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Twilight Princess

Ecrit par Iawë en 2009

Partie 1 : FASCINATION

Prologue

Devant moi, la mort.
Derrière moi, le néant.
Le néant de mes sentiments, trahis alors qu'eux-mêmes étaient traîtres, désespérés de ce juste retour des choses.
Il était mon coeur.
Mon coeur qui ne battait que pour mon assassin, ses battements comptés endoloris par cet infâme crépuscule qui s'abattait sur ma vie.
Bientôt, mon soleil se coucherait, répandant son flot écarlate sur ce qu'il restait de moi.
Pour avoir aimé un monstre.

Le nom du monde est souffrance.

Chapitre 1 : Crépuscule...   up

Est-ce que les carrés s'arrêtent un jour de remonter vers la voûte céleste ?
Une question simple et stupide qui ne cesse de me trotter dans la tête, et elle ne souffre nullement de solitude... Avec elle, ses soeurs, "D'où proviennent ces carrés ?", "Qui a servi d'architecte au monde du crépuscule ?", "Quel est l'imbécile qui a eu l'idée de nous faire bannir ?", "A quoi ressemble ce fameux monde de nos origines ?", et j'en passe...
Il est vrai que le paysage est tout simplement magnifique, un panorama unique... Trop unique, à mon goût... Il manquait sérieusement de diversité, et au bout de dix-huit années passées à contempler des petits carrés noirs, et un ciel violacé ou quelquefois ensanglanté sans qu'il y ait de jour ou de nuit, je commençais à me lasser...
Je soupirai et changeai de position. Quel autre attrait a ce monde ? Son peuple ? Si je n'avais pas songé à passer pour une dérangée, j'aurais éclaté de rire. Qu'est-ce que le peuple des bannis sinon des gens abrutis par cette absence de repère dans le temps et l'espace, simple d'esprit au point de ne plus s'interroger sur rien, de ne plus être curieux, se contenter de sa place, telles des fourmis ouvrières n'ayant d'autre sujet de conversation que le nouveau maquillage que portait leur princesse - autrement dit, moi.
Ce rôle stupide commençait réellement à me taper sur le système nerveux, déjà sous pression. On se lève alors qu'il ne fait ni jour, ni nuit, on prend trois plombes à s'habiller, à se coiffer et à se maquiller, entourée de bonnes femmes passant leur temps à me forcer à épouser telle ou telle andouille de princier monarque d'une autre cité flottante moins importante. Malgré nos différentes citadelles, je restais "officiellement" la gouvernante du Monde du Crépuscule tout entier. A propos d'épousailles, je commençais sérieusement à me lasser des imbéciles et de leur manière maladroite et grossière de me faire la cour, de leurs fêtes organisées dans le but de me séduire avec leurs beaux habits, leurs serviteurs, leurs fanfreluches, leur faste et leur gastronomie. Bien sûr, rien de tout cela ne m'intéresse guère, et je m'empressais de leur faire gentiment comprendre qu'ils avaient gaspillé la moitié de leur fortune pour rien, et malgré leurs mines dépitées, j'étais intérieurement satisfaite.
- Votre Altesse !
C'était un cri lointain, avec une tessiture aiguë, juvénile, un timbre de voix que je ne connaissais pas. Je grommelais : je venais de me souvenir pourquoi je ne tenais à entendre personne : je m'étais littéralement enfuie avant ma séance de pouponnage quotidienne, et je ne tenais pas à ce que mes suivantes me retrouvent.
Je me retournai néanmoins et je vis arriver presque en courant devant moi une jeune fille très frêle qui m'était inconnue. Quand elle comprit que je la regardais, elle prit une teinte pivoine, s'arrêta brusquement et s'inclina maladroitement avant de débiter à toute vitesse :
- Votre Altesse, vos servantes sollicitent votre présence afin de vous préparer pour le Bal de l'Aube, et...
Elle sembla hésiter à aborder la suite, mais poursuivit tout de même, d'une voix de plus en plus faible.
- Elles souhaiteraient qu'à l'avenir, Sa Majesté les préviennent avant de se désister devant un événement si important.
Je ne pus m'empêcher de pouffer devant l'air minable et soumis de la jeune demoiselle. Je la contemplais plus intensément : elle était mignonne, avec des yeux rouges flamboyants, peut-être un peu menue mais jolie, avec ses cheveux rougeoyants mal coiffés qui s'envolaient au passage de la brise. Je souriais : elle me fit penser à mes propres quatorze ans, sauf dans l'humilité, les yeux, et même si elle n'arborait pas la même couleur de cheveux que moi, ils étaient aussi décoiffés qu'étaient les miens avant que je ne me résigne à mon avenir. Séduite, je l'interrogeai :
- Quel est ton nom ? Je ne t'ai jamais vue ici...
- Isha, princesse Midona, marmotta-t-elle, toujours aussi rouge. Je remplace votre suivante Maya qui est malade. Je suis sa fille.
Ainsi, cette petite était la fille de ma suivante, une des meilleures répliques de moi-même que l'on ait réussi à me trouver (à quelques détails près, bien entendu, comme mes yeux, mes cheveux ou la forme de mon visage), bien que cette dernière soit plus assurée que sa fille. J'avançais vers cette Isha en me faisant la plus douce possible, car elle était visiblement aussi impressionnée qu'effrayée.
- Et bien, Isha, veux-tu bien me raccompagner ? Je ne tiens pas à être seule face à la colère de mes servantes.
Je lui adressai un clin d'oeil complice, et elle eut un sourire craintif avant d'avancer à ma suite, toujours aussi timidement. En vérité, sans l'afficher, je me flagellais intérieurement. Comment avais-je pu oublier que cette fête avait lieu aujourd'hui ? Ce Bal de l'Aube était la seule festivité que j'attendais avec impatience. La morosité et l'immobilité du temps et du paysage me faisaient perdre, à moi aussi, toute notion de temps. Pour la majorité du Peuple du Crépuscule, il n'était qu'une bonne occasion de danser, de faire la fête, de manger, de boire, de voir des spectacles impressionnants sans trop vider sa bourse, et d'alimenter les nouveaux ragots me concernant.
Pour moi, ces réjouissances étaient symboliques et me redonnaient espoir. En effet, à la base, une série de rituels grandioses promettait le retour de l'Aube, autrement dit, le retour à Hyrule, terre de nos origines. Secrètement, j'y croyais, c'était pour moi le serment d'une vie meilleure pour mon peuple. C'est donc en regardant le sol finement ouvragé de mon palais que je quittais cette cour extérieure pour regagner l'intérieur de ma demeure trop grande pour moi. Je me tournais de nouveau vers Isha. Je ne sais pas ce qui me prit à cet instant, peut-être était-ce dû à sa ressemblance avec moi, ou par désir d'être certaine de ne pas être seule à partager cette opinion.
- Dis-moi, Isha, commençais-je. T'es-tu déjà posé des questions imbéciles, mais qui te sont indispensables pour ne pas perdre la raison, sans que tu puisses jamais obtenir la réponse un jour ?
La jeune fille me toisa avec les yeux ronds. Etait-ce la nature de ma question ou mon ton presque suppliant qui la choqua ?
- Je... bredouilla-t-elle. Non, je ne crois pas, peut-être...
- Ne t'inquiète pas, la coupais-je, inquiète soudain de l'avoir bousculée, ou de mon autorité menacée par cette question. Tu n'as pas à répondre à cette question. Un délire de princesse...
Je tentai de rire, mais même si je sentais que le résultat était pitoyable, elle ne remarqua ni mon ton ni ma grimace et sourit, apaisée.
A cet instant, avant que j'aie eu le temps de poser ma main sur la porte de mes appartements, celle-ci s'ouvrit en grand sur ma nourrice et une armée de tailleuses, costumières, maquilleuses et suivantes, mécontentes. Celle qui se trouvait devant moi me tira brusquement à l'intérieur de mes appartements.
- C'est tout toi, ça, Midona, s'égosilla-t-elle en fermant la porte brutalement pendant que l'armée sortait ses armes. Dès qu'il faut se remuer un peu, on se dégonfle ! Tu crois que tu peux aller au Bal de l'Aube habillée comme ça ? Il faut un minimum de tenue, mademoiselle-la-princesse-qui-n'a-aucun-sens-esthétique ! Ah ! Plus tard, on chantera ta négligence !
Je la laissais continuer son monologue et m'assis indolemment sur mon fauteuil de tissu noir aux fins tissages bleutés. Sans se soucier une seconde de ma pudeur, l'armée m'ôta ma tenue pour m'affubler d'un ensemble beaucoup trop serré (pourtant, je ne suis pas vraiment enveloppée), trop surchargé et pas assez libre pour moi. Ensuite, on arracha des touffes de mes cheveux sans pitié avant de les coiffer d'une manière beaucoup trop compliquée à mon goût pendant qu'une maquilleuse, à l'air tellement maussade que je dus me mordre la langue pour ne pas éclater de rire, me soulignait le contour des yeux, m'étalait du fard sur le visage et du rouge à lèvres sur la bouche, tant et si bien qu'à la fin, j'eus l'impression d'être déguisée. C'est sûr, le résultat en valait la peine, et j'étais plutôt élégante si j'en croyais mon reflet, mais je trouvais tous ces efforts futiles. Encore aurais-je voulu séduire ! Or ce n'était pas le cas. Où trouver un homme qui me comprendrait, qui m'aimerait pour mon caractère et ma beauté naturelle, et pas pour ma richesse, ma robe, mon rang ou les couches superposées sur mon visage, tout en s'arrangeant pour en trouver un qui tienne plus de l'être humain que du légume cuit ?
Pas ici, en tout cas...

Chapitre 2 : Le Bal de l'Aube   up

Je ronchonnais devant mon repas, composé uniquement de soupe, et encore attention ! A avaler avec une paille ! Pour ne pas salir le beau maquillage qui de toute façon partirait ce soir dans mon bain...
Ah... la logique de mes suivantes ! Je partageais mon repas en leur compagnie... Et mise à part la petite Isha, je les trouvais toutes trop commères pour moi. D'ailleurs, l'une d'entre elles m'apostropha :
- Alors, princesse, commença-t-elle entre deux bouchées d'un bon quartier de viande qui me donnait faim, à ce qu'il paraît, il y aura quatre jeunes monarques, qui veulent tous repartir à votre bras. Le choix va être difficile !
- Je ne suis pas obligée de choisir, murmurais-je, inaudible.
- A votre place, continua une autre, sans m'avoir apparemment entendue, je choisirais le Prince Goliath. A ce qu'il paraît, il est particulièrement beau, riche, et donne des festins d'une fastuosité !
Je grommelais, car c'était le treizième au cours de cette année dont on faisait un éloge de cette sorte. Et ces servantes ne rêvaient que de richesse et de luxe. Moi, j'en avais ma dose, du faste ! Rien de plus détestable, selon moi... Mais je devais être la seule au monde à réagir de cette façon face à l'aisance. Pour ma part, j'échangerais bien ma place avec...
Je jetai un regard à ma fenêtre où se promenaient de nombreux bannis anonymes. Je repérai une jeune femme vêtue simplement, qui regardait en riant, au bras de son mari, ses deux enfants qui tentaient d'attraper les carrés du crépuscule. Ma place, je l'échangerais volontiers contre la sienne. Un mari aimant, qui l'avait choisie par amour, et non par intérêt, des enfants joyeux qui gambadaient en toute innocence... J'irais tous les jours faire mon marché, vivrais de couture, une des seules choses dans lesquelles j'étais douée, politique à part, aurais ma maison, mes enfants, mon amour...
Je fus arrachée à ma rêverie par le carillon grave et soutenu n'annonçant qu'une chose : le début de la cérémonie... Je regardai désespérée ma soupe à peine entamée, et décidai de ne pas m'en préoccuper davantage. Je me levai, accompagnée par ma horde de suivantes que je n'arrivais pas à semer depuis dix-huit ans, vérifiai que mon reflet était correct dans une glace avant d'emprunter le chemin de la sortie d'un pas léger, mes pieds nus contre la pierre glacée. J'aimais ce jour comme on aime voir revenir un être cher de la guerre, ramenant avec lui l'espoir de voir défiler autre chose un jour que des carrés noirs devant soi. Quoi de plus naturel ?
Je restai un instant devant la porte, me préparant mentalement à ce qui allait suivre, prendre bien soin à ne pas paraître ridicule en trébuchant sur ma traîne, par exemple.
J'entendais la voix grave et lente des prêtres au dehors, leurs déclarations, leurs promesses... Ils défilaient les uns après les autres sans modification notoire du timbre de leur voix ou encore de l'attention de la foule. Ce calme était presque oppressant. J'avalai difficilement ma salive et écoutai plus attentivement les paroles d'un religieux.
- ... de nous guider sur la route du soleil couchant, afin de voir enfin arriver la nuit, promesse de jour, promesse de temps, promesse de retour à notre Terre Promise, Hyrule. Un jour, nous y parviendrons. Un jour viendra où le Miroir étincellera de nouveau et nous serons pardonnés pour nos erreurs passées, nous serons en mesure de réparer nos fautes. Que le peuple s'exprime !

Un applaudissement général suivit la fin du discours de l'homme. Suivirent deux femmes et un enfant qui, à la surprise générale, débita des phrases d'une poésie rare, et il fut acclamé copieusement, certainement à la grande fierté de ses parents.
Soudain, la foule se tut. Incapable de voir ce qui se passait, j'eus un frisson d'angoisse. Que s'était-il passé ? Rien de grave, enfin je l'espérais...
J'entendis des pas lourds sur l'estrade située devant la porte massive à laquelle je faisais face. La cohorte de gardes qui m'escortait se tendit, mais je savais qu'ils ne valaient pas grand-chose...
Mais à notre surprise générale, ce fut une voix suave et étrange qui nous parvint... Le timbre m'envoûta littéralement, et ce n'était rien face aux paroles que l'inconnu prononça, douces, mais pourtant fortes...

- Peuple de la Pénombre, ni jour, ni nuit, regardez autour de vous. Qu'êtes-vous devenus ? Où est donc passée notre gloire ? Qu'est-ce ? Le temps immobile qui ronge avec la force de l'acide, la caresse d'un vent inexistant, ces carrés qui défilent sans s'arrêter ne serait-ce qu'une seule seconde ou encore cet horizon taché des larmes de sang qu'autrefois notre peuple a versées, inchangé, pourtant changé, banal dans sa beauté silencieuse et envoûtante, cette puissance, magie indolore qui détruit la raison et l'espoir ? Ce noir, ce bleu, partout... Avons-nous été maudits ? Pourquoi ? Est-ce de notre faute si nos ancêtres sont morts pour nous ? Et si ce monde était meilleur que notre "Terre Promise" ? De qui Hyrule est-il peuplé pour nous avoir massacrés et bannis dans le passé ? Monstres... Gardons confiance, construisons-nous un avenir ici, changeons la couleur du ciel par notre espoir, notre volonté, que les carrés deviennent fleurs... C'est dans l'union que nous pouvons le faire. Que nous devons le faire pour vivre mieux. Je place les bannis sous la bannière de la liberté, unique, accessible à tous... Que veut dire l'amour quand nous ne pouvons le manifester ? Que veut dire le courage lorsque l'on se contente de son sort ? Rêvons le vent, rêvons le feu, rêvons le soleil, la lune et les étoiles, rêvons les nuages, les arbres et la mer... Ensemble. Ici, maintenant et à jamais.

