Pentalogie de la Triforce
Partie 1 : Gate of Triforce • Partie 2 : World of Triforce • Partie 3 : Master of Triforce • Partie 4 : War of Triforce • Partie 5 : Fin de la Triforce
Les festivités commémorant le trépas du roi d'Hyrule devaient avoir lieu bientôt. Le royaume était en deuil. On ne connaissait pas la cause de la mort du défunt, mais on soupçonnait l'empoisonnement. On avait retrouvé le souverain raide mort un matin, dans son lit. Les soldats du château affirmaient n'avoir laissé entrer aucun individu la nuit du décès. Une enquête devait avoir lieu bientôt, mais il y avait quelque chose d'encore plus urgent à régler pour le moment: il fallait trouver un nouvel héritier au trône, ou tout simplement un conseiller à la princesse qui était encore un peu trop jeune pour gouverner seule. Les célébrations se faisaient de plus en plus présentes. On avait installé de longues guirlandes rouges et dorées sur le toit de presque chaque habitation, en honneur à la royauté. On avait aussi mis sur pied de grands chapiteaux et quelques installations au Grand Marché. Quelques jours plus tard, tout était prêt : on pouvait passer à la cérémonie officielle.
Après avoir effectué quelques chants religieux en l'honneur des déesses, on avait passé au banquet. Link était de la fête. Lorsqu'il avait entendu parler de l'incident qui était survenu au château, il avait enfilé une tenue sobre (son habituelle tunique verte) et s'était hâté d'aller voir la princesse pour la consoler. La pauvre était amorphe et avait les yeux rouges. Le héros avait une place tout près de Zelda à la table. Il l'aidait tant bien que mal à reprendre ses émotions. Ils avaient discuté un peu. C'est alors qu'il avait entendu parler qu'il faudrait un héritier au royaume, et il avait décidé de se présenter ; mais il doutait d'avoir les compétences requises pour ce métier.
La nuit commençait à tomber. Après le festin, le garçon rejoignit Zelda sur une terrasse. Il s'approcha d'elle.
- Et puis, princesse, ça va mieux ?
La fille esquissa un petit sourire pour rassurer son ami.
-Tu sais bien que tu peux m'appeler par mon nom, Link... Et pour répondre à ta question, oui, ça va mieux. Je sais désormais que je peux encore rentrer en contact avec mon père grâce aux déesses...
Link était consterné.
- Aux déesses ? Mais... comment ?
La princesse lui expliqua que la nuit dernière, elle avait eu une révélation. Le roi d'Hyrule lui était apparu en rêve. Le héros était à la fois confus mais heureux pour son amie.
- Et tu penses que ce sont les déesses qui t'ont accordé ces pouvoirs ? lui demanda-t-il enfin.
- Je...
La princesse baissa la tête.
- J'espère bien...
Ils furent sortis de leurs rêveries par un garde qui accourait vers eux.
- Vite, princesse. Les funérailles vont commencer !
Ils arrivèrent à la place centrale du village. Les cors résonnèrent. On apporta la dépouille du roi, que l'on déposa sur une grande table de pierre. Les textes sacrés résonnaient dans les oreilles et dans les coeurs de tous. La cérémonie ne dura pas très longtemps. Alors que Link s'en allait quitter les lieux, il aperçut un vaisseau étrange dans le ciel : un immense vaisseau recouvert de dessins insolites. L'appareil descendit lentement au-dessus de la foule, puis se posa dans un nuage de fumée. Un grand homme sortit de l'engin... le héros crut alors apercevoir Ganondorf... Mais...
- Link ! Link ! Ce n'est pas le temps de dormir ! On nous attend pour commencer la cérémonie !
Le garçon se réveilla. Il s'en était voulu d'avoir cru que le seigneur du mal était de retour parmi les vivants. Le héros ne l'avait pas vu depuis qu'il l'avait vaincu, quelques années plus tôt. Comment pourrait-il revenir du néant ?
Link suivit la princesse qui l'avait réveillé. Ils allèrent devant un grand chapiteau où un homme, certainement une personne de la garde proche du roi, prit la parole :
- Bonjour, mesdames et messieurs ! Vous allez assister aux funérailles du défunt roi d'Hyrule. Que les déesses le protègent durant son voyage !
De nombreuses personnes acclamèrent ses paroles. La princesse Zelda se leva pour aller dire quelques mots devant le chaleureux public. Tous étaient émus. À la fin de la célébration, le même homme qui avait pris la parole au début s'avança.
- Comme vous le savez certainement, nous avons besoin d'un nouvel héritier au trône. La famille royale n'est plus, Zelda étant sa dernière représentante. Nous allons donc devoir élire un nouveau roi pour la conseiller.
Il n'eut pas le temps de terminer sa phrase que des acclamations de mécontentement se firent entendre. Quand le silence revint, l'homme continua son discours :
- Pour déterminer qui sera le nouveau souverain, nous aurons premièrement besoin de volontaires, à qui nous ferons passer des épreuves... Que ceux qui veulent accéder au trône pour aider le royaume s'avancent !
Quelques hommes s'avancèrent. Link hésita. Il ne ferait peut-être pas un très bon roi. Il s'approcha tout de même du chapiteau en déclarant qu'il aimerait participer aux épreuves. Les gens autour étaient confus ; ce jeune homme, bien qu'héros connu de tous, était encore relativement jeune pour régner sur le royaume... Mais il était plutôt de l'âge de la princesse, soit aux alentours de vingt ans. Celle-ci, qui s'était remise de son discours, s'approcha de lui et lui sourit.
- Tu veux devenir roi d'Hyrule, à ce qu'on dit ?
- Oui ! Je veux devenir le nouvel héritier du royaume, avec toi bien sûr !
Le soleil se levait tranquillement sur le royaume. Tous et toutes étaient déjà réveillés et attendaient patiemment l'arrivée des participants au tournoi. Link se préparait dans le château avec Zelda. Il avait enfilé sa tunique habituelle : la verte. La princesse lui avait prêté une épée pour l'occasion ; mais rien n'était semblable à la sensation de tenir Excalibur dans ses mains.
La matinée était assez avancée quand le héros et l'héritière du trône arrivèrent à la grande place. Le garçon était certainement le dernier à être attendu. Link fut conduit sous un grand chapiteau, avec les autres participants du concours. Il prit une place sur un petit banc, à côté d'un homme qui le dévisageait. L'individu arborait une longue barbe noire et ne semblait pas très commode. Le garçon se demandait comment de telles personnes pourraient être choisies comme conseillers à la princesse. Mais il ne s'attarda pas longtemps sur la question ; il aperçut un éclat mystérieux dans le regard de son "adversaire". Un éclat malveillant...
Un petit bonhomme arriva dans le chapiteau et demanda à tous les participants au concours de s'approcher de lui. Les quelques dizaines de personnes présentes sous la tente se pressèrent de se rassembler autour de lui. L'étrange personnage leur expliqua le déroulement de la compétition : il y aurait en premier lieu un combat de corps à corps, pour déterminer celui qui aurait la plus grande capacité à protéger la princesse. Par la suite, on organiserait une "chasse au trésor" dans tout le royaume, où les participants essaieraient de trouver des objets cachés dans leur périple. Enfin, il y aurait un débat d'énigmes pour voir les aptitudes mentales des compétiteurs.
La troupe suivit le petit être à l'extérieur de l'abri où des centaines de personnes les attendaient. On annonça haut et fort le nom de participants au tournoi ; Link apprit que l'homme qui lui avait jeté le regard perfide se nommait Luryo. Il y avait ainsi une dizaine de concurrents, aussi différents les uns que les autres. On déclara que le tournoi de combat corps à corps commencerait cet après-midi, pour laisser le temps aux participants de se préparer. Le héros alla rejoindre la princesse qui l'attendait au château. C'est avec elle qu'il décida qu'il prendrait l'épée que lui avait prêté Zelda. Il s'entraîna une partie de la matinée avec l'arme, puis prit part au festin du midi. Par la suite, on l'invita à venir à la grande place. Le héros gaina sa lame et attendit les indications sur le tournoi identiquement à tous les autres aspirants au trône. Le même petit homme qui était entré dans le chapiteau le matin vint les voir. Comme toujours, aussi étrange que cela puisse paraître, il portait deux petits chapeaux turquoises. Mais les gens étaient habitués de le voir accoutré ainsi, et on le respectait pour ses bons rapports avec la princesse.
Pour le combat de corps à corps, il n'y avait qu'une règle à respecter ; ne pas tuer l'adversaire, mais lui faire lâcher son arme ou l'immobiliser. Il y aurait plusieurs relances entre différentes personnes pour déterminer le grand gagnant.
La première relance confrontait Luryo, l'homme au regard mauvais, et un dénommé Frane, un personnage grand et chauve. Le public, rassemblé autour d'une arène de combat remplie de sable, acclamait les deux participants. La majorité prenait pour Frane, plus fort et plus rusé, mais d'autres étaient plus pour son adversaire, impulsif et agressif. Les deux transportaient de puissantes épées à deux mains, ce qui fit trembler Link qui réalisa qu'il n'avait qu'une frêle et mince épée.
On sonna le début du combat. Aussitôt commencé, Luryo se précipita vers son adversaire, lui balançant son épée à la figure. Le jeune chevalier l'évita de justesse, contre-attaquant. Son opposant dévia cependant le coup et fracassa la paume de son épée dans les côtes de Frane, lui coupant le souffle. La bataille était déjà terminée. On amena le blessé à l'infirmerie, car il avait plusieurs os de fracturés.
Marc, un soldat de la gendarmerie royale, et Yvaac, un solide moustachu, furent les seconds antagonistes. Les adversaires étaient de forces plus égales. Le militaire était le plus expérimenté des gardes du château, tandis que l'autre était un puissant forgeron, moins agile, mais qui fabriquait ses propres armes. Encore une fois, on déclara le début de l'assaut. Le fort Yvaac, avec son lourd marteau de guerre, essaya d'assommer d'un vigoureux coup son adversaire, mais il fut trop lent. Marc, avec sa fine et véloce lame, lui asséna un rapide ricochet, qu'il para de justesse avec sa massue. Le forgeron fit alors un geste que personne n'aurait pu prévoir : il lança puissamment son arme vers le soldat, qui ne put l'éviter cette fois. L'homme fut propulsé dans les airs avant de retomber durement sur le sol quelques mètres plus loin. Le combat arrivait à sa fin.
Ce fut Link et un certain Galux qui furent de la troisième relance. Ce dernier, un maigre mais vif homme, empoignait, comme le héros, une épée se tenant à une seule main. Le garçon fut quelque peu rassuré de ne pas affronter un colosse, mais sa confiance se dissipa quand son adversaire commença à l'attaquer de sa main agile. Link, n'ayant aucun bouclier ou autre armure, dut parer de son arme le vif coup. Alors que Galux allait lui asséner un choc qui aurait pu lui être fatal, le garçon fit un salto arrière. Décontenancé, le soldat s'avança prudemment vers lui. Le jeune homme fonça alors vers son antagoniste et frappa si puissamment son arme contre celui de son adversaire que les deux épées furent projetées au loin. Le combat se continua à mains nues mais, sachant que l'homme était beaucoup plus fort que lui, Link utilisa la ruse ; il tourna à toute vitesse autour de l'arène, et, alors que Galux ne le suivait plus des yeux, il eut le temps de récupérer son arme, ainsi que celle de son opposant. Il jeta la lame à son propriétaire, avant de déclarer avec un sourire :
- Un vrai combat se fait toujours à l'épée...
Il fit un clin d'oeil à son adversaire. À sa grande surprise, l'homme lâcha son arme, affirmant :
- Je sais que tu ferais un meilleur aspirant au trône que moi ; je ne pense qu'à me battre. En me donnant mon épée ainsi, tu as prouvé que tu es plus loyal que moi... Tu as gagné la bataille...
Le garçon sourit de sa réussite. On sonna la fin du combat, ainsi que la conclusion de la première partie du tournoi. Galux s'approcha de Link.
- Je suis sûr que tu ferais un meilleur souverain que moi, Galux, fit le héros avec conviction.
Le combattant mit quelque temps avant de contester :
- Non, mon cher. La princesse est bien ta copine !
Et il éclata de rire, semblant oublier sa défaite face au garçon.
La deuxième épreuve, surnommée "la Chasse", devait se dérouler le lendemain matin. À la sortie de l'arène, Link s'approcha de Zelda avec un sourire. Toujours resplendissante dans sa robe de princesse, elle l'invita à l'accompagner au château. Ils pénétrèrent dans l'immense demeure du défunt roi et l'héritière du trône le convia à venir dans sa chambre. Le héros s'asseya sur le lit, tout près de son amie.
- Link, tu sais bien que la prochaine épreuve est la chasse ?
Le garçon approuva de la tête. Pourquoi le lui rappelait-elle ? La princesse se leva, sortit un objet d'un petit meuble. Enveloppé dans un morceau de tissu se trouvait l'Ocarina du Temps...
- Mais... princesse ! Comment avez-vous fait pour le récupérer et pourquoi me montrez-vous cet objet ?
Celle-ci s'approcha de lui, posant l'instrument bleuté dans les mains du héros.
- Quand tu as vaincu Ganon, j'ai laissé l'Ocarina dans l'Autre Monde. Maintenant, je l'ai récupéré et je te l'offre, peut-être que tu en auras besoin, demain...
Link la remercia en posant un baiser sur sa joue, ce qui la fit rougir. Le garçon salua la princesse et quitta le château pour aller rejoindre les gens à la grande place. Zelda, elle, resta assise sur son lit, songeuse.
Encore une fois, le soleil n'était pas encore très haut quand les participants au concours se rejoignirent dans le chapiteau. La princesse avait encouragé le garçon avant qu'il ne parte à la grande place. Link connaissait maintenant le nom de tous ceux avec qui il aurait à participer à l'épreuve de la Chasse. Il y avait Luryo, Frane, Yvaac, Marc, Galux, un certain Niryk (absent lors de la première épreuve) et bien sûr, lui-même. Le garçon savait bien que ce serait quelqu'un parmi ces concurrents qui deviendrait conseiller à la princesse et peut-être ensuite, souverain. Intérieurement, le jeune homme souhaitait pouvoir aider la princesse. La veille, on avait acclamé les grands gagnants de la première épreuve ; bien sûr Luryo, Yvaac et lui. Les trois autres participeraient quand même au second défi, mais s'ils échouaient, ils seraient éliminés pour la troisième.
Le petit homme aux deux chapeaux vint encore une fois sous la tente pour leur expliquer le déroulement du défi ; il fallait qu'ils partent à la recherche d'objets éparpillés un peu partout dans le royaume. C'étaient des perles, pas plus grosses qu'un poing. Les concurrents avaient le droit de s'équiper comme ils voulaient, et si deux d'entre eux trouvaient un cristal en même temps, ils pouvaient se battre pour déterminer qui remporterait le germe. Encore une fois, abattre l'adversaire était interdit ; cela prouverait que le tueur ne serait pas loyal. Luryo soupira à l'entente de ces règlements qu'il jugeait absurdes. "Un vrai combattant ne prend jamais de pitié pour l'adversaire" se disait-il... Les prétendants au trône avaient une journée complète pour rapporter le plus de globes et devaient les ramener avant la tombée du jour à la princesse. Trois cloches sonneraient, et si au troisième tintement une personne n'avait pas rapporté ses cristaux à Zelda, il serait éliminé de la compétition.
Un canon retentit à l'extérieur, déclenchant le début de l'épreuve. Certains, comme Yvaac et Frane, ne s'étaient pas préparés en conséquence de ce départ si soudain ; ils durent se presser d'aller chercher leurs armes et armures respectives. Ce petit test de démarrage éclair permettait aux juges de déterminer qui était prêt en tout temps ; ceux qui ne l'étaient pas n'auraient certainement pas été préparés à une éventuelle attaque dans le château. Link, lui, n'avait besoin de rien pour partir à la recherche des perles mis à part son épée, son bouclier et bien sûr, sa tête qu'il transportait toujours avec lui. Il fut l'un des premiers à détaler vers l'extérieur de la grande place, mais ralentit un peu le pas avant d'arriver dans la plaine ; il fallait qu'il détermine où aller d'abord...
Les cristaux cachés avaient certainement été placés à des points difficiles d'accès ; il fallait commencer à chercher dans les lieux les plus reculés. Le garçon sentait le rebondissement de l'Ocarina du Temps dans la poche de sa tunique tandis qu'il marchait. Alors qu'il traversait le pont-levis, il songea à l'endroit même où il avait découvert l'objet ; le cours d'eau qui cheminait juste sous de lui. Curieux, il plongea dans l'affluent et chercha sous la passerelle. Un objet scintillant, incrusté dans le bois du pontil, attira son attention. Voilà, déjà une perle de trouvée.
Il récupéra la gemme scintillante et grimpa au bord de l'eau, sur la terre ferme. Luryo, le dernier de la troupe de prétendants à traverser le pont, passait à ce moment au pas de course juste à côté de lui. Apercevant l'objet tant convoité de tous les participants au concours dans la main du garçon, il s'avança vers lui et dégaina son épée. À quoi bon cela servait de suivre les règles s'il n'y avait personne pour les mettre en vigueur ici ? De son arme, il s'apprêtait à couper la main du jeune homme, mais une voix derrière lui se fit entendre :
- Luryo, plus un geste.
L'homme se retourna, furieux de s'être fait prendre dès le début de la Chasse. Deux soldats lourdement armés s'avancèrent et pointèrent leur lance vers le fourbe individu, le mettant en respect. Luryo lâcha aussitôt son glaive et le jeta devant lui. Tentant de trouver une excuse sensée, il bredouilla :
- Je... C'est le garçon qui a commencé ! Il m'a menacé de son épée et j'ai essayé de me défendre.
Les deux militaires se retournèrent vers le héros. Décidemment, cet homme mentait, car l'arme du jeune ami de la princesse était toujours dans son fourreau et il n'aurait pas eu l'audace de faire cela. Un des soldats affirma :
- Allez, amenons-le avec nous jusqu'à la princesse ; c'est elle qui décidera de son jugement.
Lorsque les trois hommes eurent disparu, Link poursuivit sa route vers une autre probable gemme, la perle en main. Maintenant qu'il avait récupéré son ocarina, il pouvait appeler Epona. Le cheval lui apparut alors qu'il atteignait le Ranch Lon Lon. Passant par là, il demanda à la fille de son propriétaire - l'une de ses bonnes amies - si elle avait vu quelqu'un cacher une pierre baroque dans la ferme. Elle lui avoua que non, personne n'avait pénétré dans le domaine depuis plusieurs jours à part lui-même.
Le garçon salua Malon et quitta l'endroit. Prochain objectif : le village Goron. Il y avait songé longuement lors de sa marche ; la statue au centre serait une très bonne cachette pour une gemme, de la taille qu'elles étaient pour la plupart. Le héros arriva à la cité dans la montagne quelques minutes plus tard. Après avoir fouillé les endroits les plus susceptibles de cacher des objets au village Cocorico, il avait pris la direction de l'élévation. Il questionna le grand chef Darunia sur ce qui se trouvait à l'intérieur de la statue ; le chef lui avoua qu'il n'en savait rien.
Le jeune homme s'en alla alors à une place où personne n'aurait osé chercher : son village natal, la forêt Kokiri. Ses anciens confrères, qui n'avaient toujours pas vieilli, lui seraient peut-être d'une aide précieuse. Il expliqua à un gamin accoutré de vert la raison de sa visite inusitée, puis lui demanda s'il avait remarqué une présence anormale dans la forêt ; le garçonnet admit avoir vu une humanoïde sortir des Bois Perdus. C'est sans hésiter que le héros prit la direction du Bosquet Sacré.
