Une ombre vengeresse
J'ai mal.
C'est une sensation nouvelle que j'aurais volontiers évité de connaître un jour. Mon corps entier me fait monstrueusement souffrir, et les ténèbres m'engloutissent d'un appétit vorace.
Pourtant, je connais les ténèbres : c'est de là d'où je viens.
Mais celles-ci ne sont pas les mêmes, elles ne sont plus silencieuses, apaisantes et sereines, mais elles sont affamées, avides de douleur et elles me dévorent de l'intérieur.
J'ai si mal.
Pour la première fois, j'entends un son, agonisant et empli de peur.
C'est mon propre hurlement, et ma gorge me brûle tant que je devrais arrêter, mais j'en suis incapable.
J'ai tellement mal.
Un autre son me parvient, glacial et cruel.
Il résonne et bat dans ma tête, me fait atrocement peur et en même temps m'emplit d'une haine féroce.
C'est un rire, et malheureusement je serais contraint à l'entendre bien des fois.
Cette jubilation hystérique qui passe par cet accès de joie chauffe mon corps tout entier et la colère s'empare de moi pour la première fois.
J'ai envie de faire taire ce rire, qu'il cesse d'emplir mon esprit et de me blesser, mais mon corps tremble sauvagement et je suis encore incapable de faire le moindre geste.
"J'ai réussi, dit une voix perfide et puissante qui me glace tout entier, Il est né, enfin !"
Je ne comprends rien à ces mots, je ne veux que mes ténèbres si douces et si paisibles, je veux quitter ce corps qui m'entrave et me retient.
Je suis une ombre, je n'ai rien à faire dans ce corps d'Hylien.
A peine né, j'ai déjà l'envie folle de mourir.
Mais le corps m'attache bien, je ne parviens pas à m'enfuir et très vite, je me retrouve enfermé dans cet habitacle fait de sang, de mort, de douleur, de peur.
Je sens le nombre de corps qu'il a fallu pour construire le mien, et une faible odeur de putréfaction emplit mes nouvelles narines.
Je ne veux pas sentir, je ne veux plus entendre, je ne veux pas avoir à ouvrir les yeux.
"Qui mieux que mon ennemi pour combattre mon ennemi ?", continue la voix maléfique et de faibles frissons courent le long de mon corps.
Je me décide à regarder ce monde qui n'est pas le mien, et aperçois avec ces nouveaux yeux dont je ne veux pas un écran de fumée grise et rouge qui plane autour de moi.
J'ai toujours aussi mal.
Une forme se dessine dans le brouillard, une haute silhouette aux yeux de braise qui m'observe avec un sourire mesquin. Une aura malveillante et presque palpable l'entoure, et j'ai le sentiment quasi immédiat que je vais haïr cet homme de tout mon être.
"Tu es vivant, me susurre-t-il amoureusement, et tu vas te battre pour moi. Je suis ton créateur, tu vas m'obéir et te débarrasser de lui..."
Ses yeux froids s'emplissent de haine, et un instant je jurerais qu'il est les ténèbres elles-mêmes, celles qui me dévorent, celles qui engloutissent mon âme et la pervertissent, celles qui me transforment en un être empli de fureur et de répugnance pour ce monde que je ne connais même pas.
Il est celui qui m'a arraché à mes douces illusions obscures.
"Tu es un meurtrier. Tu vas tuer pour moi. Et tu vas le tuer, lui," ajoute-t-il dans un sifflement reptilien.
Il part alors de son rire effroyable. Et je découvre alors qu'effectivement, j'ai envie de tuer.
De leur faire payer toute cette souffrance qu'ils m'ont fait endurer, ces êtres de lumière, j'assassinerai ce monde jusqu'à ce qu'il n'en reste plus rien, jusqu'à ce que il devienne ténèbres, mon cher royaume des ombres.
"Contemple-toi, ma créature destructrice, et embroche ce reflet si détesté qui t'a valu la vie."
Une immense glace se profile alors derrière l'écran de fumée, et une ombre à forme hylienne s'y dessine.
Deux yeux rouges brillants de sang, un corps drapé d'une obscurité dévoreuse.
Je hais cette image plus que tout encore, elle m'écoeure et une rage incontrôlable s'empare de moi.
Dans un hurlement de désespoir, je brise de mes mains obscures ce miroir maudit qui me montre tel que je suis.
J'étais une ombre, je suis son double, je serai son assassin.
Mon créateur me donna un nom, celui de mon ennemi, que je porte en l'honneur de ma haine.
Je suis Dark Link, et je tuerai cet Hylien qui causa ma naissance.
Je le tuerai, pour qu'enfin je puisse mourir dans l'ombre.
FIN
Ce texte a été proposé au "Palais de Zelda" par son auteur, "Nyouh". Les droits d'auteur (copyright) lui appartiennent.