Il quitta l'estrade.
Contrairement à mes espérances, le Peuple du Crépuscule n'émit pas un susurrement.
Comme choquée, alors que... Comment décrire ? Il avait dévoilé mes sentiments, même ceux que j'ignorais posséder. Pas une personne n'applaudit, personne ne murmura, même... Pourquoi ? Etrange... J'allais devoir me renseigner...
Mais je revins à mes problèmes. Le silence se faisait pesant, et j'ignorais s'il fallait que j'entre maintenant pour briser la glace ou s'il fallait que je patiente, comme prévu, attendant qu'un des prêtres m'appelle... Les minutes s'écoulaient, rien ne se passait... Alors, un homme s'éclaircit la voix et reprit la parole, plus timidement :
- Après ces... paroles, accueillons maintenant notre Princesse du Crépuscule, souveraine adorée de son peuple, la Dame Midona !
Soulagée, je m'autorisai un soupir avant que deux prêtres vêtus uniquement de bleu fluorescent n'ouvrent les lourdes portes.
Assurée, je m'avançai, escortée plus que convenablement. La glace se brisa aussitôt et je fus reçue par une tempête d'applaudissements qui me toucha au plus profond de mes racines royales et je saluai avec douceur mon peuple de la tête, afin de ne pas avoir l'air stupide avant de prendre la parole d'une voix claire et résolue.
- Mon peuple, toi qui as bravé encore une année dans les ténèbres, illumine-toi d'espoir et de vie !
La foule, semblable à la foudre, poussa des exclamations de joie.
En réalité, c'était dans ces moments-là que j'assumais réellement mon rôle de monarque, et que je sentais que c'était là mon but. Je devais aider mon peuple, j'étais née pour ça. Et je me débrouillais plutôt correctement, à ma secrète satisfaction.
J'évitais de grimacer en songeant à la suite, et repris la parole, coupant les effusions de mon peuple.
- Ô terre, notre gardienne, protectrice et geôlière, accepte ce sang pour ne pas nous perdre dans la folie et la mort.
Argh. Je sentais venir la partie des rituels qui me plaisait le moins. On me tendit une lame aux reflets argentés inquiétants et je tentai de dissimuler ma crainte.
Je remontai lentement ma manche avec appréhension et j'observais la fine cicatrice qui barrait mon poignet, sachant que je devais la rouvrir cette année encore une fois.
Je déglutis, avant de m'exclamer, dans le rituel millénaire :
- Daigne accepter cette offre de mon peuple !
C'est ça, pensais-je, mon peuple ne se charcute pas tous les ans, lui.
Puis j'abattis l'arme sur la balafre, et je me mordis la langue pour garder mon expression neutre, alors que je n'avais qu'une envie, jeter cette andouille d'instrument de boucher à quatre kilomètres de moi et presser la coupure en gémissant. Heureusement, je n'en fis rien.
Je pense que cet étrange acte du couteau est lié à la magie, mais je n'en sais rien, en réalité. Le fait est que le sang - mon sang - présent sur la dague glissa le long de son tranchant avant de se déverser à mes pieds, sans m'éclabousser, sur le sol, et disparut comme absorbé par la pierre, laissant le poignard aussi propre que si on venait de l'acheter, alors qu'il datait d'au moins deux cent ans...
La foule laissa éclater ses cris d'allégresse, me laissant soulagée que cela se soit passé correctement.
Et là, à ce stade, la fête débuta réellement, des musiciens crépusculaires grimpèrent sur une estrade ouvragée un peu moins grande que la mienne et se mirent à jouer un air entraînant. Je remis ma manche à sa position initiale après avoir essuyé l'hémoglobine qui n'était pas à sa place (autrement dit, sur ma peau bleutée au lieu d'être dans mes veines), et descendit de mon estrade, me frayant sans difficulté un chemin dans la foule, dans le but de m'enfuir le plus vite possible avant de rencontrer un des quatre courtisans dont mes suivantes m'avaient parlé. Je vis du coin de l'oeil de nombreux goinfres se jeter sur les buffets. Certains avaient déjà même commencé à s'empiffrer.
Je me dirigeai vers un recoin sombre afin de ne pas trop attirer l'attention - peine perdue, si j'en croyais les regards impressionnés qui ne me quittaient pas avant que j'eusse disparu de leur champ de vision - lorsqu'Isha me rattrapa, apparemment essoufflée, accompagnée de mon imbécile de nourrice.
- Midona, commença-t-elle, et j'en déduis qu'elle était repartie dans ses discours interminables, comment est-ce que tu peux partir toute seule comme ça, sans garde avec ton bras qui saigne ?
Je soupirais.
- Regarde, dis-je en désignant un gros banni qui se léchait les babines devant une gastronomie appétissante. Tu crois que ça peut me faire quoi que ce soit ?
- Oui, reprit-elle, moulin à parole sans bouton off, mais il faut que tu sois un minimum présentable devant les princes. Tu ne vas pas te présenter devant eux avec la moitié du bras en sang ?
Et nous y voilà, songeais-je, agacée. Je commençais sérieusement à envisager de mettre les choses au clair, et ma pauvre gouvernante avait toujours le don pour exagérer les choses, si l'on observait l'égratignure sur mon bras.
- Ecoute-moi, déclarais-je, soudain plus ferme, en m'arrêtant. Tu feras ce que tu voudras de ce que je vais te dire, mais sache au moins ça : je ne compte pas rencontrer encore des zigotos tellement pleins de pierres précieuses qu'on n'arrive même pas à les localiser eux-mêmes dans leurs costumes farcis aux fanfreluches.
Les gens autour de nous s'écartèrent, mêlant respect, inquiétude, et soif de ragots. Ma nourrice, elle, fit un pas en arrière et passa d'une teinte olive à une teinte piment rouge.
- Il se trouve que c'est ton rôle de princesse, et que tu n'as pas le choix, mademoiselle. Je me fiche de tes accents adolescents et de ton opinion, tu vas venir avec moi, que tu le veuilles ou non, te soigner et rencontrer ces princes. Tu cherches la guerre, ou quoi ?
- Non, murmurais-je, tremblante de rage. Juste la liberté.
Je doutais qu'elle m'ait entendue, trop occupée à me traîner vers ma loge, mais mes paroles me firent penser au discours du jeune homme étrange qui avait tant figé l'assemblée. Je ne l'avais d'ailleurs pas vu en sortant de mon palais, à croire qu'il s'était volatilisé...
En attendant, on m'assit brutalement sur ma chaise et l'on me tira férocement la manche avant d'asperger ma minable coupure de désinfectant (de l'alcool assez fort pour faire crier si la blessure était assez profonde), insensible à mes glapissements. Tout cela bâclé en quelques minutes, on arrangea mon apparence et l'on me poussa dehors. Devant moi arriva un homme fort bien vêtu et beau, certes, mais dont le petit air de supériorité et d'arrogance me poussa à le haïr avant même de lui parler. Celui-ci s'avança en s'inclinant gracieusement, mais un peu pompeusement. J'aurais de loin préféré une poignée de main, mais il me semblait que j'étais condamnée à voir des gens se ridiculiser devant moi à multiplier courbettes et marques de respect. Ce dernier, après avoir salué, me fit un baisemain élégant, mais qui m'exaspéra encore plus.
Le noble se releva et me toisa un peu trop ouvertement à mon goût, comme s'il tentait de déterminer si je lui plaisais ou non. A mon grand dam, le résultat sembla positif car il me sourit de toutes ses dents et prit la parole d'une voix trop travaillée pour que je sois en mesure de l'apprécier.
- Votre Majesté, votre humble serviteur, le prince Goliath, gouvernant de la cité flottante de Tria.
Je saluai également, un peu plus simplement avant de répliquer :
- Midona, Princesse du Crépuscule. Soyez le bienvenu en mes terres, Seigneur Goliath.
S'il savait que je ressortais cette formule à tous les courtisans qui se présentaient...
Ce dernier désigna d'une main gantée et couverte de bagues l'estrade où se produisaient les musiciens sans quitter son sourire qui se voulait enjôleur.
- J'espère que vous appréciez la touche personnelle que j'ai ajoutée aux festivités, ma Dame.
- Ils sont très bons, mentis-je, les trouvant en fait bons, mais dans les normes.
- Ces joueurs sont les meilleurs de ma cité, poursuivit-il, lancé. Ils jouent souvent à ma cour, lorsqu'ils ne sont pas en représentation ailleurs, dans une des grandes salles de Tria.
Tout ce baratin était sans doute destiné à m'impressionner, et bien que cela m'ait laissée indifférente, je feignis l'admiration.
- Mais, continua-t-il, en me jetant un regard moins maîtrisé que le restant de ses actes, et qui me mit particulièrement mal à l'aise, quoi de plus normal que l'élite pour un être aussi divin que vous l'êtes ? Les louanges sur votre beauté et... votre grâce n'étaient point de vulgaires racontars...
C'est ça, songeai-je, furieuse. Les commères échangeant des potins sur ta beauté et ta classe, elles, en revanche, devraient être jugées pour calomnie, vieux débauché ! Je tentais tout de même un rire, et je remerciais le ciel qu'il ne vit pas l'expression mal réglée de mes traits, mélange entre l'étranglement, le dégoût et la fureur. Il se retourna brusquement en faisant virevolter sa cape noire (frimeur !) et me saisit délicatement la main en se courbant légèrement.
- Ô, Céleste Midona, si les étoiles existent, alors vous les surpassez en éclat ! Si vous daignez descendre des cieux, m'accorderez-vous l'honneur de m'offrir une danse ?
Là, je trouvais qu'il en faisait beaucoup trop et je toussotai, gênée. A cet instant, une voix de basse appela l'andouille devant moi qui se retourna, visiblement courroucé.
- Oui ? demanda-t-il avec sécheresse.
- Prince Goliath, je suppose que nous sommes autant en droit que vous de rencontrer la Princesse du Crépuscule, nous serions-nous fourvoyés ?
Goliath toisa ses adversaires du regard, renifla avec dédain, puis s'éloigna dans la foule. Je poussai un soupir de soulagement : même si cela ne changeait rien à ma décision de ne pas céder, je devais une fière chandelle aux nobles qui regardaient Goliath s'éloigner avec satisfaction. Je remontai les marches de l'estrade, donc, et alla dans leur direction. Ils se présentèrent et je saluai poliment chacun d'entre eux, entendant sans écouter leurs éloges sur le faste et la réussite de cette fête, sur ma beauté, et de nombreux : "Et cette étoffe est bien jolie, vous en avez eu pour combien ?" à ne plus en finir.
Je passais donc l'essentiel de ma soirée (selon nous, il était l'heure de manger le repas du soir, et beaucoup de familles avec des enfants en bas âge rentrèrent dormir chez eux) en leur compagnie, acceptant de danser avec certains, mais je ne revis pas Goliath.
Pendant que les hommes discutaient de politique entre eux, je prétextai reconnaître un ami et m'éloignai rapidement, avec la résolution de ne pas me laisser rattraper, cette fois-ci. De toute façon, ma nourrice était rentrée chez elle, jugeant que la fête partait un peu trop en vrille, Isha dansait avec un jeune homme et ma garde personnelle était trop ivre pour tenter quoi que ce soit.
Soulagée, je me réfugiai dans un coin sombre après avoir commandé de quoi manger, ne me souciant plus de mon maquillage.
J'étais littéralement morte de faim, pour n'avoir avalé ce jour-là que deux gorgées de soupe, et j'engloutis scrupuleusement mon sandwich (enfin, l'équivalent d'un sandwich pour les bannis), sans me soucier davantage du regard que me porterait mon peuple ; j'étais bien cachée dans l'ombre, et plus personne ne me prêtait plus la moindre attention, trop occupé à séduire, à boire ou à manger.

Une fois mon appétit satisfait, je m'installai sur une chaise à l'écart de la foule, toujours dans l'ombre, et laissai ma tête dodeliner pendant que j'écoutais la musique - le groupe traditionnel avait laissé sa place à un autre qui jouait sur un rythme endiablé. Les Crépusculiens restants semblaient s'amuser comme des petits fous. Ils étaient pour la plupart jeunes, assez énergiques (si on pouvait qualifier son peuple "d'énergique"...), et dansaient sans retenue au rythme de la musique. Une bonne occasion de s'amuser...
J'eus soudain un pincement au coeur... Avais-je laissé mes belles années passer ? Etais-je encore capable de m'amuser comme eux ? Un sourire maussade se dessina sur mes lèvres... Me laissera-t-on seulement participer à ce type d'amusement ? J'imaginais déjà ma nourrice... "Hors de question ! Toi, une princesse ! Que pensera ton peuple de toi s'il te voit te contorsionner comme une démembrée ?" C'était ça depuis mes onze ans... Le chantage politique...
Je fus soudain saisie d'une ferme résolution. Etait-elle obligée de le savoir ?
Je repérai un jeune homme, pas très mignon mais seul. Il me suffisait de me lever et d'aller lui demander, cela ne me coûtait rien et il ne me le refuserait sûrement pas... Un sourire mesquin se dessina sur mes lèvres maquillées... Chiche ?
Soudain, je sentis une main se poser brutalement sur mon épaule. Sur le qui-vive, je me retournai brusquement. Un groupe de quatre hommes au regard rouge, comme pour le commun de mon peuple, mais étrangement brillants, ne pouvant signifier qu'une seule chose : l'alcool était en train de ravager leur sens moral. Celui qui m'avait prise par l'épaule me gratifia d'un sourire mauvais :
- Alors, on est toute seule ?
Aïe... Celle-là je ne l'avais pas vue venir... Je jetai un regard autour de moi.
J'étais seule...