Alors qu'il allait pénétrer dans les lieux secrets, il aperçut tout près de lui une palissade qu'il n'avait jamais remarquée auparavant. Dans cette palissade était incrustée une porte, une immense porte de pierre gravée de symboles anciens, avec un chambranle de marbre.
Le héros examina de près la construction colossale qui se dressait devant lui. Décidément, la porte de pierre devait être le résultat du travail acharné de plusieurs constructeurs talentueux, certainement issus d'un autre peuple habile. D'un côté ou de l'autre du chambranle, il ne semblait pas y avoir d'issue pour y pénétrer. Peut-être était-ce simplement un ornement qui avait été placé à cet endroit mystique en l'honneur d'une divinité ? Cela était peu probable, car Din, Nayru et Farore n'étaient pas représentées par de simples portes, et encore moins en ces lieux secrets... De ses mains, Link tâta la surface rugueuse de la construction. En observant bien les symboles gravés dans le roc, on pouvait discerner des figurations de la Triforce, cet objet de légende qu'avait déjà possédé en partie le garçon. Il y avait aussi des emblèmes d'une autre religion et des scènes de combats gravées avec minutie dans le marbre. Une d'elles attira l'attention du héros : elle le représentait lui-même, au moment où il avait terrassé le seigneur du mal, Ganondorf. Assurément, ce ne serait pas ici que le jeune homme trouverait une gemme recherchée.
Le craquement distinct d'une branche sèche qui cède sous un pied suivi d'un bruit de pas sortit le jeune homme de sa rêverie. Décidemment, on l'épiait. Pourtant, il ne connaissait personne, hormis Zelda et Saria, qui connaissait l'existence de ces lieux. Sur ses gardes, Link posa la main sur le pommeau de son épée. Il distinguait du mouvement dans les buissons, tout près de lui.
- Sortez de votre cachette ! hurla-t-il aux espions. Je vous ai vus !
Une petite troupe d'étranges hommes et femmes à la peau d'ébène, couverts de bijoux et d'ornements dorés, émergea de la végétation. Leur figure était rayée de peinture blanche ; c'était certainement une tribu autochtone vivant isolée dans les Bois Perdus qui le prenait d'assaut. Les hommes, armés de longs pieux acérés pointant vers lui, scrutaient le jeune Hylien de leur étrange regard. Les femmes, quant à elles, semblaient moins agressives, mais tout de même agitées. Tous étaient habillés très légèrement et ne possédaient qu'un court habit de fourrure animale à la taille pour vêtement ; ils paraissaient n'avoir aucune pudeur...
Un vieil homme au dos légèrement recourbé et à la barbe blanche, appuyé sur une longue canne de bois sculpté lui servant d'appui et recouvert d'aquarelle ornementale sur tout le corps, se manifesta au sein du groupe, s'avançant vers le héros. D'une voix rauque mais enjouée, il lui lança une série de phrases dans une langue inconnue du garçon, après avoir lancé un ordre à ses compagnons :
- Akuç !
Tous les aborigènes s'étaient tus.
- Amukamok vah irna ! Vanzalé ! Pah Dan, Nauty vo Fawove !
Link fit mine au vieillard qu'il ne comprenait rien de ce qu'il disait. Celui-ci sembla l'ignorer et l'invita simplement d'un geste à se joindre à lui. Hésitant, le jeune homme accepta finalement l'offre en hochant la tête ; peut-être avait-on placé cette tribu aborigène sur son chemin car elle possédait une gemme convoitée des participants à la Chasse et que la porte au coeur de la forêt ne servait qu'à attirer l'attention ? Il n'aurait qu'à suivre la petite troupe jusqu'à l'endroit où reposait la pierre qu'il possédait nécessairement...
Après plusieurs minutes de marche, accompagné des guerriers indigènes, le jeune homme aperçut l'endroit où se cachait certainement le village des hommes noirs. Camouflée par les arbres se dessinait la petite bourgade des autochtones : elle était composée de plusieurs tentes construites un peu partout dans les bois. Plus loin, on pouvait distinguer une hutte plus grande ; certainement l'habitation du chef de la tribu. Une rivière à l'eau cristalline coulait tout près de l'endroit dans un clapotis régulier. Qui aurait cru qu'une cité aussi exotique était dissimulée au coeur des Bois Perdus ?
Le vieil homme convia le garçon à le suivre jusqu'à sa vaste demeure. Le grand gourbi en peaux animales abritait cependant peu de choses : qu'un grand tapis aux motifs multicolores et quelques coussins éparpillés un peu partout, ainsi qu'un coffre contenant les armes du guerrier. Le chef de la tribu s'assit à même le sol et invita le héros à faire de même.
- Vah... irma hera ?
Déconcerté car il ne comprenait toujours rien des paroles de l'étranger, Link garda le silence. Le vieillard à la peau basanée leva alors l'index comme s'il avait eu une idée soudaine. Il se mit subitement debout et alla fouiller dans le grand coffre qui se trouvait dans la tente, en ressortant une petite pierre scintillante. Le héros se dit que c'était certainement une des gemmes qu'il recherchait ; sans demander l'autorisation à son propriétaire, le garçon arracha la perle des mains du vieil homme. Furieux, celui-ci leva sa canne de bois vers le garçon et lui asséna un solide coup de son bâton sous la mâchoire, lui faisant perdre son équilibre et de ce fait lui faisant échapper le globe de cristal. Le jeune homme s'affaissa lourdement sur le tapis, confus.
- Moi pas vouloir de mal à toi, désolé, mais toi voler trésor à moi, fit le vieillard comme s'il connaissait subitement la langue hylienne, lorsque Link se releva.
Le héros avait une vilaine ecchymose sous le menton. Il se tourna vers le chef de la tribu qui avait placé la gemme sur son cou.
- Comment faites-vous pour parler ma langue ? questionna le garçon.
Le vieillard prit quelques temps avant de répondre, toujours dans la langue d'Hyrule, que c'était grâce à la pierre qu'il comprenait et pouvait parler le dialecte. Il raconta comment lui et sa troupe de guerriers étaient venus à sa rencontre près de l'immense porte de pierre car ils l'avaient pris pour un ennemi. Link lui expliqua à son tour le but de sa visite au Bosquet Sacré ; il était à la recherche des gemmes dissimulées dans le royaume, et il voulait avoir le globe que possédait le chef indigène. Celui-ci refusa aussitôt de lui prêter l'objet en le serrant vigoureusement dans ses mains puis en le caressant du bout des doigts comme si c'était la prunelle de ses yeux. Le héros, embarrassé, approcha donc simplement ses yeux de l'objet scintillant ; après l'avoir examiné comme il fallait, il en conclut que ce n'était finalement pas une des gemmes cachées qu'il recherchait, mais bien un simple instrument magique. Il se leva donc subitement et s'empressa de quitter les lieux afin de continuer sa recherche des pierres. Un groupe d'hommes noirs armés se présenta cependant devant lui pour l'arrêter, leurs lances pointées vers lui. Le jeune homme dégaina son épée en les défiant du regard, mais les guerriers ne bronchèrent pas et attaquèrent les premiers. Link les déstabilisa tous dans une puissante attaque tourbillon et continua à fuir vers la porte. Il fut toutefois vite rattrapé par les agiles autochtones qui firent voler sa lame dans les airs, l'empoignant fermement par les chevilles. On l'amena devant un autel sacré gravé de symboles (les mêmes qu'avait aperçus le jeune homme sur le chambranle de marbre de la structure du Bosquet Sacré), avant de le lâcher. Le héros se débattait toujours, mais on vint vite à bout de sa fougue. Arrivé devant le lieu de culte, il cessa de bouger ; une idée venait de lui apparaître. Maintenant qu'il était désarmé, il ne pouvait compter que sur sa ruse.
Une vieille femme richement habillée et recouverte d'accoutrements ridicules en cette saison si chaude se présenta devant lui. Elle lui fit signe de se dévêtir partiellement et commença à peinturer des symboles étranges sur tout son corps. Link se laissa faire, car il avait son plan en tête...
- Tu comprends quand je te parle, n'est-ce pas ?
Une voix cristalline avait sorti le héros de sa rêverie, lui arrachant un sursaut. Ses plans de fuite et les raisons de sa visite dans les Bois Perdus disparurent de son esprit quand il aperçut une charmante jeune femme à la peau de macassar s'approcher de lui et s'asseoir à ses côtés. Mais comment pouvait-elle parler l'Hylien ? Le garçon lui posa la question.
- Tu es drôle, jeune garçon de vert vêtu. Ce sont ces symboles sur ton corps qui te permettent de me comprendre, pas moi qui parle ta langue ridicule.
Elle éclata d'un rire si burlesque que Link gloussa bêtement à son tour. Sans le savoir, il venait de tisser un premier lien d'amitié entre Hyrule et ce peuple des forêts. La jeune indigène détacha les liens qui emprisonnaient les poignets du héros en les coupant avec le poignard qu'elle tenait à sa ceinture. Le jeune homme en profita pour regarder le visage de la fille de plus près. Cette demoiselle était vraiment jolie. Comme les autres membres de la tribu, elle arborait des maquillages insolites sur la figure ; ses longs cheveux noirs tressés descendaient en cascade sur ses épaules. Le regard sombre de l'autochtone lui conférait un air mystique. Link se sentait attiré par cette aguichante femme sauvage. Il se décida à parler :
- Merci... merci d'avoir détaché mes liens. J'avais les bras endoloris...
L'aborigène émit encore l'un de ses rires qui envoûta complètement le garçon.
- De rien... Je m'appelle A'guì, et toi, quel est ton nom ?
- Je suis... Link...
Il était sous son emprise maintenant. Ce que le jeune homme ne savait pas, c'est que la femme était en fait une sorcière qui le contrôlait partiellement grâce à sa magie occulte. Elle avait créé un enchantement et s'était aspergée de parfums envoûtants - à base de la sève d'un certain arbre - pour le maintenir sous son influence. Bien qu'elle l'eut trouvé de son goût, A'guì, la fille du chef de la tribu, se servait surtout de lui pour gagner la confiance de son père. Les habitants du Bois Perdus étaient polygames, c'est-à-dire qu'ils pouvaient avoir plusieurs relations simultanées avec des personnes de l'autre sexe. Le problème, c'est que le héros était véritablement tombé amoureux d'elle, et il était certain que c'était réciproque.
L'indigène aida le garçon à se remettre sur pied. Elle lui chuchota à l'oreille qu'on ne lui voulait pas de mal. On l'avait simplement placé devant l'autel sacré pour que les dieux chassent les mauvais esprits qui habitaient son corps, et on ne voulut pas qu'il s'enfuît. Link ne cherchait plus à comprendre ; il était sous le charme de la demoiselle.
Celle-ci l'invita à venir chez elle, soit sous la hutte du chef, où le jeune homme était déjà allé un peu plus tôt. Elle s'accroupit au sol et le héros fit de même. La femme rampa alors jusqu'au coffre de bois où le chef autochtone avait trouvé la pierre qui lui permettait de parler l'Hylien. Elle en sortit ce qui semblait être un instrument de musique, similaire à une lyre. Link se rappela que, alors qu'il était en quête quelques années auparavant, Sheik jouait de cet objet à cordes.
A'guì entama une lente et douce mélodie qui finit par faire sombrer le garçon dans le sommeil. Lorsqu'il fut assoupi, la jeune femme posa ses lèvres sur son front et quitta la tente.
***
Link entrouvrit les yeux. Les chauds rayons de l'aube passaient au travers de l'étoffe de la tente du chef où le garçon était toujours couché et lui brûlaient les yeux. Dans ses songes, il avait rêvé à la jeune indigène qui occupait désormais toute la place dans ses pensées. Mais la nuit était terminée...
Il entendait les voix d'une conversation animée à l'extérieur du gourbi. C'était inévitablement A'guì et son père qui se disputaient. Le héros passa la tête à l'extérieur des peaux de bêtes et observa les deux individus qui s'injuriaient. Personne ne le remarqua. Le garçon en profita donc pour écouter discrètement la discussion de la fille avec son père.
- Mais... père ! Ce n'est pas juste ! Il est encore jeune et je... je voulais le garder pour moi !
Mais de quoi parlait-elle ? Link n'eut pas le temps de s'interroger que le dialogue se poursuivait de plus belle. Le chef de la tribu indigène répondit :
- A'guì... Il est écrit dans la prophétie de Hulma que ce garçon doit être sacrifié pour les déesses devant la Porte... Nous ne pouvons faire autrement...
- Mais qu'est-ce qui te dit que c'est bien lui ? Et que c'est le bon moment pour le tue...?
La jeune femme aperçut le héros du coin de l'oeil. Elle se tut aussitôt. Par son regard inquiet, Link sut qu'on parlait de lui. C'est lui qui allait se faire sacrifier...
A'guì se précipita d'aller rejoindre le garçon sans adresser un mot à son père. Le héros l'ignora et s'enfuit vers la forêt. Alors les autochtones voulaient le tuer, c'était ça ? Il alla se réfugier derrière le tronc d'un arbre massif à proximité du village, entre ses racines noueuses. S'il s'éloignait trop du camp, il risquerait de se perdre. L'indigène le poursuivait toujours. Le jeune homme se recroquevilla sur lui-même et baissa la tête. Lui qui était tombé amoureux d'elle...
La jeune femme noire ralentit le pas et s'approcha doucement de lui, reprenant du coup son souffle. Elle ne voulait surtout pas le brusquer.
- Link je...
Elle se tut un instant, le temps de formuler une phrase concrète.
- Link, je ne sais pas depuis quand tu m'espionnais en train de me disputer avec mon père, mais je dois te dire une chose : c'est vrai ce que tu as entendu. Nous devons... te sacrifier sur l'autel de la porte... mais... non... attends !
Le héros s'en allait quitter son refuge pour en trouver un autre lorsque la fille l'avait hélé. Il en avait déjà entendu assez et commençait à s'impatienter et à s'agiter. A'guì reprit :
- J'essayais de te défendre, crois-moi ! Nous sommes obligés de te sacrifier... sinon une malédiction va s'abattre sur nous et notre peuple... ainsi que sur tous les royaumes de ce monde...
Mais qu'est-ce que c'était que toutes ces balivernes ? Si elle l'aimait vraiment, elle ne le laisserait pas se faire tuer. Link s'apprêtait à se lever mais la jeune femme à la peau de macassar le bloqua de son bras.
- Une minute ! Ce n'est pas là que je veux en venir ! Ce que j'essaye de t'expliquer depuis tantôt, c'est que je vais essayer de t'aider à t'échapper lors de la cérémonie. Mais pas avant ! Plusieurs gardes patrouillent en tout temps les alentours de la bourgade et t'arrêteraient bien vite. Lors du rite, ils ne seront plus là. Tu sais, ceux qui t'ont aperçu lorsque tu allais détruire la port...
- Moi, détruire la porte ?!
Qu'est-ce qu'elle imaginait ? Qu'il était assez puissant pour défoncer une porte de marbre de plusieurs dizaines de pieds de hauteur ? Le garçon ricana intérieurement. On le prenait donc... pour un vrai héros ? C'était vrai qu'il avait réussi à vaincre Ganondorf, mais là à détruire une colossale construction de pierre...
Il reporta son attention sur la discussion.
- Je... d'accord, je comprends..., fit enfin le jeune homme. Comment vas-tu faire pour que je m'évade avec succès ?
L'indigène sourit. Il lui avait pardonné.
- Je t'expliquerai cela tout à l'heure. Maintenant, c'est le temps pour toi de prendre un petit déjeuner ! Viens, j'ai de bons fruits au miel en réserve !
Et ils prirent la direction du village.
***
La nuit commençait lentement à tomber. Le hululement d'une chouette et le sifflement distinct d'un criquet se faisaient entendre. L'ombre des arbres s'étirait en de longues masses sombres difformes sur le sol graveleux, sous la lumière crépusculaire du croissant de l'astre lunaire. Pour compléter le tout, un grand feu de camp brûlait au milieu de la forêt.
Tous les membres de la tribu s'étaient rassemblés autour des immenses braises flamboyantes. On fêtait l'arrivée du jeune homme annoncé par l'oracle, celui qui avait vaincu la "bêtes des ténèbres" selon la légende des hommes noirs. Le garçon devrait se faire sacrifier sur un autel sacré la nuit même pour les dieux indigènes, et c'est grâce à lui que les grandes portes de la forêt s'ouvriraient enfin. Il se ferait tuer de son plein gré, sinon la prophétie ne se réaliserait pas. Tous les hommes et femmes habitant la clairière vouaient un culte à la construction de marbre. Selon eux, c'étaient les divinités qui avaient posé cet ornement immense au coeur des bois à la création du monde. Link demeurait sceptique. Il ne croyait point en ces récits car, lorsqu'il était venu au Bosquet Sacré lors de sa quête passée - quelques années auparavant -, le colosse de pierre ne se trouvait pas là.
A'guì était aux côtés de Link près des flammes et lui comptait des légendes antiques de son peuple lorsque le chef de la tribu interrompit la discussion qu'ils menaient :
- Ma fille, c'est le temps. Dans moins d'une heure, il y aura l'éclipse. Celle-ci ne devrait durer que quelques minutes, mais lorsque le soleil disparaîtra complètement, le garçon - il pointa le héros du doigt - devra avoir la tête tranchée.
Il fit signe à la fille à la peau d'ébène de le suivre avec son compagnon. Les autres membres de la tribu marchèrent dans leurs pas et ils atteignirent le Bosquet Sacré en moins de quelques minutes. Une grande table de pierre grossièrement taillée avait été installée au centre de la clairière. On demanda à Link de s'y coucher et on l'attacha dessus avec une sorte de racine souple. Celui-ci commença à paniquer, mais A'guì lui fit un clin d'oeil discret qui eut pour effet de le calmer.
On entama une lente prière en langue ancestrale, que le garçon comprenait grâce aux symboles peinturés sur son corps. Il profita de l'inattention des gens sur lui pour évaluer la situation : il était accroché sur le support de pierre et ne pouvait s'enfuir sans que quelqu'un s'en aperçoive. Que faire alors ?
Lorsque les paroles en l'honneur des déesses furent terminées, un grand homme coiffé d'un casque de fer s'approcha de lui. Il tenait une lourde hache qu'il leva brusquement... Alors que Link croyait voir sa vie achevée, une douce mélodie se fit entendre au loin, un chant mélodieux. Il pensa d'abord être le seul à l'ouïr et que c'était cette musique qui annonçait son arrivée dans le monde des morts, mais ce n'était pas le cas. L'individu qui lui servait de bourreau se retourna vers la source du bruit, et tous les autres membres de la tribu firent de même. Une jeune femme s'approchait d'eux... A'guì ! Le chef de la bourgade, la voyant chanter, demeura interdit. À quoi donc pensait-elle ? Le héros vit que plus aucune vigilance n'était braquée sur lui. Il réussit, quoique difficilement, à se défaire des racines qui l'oppressaient contre la table de pierre.
Il s'était glissé discrètement derrière le tronc d'un arbre. La jeune indigène cessa alors de chanter. Son regard se porta aux cieux : l'éclipse était sur le point d'apparaître... Ses lèvres s'étirèrent en un sourire en coin. Son père jeta un coup d'oeil vers l'endroit où devait se trouver le garçon. Il n'était plus là ! Poussant un grognement de colère, il s'élança vers sa fille et la plaqua contre le sol. Voyant sa bien-aimée se faire maltraiter par son père, il sortit de sa cachette et, attrapant une grosse branche qui était tombée à ses pieds, la brandit vers l'homme. Elle percuta de plein fouet son crâne et il s'affala sur le sol.
