et Link... ne... joue... pas... les... héros... cette... nuit. Tu m'as bien compris ?
- Entendu. Je serai comme un Goron qui dort.
Link disposa. Il regagna sa chambre avec Hélia. Deux lits placés en vis-à-vis. Celui de droite était vide tandis que celui de gauche était occupé par un homme. Un homme très jeune, plus encore que Link. Siestant sur le dos, son expression n'était pas celle d'un être reposé. D'horribles songes devaient le tirailler dans son sommeil.
C'était le constat d'Hélia. Link, lui, s'était affalé sur le plancher même.
- Mais que fais-tu ? interrogea Hélia.
- Je dormirai par terre. Je te laisse le lit.
- Mais non ! Ne raconte pas de bêtises !
- C'est toi qui ne devrais pas abuser d'élucubrations ! Dors dans ce lit, médite sur ce qui t'es arrivé aujourd'hui et pense aux paroles de Shiro. J'aimerais que ce mal qui te ronge disparaisse avant que je reparte...
Le silence s'installa. Hélia demeura muette quelques instants. Elle demanda enfin :
- Tu ne restes pas ici ? Avec moi ?
Les yeux fuchsia d'Hélia se plantèrent droit dans les yeux cobalt de Link qui, après une seconde hachée par de rapides battements de paupières, fuyèrent la confrontation pour scruter le plafond. Le Héros du Temps la rassura :
- ... Jeuuhh... je serai toujours là pour toi... Allez ! Dors, la nuit porte conseil.
- D'accord...
Hélia s'allongea tristement dans son matelas. Link, lui, réfléchissait. Pouvait-il ramener Hélia avec lui à Hyrule ? Trouverait-elle son salut en terre sacrée ? Et était-il bon pour cette fille de considérer Link comme un tuteur ? La figure fraternelle qu'il inspirait à la blondinette risquait fort de glisser progressivement vers la figure paternelle. Et les Déesses savaient combien Link aimait cette petite un peu plus d'une heure après leur rencontre, il ne serait pas prêt à assumer une telle posture. Sauver le monde, combattre des titans, il savait faire. Eduquer un enfant comme si ce dernier était sa propre chair, il pensait ne pas avoir les épaules. Bien sûr, il ne pouvait décemment pas abandonner Hélia à son triste sort mais il savait qu'il n'était pas ce dont elle avait besoin sur le long terme.
Link se disait qu'il lui fallait des êtres au désir ardent de procréation et d'éducation. Pas un individu de passage que le devoir appelait lorsque son monde était menacé. Il lança discrètement dans un long soupir :
- Lettre à ma future : je ne suis pas prêt d'être un père moi.
Sur cette remarque qui l'amusa beaucoup, car la future en question qu'il imaginait n'était sans doute pas prête non plus, il s'abandonna progressivement au sommeil. Il fallait le comprendre : il venait d'achever un voyage harassant de six jours à cheval et il était déjà embarqué dans cette affaire étrange. Hélia, dont le regard bienveillant venait de se détourner de Link, l'imita sans délai. Ils s'endormirent ainsi, laissant la lumière allumée comme préconisé.
Le temps passa, l'aiguille trotta, les consciences s'évanouirent. 9 heures... L'heure fatidique.
L'homme qui se reposait dans le deuxième lit n'y était plus. Il n'était même plus dans l'auberge. Il avait bien pris soin de s'évader en passant par la porte à l'étage car celle du rez-de-chaussée était condamnée par un garde. Il se trouvait désormais sur le belvédère qui offrait une vue impériale sur le secteur est de la ville. Il scrutait le ciel, à peine visible. La brume étouffait tout.
- Allez, montrez-vous, ordonna le jeune homme.
Soudain, des lueurs éventrèrent la fumée pour surfer sur les volutes et s'apparentaient à des aurores boréales. Ces lueurs se matérialisèrent pour laisser apparaître des entités hétéroclites. La terreur elle-même pleuvait sur la ville. Les menaçantes silhouettes fondaient lentement sur Bourg Clocher. Ils ne trouvèrent l'adversité que dans le regard des soldats qui les défiaient avec leurs hallebardes. L'arme dressée contre l'ennemi, la milice de Bourg Clocher, avec le capitaine Viscen aux commandes, quadrilla l'ensemble du territoire pour parer les attaques sur tous les fronts et prévenir toute effraction.
L'homme qui observait depuis le premier étage de l'auberge, voulut prendre son élan pour s'élancer mais une main le retint au dernier moment. Il se retourna et vit qu'il s'agissait de Kafei, même si ce dernier portait son masque sur le visage.
- Kafei ?! Que fais-tu là ?
- Il est de mon devoir de vérifier que tous ceux qui dorment à l'auberge sont bien dans leur chambre une fois l'heure du couvre-feu passée. Tu te fais attaquer la veille et tu retentes l'expérience aujourd'hui ? On dirait que tu ne retiens jamais la leçon, Jim... ex Bombers !
- Ne me parle pas des Bombers. Je te l'ai déjà dit.
- D'accord. Mais... par pitié : rentre à l'auberge. Tu as des envies de suicide ou bien ?
- Ces monstres, ces démons. Aucun d'eux n'est vrai.
- Oui, c'est ce que tu as dit lorsque le médecin t'a réanimé. Dans ce cas, dis-moi comment tu t'es retrouvé alité ? Par quel hasard ?
- Un ninja a surgi de nulle part. J'ai failli avoir une crise cardiaque. C'est pour ça que je me suis évanoui. Les témoins oculaires, en l'occurrence les soldats, ont pensé que c'était un monstre qui m'avait assommé. Mais c'était autre chose. Ces monstres sont des illusions et ces manifestations nocturnes sont le schème d'une machination encore plus grande.
- Sur quoi te bases-tu pour affirmer cela ?
- Kafei, des fois, il faut savoir observer les choses de loin. Les habitants de Bourg Clocher n'y voient que du feu. Suis-moi, je vais te mener à un endroit où tu pourras te rendre compte du subterfuge.
- Je peux vous accompagner ?
Ce n'était pas Kafei qui venait de parler mais une tierce personne. L'ex Bombers et le fils du maire se retournèrent pour identifier le mystérieux interlocuteur qui n'était autre que Link.
- Link ! tonna Kafei. Que fais-tu dehors ?!
- C'est toi ? reconnut Jim. Mais oui, tes vêtements étranges... Tiens, Kafei : lui aussi c'est un de ces Bombers qui a déserté du jour au lendemain. C'était juste après la rébellion de Skull Kid.
- Quoi ?! s'exclama Link. Mais je ne...
- Je ne sais pas ce qui a provoqué la dissolution de votre groupe, commença Kafei, et je vous avoue que, pour l'instant, je m'en fiche. Il y a des monstres qui se dirigent vers nous et qui vont attenter à nos jours juste parce que vous êtes trop têtus pour porter une protection !
Link dégaina son arc et décocha deux flèches en direction de deux assaillants. L'effet ne se fit pas attendre : leurs silhouettes, scindées par les traits qui venaient de les traverser, retrouvèrent leur unité. La mémoire vive de leurs corps suggérait que ceux-ci étaient le brouillard lui-même car il était improbable de trouver plus inconsistant. C'était la fumée elle-même qui modelait leur forme au gré de ses circonvolutions.
- Leurs corps ne m'ont pas l'air bien solides, devina Link.
- Venez ! ordonna Jim. Suivez-moi ! Je vais vous prouver qu'ils ne sont pas réels.
Jim, après un saut périlleux, se réceptionna au moyen d'une roulade. Link et Kafei l'imitèrent pour se retrouver au rez-de-chaussée. Un monstre lévita en direction de l'ancien Bombers. Ce dernier n'en n'avait cure puisqu'il croyait dur comme fer que ces démons étaient factices. Et il avait raison : l'être hideux venait de traverser le corps de Jim, trahissant sa nature inconsistante.
Toutefois, Link ne se sentait pas bien. Son sang l'appelait... Il avait déjà connu cette sensation. Lorsqu'il se souvint, il attrapa Jim par le col et l'envoya valser auprès de Kafei. Deux traits scintillants fendirent la fumée pour se heurter à la Grande Epée des Fées de Link. L'Hylien venait de bloquer, in extremis, les lames d'un Ninja Garo. Jim, dans les bras de Kafei, eut un hoquet de surprise tout en désignant l'ennemi du doigt.
- C'est lui ! s'exclama-t-il. C'est lui qui m'a fait perdre connaissance ! Lui, il n'a rien à voir avec ces faux monstres !
D'un revers, Link repoussa son assaillant sur plusieurs mètres. Il commanda à ses deux amis de s'allonger. Les deux s'exécutèrent.
- Attaque tornade ! cria le Héros du Temps.
Link chargea l'énergie de son épée. Il pivota sur lui-même, laissant son épée générer son festival : une tempête circulaire d'énergie qui dévora le torse du Ninja Garo. Ce dernier, laissant échapper un cri d'agonie qui ressemblait fort à celui d'un Octorock électrifié, s'effondra ensuite. Ses paroles atteignirent les oreilles du trio malgré le bruit ambiant.