Chapitre 3 : Lui   up

Il n'y avait pas à dire, j'étais sérieusement dans le pétrin. Ils étaient quatre, moi j'étais seule, pas très entraînée au combat, avec une escorte de douze gardes tous en train de dormir sous les effets de notre liqueur locale...
Bravo Midona ! Me dis-je, intérieurement. J'étais forcément obligée de me fourrer dans le premier danger venu dans un rayon de 90 kilomètres... Je me forçai cependant à prendre un air détendu et je croisai les jambes, désinvolte.
- Bonsoir messieurs. Puis-je vous être utile ?
S'ils pensaient que j'étais assurée, peut-être me laisseraient-ils en paix... Peine perdue. Autant demander à un mort de bien vouloir se lever lorsqu'il entendrait le réveil sonner...
L'un d'entre eux s'avança et je me sentis aussi stupide que vulnérable. Je me levai et esquissai un pas en arrière. Mon poignet qui souffrait de mon récent sacrifice fut cruellement saisi, et je grimaçai, sentant que j'étais bonne pour passer à la casserole... Soudain, une autre main se posa bien plus doucement sur mon épaule.
- Allons, messieurs, ne voyez-vous donc pas que cette demoiselle aspire à la tranquillité ? Quel manque de tact !
Je tressaillis.
Cette voix... Les mêmes nuances que celle de l'homme qui avait fait son discours auparavant... Cette étrange douceur un peu inquiétante...
L'homme ivre toisa l'étranger que je ne voyais pas. Je ne connaissais qu'un seul détail sur son physique : il était plus grand que moi, et j'approchais pourtant des un mètre quatre-vingts. L'inconnu en question devait mesurer dans les deux mètres !
Je lus dans le regard du banni qu'il hésita un instant avant de déclarer fort et confusément :
- T'es qui toi ? Tu la veux pour toi tout seul, ou quoi ?
- Excusez-moi, je n'aspire pas à ceci, il s'agit de ma soeur...
Pfff... Bidon ! L'homme m'avait certainement reconnue, maintenant, et certainement dès qu'il avait posé les yeux sur moi.
Pourtant, l'imbécile afficha un instant sa surprise avant de se reprendre et de cracher en bafouillant :
- Et alors, qu'est-ce que ça change ? Elle est trop mignonne pour qu'on la laisse filer comme ça !
Il mima un geste incertain dans le vide, mais l'homme au discours reprit, d'une voix désormais réellement effrayante :
- Je vous somme de laisser cette jeune femme. Tout de suite.
La réplique que l'ivrogne avait préparée mourut dans sa gorge avant d'avoir pu atteindre ses lèvres et, restant un instant figé de stupeur, il fit un bref signe aux autres voyous de sa bande et ordonna :
- Allez, on se barre.
Ils défilèrent alors tous devant moi en m'adressant des regards mauvais avant de se fondre dans la foule qui se déchaînait au rythme de la musique.
Un instant de silence où je pus reprendre mon souffle me permit de rassembler mes esprits.
Je me retournai alors et contemplai mon sauveur.
Il était encore plus grand que ce que je m'imaginais, véritable géant, mais sans l'once d'un muscle ou d'une trace de graisse, loin pourtant d'être maigrichon. Il avait le teint un peu plus clair que le mien et le visage en longueur, avec les yeux soulignés par un trait noir orné de différents motifs. La couleur de ses prunelles me frappa : au lieu de l'habituel rougeoiement des yeux des bannis, les siens étaient totalement jaunes, et scintillaient étrangement. Ses manières vestimentaires n'étaient pas communes, sans pour autant être assez excentriques pour qu'on le remarque plus que mesure. Il portait une large tunique noire avec des manches assez spéciales : des lanières de tissu partaient de ces dernières, dissimulant ses mains, lui donnant une allure incertaine. Ensuite suivait un pantalon bouffant de la même teinte et des chaussures dorées, qui semblaient lourdes à porter. Par-dessus sa tête, il avait enfilé une combinaison brune qui moulait son crâne, mais laissant apercevoir un début de courts cheveux couleur rouille bien coiffés.
Mais ce ne fut pas son apparence physique qui me frappa, bien qu'il fût bien plus beau que ce snobinard de Goliath.
Non...
Il dégageait... quelque chose d'indéfinissable.
Une sauvagerie et une instabilité étrange, quelque chose de félin, de reptilien même, quelque chose de dangereux, aussi incontrôlable que le feu ou l'eau, comme si je faisais face à l'incarnation d'un élément naturel. De cet homme émanait un pouvoir sourd et brut, tout en étant fin... De presque sensuel, je dus l'admettre...
Atrocement attirant et horriblement repoussant...
J'avalai ma salive. Je ne savais à quoi m'attendre avec cet homme en face de moi. Allait-il me faire un signe de tête et s'éloigner ou bien se jeter férocement sur moi ? En attendant, je n'osais bouger, et je compris l'immobilité de la foule lors de son discours.
Il inclina doucement la tête et murmura presque :
- Vous avez déjà eu de meilleures idées, ma princesse, que d'arpenter seule cette fête avec l'emballage d'un sandwich comme unique protection...
Son ténor m'enchantait toujours autant, mais je ne savais que faire. Rire ou pleurer ? J'étais très partagée entre ces deux envies contradictoires, mais vu qu'un léger sourire naquit au coin de ses lèvres, je m'autorisai un petit rire.
- Merci, lâchai-je. Votre idée de me faire passer pour votre soeur était risquée, tout de même.
- J'ai improvisé, avoua-t-il.
Nous nous dévisageâmes en silence avant que je ne retrouve le courage de parler.
- Puis-je connaître le nom de mon sauveur ?
J'étais bien moins détendue que ce que je lui laissais croire.
Il planta ses yeux reptiliens dans les miens, spéciaux aussi, étant donné que j'étais dotée d'un iris, contrairement aux autres membres de mon peuple. Il murmura en un souffle :
- Xanto, pour vous servir, Dame Midona...
Il se détourna de moi et sembla chercher des yeux quelque chose dans la foule, puis fit la moue et déclara toujours aussi doucement, avec une légère teinte railleuse :
- Je vois que vos gardes du corps sont fidèles au poste et toujours aussi efficaces... Me voilà rassuré.
Contemplant à mon tour le tas de militaires endormis les uns sur les autres dans un coin, je soupirai :
- Le jour où je me transformerai en bouteille de liqueur, ils feront des nuits blanches pour qu'il ne m'arrive rien...
Le dénommé Xanto eut un petit rire singulier et écrasa de nouveau mes yeux de son regard :
- Pas besoin d'attendre cet événement pour assurer votre sécurité, gente dame...
Même si je n'aimais pas ses formules de politesse, je n'osais pas lui demander d'arrêter tellement il m'inquiétait.
- Si vous rentriez chez vous, ce serait certainement plus sage, sans vous couver, princesse....
- Hum...
Il est vrai qu'à part être la proie de nouveaux alcooliques, il ne me restait plus grand-chose à faire ici... Sauf que... Si j'avais décidé de rester, c'était dans le but de m'amuser... Je jetai un regard à Xanto, partagée entre le désir qu'il parte et celui qu'il reste, car il m'intriguait trop pour le laisser filer aussi facilement.
- Parlez sans crainte, Ma Dame, chuchota-t-il comme s'il avait lu dans mes pensées. Je ne vous mangerai pas.
Aussi stupide que soit cette constatation, ce n'était pas du tout ce dont on avait l'impression quand on le regardait. J'eus un frisson.
Apparemment, il ne releva pas.
La musique s'adoucit, et la foule calma la fureur de leur danse, prenant des partenaires pendant que la cantatrice chantait et que les notes des instruments s'élevaient hautes dans le ciel en compagnie des carrés noirs.
- Bien, commença Xanto. Comme je déduis que vous ne rentrerez pas sagement chez vous avant d'être morte de fatigue ou bien d'être transformée en bouteille d'alcool, m'accorderiez-vous cette danse ?
Malgré tous mes efforts, je ne pus m'empêcher de hoqueter de surprise. Devant un homme aussi étrange qui aurait pu passer pour un tueur à gages, c'était plus qu'inattendu. Mais j'avoue que j'aurais accepté sans hésiter s'il ne m'avait pas autant intimidée. Je marquai un temps, puis je me dis que je ne risquais rien, et je répondis, enjouée :
- Après délibérations, le tonneau de vin a décidé d'agréer votre demande.
Xanto sourit, et même son sourire était étrange, me prit la main et m'entraîna vers la piste de danse. Le contact déclencha un spasme qui se répandit dans tout mon coeur, agréablement dérangeant. Sa peau était fine, lisse et froide, comme celle d'un serpent, et trop étrange pour que l'on se sente à l'aise, mais assez plaisante pour me captiver, et je ne quittai donc pas des yeux cette main qui saisissait la mienne, presque aérienne et en même temps pesante.
Je me rendis à peine compte du nombre de personnes qui nous contemplaient, les yeux ronds, et les quelques âmes juvéniles qui s'étaient attardées s'éloignèrent en nous voyant - surtout en le voyant, lui. Je ne songeai pas un instant au nombre incalculable de balivernes qui circuleraient suite à cette incartade, trop terrorisée et curieuse pour penser convenablement. Quelle mouche le piqua pour m'emmener directement au beau milieu de la piste ?! Je grommelai, mais ne dis rien.
Il se mit à m'entraîner...
Nous tournions doucement, sans proximité excessive, contrairement à Isha que j'aperçus, littéralement plaquée contre son partenaire, roucoulant de joie. Et l'éclat menaçant que je pouvais lire dans le regard brillant de mon propre cavalier ne m'inspirait guère...
Les notes se succédèrent, la chanteuse se surpassait, les musiciens également, je ne vis étrangement pas le temps passer, trop absorbée par mon mystérieux sauveur. Celui-ci baissa la voix et me demanda sans trop d'affolement :
- Si vous êtes ici à cette heure, seule, j'en déduis que vous avez fourvoyé vos invités et que vous n'êtes nullement supposée vous situer ici, à danser avec un inconnu qui pourrait s'avérer dangereux...
Je me raidis soudainement. Devais-je le prendre comme une menace voilée ? En attendant, nos pas s'enchaînaient avec grâce, et Xanto dansait étrangement bien malgré ses lourds souliers. Je devais admettre qu'il savait danser, à sa manière...
- Qui êtes-vous, soufflai-je, sans dissimuler outre mesure ma crainte, réellement, pas uniquement votre nom ?
- Je viens de Tria, susurra-t-il. Je ne suis personne d'important, un anonyme parmi la foule, qu'on peut... aisément oublier.
Je sentis son hésitation et la manière dont il s'était tendu, à ce même moment. Contemplant avec suspicion son visage reptilien, je vis qu'il ne m'observait plus, son regard portait au-delà de ma tête, et je lus dans ce dernier une soudaine alarme.
- Que se passe-t-il ? demandai-je sottement en me retournant.
Et c'est là que je les vis ; un groupe de soldats disciplinés qui s'avançaient, écartant brutalement la foule. Je m'injuriai intérieurement et tournai de nouveau mon visage vers Xanto. Celui-ci, proche de mon oreille, m'ordonna doucement, le ton un peu plus alerte que de coutume :
- Ces gardes ne viennent pas pour vous, princesse. Partez d'ici, et s'ils vous rattrapent, dites que vous ne savez rien sur moi, ce qui est vrai. Je suis désolé, sincèrement, je réparerai mes fautes le moment venu.
Il s'éloigna à grands pas.
Beaucoup de mystère pour un seul homme, non ? Je me retournai, mais il avait déjà disparu, comme englouti par la foule. Je commençai à craindre le groupe qui se dirigeait vers moi, et fis mine de m'éloigner également, mais il m'était évidemment impossible de m'effacer avec autant d'aisance, les gens s'écartant avec respect tous les trois centimètres. Les sept hommes prenaient de l'avance.

A cet instant, je décidai que j'avais suffisamment désobéi aux idéaux princiers pour ce soir, essayant de rejoindre les marches de mon palais.
Opération réussie avec succès.
Je marchais donc de plus en plus rapidement, j'avais hâte d'être à l'abri entre quatre murs.
Je poussai sans retenue la porte massive de mon "antre" et me réfugiai à l'intérieur.
L'embrasure close, je me plaquai contre elle et respirai profondément.
Dès que mon coeur alarmé se fut calmé, une bouffée de joie explosa dans un lieu insoupçonné de mon âme. En vérité, ce soir avait été plus mouvementé que les douze dernières années de ma vie, et alors que j'aurais pu en vouloir à ce mystérieux Xanto, je lui étais reconnaissante.
Il avait embelli ma soirée.
J'éclatai de rire. Etait-ce le soulagement, la nervosité ou le fait que j'avais été heureuse un quart d'heure depuis si longtemps ?
Peut-être tout cela à la fois...

Silencieuse, je me faufilai jusque dans ma chambre, fermai la porte à clef, et bien que je fus tentée par l'idée d'avaler celle-ci pour que l'on me laisse tranquille le lendemain, je la posai à contrecoeur sur ma table de chevet, avant d'enlever tous ces froufrous inutiles. Je ne comptais pas prendre de bain ce soir, trop exténuée pour penser à n'importe quoi d'autre qu'à mon bon lit douillet... Et à l'inconnu...
Un coup de démaquillant sur le visage, je détachai mes cheveux orangés, enfilai ma chemise de nuit qui choyait par terre, déverrouillai ma chambre et me glissai dans mes duvets, en poussant un soupir d'extase.
Malgré mon enthousiasme, je sentais bien que la soirée n'avait pas été sans risque...
Je repensais aux gardes brutaux... M'auraient-ils oubliée le lendemain ?
J'avais beau utiliser tous les stratagèmes imaginables pour me rassurer, je sentais que désormais j'allais être traquée...

Réduite au rang de proie...

Chapitre 4 : Vérités   up

Mon rêve fut étrange... Sans suite précise, sans souvenirs respectés, sans lieux réels... Un souvenir que je n'avais pas vécu qui se termina étrangement...
J'étais dans un bâtiment hostile, et l'éclairage était insolite.
Je courais.
Je ne savais pas pourquoi, mais je sentais que si je m'arrêtais, tout était fini. J'avais un but immuable, bien que j'ignorais sa nature et pourquoi je devais continuer coûte que coûte...
Je courais.
Finalement, après avoir traversé des salles vides, j'arrivais devant une baie vitrée. Des hommes étranges entouraient un pylône noir, des hommes qui n'avaient rien de commun avec ceux que je connaissais (teint pâle, cheveux aux teintes bizarres). Je les vis.
Deux visages enchaînés au pylône, tordus par la douleur, ensanglantés, dont un m'était inconnu, mais je savais qu'il comptait plus que ma propre vie.
L'autre tourna son visage ravagé vers moi.
Planta ses yeux dans les miens.
Un éclat décoloré...

Topaze...