Ce n'était que le début de l'action. Le sol se mit à trembler soudainement et les individus à la peau d'ébène commencèrent à paniquer. Ça y était ! Le garçon n'avait pas été sacrifié à temps et les dieux les punissaient !
Une grande crevasse se forma juste devant les immenses portes de marbre. Dans un grondement sourd, elles s'ouvrirent brusquement en renversant la table de pierre où le héros était couché il y avait quelques instants sur son passage. Celui-ci était incrédule : l'embrasure s'ouvrait véritablement sous ses yeux !
Tout le monde avait les yeux braqués sur les volets qui s'ouvraient dans un grincement incessant. Link, croyant voir dans l'orifice l'autre côté de la clairière, eut la surprise de sa vie : un maelström immense composé de feu tournoyait dans l'espace vide. À côté d'elle, A'guì semblait tout aussi étonnée que lui ; les autres membres de la tribu de même. Un immense cratère commençait à se former tout autour. La jeune femme reprit contenance et lui fit signe de la suivre. Sous les yeux ébahis du garçon, elle s'avança vers les braises ardentes qui brûlaient et bondit à l'intérieur. Le sol se dérobait sous elle alors qu'elle marchait.
- Vite, plonge Link ! Plonge dans les flammes si tu ne veux pas te faire engloutir sous les décombres de la porte !
Le tintement sourd d'une cloche se fit entendre au loin et le héros sauta à son tour dans le brasier.
***
Luryo avait été finalement relâché par Zelda, celle-ci n'ayant pas assez de preuves authentiques de ses méfaits. Il poursuivait désormais sa recherche des gemmes pour l'épreuve du tournoi. Lorsqu'il avait aperçu le héros pénétrer dans les Bois Perdus, il l'avait suivi discrètement. Peut-être connaissait-il l'emplacement d'une des pierres recherchées ? Il avait eu une facilité déconcertante pour trouver celle qui était dissimulée sous le pont-levis de la plaine d'Hyrule. Avait-il comploté quelque chose avec la princesse pour qu'il devienne à coup sûr le nouveau roi d'Hyrule ? Il ne fallait pas que l'homme prenne de chance. Il voulait mettre fin au parcours du garçon qu'il détestait tant. Luryo ne désirait pas être gouverné par un adolescent.
Maintenant qu'il assistait à la scène de l'écroulement de la porte, il aperçut des fissures se formant dans le sol tout autour de lui. Apeuré, il s'approcha sans s'en apercevoir du remous de flammes. Voyant Link y plonger de son plein gré, il resta béat. Peut-être s'il sautait dans le maelström lui aussi, il parviendrait à trouver une gemme ? Ne prenant pas de risque, il bondit dans le tourbillon.
Avant d'atterrir dans les flammes ardentes, il entendit lui aussi la cloche du Château d'Hyrule. Lorsqu'il disparut, la porte de marbre s'effondra sur lui.
Zelda commençait à s'impatienter, car Link n'était toujours pas revenu de sa recherche des gemmes. Où était-il donc passé ? Un premier tintement de cloche avait retenti et Yvaac, Marc, Frane et Galux étaient déjà arrivés au château. La princesse espérait que ce signal attirerait l'attention du héros. Peut-être avait-il eu un accident ? Non, il ne fallait pas dramatiser.
Frane avait trouvé une seule gemme, cachée au sommet d'un arbre de la Plaine d'Hyrule. Galux, quant à lui, n'en avait trouvé aucune. Marc en avait néanmoins deux, ce qui lui donnait une grande avance sur les autres. Une avait été découverte au lac Hylia, l'autre dans un précipice près du village Gerudo. Pour sa part, Yvaac en avait aussi une, dénichée au sommet d'une falaise.
Luryo tardait, tout comme Link, à arriver. Peut-être avait-il voulu tendre encore une fois un piège au garçon pour qu'il ne rapporte pas ses cristaux à temps ? Etait-il lui-même tombé dans son propre appât avec le héros, alors ? Zelda se posait tant de questions...
Le second tintement de cloche se ferait entendre dans environ une heure. La princesse profita de ce temps pour s'enfermer dans sa chambre, au palais d'Hyrule. Elle était toujours songeuse. Lorsqu'elle s'assit sur son lit, elle se rappela le moment qu'elle avait partagé avec le jeune homme au même endroit, la veille. Il l'avait embrassée sur la joue. Elle ne savait pas pourquoi, mais la future reine avait ressenti une drôle d'émotion à cet instant-là.
Agitée qu'elle était, elle marcha sur un objet sur le sol et trébucha, s'affalant à plat ventre sur la moquette. C'était une grosse boule de verre qu'elle avait renversée. Le globe roula devant elle, jusqu'à atteindre le mur de pierre pour s'arrêter. La princesse attrapa la sphère de ses deux mains et la porta à ses yeux. Mais oui ! Grâce à cet instrument translucide qu'elle tenait - cadeau des déesses, soulignons-le -, elle pourrait entrer en contact avec son défunt père. L'ancien roi d'Hyrule lui serait certainement d'une grande aide pour éclaircir ses idées.
Zelda s'assit à même le sol tapissé de tissu. Elle posa la boule de verre entre ses genoux et essaya d'entrer en transe. Elle y arriva au bout de quelques minutes, quoique difficilement vu son anxiété.
Elle flottait maintenant dans un grand espace vide. Tout était noir autour d'elle, jusqu'au moment où une lueur apparut au loin. C'était l'ombre de son père ! La princesse était très émotive et aurait pleuré en voyant le spectre du roi d'Hyrule si elle avait été dans son corps matériel. Mais elle ne l'était pas, donc se contenta d'être simplement mélancolique.
Daphnes n'avait pas changé depuis sa mort. Il arborait une longue barbe blanche - elle était transparente vu qu'il n'était que l'ombre de lui-même - et quelques touffes de cheveux sur son crâne où était posée une couronne. Son regard était toujours aussi perçant et il portait un habit dans les teintes de rouges et or, symbole de royauté. Si elle l'avait pu, Zelda aurait sauté dans ses bras, mais sa forme immatérielle l'en empêchait.
De sa voix grave, son père se mit à parler :
- Ça va, ma princesse ?
Celle-ci esquissa un léger sourire.
- Ta future reine, tu veux dire...
- Ha ! Ha ! Mais c'est vrai...
Daphnes se tut un instant et redevint sérieux.
- Pourquoi m'as-tu appelé ?
- Je...
Zelda s'empêcha de dire les vraies raisons de la visite de son père. En réalité, elle avait simplement trébuché dans le globe de verre qui lui permettait d'entrer en contact avec lui et, pour oublier sa tristesse, était allée le voir. Elle dit simplement :
- Je suis fatiguée et je voulais te rendre visite, c'est tout...
Cette réponse était suffisante pour Daphnes. Le visage du spectre devint alors sombre.
- Il faut que je te parle de quelque chose, ma fille.
- Mais... de quoi ?
L'apparition s'approcha un peu de la princesse.
- Depuis quelques temps, dans l'Outre Monde, je sens une agitation. Certains spectres veulent se rebeller et s'enfuir de la partie damnée de ce territoire. Ils se lassent de parcourir cette dimension maudite, ils veulent plus de liberté... De plus...
Il hésita à dévoiler la suite, mais continua toutefois :
- De plus, depuis que Ga... Ganondorf erre du mauvais côté de l'Outre Monde, certains esprits du mal se joignent à lui. J'ai bien peur qu'il... qu'il ne revienne semer la discorde en Hyrule...
Zelda en avait entendu assez. Elle lâcha le globe de communication.
Link avait terriblement mal au crâne lorsqu'il reprit conscience. Tout autour de lui était plongé dans le noir, et il sentait un sol froid et dur sous ses fesses. Tâtant les parois rocheuses près de lui, il conclut qu'il était dans une caverne, sous la terre. Il portait encore ses vêtements qui semblaient avoir été brûlés par le feu et son sac pendait toujours à sa ceinture.
- L... Link ?
Le héros sursauta en entendant cette voix.
- A'guì ?
- Link ? C'est bien toi ?
C'était l'indigène, il n'y avait aucun doute.
- Oui, c'est moi... Sais-tu où nous sommes? demanda le garçon.
- Non. Toi ?
- Non plus.
Un silence angoissant prit place entre le jeune homme et l'autochtone. Malaisé, Link tenta de trouver une issue à la grotte. Il abandonna bien vite sa recherche. S'il y avait une quelconque ouverture vers la surface, un rayon de soleil aurait pu lui indiquer le chemin. La lumière étant inexistante en ces lieux, il ne voulait pas risquer de tomber dans une cavité et de laisser son squelette croupir tout au fond pendant l'éternité.
Une question lui venait en tête et A'guì se la posait certainement aussi : comment avaient-ils fait pour atterrir ici, au milieu de nulle part ? Le garçon se rappelait vaguement la cérémonie de son propre sacrifice - qui n'avait pas eu lieu finalement - et du portail en flammes. Avant d'atterrir dans les braises rougeoyantes, il avait cru voir l'immense porte de marbre s'effondrer sur lui. "Peut-être suis-je mort", songea-t-il.
Un craquement sec le tira de ses pensées. Il sentait du mouvement tout près de lui.
- A'guì, c'est toi qui bouges ainsi ?
- Non, je... suis immobile. Je croyais que c'était toi qui t'agitais comme ça.
Link se gratta la nuque.
- Donc, nous ne sommes pas seuls...
Un frisson d'effroi lui parcourut l'échine. Il n'osait même pas s'imaginer le tas de créatures hostiles que pouvait abriter cette obscurité abyssale.
- Aïe !
Dans la noirceur, le jeune homme distingua, quoique difficilement, une masse s'effondrer sur lui. Etait-ce le corps d'une chauve-souris gigantesque ou d'une bête des ténèbres ? Non, ça ressemblait plutôt à celui d'un humanoïde quelconque, car le héros sentit deux mains s'agripper à lui.
- Qui êtes-vous !? s'écria une voix grave que le garçon reconnut aussitôt.
- Lu... Luryo ?
- C'est moi ! On se connaît ?
L'Hylien le lâcha. Il se tut un instant avant de grogner, reconnaissant la voix du jeune homme :
- Ah, c'est toi, misérable gamin. C'est à cause de toi que je suis prisonnier de cette grotte maudite...
- Link, qui est cet individu avec qui tu dialogues ? demanda A'guì. Je ne comprends rien de tes paroles étranges...
- Qui c'est, celle-là ? Elle ne parle pas l'Hylien, on dirait, fit Luryo en s'asseyant sur le sol rocheux.
Link ne savait plus quoi penser et son esprit était embrumé. Il se laissait lui aussi choir sur la pierre et expliqua à son adversaire sa rencontre avec les indigènes, puis l'effondrement de la porte de marbre. Le garçon était surpris que l'homme l'ait suivi jusqu'au Bosquet Sacré et même dans le torrent de flammes, mais il n'en tint aucun mot. Celui-ci s'éloigna finalement de lui et prit place contre une des parois de la caverne. Le héros en profita pour expliquer la situation à la jeune femme à la peau de macassar qui était déconcertée par le flot de paroles dans la langue étrangère entre Luryo et lui.
La fatigue commença à le tenailler. Il ne savait plus trop combien de temps s'était passé depuis sa disparition dans la porte enflammée et il avait sommeil. Pour chasser son ennui, il sortit l'Ocarina du Temps d'une besace à sa ceinture et se mit à en jouer, doucement toutefois pour ne pas déranger l'Hylien.
- C'est toi, Link, qui joues de cet instrument mélodieux ? le questionna A'guì.
Celui-ci lui répondit par la positive et elle se mit à chanter avec le garçon de sa voix angélique. Luryo, plus loin, était tombé endormi.
Lorsque le héros eut terminé de souffler dans son Ocarina, il s'aperçut que sa bien-aimée était tombée endormie. Il appuya sa tête contre la sienne et tomba à son tour dans les bras de Morphée.
Personne n'aurait pu imaginer que ces trois individus se retrouvent simultanément dans cette grotte, au milieu de nulle part, ensemble. Le hasard peut faire de drôles de choses, quelquefois.
Un bruit strident tira Link du sommeil. À sa grande surprise, un rayon de soleil l'aveuglait. Où était-il ? Avait-il réussi à s'extirper de la grotte ? Si oui, comment ?
Le jeune homme était couché dans l'herbe, au milieu d'une grande plaine verdoyante. Son premier réflexe fut de voir si A'guì était encore à ses côtés. Non, elle n'était pas là. Cependant, tout près de lui, une petite bête au museau pointu muni d'un groin était affalée au sol et émettait des plaintes gutturales. Le héros n'en avait jamais vu des semblables à Hyrule. C'était certainement ses gémissements qui l'avaient réveillé. L'animal semblait blessé, donc le garçon s'empressa de lui venir en aide.
Le petit marcassin - où ce qui semblait en être un - avait une patte maculée de sang. Il avait peut-être été attaqué par un autre animal ou avait tout simplement mis le pied sur des galets aiguisés. Link sortit du petit sac qu'il transportait quelques petits tissus d'un blanc uni et les appliqua sur la plaie de la créature. La bête couina de soulagement. Par chance, le jeune homme transportait toujours avec lui quelques plantes médicinales, au cas où il lui arrivait quelque chose au cours de ses aventures. C'était le moment de les utiliser.
Il sortit de sa besace les racines d'une plante aux formes étranges et se mit à les mâcher. Leur goût était pâteux mais elles possédaient plusieurs soins curatifs qui pourraient aider pour la guérison du jeune sanglier et empêcher l'infection de sa blessure. Le héros cracha la mixture gluante dans sa main et se mit à l'étaler sur la patte meurtrie du marcassin, après avoir enlevé le tissu blanc qui la recouvrait. L'animal réussit à se mettre sur pied et commença à trotter lentement dans l'herbe. Link sourit. S'il n'avait pas sauvé cette petite bête inoffensive - du moins, elle l'était pour l'instant - elle aurait certainement été la proie de charognards. Le garçon se leva et scruta l'horizon qui perdait lentement de sa teinte violacée. C'était encore l'aube et il aurait sûrement le temps de se faire un abri pour dormir avant la nuit.
Tranquillement, il se mit en route vers une forêt qui recouvrait un peu plus loin la plaine herbeuse, le sanglier sur ses talons. Il n'avait aucune idée de l'endroit où il se trouvait mais l'important pour l'instant, c'était de survivre. Il avait presque épuisé ses réserves en nourriture et il faudrait qu'il commence à chasser, bientôt. Mais sa principale préoccupation en ce moment, c'était de retrouver A'guì.
Plus il avançait, plus le soleil se levait et plus il faisait clair. Les rayons de l'astre lumineux l'aveuglaient toujours et sa lueur formait des ombres sur le sol. Néanmoins, Link ne se laissait pas faiblir. Lorsqu'il sentait que sa gorge devenait sèche, il prenait une gorgée d'eau dans sa gourde. Même si ses muscles étaient endoloris, il avançait à un rythme régulier.
Le héros arriva bientôt au bois dans lequel serpentait un petit ruisseau d'eau cristalline. Le clapotis constant du liquide n'avait rien d'éreintant, au contraire, le bruit était agréable à l'oreille. Le jeune homme s'aspergea le visage et en profita pour remplir sa bouteille qui commençait à se vider. Il pénétra dans l'amas d'arbres, s'appuyant sur des branches ou des rochers pour ne pas perdre son équilibre.
L'ombre des énormes feuillus et conifères qui formaient la forêt rendait la température plus supportable pour Link qui avait chaud dans sa tunique. Le garçon marchait lentement en regardant de temps en temps au sol devant lui pour ne pas s'enfarger dans une quelconque racine noueuse traversant son chemin. Assurément, cette sylve n'était pas très visitée ; aucune chaussée n'avait été créée pour qu'un individu puisse la traverser.
Le héros se rendit jusqu'à ce qui semblait être un petit étang. Le point d'eau était parsemé de quelques plantes, en particulier des quenouilles. Des nénuphars flottaient à la surface de l'onde calme dans une sorte de mousse verdâtre. Le jeune homme prit place sur un tronc d'arbre qui s'était écroulé au bord de l'eau et bénéficia d'un court temps de repos, avant de se lever et d'assembler un tas de branches d'arbres plus ou moins grosses pour commencer à former un abri rudimentaire. Il fallait bien qu'il se couvre pour ne pas se faire attaquer par des bêtes sauvages durant la nuit ! Link ne connaissait pas les environs et ne voulait prendre aucun risque. S'il avait choisi cette forêt comme refuge, c'est que dans la plaine, il aurait été à découvert et si un orage s'était formé dans le ciel, il aurait eu de grandes chances de se faire frapper par la foudre.
Voilà, il avait fini de confectionner sa couche rudimentaire. Elle était composée de quelques ramures de sapins et de branchettes de toutes sortes par-dessus lesquelles il avait posé une mince fourrure qu'il avait dénichée dans son sac pour se donner plus de confort - il fallait avouer qu'il était toujours torse nu depuis sa rencontre avec les indigènes. Au-dessus du refuge, il avait appuyé des troncs d'arbres de taille moyenne contre un plus grand baliveau pour former une "tente" de bois sommaire. Celle-ci lui permettrait de se couvrir si la pluie tombait, la nuit.
Maintenant sa construction terminée, le héros pourrait se reposer un peu et trouver de quoi se nourrir pour les jours à venir. Il n'avait aucune idée du temps qu'il passerait dans ce monde étrange... Link entra silencieusement dans sa cabane de fortune et se laissa tomber sur le coussin dur que formait son assemblage de tissu et de bois. Le confort de cette installation n'était pas très grand, certes, mais il était tout de même acceptable. Il ferma les yeux. Même si le soleil venait tout juste de se lever, il avait déjà sommeil. Lorsqu'il était sorti de sa torpeur au milieu de la plaine, il se sentait curieusement atteint d'une grande fatigue. Le jeune homme entra dans une sorte de rêve éveillé. À demi-conscient, il vit une silhouette se dessiner dans son esprit. C'était celle de Ganondorf. Il songeait souvent à lui depuis quelque temps, il ne savait pas pourquoi. Une chose était sûre, son apparition dans les cauchemars du garçon n'augurait rien de bon pour lui... Le seigneur du mal, dans son songe, s'approchait dangereusement près de lui. Il grogna :
- Gare à toi, je suis de retour...
À l'extérieur, le marcassin, qui avait suivi le héros durant tout son trajet dans les bois, poussa un couinement aigu avant de s'enfuir.
C'est une vibration sourde qui réveilla le jeune homme, comme un puissant bruit de pas. Le sol tremblait en secousses régulières sous lui. D'abord paniqué, il essaya de se rappeler pourquoi il se trouvait dans cette étrange tente de bois. Lorsqu'il se souvint des événements qui s'étaient déroulés la veille - notamment son passage dans l'étrange tourbillon de feu au moment de la cérémonie des autochtones - il poussa un soupir de découragement. Il n'avait donc pas rêvé tout cela... Il n'eut pas le temps de s'apitoyer très longtemps sur son sort car il dut aussitôt reporter son attention sur les tremblements de la terre qui s'approchaient dangereusement près de lui...