- Tu as été un valeureux adversaire, jeune bretteur. Permets à mon être en fin de vie de te transmettre mon savoir. Au-delà du bleu se trouve Gomorrhe, arrachée au continent depuis des âges. Quand la ville s'égayera, le voleur la pillera et rejoindra Gomorrhe par les airs, caché par un rideau invisible.
Tandis que les trois hommes tentaient de déchiffrer son message, le vaincu invoqua une bombe dont la mèche s'alluma d'elle-même, provoquant la fuite de ses vis-à-vis. Le ninja prononça ses dernières paroles :
- Méfiance et défiance sont tes compagnons. Mourir sans laisser de trace... telle est la voie des Garos...
L'explosion retentit. Le souffle dispersa la brume pour se résorber bien vite et ne laisser que des acouphènes assaillir violemment les oreilles de Link, Jim et Kafei.
- C'était incroyable, avoua Jim. Je ne savais pas que tu étais si puissant.
- Ce n'était rien. Mais une question me chiffonne : c'était un Ninja Garo mais leur seul lien avec notre monde est la Cagoule Garo normalement...
- Oui, confirma Kafei. J'en ai entendu parler. Et ce qu'il a dit... Nous ferions bien de méditer dessus.
- Plus tard, conseilla Jim. L'explosion a alerté les soldats. Il faut partir avant qu'on nous renvoie pioncer dans l'auberge ! Nous devons aller à l'Observatoire !
- L'Observatoire ?!! demandèrent en concert Link et Kafei.
- Exact ! Vous comprendrez tout une fois là-bas !
Et ainsi, ils détalèrent en direction de la mairie pour accéder au passage secret. Non loin de là, deux silhouettes observaient en retrait, derrière un pilier. Toutes deux affublées d'une Cagoule Garo...
Le bruit de l'explosion fit trembler les murs de l'auberge. Le réveil fut brutal pour Hélia. Impossible de refermer l'oeil après. Elle regretta l'absence de Link. Sa présence aurait suffi à la rassurer. Mais non, celui-ci n'avait pas résisté à l'envie d'aller jouer les héros. Il avait intérêt à revenir vivant afin que la petite puisse rudoyer son côté trop ombrageux.
Dans l'inconfort de son sommeil, soudaine fut l'envie de faire la petite commission. Elle s'extirpa de son lit, sortit de sa chambre pour gagner les toilettes. Une fois soulagée, elle tira la chasse d'eau et s'en alla pour retourner dormir. Marchant dans le couloir, elle put discerner deux vacarmes distincts. L'un sévissait hors des murs de l'auberge, l'autre venait tout simplement de la chambre voisine. Il y avait une harmonie et une logique dans ce second vacarme. Un tapage nocturne qui s'apparentait à un boeuf tapé entre musiciens amateurs.
Tiens ? Cet air lui rappelait quelque chose : l'air improvisé qu'Hélia, flûte en bouche, avait joué quelques heures auparavant. Tentait-on déjà de plagier son oeuvre ? Sans s'en rendre compte, Hélia était en train d'écouter à la porte et, houspillant intérieurement son impolitesse, elle prit son courage à deux mains pour toquer. Il fallut rééditer l'action au moins trois fois pour que la musique cesse et qu'un des artistes daigne enfin lui ouvrir la porte. Il s'agissait d'une femme sublime affublée d'un justaucorps blanc aux motifs bleus. Son corps vitruvien était un segment de force qui laissait apparaître son goulet d'étranglement au niveau du bassin, lequel était scindé sur les flancs par une belle ceinture d'apollon. La jeune femme devait approcher la trentaine et était à son apogée.
Devant la beauté sculpturale de la danseuse, Hélia demeura muette quelques instants. La jeune femme perdit patience et demanda :
- Que veux-tu ma petite ?
- Pour être franche, répondit Hélia, je voulais vous demander de faire un peu moins de bruit... au départ. Mais je trouve finalement qu'un peu de musique, surtout avec ce qui se passe à l'extérieur, ce n'est pas mal. En fait, je veux me joindre à vous...
- De qui s'agit-il Marilla ? interrogea un homme à l'intérieur de la chambre.
- Une jeune fille qui demande à assister à nos répétitions.
- Qu'elle entre, ordonna la voix.
La danseuse Marilla laissa rentrer Hélia qui s'immisça dans la chambre. Elle était très grande avec cinq lits superposés. Au premier plan, un duo d'hommes, un autre mâle plus loin et une femme, la jumelle de Marilla. Tous étaient attablés. Sur la première table, à droite, une paire de jumeaux : les jongleurs Ao et Aka. A la table du milieu, la danseuse Judo qui n'était autre que la jumelle de Marilla. Enfin, à la table de gauche, Guru Guru le musicien. Presque tout le monde nota l'arrivée de la petite. Lorsque Marilla referma la porte, une autre voix se fit entendre. Celle-ci venait du seul membre alité qui, à peine réveillé, peinait à distinguer quoi que ce soit.
- Mais... Marilla... il n'y avait donc personne ?
- Hein ? Mais tu ne...
- Laisse tomber, intervint Aka. Le chef a mangé trop de champignons magiques ce soir. Il ne le verrait même pas si un des Quatre Géants était face à lui. On ne peut pas lui demander d'être performant ET sain à la fois. C'est Gorman, pas Superman...
- Huuo-ho-ho-ho, ricana Ao. Cette blague est tellement nulle qu'elle en devient marante. Tu vois, ma petite, ici le monde fonctionne à l'envers : on rit quand ce n'est pas drôle, on joue quand il est tard et on ne porte pas nos masques quand tout le monde le fait. Et mieux encore : certains ne remarquent pas la présence des jolies jeunes filles.
- La la la la la la la, chanta allègrement Guru Guru qui jouait de son instrument. Chère enfant : as-tu entendu cette douce mélodie qui a enchanté ce lieu d'agonie ? Durant quelques instants, le poids est devenu plume et la vie est devenue prose.
- Oui et c'est dommage, commença Judo. J'avais un bon souvenir de cet air... avant que tu n'essaies de le reproduire...
- HEEEEIIIN ???!!! s'offusqua le coléreux Guru Guru.
Amusée par la scène qui se jouait devant elle, Hélia se sentit bien. Elle était tombée dans une troupe bien vivante aux caractères différents. Elle ne se souvenait pas s'être déjà retrouvée dans ce genre d'atmosphère. Elle s'assit parmi ses hôtes, écouta leurs compositions, bonnes comme mauvaises, ainsi que leurs plaisanteries, bonnes comme mauvaises. Loin de son quotidien d'errance, cette journée lui avait apporté son lot de surprises.
A vrai dire, seul l'homme allongé ne participait pas à cette harmonie. Ce "Gorman" dont la moue sombrait davantage que ce que la gravité put ordonner à un corps. Ce dernier, incapable de voir Hélia, retourna dans les bras de Morphée en pensant que son demi-sommeil l'empêchait de saisir toute la situation. Hélia se sentit désolée pour cet homme et demanda à ses nouveaux amis :
- Cet individu me parait bien triste. Avec vous comme compagnons, je me demande comment on peut dégager une aura aussi triste et désolée.
Ses interlocuteurs se turent quelques instants, échangeant quelques regards interrogatifs. Ce fut Guru Guru, inspiré par beauté intérieure d'Hélia, qui rompit le silence pour lui répondre :
- Sais-tu qui nous sommes, chère enfant ? Nous sommes la Troupe d'Artistes Gorman et l'homme dont le sort ne te laisse pas indifférent est justement Gorman : le leader de la troupe et directeur du cirque. Comme tu le sais, le Carnaval du Temps est une tradition vieille comme le Bourg Clocher et c'est notre devoir, à nous les artistes, d'arrêter le temps pour apporter de la fantaisie dans le coeur des gens. Cependant, Gorman, notre figure de proue, arrive à un stade de sa vie où il aimerait que quelqu'un arrête le temps pour lui et ça, aucun d'entre nous n'en est capable.
- Que lui est-il arrivé ?
- Guru Guru ! tonna Marilla. J'aime bien cette petite mais là tu vas trop loin. Le passé de Gorman lui appartient et A LUI SEUL.
- Cette enfant est une jeune adulte dans son coeur. Et je sens que son arrivée est providentielle. C'est naturellement que je lui confie ce que je sais... Gorman vivait avec ses deux frères et ils élevaient des chevaux ensemble. Mais ce qui intéressait Gorman, c'était la ville et le show-business. Après de nombreuses années de travail harassant, il est devenu le visage du divertissement terminien. Il était arrivé au sommet de son art et avait réalisé son rêve. Toutefois, sa relation avec ses frères se détériorait. Ils ne vivaient plus dans le même monde. D'un côté, l'opulence dans le feu des projecteurs et de l'autre, le labeur de l'élevage. Il avait tenté à maintes reprises de revenir vers eux mais ils le renièrent en tant que frère. Les années passèrent et un évènement acheva de ternir l'image parfaite de Gorman : ses frères apparaissant dans la rubrique des faits divers. Ils s'étaient lancés dans le banditisme après avoir abandonné leur ranch. Dès lors, l'estime des Terminiens envers Gorman chuta. Mais ce n'est pas ce qui rend notre directeur si malheureux. Ce qui l'attriste, c'est qu'il est persuadé que c'est parce qu'il a réussi en "abandonnant" ses frères qu'ils se sont retranchés dans la facilité qu'est le vol.