Je me réveillai en sueur, dans mes draps noirs et bleus. Je portai la main à mon visage humide, et tentai de maîtriser les battements affolés de mon coeur. Je pris une longue bouffée d'oxygène et m'étalai sur mon matelas, exténuée. Mon rêve m'avait bouleversée, par son réalisme irréel et ce regard final...
Comment était-il parvenu à s'immiscer dans mes rêves, je l'ignorais, mais l'éclat fané de ses pupilles me brûlait la gorge. Je regardai mon inya (instrument qui essaye de donner un temps à nos journées), et constatai qu'il était encore tôt, je décidai donc de quitter ma couche maudite et de me préparer seule, au lieu de devoir affronter ma horde d'esthéticiennes. Une coiffure simple, des vêtements pas trop extravagants, je nouai mes cheveux après un rapide démêlage sous mon menton et me maquillai légèrement pour ne pas infliger une crise cardiaque à ma nourrice.
Ceci fait, je fis mon lit et m'assis dessus, sans idée précise pour m'occuper.
Mon estomac gargouilla douloureusement, et je déclarai intérieurement qu'il était grand temps de s'occuper du râleur.
Je sortis donc de ma chambre d'un pas hésitant avant de m'engager dans les couloirs de ma suite. J'entrais dans mon salon personnel, lorsque j'aperçus ma nourrice sur le canapé, l'air revêche.
- Bonjour nourrice, entonnai-je d'un ton léger, de bonne humeur malgré mon rêve.
Celle-ci, dès qu'elle m'entendit, bondit sur ses pieds et me propulsa contre le fauteuil en face d'elle.
- Hé ! protestai-je, aussi surprise que furieuse. Ça va pas ?
La vieille femme posa un doigt accusateur sur mon thorax et grogna :
- Tu ne bouges pas d'ici pendant mon absence !
Elle sortit de la pièce à grands pas furieux. J'eus un temps de réaction. Qu'est-ce que j'avais bien pu faire ? J'étais bien allée à la fête et j'avais bien enduré des heures de supplice avec les invités...
Ah oui, mais je m'étais délibérément enfuie, et...
Aïe...
Trop tard...
Ma nourrice revint en compagnie de Goliath, avec un petit air réjoui détestable.
Ce dernier alla s'asseoir en face de moi, en me contemplant de façon un peu trop ouverte à mon goût, et croisa les jambes, trop détendu, trop satisfait...
Ma nourrice se planta à côté de moi et commença à débiter ses accusations :
- Midona, jamais je ne t'aurais crue capable de faire ça. N'importe quelle paysanne serait meilleure princesse que toi ! Devant tes courtisans, en plus !
- Qu'est-ce que j'ai fait ? demandais-je innocemment.
- Tu te fiches de moi ? glapit-elle, hurlant presque. Après t'être délibérément enfuie, ce noble prince ici présent t'as retrouvée, et pas n'importe où ! Dans les bras d'un parfait inconnu débauché !
Ainsi c'était Goliath... Une bouffée de fureur me brûla les poumons et je répliquai, me contrôlant difficilement :
- Qu'est-ce que t'en sais, qu'il était débauché ? Je fais ce que je veux, que je sache !
- Non, pas en tant que princesse, petite impertinente, s'emporta-t-elle, rouge. Ton rôle est d'incarner l'ordre et la dignité ! Tu sais maintenant ce que ton peuple pense de toi ?
- JE N'AI PAS CHOISI CE ROLE !
Il y eut un temps avant que je comprenne que c'était moi qui avais crié, détachant chaque syllabe avec hargne, me levant en même temps. Je mis ma main à ma bouche, choquée. Ma nourrice semblait aussi troublée, et reprit sa couleur d'origine. Même Goliath se défit de son sourire, un instant heurté.
Il y eut un long silence.
- Désolée, murmurais-je, au bord des larmes.
Je quittai la pièce presque en courant, traversant les couloirs et les salles sans tenir compte des mille regards qui me toisaient et me réfugiai dans ma chambre. Une fois à l'intérieur, je fermai doucement la porte... Avant de me jeter sur mon lit et de pousser le gémissement que j'avais retenu dix-huit années. Un gémissement long et furieux, miroir de ce que je renfermais dans mon âme.
J'ignore combien de temps je restais là, prostrée sur ma couche, brisée de sanglots incontrôlables.
J'entendis à peine la porte s'ouvrir doucement, puis se refermer, ce bruit de pas... Je ne réagis que lorsque je sentis un poids sur mon lit. Levant les yeux, j'aperçus le visage de Goliath, et me redressai, aussi mal à l'aise que de coutume.
En fixant mes yeux, il prit ma main et se mit à murmurer, doucement :
- Comme je vous comprends, Midona... Il y a cette phase, chez nous tous, où nous voulons tout abandonner pour une vie plus simple... Puis l'on se raisonne. Vous devenez adulte, Midona... Responsable et... belle...
Il porta sa seconde main à mon visage et me caressa la joue. Aurais-je été moins abattue, je me serais reculée, mais j'avais à peine conscience de ce qui m'entourait. Le ton qu'il avait employé pour le dernier mot aurait dû me mettre en garde... Il continua, de sa voix la plus douce :
- Peut-être que prendre l'air dehors vous ferait du bien, malgré l'heure avancée ?
Il me leva et m'entraîna dehors, par une entrée dérobée dans un jardin crépusculaire, très joli, je devais l'admettre, mais je n'étais pas en état d'assimiler quoi que ce soit à un adjectif. Goliath poursuivit son discours en me guidant à travers les rangées de fleurs hautes :
- Oui, Midona, j'ai parfois la sensation que vous vous étonnez devant notre admiration pour vous... Pourtant, vous êtes une perle rare parmi notre peuple, peut-être la plus ravissante créature qu'ait portée ce monde maudit...
Là encore, sa proximité aurait dû m'avertir, mais je ne réfléchissais à rien, subjuguée par mon destin maussade.
Mais j'avouais que l'air frais me remettait les idées en place et c'est plus ou moins revenus dans le monde réel que nous arrivions enfin dans une partie reculée du jardin, entourée de toutes parts par des carrés crépusculaires. Très joli, mais... isolé.
Soudain, Goliath tira ma main, ce qui m'attira vers lui. C'est là que je commençai à comprendre le problème...
- Hé ! protestai-je, offusquée. Je n'ai jamais...
Je fus coupée dans mon élan par sa main qui saisit mon cou et qui plaqua sa bouche contre la mienne. Furieuse, je me débattis inutilement, car ma condition physique n'avait rien d'extraordinaire, et lui raffermit sa prise sur ma nuque, me déclenchant des frissons de colère et d'anxiété. Il laissa sa main libre vagabonder, et j'eus envie de pleurer de nouveau, de hurler, mais je ne pouvais pas faire grand-chose... Finalement, il relâcha son emprise sur ma bouche et je m'exclamai :
- Mais vous êtes complètement taré ! Lâchez-moi !
Peine perdue, il était lancé, enfouissant son nez dans mon cou pour en inhaler le parfum, me tenant fermement par la taille, pendant que je m'escrimais afin qu'il me lâche. Son souffle s'était accéléré, le mien aussi, mais pas dans le même but. Sa bouche embrassa férocement ma gorge avant de revenir à mes lèvres, sans que je ne puisse y faire quoi que ce soit. Plus je le repoussais, plus il m'enserrait, avec plus d'ardeur à chaque fois que je tentais de me dégager. Quelle pourriture d'être princesse ! A cet instant, mon rêve le plus cher aurait été de naître guerrière pour le forcer à me lâcher et à regretter ses gestes sérieusement.
Il commençait à véritablement perdre les pédales lorsqu'une voix étrange retentit.
- Quel culot !
Goliath se retourna, me retenant toujours dans ses bras, comme s'il passait en revue les différentes façons de faire disparaître le gêneur. L'intrus en question eut un petit rire qui ne m'était pas inconnu... Il avait beau se situer dans l'ombre, je savais exactement de qui il s'agissait... Un éclair zébra l'horizon, complétant la pluie qui s'était mise à tomber quelques minutes plus tôt, le dévoilant.
Lui.
Comment avait-il fait pour pénétrer dans mon palais et être là à ce moment précis pour me tirer de cette situation aussi dangereuse qu'embarrassante ? Me cherchait-il ?
Xanto s'avança. Réellement effrayant, comme d'habitude, mais j'étais prête à n'importe quoi pour partir d'ici au plus vite.
- Qui es-tu, toi ? cracha Goliath en m'enserrant avec force, comme s'il avait peur pour sa "possession", et que l'homme pouvait lui voler son bien. Un chien entré par effraction ?
- Et toi ? demanda mon sauveur, très calme, en allant s'accouder à un mur, croisant les bras et les jambes. Un gentilhomme aux instincts pervers qui passe son temps à ennuyer les belles demoiselles ?
Furieux, Goliath me colla contre lui, comme si j'étais totalement d'accord avec son comportement, et, comme de coutume, mes efforts physiques ne changèrent rien au comportement de ses lèvres, glissant sur ma joue puis mon cou en frémissant.
Malgré le calme olympien du banni, je lus dans son regard un reflet rageur en constatant le comportement de Goliath, et je sentis, malgré ses manches, ses mains se crisper furieusement. Il quitta son accotoir et s'avança, désormais réellement menaçant vers le prince, qui tenta de ne pas broncher devant sa dégaine.
- Lâche la princesse.
- Ou sinon quoi ? souffla mon geôlier.
- Pas compliqué. Je témoignerai.
- Sauf si je te tue avant.
Xanto eut un sourire mauvais et prit une posture défensive.
- Essaye, si tu le peux...
Il me sembla que mon agresseur en fut tenté, car il prit une mine hésitante.
- Allez... le poussa Xanto, comme amusé. Tu sais que tu peux y arriver... Allez...
Finalement, Goliath me lâcha brutalement et s'éloigna à grands pas, dans un mouvement complexe de sa cape noire, avant de lancer un regard à mon sauveur d'un air de dire : "On se reverra", et un à moi semblant promettre: "Je n'en ai pas fini avec toi" qui déclencha un long frisson qui remonta le long de mon échine.
Xanto l'observa jusqu'à ce qu'il sorte de son champ de vision avant de sourire, satisfait. Je repris longuement mon souffle avant de me retourner vers lui :
- Encore au bon moment au bon endroit, on dirait...
Celui-ci eut un sourire.
- Vous n'allez pas vous en plaindre, tout de même ?
Ça, non, je n'allais pas m'en plaindre, mais je frémis tout de même.
- Un conseil, commença-t-il, plus sérieux. N'allez pas l'accuser, vous seriez mise en tort et le peuple du crépuscule en danger... En attendant, évitez de vous trouver seule dans la même pièce que lui au maximum, car cette fois, je ne serai pas là pour vous tirer d'affaire, princesse...
- Oui... Vous avez raison. A propos, m'enquis-je, je vois que vous avez semé vos poursuivants...
- Depuis hier, oui...
- Que vous voulaient-ils ?
- Un soi-disant règlement de compte stupide...
- Puis-je savoir en quel honneur ?
Xanto planta ses yeux dans les miens, effrayant.
- Non.
Oui, j'allais sans doute trop loin, et je m'excusai à ce propos. Il me sourit de nouveau.
- Ce n'est rien, c'est tout à fait logique, vu votre situation, mais vous en dire trop vous mettrait en danger.
J'étouffai un petit rire. Si je n'étais pas déjà en danger, alors l'aube était revenue. Enfin, je n'étais pas obligée de tout savoir...
J'entendis un bruit de pas derrière moi, et je crus faire un arrêt cardiaque.
Qui était-ce ? Goliath ? Ma nourrice ?
- Si tu croyais que tu allais pouvoir te planquer simplement en restant dans le palais, tu te trompais... Goliath nous a beaucoup aidés, si tu vois ce que je veux dire...
Je me retournai lentement. Devant moi se tenait un groupe de seize hommes, arborant le même uniforme que la veille. Celui qui, apparemment, avait pris la parole, en voyant que je le regardais, m'adressa un sourire railleur, et j'eus envie de l'étrangler. Quel toupet !
Ils s'avancèrent, hostiles, mais Xanto, lui aussi, se positionna devant moi, avec le calme de celui qui sait combattre. Il les dévisagea avant de lâcher :
- Vous attaquer à la princesse elle-même ! Depuis quand êtes-vous tombés si bas ?
Des grognements menaçants montèrent des lignes ennemies et leur chef cracha :
- Et toi, depuis quand es-tu qualifié pour dire ce genre de choses ? On t'empêche de nuire, rien de mal à ça.
- Ce n'est pas ce que je critique, reprit-il calmement, mais le fait de vous attaquer à l'autorité elle-même.
- L'autorité n'avait pas à te fréquenter.
Je grondai. Le mot "fréquenter" était un peu fort pour un inconnu rencontré uniquement deux jours de suite. Je n'aimais pas la froide résolution de la voix de notre interlocuteur.
Ma colère se troqua en angoisse lorsque je remarquai les armes aiguisées, épées, arcs et flèches harponnées luisantes, comme impatientes de se nourrir de notre sang. L'homme qui devançait les autres tira son poignard affuté aux reflets mouvants.
Xanto fit un pas en arrière.

Puis tout se passa très vite.

La lame fendit l'air à une vitesse affolante, et je basculai vivement sur le côté, évitant le coup avec plus d'adresse que ce dont je me pensais capable. Ensuite, moi à terre, tout me parut flou : ce que je compris, c'est qu'un soldat tomba au sol à mes côtés, les yeux vides, ayant perdu leur éclat, le poitrail déchiré, par trois griffures sanglantes qui lui barraient les poumons, son sang se déversant par terre, des bulles écarlates éclatant au coin de ses lèvres, vermeilles de cette même substance, la pierre du jardin souillée.
Je poussai un petit cri d'horreur.
Trop de sang pour moi...
D'ailleurs comment ce dernier avait-il jailli ?
Jetant un coup d'oeil affolé à Xanto, je remarquai les deux lames jaillissant de sous ses manches, tachées d'un rouge fluide, devinant avec nausée sa nature...
Je vis du coin de l'oeil le chef percer la défense de mon sauveur, lacérant cruellement son épaule, laissant apparaître la balafre fraîche qu'il venait de créer. Le banni grogna et repoussa les guerriers d'un mouvement de ses épées.
Puis, il me saisit aussi facilement que si j'étais en plumes et sauta.
Tout simplement prodigieux.
Il gagna sans difficulté les murailles de mon château, escalada tout en me portant ce qui restait. Me disant que ce n'était pas le moment pour laisser libre cours à mon vertige, je fermai les yeux, serrai les dents et n'émis aucune protestation.

La pluie ruisselait sur les vêtements du banni, accompagnée par son propre sang entremêlé avec celui des vies qu'il avait prises sans sourciller. A cet instant, je me rendis réellement compte du danger. Non pas celui de tomber ou de me faire rattraper par les guerriers, bien que ces derniers furent bien existants.
Non...
Le danger, réel, était situé à quelques centimètres de moi, les yeux imperturbables, toujours illuminés de cette étrange lueur... Les lanières pendant de ses manches, tachées...

J'eus envie de sauter.
De retrouver nos traqueurs.
De me précipiter dans les bras de Goliath.
En sentant l'immuable vérité qui m'arrachait, qui me brûlait, qui m'étranglait de honte et de dégoût.
Malgré le danger, malgré la folie, malgré l'instinct de survie, malgré ma propre raison, mes propres racines royales...
Je sentais cette vérité qui s'insinuait à travers mes sens, me paralysant alors que j'aurais voulu fuir.
Cette atroce vérité.

J'étais désespérément et immuablement amoureuse de lui.

Chapitre 5 : Douleur   up

Il saisit enfin le dernier créneau qui le séparait du toit de la bâtisse.
Sa main étrange était creusée par l'effort qu'il avait déployé pour ne pas me laisser tomber, et pour ne pas prendre le risque de chuter.
Il m'avait encore sauvée.
Certes, j'étais la princesse et un aimant à situations périlleuses, mais...
Qu'est-ce qui le poussait à agir à la place de mes gardes du corps ?
Qu'avait-il fait pour être traité comme un criminel ?
Quelque chose d'atroce, certainement...
Le sang qui souillait ses vêtements aurait suffi à lui seul à le condamner à mort, surtout qu'il ne semblait pas être choqué par ses actes.
Il ne semblait pas posséder la moindre trace de sentiment humain.
Qu'est-ce qui me poussait alors à m'enticher à cet être sans coeur ? Peut-être quelque chose d'inconscient, qui contrôlait en secret le moindre de mes actes et de mes sentiments...
Je n'avais jamais ne serait-ce qu'effleuré ce sentiment par le passé, pourtant, je le savais, au plus profond de mon être, de la moelle de mes os aux fondements de mon esprit.
Le tonnerre gronda.
Xanto se hissa sur le toit, et poussa un léger grincement, sûrement à bout de forces.
De mon côté, je ne pus m'empêcher, en contrôlant difficilement ma peur du vide, de jeter un rapide coup d'oeil par-dessus la balustrade de mon palais pour voir les déplacements de nos poursuivants.
Quelle erreur...
J'eus à peine le temps de les voir, tout allait trop vite.
La seule chose que je réussis à discerner, ce fut un reflet argenté qui s'imprimait sur les gouttes de pluie, mis légèrement en valeur par un nouveau coup de foudre.

Soudain, le choc.
Surprenant, inattendu.
Douleur.

Je poussai un cri de rage, de souffrance, que je me serais crue incapable de pousser.
D'autres traits flous, ma vision troublée par mon mal et la pluie mêlée, mais mon cerveau en alerte fit la liaison entre ce que je voyais et ce que j'éprouvais.
Mon regard brouillé passa du ciel à mon épaule.
Une flèche harponnée s'était fichée dans ma chair, m'arrachant un gémissement, et pour une fois, je n'en eus pas honte.
Une forme sombre était étalée sur le sol.
Mort ?
Non, ça, ce n'aurait pas été juste ! Je divaguais, les images, les réflexions, mes pensées étaient incohérentes, dénuées du moindre sens.