Link possédait toujours à sa ceinture l'épée que lui avait prêtée la princesse. Il dégaina furtivement la lame et sortit de son abri de fortune. Les sens en alerte, il regarda autour de lui. L'obscurité qui s'était levée l'empêchait de voir convenablement les détails qui l'entouraient. De toute façon, la forêt était devenue silencieuse tout à coup. Le héros n'avait tout de même pas halluciné les secousses ! Il avait la certitude de les avoir ressenties... Il attendit quelques minutes sans bouger ne serait-ce que d'un doigt. Il n'y avait plus aucun mouvement aux alentours de son camp de fortune. Le garçon dut croire qu'il avait confondu ses rêves avec la réalité.
Alors qu'il tournait le dos à l'étang, un souffle chaud sur sa cheville le fit sursauter. Ah, ce n'était que le petit sanglier qu'il avait sauvé la journée d'avant... La bête semblait paniquée. Elle bougeait frénétiquement la tête de gauche à droite et poussait des grognements comme si elle voulait lui dire quelque chose.
Danger... Il y a du danger ici...
Mais... qui avait parlé ainsi ?! Le jeune homme savait bien qu'il était venu seul dans la clairière. Du moins, il le croyait... Peut-être l'avait-on suivi lors de son trajet ?
- Hé ! Il y a quelqu'un ?
Aucune réponse. Si quelqu'un avait marché sur ses pas dans la plaine, même de loin, Link l'aurait très certainement aperçu. Il était pourtant certain d'avoir surveillé ses arrières sur le chemin qui l'avait mené ici. Personne ne l'avait talonné, mis à part... le marcassin blessé... Incrédule, il jeta un coup d'oeil à celui-ci...
- C'est toi qui t'exprimes comme ça ? Non, c'est impossible. Les animaux, ça ne parle pas...
Le héros était tout de même perplexe. Qui d'autre aurait pu ou simplement voulu dialoguer avec lui ? Il se dit qu'il se poserait cette question plus tard et décida de suivre l'avertissement qu'on lui avait donné. Rassemblant ses choses à la hâte - il faut avouer qu'il n'en avait pas beaucoup avec lui - il quitta sa construction de bois et s'enfuit de la zone marécageuse.
Au même instant, une créature énorme émergeait de l'eau mousseuse de l'étang.
***
Le soleil se levait tranquillement. Link arriva à bout de souffle à ce qui semblait être une éminence montagneuse. Des amas de pierres - certainement des restes d'éboulis - couvraient le sol rocailleux sous ses pieds. Le petit sanglier boiteux l'avait suivi pendant un bout de temps dans la plaine, maintenant une vitesse assez rapide, mais lorsque les deux compagnons étaient arrivés en territoire plus raide, le jeune homme avait décidé de le transporter dans ses bras. Il ne savait pas pourquoi, mais il éprouvait une certaine affection envers le petit animal qui le suivait toujours dorénavant. Peut-être cette créature lui serait utile à un moment donné, d'une quelconque manière ?
Le héros prit une pause sur un plateau un peu escarpé, tout près d'un précipice. Ce n'était pas l'endroit idéal pour se reposer, mais il n'avait pas trouvé un lieu plus hospitalier dans la montagne. Des galets aiguisés pointaient quelquefois à la surface du sol. En avançant, le garçon devait regarder où il posait le pied chaque fois qu'il faisait un pas. Pourquoi avait-il choisi de prendre la direction de cette élévation en quittant la forêt ? Une force mystérieuse l'avait guidé jusque-là. En jetant un rapide coup d'oeil au loin, de son point de vue, Link put constater que de l'autre côté de la plaine où il s'était éveillé la veille, il y avait aussi une chaîne de montagne qui s'étendait à perte de vue vers l'horizon... Il aurait été d'un côté ou de l'autre en s'enfuyant, cela aurait peu importé. De plus, une étrange fumée noire émanait du bois où il avait établi son camp la nuit précédente. Rien pour le rassurer...
Le garçon ne s'attarda pas davantage sur la forêt qui brûlait et poursuivit sa route sur le chemin abrupt qu'il traversait. En quelques minutes, il atteignit une seconde plate-forme de la culminance rocheuse. Bénéficiant d'un autre court moment de repos, le jeune homme en jouit car la montée devenait de plus en plus ardue. Lorsqu'il aurait fini son ascension de la montagne, il devrait entamer sa descente... Enfin, sa traversée des éminences glacées terminée, il se retrouverait sûrement en sol plus stable et plat. Selon lui, la seule façon de retrouver A'guì ou un portail menant vers Hyrule était de sillonner les lieux à la recherche d'indices.
Plusieurs heures de marche passèrent sans que Link ne vît le temps passer. Il avait grignoté quelques-unes de ses provisions en chemin, mais ses réserves de nourriture s'épuisaient dangereusement. Il ne lui restait plus, dans sa besace qu'il trimballait avec lui, que quelques tranches de viande salée et des morceaux de pain séché et ranci. Il aurait dû profiter de son passage dans la forêt pour cueillir des petits fruits et chasser le gibier, mais la fatigue avait eu raison de lui. De toute façon, il ne possédait pas l'équipement nécessaire pour traquer des bêtes et ignorait quelles plantes poussant en bordure de la chaussée produisaient des semences comestibles.
Le cycle de jour devait être beaucoup plus rapide dans ce monde qu'à Hyrule, car le soleil avait déjà atteint son zénith et il amorçait lentement sa déclinaison. Le héros devrait rapidement trouver un endroit pour passer la nuit, que ça soit une cavité dans la pierre ou un abri naturel entre deux rochers. Ce n'était pas chose facile à faire... Les lieux hospitaliers étaient rares dans le coin. Pour empirer les choses, plus l'altitude qu'il atteignait était haute, plus la température devenait basse et plus l'air manquait. Le jeune homme s'était maintes fois arrêté durant sa traversée de la montagne. Par chance, le petit marcassin qui se tortillait dans ses bras semblait être habitué à ce genre de climat... Au moins, Link n'aurait pas à craindre pour la vie de la créature...
Tout juste avant que l'astre lumineux ne disparaisse de l'horizon, le garçon découvrit un interstice entre deux amas pierreux. C'était l'endroit droit rêvé pour s'installer pour la nuit à venir... Le héros ne se laissa pas prier et glissa dans le trou qui s'était formé naturellement. Il déboucha dans une caverne étroite où s'amoncelaient stalactites et stalagmites. L'endroit était plongé dans l'obscurité et seule une petite partie de la cavité était visible, grâce aux rares rayons de soleil qui parvenaient à y pénétrer. Chose étonnante, le sol poussiéreux était couvert de cendres noires. Peut-être étaient-ce les résidus d'un volcan maintenant éteint ? Bien que cette hypothèse était peu probable, le jeune homme s'y fit. Il se coucha à même le sol crasseux, sans couverture ni oreiller, et s'endormit aussitôt. Le bébé sanglier vint se blottir près de lui, se roula en boule puis, poussant un couinement de satisfaction, sombra lui aussi dans le sommeil.
C'est la lumière éblouissante du soleil qui éveilla A'guì. La jeune indigène était couchée sur ce qui semblait être une immense feuille d'arbre repliée sur elle-même. Lorsqu'elle constata qu'elle était en fait à plusieurs mètres du niveau du sol, elle fut prise de vertige. Tout autour d'elle se dressaient des troncs d'une grandeur monumentale. Comment avait-elle fait pour atterrir ici ? Était-elle dans un songe ? Ça, elle n'en avait pas la moindre idée...
Elle sursauta en apercevant sur une branche, tout près de l'endroit où elle se trouvait, un petit singe gesticulant comiquement qui semblait la regarder avec intérêt. Le primate était tout petit. Il avait de grands yeux exorbités qui lui conféraient un air cocasse. L'autochtone reprit contenance et se mit à l'examiner avec attention. Lorsque l'animal parut remarquer qu'on le fixait, il s'enfuit à grands bonds, sautant d'une branche à l'autre jusqu'à ce qu'il disparaisse dans le feuillage dense de la forêt.
Reportant son attention sur la situation périlleuse dans laquelle elle se trouvait, la jeune femme noire tenta donc de trouver une façon de s'extirper de la feuille géante dans laquelle elle était coincée. Elle mit ses mains de chaque côté de son corps et poussa de toutes ses forces sur la membrane verdâtre. Celle-ci s'ouvrit sur elle-même, accordant la liberté de mouvement à sa prisonnière qui s'empressa de sortir du piège à la hâte. A'guì fut soulagée de constater que tous ses biens avaient été conservés durant de son transport dans ce monde étrange.
Elle-même ne savait pas ce qui l'avait poussé à pénétrer dans le tourbillon de flammes lors de l'effondrement de la porte du Sanctuaire de la forêt, pendant la cérémonie du sacrifice de Link qui n'avait finalement pas eu lieu. Elle avait suivi son instinct en posant ce geste, voyant que le sol commençait à s'écrouler tout autour d'elle. Le héros habillé en vert l'avait suivie dans le maelström. Ensemble, ils s'étaient retrouvés dans une grotte étrange avec un homme dont elle ignorait l'identité. Puis elle s'était éveillée ici, au milieu d'une sylve composée d'arbres géants. L'indigène espérait qu'il ne lui était rien arrivé de mal par sa faute. Et puis son père... Des larmes se mirent à couler sur ses joues tandis qu'elle imaginait le pire pour lui. Il était certainement tombé dans une crevasse qui s'était formée suite au tremblement de terre qui avait ébranlé les environs de la bourgade. Sa fille espérait qu'il n'était pas mort parce qu'elle ne l'avait pas écouté quand il lui avait dit que son compagnon devait être sacrifié devant la porte de marbre. Elle lui avait désobéi et les dieux l'avaient certainement puni. Soit dit en passant, son peuple vénérait les mêmes dieux que les Hyliens, sauf que les membres de ceux-ci leur donnaient un nom différent.
Elle essuya ses pleurs du revers de sa main et porta son attention sur le décor insolite qui l'entourait. La jeune femme à la peau d'ébène était perchée sur haute branche qui offrait un magnifique point de vue sur les alentours. La forêt s'étendait à perte de vue jusqu'à l'horizon, et elle perdait lentement de sa verdoyance pour prendre une teinte bleutée plus elle s'éloignait. Sans ambages, elle aurait de la chance si elle parvenait à retrouver Link sous ce manteau d'épais feuillage. A'guì avait devant elle un panorama exceptionnel qui lui fit peu à peu oublier ses pensées négatives. Malencontreusement, elle n'avait pas de temps à perdre si elle voulait retrouver son ami d'Hyrule. Cherchant des yeux une irrégularité de l'arbre sur lequel elle se trouvait ou une branche flexible qui lui permettrait de descendre jusqu'au sol sans danger, elle trouva plutôt une liane qui pendait juste en dessous d'elle. Elle effectua un saut et se laissa glisser sur la pousse pour atterrir agilement sur la mousse qui couvrait l'une des racines du feuillu surdimensionné. Il lui restait tout de même une bonne élévation à dévaler avant d'atteindre le sol. Elle bondit donc en se crispant et ce fut par chance une feuille géante qui amortit sa chute qui aurait presque pu lui être fatale.
Aucun sentier distinct ne semblait avait été tracé sur ce territoire qui était sûrement vierge. Qui avait bien pu grimper tout en haut de l'arbre où elle s'était éveillée et la poser à l'intérieur d'une feuille sans qu'elle ne s'en rende compte ? Était-elle plutôt tombée du... ciel ? Son esprit était embrumé et elle se dit qu'elle songerait à tout ça plus tard... Elle fit quelques pas vers l'avant et prit place sur un petit rocher qui se trouvait non loin d'elle. Se mettant à observer la nature qui l'entourait, la jeune femme conclut qu'elle n'était plus à Hyrule, mais bien dans ce qui était sans aucun doute une autre dimension où se déroulaient, il semblait, des phénomènes inquiétants, et ce monde n'avait rien de rassurant.
- Mais où ai-je bien pu atterrir ? murmura-t-elle pour elle-même, inquiète.
Elle était seule au milieu d'un boisé dont elle ignorait l'existence jusqu'alors... Les plantes n'avaient rien de semblable à celles qu'on retrouvait à proximité de son village. En plus d'être couvert d'arbres monumentaux, le sol était parsemé de quelques arbustes et d'une multitude d'autres végétaux de toutes tailles. Si cela lui avait été familier, elle aurait facilement pu trouver de quoi subsister durant quelques jours. Mais là, c'était différent... Elle ne saurait différencier un fruit comestible et un fruit incomestible ici. Pour empirer les choses, la faim lui tenaillait déjà l'estomac.
A'guì s'était levée et tentait déjà de trouver quelque chose qu'elle pourrait se mettre sous la dent, quand un bruit sec parvint à ses oreilles. C'était une sorte de cliquetis qui lui disait vaguement quelque chose... Elle se retourna vivement pour tenter de déterminer d'où provenait ce son et ce qui l'avait produit, or tout était immobile derrière d'elle, excepté la ramure des arbres qui se balançait au gré du vent. Quelques grandes fleurs de couleur foncée poussaient çà et là sur la terre graveleuse. Croyant que c'était simplement ses sens qui lui avaient joué un tour, l'indigène poursuivit calmement sa route vers un quelconque plan de fruits sauvages. Néanmoins, l'éclat sonore se fit entendre de nouveau, plus près d'elle cette fois. Agacée, la fille à la peau de macassar ne prit pas la peine de faire pivoter sa tête pour voir d'où émanait le chuintement. Elle aurait cependant dû, car une masse gluante la tira subitement vers l'arrière pour la projeter fermement au sol. L'autochtone connaissait les Mojo Baba, ces plantes animées qui s'en prenaient à tous les individus qui passaient à proximité d'elles, mais elle n'avait jamais vu un végétal similaire possédant tant de fougue.
- Argh ! Lâche-moi, sale bête ! s'écria-t-elle en essayant de se libérer de son emprise.
La créature oppressait le sommet de son crâne de plus en plus fortement. Si A'guì ne se défaisait pas de l'influence de la fleur carnivore, celle-ci l'avalerait tout rond. Elle se mit à hurler. Dans un élan de rage, elle planta ses ongles dans la tige de la pousse pour essayer de la faire céder. Par malchance, le monstre était beaucoup plus vigoureux qu'elle.
Ses pensées s'embrouillaient peu à peu. Elle perdait lentement l'usage de ses sens. L'indigène adressa une courte prière aux divinités hyliennes - dans son dialecte, appelées Dan, Fawove et Nauty - pour qu'elles l'acceptent dans l'Outre Monde, avant de fermer les yeux. La plante était en train de l'engloutir presque complètement. Elle qui avait été si forte durant toute sa vie, il fallait qu'elle meure de cette façon ridicule.
Alors qu'elle croyait que sa vie allait prendre fin dans les prochains instants, elle se vit tirer hors de la mandibule de la créature et entendit une voix masculine lui murmurer à l'oreille :
- C'est fini maintenant...
Elle perdit conscience.
Luryo ouvrit les yeux. Le mince filet de lumière qui parvenait à ses yeux lui permit de constater qu'il était sur le sol froid d'une petite caverne, certainement sur le flanc d'une montagne. Rapidement, les souvenirs de la pénombre dans laquelle il s'était éveillé après avoir plongé dans la porte en flammes, en suivant Link, lui revinrent en mémoire. Où ce gamin l'avait-il encore fait atterrir ? Fulminant intérieurement, il se mit en position assise et scruta les alentours. Un petit passage menait à la surface, à quelques pas de lui. Le fourbe homme s'empressa de l'emprunter. Il eut tout juste le temps de s'arrêter devant ce qui semblait être une immense cavité dont le fond, plongé dans l'obscurité, lui était indiscernable. S'il ne l'avait pas aperçu à la dernière seconde, il aurait certainement basculé dans le vide et aurait aussitôt mis fin à sa vie en se fracassant le crâne contre les irrégularités rocheuses du trou. Son cadavre aurait croupi dans les profondeurs abyssales pour l'éternité. Il serra les dents. La seule issue qu'il aurait pu emprunter pour quitter cet endroit était impraticable. Il aurait fallu qu'il ait un grappin ou une corde pour pouvoir se balancer de l'autre côté du creux, ou alors qu'il exécute un prodigieux bond vers cet endroit d'où la lumière lui parvenait.
Soupirant, il revint sur ses pas et s'assit sur le sol rugueux sur lequel il s'était éveillé il y avait quelques instants. Il agrippa la gourde d'eau qui pendait à sa ceinture - celle-ci avait miraculeusement survécu à son passage dans le tourbillon de feu - et la porta à ses lèvres. Après en avoir pris plusieurs gorgées, il la replaça à sa taille. Il ne restait plus que quelques gouttes dans le récipient, et Luryo n'aurait rien d'autre pour étancher la soif qu'il allait certainement éprouver dans les prochaines heures. Sur le coup, il avait oublié qu'il était dans un endroit sans issue et qu'il ne découvrirait évidemment aucune source d'onde ici, dans les entrailles de la terre, au milieu de nulle part. Il ne lui restait plus qu'à dépérir silencieusement.
Le vil Hylien s'était adossé contre une paroi de la grotte et se mettait à ruminer de sombres pensées sur le sort qui l'attendait, lorsque son regard s'arrêta sur un coin plus sombre de la caverne que le reste de celle-ci. Lentement, ses yeux s'étaient habitués à l'obscurité ambiante, et il percevait de mieux en mieux les détails de ce qui l'entourait. Au début, il avait accordé peu d'importance à son milieu quand il avait trouvé l'issue vers l'extérieur qui s'était révélée vaine, puis la rage, lorsqu'il était retourné vers le lieu de son réveil, l'avait fait ignorer les irrégularités de l'excavation rocheuse qui s'étendait autour de lui. Il n'avait pas remarqué qu'un trou avait été formé dans le roc, non loin d'où il se trouvait. C'était certainement une cavité naturelle, mais peut-être menait-elle à l'extérieur ?
Luryo s'empressa de s'y rendre. Le plafond de la grotte était haut et il ne risquait pas de se frapper la tête contre celui-ci en marchant, même s'il se tenait bien droit. Un gros rocher dissimulait la crevasse dans la pierre. Celle-ci était assez grande pour qu'un homme puisse se faufiler à l'intérieur aisément, bien qu'il y marchât à quatre pattes. Sans réfléchir, hâté d'être à l'air libre, l'ennemi de Link se glissa dans le trou. Il était assez costaud, et devait donc mettre ses bras sous lui pour avancer dans le tunnel rocheux sans se frapper les coudes contre les côtés de celui-ci. Bientôt, il fit totalement noir et l'Hylien ne put se fier qu'aux autres sens que sa vue pour se guider. Il chemina ainsi durant quelques minutes, se tortillant frénétiquement pour franchir certains passages plus étroits que d'autres. Enfin, il déboucha sur une vaste pièce faiblement éclairée par un rayon de soleil venant d'un trou pratiqué sur le plafond en dôme de celle-ci. Mais... si cette ouverture avait été créée à cet endroit précis, c'est que quelqu'un avait percé la pierre pour laisser passer la lumière de l'astre solaire ! Il était très improbable que la nature ait formé cet orifice toute seule.