- C'est bien triste. Il a l'impression que ce qu'il a bâti honnêtement est ce qui a perverti ses deux frères.
- Tu as bien résumé la chose, bonne enfant. C'est pour cela qu'il aimerait qu'on lui rende le temps qu'il considère avoir perdu loin de ses frères.
Hélia se concentra. Elle tenta de recréer les conditions qui lui avaient permis d'invoquer sa flûte : rien n'y faisait. Se souvenir du Chant de l'Apaisement n'aidait pas non plus. Hélia songeait réellement à jouer une nouvelle fois son air pour venir en aide au malheureux. En vain. Son pouvoir en avait décidé autrement.
- Cette année est peut-être notre dernière en tant qu'artistes du Carnaval du Temps, annonça Guru Guru. C'est la dernière chance donnée à Gontran pour redorer son image et émerveiller le peuple. Ce sera une preuve de bonne foi. Il a placé son spectacle sous le signe de la réconciliation car il veut renouer avec la gente et ses frères. Si on ne convainc pas cette année, une autre troupe prendra notre place. Et avec Toto et les Indigos-Go qui ont décidé de prendre le large, ce n'est pas une mince affaire.
- Nous nous sommes beaucoup entraînés, reprit Judo. Tout est presque au point mais je sens qu'il nous manque une petite touche. Il nous manque un musicien. Pendant que Guru Guru incarne la festivité, il faudrait qu'un autre musicien touche les spectateurs dans leurs coeurs.
Hélia réfléchit quelques instants. Puis son visage, son expression se simplifia comme pour annoncer une évidence :
- Bah... je veux bien faire partie de la troupe tiens, proposa la jeune fille.
- HEEIIINNN !!!??? hurlèrent les autres à l'unisson.
Dans un autre monde, là où le temps était effectivement arrêté, Lambardy était encore vivant. Il ne savait pas trop comment, ni pourquoi. Ses seules ressources étaient la sève et l'écorce des arbres qui parsemaient le territoire de leur silhouette arborescente. Malgré ce maigre festin, sa condition n'avait pas décliné. Mieux, le Mando se portait à merveille.
Physiquement en tout cas, car moralement, ça n'allait pas fort. Sa solitude l'avait plongé dans une phase de dépression. Sa voix, dans les rares moments où il lui arrivait de parler, peinait à sortir tant il ne l'utilisait pas.
Après une micro sieste, il décida de descendre de la colline sur laquelle il s'était juché depuis... un certain temps. La notion du temps lui était inconnue dans cette dimension. Il fallait qu'il s'adresse à quelqu'un, qu'il discute, qu'il soit écouté. Et pour cela, il avait choisi de s'entretenir avec un être détestable, une abomination parmi les abominations : le Dieu de la Destruction qui sommeillait dans Ascalon. Il ne voulait pas d'un confident. D'ailleurs, il serait bien fou de rechercher cette qualité dans un être aussi vil. Il voulait simplement sentir l'Autre avec un grand A. Il voulait sentir une présence extérieure à la sienne.
Après une longue marche de vingt minutes, il trouva Ascalon, plantée devant lui. Il s'assit et fit face à l'épée démoniaque. Il l'observa durant deux minutes lorsqu'enfin, une voix caverneuse s'insinua dans sa tête.
- Que désires-tu ? Si tu espères faire mienne ton enveloppe corporelle, abandonne. Enricko Machiavel est le véritable Elu de la Géhenne. Ou espères-tu que je mutile davantage ton esprit ?
- Je me sentais un peu seul, donc je suis venu te parler. Je ne suis pas fait pour une vie en ermite. Je maudis ceux qui m'y ont contraint.
- En ces termes, tu reconnais donc qui sont tes adversaires. Tu ne dois ta captivité qu'au peuple de l'ombre et aux élus des Déesses.
Les Sheikahs, encore eux. Combien de fois allaient-ils l'humilier ? Il les détestait davantage désormais. Le cycle de la haine était-il sans fin ? Les passions qui déchiraient Sheikahs et Mandos s'atténueraient-elle un jour ?
Il savait toutefois que le Bourgeon de l'Arbre Mojo, les Kokiris, les Sages, Link et Zelda n'avaient rien à voir dans la rixe et que, s'il avait tué le premier et tenté de se débarrasser des autres, ce n'était nullement sa volonté propre. C'était Ascalon qui prenait le relais sans son assentiment. La rage de Graal, l'Avatar du Néant, n'était pas la sienne. Toutefois, Lambardy pensait se servir de cette puissance et de cette haine millénaire pour réaliser plus rapidement sa vengeance. C'était ce qui lui avait permis de dépasser la puissance de son mentor : Ganondorf. A l'inverse, c'est la Haine elle-même, celle qui ne lui appartenait pas, qui l'avait débordé et l'avait rendu coupable. Lambardy n'était plus seulement la victime, le survivant d'un génocide, il était devenu un criminel, s'attaquant à des innocents.
Il pouvait bien détester les derniers Sheikahs mais désormais, son combat allait ressembler à celui de ses supposés bourreaux et c'était celui de la rédemption. Car au fond, cet homme qui faisait office d'antagoniste principal ne désirait que la justice.
Il n'avait donc plus rien à faire avec Graal.
- Mes adversaires sont les Sheikahs, affirma Lambardy. Il m'est impossible de pardonner leurs actes. Mais tu es également mon ennemi. D'après ce que j'ai pu lire sur la stèle, cet endroit est la future arène de ton affrontement avec Link et Zelda, et il y a des grandes chances que je sois le "Joker". Je te considère comme un adversaire car tu comptes effectivement détruire le Royaume d'Hyrule et il y a des gens que j'aime là-bas. Mais je ne combattrai certainement pas les élus des Déesses car ils ont oeuvré pour la justice. Et puisque je suis le grain de riz qui fera pencher la balance dans ce combat, considère que tu as perdu.
Le rire guttural de l'Avatar du Néant généra un vacarme impossible dans la tête de Lambardy qui accusa le coup et se saisit la tête.
- Pitoyable ! Les mortels sont réellement des ignares ! Les légendes m'ont introduit comme le mal absolu et, ça, c'est vrai car il n'y a que chez les Dieux que l'on peut user de superlatifs. Mais sache que s'il y a un prédateur, ce n'est ni moi, ni les Sheikahs, ni le roi Vladimir. CE SONT DIN, NAYRU ET FARORE ! C'est leurs décisions qui influent sur le destin des Hyliens !
- Explique-toi lorsque tu dis que ni toi, ni les Sheikahs et ni le roi Vladimir n'êtes les principaux responsables des maux qui ont frappé Hyrule ? Car pour moi, vous êtes la lie !
- Je suis le mal mais je ne suis pas un menteur. Laisse-moi te révéler la vérité sur la disparition des Mandos. Comme tu le sais, ton peuple a été élu pour surveiller Ascalon et empêcher mon retour. Ce plan était voué à l'échec car mes serviteurs avaient, depuis plusieurs générations, implanté deux maux que les Mandos reçurent comme des bénédictions : le Mandoraga et le Sceau des Mandos.
Lambardy se redressa, les yeux globuleux. Il amorça le début d'une phrase mais se tut ensuite. Il avait nié durant tout ce temps mais, après la chute du Roi Sombre, dans un éclair de lucidité, il s'était rendu compte que le Mandoraga qui leur avait servi à changer Hyrule en terre hostile était une magie noire qui ne seyait pas du tout à un peuple pacifique tel que le peuple Mando.
- Ce qui faisait la force et la suprématie du peuple Mando, commença Lambardy, n'était autre qu'un cadeau empoisonné des démons ?
- Tu as bien compris, soutint la voix de Graal. Le Mandoraga servait à inoculer le vice dans ce peuple trop pur. Ce vice a perduré, alimenté par la succession des générations et a fini par engendrer le fils indigne que les démons attendaient : Enricko. Le Sceau des Mandos, quant à lui, devait être un symbole fort de Mandogolia pour que l'Elu s'en imprègne et décide de le maîtriser. Car le Sceau des Mandos qui octroie la faculté divine de changer de dimension et le Mandoraga du Feu qui permet de pactiser avec la Géhenne étaient deux des trois critères qu'il fallait posséder pour être le réceptacle de ma puissance.
- Le troisième étant... ?
- La haine ! Un sentiment d'aversion plus fort que celui des démons eux-mêmes. Mais, tu te doutes bien, dans ce contexte de paix, dans ce peuple de paix, qu'il n'y avait aucun moyen de cultiver un tel sentiment. Alors nous avons laissé les Déesses agir...
- Tu veux dire que... Non... NON !
- Les Mandos étaient les alliés des Sheikahs et les Sheikahs, soumis par le serment divin d'Hylia, vouaient une allégeance sans borne au roi Vladimir. Lorsque les Déesses ont compris que l'Elu de la Géhenne était né dans le peuple Mando, elles se servirent de l'autorité absolue qu'avait le roi sur les Sheikahs. C'est ainsi que, commandé par des forces qui le transcendaient, il ordonna aux Sheikahs d'exterminer les Mandos.