J'avais mal.
Le crépuscule se referma sur moi.

¤

Douleur...
Souffrances, souffrances, souffrances...
Du feu dans mes veines, de la lave qui brûlait ma peau...

Je n'avais pas de mains pour les tordre.
Pas de gorge pour hurler.
Je n'avais que ma douleur.
Et les ténèbres.

Si j'avais pu, j'aurais supplié que la mort vienne à moi.
Or, je ne le pouvais pas.
Et j'étais seule...
Je sentais chaque millimètre de ma peau sentir l'haleine ardente du mal qui m'irradiait...
Je connaissais exactement le parcours des flammes, je savais précisément où elles rongeaient, dévoraient, laissant la désolation derrière elles.

Je brûlais, pourtant j'avais froid.
J'ignorais même si j'existais réellement, si je n'avais pas passé l'éternité ici à sentir ce feu m'incendier, si le temps existait réellement...

Qui j'étais, je ne savais plus, où j'étais, je m'en fichais, depuis quand encore plus, seule comptait cette torture sans nom...

Le réel, l'irréel, tout se mélangeait au reste, le reste était flou, disparaissait...

Mais je me souvenais de la mort.
Je savais qu'elle était là, dans l'ombre...
Qu'elle approchait...
Je pouvais même sentir son souffle...
Mais qu'était donc un souffle ?

Je savais que la dernière étape de ma calcination serait mon coeur. Et là, la douleur s'arrêterait.
Pourquoi mettait-elle si longtemps à arriver ?
Je ne savais pas si mes yeux voyaient, mais je n'apercevais que du noir... Rien d'autre...

Sauf...

Quelque chose se découpa... Deux lueurs jaunes...
Une phrase dont le sens m'échappait...

Le feu qui me brûlait s'agita, léchant mon corps entier, dévorant tout, insupportable... J'aurais voulu m'arracher le coeur, j'aurais voulu partir en morceaux, pour ne plus tout sentir !

Puis tout s'arrêta.
Je flottais dans le vide, brusquement, plus rien.
J'étais toujours égarée hors de la pensée et du temps...

Mais la douleur était partie.
Et j'étais sûre d'avoir encore un corps.
J'étais sûre d'être encore en vie.

Chapitre 6 : Séquestration   up

Lorsque mes paupières offrirent à la lumière l'occasion de se faufiler au coeur de ma pupille, un douloureux torrent de lumière bleutée envahit ma vision, m'obligeant à fermer de nouveau mes yeux.
J'avais dû bouger car j'entendis vaguement un froissement de tissu proche.
Puis une voix.
Sa voix.
- Princesse, ouvrez les yeux. Vous en avez la force, désormais ; daignez sortir de l'ombre, Majesté...
Irrésistible.
Je fis une nouvelle tentative, mais elle échoua tout aussi lamentablement que la première, et je me plongeai à nouveau dans l'obscurité, oppressante, mais cocon contre les agressions extérieures.
La voix reprit, amplifiée, sa demande :
- Dame Midona, ceci n'est pas un ordre : c'est une supplique. Ouvrez les yeux, je vous en conjure, je ne veux pas vous voir disparaître dans le puits de votre blessure.
Cette phrase me toucha. Pour lui, il fallait que je fasse l'effort. Pourquoi, je le savais, même si je le reniais.
Cette fois, je ne laissai pas mes paupières faillir à la tâche, et je tins bon lors du choc visuel.
L'éclair fut passé.
Son visage était penché, près du mien, les yeux fichés dans mon faible regard.
Le feu me monta aux joues, et je me sentis particulièrement ridicule de rougir ainsi devant un aussi étrange assassin.
Il eut un petit sourire et se redressa, prenant la parole :
- Vous sentez-vous bien, princesse ?
- Je... Je crois, répondis-je sottement, car "je crois" n'avais pas réellement de réelle signification.
Puis je le regardai de nouveau. Encore une fois, il m'avait soigné, sauvé. Trois à zéro, et aucun moyen de réinitialiser le compteur. Je me redressai lentement sur le lit sur lequel j'étais étendue, de peur de voir la douleur me mordre de nouveau, mais rien ne vint.
Je voulais exprimer ma gratitude, que je n'avais jamais vraiment formulée par le passé.
- Comment vous remercier ?
C'était aussi simple qu'imbécile, mais je pensais qu'elle exprimait tout le poids de ma reconnaissance.
Xanto eut un léger sourire, une fois de plus et répondit :
- En évitant de servir de nouveau de cible à des archers qui ont une mauvaise tendance à empoisonner leurs flèches.
- La... la flèche était empoisonnée ?
Je compris alors l'étendue de ma douleur, le feu qui avait incendié mes veines... Elle prit un sens, et je me sentis moins idiote d'avoir fait tant d'histoires.
- Oui, poursuivit-il. Mais mes maigres compétences de guérison ont apparemment suffi à contenir votre mal.
- Elles n'étaient pas si maigres si vous avez réussi à ne pas me perdre...
- Cela a été plus aisé que vous ne l'imaginez.
Là, je dus avouer que je n'aimai pas la lueur qui traversa son regard à cet instant précis. Je n'en dis rien bien sûr, j'étais stupide peut-être, mais pas inconsciente.
Mon regard quitta mon interlocuteur pour vagabonder sur la pièce. L'architecture était complexe, comme partout ailleurs, un entrelacs de gravures rouges, bleu-vert, cyan et ocre, mais bien ordonnée. J'appréciai la disposition des meubles dans l'espace ni trop vaste ni trop petit, qui donnait une impression de sûreté chaleureuse (enfin, pas trop, nous étions tout de même dans le Royaume du Crépuscule...). Prise de curiosité, je questionnai :
- Où sommes-nous ?
- Chez moi.
Surprise ! Après l'invitation à danser, une jolie maison. Décidément, il était un tueur à gages plein de curiosités... Mais cela me rassura. Savoir qu'à certains moments, il dormait dans un lit protégé par des murs, entouré de meubles banals comme un miroir, un canapé et une armoire le rendait plus humain.
Il sourit et murmura :
- Est-ce que ça vous plaît ?
Je tentai l'expérience de me lever (aucune douleur) en susurrant :
- C'est magnifique...
Lorsque je tentai un pas, en revanche, je trébuchai sur le sol et ne dus qu'aux prodigieux réflexes de Xanto de ne pas m'étaler par terre. Je rougis de nouveau (Grrr... Quel défaut pourri) et baissai les yeux afin de ne pas croiser les siens.
- Tout va bien, me rassura-t-il. C'est normal, si vous éprouvez des difficultés au début après une telle période de convalescence.
Soudain, je fus prise d'un doute.
- Une période... De combien de temps ?
- Un temps logique, répondit-il. Deux semaines et demie.
Là, je dus avouer que j'eus un choc. Deux semaines et demie ? Mais... on devait me chercher partout ! Et surtout, si on me retrouvait, Xanto serait accusé d'enlèvement et de séquestration, et là, ses chances de s'enfuir s'avèreraient faibles.
Mais il y avait pire : qu'était devenu le royaume du crépuscule pendant ce temps ? Qui dirigeait à ma place ? J'eus un nouveau doute. Selon moi, Goliath ne me collait pas vraiment pour mes beaux yeux... Il y avait deux raisons : la première, je refusais de la formuler dans mon esprit, et je la passais donc, mais la seconde était évidente : le pouvoir !
Aïe... La cité flottante de Tria avait beau être une des cités les plus importantes du royaume, elle était la première en matière de crimes, corruption, agressions nocturnes et des rumeurs parlaient même d'un marché noir vendant n'importe quoi, comme des manuels de magie aux... Crépusculiens eux-mêmes.
Si le royaume devenait comme ça, il ne tiendrait pas longtemps...
- Xanto, commençai-je, frissonnant en prononçant pour la première fois son nom, qui a pris la tête du royaume en mon absence ?
Il cligna des yeux de façon reptilienne, avant de répondre avec douceur :
- Votre nourrice s'en charge, et s'en sort très bien, même si elle ne possède pas votre sang royal. Elle aurait préféré se couper en quatre elle-même plutôt que de léguer votre trône au Seigneur Goliath.
- Ma nourrice ? répétai-je, amusée. Après tout, c'est mieux ainsi. Mais... je dois y retourner, sinon...
- Navré, me coupa-t-il, mais je ne peux vous permettre de quitter ces lieux : ils rôdent dehors, à l'affût, et si vous partez, je ne parviendrai peut-être pas à vous tirer de leurs griffes... Ils ont des contacts politiques et pourraient s'en sortir, peu importe la manière dont ils vous traiteraient.
- Mais qui sont-ils ? M'exaspérais-je, inquiète à l'idée de cette séquestration chez un assassin.
Il répondit en un seul souffle :
- Ils m'en veulent, et sont prêts à tout pour me faire payer... quelque chose. Y compris à vous torturer, voire à vous tuer.
Il inspira longuement avant de reprendre :
- Je suis tellement désolé de vous avoir entraînée là-dedans, c'est une erreur qui me concerne seul, pas vous, ma Dame.
Il eut l'air humain, et j'eus envie de dire quelque chose, n'importe quoi. Ce qui sortit de ma bouche dans une sonorité veloutée qui m'était étrangère me surprit moi-même.
- Appelez-moi Midona...
Il planta de nouveau la couleur topaze de son regard dans le mien, l'air vaguement étonné, bien moins que moi.
- Si tel est votre désir... Oh ! Aimeriez-vous visiter, si vous devez rester ici quelques temps ?
- Avec plaisir, m'empressai-je de répondre, afin de changer de sujet, et curieuse de découvrir les méandres de sa demeure.
Il sortit donc de la pièce, me faisant signe de le suivre.
Je lui emboîtai donc le pas et m'engageai à sa suite dans un couloir aux teintes douces, dans les tons lilas et aux lumières voilées. Il n'y avait pas de fenêtres, mais le corridor n'était pas oppressant.
Je découvris avec surprise certaines pièces de sa maison, comme une salle de bains perfectionnée, une cuisine un peu dérangée, puis enfin un salon et une salle à manger circulaires encastrés l'un dans l'autre, aux couleurs rougeoyantes et violettes, qui éclairaient bien.
L'endroit semblait plus que confortable, recouvert de causeuses et de fauteuils moelleux. Au centre du salon trônait un piano majestueux. Ravie, je me dirigeai vers lui, laissant Xanto en arrière.
Mes doigts effleurèrent les touches froides, avant d'engager un accord timide. Enchantée par la sonorité douce de l'instrument, j'enchaînais quelques arpèges, avant de me tourner vers le maître des lieux.
- Savez-vous en jouer ?
- Non, avoua-t-il en riant un peu. C'était un cadeau dont je ne parvenais pas à me débarrasser, puis je finis par le laisser ici. Comme cela, ça donne l'illusion que je suis un grand pianiste.
Je pouffai et poursuivis mon morceau. Lui m'apostropha de nouveau :
- Vous, en revanche, Midona, vous semblez savoir manier cette chose mystérieuse...
- Oui, un peu, répondis-je en un sourire. Etant donné mon programme d'éducation, j'ai eu droit à des cours. Mais... j'avoue avoir séché quelques leçons.
Il sourit à son tour.

¤

Et la vie se poursuivit. Lui s'absentait très souvent l'équivalent de la nuit hylienne, et me tenait compagnie lorsque j'étais levée. Il s'avéra très vite que je dus me charger des fourneaux, car, aussi fort était-il au maniement des couteaux, les casseroles peuplaient ses cauchemars, selon ses dires.
Il me rapportait fréquemment des nouvelles du monde extérieur, souvent politiques, et je grognais à l'idée d'être enfermée et coupée de mon trône alors que Goliath tentait d'amadouer la population pour prendre le pouvoir.
Mais un jour, Xanto revint avec la main gauche lacérée, prouvant bien que nos agresseurs étaient toujours à l'affût, me décourageant de sortir.
J'ignorais le nombre de mois que j'avais passés, à cet étrange rythme vital, qui, étrangement, me convenait bien plus que tous les raffinements de la noblesse.
Avais-je réellement envie de reprendre ma place ?
Ma nourrice se débrouillait on-ne-peut mieux, et j'étais sans doute plus en sûreté ici que n'importe où ailleurs, entre les mystérieux traqueurs qui me surveillaient et Goliath...
Mais Xanto continuait à me faire peur, avec raison. A certains de ses mots, une lueur étrange passait dans ses yeux jaunes, ou lorsque je jouais du piano...
Je n'aimais que moyennement sa façon ouverte de m'épier, sans bouger, avec une expression calculatrice peinte sur le visage.
Mais était-ce lui ou moi qui me faisait peur ?
La flamme folle qui avait envahi mon coeur, au lieu de s'éteindre, prenait de l'ampleur, et je surprenais mes pensées à s'égarer vers lui, agréablement douloureuses.
J'avais du mal à analyser ce que j'éprouvais vraiment, tant ce torrent de sentiments était contradictoire.
Et j'avais peur.

Quelquefois, lorsqu'il faisait un pas vers moi, je reculais. Si Xanto n'y prenait pas garde, moi si, tentant de comprendre mes sautes d'humeur avec lui.
Incompréhensibles...

¤

- Je dois m'absenter toute la journée, aujourd'hui, Midona. Je reviendrai ce soir, lorsque vous dormirez. Ne vous inquiétez pas pour moi, je m'occuperai de mon repas.
- Ne vous intoxiquez pas, quand même.
- Avant que vous ne logiez ici, j'ai survécu à de nombreuses années de nourriture brûlée et immangeable, mes anciennes capacités de digestion vont assurer ma survie.
- Je l'espère, plaisantais-je en croquant dans un fruit.
Il sourit, posa un papier sur lequel il avait récapitulé ses dires sur la table et prit le chemin de la sortie.
Depuis que je cohabitais avec lui, il ne m'avait jamais dit où se situait sa maison précisément. Sur Twilia, la capitale, emplacement de mon palais, je le supposais, mais précisément, impossible de le savoir...
Rien n'était sûr, avec lui...

J'allai jeter mon trognon, me lavai les mains et m'installai au piano, l'une de mes seules occupations lorsqu'il n'était pas là.
Au bout d'une heure, je commençai à me lasser et cessai mes interminables accords. Je passai une main dans ma chevelure. Son extrémité, nouée par un anneau d'argent commença à s'allonger, puis, à ma demande, prit la forme d'une main gigantesque.
Ce pouvoir étrange que je possédais depuis ma plus tendre enfance ne m'avait jamais servi, mais lorsque je m'ennuyais, j'aimais m'exercer à le dompter pour lui faire prendre la forme de mon choix. C'était dur, mais j'aimais bien cet effort, l'impression de maîtriser quelque chose d'aussi compliqué.
Désormais, grâce aux multiples heures que je passais seule, contrôler les pouvoirs de ma chevelure ne me demandait presque plus d'effort, sauf pour exécuter des actes de précision ou de force.

Je passais donc mes journées à m'exercer, entre deux repas, vautrée dans un canapé à demander à ma main géante de s'étirer de plus en plus, de changer de forme...
Les magies du crépuscule étaient pour le moins étranges...