La salle était cependant vide, dénuée d'objets. Le sol était assez lisse, mais non sans posséder quelques aspérités ici et là. De gros stalactites laissaient couler des filets d'eau qui, à leur tour, créaient des stalagmites, formant d'immenses colonnes rocheuses à travers la pièce. Un petit passage était visible entre deux de ces piliers naturels. Luryo l'emprunta. Il menait dans un petit tunnel de roc. L'Hylien n'avait pas fait un pas qu'un son de crissement, semblable à un bruit de pas parvint à ses oreilles, le faisant sursauter. C'étaient certainement ses sens qui lui jouaient des tours. Autour de lui, de ce qu'il pouvait discerner dans le noir - les murs de pierre et la surface sur laquelle il marchait -, tout était normal. Il poursuivit donc son chemin sans se poser des questions. Mais le bruit se fit de nouveau entendre. Une lueur apparut soudain au bout de la galerie. C'était un éclat orangé et sa lumière vacillait comme celle... d'une flamme. Luryo s'approcha silencieusement du scintillement insolite. À sa grande surprise, une ombre était distinguable derrière la lueur. C'était celle d'une créature de petite taille qui avait certainement une torche à la main. Le prétendant au trône d'Hyrule s'arrêta. Il ne semblait pas avoir été repéré par l'humanoïde. L'homme n'osait pas bouger. Certes, la bête à la silhouette floue aussi restait immobile. Luryo, inquiet, se mit à avancer à pas très lents vers la lumière du feu qui dansait au bout du tunnel. À son grand soulagement, il constata que ce n'était pas une quelconque bestiole qui tenait un flambeau qui en était la source, mais bien la statue d'un individu dans les mains duquel brûlait de la résine dans un crépitement. Qui avait bien pu l'allumer ? À Hyrule, il existait plusieurs forces aux pouvoirs inexpliqués, donc le rival de Link ne s'inquiéta pas trop de cette illumination surnaturelle. Depuis son passage dans la porte enflammée du Bosquet Sacré, plus rien ne l'impressionnait, ou presque, mais pas cet embrasement spontané d'une torche.
Une fois redevenu calme, Luryo se mit à examiner la sculpture creusée dans la pierre. Avec étonnement, il se rendit compte qu'elle représentait la déesse hylienne de la force, Din. Ce n'était pas pour rien qu'un feu brûlait au creux de ses paumes. Elle avait été façonnée dans une pierre différente de celle qui l'entourait, donc on l'avait certainement installé là dans un but précis. Ses yeux, étincelants à la lumière vacillante des flammes, étaient faits de rubis. Elle portait des boucles d'oreilles faites d'une pierre précieuse qui lui était inconnue et un pendentif incrusté d'un superbe joyau pendant à son cou. L'Hylien était un homme avare et il ne put s'empêcher de s'imaginer la fortune qu'il pourrait faire avec ces petites gemmes, s'il retournait un jour d'où il venait et les vendait. D'ailleurs, était-il encore au royaume de Daphnes ? Ça, il n'en avait pas la moindre idée. Ce qui importait, pour l'instant, c'était de trouver une fichue issue à ce dédale rocheux. Or, le tunnel dans lequel il avait marché était un cul-de-sac. Il était coincé à l'intérieur de cette caverne et ne verrait peut-être plus jamais la lumière du soleil. La déesse lui avait-elle fourni cette lumière pour le guider vers un quelconque but ? Non, c'était impossible... N'y pouvant plus, il tendit le bras et, d'un mouvement sec, arracha l'ornement qui formait le collier de la divinité.
Au même moment, les globes oculaires de la statue se mirent à briller d'un éclat aveuglant, comme si elle prenait vie. Apeuré, Luryo tomba à genoux et, tremblant, posa le bijou devant la sculpture qui allait peut-être bientôt s'allumer. Il bredouilla :
- Je... je suis désolé ! Je... ne voulais pas profaner votre représentation ! Je vous en prie, ne me faites pas de mal ! Pitié...
Sans vraiment s'en rendre compte, accroupi, il reculait, s'éloignant lentement de la dame en pierre au regard rutilant, dont les yeux devenaient de plus en plus insupportables à regarder, ce dont l'ennemi de Link se garda bien de faire. Et puis, tout d'un coup, il entendit un cliquetis et le sol se déroba sous lui.
Il était tombé dans un trou sorti tout droit de nulle part. Lorsqu'il avait pris la direction de la lumière au bout du tunnel, il avait bien vite remarqué que le sol parsemé de roches de différentes grosseurs était stable et assez régulier, et qu'il ne courait pas le danger de basculer dans une quelconque cavité dissimulée quelque part. Maintenant, Luryo, dont tout d'abord la chute avait été verticale, se voyait glisser dans un passage qui prenait une inclinaison de plus en plus horizontale. La descente dura un long moment. Enfin, l'Hylien déboucha sous ce qui semblait être une cascade et atterrit... dans l'eau, dans une grande éclaboussure. Il cala pendant un court moment, mais remonta vivement vers la surface de l'onde en agitant ses jambes. Lorsqu'il émergea, il constata avec soulagement qu'il était à l'extérieur. Un rayon de soleil atteignant ses yeux affaiblis par l'obscurité le confirma. En quelques coups de brasse, il atteignit le bord de la source dans laquelle il avait plongé. Une brise chaude soufflait, faisant flotter ses longs cheveux noirs derrière lui. Ses habits ne mettraient sûrement pas beaucoup de temps à sécher. Il jeta un coup d'oeil rapide autour de lui. Une forêt luxuriante s'étendait aux alentours de la chute, celle-ci puisant son giclement tout en haut d'une immense montagne au sommet couvert de glace. C'était à l'intérieur de celle-ci que l'homme s'était retrouvé à son éveil. Il régnait alors dans la grotte une froideur glaciale. Était-ce aussi là-dedans qu'il avait rencontré Link et une jeune femme au dialecte bizarre ? Le héros avait paru s'entendre étrangement bien avec cette demoiselle... La connaissait-il déjà ? Peut-être que Luryo avait tout simplement rêvé cette rencontre biscornue ? Il n'en avait aucune idée...
Maintenant assis aux abords du trou d'eau, il faisait défiler dans son esprit les événements qui s'étaient succédé depuis le début de la Chasse aux gemmes. Tout d'abord, il avait été surpris par les soldats de la princesse alors qu'il s'apprêtait à attaquer son ennemi à la tunique verte. On l'avait amené devant celle-ci. Or, pour une raison inconnue, Zelda l'avait laissé poursuivre sa recherche des globes vitreux. L'Hylien s'était empressé d'aller rejoindre Link et le prendre discrètement en filature. Il voulait voir si la fille de Daphnes prenait un parti pris pour le garçon, en lui donnant des renseignements sur l'emplacement des cristaux convoités des prétendants au trône. Luryo s'était retrouvé au Ranch Lon Lon et l'avait vu échanger quelques mots avec la fille de son propriétaire. Le jeune homme avait donc pris la direction du village Cocorico, puis de la cité Goron. Finalement, il s'était dirigé vers la Forêt Kokiri, où son opposant n'avait jamais voulu aller. Peut-être s'était-il aperçu que le fourbe individu le suivait et voulait le mettre en déroute ? L'homme ne s'était pas laissé impressionner par la pénombre mystérieuse qui couvrait ce boisé magique. Le gamin l'avait conduit dans un petit village où, semblait-il, tous les habitants étaient des enfants. Il avait pénétré dans les Bois Perdus, était finalement arrivé au Bosquet Sacré puis... avait disparu. Luryo s'était aménagé un camp de fortune à proximité du gigantesque chambranle de marbre qui avait été installé dans la clairière. La porte qui y était incrustée semblait mener sur nulle part. Jusqu'au premier retentissement de la cloche annonçant la fin de l'épreuve, au moins, le vil personnage voulait être certain que le héros ne trichait pas. Avant que les deux autres tintements ne se fassent entendre, il aurait certainement le temps de trouver une ou deux des perles qu'il recherchait. Presque une journée avait passé avant qu'une troupe indigène arrive près de la construction géante. Sur une modeste table qui avait été posée devant les battants de pierre, on avait installé... Link ! Ses poignets avaient été liés au meuble rudimentaire à l'aide de racines végétales. L'ami de la princesse avait certainement été capturé par ces individus à la peau noire. Luryo avait frétillé de joie en s'imaginant le sort qui lui était réservé. Il serait certainement sacrifié lors d'un de ces barbares rituels que font les sauvages, en de rares occasions. La lune était bien ronde dans le ciel. Un bourreau s'était avancé vers le gamin. Il serait bientôt hors d'état de nuire aux projets de l'Hylien. Son temps était compté. Au grand désarroi de l'homme, alors qu'il allait assister à son exécution, une étrange mélodie s'était répercutée jusqu'à ses oreilles. Celui qui était supposé le décapiter s'était tourné vers la source de ce bruit. Le temps qu'il se rende compte de la disparition de sa victime, celle-ci était déjà loin de lui. Luryo l'avait vu s'enfuir dans le bois dense sans qu'il ne puisse rien faire. Il était furieux... L'ennemi du héros n'avait pu essayer de concevoir à qui appartenait la voix féminine qui avait chanté que le sol s'était mis à trembler sous lui. De ses propres yeux, il avait vu la colossale porte qui surplombait la forêt commencer à s'écrouler sur elle-même, et un tourbillon de feu s'était formé en son centre. Ne suivant que son instinct, il avait plongé à l'intérieur, suivant Link qui avait fait de même. Un peu plus tard, il s'était réveillé dans une étrange caverne complètement plongée dans les ténèbres, puis dans une autre faiblement éclairée.
Un cri perçant retentit de la forêt, derrière Luryo, le tirant de ses pensées. Il était vraiment tombé dans la lune ! Vivement, il se retourna pour voir qui avait poussé le hurlement. Un peu plus loin, entre les immenses arbres qui formaient la riche jungle, une silhouette diffuse semblait se débattre avec une plante semblable à celles qu'ont les Mojo Baba. Tout en courant, l'Hylien se dirigea vers l'individu en détresse. En quelques enjambées, il l'avait déjà atteint. Une jeune femme à la peau d'ébène était presque engloutie par un immense végétal carnivore. Dégainant le petit glaive qui pendait à sa ceinture - celui-ci avait été conservé lors de son voyage dans ce monde mystérieux - il trancha la tige de la fleur animée. Sa tête, dans les teintes de bleu, tomba lourdement au sol. Il dégagea le corps inerte de l'indigène de la gueule du monstre, avant de lui souffler à l'oreille que tout était fini.
Un déclic se fit dans son esprit. La fille du chef de la tribu autochtone n'était nulle autre que celle qui avait chanté au Bosquet Sacré, certainement dans le but de sauver Link, et celle qui avait atterri dans la grotte avec lui et le héros.
C'est avec un mal de tête épouvantable qu'A'guì se réveilla. La femme à peau noire se mit en position assise et posa les mains sur ses tempes. La migraine atroce qui la tenaillait ne lui permettait pas de se concentrer sur autre chose que son mal. Elle resta ainsi immobile durant plusieurs minutes. Enfin, la douleur se dissipa. Elle leva les yeux pour constater avec étonnement qu'un charmant jeune homme la regardait fixement de ses yeux sombres. Tout d'abord, elle fut soulagée, car elle n'était pas la seule dans ce monde mystérieux peuplé de créatures toutes aussi étranges les unes que les autres. Mais depuis combien de temps l'observait-il ainsi avec intérêt ? L'indigène se trouvait encore dans l'immense jungle dans laquelle elle avait atterri il y avait peu de temps. Combien de temps s'était écoulé depuis qu'elle s'était réveillée dans l'immense feuille repliée sur elle-même au faîte d'un arbre ? Elle n'avait plus aucune notion du temps. Justement, que faisait-elle là, installée sur la souche d'un gigantesque tronc qui était certainement mort il y avait très longtemps ? Elle se rappelait qu'une immense fleur bleue carnivore l'avait gobée lorsqu'elle avait passé à proximité de celle-ci. Après, plus rien. Elle avait certainement perdu conscience après qu'une voix lui ait murmuré quelque chose à l'oreille. Mais... c'était certainement celle de ce garçon !
Un long silence s'insinua entre les deux individus. L'homme semblait trouver la timidité de l'indigène amusante, car un demi-sourire se dessinait sur ses lèvres. L'autochtone, par contre, était très embarrassée. C'est son regard énigmatique et perçant qui la clouait sur place. A'guì sentait qu'il avait quelque chose d'attirant, et elle ne pouvait s'empêcher d'arborer une mine gênée en le voyant.
Luryo trouvait aussi que la demoiselle à la peau de macassar était séduisante. Il n'était jamais vraiment tombé amoureux, et ce n'était pas maintenant qu'il allait commencer, se disait-il. Mais il éprouvait un certain malaise en la voyant. C'était un sentiment nouveau pour lui, il ne savait décrire ce qui l'habitait. Il ne connaissait presque rien aux femmes. La mère de l'Hylien était morte juste au moment où celui-ci naissait, donc il n'avait jamais vraiment eu d'autre représentation féminine que sa seule et unique soeur Loja, qui avait vécu au milieu d'une famille composée uniquement de mâles. Celle-ci avait rapidement quitté la maison pour aller rester avec son amant, car elle avait déjà atteint l'âge de la majorité au royaume de Daphnes. Soit dit en passant, il était le dernier né des cinq enfants, bien sûr, car sa génitrice s'était éteinte en le mettant au monde.
Cessant de contempler le joyau que la nature avait placé sur son chemin, le prétendant au trône d'Hyrule se décida à rompre l'absence de paroles échangées. D'une voix chevrotante, il bégaya :
- Bonjour, je... euh... je m'appelle Luryo.
Il n'avait jamais autant manqué d'assurance de toute sa vie. Ses mains étaient moites. Nerveusement, il chassa une mèche de cheveu rebelle qui lui tombait devant les yeux. L'indigène affichait un faciès hébété. Les paroles de l'Hylien étaient complètement incompréhensibles pour elle. Ce dernier se rappela qu'elle ne parlait pas le même dialecte que lui. Il l'avait entendue parler avec Link dans la grotte obscure où il s'était retrouvé après avoir plongé dans le maelström, au Bosquet Sacré. Comment le gamin avait-il pu apprendre cette langue biscornue ? Comment avait-il rencontré cette autochtone ? Il l'ignorait. Pour l'instant, ce qui importait pour lui, c'était de ne pas paraître idiot devant une femme.
La demoiselle à l'épiderme d'ébène ne l'observait plus. Elle fouillait maintenant dans un petit sac de cuir qu'elle portait au niveau de la taille. Elle sortit une petite fiole contenant un liquide sombre et opaque de la besace, ainsi qu'un objet qui ressemblait drôlement à un pinceau. Sous les yeux ahuris de Luryo, elle s'approcha de lui et... lui fit signe d'enlever son chandail ! Interdit, il s'exécuta quand même. L'autochtone plongea son instrument semblable à une brosse dans la mixture insolite qui se trouvait dans le flacon et se mit à dessiner une série de symboles mystérieux sur son torse.
- Mais qu'est-ce que... ? bredouilla-t-il.
Toutefois ravi de la proximité de la jeune femme, il la laissa finir son travail. Ensuite, elle rangea soigneusement ses choses dans sa petite sacoche.
- On se comprend mieux désormais, non ? fit A'guì d'une voix cristalline, un sourire accroché aux lèvres.
L'homme reconnut tout de suite la voix de la fille, l'ayant entendue dans la grotte sombre lorsqu'elle parlait à Link. Or, cette fois-là, elle parlait un dialecte totalement différent du sien. Ahuri, l'homme mit un peu de temps avant de comprendre que c'était grâce aux dessins qu'elle avait dessinés sur son corps qu'ils pouvaient maintenant communiquer entre eux. Comment la jeune indigène avait-elle exécuté ce prodige ?
- Je voudrais te dire merci, ajouta-t-elle. Merci de... m'avoir sauvé la vie...
La fille à la peau de macassar conservait un accent qui n'avait rien d'Hylien. Luryo répliqua :
- Ce n'est rien ! Je t'ai entendue crier et... et je suis venu à ton secours. N'importe qui te serait venu en aide dans de pareilles circonstances.
A'gu'ì plissa les yeux avant de demander :
- C'est toi qui étais dans la grotte plongée dans le noir et qui adressais la parole à Link, non ?
- Oui, c'est bien moi...
- Moi-même, j'ignore comment nous avons fait pour nous trouver les trois dans cet endroit ténébreux et ensuite... ici. Je me demande bien où est le garçon aux vêtements verts et aux oreilles pointues comme les tiennes. Je commence à m'inquiéter pour lui...
Sa curiosité l'emportant sur sa discrétion, l'Hylien la questionna :
- Comment... comment as-tu rencontré Link ?
L'indigène lui raconta brièvement comment une troupe de guerriers de sa tribu dirigée par son père avait trouvé le héros à proximité de l'immense chambranle qui dominait les Bois Perdus. On l'avait amené à la bourgade. Après un bref entretien avec le père de l'autochtone, le garçon avait voulu s'enfuir du village. On l'avait vite rattrapé et amené de force devant un autel sacré pour que les divinités le débarrassent des mauvais esprits qui habitaient son corps. Pour l'empêcher de décamper de nouveau, on l'avait solidement attaché avec des liens. Il s'était vite calmé. Ce n'était non pas à cause de l'influence que les personnages célestes exerçaient sur lui, mais bien parce qu'il avait un plan en tête, ce que la jeune dame ignorait. De toute manière, Link avait oublié ses idées d'évasion apercevant la demoiselle à la peau noire, qui l'avait en quelque sorte envoûté. Le jeune homme avait appris qu'il devait être sacrifié devant la gigantesque porte le soir venu, car une prophétie, celle "de Hulma" selon ce qu'il avait pu comprendre, en disait ainsi, et la tribu indigène était très vouée à sa religion. Il s'était tout d'abord révolté, mais lui et A'guì avaient préparé un plan de fuite. La fille, même si elle avait ensorcelé le pauvre adolescent, tenait à ce qu'il reste en vie. Au moment où il allait être décapité, elle avait chanté de sa plus belle voix. Le héros avait profité de l'inattention de son bourreau pour quitter la table qui était supposée être son lit de mort et se cacher dans la végétation environnante. À son grand désarroi, le sol s'était mis à trembler et des crevasses s'étaient formées autour de lui. Étaient-ce les déesses qui étaient en colère ? Nul ne le savait. Les colossaux volets de pierre s'étaient ouverts dans un bruit assourdissant. Des flammes s'étaient mises à tourbillonner au milieu du chambranle qui semblait donner sur nulle part. Ne suivant que son instinct - car elle voyait bien que la palissade dans laquelle était incrustée la porte était sur le point de s'effondrer -, l'autochtone s'était jetée à l'intérieur, suivie de Link et enfin de Luryo qui n'avait vu que le garçon se précipiter dans le maelström. Tous trois avaient perdu conscience et l'avaient repris dans un endroit dépourvu de lumière.
L'Hylien était suspendu aux lèvres de l'indigène. Il comprenait maintenant mieux les circonstances des derniers instants qu'il avait vécus dans le royaume de Daphnes. Le héros était donc certainement lui aussi quelque part dans ce monde étrange. Malgré lui, même s'il le haïssait, il espérait que le gamin revienne indemne à Hyrule, car sinon on porterait assurément le blâme de sa disparition sur lui et on l'enverrait aux cachots, s'il revenait au Château. Il songea au récit que la jeune femme à la peau de macassar venait de lui faire. Il avait apprit des choses qu'il ignorait jusqu'alors, mais plusieurs questions lui demeuraient cependant en tête. Il posa la première qui lui vint à l'esprit :
- Qu'est-ce donc cette "prophétie de Hulma" dont tu m'as parlé ?
Les deux individus étaient maintenant assis sur un petit rocher. Après l'avoir libéré de l'emprise de la plante carnivore en abattant celle-ci, Luryo avait amené la jeune dame près de la chute du haut de laquelle il avait plongé dans le point d'eau en émanant de la montagne d'où venait sa source. C'était là qu'elle s'était éveillée après être revenue à elle.