- Ce sont... les Déesses... ? Les Sheikahs et l'ancien roi n'étaient que des marionnettes ? Foutaises !!!
- Tout cela juste pour alimenter la haine de l'Elu. Mais dans ma torpeur, mes capacités de discernement m'ont fait défaut et, sentant ta colère lorsque tes mains m'ont libéré, j'ai naïvement pensé que tu étais le bon. Je te l'ai dit, je ne suis pas un menteur. Mais je suis d'humeur magnanime. Vois-tu, les Sages et les Sheikahs ont éliminé mes précieux valets : les Ducs des Enfers. Si tu acceptes de me servir en tant que Duc des Enfers et que tu convins Cardice Viviconde et Rachiki Bartholoméon de commander également mes cohortes, je vous épargnerai un sort funeste.
Lambardy ne répondit pas. C'était à se demander s'il avait entendu la proposition du démon. Il demanda ensuite :
- En éliminant les deux porteurs de la Triforce, j'aurai le pouvoir de m'opposer aux Déesses c'est bien ça ?
- C'est exact. La Triforce te donnera la puissance ET la dimension des trois démiurges. Je suis un Dieu mais, tout comme Hylia, notre dimension est terrestre. La dimension de Din, Nayru et Farore est céleste et c'est pour cela que je ne peux me confronter à elles. Tout comme elles ne peuvent m'atteindre. C'est ainsi qu'elles n'ont pu être que spectatrices du combat qui m'opposait à Hylia. Tu as donc bien résumé la situation : en tuant Link et Zelda, tu pourras affronter les responsables de la disparition de ton peuple.
- Et avec cette puissance, tu penses que je me contenterai de t'obéir ? Une fois le Héros du Temps et la Princesse de la Destinée morts, je t'éliminerai également ! Tu seras un bon test avant de m'attaquer aux Déesses.
- ... Tu pourras toujours essayer. Mais sache que la haine ne peut vaincre le mal par excellence. Fais ton procès et ton choix. Qui t'a le plus offensé ? Que comptes-tu préserver ? Comment assouviras-tu tes désirs ? Trouver une réponse à ces questions changera sensiblement ton destin lorsque l'affrontement aura lieu.
La voix de l'Avatar du Néant s'évanouit, laissant Lambardy seul avec ses interrogations. Victime de la dissonance cognitive, son esprit devait joindre les deux bouts entre ce qu'il avait tenu pour vrai et ce qu'il venait d'apprendre. Le Dieu de la Destruction ne mentait pas, il le sentait.
Il ne dédouanait pas les Sheikahs et le roi Vladimir pour autant mais il avait désormais décidé que ses adversaires étaient les Dieux, tant les Déesses que Graal et... malheureusement, sa vengeance allait causer des dommages collatéraux.
C'était regrettable mais pour établir sa justice, Lambardy allait devoir tuer Link et Zelda...
Link éternua. Pourtant il ne faisait pas si froid dans ces tunnels souterrains qu'il venait d'emprunter avec Kafei et Jim.
- Hélia doit être en train de m'insulter je suppose, conclut Link.
Trois ombres se découpèrent dans les halos lumineux dégagés par les candélabres. D'immondes Skullwatulas venaient de fondre sur le trio. Précédé par les deux Terminiens, Link devança ses amis et ramassa promptement une pierre. Usant le pouvoir amplificateur de ses Gantelets de Platine, il décupla la taille de la petite masse qui rivalisa ensuite de largeur avec la marge offerte par le couloir. Il projeta sans délai le roc qui empila les trois malheureuses créatures contre le mur avant de les réduire en miettes. Link dégagea ainsi la voie et ils purent poursuivre leur course en direction de l'Observatoire.
Ils arrivèrent enfin au lieu d'observation, non pour mirer le firmament mais pour scruter les coins et recoins de Bourg Clocher : ce que firent Jim et Kafei après moult réglages du télescope. Le second fut surpris par ce qu'il venait de voir et céda la longue vue au jeune Hylien. Ce dernier aligna son regard dans l'énorme cylindre. Sa vue sublimée, découpée par un envahissant cerne noir, remarqua l'étonnant spectacle qui se déroulait à l'insu des habitants de Bourg Clocher.
Dans les airs, au-dessus du Clocher de l'Horloge, flottait un point lumineux : naissance des rais qui divergeaient et pleuvaient sur la ville embrumée. Ces rayons de lumière, au contact de l'écran de fumée, projetaient ces images de monstres qui terrorisaient la population. Ils apparaissaient par intermittence, au gré des circonvolutions de la nébulosité. De légers sillons brumeux découpaient l'air dans une zone conjointe avant de fondre et de s'accumuler en descendant. L'origine de la brume qui étouffait la ville venait des airs également. Jim avait donc raison : les monstres n'avaient de substance que dans l'épaisseur du mensonge.
- Le souci, commença Link, c'est qu'il n'y a rien dans les airs qui justifie la projection de ces images.
- L'on voit bien que ce n'est pas une lueur naturelle, commenta Kafei. Pour avoir côtoyé le monde du spectacle, je peux reconnaître la lumière émise par un projecteur et nous sommes clairement en présence de ce genre de matériel. Et les brumisateurs et autres machines à fumée sont légion pour générer des illusions.
- Nous sommes d'accord, confirma Jim.
Link tenta à nouveau de déceler de nouveaux indices en interposant le Monocle de Vérité entre ses yeux et l'objectif. Le filtre de révélation connecta les deux lentilles mais il ne révéla aucun secret. Link en vint à la conclusion suivante : si effectivement, le vidéoprojecteur qui faisait de Bourg Clocher une énorme salle de cinématographe émettait ces lumières depuis les hauteurs, sa suspension et son invisibilité n'étaient pas dues à un sort ou quelconque magie. Auquel cas, son monocle aurait décelé l'objet. Non. Il s'agissait d'un procédé ou d'une application qui obéissait aux lois de la physique et de la chimie. Un moyen naturel de rendre les choses invisibles. Mais comment ? Le Ninja Garo avait évoqué "un rideau invisible". Qu'était-ce donc ?
Le Héros du Temps fit part de sa conclusion aux deux hommes qui l'accompagnaient. Mais les murs avaient des oreilles. Les deux silhouettes qui les avaient suivis jusqu'à présent avaient tout entendu de la conversation et elles savaient que le trio risquait de mettre leur projet en péril. Ils s'éclipsèrent sans faire de bruit et retournèrent à la surface...
Hélia n'y parvenait pas. L'élan que lui avait insufflé le Chant de l'Apaisement ne trouvait pas son écho à cet instant précis, empêchant la jeune fille de démontrer ses talents de musicienne au reste de la troupe.
- Tant de hâte est inutile mon enfant, rassura Guru Guru. Le pouvoir qui est en toi n'est pas quelque chose qu'une âme aussi jeune peut maîtriser aussi aisément. Ce supplément d'âme qui t'a permis d'improviser cet air, il y a quelques heures, est la résultante d'une circonstance particulière. Une plénitude que tu ne peux atteindre que dans un contexte singulier.
- A cet instant, répondit Hélia, ma vacuité s'était trouvée en présence d'un astre. Link, mon grand frère, m'a prêté de sa radiance. Sans lui, je ne suis... qu'un fantôme.
La main compatissante de Judo se posa sur l'épaule d'Hélia sans imposer son poids.
- Tu es bien plus que ça. Tu es une lune. Tu n'apparais qu'en présence d'une personne qui irradie de lumière. Il semble que nous en ayons suffisamment pour que nous puissions te voir mais... pas assez pour que cette lumière que tu réfléchis soit communicative.
Gorman s'était retrouvé à la position verticale en une fraction de seconde. Il fixa sa troupe avec mépris avant de tonner :
- MAIS A QUI PARLEZ-VOUS BANDE D'ESCROCS !!??? J'ai besoin... NOUS avons besoin de dormir pour les jours qui viennent. Alors... DORMEZ ! Et cessez avec vos belles paroles !
L'homme s'allongea de nouveau pour retourner à son sommeil. Les autres s'exécutèrent, détalant comme des lapins pour regagner le siège de leurs songes. Marilla, dans la volée, conseilla à Hélia de retourner discrètement dans sa chambre. Ce qu'elle fit.
Hélia revint dans la pièce où elle séjournait avec le Héros du Temps. Ce dernier n'étant toujours pas revenu, Hélia s'imagina les pires scénarios. Elle planta son regard dans le mur. Pour réfléchir, elle avait besoin de ce support immaculé.
Et là, elle la vit. Elle vit les contours d'une jeune fille à peine visible. Son teint livide et son habilité à flotter dans les airs indiquaient qu'elle ne faisait plus partie du monde des vivants. Ses cheveux étaient bleus avec des reflets violets. Ils étaient aussi longs que ceux d'Hélia. Enfin, ses yeux étaient écarlates.
Hélia n'avait pas peur. Elle avait déjà vu des esprits, sentit le monde invisible. Mais elle était quelque peu troublée. Le fantôme lui ressemblait exactement. Les seules différences résidaient dans le fait qu'elles n'avaient pas été peintes dans les mêmes gammes chromatiques.
