Conte Hylien
Note de P.Y.T. : Pour mon 35ème anniversaire, mon homme m'a écrit un conte autour de l'univers de Zelda (je suis fan depuis que j'ai découvert Link's Awakening), et je voudrais le partager avec tous les fans.
Sans laisser terminer la fée qui voletait au-dessus de sa tête, mais sans lui tenir non plus rigueur de son indélicatesse, il enfila la plus belle, la plus verte et la plus prestigieuse de ses tenues d'aventurier - celle qui faisait qu'on le reconnaissait où qu'il aille, et quelle que soit l'époque -, se coiffa de son plus beau bonnet, et veilla à ce que celui-ci mette en valeur la pointe de ses oreilles - dont il avait toujours été si fier. Ultime coquetterie, il arrangea sa frange et se mit en route. C'est qu'aujourd'hui n'était pas n'importe quel jour. Ha ça non. Ce n'était pas celui où il voyageait dans le temps, ce n'était pas celui où il commandait aux saisons, ce n'était pas celui où il empêchait la lune de déchoir, ce n'était pas celui où il aidait l'oeuf du rêve à éclore. C'était un jour tout simple, sans prophétie à déchiffrer, sans voeux à exaucer, sans royaumes à reconquérir, et pourtant c'était un jour important. Plus important, même que tous les précédents. Nul besoin pour Navi de le lui rappeler - même si, comme à son habitude, elle ne s'en privait pas ("hey, listen !"). En effet, aujourd'hui, la princesse fêtait son anniversaire. A cette occasion, elle recevrait à la cour les plus augustes des souverains, les plus talentueux des bardes, les plus raffinés des ambassadeurs, qui se feraient un devoir de lui apporter bijoux et compliments de l'aube au crépuscule. Il y aurait un orchestre, un bal, des jeux - des feux d'artifices, pourquoi pas ?... et il serait là, lui aussi, vert des pieds à la tête au milieu de ces mises multicolores, avec son cadeau ordinaire et ses mots maladroits - qu'elle aurait trop vite oubliés, sans doute.
Cette perspective lui causant grand tracas, celui qui fut maintes fois appelé le "héros d'Hyrule" retroussa les manches de sa tunique neuve, salua ses frères Kokiris, évita sans le voir le regard de Saria, fit mine de ne pas entendre les cris de sa fée à chaque pancarte ou chaque intersection manquée (discipline dans laquelle il était passé maître, avec le temps) et se lança à la recherche du cadeau idéal, celui qui ravirait la princesse à coup sûr et lui rendrait le jour inoubliable. Aussi passa-t-il les heures qui suivirent à faire ce que ses aventures lui avaient appris de plus naturel, en la matière : entrer chez ses voisins, casser quelques-uns de leurs vases, creuser des trous dans leurs jardins, tondre leur gazon du tranchant de sa lame et terroriser leurs poulets en les prenant en chasse (petit plaisir personnel au passage), collectant maints rubis - et quelques coques de noix dont il ne sut que faire, et qu'il rangea dans ses poches en vue d'un hypothétique futur périple (sait-on jamais ? ça peut toujours servir). Dans l'immédiat, les rubis suffiraient.
Sifflant un air guilleret, il se confectionna une bourse de tissu et de feuilles séchées, sauta sur son cheval et galopa jusqu'au palais, sourire aux lèvres, pour offrir à la belle le fruit de ses recherches. Mais son sourire s'effaça vite, hélas. Car son présent n'eut pas l'effet souhaité. Bien au contraire : ce fut à peine si la princesse, plus rêveuse et mélancolique que de coutume, daigna lui adresser un murmure de remerciement, ou si elle quitta l'encadrement de fenêtre où elle s'était assise pour contempler le monde. Aussi ne s'attarda-t-il pas et, après avoir bredouillé quelques platitudes d'usage (elles-mêmes couvertes par les appels incessants de Navi), se remit-il en route. Il voulait que ce jour soit une fête de tous les instants, il trouverait donc un don à sa mesure.
Ce fut donc à bride abattue qu'il s'en alla en direction du village des Goron, afin d'y troquer des rubis supplémentaires contre une de ces jolies tenues à franges que la princesse affectionnait, ainsi qu'un sceptre de bois sculpté - représentant le monde à l'époque où leurs pairs vivaient dans les nuages. Il espérait qu'elle serait sensible au symbole mais hélas, elle ne le fut pas, et ne bougea qu'à peine du cadre de sa fenêtre. "Hey, listen !" souffla Navi au creux de son oreille, mais il était si déçu et si contrarié qu'il n'y fit que peu attention. Car c'était à n'y rien comprendre. Après tout ce qu'ils avaient traversé ensemble, pourquoi le traitait-elle comme un étranger de passage ? Pourquoi n'était-elle pas ravie des cadeaux qu'il lui apportait ? S'ils ne lui plaisaient pas, pourquoi n'appréciait-elle pas l'intention, au moins, au lieu de le bouder ? Bientôt, une pensée impromptue lui suggéra un début de réponse. Car... et si sa princesse se savait menacée ? Et si, une fois encore, les ténèbres l'avaient prise pour cible, et qu'elle n'osait rien dire pour ne pas le mettre en danger ? Quel plus beau cadeau pourrait-il lui faire, pour son anniversaire, que de la libérer de ce joug invisible et lui rendre sa sérénité ?