La fille répondit à la question que l'homme avait posée antérieurement :
- Cette prophétie a été écrite - car oui, mon peuple pratique l'écriture depuis longtemps - par un très ancien oracle qui habitait notre petite cité à ses débuts. Cette personne était l'un des premiers habitants de la bourgade. Autrefois, nous étions un petit peuple nomade qui venait de très loin. Nous avons parcouru une longue route dans les Bois Perdus. À un moment donné, nous avons atteint ce que vous appelez le Bosquet Sacré. Peu de gens connaissent l'existence de cet endroit mythique mais surtout dangereux, excepté quelques personnes, notamment des gens de l'entourage de la princesse, car, bien sûr, Daphnes est mort depuis quelques temps. Tu te demandes certainement d'où je tiens tous ces renseignements. Notre tribu possède plusieurs objets anciens, dont des globes de cristal qui nous permettent de voir au-delà de notre territoire. Malheureusement, je ne l'ai pas avec moi.
Elle marqua une courte pause avant de poursuivre :
- Pour revenir au sujet initial, mes ancêtres sont un jour arrivés à la clairière à proximité de laquelle nous nous sommes installés par la suite. Parmi ces voyageurs se trouvait le vénérable oracle Hulma. C'était le chef de la cohorte. Plusieurs le vénéraient. En quelques mots, sa prophétie disait qu'un jour, "quand celui qui tentera de détruire la Porte viendra, il sera décapité devant celle-ci lorsque le soleil disparaîtra". Je ne crois pas à toutes ces balivernes, donc j'ai aidé Link à s'évader... Et si elles se révélaient vraies, mon père a certainement mal interprété l'augure.
Le héros avait vraiment vu la mort de près. Luryo songea aux paroles qu'A'guì venait de prononcer avant de la questionner de nouveau :
- Est-ce vous qui avez bâti l'immense porte de pierre au Bosquet Sacré ?
- Bien sûr que non ! Une journée, nous nous sommes éveillés, et cette colossale construction surplombait la forêt. La vieille, elle n'y était pas. Aucun mortel n'aurait pu concevoir un objet aussi formidable en moins d'une nuit. Ce sont certainement les déesses qui nous ont offert ce cadeau.
- Vous... vous priez aussi Din, Farore et Nayru ?
- Évidemment ! Ce sont les grandes créatrices du monde ! Comment ne pouvons-nous pas leur vouer un culte ?
- Je croyais qu'elles avaient simplement créé Hyrule.
- Le monde est plus vaste que vous ne le pensez. Heu... je ne t'ai pas encore demandé ton nom. Qui es-tu ?
L'Hylien se présenta. Une foule d'interrogations se bousculaient encore dans son esprit. Maladroitement, il demanda :
- Pourquoi... pourquoi n'avons-nous jamais entendu parler de votre tribu ?
Aguì sourit. Elle répondit :
- Ce n'est pas que nous ignorons l'existence des Hyliens, bien au contraire, mais nous nous faisons assez discrets, il faut avouer. De plus, peu de gens s'aventurent dans les Bois Perdus, et encore moins au Bosquet. Veux-tu que je t'éclaircisse sur un autre point, Lu... Lieuro ?
- Luryo, la corrigea-t-il en ne pouvant s'empêcher de sourire à son tour. Oui, j'ai une dernière question : m'aurais-tu envoûté par hasard ?
- Non, pourquoi ?
L'homme s'approcha doucement d'elle et posa un baiser sur ses lèvres.
Tous les défunts d'Hyrule, y compris les êtres néfastes, atteignaient l'Outre Monde au moment de leur trépas. Cet immense territoire avait été aménagé par les déesses pour que chaque âme puisse y vivre en paix après sa mort. Il était divisé en deux grandes parties : une pour les bonnes gens, l'autre pour les vils personnages. Si un individu était trop mauvais, on pouvait le condamner à l'errance éternelle : son esprit était envoyé dans un espace vide qui s'étendait vers l'infini. C'est là que Ganondorf s'était retrouvé après avoir été défait par Link, mais il avait trouvé la façon de quitter ce lieu à l'insu de Din, Farore et Nayru, nul ne sait comment. Maintenant, il tentait de revenir à la vie pour une ultime fois.
Dans la dimension des décédés, bien qu'immatérielle, on avait cependant l'impression d'être dans notre corps physique. Même si on ne pouvait pas mourir, la douleur pouvait se faire sentir. Le monde des damnés était très différent de celui des bienfaisants. Sa principale superficie était couverte d'un désert aride où ne régnaient que chaleur et chaos. Au sud, une série de volcans constamment actifs s'étendait. Au nord, un enfer de glace était balayé par de puissantes rafales. Finalement, une chaîne de montagnes dans lesquelles s'enfonçaient plusieurs grottes nébuleuses couvrait l'ouest. À l'est, une épaisse barrière de brume séparait le monde des ténèbres de celui-ci de la lumière.
Le maître du mal avait pris comme refuge une plateforme au-dessus de la pierre en fusion, à l'intérieur d'un volcan. La montagne de feu crachait un épais nuage de fumée noire opaque, qui dissimulait Ganondorf du regard des déesses qui guettaient souvent la dimension de leur création pour s'assurer de sa stabilité. Pour l'instant, le seigneur du malin n'était que l'ombre de lui-même, mais il possédait de nombreux alliés dans la mauvaise partie de l'Outre Monde. L'un des spectres avec qui il s'était associé s'appelait Gwalit. Dans sa vie humaine, il avait commis de nombreux méfaits et était l'auteur de plusieurs meurtres. Il était originaire d'un village reculé fondé dans les lointaines contrées montagneuses, derrière la Montagne de la Mort. On l'avait exécuté sur la place publique de la cité, après l'avoir pris en flagrant délit dans l'une de ses infractions. Gwalit était un homme fortement bâti. L'ennemi de Link lui avait fait croire qu'il prendrait possession d'Hyrule avec lui une fois sa besogne terminée avec le héros, mais il n'en était rien. Ganondorf avait eu une grande facilité à l'amadouer, l'homme ayant un esprit corrompu par le mal.
L'odieux personnage se présenta devant son maître. Celui-ci s'était aménagé un trône de fortune dans la paroi pierreuse du volcan. Il était difficile de respirer en ce lieu. L'air brûlant de la montagne de feu était chargé en vapeurs toxiques, mais puisqu'il était impossible de mourir empoisonné dans l'Outre Monde, cela importait peu aux deux vils individus. Gwalit avait emprunté l'unique passage menant au repaire du maître des ténèbres pour parvenir jusqu'à lui, soit un petit passage créé à même le roc de la chambre magmatique. Non, les esprits évoluant dans cette dimension ne pouvaient pas voler, ils marchaient comme avant le moment de leur trépas.
Le seigneur du malin prit la parole de sa voix gutturale :
- As-tu exécuté la tâche que je t'ai commandée de faire, Gwalit ?
L'homme s'inclina devant Ganondorf avant de répondre :
- Maître, oui, bien sûr, sinon je ne serais pas venu jusqu'à vous. J'ai pris possession du corps de la princesse d'Hyrule et j'ai réussi à tuer Daphnes en versant du poison dans un gobelet d'eau que je lui ai apporté. Le roi n'y a vu que du feu, croyant que c'est Zelda qui lui offrait ce verre de bon coeur.
Le seigneur du malin émit un rire rauque et enroué.
- Je te félicite pour ton travail. Encore une fois, je doutais du succès de ta mission. As-tu emprunté le portail que je t'avais conseillé pour te rendre au royaume des mortels ?
- Oui, bien sûr, Maître. C'est le moyen le plus efficace pour y parvenir...
Un silence, angoissant pour Gwalit, s'insinua entre celui-ci et Ganondorf. Le maître des ténèbres réfléchissait. L'autre homme espérait qu'il ne songeait à un châtiment à lui infliger, car souvent son maître s'amusait à faire souffrir des âmes errantes pour son simple plaisir.
- Il se trouve que j'ai une autre tâche à te confier. Cette fois-ci encore, elle est très importante. En fait, elle dépend de mon salut. Jusqu'alors, je n'étais pas assez puissant pour pouvoir voyager à travers l'Outre Monde en me couvrant d'un voile pour me défiler du joug des déesses, mais maintenant, ma puissance s'accroît de jour en jour. J'aurais besoin que tu regroupes discrètement tous les êtres et créatures qui étaient sous mon commandement alors que mon pouvoir s'étendait sur la terre des Hyliens, et qu'ensuite, tout en assurant mon invisibilité aux yeux de Farore, Din et Nayru, que tu m'amènes à eux. À ce moment, je pourrais revenir au royaume d'Hyrule, et tous ses habitants seront sous mon emprise !
Gwalit laissa son maître en liesse à lui-même et quitta le repaire de ce dernier.
***
L'homme ne revint vers Ganondorf que quelques jours plus tard. D'une voix chargée d'indignation mais surtout d'humiliation, il déclara :
- Maître, j'ai réussi à réunir bon nombre de vos monstres et de nouveaux êtres, mais malheureusement certaines de vos créatures refusent de se lier de nouveau à vous. Ils assurent que vous allez encore subir un échec face au... au garçon à la tunique verte.
Gwalit palpait bien la rage qui émanait du maître des ténèbres. Il souhaitait que celui-ci n'abatte pas son courroux sur lui, ce qu'il avait maintes fois fait. Le spectre n'était pas aussi puissant que lui, et s'il avait eu l'audace de s'hasarder à répliquer à l'un de ses dires, ça en aurait déjà été fini pour lui. Le seigneur du malin avait de nombreux autres serviteurs que lui, et il aurait tôt fait de le remplacer en de telles circonstances. L'ennemi de Link poussa un puissant hurlement de colère, faisant trembler les parois de la montagne. Son cri était inhumain. Son subalterne plaqua les mains contre ses oreilles. Au bout de quelques instants, Ganondorf se tut enfin. Il demanda, dans un grognement :
- Je dispose de combien d'effectifs, environ, pour mes armées ?
- Vous avez plus d'une centaine d'êtres sous votre commandement, Maître. Autant des Pestes Mojos que des Hache-Viande, ou encore d'autres créatures que vous n'avez jamais commandées encore...
- Par exemple... ?
- Et bien... j'ai réussi à tenir en respect un type de scorpion immense. Si vous le jetiez sur Link, il aurait tôt fait de le déchiqueter en morceaux. J'en ai capturé plus d'une dizaine...
Le seigneur des ténèbres sembla se calmer un peu, mais son faciès demeura tout de même figé dans la même expression d'irritation. Gwalit demeura silencieux. Son maître grommela :
- Je vais me satisfaire de ces monstres pour le moment. Mais lorsque j'aurai imposé ma domination sur le royaume du défunt Daphnes, je n'hésiterai pas à faire coalition avec tous les êtres malfaisants qui peuplent le monde des mortels.
Ganondorf se leva et fit quelques pas mal assurés vers son serviteur. Conservant son équilibre tant bien que mal, il frotta ses mains l'une contre l'autre.
- Maintenant, amène-moi vers mes créatures, ordonna-t-il. Ce soir, lorsque le soleil de sang se couchera dans la mauvaise partie de l'Outre Monde, je gagnerai Hyrule. Maintenant que j'ai déstabilisé le peuple avec le trépas de leur stupide souverain, le royaume sera mien dans peu de temps.
Le maître des ténèbres émit un rire machiavélique. Gwalit déglutit.
Zelda était adossée dans l'un des luxueux fauteuils de sa chambre et fixait la moquette d'un air vague. Il y avait un peu plus d'une demi-heure, le deuxième tintement de la cloche annonçant le retour des participants à la Chasse s'était fait entendre, et Luryo et Link n'étaient toujours pas revenus. La fille de Daphnes avait demandé à ses soldats de l'avertir lorsque les deux individus reviendraient. Ce n'était pas qu'elle avait peur que le garçon ne monte pas au trône avec elle, mais plutôt qu'elle se demandait ce qui lui était arrivé. Elle était certaine que Luryo avait manigancé quelque chose contre lui. La princesse n'aurait pas dû le relâcher après qu'il se fût fait prendre en train de menacer le jeune homme de son épée...
On cogna à la porte de la pièce. Le battant s'ouvrit, et c'est l'une des domestiques de Zelda qui apparut dans son entrebâillement. Elle annonça :
- On demande à vous voir, ma princesse. Ça m'a l'air urgent, mais voulez-vous que je fasse quand même un peu attendre votre invi... ?
La servante n'eut pas le temps d'achever sa phrase que la future reine lui coupa la parole :
- Non, faites-le entrer immédiatement.
Croyant qu'on lui annonçait la tant attendue arrivée de Link, elle se leva et lissa nerveusement les plis de sa robe froissée. Elle s'apprêtait à quitter sa chambre pour venir à la rencontre de son hôte lorsque celui-ci se présenta au seuil de la porte. La fille de Daphnes reconnut Naec. C'était l'un de ses soldats les plus hauts gradés. Malgré ses vingt-deux ans, il commandait les militaires d'une main de fer.
- Et puis, Naec, Link est-il revenu ? demanda avec empressement Zelda.
Le guerrier répondit :
- Bonjour, princesse. Pour répondre à votre question : non, pas encore. Luryo non plus n'est encore revenu. Il reste moins d'une demi-heure avant que...
- Oui, je sais, moins d'une demi-heure avant le dernier retentissement de la cloche annonçant la fin de la chasse. Mais je suppose que ce n'est pas pour cette raison que tu es venu me voir avec une telle hâte...
Le combattant d'élite inspira profondément avant de déclarer :
- Non, à vrai dire, je vous apporte des nouvelles plutôt troublantes. Nous avons envoyé des éclaireurs dans les Bois Perdus pour chercher les deux derniers participants à l'épreuve et les gemmes y étant cachées, suite à l'ordre qu'on avait reçu de vous. Vous connaissez l'existence du Bosquet Sacré, non ?
- Oui, bien sûr, répondit la fille de Daphnes. C'était un lieu de culte secret voué aux déesses... avant que les viles créatures de... de Ganondorf ne s'y installent. Je crois qu'elles ont déserté maintenant, mais je n'ai jamais osé m'y aventurer après la défaite du seigneur du mal. Pour dire vrai, je suis plutôt surprise que toi, tu aies connaissance de cet endroit. Qu'est-il arrivé en ce lieu qui semble tant te troubler ?
- Et bien... comme je disais, j'ai envoyé des soldats aller chercher Luryo et Link au Bosquet Sacré, mais nous avons trouvé... un immense cratère, dans lequel il y avait un champ de ruines, dans la clairière. Comme si le sol s'était effondré... Plusieurs arbres étaient engloutis sous les débris et nous avons même découvert... la dépouille de corps ensanglantés.
Zelda porta une main à sa bouche, étouffant une exclamation de surprise.
- Mais que s'est-il passé à cet endroit ? Il me semblait qu'il n'y avait aucune construction de taille à cet endroit... mis à part le Bosquet Sacré.
- Nous l'ignorons. Cependant, nous avons pu remarquer que le symbole de la Triforce était gravé sur les énormes blocs de pierre qui composaient le vestige.
- Serait-ce là un avertissement des déesses pour le retour de Ga... ?
- Pardon ?
- Laisse tomber... Tu m'as aussi dit qu'on a retrouvé des corps sous les décombres. Qui sont ces gens ? Des Hyliens ?
- Ce sont des individus dont la peau paraît calcinée, selon nos observations. Un incendie avait commencé à se propager dans les bois lorsque nous sommes arrivés. Nous avons réussi à l'éteindre tant bien que mal... Nous avons réussi à dégager quelques survivants, mais je crains qu'ils ne restent en vie très longtemps... Présentement, quelques-uns de mes hommes essaient de les soigner. Ils parlent un dialecte autre que l'Hylien, selon toute vraisemblance.
La princesse s'était laissée tomber dans un fauteuil de sa chambre. Levant les yeux au plafond, elle murmura :
- J'espère que Link n'était pas de ces personnes mortes...
Naec quitta la pièce, laissant la fille de Daphnes à ses préoccupations.
Link levait les yeux au ciel. Il s'apprêtait à quitter le Grand Marché lorsqu'un immense vaisseau marqué de dessins étranges se posait dans un nuage de fumée au milieu de la foule qui l'entourait. Il était tiré par des créatures ressemblant à des dragons. Une grande silhouette sortait de l'engin. Le héros croyait reconnaître Ganandorf, mais lorsqu'il essayait de discerner qui était l'individu, il se réveillait.
Voilà le rêve que le jeune homme faisait presque à chaque fois qu'il sombrait dans le sommeil. Cette fois-ci encore, ce songe lui était venu. L'ami de la princesse ouvrit les yeux. Il se trouvait encore dans la crevasse dans laquelle il s'était couché la veille. Le soleil était déjà assez haut dans le ciel. Ses chauds rayons parvenaient dans l'interstice dans lequel Link s'était installé avec le marcassin avant de s'endormir. Parlant de lui... où était-il ? Le garçon avait beau regarder dans toutes les directions, il ne voyait l'animal nulle part. Le petit sanglier n'aurait pu escalader la paroi rocheuse tout seul ! Le héros haussa les épaules. Il avait assisté à tellement de phénomènes insolites que presque plus rien ne l'étonnait.
Il se dégagea du trou dans lequel il s'était endormi et scruta l'horizon. Les montagnes s'étendaient loin devant lui. Ne reviendrait-il jamais à Hyrule ? Il poussa un long soupir. Il était exaspéré. Depuis qu'il avait atterri dans cette étrange dimension, il sentait la détermination le quitter. Il ne comprenait pas. N'avait-il pas déjà acquis la Triforce du Courage durant sa dernière quête ?
Pour oublier ses tracas, Link se remit en route sur le sol cahoteux de la montagne. Il songea au marcassin qu'il avait soigné dans la plaine, il y avait de cela près de deux nuits - les jours étant plus courts dans ce monde, cela équivalait à environ une journée et demie à Hyrule. La petite bête était blessée et le garçon avait pansé sa plaie béante à la patte. Par la suite, l'animal n'avait pas cessé de le suivre, allant même jusqu'à grimper dans la montagne avec lui. Or, ce matin, il avait disparu mystérieusement... Le héros s'était un peu attaché à cette créature, mais il savait bien qu'étant sauvage, elle ne serait heureuse que dans la nature...
Le jeune homme atteignit le sommet de la montagne un peu avant que l'astre solaire n'atteigne son zénith. Une fine couche de neige couvrait cet endroit, et de petits flocons tombaient du ciel. Le garçon ne s'attarda pas à cet endroit. Il entreprit la descente de l'élévation. Lorsque le soleil se coucha, il avait déjà parcouru une bonne distance. Or, il n'était pas fatigué. Il chemina donc ainsi jusqu'aux premières lueurs de l'aube. Quand il atteignit enfin la base de la montagne, il était presque midi. Il s'était accordé de courtes pauses en route, mais il fallait maintenant qu'il dorme.
Son sommeil fut léger et de courte durée. Il s'était installé un abri de fortune entre deux rochers. Une vibration sourde le tira des bras de Morphée. La secousse était semblable à celle qu'il avait sentie lorsqu'il s'était aménagé une petite tente dans le boisé marécageux de la plaine. Link se dressa sur son séant. Plusieurs monolithes l'empêchaient de distinguer ce qui produisait cette agitation. Il se mit en position debout et scruta les alentours. Il ne pouvait avoir halluciné. Il y avait vraiment eu un tremblement de terre.
Il y eut une nouvelle saccade, plus forte cette fois. Le héros dut s'appuyer sur un rocher pour ne pas perdre son équilibre. Un silence inquiétant régnait autour de lui, comme si la vie avait quitté cet endroit. Un étrange effluve de brûlé parvint aux narines du jeune homme. Le vent siffla tout près de ses oreilles. Avant même qu'il ne puisse se retourner, une douleur cuisante lui lacéra le dos. En poussant un hurlement, il s'affala au sol et perdit conscience sur le coup.