- Maman s'est réveillée, annonça la jeune fille. Suis-moi s'il te plaît.
Son corps, happé par le mur, disparut totalement. Hélia se précipita vers la porte pour l'ouvrir et poursuivre le spectre. Ce dernier venait de tourner à l'angle, là où se trouvait la sortie à l'étage. Hélia bifurqua à l'angle du couloir pour atteindre la porte et l'ouvrit. Elle se retrouva sur le belvédère de la partie est de la ville, là où se trouvaient Link, Kafei et Jim auparavant. Hélia s'apprêtait à sauter mais, en voyant la hauteur, elle se stoppa. La jeune fille fantôme qui flottait plus bas, se hissa à la hauteur de la vivante puis s'introduisit dans son corps. Prenant momentanément le contrôle de son hôte, elle permit à celle-ci de léviter quelques instants. Elles glissèrent donc allègrement dans les airs avant de se déposer sans heurts au sol. Elle délivra Hélia de son emprise. Cette dernière peinait à comprendre ce qu'il venait de se passer mais elle reprit sa course : son guide spectral venait déjà de franchir la sortie est de la ville. Hélia était effrayée par les monstres qui flottaient autour. Elle s'empressa de quitter cette atmosphère oppressante et de talonner le fantôme, à l'insu des soldats.
Arrivées dans la Plaine Termina, les deux filles longèrent le mur. Une silhouette se profila à quelques mètres d'elles, longeant également le mur. Le fantôme s'arrêta à son niveau, signe qu'il s'agissait de la personne à rencontrer. La lune dichotome révéla les couleurs de la sombre figure.
Il s'agissait d'Anju.
- C'est... la femme qui tient l'auberge avec son mari, remarqua Hélia.
- Elle s'appelle Anju, informa le spectre. Son mari s'appelle Kafei.
Anju ne pouvait voir ni Hélia, ni sa nouvelle rencontre. Elle fixa le rempart de Bourg Clocher, précisément le pied du mur. Des plantes desséchées avaient la façade pour dosseret. Elles étaient nombreuses mais, les Déesses seules savaient pourquoi, très localisées. En fait, il n'y en avait qu'à cet endroit de l'enceinte. Anju s'agenouilla pour se mettre à niveau des plantes et les contempla.
Hélia interrogea son amie fantomatique :
- Quel est le sens de ce rituel ? Pourquoi m'as-tu demandé de voir cela ?
- Il y a environ six ans, Anju était venue cueillir des plantes médicinales à cet endroit. A l'époque, les plantes étaient magnifiques et colorées. Anju concoctait ses remèdes grâce à cette matière première. Mais ce jour-là, un vilain personnage vola le pendentif qu'elle portait au cou tout en la brutalisant. Anju était enceinte et allait bientôt mettre bas. Cette violente agression tua le bébé qu'elle portait en elle.
- Quelle triste histoire...
- Oui... ce qui m'amène à la raison de cette excursion. Je t'ai dit que "maman" s'était réveillée. Voici ma maman. Anju est ma mère.
- Tu veux dire que... IMPOSSIBLE !
- Je suis sa fille qui n'est jamais née. Je m'appelle... Luna.... tel que mes parents l'ont décidé lorsque j'étais dans ma phase embryonnaire. Mon après-vie s'est développée en réponse aux prières de ma mère et à l'obstination de mon père. C'est ainsi que j'ai pu avoir cette apparence de jeune fille.
- Je vois. Plus rien ne m'étonne.
- ... J'ai une ultime requête.
- Quelle est-elle ?
- Je suis fatiguée d'être rattachée à ce monde. Mais les coeurs meurtris de mes parents sont ce qui m'empêche de goûter au repos éternel. Tant qu'ils n'auront pas tourné la page, je serai le témoin impuissant de leur agonie. J'ai vu ce dont tu étais capable et je suis sûre que tu es celle qui pourra les aider à avancer.
Luna s'avança vers son interlocutrice, se posant en vis-à-vis. Son regard implorait Hélia alors saisie de compassion.
- Acceptes-tu d'aider mes parents et de me permettre d'accéder à l'au-delà ?
Hélia allait répondre mais un évènement singulier se produisit. Un souffle la transcenda, l'isolant du reste du monde et emportant ses sens. Lorsqu'enfin, elle revint à la réalité, ses mains saisissaient à nouveau la mystérieuse flûte. Luna sourit. Elle disparut tout en laissant l'écho de son "merci" résonner dans l'esprit d'Hélia.
Cette dernière, consciente qu'elle n'avait aucun talent de musicienne, improvisa un air sans s'essayer dans la virtuosité. Après tout, la dernière fois, tout s'opérait sans quelconque volonté.
Les notes jouées adoucirent le vent. L'allégresse s'insinua en toute forme de vie, inspirant à la verdure des tons plus verts et, aux ténèbres de la nuit, des galons de vertu. L'enchantement emporta Anju dans sa réflexion, provocant de prime abord son étonnement puis son bonheur. Les plantes desséchées renouèrent avec la vie et les couleurs. Elles s'épanouirent pour devenir de belles fleurs.
Les larmes d'Anju coulèrent d'un flot ininterrompu à la vue de ses plantes transformées et fleuries. Elle sourit puis saisit sa poitrine pour soutenir la quiétude passagère de son coeur. Elle voulait que cet instant dure éternellement. Elle en était convaincue désormais : un ange gardien veillait sur elle. Elle avait déjà entendu cet air plus tôt dans la soirée, ce qui lui avait permis de faire l'amour avec son mari après des mois de néant érotique. Et, à nouveau, cette musique enchanteresse venait bouleverser sa vie.
La flûte s'envola à nouveau, permettant à Hélia de contempler les effets de sa performance. Elle vit les parages transformés, les fleurs desséchées ressuscitées et, surtout, une Anju heureuse. Cette dernière ne pouvait toujours pas voir Hélia mais, pour cette soirée, le boulot était fait.
Deux ombres progressaient dans la ville pendant que les soldats combattaient des projections. Ils savaient la milice trop occupée à s'occuper de leurres pour remarquer la présence de deux civils suspects. Ils avaient, de surcroît, la nébulosité ambiante pour couvrir leurs actions. Non loin de la Tour de l'Horloge, les deux silhouettes escaladèrent les airs en saisissant des crans invisibles. Ils furent happés par la vacuité des airs, se soustrayant complètement au monde visible.
Ils venaient de basculer dans l'envers du décor. Les curieux individus se retrouvaient dans la cale d'un bateau : une salle vaste éclairée par une dizaine de lanternes suspendues. Un crâne bonze luisait dans la pénombre, révélant la présence d'un troisième personnage. Les deux acolytes, respirant de manière euphorique à cause de leur course et de leurs inquiétudes, décidèrent de retirer leur Cagoule Garo. Les masques tombèrent : les deux individus étaient les deux des trois frères Gorman qui étaient devenus des bandits notoires. Quant au troisième individu...
- Il faut déplacer le bateau ! avertit un des frères. Des gens ont percé à jour notre machination ! Ils savent que quelque chose est suspendu dans les airs près de la Tour de l'Horloge ! Ils vont peut-être débarquer ici bientôt !
Le chef s'avança dans la lumière. Son sourire faussement angélique, son haut blanc ceinturé à la taille, son pantalon bleu outremer et ses poulaines terre de sienne. Le fabulateur n'était autre que Sakon, causeur de troubles. Malgré l'affolement de ses deux sbires, il demeurait calme. Il ordonna à la forme qui se mut dans l'obscurité de s'occuper du déplacement du bateau. Le complice s'exécuta. Il ouvrit une trappe qui donnait dans le vide et s'attela à un mystérieuse manoeuvre : il saisit ce qui semblait être un tapis et ordonna à la carpette de se déplacer. Soudain, une force motrice déplaça l'intégralité du bâtiment, lui permettant, à l'insu de tous, de sillonner dans le ciel terminien. Lorsque le bateau vogua au-dessus de la partie nord, Sakon jugea qu'il était inutile de poursuivre. Il commanda au quatrième malfaiteur d'interrompre le mouvement. Ce dernier réitéra son action pour arrêter la progression du bateau.
- Les monstres, commença le chef, ça suffira pour ce soir. Si "ces gens" ont découvert notre secret, ils n'auront qu'à observer la provenance des projections pour deviner que l'on a changé d'endroit. D'ailleurs... qui sont ces gens ?
- Le fils du maire, informa un des similis. Il y a également le jeune homme que les Ninjas Garos ont blessé. Et il y a également un type super fort, tout vert... J'ai l'impression qu'il s'agit du petit morveux qui nous a donné du fil à retordre dans le passé.
- Ah... lui. Voilà un trio bien embêtant. Pourquoi ce mioche apparait-il lorsque je dois exécuter mes plans ? Oorrrhh !
- Courage Sakon, positiva le dernier malfaiteur. Il ne reste qu'un jour !
- Ta couverture de marchand de masques s'arrête là, Evander. Ces individus te suspecteront pour sûr. Tu fermeras, à la première heure, ton magasin pour cause de rupture de stock. Il ne faut pas qu'ils t'interrogent.