Aussi s'élança-t-il encore, sans délai, et parcourut-il Hyrule toute entière, son épée au côté, prêt à en découdre avec qui tenterait de s'en approprier les terres. Il vainquit l'araignée géante qui avait tissé sa toile dans les grottes du nord. Triompha de la bête qui semait la terreur dans la forêt de l'est. Transperça d'une lance enchantée le fantôme qui hantait les ruines des citadelles de l'ouest. Libéra d'un dragon le grand désert du sud. Affronta Ganondorf en combat singulier, encore, pour mettre à nouveau terme à ses prétentions de grandeur. Mais ces victoires non plus n'éclairèrent pas le visage de sa belle, ainsi qu'il l'aurait désiré. Elle l'écouta conter ses exploits avec politesse, esquissa un timide "merci" puis poussa un soupir qu'il ne sut pas interpréter. Au désespoir de la voir si désespérée, et de se savoir aussi impuissant, il décida de se remettre en selle, de reprendre son périple, de remuer ciel, et terre, et terre, et ciel, et toutes les strates intermédiaires pour trouver le remède à sa mélancolie - quand bien même ignorait-il où chercher, ou ce dont il s'agissait. Après tout, ne l'avait-il pas déjà couverte de joyaux ("hey , listen !") ? Ne lui avait-il pas trouvé ce qui se faisait de plus rare ? De plus seyant ("hey, listen !") ? N'avait-il pas vaincu tous ses ennemis pour elle ("hey, listen !") ? Que pouvait-il bien lui ("hey, listen !") apporter de plus fantast... ("hey listen !")...
"ÇA VA, NAVI ! J'AI ENTENDU !".
Il avait crié sans s'en rendre compte, comme ça, dans un moment d'égarement, mais en suivant des yeux la petite fée effrayée qui se cachait derrière un pilier, il se sentit coupable de s'être emporté de la sorte. Et alors qu'elle se réfugiait dans un mutisme contre-nature, il eut l'impression de l'entendre pour la première fois depuis des années (depuis toujours, peut-être). Il l'écoutait si peu, ces derniers temps, qu'il l'obligeait à se répéter tant et plus, et à toute heure du jour. N'était-ce pas de sa faute, si elle était devenue si horripilante ? Quel genre de maître ou d'ami était-il ? Quelle espèce de héros était-il, du reste, s'il n'écoutait pas celle qui ne cherchait qu'à l'aider, sans rien attendre en récompense ? A cette pensée, il écarquilla grand les yeux, comme il prenait conscience de ce qu'elle cherchait à lui dire. Evidemment. Comment avait-il pu ne pas s'en rendre compte par lui-même ? Quel idiot il avait été ! Il savait ce qu'il devait faire.
Aux portes du château, il adressa un signe de la main à sa monture qui paissait à quelque distance, et l'invita d'un rire à poursuivre son repas sans s'occuper de lui. Puis tourna les talons. S'excusa auprès de Navi. Remonta quatre à quatre les marches de l'escalier qui menait aux appartements de la princesse. La trouva toujours assise, rêveuse et mélancolique, sur le rebord de la fenêtre, à fixer les portes du château, ou Epona qui paissait à quelque distance, ou le chemin qui se prolongeait au-delà... ce même chemin qu'elle avait fixé, au matin, en attendant la venue du jeune Kokiri, ce même chemin qu'elle avait fixé, quelques heures plus tard, lorsqu'il s'en était allé au village Goron, ce même chemin qu'elle avait fixé, au zénith, lorsqu'il était reparti sillonner Hyrule... Sans bruit, alors, il s'approcha. Posa la main sur son épaule. La sentit tressaillir. L'appela par son prénom, enhardi, mais s'entendit à peine. Alors, doucement, elle se tourna vers lui et le regarda dans les yeux, de tout le bleu des siens. Et pour la première fois depuis des semaines, des mois - des années, même, peut-être -, peut-être pour la toute première fois au monde, il le lui rendit pour de bon. Sans plus rien voir de la princesse en elle, de ses devoirs, de son rang, ou des quêtes qu'il lui fallait accomplir en son nom. En ne voyant plus qu'elle. Et c'était tout ce qu'elle souhaitait. Qu'il la regarde, enfin. Qu'il lui prête attention. Pour de vrai. Aussi déposa-t-il un baiser sur sa joue, et exécuta-t-il une révérence complice tandis qu'elle rougissait. Sans la quitter des yeux. Sentant quelque chose au fond de sa poche, il extirpa les coques de noix trouvées au point du jour et les disposa à ses pieds, de manière à former un coeur en pointillés.
Et ce fut le plus beau cadeau qu'elle reçut ce jour-là.
Et ce fut le plus beau cadeau qu'elle reçut de sa vie.
Et ce fut le premier anniversaire qu'elle fêta pour de vrai.
Et ce fut, sans regrets, la dernière fois que Link partit à l'aventure.
FIN
Ce texte a été proposé au "Palais de Zelda" par son auteur, "P.Y.T.". Les droits d'auteur (copyright) lui appartiennent.