Le soir vint, mais le sommeil, lui, refusait de m'approcher.
Pourquoi ?
Je ne le savais pas moi-même... Je n'avais pas quitté mon fauteuil, désormais plongée dans un livre.
Quel livre !
Il parlait d'Hyrule. Il semblait très vieux, datant peut-être du début de l'apprivoisement du monde du crépuscule... Il racontait toutes les circonstances de notre bannissement, omettant juste quelques détails comme la date, le nom du sorcier maléfique qui nous aurait bannis ou bien le lieu où ce fameux miroir serait détenu... Un miroir qui ferait la liaison entre cette même cité et Hyrule. Extraordinaire, non ? Soi-disant, les Hyliens nous auraient confisqués tout objet d'une magie trop puissante, comme le Casque Majorien, un artefact de magie noire qui confère certains pouvoirs à son porteur, divisé en quatre pour plus de sûreté, gardés en quatre lieux différents.
Il y avait une carte ancestrale d'Hyrule, une contrée qui semblait si variée... Un désert, une grande plaine, des forêts, des montagnes...
Un bruit coupa court à mes rêveries.
La porte s'ouvrait.
Serait-il revenu si tôt ?
Je fermai et posai le livre, satisfaite de lui avoir tout de même gardé des restes. Je me dirigeai vers l'entrée pour l'accueillir.
Lui.

Hors ce ne fut pas lui qui franchit la porte.
Quinze hommes cuirassés pénétrèrent dans le couloir, arme à la main, sourire aux lèvres.

Et j'étais seule.

Chapitre 7 : Révélations   up

Ils pénétrèrent, calmes, l'un après l'autre dans la maison. Ils avançaient vers moi, me forçant à reculer jusqu'au salon. L'un d'entre eux, vêtu d'une courte cuirasse de cuir rouge presque noir sortit du rang de soldats et me toisa avec un sourire mauvais.
- Il a préféré t'abandonner plutôt que de subir notre colère... Comme c'est pathétique...
- Qui êtes-vous ? demandai-je, ma voix tremblant légèrement. Que voulez-vous ?
- Est-ce si compliqué à deviner ? reprit l'autre en tirant une arme affûtée.
Je déglutis. Ils allaient me tuer ou me torturer pour récupérer des informations que je n'avais pas, ou bien...
- Chef, s'exclama un guerrier. Regardez ce qu'il y a sur la table !
L'interpellé se désintéressa un instant de moi pour se tourner vers le papier que Xanto m'avait laissé. Aïe...
Ayant fini sa lecture, l'homme ricana et se tourna de nouveau vers moi.
- S'il compte revenir au beau milieu de la nuit, et bien on va l'attendre ici, ma belle...
Et, sans attendre, il me poussa brusquement contre un canapé. Trois militaires se jetèrent sur moi, et me lièrent les mains avec une chaîne. Ils serrèrent fort, mais je me doutais que je n'avais pas trop intérêt à me plaindre...
Le chef s'assit à côté de moi en prenant mes poignets liés et en les tirant brutalement vers lui. Puis il ordonna au reste de ses troupes :
- Fouillez partout, vous pouvez garder les richesses que vous trouverez, mais je veux tous les objets magiques de cette maison ! J'y mettrai personnellement le feu... Peut-être que je le brûlerai avec... Ou bien elle, poursuivit-il en me désignant. Ça le fera souffrir...
Oh non... Il allait se précipiter dans cet horrible piège la tête la première...
L'homme m'attira encore plus vers lui, prit son poignard et le plaqua sur mon cou, de telle façon qu'une goutte de sang perla. Deux autres soldats s'assirent aussi sur la causeuse, parfaitement à l'aise, ricanant en voyant leurs camarades détruire l'endroit, échangeant des commentaires à voix basse en me désignant, avec un sourire mauvais.
Et moi, je me sentais vraiment vulnérable et impuissante en voyant tous ces guerriers renverser la table et les meubles, brisant des vases et se jetant sauvagement sur le moindre petit objet brillant ayant de la valeur.
Le chef, lui, commençait à me regarder avec satisfaction et une once de convoitise qui me mit encore moins à l'aise.
J'assistai à la destruction de mon paradis éphémère, sentant avec appréhension le moment tant redouté venir, le moment où Xanto franchirait, inconscient, cette porte. Quatre soldats s'étaient postés de chaque côté de cette dernière, prêts à le saisir dès son entrée.
Repus de richesses, au beau milieu de la poussière et des débris, les autres avaient commencé à dévorer le contenu du garde-manger.
Le chef, les jambes croisées, me tenant plaquée contre lui, avait une patte de viande à moitié entamée qu'il jeta rapidement sur le sol dans la main droite, et laissait sa main gauche, tenant toujours son poignard, tracer des longues lignes brûlantes là où elle se promenait.
La situation était désespérée, et je tentais de garder mon calme, en voyant les gardes qui passaient devant moi me lancer des clins d'oeil mauvais en ricanant.
Je n'y tins plus et tentai de me dégager. L'homme, bien plus fort que moi, me tira de nouveau contre lui en murmurant :
- Tout doux, ma belle. Si tu es gentille, on ne te fera pas trop mal.
- Pourquoi faites-vous ça ? demandai-je, au bord des larmes.
Mon bourreau me toisa avec deux yeux ronds avant d'éclater de rire en me postillonnant dessus son fruit tout juste entamé.
- Tu veux dire que tu ne sais pas ?
D'autres éclats de rire firent écho à son hilarité. Je ne voyais pas ce qu'il y avait de drôle et guettais une réponse.
- Et bien, beauté, tu sauras tout ça tout à l'heure. Autant qu'il soit là, ce sera plus amusant...
Soudain, les éclats de rire se turent et la troupe reprit son sérieux. Derrière la porte, on entendait des bruits de pas, lourds... Les soldats échangèrent des sourires triomphaux : ils jubilaient à l'idée de l'avoir, enfin... Un élancement de rage me parcourut ; peu importe ce que Xanto avait fait, personne ne méritait un tel traitement ! Le chef fit signe à tous de se taire et il n'y eut plus un bruit, mise à part la porte qui se déverrouillait...
Le groupe guerrier éteignit la lumière qui irradiait les gravures.
Qui s'ouvrait...
Quelques pas lourds à l'intérieur...
La porte se ferma.

Et tout se passa très vite. Les gravures s'illuminèrent de nouveau et Xanto se détourna de l'interrupteur pour nous faire face.
Une surprise horrifiée se peignit sur ses traits en nous voyant, sa maison, détruite, des militaires assis sur ses fauteuils, décontractés, de la nourriture traînant sur le sol, moi menacée par un poignard affûté, plaquée contre leur chef, entourée par d'autres soldats vautrés, ses objets magiques empilés devant nous, brisés.

Il esquissa un pas en arrière, mais les quatre soldats postés de chaque côté de la porte se jetèrent sur lui, lâchement.
Xanto tira, trop tard, ses deux lames, totalement inutiles désormais, car quatre autres soldats vinrent prêter main forte aux premiers, et le maîtrisèrent rapidement, lui enchaînant les bras et plantant l'extrémité des chaînes dans le sol.
Quatre militaires, satisfaits de leur travail ignoble, après lui avoir arraché ses armes, retournèrent s'affaler dans un fauteuil et se resservir de la viande, accompagnés d'éclats de rire mauvais.
- Tiens, tiens, tiens... ricana le chef en croquant dans son fruit. Pris par surprise, on dirait...
Xanto le regarda droit dans les yeux, son regard topaze exprimant toute la fureur qu'un être humain est capable d'exprimer, mais ne dit rien.
- Je te trouve en charmante compagnie, Xanto, poursuivit-il. Ce n'est pas dans tes habitudes, d'après mes souvenirs. Tu as toujours préféré oeuvrer... en solo...
Il eut un rire mauvais et laissa sa main libre glisser le long de ma hanche. Je détournai le regard, paniquée, mais j'eus juste le temps de voir à quel point Xanto avait serré la mâchoire.
- Elle n'y est pour rien là-dedans, protesta-t-il. Relâche-la !
- Je n'ai pas spécialement envie d'agréer ta demande, répliqua l'homme en mordant une nouvelle fois dans son fruit.
Comme il l'avait fini, il lança négligemment le trognon vers son prisonnier, qui atterrit à ses pieds.
- Or, poursuivit-il, il s'est avéré que ta ravissante amie ne sait rien de ton passé. Je me suis donc dit que discuter de tout cela ensemble serait une bonne idée, j'ai donc attendu ton retour...
Il éclata de rire, accompagné par le restant de sa compagnie. Moi, je scrutais le visage de Xanto, un peu plus pâle que de coutume. Il se mordit la lèvre inférieure, puis releva la tête, prêt.
Le visage de l'homme qui me retenait commençait à se tordre dans une joie sauvage et furieuse, montrant ses dents en un sourire horrible.
- Nous te tenons enfin, sale sorcier de pacotille... Ce ne fut pas une partie de rigolade, mais nous y sommes finalement parvenus... Je te promets que tu vas souffrir, oh oui, ça tu vas souffrir... J'avais pensé te brûler vif, mais ce ne sera ni assez long, ni assez douloureux...
Je n'y tins plus et m'exclamai :
- Mais enfin, que lui vaut ce traitement ? Qu'est-ce qu'il a fait de si horrible ?
Quinze regards sauvages encore plus rouges que d'habitude me contemplèrent. J'eus un pressentiment atroce et regardai de nouveau le détenu, comme si c'était la dernière fois que je le voyais de cette façon. Il planta de nouveau ses yeux dans les miens, tristes...
A regret, je parvins à m'arracher à cette contemplation, et me tournai de nouveau vers le guerrier qui me dévisagea.

- Tu veux savoir ? Et bien... cet homme, ce Xanto, qui a l'air d'être ton chevalier servant depuis peu, qui t'a sauvée, soignée, d'après ce que je constate, qui s'occupe de toi, mais qui t'as aussi détenue, qui a tué devant tes yeux des hommes de sang froid, et bien, cet homme... est ce sorcier, ce même sorcier, qui, si longtemps auparavant, nous a bannis d'Hyrule.

...

Je me levai, lentement.
Personne ne songea à m'en empêcher.
Je me tournai vers le mur, et enroulai mes bras autour de moi, recroquevillée.
- C'est impossible... murmurai-je, au bord des larmes. C'est impossible...
- C'est pourtant exactement ce qu'il s'est passé, cracha le chef. C'est lui qui a pratiqué de la nécromancie et mis en péril toute forme de vie en Hyrule, qui nous a fait bannir, réduits au rang d'oiseaux en cage !
Soudain, je me retournai, et jetai sur le détenu un regard rempli de larmes, suppliant.
- Xanto... Dis-moi que ce n'est pas vrai !
Je ne me rendis même pas compte que j'avais abandonné le vouvoiement, je voulais qu'il nie, qu'il tente de s'enfuir, encore une fois...
Il y eut un silence.
- Désolé, Midona... murmura-t-il en détournant le regard. Il a raison.
Je fis un pas en arrière, horrifiée. Des larmes coulaient le long de mes joues sans que je cherche à les arrêter ou à les contrôler.
Pourquoi ? Pourquoi le destin a-t-il voulu que je tombe amoureuse de l'homme que je maudis depuis ma plus tendre enfance ?
Ce sentiment ne s'était pas évaporé en même temps que l'horrible révélation qui m'avait été faite.
- Ça te fait du mal, hein ? railla l'homme en remuant le couteau dans la plaie. T'es triste de le savoir ? Et toi ! aboya-t-il en direction de Xanto. C'est pas parce qu'elle est traumatisée qu'elle va être épargnée !
Il fit un signe de tête à deux gardes.
- Saisissez-la. On va voir si ce traître est assez humain pour ne pas supporter ses hurlements.
- Non, s'empressa-t-il de répliquer. Elle n'a rien à voir là-dedans, tu t'attaques à la princesse elle-même, tu n'as pas le droit de faire ça !
- Et toi, murmura l'homme. Est-ce que t'avais le droit de nous bannir ?
Des bras musclés se saisirent de moi et me tinrent juste devant le chef qui s'était levé, pour faire face à Xanto.
Il s'approcha de moi, à quelques centimètres maintenant, et caressa ma joue.
- Tu vois, tu vas souffrir pour la bonne cause...
Il se saisit d'un carreau d'arbalète qu'un garde lui tendit. Sauf que le bout de ce projectile était en incandescence...
- Ne fais pas ça, supplia Xanto. C'est après moi que vous en avez, pas après elle. Je t'en supplie, ne la touche pas !
Le chef arrêta son geste, et fit mine de réfléchir. Puis, soudain, il appliqua le fer contre ma peau.
Le hurlement ne se contrôla pas.
Il jaillit de mes entrailles, des fondements de mon esprit.
Je tentai de me dégager du contact, mais rien à faire, ils me tenaient trop bien, et mes efforts futiles les firent éclater de rire.
Puis, il cessa l'application, arrachant un bout de ma peau avec. Je fondis en larmes, tremblant de tous mes membres, encore bouleversée par la douleur.
Xanto, lui, avait le visage déchiré...
Le chef se détourna de moi et, une fois devant lui, lui décrocha un coup de poing monumental. Il ne gémit même pas et releva lentement la tête, indifférent au filet de sang qui coulait au bord de ses lèvres.
- Je n'ai pas d'ordres à recevoir de toi, espèce de traître, cracha le militaire. Mais vu que tu sembles attacher tant d'importance à elle, nous allons tranquillement rentrer à la base, où nous allons nous occuper de vous bien mieux...
Il saisit une sphère de communication et la positionna devant lui. Un hologramme flou apparut alors et prit la parole :
- Alors, capitaine, êtes-vous parvenus à le capturer ?
- La surprise, la surprise, mon seigneur... railla-t-il. Enfin, nous allons enfin pouvoir venger les nôtres.
- Capitaine, pour cet acte, vous serez promu au grade de général, et vous recevrez un logement de fonction fastueux et spacieux. Vous pourrez faire venir votre famille défavorisée de Tria.
Le visage de l'homme s'illumina, apparemment ravi de cette initiative. Je compris que ce n'était pas un monstre, pas plus que les autres, ils désiraient juste se venger, à juste titre. C'était nous qui étions du mauvais côté de la balance. Mes yeux se posèrent sur Xanto qu'on surchargeait de liens. Les gens qui l'entouraient étaient méfiants, le toisaient à distance et évitaient de s'approcher trop près.
Mais moi, je ne parvenais pas à le haïr. Pourquoi ? Pourquoi ?
Parce que je l'aimais.

Tout simplement.
C'était atroce, c'était trop bête, mais c'était comme ça.
Et rien, ni la douleur, ni le temps, ni le passé, le présent ou le futur, ni mes devoirs royaux ou ni même ma propre volonté ne pouvaient y changer quoi que soit.

On nous traîna au centre de la pièce, sans qu'ils ne prêtent la moindre attention aux larmes qui humidifiaient mes joues.
Jusque là, ma vision et mes sens étaient certes en alerte, mais fonctionnels. Or, il se passa quelque chose d'étrange.
Soudain, ma vision de la pièce dévastée se fractionna, divisée par carrés, se brouilla.
Tout devenait flou.
Et puis il fit noir.
J'avais la désagréable impression d'être éparpillée, écartelée... De ne plus avoir la moindre consistance.
Pourtant, j'avais encore mal.
Mal à cause de ma blessure sanglante, brûlante, et mal à cause de l'estafilade qui barrait mon âme, et qui ne guérirait jamais. Une flèche avait transpercé mon coeur, dévastant tout sur son passage, détruisant ma vie à jamais, et cela, je le savais.
J'avais envie de pleurer.
Qui était-il pour oser exister ? Qui étais-je pour ne pas vouloir le voir disparaître ?
Pourquoi le destin place-t-il sur notre route des événements dont nous sommes les victimes, incapables de les contrôler ? Cette histoire ne pouvait que mal finir...
Et elle était bien partie pour le faire.