- Ça marche, répondit le vendeur de masques.
- Je vous demanderai, à vous les frères Gorman, de surveiller les actions de ce trio.
- J'ai failli oublier un détail, se souvint le cadet des Gorman. Il y a aussi une jeune fille qui peut dissiper la brume et rendre les gens heureux. Mais il semble que cela ne dure pas longtemps.
- Une jeune fille, comment ? interrogea Evander. J'ai aperçu une petite blonde avec le guerrier vert.
- Ouiiii ! Nous avons bien vu qu'ils étaient venus à ton stand. C'était bien elle.
- Si c'est tout ce qu'elle peut faire, déclara Sakon, aucune importance. Il ne reste qu'un jour. Finissons notre tâche afin que je puisse rejoindre ma chère Gomorrhe...
Jim, Kafei et Link étaient revenus en ville. Les monstres avaient disparu mais le bourg était toujours en état d'alerte. Difficile, dans ces conditions, d'accéder à la partie sud de la ville sans être repéré par les soldats. Pourquoi voulaient-ils y accéder ? Pour chercher des indices dans les hauteurs, titiller les altitudes pour trouver la base invisible de l'ennemi en surplomb. Lorsqu'ils y parvinrent, Link employa tous les moyens qu'il avait en sa possession pour saisir ou déceler quoique ce soit dans la verticale : Super Grappin, Flèches élémentaires, attaques à distance. Rien n'y faisait. Les assauts fusèrent dans la voute céleste, ne rencontrant aucun dioptre ni résistance.
Après de multiples essais, ils décidèrent de rentrer à l'auberge pour discuter tranquillement dans la chambre que partageaient Link et Jim. Hélia s'y trouvait déjà, souriante, ce qui étonna Link qui s'attendait à ce que cette dernière le foudroie du regard. Non. Assise sur le bord du lit, ses jambes se balançaient allègrement dans le vide. Profitant de son invisibilité, elle allait assister aux plans de bataille du lendemain.
- Si on se base sur les dires du Ninja Garo, commença Link, le "voleur" frappera lorsque la ville s'égayera. Il y a fort à parier que le ou les malfaiteurs comptent frapper demain soir, lorsque les festivités commenceront. D'ailleurs, je pense avoir une idée sur l'identité de ceux qui sont derrière tout ça.
- Eclaire-nous donc, implora Kafei.
- ... les frères Gorman... Sakon... et le vendeur de masques...
Les interlocuteurs de l'Hylien tombèrent des nues. Même Hélia, à la mention des frères Gorman, interrompit le manège de ses jambes.
- QU'EST-CE QUI TE FAIT PENSER CELA !?? questionna le fils du maire.
- Le Ninja Garo a dit : "quand la ville s'égayera, le voleur la pillera par les airs, caché par un rideau invisible". En venant à Termina, je me suis rendu à la Vallée Ikana dans l'espoir de trouver Sakon. J'ai trouvé une boutique à la place. Une boutique qui mettait en vente les butins de Sakon. Parmi les objets volés, il y avait ce que l'on appelle la "Térébenthine d'Invisibilité" qui permet à tout ce qu'elle recouvre de se soustraire à notre vue. Nul doute que Sakon a pu en récupérer pas mal lors de sa fuite. Et quelques heures plus tard, tu m'apprends que Sakon serait passé au Bazar il y a trois semaines pour récupérer les plans volés d'un bateau censé voler. Si on part du postulat que Sakon a pu enduire ce bateau volant entièrement avec de la Térébenthine d'Invisibilité, alors on peut considérer que c'est de ce même bateau qu'il libère cette brume et ces images qui tourmentent les citoyens. En tout cas, la phrase du Ninja Garo vient corroborer ma thèse. Ipso facto, si tout ceci est un coup monté, alors le vendeur de masques est forcément dans le coup. Déjà, son arrivée providentielle aurait dû éveiller des soupçons...
- Pas nécessairement, rétorqua Jim. L'approche des festivités sert de vitrine pour les vendeurs de masques du monde entier puisque l'exhibition des masques est une tradition pluriséculaire à Termina. Le fait que sa venue coïncide avec le Carnaval du Temps n'est pas nécessairement suspect.
- Mais il faut bien admettre, poursuivit Kafei, qu'un commerçant qui vend exactement le masque qui peut protéger la population...
- Voilà... A la rigueur, que ce soit un masque parmi une multitude d'autres masques, je veux bien. C'est le fait qu'il n'ait que ce masque-là à proposer qui est vraiment louche. En ce qui concerne les frères Gorman, c'est plus compliqué. Voyez-vous, les Ninjas Garos n'appartiennent pas à ce monde : ils sont dans l'ombre, l'envers de notre réalité. Le seul moyen d'en voir apparaitre un est de devenir soi-même un Garo. L'unique façon de procéder est de s'affubler d'un masque qu'on appelle la "Cagoule Garo". Je ne connais aujourd'hui que trois personnes qui ont eu en possession cet objet : moi-même, bien que je ne le possède plus, et les frères Gorman. Et bien sûr, quand je parle des frères Gorman, je n'inclus pas le Directeur du Cirque, je parle bien de ses deux frères.
- Ça c'est de ton ressort, dit Kafei. Si tu le penses pour les frères Gorman, je te fais confiance.
- Je me suis fait agresser la nuit dernière et il s'en est fallu de peu que je sois à nouveau la victime de la soirée, confia Jim tout en montrant ses bandages. Ce n'est pas un hasard si on s'est ainsi acharné sur moi. Toutes les créatures qui apparaissent la nuit sont fausses... excepté les ninjas qui sont invoqués dans l'ombre. J'ai été le premier à me douter de la supercherie et donc le premier à n'avoir délibérément pas porté de Masque d'Exorciste. Je voulais apporter la lumière sur cette affaire mais je pense que... je leur ai donné un moyen de crédibiliser leur poltergeist. Ils se sont servis de moi pour faire un exemple et donner le message suivant : "Voilà ce qui arrivera à ceux qui ne portent pas de masque". Il y a donc, pendant que les phénomènes nocturnes se manifestent, quelqu'un qui surveille et qui invoque des Ninjas Garos pour attaquer quiconque se balade sans protection.
- Je vois, réalisa Kafei. Mais quel est leur but au final ? C'est ça la vraie question !
- Et bien si les personnes que nous suspectons travaillent véritablement main dans la main, entama l'ex Bombers, on peut penser qu'ils se partageront les bénéfices engendrés par les ventes exceptionnelles du marchand de masques.
- Oui on peut le penser... ou pas, nuança le mari d'Anju. Tout cela me paraît trop gros pour une petite histoire de bénéfice. C'est pour cela que je me pose la question. Surtout quand on connaît l'esprit pervers et avide de Sakon...
- C'est vrai que les moyens employés me font penser qu'ils ont plus d'ambitions que cela.
Hélia écoutait passionnément la discussion du trio. Elle était en admiration devant son grand frère et la manière qu'il avait de mener son enquête. Puis son attention se porta sur Kafei. Tel un sismographe émotionnel, Hélia avait senti la rage grandissante qui envahissait la poitrine de l'homme depuis que le nom de Sakon était survenu dans la conversation. Elle se douta que le "vilain personnage" dont parlait Luna n'était autre que ce dénommé Sakon. Elle voulut apaiser le cri de son coeur mais la flûte avait décidé de ne pas répondre à son appel. Une interrogation s'insinua dans l'esprit du héros. Une question qu'il aurait dû pauser plus tôt.
- Quand est-ce que ces évènements ont commencé ?
- Il y a ... trois jours, répondit Jim.
- Link, interpella Kafei. S'il y a un bateau volant dans l'histoire alors c'est celui que Mutoh avait prévu de construire avant que l'on lui vole les plans. Au nord-ouest d'ici, à la lisière entre les Pics et la Baie, se trouve un chantier naval géré par les Gorons et les Zoras. Sakon et sa clique y ont forcément fait un tour. Si tu peux en apprendre plus sur la manière dont le bateau a été construit puis enduit, ça nous aidera peut-être pour trouver le défaut de la cuirasse.
- Je veux bien me renseigner là-bas, accepta le Héros du Temps. Mais toi, que feras-tu ?
- Malheureusement, je ne peux me soustraire à une journée de travail. Surtout la veille du Carnaval du Temps. Je dois vérifier que le cahier des charges est bien respecté, que tout sera installé en temps et en heure et déterminer l'ordre de passage des artistes.
- Oooh non, déplora Jim. Le camp de Mutoh l'a finalement emporté sur celui de Viscen ? Ils comptent faire le carnaval malgré les évènements ? Ho ! Kafei ! Conseille davantage ton paternel !
- ... L'évènement s'étalera sur plusieurs jours. Demain soir, les artistes performeront à la scène du Milk Bar qui ouvrira toute la nuit. Puis des combats de cavaliers seront observables au Ranch Romani à partir de 13 heures le lendemain. Et enfin, la danse des bateaux au chantier naval de la Baie clôturera la journée. C'est à ce même chantier que tu dois te rendre demain Link.
- Entendu, répondit Link. Et toi Jim ?