***
Quand Link reprit ses esprits, il était couché au même endroit qu'avant qu'il ne tombe inconscient. Rapidement, la souffrance de la blessure dans son dos lui revint. Le héros se tourna sur le ventre pour l'atténuer, mais en vain. La douleur était toujours aussi cinglante. Il resta dans cette position inconfortable longuement, jusqu'à ce que quelque chose de visqueux entre en contact avec la peau nue de sa plaie. Le jeune homme sursauta, mais étrangement, cet effleurement eut l'effet d'un baume pour lui. Une série de picotements lui parcourut l'échine, puis son mal se dissipa. Ses muscles étaient encore douloureux, mais c'était plus endurable qu'avant. Lentement, il se dressa sur son séant, cherchant ce qui avait pu lui venir en aide. Lorsqu'il trouva enfin ce qu'il cherchait, il demeura bouche bée, interloqué.
Une immense créature couverte d'écailles immaculées aux reflets rougeoyants se dressait devant lui. Elle devait au moins faire trois fois la hauteur du garçon et sa longueur était comparable à celle de plusieurs chevaux mis bout à bout. Ses pattes étaient musclées et deux puissantes ailes semblables à celles d'une chauve-souris, mais en plus gros, étaient attachées à son dos. Link comprit qu'il faisait vraisemblablement face à un dragon. Un mince filet de fumée s'échappait des naseaux du reptile. Son souffle chaud caressait le visage du héros. Au grand soulagement de ce dernier, la bête ne montrait pas les crocs, signe évident qu'elle ne lui voulait aucun mal. De plus, le regard mystique qui émanait de ses yeux sombres n'avait heureusement rien de menaçant. C'était certainement la créature écailleuse qui avait léché la blessure du jeune homme. Elle l'avait nettoyée du même coup, donc elle risquerait moins de s'infecter maintenant. Prudemment, le garçon s'avança vers le reptile. Le dragon approcha ses naseaux de son corps et se mit à le renifler. Étrangement, Link n'éprouvait aucune crainte envers cet animal. Or, il devinait que c'était lui qui l'avait griffé. Pourquoi la bête l'avait-elle léché ensuite ? L'avait-elle tout d'abord pris pour un ennemi ?
Négligeant le fait que la créature pourrait bien lui cracher un jet de flammes en pleine figure, il posa une main sur le museau du dragon. Le reptile ne fit aucun geste pour l'arrêter. Au contraire, il baissa la tête, comme pour lui indiquer de monter sur son dos... ce que le héros fit sans hésiter. Prenant comme point d'appui une écaille de la créature, il grimpa sur son cou puis s'installa entre deux des petites piques qui parsemaient son encolure et qui descendaient jusqu'à l'extrémité de sa queue, à un endroit où ses écailles étaient plus aplaties. La bête releva la tête. Le garçon ne tenta pas de sauter au sol. Une force mystérieuse l'attirait chez cet animal et l'empêchait de s'éloigner d'elle.
Le dragon déploya ses ailes. La possibilité qu'il puisse s'envoler n'avait même pas effleuré l'esprit du jeune homme. Tout d'abord, il paniqua. Mais quelque chose en lui, il ne savait quoi, lui disait de rester où il était. Il resserra sa prise sur l'encolure du reptile. En quelques puissants battements d'ailes, il était déjà en vol, prenant la direction de l'horizon, non pas du côté de la plaine, mais bien du côté où les montagnes s'étendaient à perte de vue, dans la direction où Link se dirigeait jusqu'alors. À dos de cette créature, il voyagerait beaucoup plus rapidement et parviendrait certainement à retrouver A'guì dans des délais plus brefs. Il espérait que la bête aux écailles cramoisies n'effraierait pas son amie, lorsqu'il viendrait à sa rencontre.
Luryo et A'guì marchaient main dans la main. Depuis quelques jours, ils avançaient sans dire un mot. Ils avaient depuis longtemps quitté la jungle dense, et maintenant ils avançaient dans un vaste espace plane. Rien n'indiquait qu'il y avait de la vie humaine dans les environs. Mais peu importait pour eux. L'indigène ne s'était jamais sentie aussi bien en compagnie d'un homme, pas même Link. Pourtant, elle qui durant toute sa vie avait été polygame, ne désirait maintenant que se trouver dans les bras d'une seule personne : lui.
L'Hylien n'avait que quelques années de plus qu'elle, soit environ vingt-cinq ans. L'opposant de Link avait lentement perdu sa haine envers le héros, mais il lui tenait encore une certaine rancoeur, qu'il essayait de dissimuler lorsque sa dulcinée lui parlait de lui. Il n'était jamais tombé amoureux de sa vie. Il y avait de cela peu de temps, il considérait les femmes comme une perturbation aux hommes. Mais lorsque son regard avait croisé celui de l'autochtone, cette idée ne lui avait plus effleuré l'esprit.
La jeune femme à la peau de macassar ignorait comment Link réagirait lorsqu'il la verrait en compagnie de son ennemi. Peut-être accepterait-il sa décision ? Ou encore il éclaterait en sanglots ? Elle ne pouvait le déterminer. La fille aimait encore le garçon à la tunique verte, mais moins qu'avant. Elle espérait que quand viendrait le moment de retourner à Hyrule - s'ils y parvenaient - ils resteraient de bons amis.
A'guì et Luryo arrivèrent à proximité d'un petit ruisseau à l'eau cristalline qui, à leur grande surprise, était traversé par un pont de bois qui n'avait rien de naturel. Les amants furent soulagés de constater qu'ils n'étaient pas les seules créatures pourvues de conscience à évoluer dans ce monde insolite. Un petit banc de pierre se trouvait à proximité de la rivière. L'Hylien et l'autochtone y prirent place.
- Il y a certainement un village à proximité d'ici, si l'on a construit un pont pour traverser ce cours d'eau, déduisit l'homme.
La jeune femme à la peau d'ébène acquiesça de la tête. Elle semblait avoir la tête ailleurs.
- Je me demande si je vais un jour revoir mon père et les gens de la tribu. S'ils ne sont pas... s'ils ne sont pas...
Elle ne put achever sa phrase, car elle éclata en sanglots. Luryo l'étreignit et lui tapota affectueusement le dos. Lui aussi avait des craintes quant à ce qui se passait maintenant à Hyrule suite à l'effondrement de l'immense porte de marbre dans la forêt. Le royaume de Daphnes n'avait tout de même pas disparu ! L'Hylien avait aperçu des fissures se former dans le sol quand le chambranle de pierre s'était écroulé et qu'un maelstrom de flammes s'était formé à l'intérieur.
- Ne te fais pas du mauvais sang, dit-il dans le but de la rassurer, mais sa voix n'était pas assurée.
Ils restèrent longtemps enlacés. Quand ils se séparèrent, A'guì avait encore les yeux rouges, mais elle semblait s'être calmée. Luryo se leva et alla remplir sa gourde qui était presque vide dans l'eau de la rivière, avant d'aller l'amener à sa compagne qui y porta ses lèvres afin d'étancher sa soif, cette dernière n'en ayant aucune sur elle. Lorsque ce fut fait, ils se mirent debout et poursuivirent leur cheminement vers un quelconque village.
Le paysage verdoyant laissait peu à peu place à une étendue couleur de blé. D'immenses champs s'étendaient autour d'eux. Une chaussée semblait commencer à se dessiner au sol. Les amants l'empruntèrent. Ils marchèrent pendant longtemps. L'astre solaire commençait lentement à décliner dans le ciel qui prenait une teinte pourpre. Ils devraient bientôt se trouver un endroit où s'installer pour dormir. Les journées ne duraient que quelques heures dans cette dimension. Il fallait se hâter.
L'obscurité finit par s'installer complètement autour de l'indigène et de l'Hylien. Les ténèbres étaient oppressantes. Luryo aperçut une silhouette floue avancer vers eux, à l'horizon. L'ombre se précisait. C'est une personne totalement humaine qui croisa leur chemin, au grand soulagement d'A'guì et de son amant. L'individu s'arrêta devant eux, leur bloquant la route. Une flamme apparut au coeur de sa paume, sous les yeux ébahis des tourtereaux. Le personnage les toisa du regard avec curiosité. Sous la lumière du feu, on put discerner son visage avec précision. C'était un vieil homme à la peau ridée, probablement dans la soixantaine. Ses cheveux étaient grisonnants et il exhibait une petite barbichette. L'éclat de sa flamme se reflétait dans ses yeux d'un noir sombre.
- Que faites-vous sur les routes à cette heure ? demanda-il d'une voix rauque. Des bêtes sauvages rôdent dans le coin, la nuit. Vous devriez retourner chez vous en vitesse.
- C'est que... nous n'avons pas d'habitation, bredouilla Luryo.
L'autre homme le regarda avec stupeur.
- Quoi ? Mais d'où venez-vous, alors ?
L'Hylien craignait que le personnage ne le croie pas sur parole, mais puisqu'il semblait pratiquer la magie, il lui raconta qu'il avait été aspiré par un torrent de feu et qu'il s'était retrouvé dans une grotte, puis dans une autre, tandis que sa dulcinée avait atterri dans une jungle dont la flore était d'une grosseur anormale. Le vieillard écouta son récit sans sourciller. Lorsque l'opposant de Link eut achevé son histoire, l'homme âgé dit simplement :
- Je comprends. Vous n'êtes donc pas de ce monde. Venez, suivez-moi. Je vais vous conduire jusqu'à la cité.
- Quelle cité ? le questionna la jeune femme à la peau noire.
Ils s'étaient mis à marcher sur le chemin de terre battue en suivant le personnage.
- Mais... A'guì? Tu comprends quand cet homme te parle et pourtant aucun symbole n'est dessiné sur son corps !
- Nous parlons certainement le même dialecte. En effet, c'est étrange...
- Je ne sais pas de quoi vous discutez, les interrompit le barbu, mais pour répondre à ta question mademoiselle, nous nous dirigeons présentement vers le village d'Onoa.
- Il me semble avoir déjà entendu ce nom quelque part, chuchota l'indigène en réfléchissant à voix haute.
Le trio continua à marcher en silence, jusqu'à ce que Luryo le rompe, s'adressant au vieillard :
- Étant donné que nous allons sûrement faire un bon bout de chemin ensemble, pourrions-nous connaître votre nom ?
Le vieil homme lui apprit qu'il s'appelait Abaek. Après la réponse de ce dernier, le petit groupe avança sans dire un mot de plus. Les champs s'étendaient à perte de vue de chaque côté d'eux. Ils étaient tous déserts. Que faisait Abaek ici, alors ? Luryo n'osa pas lui poser la question.
Une petite brise fraîche s'était levée. Sur la toile obscure de l'horizon, l'Hylien aperçut un flamboiement se détacher des ténèbres. Voyant sa mine curieuse, l'autre homme lui expliqua :
- On appelle ces flammes le Feu Éternel. Nous le nourrissons constamment pour ne pas qu'il s'éteigne, même lorsqu'il pleut.
- Et... pour quelle raison ?
- Nous vouons un culte au grand dieu du feu, Eluld.
Ils continuèrent à marcher. Au loin, on pouvait maintenant discerner les murailles de ce qui était certainement une grande ville. Voyant cela, A'guì chuchota à l'oreille de son amant :
- Je me souviens ! J'ai déjà entendu parler d'Onoa dans une légende. J'ignorais que cette cité existait vraiment. On dit que ses habitants ont la capacité de se transformer en animaux...
Au même moment, un cri déchirant retentit dans les ténèbres, glaçant le sang de l'indigène et de l'Hylien.
En entendant le hurlement, A'guì avait agrippé le bras de son amant. Abaek s'était précipité devant eux. Son faciès s'était assombri. Pendant un instant, son regard était resté immobile, comme s'il communiquait mentalement avec quelqu'un d'autre - c'est ce que l'Hylien pensa. Puis il s'était tourné vers Luryo et sa dulcinée.
- Une tribu minotaure de l'ouest attaque Onoa. Ça devient de plus en plus fréquent ces temps-ci. Nous sortons toujours vainqueurs de ces petites escarmouches. Il y a un petit arbre par là-bas, dit-il en pointant un baliveau qui croissait à proximité de la chaussée qu'ils empruntaient. Grimpez-y et essayez de vous cacher dans son feuillage. Ne posez pas de questions. Faites ce que je vous dis. Je reviendrai vous chercher d'ici l'aube. Et si je ne reviens pas... et bien...
Sa phrase fut interrompue par un autre hurlement lointain. Il n'ajouta pas un mot de plus. Luryo avait compris le message. Il n'était pas vraiment effrayé, mais il tenait à la sécurité de l'indigène. Il suivit donc les consignes que l'homme leur avait données et aida la jeune femme à grimper dans l'arbre, avant d'y monter à son tour. Il n'eut le temps de se cacher complètement dans son feuillage qu'il aperçut une masse sombre sur le chemin qu'ils empruntaient jusqu'alors avancer dangereusement vite du village en direction d'Abaek. Ce dernier, sous leurs yeux étonnés, se métamorphosa alors en un félin au pelage noir. C'était un lynx. Dans les ténèbres opaques, ses yeux opalescents brillaient d'une faible lueur. L'animal se mit en position d'attaque.
Les traits de la bête se détendirent quand elle constata que ce n'était qu'un groupe d'hommes d'Onoa qui venait vers lui. Étrangement, aucun d'eux n'était armé. Abaek reprit sa forme humaine. Après avoir échangé quelques mots avec ce qui semblait être le commandant de la petite armée, il se transforma de nouveau en lynx. Les autres Onoadiens firent de même. A'guì étouffa un cri de surprise. Dans la marée de créatures sombres, ils ne savaient plus qui était l'homme qui les avait guidés vers le village. Le groupe d'hommes-animaux s'éloigna en quelques grandes enjambées. Avant de disparaître derrière les murailles d'Onoa, l'un d'eux poussa un grognement sourd.
La jeune femme à la peau d'ébène et Luryo restèrent longtemps cachés dans le feuillage dense de l'arbre dans lequel ils avaient grimpé. Au loin, provenant du village, ils pouvaient entendre les bruits de pièces de métal qui s'entrechoquaient et les cris gutturaux de créatures dont ils ne désiraient pas savoir la nature. Le combat dura jusqu'aux premières lueurs de l'aube. A'guì s'était assoupie. L'Hylien s'hasarda à descendre du baliveau. Une faim atroce lui tenaillait l'estomac. Bien sûr, sur leur chemin, ils avaient mangé des petits fruits qu'ils avaient trouvés en bordure de la route de terre. Mais cela ne suffisait pas. Il rêvait déjà d'une bonne tranche de viande rôtie. L'ancien ennemi de Link ne connaissait rien aux animaux qui habitaient dans cette région. Il ne voulait surtout pas tuer une bête qui se révélerait être un Onoadien. Il se dit que dans le village, on aurait peut-être quelque chose à leur servir, à lui et à son amante. La bataille semblait être terminée derrière les murailles. Luryo grimpa dans l'arbre et secoua doucement le bras de l'indigène.
- Réveille-toi, A'guì. Je propose qu'on aille jeter un coup d'oeil à Onoa. Peut-être qu'on pourra nous offrir à manger.
La jeune femme ouvrit lentement les yeux. Pendant quelques secondes, elle sembla déconcertée. Elle venait de rêver de Link. Dans son songe, le héros volait à dos de dragon en sa direction. Un sourire indéfinissable s'étirait sur ses lèvres. Elle secoua la tête. Ce n'était qu'un rêve. Maintenant, elle était amoureuse de Luryo. L'autre jeune homme faisait partie du passé.
Elle descendit du baliveau et l'Hylien la rejoignit sur la terre ferme. Il expliqua à l'indigène qu'il voulait jeter un coup d'oeil au village des hommes-animaux. Le combat semblait avoir cessé là-bas. Abaek n'était toujours pas revenu. Peut-être qu'ils pourraient y trouver de quoi combler leur faim. Tandis qu'il parlait de nourriture, un sourire rêveur s'étira sur les lèvres de la jeune femme. Elle aussi était affamée.
- Il faudra tout de même être très prudent, dit Luryo. L'homme qui nous a guidés jusqu'ici affirmait qu'Onoa était attaqué par des minotaures. J'ai déjà entendu parler de ces créatures de légendes. Leur buste est celui d'un homme mais leur tête est celle d'un taureau. Ils possèdent des sabots aux pieds et de puissantes griffes aux mains. Apparemment, ils sont immenses, très puissants et sans pitié.
Ils se mirent à marcher. L'Hylien dégaina le petit glaive qui pendait à sa ceinture et prit les devants. Les chauds rayons du soleil faisaient un contraste saisissant avec la température fraîche de la nuit. Ils arrivèrent à Onoa en quelques minutes. Personne ne surveillait la muraille. Devant eux, la route était déserte. Cela était peu rassurant. Ils firent quelque pas dans le vaste village. A'guì jeta un coup d'oeil à sa gauche. Elle émit un petit cri aigu. Luryo dut plaquer une main devant sa bouche.
- Il reste certainement quelques minotaures qui ont survécu à l'attaque. S'ils nous entendent, ils se jetteront certainement à nos trousses. Mais qu'est-ce qui peut bien t'avoir fait cri...
Il suivit le regard sidéré de sa dulcinée. Lui aussi faillit pousser un hurlement, non pas de peur mais bien de surprise. Dans une ruelle étaient entassés une série de cadavres d'hommes et de femmes maculés de sang. Des paniers contenant de la nourriture étaient renversés au sol tout près. On pouvait aisément déduire qu'ils avaient été surpris dans leurs activités quotidiennes.
- On pourrait peut-être prendre un peu de leur nourriture pour combler notre faim ? proposa Luryo, pour qui la vue du sang n'était guère effrayante.
- Non ! Je refuse de m'approcher de ces corps ensanglantés. Partons d'ici.
L'Hylien ne se fit pas prier. Ils poursuivirent leur marche dans le village. On aurait dit que c'était une cité fantôme. A'guì et son amant ne croisèrent personne. Avait-on déserté l'endroit ? L'ancien ennemi de Link en doutait. Un peu partout, des dépouilles humaines gisaient.
C'est alors qu'ils aperçurent le cadavre d'une grande bête dont le pelage dru était sombre au milieu du chemin. Du sang noir jaillissait de son cou. C'était un minotaure. Il faisait au moins deux fois la taille de Luryo, si ce n'était pas plus. Des cornes torsadées de la longueur d'un bras sortaient de son crâne. Sa figure était figée dans une expression de colère. L'indigène détourna le regard. Elle était habituée aux sacrifices, mais ceux de sa tribu étaient moins sanglants et n'étaient pas pratiqués à de tels monstres. Le duo contourna l'immense corps. Ils aperçurent du mouvement devant eux. Un bruit similaire à celui que fait un cheval au galop se fit entendre devant eux. Ils eurent tout juste le temps de se cacher dans une maison dont l'entrée se trouvait non loin de là qu'un peloton de minotaures passa en trombe sur le chemin de terre. Ils étaient plus d'une dizaine. Ils s'arrêtèrent tout près de la demeure où étaient dissimulés A'guì et son amant. Ce dernier les épiait par une fente de la porte du bâtiment. Ce qui paraissait être le commandant des hommes-taureaux - il était beaucoup plus grand et ses excroissances osseuses étaient beaucoup plus massives que les autres - dit à ses subalternes quelque chose en un dialecte inconnu de l'Hylien. Dans un fracas de sabots, ils reprirent leur course effrénée jusqu'à disparaître au loin sur le chemin. Luryo et l'autochtone l'avaient échappé belle. S'ils ne s'étaient pas cachés à temps, ils auraient été piétinés par la troupe de bêtes cornues.