Ma vision commença à reprendre des couleurs, des formes floues qui prirent de la netteté au fur et à mesure du temps.
J'étais arrivée dans une salle à l'architecture minimaliste et à la lumière rouge extrêmement forte. Le sol que mes pieds nus foulaient était de pierre, froide, glaciale même. La pièce était divisée en deux par un grillage grossier mais dense, empêchant de bien distinguer les éléments posés à côté - mais je devinais leur fonction - d'une construction complexe, les deux côtés de la pièce reliés par une porte cadenassée. L'endroit inspirait l'angoisse, à juste titre.
Autour de moi, je vis les soldats et Xanto réapparaître dans une condensation des carrés crépusculaires. Ainsi c'était ça...

Ils tirèrent leur prisonnier derrière le grillage. Une dizaine d'hommes l'accompagnèrent, fermant la porte à verrou.
Moi, je restai seule dans cette pièce trop grande pour moi. J'avais honte de me l'avouer, mais j'étais terrorisée.
Mon coeur battait la chamade, comme s'il tentait de compenser le temps proche où il ne battrait plus...
Et j'attendais.
J'attendais... Quoi ?
Ma mort ?
Celle du banni derrière la grille ?
Et pourquoi devrais-je attendre, je vous prie ?
Finalement, je n'étais pas si résignée. Muée par le fait d'avoir pleinement accepté mon amour, et mon angoisse, j'avais décidé que les choses ne se passeraient pas ainsi.
J'ignorais si j'étais capable de le faire, ou si j'avais réellement à le faire, mais tant pis.
Pour mes espoirs, j'allais essayer.
Pour lui, meurtrier nécromancien, j'allais réussir.

Déjà, j'entendis quelque chose s'activer de l'autre côté de la grille. Il fallait juste que l'un d'entre eux se rapproche...
J'entendis la voix du chef, glacée, satisfaite :
- On va voir si tu es assez exceptionnel pour survivre à deux douleurs différentes... Allez, je m'occupe de lui. Vous, allez voir la princesse... Et amusez-vous bien !
J'avalai ma salive, anxieuse. Dix soldats franchirent la porte de métal, armés.
Ma résolution faillit un instant. J'étais seule, ils étaient dix, armés, surentraînés... Animés par les pires intentions, le pire sentiment, la Haine.
Et moi... Je n'étais qu'une pauvre petite princesse de pacotille qui n'avait jamais appris à se servir de ses dix doigts.
Un bruit strident me parvint.
Puis un hurlement.

Xanto...

Non. Il n'y avait pas d'hésitations, pas de doutes. J'avais un pouvoir, je pouvais m'en servir...
Je devais m'en servir...

Un s'approcha.
Ma chevelure s'agita.
La panique enserra ma gorge. J'allais blesser, peut-être tuer un homme, user d'un pouvoir dont presque personne ne connaissait l'existence...
Trop tard.

Une main gigantesque fonça droit vers lui.
La surprise se peignit un instant sur ses traits, mais juste quelques fractions de secondes.
L'instant d'après, c'en était fini.
Il s'écrasa par terre dans un bruit sourd, laissant ses autres camarades horrifiés...
Et moi aussi.
Il était mort.
Mort !
Par ma faute. C'était moi qui l'avais tué... Aucune trace de blessure n'était visible sur son corps, mais il était blanc comme un linge, et la main avait pénétré dans son abdomen...
Qu'avais-je fait ?
L'horreur et la surprise avaient laissé place à la rage, les visages de mes bourreaux étaient tordus, défigurés. Certains avaient laissé couler des larmes insoupçonnées, ils souffraient.
J'avais osé briser des vies...
Mais il était trop tard pour reculer, désormais...
Ils s'avançaient, avaient dégainé leurs armes, prêts à s'en servir.
J'étais si horrifiée à l'idée de devoir recommencer...
Et pourtant, je le fis.
Un à un, dans un râle d'agonie insupportable, ils s'écroulèrent, comme s'ils n'étaient plus qu'une coquille vide...
Leurs visages blafards, leurs yeux, ce rougeoiement éteint...
Mes larmes coulaient...

Nouveau cri.

C'était lui ou la raison.
Au fond de moi, depuis le début, j'avais déjà choisi...

Je me dirigeais vers la porte blindée, et ma main l'arracha comme on arrache une feuille de papier.

Plus rien n'importait, après tout...

Le chef me regarda et poussa un cri de rage, furieux. Il se jeta sur moi, avec tant de rapidité et de fureur que je ne parvins pas à éviter le coutelas qui creusa un profond sillon dans mon dos. Je ne songeai même pas à crier.
Ma main le saisit et le plaqua contre un mur de pierre. Il suffoquait.
Mes larmes redoublèrent, et je détournai la tête.
Dans un râle, avec ce qu'il lui restait de souffle, il me hurla :
- Sois maudite, toi qui te dis princesse ! Tu fais passer ce félon avant ton peuple ! Et tu causeras sa perte ! Tu le sais ! Tu...
Il n'acheva pas sa phrase. Déjà, il s'étrangla, la bave lui monta aux lèvres, et il resta là... inerte.
Et mes larmes continuaient de couler...

Ma main le relâcha, doucement - cet homme, comme tous les autres, qui ne méritait ni souffrances, ni mort - puis redevint une innocente chevelure...
Comme si elle n'avait jamais rien fait... Mon regard le chercha.
Le trouva.

Xanto était au sol.
Evanoui ?
Près de lui, une installation barbare, de crochets, de pics, de chaînes, de lanières et de bras mécaniques incandescents.
J'eus un horrible doute... Il n'était tout de même pas...
Je courus à lui.

Car s'il n'était plus là, ma vie n'aurait eu aucun sens, aucun but...
Ma main hésita, puis se posa sur sa tête.

Car s'il n'était plus là, je n'aurais jamais dû exister...
Ma seconde main chercha son cou, sursauta en sentant un liquide chaud l'humidifier...

Car s'il n'était plus là, que signifiait la vie ?
Un très léger battement... Insignifiant, mais omniprésent...

Une petite pulsation... Et la vie retrouve des couleurs...

Je le retournai, vis son visage, au travers du sang qui le souillait... Sa respiration, si faible soit-elle, prouvait que ma vie n'était pas futile...
- Ne t'inquiète pas, criai-je à travers mes larmes, consciente qu'il ne m'entendrait pas. Je vais te soigner, je ne veux pas que tu meures...
Il eut un très léger mouvement des paupières, les entrouvrit et murmura :
- Je sais...
Mon coeur s'emballa.
Il vivait, faiblement, mais immuablement...

Je voulus lui confirmer mes dires, par un moyen concret...
J'avais conscience de ma situation... L'embrasser, et renier mes pouvoirs royaux, ma raison qui le haïssait, tout faire disparaître...
Pour lui.
Ou bien m'écarter, reprendre ma place, mes pouvoirs, ma raison, et détruire mon existence.

Ce choix, je l'avais déjà fait...

J'inclinais la tête... Mais le voudrait-il ?
Trop tard.
Ma bouche s'approcha de la sienne...
Doucement...
Lui comprit, relevant son visage, un sourire imperceptible dessiné sur ses traits...

Ses lèvres effleurèrent les miennes. Un frisson me parcourut la colonne vertébrale... D'appréhension ? De plaisir ? Peut-être les deux mélangés...
Ma bouche s'entrouvrit, quitta la sienne pour mieux la rejoindre...
Lui se releva, m'entraînant avec lui, malgré ses blessures, malgré son sang...
Ses bras me plaquèrent contre lui et je pris sa nuque entre mes doigts pour l'attirer vers moi.
C'était tellement fort... J'avais l'impression de hurler tout ce qui m'était passé par la tête depuis ma naissance... De lui crier mon amour... Tout...

Après une éternité, nos lèvres relâchèrent leur pression et je me blottis contre lui...
Au milieu de la douleur, de la mort et des souffrances, un murmure...
Plus fort que toutes les malédictions, plus fort que tous les hurlements de douleur...
Trois mots...

- Je t'aime...

Une larme, encore, glissa sur ma joue...

Une larme de joie...

Chapitre 8 : Et le sang faillit...   up

Nous sortîmes du bâtiment sans trop de difficultés, tout le personnel de l'étrange institution se précipitant dans la salle où nous étions détenus... Sa main ne lâcha pas la mienne.
Il était situé, habilement dissimulé, dans un des bas-fonds de Twilia.
Dès que nous fûmes sortis, il m'entraîna dans une construction abandonnée.
Ses lèvres cherchèrent de nouveau les miennes...
Les trouvèrent...
J'étais bien trop heureuse de me prêter au jeu...
Quand il relâcha son étreinte, il me demanda :
- Midona... Il y a quelque chose que je ne comprends pas...
Je soupirai :
- Moi, il y en a beaucoup plus...
Il sourit, puis retrouva une expression neutre :
- Qu'est-ce qui t'a pris d'éprouver... ce... sentiment ? Surtout maintenant ?
- Il y a tant de choses que j'ignore... Mais j'en sais au moins trois. La première, c'est que je t'aime, et que rien au monde ne pourra y changer quoi que ce soit, même moi, la seconde est que j'ai choisi cette voie depuis l'instant où je t'ai vu, et la troisième est que plus rien n'importe plus à mes yeux, depuis peu...
Il caressa mes cheveux, caresse timide et troublante.
- Et toi, questionnais-je à mon tour. Tu as quelques petites choses à m'avouer, non ?
- Effectivement, avoua-t-il. On va commencer par ordre d'importance, tu veux bien ?
- Je t'en prie.
- Tu t'es sûrement demandé pourquoi j'avais engagé un tel discours lors du Bal de l'Aube ? Et bien, je vais te l'avouer... Je comptais me venger. C'est stupide, n'est-ce pas ? Me venger des Hyliens en amadouant la population... Pour mieux la contrôler.
- Ça n'a pas l'air d'avoir marché, raillais-je.
- Plus que tu ne le crois...
Je n'aimais ni le sourire qui se dessinait sur ses lèvres, ni la lueur qui traversa son regard, mais tant pis. Aurait-il voulu détruire le monde que mon amour pour lui n'aurait même pas été fissuré.
Je me blottis contre lui, et ses longues manches m'entourèrent de leur contact si étrange... Que j'aimais tant...
- Désormais, ma haine n'a pas disparu, je l'ai juste enfouie au plus profond de mon âme. Ensuite, je dois t'avouer quelque chose dont j'ai réellement honte... A la base, mes plans politiques prévoyaient de te séduire pour accéder au pouvoir... Or, il s'est avéré que je ne t'ai pas séduite... C'est toi qui m'as envoûté.
- Oh... commençais-je, un peu froissée par la révélation. Si, tu m'as séduite...
Je l'embrassai furtivement.
- La preuve... J'ai tout renié pour toi...
- C'est vrai, m'accorda-t-il, mais vois-tu, je ne me serais jamais cru capable de ressentir quelque chose comme ça, je pensais que mon coeur avait été banni loin de moi lui aussi lorsque nous avons été enfermés ici... Et tu es apparue, tu as ramené le soleil sur ces terres...
Je restais là, sans bouger, à le contempler. Il faisait peur, certes, mais... Pourquoi ? Pourquoi sentait-on qu'il était sans cesse sous pression, comme s'il essayait de retenir quelque chose de trop grand pour lui ?
Je ne le savais pas, et mon instinct de survie n'avait pas réellement envie de le savoir...

- VOTRE ALTESSE ! Narhi, elle est là !

Le cri me fit l'effet d'une décharge électrique, je sursautai brusquement. Puis j'eus un doute... Narhi, c'était le prénom de ma nourrice ?
Je me retournai, encore haletante.

Devant moi courait une jeune fille dépeignée mais très jolie, avec des traits très harmonieux, ses cheveux ardents s'envolant autour de son charmant visage. Elle était vêtue comme une riche domestique... Une... suivante ?
- Votre Altesse, où étiez-vous ? Que faites-vous ici ?
- Je...
Je n'avais pas de réponse, pelotonnée dans les bras de Xanto, couverts tous deux de sang et humides de larmes.
- Majesté, allez-vous bien ? poursuivit-elle, inquiète. Vous êtes dans un état épouvantable...
- Je... J'ai été enlevée.
C'était la réalité, mais je parlais uniquement de mon séjour de quelques heures chez nos tortionnaires.
- Si longtemps ? On vous a maltraitée ?
- Je... Votre visage me dit quelque chose, mais...
- Vous... Vous ne me reconnaissez pas ?
Son visage prit une expression surprise, puis elle sourit.
- Je suis Isha.
Ce fut à mon tour de hoqueter, secouée.
- Isha ? Mais... Tu as changé ! Tu es vraiment ravissante !
Elle rougit fortement et débita à toute vitesse entre ses dents :
- Oui, on m'a dit que j'avais beaucoup changé en un an...

...

- En... en quoi ? questionnais-je, heurtée.
Je la saisis par l'épaule, hystérique :
- Tu veux dire que j'ai disparu un an entier ?
- Oui, précisément.
Ma nourrice, parée somptueusement, se dirigea vers moi en courant, boitillant un peu.
- Midona, ce que j'ai eu peur ! Tu ne t'imagines pas à quel point j'étais inquiète !
Elle me serra fortement dans ses bras, et je dus avouer que, moi aussi, j'étais heureuse de la retrouver, en fin de compte. Après avoir relâché son étreinte, elle me toisa et commenta, reprenant ses vieilles habitudes.
- Tu es dans un état innommable, on dirait que tu reviens d'un champ de bataille.
- C'est un peu le cas, répondis-je, froide. J'aurais quelques détails à régler, en rentrant...
Puis Narhi posa son regard sur Xanto.
- Ainsi, tu es là.
- Oui, Narhi, reprit-il, impassible.
- On peut dire que tu as fait du beau travail, pesta-t-elle.
- Je sais, s'excusa-t-il. Je tente de réparer mes torts.
- Moui, marmonna la vieille bannie. En attendant, ta plus grosse erreur, on l'a toujours tous sur le dos.
- J'y travaille.
- Comme l'année dernière, quoi...
- Ecoute, s'exaspéra-t-il. Je fais comme je peux. Mais merci de m'aider quand même.
- Et merci de m'avoir gardé ma Midonette en un seul morceau...
Ils se toisèrent un instant, hostiles, puis se détournèrent.