- Je vais surveiller le Bourg Clocher avec le télescope durant toute la journée... je pense.
- Ma pause est entre 13h et 15h, informa Kafei. On peut se retrouver ici à 13h pour faire le point une dernière fois avant la nuit prochaine.
Les deux jeunes acquiescèrent. La réunion s'arrêta là. Kafei prit congé de ses amis pour rejoindre sa chambre. Il y trouva une Anju revigorée qui dormait le visage nu, sans masque, mais tranquille. De doux songes semblaient la transporter loin de la réalité actuelle. Kafei voulut l'enlacer puis se retint, préférant finalement lui offrir son dos.
Jim s'allongea puis ferma les yeux dans l'espoir de dormir. Dans son éloignement progressif, il amena, en contrepartie, son lot de ronflements. Les vrombissements eurent pour mérite de couvrir la discussion entre Link et Hélia. Ils purent discuter sans risque que Link soit pris pour un fou.
Hélia fit part de ses aventures de la soirée, de ses rencontres. Link en fit de même. Ils se racontèrent des histoires jusqu'à capituler et laisser le sommeil les gagner.
Il était 23h49.
C'était une question qui venait de réveiller Link. Ce dernier, se débattant avec la brume des sommeils interrompus, parvint à formuler une question à la syntaxe correcte.
- Qu'est-ce qu'il y a... ?
- Je te demandais : pourquoi dors-tu par terre ? questionna Jim.
- Mmmmh...
- Ce n'est pas grave, assura le justicier. Je n'aurais pas dû te réveiller. Je te laisse. Je retourne à l'Observatoire.
- Attends ! Quelle heure est-il ?
- 8h30.
Link était rassuré. Il n'avait pas trop dormi. Il avait le temps d'aller enquêter au chantier naval et de revenir pour la réunion. Jim quitta les lieux pour laisser Link seul avec Hélia. L'Hylien s'assit sur le lit pour secouer délicatement l'épaule d'Hélia qui se réveilla.
- Je dois partir. Tu veux venir avec moi ?
- Désolé grand frère mais comme je te l'ai expliqué hier, j'ai des choses à faire ici.
- Je suis fier de toi ! Eh bien... pour le tour à cheval ce sera une autre fois !
Hélia fit la moue boudeuse sous le regard amusé de son grand frère qui la salua une dernière fois avant de franchir la porte.
Quelques minutes plus tard, Link se retrouvait dans la Plaine Termina, devant la sortie ouest face à l'océan. Il retrouva Epona non loin de là. La monture et son maître se mirent en route vers la mer. La jument surmontait les obstacles à la perfection. Le buste et la croupe dialoguaient, échangeant leurs hauteurs dans une cadence folle. Un dernier saut majestueux permit à la jument de franchir l'ultime barrière qui séparait la Plaine Termina de la Baie. Link ordonna à son amie de ralentir. Il pouvait ainsi tranquillement admirer l'azur plat haché par des petits bouts de soleil qui, dans une cuve étincelante, séparaient l'océan et le ciel. Au trot, Epona parcourait la molle arène avant de s'aventurer sur les récifs rocailleux, là où la houle des vagues dressait l'écume à la verticale. Link suivait la direction que lui avait indiquée Kafei.
Or, il y avait un problème : d'après les souvenirs de Link, la fameuse lisière entre la baie et les montagnes n'était autre que la Forteresse des femmes pirates. La même forteresse dans laquelle il avait dû s'infiltrer pour récupérer les oeufs zoras. A moins que...
- Aaaah d'accord, réalisa Link.
Son mouvement lui offrait une nouvelle perspective, dévoilant des nouveaux décors. Il vit ainsi l'énorme chantier naval qui remplaçait la sinistre forteresse. Gorons et Zoras travaillaient en concert, répartissant les tâches en fonction des aptitudes de chacun. Il y avait en arrière-plan, un impressionnant défilé de bateaux, tous différents les uns des autres. Il y avait des bateaux normaux, des bateaux irradiant de lumière, des bateaux chantants, des bateaux... enflammés et plein d'autres bâtiments insolites. Des rails rasaient les flancs des montagnes pour ensuite achever leur descente vers les quais. Link et Epona étaient donc arrivés au chantier.
Beaucoup de salariés étaient ameutés autour du quai numéro 13, non loin d'un bateau en construction. L'attention ainsi portée sur on-ne-savait-quoi encore, ce fut au bout d'une minute que le Goron Bépo remarqua la présence du cavalier. Ce dernier descendit de sa monture pour se mettre à hauteur de son interlocuteur.
- Bonjour, salua l'Hylien. Voilà, ma requête peut sembler incongrue mais... je me lance : auriez-vous dans vos registres un acte de construction pour un bateau transparent ET volant ?
- Ooooh je me souviens, il y a quelques semaines... on bossait sur un projet fou. Celui de créer un bateau fantôme, donc invisible. En revanche, il était impossible d'honorer la seconde partie du contrat qui était de le faire voler. Cela a été une véritable frustration pour nous car, comme vous pouvez le voir, chaque pièce que nous construisons est unique au monde et nous mettons un point d'honneur à répondre à la demande des clients, quelle que soit son extravagance.
- Je vois ça... Combien de semaines exactement ?
- Mmmh je dirais un peu moins de trois...
"Un peu moins de trois". Link songea que la période correspondait exactement à l'intervalle entre le moment où les plans avaient été volés et le début des apparitions nocturnes, il y avait quatre jours de cela maintenant
- C'est une faute professionnelle que je viens de commettre, avoua le Goron. Je ne suis pas apte à révéler de telles informations, sauf si vous êtes assermenté et que vous faites partie de la milice. Mais notre fierté pour notre travail nous rend généralement trop bavard. Je ne vous en dirais donc pas plus. Maintenant, veuillez m'excuser, je vais assister à la pêche aux Unagis. Si vous menez une enquête, parlez à mon supérieur hiérarchique Shaudaï. C'est d'ailleurs lui qui va servir d'appât.
- Pardon ? La pêche aux quoi ?
Une colonne noire jaillit, emportant dans les airs la rage marine. La protubérance s'incurva en pleine extension pour fondre sur le Zora suspendu dans les hauteurs grâce à un crochet géant. La figure anguilliforme alla s'abattre avec fracas dans l'eau, éclaboussant les spectateurs. Le Zora suspendu ne l'était plus. Il venait de fondre dans les abysses avec son prédateur.
- ALLEZ !!! FERREZ !!!
Les Zoras actionnèrent le piège. Le monstre marin fut stoppé net dans sa plongée. Il était tracté par l'énorme hameçon matérialisé par le crochet qu'il avait avalé avec le Zora qui, très à l'aise dans la gueule de la créature, attendait le bon moment pour sortir. Entreprenant le chemin inverse, l'anguille géante activa un système de défense bien original. Loin d'une ponte classique, l'Unagi déversa ses civelles en masse. Les pibales se répartirent le long du câble pour entreprendre la section de ce dernier. Ce qu'elles parvinrent à réaliser.
Plus haut, à la surface, on nota que le câble s'était détendu. Puis, lorsque le bout déchiré du câble apparut à la vue de tous, ce fut la panique. Les Gorons préparèrent un nouveau câble tandis que les Zoras plongèrent à la rescousse. Ils virent une ombre immense et reconnurent l'Unagi. Ce qui les inquiétait en revanche, c'était cette constellation de formes grandissantes qui venaient au clash avec eux.
Bépo courait dans tous les sens, ne sachant quoi faire. Il remarqua ensuite que le Héros du Temps n'était plus à ses côtés. Ce dernier venait également de s'engager dans la bataille sous-marine. Transformé en Zora, il fusa dans l'eau, auréolé de son bouclier électrique et subjugua de vitesse ses alliés et ses ennemis. Il moulina ses deux bras en pleine course pour générer un courant. Il projeta ses deux bras en direction de l'énorme bête et de son armée pour leur asséner un tourbillon horizontal. L'Unagi et ses larves furent soufflés par cette tempête. Ce battement fut parfait pour Link qui saisit l'occasion. Il nagea jusqu'à la bouche de l'anguille et redevint Hylien. Usant ses Gants de Platine, il inséra ses deux mains entre les lèvres de l'Unagi pour sublimer leur écart, permettant au Zora enfermé à l'intérieur de s'échapper. Ce dernier était mal en point mais put nager tout de même. Link saisit une dent de l'anguille et, projetant son bras vers le fond de l'océan, envoya l'énorme masse loin dans les profondeurs. Les civelles s'enfuirent à la vue de ce redoutable adversaire. Elles prirent la direction entreprise par leur génitrice.
Quelques instants plus tard, tous les travailleurs célébraient le sauvetage de Shaudaï qui souffrait encore de l'assaut. Link ne comprenait cependant pas.
- Merci beaucoup, dit Shaudaï. Je te dois la vie !
- Il n'y a vraiment pas de quoi... mais c'était quoi cet acte suicidaire ?