L'ancien ennemi de Link se laissa tomber sur le sol poussiéreux de la demeure. Il entendit un bruit sourd derrière lui. Croyant que c'était sa compagne, il l'ignora. Mais la jeune femme à la peau de macassar se trouvait à ses côtés. Qui donc avait fait ce son ? L'Hylien se retourna lentement. Il espérait que ce n'était pas un minotaure qui l'avait repéré. Si c'était le cas, il n'aurait aucune chance de le vaincre. À son grand soulagement, ce n'était qu'un Onoadien dont le visage exprimait lui aussi la crainte qui avait fait le bruit. Il semblait assez jeune. Ses cheveux bruns étaient bouclés. Ses yeux de la même couleur brillaient d'un éclat mystérieux. Voyant que Luryo et A'guì ne représentaient pas de véritable menace pour lui, le garçon se présenta :
- Je suis Kuy. J'ai dix-neuf ans. J'habite seul dans cette maison. Désolé de vous avoir effrayés. Je me cachais moi aussi des hommes-taureaux.
Étant donné qu'elle parlait la même langue que les habitants d'Onoa, l'indigène s'interposa :
- Y a-t-il d'autres survivants que toi dans le village ? Nous n'avons aperçu que des cadavres qui jonchaient le sol.
Le jeune esquissa un demi-sourire.
- Ne vous en faites pas, la majorité des gens sont encore cachés dans leur maison, par peur de se faire trouver et décapiter par les minotaures. Les dépouilles inanimées que vous avez vues sont celles de gens qui n'ont pas eu le temps de réagir à l'attaque. En ce moment, tous les soldats de la cité se trouvent à l'extérieur des murs. La plupart des bêtes cornues ont déguerpi. Nos guerriers les poursuivent. Les créatures que vous avez vues à l'extérieur s'apprêtaient à quitter Onoa.
Cette explication fut suffisante pour eux. Kuy leur offrit de passer la journée chez eux, le temps que la situation redevienne normale dans le village. A'guì et Luryo acceptèrent avec soulagement.
L'Hylien et l'indigène passèrent plusieurs jours dans la demeure de l'Onoadien. À l'extérieur, la vie reprit peu à peu son cours normal. On dégagea les dépouilles des rues et ruelles du village et on les enterra après quelques cérémonies auxquelles Luryo et A'guì prirent part pour la plupart. Ils furent attristés d'apprendre qu'Abaek était malheureusement de ce nombre. Il avait été piétiné par une troupe de minotaures qui s'échappaient d'Onoa.
Kuy, comme tous les représentants de sa race, avait la capacité de se transformer en animal. Or, il ne voulait pas leur révéler en quelle créature il pouvait se métamorphoser. Il semblait avoir honte de sa lignée. Le jeune homme ne s'était encore jamais changé dans sa forme bestiale devant eux.
Leur hôte leur apprit cependant beaucoup de choses à propos des Onoadiens. Contrairement à ce que l'on racontait, les hommes-animaux étaient pour la plupart des individus aimables et de bonne foi, même si certains ne le démontraient pas. Ils ne se transformaient que si cela était vraiment nécessaire, ou alors pour voyager plus rapidement.
Ils n'avaient toujours pas trouvé la moindre trace du passage de Link dans les environ. L'indigène et son amant commencèrent à perdre espoir de retrouver le héros. Ce monde était si vaste !
L'habitant d'Onoa leur demanda un jour de quelle région ils venaient - car ils n'étaient évidemment pas originaires du village. Au risque de paraître halluciné, Luryo lui dit qu'il venait d'une autre dimension. Kuy ne sourcilla même pas.
- De quel monde venez-vous ? le questionna-t-il simplement.
- Nous... nous habitons Hyrule, répondu l'Hylien, étonné de voir que le fait qu'il soit originaire d'une autre dimension ne semblait pas surprendre l'Onoadien.
Il hocha doucement la tête.
- J'ai déjà entendu parler de ce monde, ou en tout cas d'un monde semblable. On dit qu'un roi tyrannique tente constamment d'y faire régner le mal.
- Ganondorf..., murmura Luryo, surtout pour lui-même.
***
Le soleil aux reflets vermeils déclinait à l'horizon, et une lune couleur de sang commençait à se faire apercevoir dans la voûte céleste d'un noir opaque. Le ciel obscur était dénué d'étoiles. Le seigneur du malin avançait sans se presser dans le désert aride qui s'étendait sur la majeure étendue de la mauvaise partie de l'Outre Monde. Le sable glissait sous ses pieds. Il arriva enfin au sommet d'une dune.
Devant lui étaient regroupées une foule de créatures les plus horribles les unes que les autres.
- Me voici de retour..., grogna-t-il, un sourire sardonique accroché aux lèvres. Prépare-toi bien, Link.
***
L'indigène et l'Hylien avaient raconté leur aventure à l'Onoadien, depuis leur plongeon dans le maelstrom de feu à Hyrule jusqu'à leur rencontre avec Abaek.
- Et je suppose que vous vous demandez comment rejoindre votre monde ? demanda Kuy, à la fin.
- En effet, murmura la jeune femme à la peau d'ébène. Mais avant, nous aimerions retrouver un de nos compagnons qui s'est lui aussi retrouvé en ce monde. Il s'appelle Link. Normalement, il est accoutré d'une tunique vert et il traîne toujours son épée avec lui. Je lui avais aussi peint des symboles sur le corps pour qu'il puisse comprendre notre langue.
Voyant une lueur qui brillait dans les yeux de Kuy, A'guì lui demanda avec empressement :
- Quoi, vous l'avez vu ?
- Oui. Il m'a même sauvé la vie.
***
Le héros, toujours à dos du dragon aux écailles vermeilles qui planait par-dessus les montagnes, scrutait l'horizon. Cela ferait bientôt quatre heures qu'il était accroché au cou de la bête. Cette position commençait à devenir inconfortable. Mais le reptile volant ne semblait pas vouloir s'arrêter. L'astre solaire commençait à décliner à l'horizon.
Le paysage commença à se transformer. Les éminences rocheuses devinrent de moins en moins compactes. Une dense forêt remplaça finalement les montagnes. Les arbres qui la composaient étaient immenses ! Mais le jeune homme n'y prêta pas attention. Il apercevait un faible éclat de lumière au loin. Et si c'était A'guì ou Luryo qui l'avait allumé ? Cette pensée lui donna du courage. Il s'accrocha plus fortement aux piques du dragon. Un sourire s'étira sur ses lèvres. La pensée de retrouver la jeune femme qu'il aimait tant lui redonna du courage. Mais son sourire se transforma rapidement en grimace lorsqu'il constata que le dragon ne semblait vouloir se poser au sol.
- Allez, atterris ! s'exclama Link à l'intention de la bête. Et si c'était Luryo ou encore A'guì !
Il tapa de ses poings l'encolure du reptile, même s'il savait que cela ne donnerait probablement rien. La créature secoua la tête pour le faire taire. Le garçon faillit tomber. Reprenant son équilibre, il se laissa tomber sur le dos du dragon, se positionna entre deux piques qui l'empêcheraient de tomber. Le héros ferma les yeux avant de sombrer dans un profond sommeil.
Le dragon se posa au sol juste au moment où le garçon s'assoupissait. Il atterrit derrière un petit bâtiment, au centre d'un village. Il laissa glisser le jeune homme sur le sol, avant de reprendre son envol. Dans l'obscurité, personne ne l'aperçut.
***
Kuy s'apprêtait à leur expliquer quelle était la façon selon lui de quitter la dimension lorsqu'un bruit sourd se fit entendre derrière eux. L'Hylien, l'autochtone et l'Onoadien se retournèrent en même temps. Par la fenêtre qui donnait sur la cour arrière de la maison, on pouvait discerner une silhouette sombre étendue au sol. A'guì se leva.
- On dirait qu'il y a quelqu'un de couché par terre, fit-elle remarquer aux deux garçons.
- Allons jeter un coup d'oeil, proposa Luryo.
Le trio se leva et sortit à l'extérieur pour se rendre derrière le bâtiment. Une douce brise soufflait. L'indigène s'approcha du corps affalé au sol, puis se mit à genoux pour le tourner dos contre terre. Elle plaqua une main devant sa bouche. Link se trouvait devant lui. Ils pourraient à présent quitter cette dimension qui n'était pas la leur.
Quand le héros ouvrit les yeux, il se trouvait dans un endroit qui lui était totalement inconnu. Il se dressa vivement sur son séant. La pièce dans laquelle il se trouvait était meublée d'un lit - dans lequel il se trouvait - une petite table où étaient posés divers objets sans importance et d'une petite bibliothèque. Rien de cela ne lui était familier. Le garçon se rappela qu'il avait sombré dans les bras de Morphée sur le dos du dragon. D'ailleurs, où était passé celui-là ? Par la petite fenêtre de la chambre, on pouvait voir les habitations de ce qui semblait être un petit village. Aucune trace, aussi moindre soit-elle, du reptile. Le jeune homme se laissa tomber sur le matelas.
Au même moment, la porte de la pièce s'ouvrit dans un grincement, dévoilant une demoiselle de jeune âge. Le visage décontenancé de Link s'éclaircit subitement. Il reconnut A'guì. Sans prendre le temps de la laisser entrer, il sauta hors du lit et lui sauta au cou. Ils restèrent longtemps enlacés.
- Je te cherche depuis longtemps, chuchota le garçon. Je t'ai enfin retrouvée.
L'indigène le repoussa doucement. Elle laissa entendre un petit rire flûté.
- Je me demandais quand tu finirais par te réveiller. Cela fait plus de deux jours que tu dors. Il faut avouer que les journées passent rapidement dans ce monde...
Le héros écarquilla les yeux. Deux jours ! Cela était relativement long. Depuis qu'il était arrivé dans cette dimension, environ huit nuits s'étaient écoulées. À Hyrule, Zelda devait vivement s'inquiéter pour lui. Mais il garderait ses sombres pensées pour plus tard. Ce qui importait pour l'instant, c'était qu'il avait retrouvé A'guì.
Link observa les prunelles sombres de l'autochtone. Étrangement, elle ne le regardait plus de la même façon qu'auparavant. La flamme qui brillait autrefois dans ses yeux s'était éteinte.
Luryo pénétra dans la chambre. Il salua d'un bref mouvement de la tête le jeune homme. Lui aussi avait changé. Son regard n'était plus chargé de cruauté lorsqu'il le regardait. Enfin, c'est ce que crut voir Link. L'homme s'approcha de la jeune femme à la peau de macassar et lui prit délicatement la main. C'est à ce moment que le héros comprit que l'amour qui avait naguère animé l'indigène pour lui avait disparu. Elle s'était éprise de l'Hylien.
Dans un élan, il quitta la pièce, puis se précipita vers la porte de la demeure pour l'ouvrir avant de disparaître à l'extérieur.
- Link ! Mais... attends ! s'exclama A'guì, qui partit à ses trousses.
Le héros courut jusqu'à atteindre les limites du village, ne prêtant pas attention aux gens qu'il croisait et bousculait. Il s'assit sur un rocher en bordure du chemin avant de fondre en larmes. C'était la première fois qu'il était tombé amoureux de sa vie. Et il fallait que Luryo gâche cela...
Le garçon aperçut l'indigène qui s'approchait lentement de lui. Il lui jeta un regard noir. La jeune femme à la peau d'ébène s'assit à ses côtés.
- Link, je... je suis désolée. Je ne voulais pas te faire de peine mais... j'aime Luryo maintenant... et personne d'autre...
Le héros resta longtemps immobile à laisser libre cours à sa tristesse. Il finit par se ressaisir. Faisant entendre un reniflement, il s'adressa à l'autochtone :
- C'est dommage, car moi, je t'aimais encore...
***
Cela prit quelques jours pour que le jeune homme se remette complètement de ses émotions. Il avait fini par accepter la situation. Il n'avait passé qu'une journée en compagnie d'A'guì. Cela était trop peu pour qu'il la connaisse vraiment. Pendant son séjour chez Kuy, il avait eu le temps de faire la connaissance de l'Onoadien. Ce dernier lui avait beaucoup appris sur les habitants du village. Le garçon avait tout d'abord été interloqué d'apprendre qu'ils avaient la capacité de se transformer en animal à volonté. Sa surprise fut encore plus grande lorsque, sous ses yeux, son hôte se transforma en sanglier ! Le marcassin était identique à celui que Link avait soigné dans la plaine, à son réveil dans cette dimension. Le héros était consterné de constater qu'il avait passé deux nuits en compagnie de ce qui s'était révélé être un homme-animal !
Le matin de la troisième journée depuis qu'il s'était réveillé dans la maison de Kuy, le jeune homme fit part à l'Onoadien de son intention de quitter cette dimension pour se rendre à Hyrule avec ses compagnons. Ce dernier leur dit qu'il existait peut-être une façon de quitter ce monde.
- Je ne sais pas si vous le saviez, mais nous nourrissons constamment ce que nous appelons le Feu Éternel, pour obtenir la grâce de notre dieu, la divinité du feu, Eluld.
- Oui, je me souviens, fit A'guì. Lorsque Abaek nous a guidés jusqu'à Onoa, nous avons aperçu un flamboiement au loin. Il nous a expliqué quelle en était la signification. Mais en quoi cela peut-il nous aider ?
- Eh bien, vous m'avez affirmé avoir plongé dans un tourbillon de feu avant d'atterrir ici. Je sais que c'est risqué, mais peut-être que si vous vous jetiez dans le Feu Éternel, vous pourriez retourner à Hyrule...
Link, Luryo et A'guì se mirent d'accord pour plonger chacun leur tour dans le feu sacré, le moment venu. Le soir même, il y avait justement une célébration spéciale en l'honneur de la divinité Eluld. Celle-ci ne se déroulait qu'une fois par année. Le trio en profiterait pour tenter de retourner à Hyrule. C'était selon eux la façon la plus sensée de regagner leur monde. Sinon, comment s'y prendraient-ils ?
La tombée du jour arriva rapidement. Le crépuscule laissait planer une lumière violacée sur Onoa. De nombreuses torches avaient tout de même été installées de parts et d'autres du village. Tous les hommes-animaux participaient à la cérémonie, excepté ceux qui étaient incapables de se déplacer et les malades. Même les enfants étaient de la fête. Enveloppés dans une tunique sombre, comme la pratique le voulait, Kuy, le héros, l'Hylien et l'indigène se dirigèrent vers la plaine à pas lents, accompagnés par de nombreux autres Onoadiens. Au loin, au-delà des champs, se détachait un immense flamboiement, encore plus gros qu'en temps normal. Même sans guide, ceux qui désiraient retourner à Hyrule auraient aisément pu trouver le Feu Éternel. Des flammes élancées léchaient la base des nuages. Une épaisse fumée enveloppait les alentours. Par chance, une brise légère poussait le relent dans la direction opposée de la cité. De nombreuses escortes de gardes circulaient dans les rues de la cité. Si les minotaures profitaient de l'occasion de la célébration pour attaquer, il faudrait être en mesure de les repousser. Il fallait être prêt à tout.
Le quatuor arriva finalement dans un cercle autour duquel étaient assises des centaines de personnes. Parmi ces gens, il y avait quelques cracheurs de feu. Au centre, dans un creux, brûlait le brasier immense. La lumière qu'il produisait était aveuglante. La chaleur qu'il faisait si on s'en approchait trop était accablante. Kuy, Luryo, Link et A'guì se positionnèrent relativement loin du flamboiement. Les plus fidèles osaient s'approcher tellement près que leurs vêtements s'incendiaient et ils finissaient par être engloutis par les flammes dévorantes. Les quatre jeunes personnes ne voulaient pas risquer cela. Du moins... pour le moment.
Un roulement de tambour se fit entendre. Le son se répercuta loin aux alentours. On entama une musique rythmique à l'aide de percussions. Quelques hommes-animaux se transformèrent en bêtes pour se joindre à eux. Les Onoadiens se mirent à danser frénétiquement. Ils entrèrent dans une sorte de transe. Cela était quelque peu effrayant à voir. Même Kuy fut emporté par la musique. Il se trémoussait comme un dément.
Le feu prit tout à coup une teinte rouge violacée. Ce soudain changement de couleur fut accueilli par une grande clameur. Link, Luryo et l'indigène, inquiets, se tinrent à l'écart. La teinte des flammes n'avait rien de naturel. Heureusement, le flamboiement devint rapidement normal. C'est à ce moment que Kuy sortit de sa torpeur. Il semblait complètement déboussolé. Il esquissa un sourire nerveux en apercevant ceux qu'il avait invités à sa demeure et qui le regardaient avec anxiété. S'approchant d'eux, il leur dit :
- C'est la première fois que ça m'arrive. Veuillez excuser mon comportement s'il vous a semblé étrange.
Le battement des tambours reprit de plus belle. Cette fois-ci, l'Onoadien dut se boucher les oreilles pour ne pas se laisser emporter par la musique.
La célébration dura une bonne partie de la nuit. Quelquefois, les flammes reprirent une teinte cramoisie, mais cela ne dura jamais longtemps. Kuy n'entra plus en léthargie. Bientôt, le ciel prit une teinte rougeâtre. Le matin se levait. Le héros, l'Hylien et l'autochtone se décidèrent à plonger dans le feu, au risque que cela leur soit fatal.
Ils s'approchèrent de l'homme-animal qui leur avait servi d'hôte, se préparant à faire leurs adieux. Par-dessus le tumulte assourdissant qui se faisait encore entendre, le trio le remercia de l'avoir laissé dormir sous son toit.
- Ce n'est rien, fit l'Onoadien. Je commençais à m'ennuyer, seul chez moi.
Une vague expression de déception se lisait sur son visage. Il semblait quelque peu désappointé de devoir quitter ceux qui désiraient retourner à Hyrule. Mais il fallait que ceux-ci retournent dans leur dimension.
Luryo, Link et A'guì saluèrent une dernière fois Kuy et s'avancèrent vers le feu ardent. L'Hylien serra l'indigène contre lui.
- Si nous devons mourir, dit le héros, j'aimerais te dire, A'guì, que tu as toujours eu une place importante dans mon coeur.
- Moi aussi, Link, murmura la jeune femme à la peau de macassar. J'espère que si nous retournons à Hyrule, nous resterons de bons amis.
Luryo se tourna vers le garçon.
- Au début, je tenais une certaine jalousie envers toi, car tu étais l'ami de la princesse, admit-il. Mais maintenant que j'ai rencontré ma dulcinée, je te la laisse.
Il lui fit un clin d'oeil amusé. Il avait décidemment beaucoup changé.
A'guì, serrant d'un côté la main de Link et de l'autre celle de l'Hylien, s'avança dans les flammes.
Lorsque le brasier les eut emportés, Kuy disparut à son tour dans le feu.
***
Ganondorf apparut dans la plaine d'Hyrule. Il commanda à ses créatures d'infester tous les endroits possibles et d'y semer la pagaille. Celles-ci obéirent sans ronchonner. Il émit un sifflement strident. Un cheval au pelage fuligineux et à la crinière flamboyante arriva au galop à ses côtés. Le seigneur du mal grimpa sur sa monture. Il leva une main en direction du pont-levis qui menait au Grand Marché. Une boule de feu partit de sa paume pour venir se fracasser contre la façade, qui s'incendia.
FIN
Ce texte a été proposé au "Palais de Zelda" par son auteur, "Supersigo". Les droits d'auteur (copyright) lui appartiennent.