- Le Carnaval du Temps a lieu à partir de ce soir. Et pour nous, la danse des bateaux c'est demain soir. Il nous fallait un nouveau type de bateau. Un genre que l'on n'avait jamais testé. Un bateau avec du cuir d'anguille géante qui est totalement étanche. Les propriétés du cuir des Unagis lui permettraient d'émerger entièrement et "de danser" au gré des vagues. Il patinerait littéralement sur l'eau. On voulait en faire le bateau star du défilé. Comme tu le sais sans doute, le Puits de Pierre est rempli d'Unagis : c'est le nom qu'on donne aux anguilles géantes. Nous les avons titillées tous les jours pour qu'elles sortent de leur cachette et empiètent sur notre terrain. Le jeu dangereux auquel nous venons de jouer avait pour but de m'utiliser comme appât pour pêcher et dépecer l'Unagi. Son cuir est la manne que nous convoitons. Si la pêche s'était déroulée normalement, les acides présents dans la bouche de l'anguille n'auraient pas eu le temps d'entamer MON cuir.
- Et c'est un jeu trop dangereux quand on sait ce qu'il y a à gagner derrière, dénonça Link. Tout cela pour la seule satisfaction de présenter un nouveau bateau pour le Carnaval du Temps alors que vous avez largement de quoi impressionner les Terminiens. Et c'est aussi du braconnage excessif : ces créatures ne vous ont rien fait et vous ne les chassez même pas pour vous nourrir...
- Je ne me disputerai pas avec mon sauveur, déclara le Zora. Considère que la folie a toujours été le vêtement des passionnés. Mais soit. Tu as raison. Je ne m'emploierai plus jamais à de telles méthodes. Dis-moi ce qui te ferait plaisir. Un bateau, tout ce que tu veux...
- Rien. Rien de très extravagant en fait. Je ne vous demande qu'une entorse au secret professionnel...
Le monte-charge sur lequel se tenaient Link, Bépo et Shaudaï poursuivait son ascension, tutoyant les crêtes aménagées et survolant les divers ateliers juchés en surplomb des flancs écrus. Le printemps s'était installé mais les hivers passés avaient maculé les montagnes de leurs névés incrustés dans le relief. L'élévation permettait d'observer une perspective plongeante sur un cérulé ondoyant niché sur la terre saillie des continents. La ligne brisée des montagnes désignait la voûte céleste comme adversaire. Mais dans cette joute, la victorieuse était la poésie d'une nature savamment picturale.
Link était sensible à cette vue et Shaudaï nota son intérêt.
- Je commence toujours ma journée en utilisant ce monte-charge : dans un sens ou dans l'autre... C'est une source d'inspiration inégalable. Les architectes navals sont comme des rêveurs ambitieux qui veulent marcher sur l'eau. Et les aventuriers sont de la même trempe.
- Belle formule, congratula l'Hylien. Où allons-nous ?
- A la chaudronnerie, renseigna Shaudaï. Afin de poursuivre notre conversation, il vaut mieux aller en amont du chantier, théâtre de toutes nos expériences.
- Je vois...
- Alors là, commença Bépo, c'est l'atelier de finition. Juste là, c'est l'atelier de peinture. Et là...
Bépo détailla ainsi les sept compartiments en activité, allant de l'administration au vernissage. Ils s'arrêtèrent à la chaudronnerie où d'énormes pièces métalliques constellaient le plafond voûté. De même que des charpentes en réalisation jalonnaient le sol telles des carcasses. Bépo fit signe à Link de rester sur la plateforme de dépôt de charge. De cette manière, il ne s'exposerait pas aux nombreux risques présents dans l'atelier. Le Goron et le Zora s'éclipsèrent quelques instants pour dégager la voie. Ils invitèrent ensuite Link à s'aventurer sur le sentier laborieux.
- Lorsque le client en question est venu à la chaudronnerie, commença le Zora, il nous a fait don d'une substance inédite : la Térébenthine d'Invisibilité. Il savait exactement ce qu'il voulait. Il nous suffisait de suivre ses instructions pour construire le bateau de ses rêves.
Bépo courba son échine rocailleuse pour saisir, de ses mains, une prise invisible. A mesure qu'il rehaussait ses membres, son corps disparaissait derrière une lunule de transparence.
- Par quel prodige...
Puis Link comprit enfin ce qu'il se passait. Il ne dit mot et alla caresser l'énorme feuille de térébenthine solidifiée.
- Nous avons obtenu cette forme après battage de la colophane de la térébenthine dans un moule concave. C'est la juxtaposition de nombreuses feuilles préalablement modelées et battues qui nous a permis de recouvrir l'intégralité du bateau.
- Mais cette térébenthine est, d'après une source, bouillante à plus de 130 degrés. Comment...
- Par purification et distillation, poursuivit Bépo. Après, nous séparons la partie liquide qui est l'essence de térébenthine et la partie solide qui est la colophane. C'est la dernière qui est exploitable pour notre ouvrage. Notre plus grand défi fut cependant de battre cette matière, certes solide, mais invisible.
- Donc, réagit Link qui tentait encore de comprendre, il n'y a aucun moment où cette matière se trahit et cesse d'être invisible ?
Bépo et Shaudaï se consultèrent du regard. Le second ordonna au premier de chercher un certain Jirobo. Puis le Goron s'exécuta et prit congé de ses deux compagnons. Shaudaï, se retrouvant seul avec Link, en profita pour questionner le bel éphèbe :
- Deux de mes employés zoras qui ont plongé à ma rescousse ont vu ta métamorphose en Zora. Et d'après eux, tu ressemblais comme deux gouttes d'eau à Feu Mikau, le défunt guitariste des Indigo-Go, mort il y a plus de huit ans de cela.
- Aaah... je...
- Ne t'inquiète pas. Je ne veux pas t'importuner plus longtemps. La polymorphie est un don assez rare mais j'ai vu des choses bien plus incroyables...
Bépo venait de revenir accompagné d'un autre Goron. Ce dernier portait un djembé. Il s'assit sur une chaise et plaça l'instrument entre ses jambes.
- L'ami que voilà est Jirobo. Il est l'un des musiciens qui va accompagner la danse des bateaux demain. Naturellement, il est venu s'entraîner ici il y a deux jours.
Alors que Shaudaï était lancé dans son récit, Jirobo commença à marteler le djembé. Ses mains puissantes assuraient un son extraordinaire
- Et j'étais présent ce jour-là. Nous avons assisté à un spectacle impressionnant. Vois toi-même...
Link vit l'air même se fissurer. Des lézardes traçaient à la hâte leur déchirure spatiale pour morceler davantage. Puis, il y eut l'éclat, déversant une pluie de particules fines. Les ouvrages jusque là invisibles venaient de s'affranchir de leur manteau d'invisibilité.
- Mais... que s'est-il passé ? interrogea le jeune Hylien.
- Il semble que cette matière n'affectionne que très peu les instruments, commenta Bépo.
- Tu l'as donc compris, continua Shaudaï. Le point faible de cette matière... c'est la musique !
Fort content de sa découverte, un sourire triomphant illumina la figure du Héros du Temps.
Loin de là, Jim était à son poste, plongeant de temps en temps son regard dans l'énorme longue vue. Mais le jeune Terminien était ailleurs. Ses pensées s'articulaient autour de ses rêves et désillusions.
L'homme de justice était un loup solitaire malgré lui.
Durant sa prime jeunesse, il avait son bataillon. Comptant six membres, l'ordre des Bombers avait vocation à devenir une unité interventionniste dans le quotidien des Terminiens. Mais cet ordre était composé d'enfants à l'époque. D'êtres utopistes quant à leurs ambitions futures. Puis deux autres marmots avaient décidé d'enrayer ce tableau de leurs pattes revêches : Skull Kid et Link. Le premier était devenu leur antagoniste, le second avait rompu ses engagements sans crier gare. La puberté fut une période mortifère pour l'unité du groupe. Ses amis soutenaient mordicus que Skull Kid et Link étaient la preuve que leur justice devait être exclusivement terminienne et ne pas être parasitée par les moeurs d'un étranger ainsi que de celles d'un non humain. L'entêtement de Jim amorça la dissolution progressive du groupe, les coeurs n'étant plus à l'unisson.
Revoir Link dans ces circonstances fut un choc. Il lui en voulait d'une certaine manière. Mais il serait puéril de retenir un grief contre cet homme qui, désormais, oeuvrait avec lui contre l'alliance maléfique. Tant qu'il luttait pour la justice, il demeurait un frère d'arme.
Si, de son poste, Jim pouvait facilement voir le fourmillement de vie que constituait le battant plein des activités en ville, il ne pouvait, en revanche, pas déceler les mouvements qui s'effectuaient sous terre. Là était l'angle mort, là était... le point faible.
Un puissant bras strangula le jeune homme. Sa défense accusa un délai considérable de par l'effet de surprise, si bien qu'il n'y eut aucun recours à quelconque surérogatoire. Le second membre punitif d'Evander, suivant un axe meurtrier trouvant la tempe de sa victime, acheva de plonger Jim dans un état d'inconscience.
Renseigné par les frères Gorman de ce lieu, Evander avait su profiter de la faible vigilance de son adversaire. Qu'allait-il faire de lui ?
Ce texte a été proposé au "Palais de Zelda" par son auteur, "Jean-Yann". Les droits d'auteur (copyright) lui appartiennent.