- Euh... commençai-je, hésitante. J'ai raté quelque chose ?
- Excuse-moi, Midona, clama soudain ma nourrice. Nous aurions pu envoyer une armée pour venir te chercher, mais les temps étaient trop instables, trop dangereux, et tu étais plus en sécurité chez ce misérable chacal que dans ton propre palais. J'espère, accusa-t-elle en pointant un doigt rageur vers Xanto et en laissant des éclairs jaillir de ses yeux rouges, qu'il ne t'a fait aucun tort durant ton séjour !
- Non, non, m'empressai-je de protester. Mais vous vous connaissez ?
- Il m'a fait du chantage, gémit-elle pendant que Xanto tentait de réprimer un éclat de rire. Il m'a demandé de l'aider dans ses plans politiques, en échange de quoi il assurerait ta sécurité, et nous luttons ensemble depuis quelques mois contre Goliath.
- Et j'agis en coulisses, bien sûr, murmura-t-il, souriant.
- Quel crétin ! Toi, Midona, tu attires toujours les pires catastrophes ambulantes dans un rayon de deux cents kilomètres ! Même Goliath, c'est dire !
Moi aussi, je commençais à perdre mon sérieux devant le ton théâtral et les accusations grandiloquentes de Narhi.
- Trouve pire que moi et tu auras le droit à la fin du monde, plaisanta le sorcier.
- Déjà qu'avec toi, on n'en est pas loin... continua la bannie.
- C'est très émouvant tout ça, interrompit Isha, mais si Midona n'est pas au Bal de l'Aube de cette année, son peuple va péter un câble.
- Hein ? fusai-je, outrée. C'est maintenant ?
- Précisément, grogna ma nourrice. On était censés venir te chercher tôt ce matin, mais apparemment, vous étiez partis en vadrouille.
Isha se tourna vers moi.
- C'est tout le temps comme ça, chez lui ?
Elle quitta son air enjoué en voyant que nos visages s'étaient fermés, douloureux.
- Bon, reprit-elle, plus douce. On y va, Votre Altesse ?
- Appelle-moi Midona, grognai-je, lassée.
Je m'écartai de Xanto, et murmura :
- Et toi ?
- Je ne peux pas réellement y aller maintenant, ce serait trop dangereux. J'arrive un peu après.
- Je l'espère...

Brutalement, ma main droite saisit sa nuque et plaqua sa bouche contre la mienne.
Du coin de l'oeil, j'entraperçus les deux bannies prendre un air ahuri, teinté de fureur pour Narhi.
Hé hé, après tout, ce choix était le mien, et tant pis pour le reste du monde...
Encore une fois, mon coeur s'emballa, et le baiser perdura longtemps, jusqu'à ce qu'enfin, je relâchai ma main et m'éloignai de lui en murmurant :
- A plus...

¤

Ma nourrice attendit qu'on sorte du bâtiment pour mieux exploser.
- Midona, tu n'as pas honte ?! Cet abruti t'a séquestrée, empoisonné la vie, et toi, tu ne trouves rien de mieux à faire que de t'amouracher de lui !
- Non, répondis-je en souriant. Je ne trouve rien de mieux à faire.
Voyant qu'elle s'apprêtait à se lancer dans une nouvelle tirade, je la coupai :
- Ne gaspille pas ta salive, cela ne sert à rien... Même moi, je n'ai rien pu y faire, donc ne t'imagine pas, même en rêve, que tu réussiras à me faire changer d'avis.
- Est-ce que tu sais ce qu'il a... commença-t-elle.
- Oui, je sais, clôturai-je, mettant un terme au débat.

Je suivis les deux bannies vers une énorme plaque scintillante, transparente de part et d'autre.
Moyen de déplacement basique...
Je grimpai dessus, suivie de près par Isha et Narhi.
L'édifice s'éleva lentement, survolant Twilia, déserte. Evidemment, tous les bannis s'étaient rendus devant mon palais... Des suivantes arrivèrent en piaillant des phrases stupides et qui n'étaient absolument pas sincères sur mon absence. On me débarbouilla, me remaquilla (argh, j'avais tout oublié de mon calvaire esthétique...), me recoiffa et soigna rapidement mes blessures, les dissimulant, du moins.
- Madame, gloussa une femme replète, vous arrivez pile au bon moment : Goliath a pris la décision de vous épouser à votre retour ! Quelle chance !
- Quoi ?! hurlai-je, furieuse.
- J'aurais voulu t'épargner un tel choc dès ton retour mais, trop tard, toussota Narhi, embarrassée.
- Mais c'est à moi de choisir ! m'étranglais-je.
- Faites attention, Votre Altesse, cracha Isha. Il a l'air déterminé, et je ne sais pas de quoi il est encore capable.
- Il faudra en rediscuter en privé, m'empressai-je de répliquer, en remarquant tous les yeux avides des suivantes, en quête de ragots.
La vieille bannie donna quelques ordres et jeta un oeil à l'heure grâce à un inya.
- Bon... On va être en retard d'un quart d'heure, mais c'est mieux que rien...
"En retard"... Ces deux mots me paraissaient extrêmement importants, mais je ne parvenais pas à me souvenir pourquoi... Bah, finis-je par déclarer intérieurement, j'y repenserai après la cérémonie.

Soudain, la foule commença à apparaître, tout d'abord clairsemée, puis de plus en plus compacte. Ceux qui levèrent la tête et qui m'aperçurent poussèrent des cris de joie, vite repris par toute la foule. Je souris éperdument ; j'avais peut-être l'air stupide, mais j'étais bien plus attachée à mon peuple que ce que je pensais, et les voir tous m'acclamer, ravis de mon retour, sincèrement pour la plupart, avait réveillé mes racines royales engourdies par mon coeur qui avait battu trop fort et trop vite ces dernières heures...
Pour lui...
Il faudrait qu'après, je réussisse à réconcilier mon peuple avec Xanto, ce qui ne serait pas une chose aisée.

La plate-forme commença à descendre, doucement, et j'inclinai ma tête devant tous ces bannis heureux... Peut-être que les choses s'arrangeraient, et que le discours de Xanto prendrait réellement vie... J'avais de folles espérances, mais j'y croyais, plus que sincèrement.
Enfin, dans un bruit sourd, la plaque atterrit sur l'estrade de mon palais.
La foule se déchaîna encore plus lorsque je posais les pieds sur le sol de mon palais.
Je souris une fois de plus et criai, faisant revenir le calme :
- Mon peuple, toi qui m'as attendue si longtemps, je te reviens, je te sers, et je te chéris. Illumine-toi d'espoir et de vie !
Un véritable coup de foudre lorsque tous les Crépusculiens réagirent à ma tirade.
Un prêtre, me tendant l'éternel coutelas, me sourit largement.
- Bienvenue de nouveau parmi ton peuple, dame Midona.
Je lui fis un clin d'oeil en retour, me fichant désormais des moeurs. Je saisis l'arme et la leva :
- Ô terre, protectrice et geôlière, accepte ce sang pour ne pas nous perdre dans la folie et la mort.
Nouveau cri, nouvelle bouffée de joie. Je jubilais. L'horrible journée se terminait finalement très bien...
- Daigne accepter cette offre de mon peuple !
Je passai le fil du couteau sur ma fine cicatrice, qui s'ouvrit de nouveau sans que je ne prête la moindre attention à cette piètre douleur.
Je brandis le couteau devant moi.

Il ne se passa rien.
Le sang resta collé à la lame, comme s'il s'agissait de n'importe quel ustensile, seules quelques gouttes misérables tombèrent au sol...
Qui ne les absorba pas !

Je restai ainsi, dans le doute, mon peuple se taisant aussi devant cette incertitude.

"En retard"... Ces mots prirent un sens... Un sens abominable...

Un premier éclair déchira le ciel...

Chapitre 9 : Apocalypse   up

L'horizon se teintait de noir...
Un deuxième coup de foudre aux teintes électriques très fortes s'abattit sur une place à proximité.
J'entendis des hurlements...
Un énorme silence...
Nouvel éclair.
Et puis la panique.

Je restais là, sans bouger, mon poignard dans la main.
Je vis, devant mes yeux horrifiés une fillette se faire frapper par cette horrible électrisation devant sa mère hurlant son nom, puis son regard perdre la vie. Elle cessa de hurler.
Resta là, le regard vague. Elle cessa du bouger, sans prêter la moindre attention à sa mère qui s'accrochait à elle en pleurant.
Ses parents subirent le même sort...

Mon peuple... Non, pas mon peuple...
Je pensais que je n'avais plus de larmes à verser, je m'étais trompée... Elles coulèrent devant l'horreur apocalyptique qui se peignait devant moi... C'était inhumain, ils étaient tant à tenter de fuir, puis à se faire rattraper par l'orage, à devenir vides...
Ils criaient, ils pleuraient, ils demandaient grâce dans le vide, tentaient de se cacher mais mouraient alors, écrasés par les morceaux de bâtiments qui se détachaient sous les chocs...
Une main, dans le tumulte, saisit la mienne.
Isha...
- Princesse, hurla-t-elle, ne restez pas là ! Venez !
Elle me tira de force et ouvrit la porte du palais d'un coup de pied assuré. Le personnel du palais courut derrière nous, s'engageant dans l'édifice.
- Il faut se protéger dans les souterrains ! lança ma nourrice qui peinait à nous suivre.
- Par là !
J'ouvris à la volée une porte et m'engageai dans un autre balcon de la bâtisse, un balcon en longueur, ouvert sur l'extérieur.
Je voyais ces visages tordus par la douleur, puis inexpressifs, soudain...
C'était une vision impossible à supporter et nous fûmes plusieurs à laisser échapper de lourds sanglots en devant fuir alors que mon peuple dépérissait...
Et puis je le vis, un peu isolé. Les éclairs tentaient de l'atteindre, il se tordait sans paraître posséder le moindre os, et les électrisations ne le touchèrent même pas.
Il était visé...
Je m'arrêtai, lâchant la main d'Isha.
- Majesté, protesta-t-elle, il faut partir !
- Je ne peux pas, murmurai-je, laissant mes pleurs jaillir des fondements de mon esprit. Continuez sans moi.
Je me retournai vers le groupe.
- Je n'abandonnerai pas mon peuple.
Je cherchais de nouveau Xanto du regard.
- Je ne l'abandonnerai pas, lui...
- Midona, on n'a pas le temps, et tu sais qu'il le mérite, glapit ma nourrice, hors d'elle, si pâle...
Je ne l'écoutais même pas...
Un éclair avait frôlé son épaule alors qu'il se contorsionnait.
Il tomba au sol en poussant un hurlement de douleur déchirant.
Ce fut moi qui me jetai sur la barrière du balcon en hurlant son nom.
Pas lui, pas lui aussi...
Ma chevelure prit sa forme de main et s'étira jusqu'à lui alors qu'il était si loin. L'effort, si intense, m'arracha un gémissement désespéré...
Il fallait que je réussisse.
Et je réussis.
Ma main l'attrapa, délicatement, et le ramena jusqu'à moi. Tout en le posant au sol, je m'approchai de lui...
Nouvel éclair.
J'entendis juste un grand bruit, et j'eus l'impression que tout s'arrêtait...
Un énorme bout du palais me tombait dessus.
Ma main orangée, instinctive, saisit le morceau de pierre.
J'ignorais combien de temps je tins cette roche, ni si les autres étaient partis.
Mais je ne tins pas.
Sous la pression, le fragment explosa.
Je vis un bloc tomber sur moi.
Choc...
Et puis la nuit.

¤
Elle n'était plus vive, plus consciente... Ma vie n'existait plus. Elle n'avait jamais eu lieu d'être.
Jamais.
Mes larmes ne voyaient qu'elle, mais j'entendais toujours...
Ces cris, ces hurlements, ces suppliques, ces éclairs...
Maudits soient les Hyliens...
Je sentis quelque chose remonter.
Du fin fond de mon esprit, Elle remontait...
Insensiblement, Elle avançait, pénétrait dans mon cou, paralysait mes sens...
Elle monte.
Elle attaque.
Je ne voulais pas qu'Elle gagne, mais à quoi bon ? Je n'avais plus rien à perdre, désormais... La raison était la seule chose qui me restait.
Elle tentait de me l'arracher.
Midona a cessé de respirer...
Ce cri de désespoir qui m'envahit, qui explose en moi, hors de moi, partout...
Pourquoi ?
Cette douleur La fait émerger, peu à peu...
Mes derniers instants de raison...
Juste assez pour tenter l'impossible...
Quelques mots interdits, prohibés, mais notre peuple était déjà puni.

Mes derniers instants de raison...
Avant la folie.
Et le désespoir.

Ma Haine avait gagné.
¤

Les couleurs revinrent. Puis l'odeur du soufre, de la poussière...
Je me redressai...
Pas un bruit...
Quel horrible calme ! Le monde avait disparu, plus rien n'était resté, à part ruines et décombres...
Sauf moi, et mes larmes...
Et où était Xanto ?
Je regardais, partout autour, je ne le trouvai pas. Mon coeur battit plus vite, inquiet d'avoir perdu ce qui le faisait battre. Je regardai autour de moi, inquiète à l'idée des horreurs que je pourrais découvrir dans ce paysage de nouveau si calme, mais si dévasté...
Et je la vis.
Narhi.
Debout.
Le regard vide...
Non, pas elle...
Je me précipitai vers elle, lui prit la joue et tentai de lui parler :
- Narhi, est-ce que ça va ? Je t'en supplie, réponds-moi !
La douleur me submergea lorsqu'en relevant le visage, elle m'aperçut et ne sut émettre qu'un "ohhhh...".
Non...
Qu'était devenu le crépuscule ?
Par MA faute ?
Je balayai l'horizon de mon humide regard, vis tous ces regards, délaissés de toute conscience...
J'étais arrivée trop tard, j'avais traîné... Si seulement j'avais tout fait correctement...
Si seulement les musiciens jouaient au lieu de regarder le sol maculé de poussière, si seulement le peuple mangeait la nourriture ravagée, si seulement il dansait, il buvait, il chantait encore...
C'était ma faute...
Tout était de ma faute...
J'étais si stupide.

J'enfouis mon visage dans mes mains et me laissai tomber aux pieds de ma nourrice en poussant un cri de rage désespéré.
Qui avait osé mettre en place cet artefact magique odieux, pour nous punir d'un crime passé dont nous ignorons tout ?
Qu'était une journée de magie noire face à mille ans de désespoir ?
Qu'était un simple sortilège maléfique comparé au massacre d'un peuple entier, le réduisant à l'état de coquilles vides ?
Qu'était le fait de troubler le repos des morts lorsque tout un univers enfermé, esclave, disparaît dans le chaos ?

Je n'en pouvais plus...
Si seulement la foudre m'avait frappée, elle aussi... Si seulement j'avais été capable de ne pas voir réellement cette apathie dévastatrice...
Mais j'étais réduite au rang de témoin, incapable d'aider mon propre peuple alors que j'avais causé sa perte...
Ce monde de débris et de carrés qui remontent, je ne pouvais le réparer...

Témoin...
J'aurais dû être la première à être frappée...
Et qu'était-il devenu ? Ma seule et unique raison de ne pas me jeter immédiatement dans le vide ?
La seule cause pour laquelle mon coeur n'avait pas encore cessé de battre ?

Et je le vis.
Loin, sur une avancée, devant le vide.

Je voulais en être sûre... En avoir le coeur net.

Je courus, traversant mon peuple vidé de sa raison pour toujours...
Sans prêter attention à Twilia, détruite.
Sans oser croiser le regard des enfants tétanisés par cette folie...

Je courais parce que j'avais encore une raison d'espérer.

Chapitre 10 : Le nom du monde est souffrance...   up

Il était là.
Dos à moi.
Quelque chose dissimulait son visage... En métal.
Je fis un pas hésitant vers lui.
- X... Xanto ?
Il ne me répondit pas, mais releva doucement la tête.
- Tu n'es pas devenu... Comme eux, aussi ?
- Non...
Je tressaillis. Sa voix avait changé, grave, comme amplifiée.
Il se retourna.
Il portait un casque étrange, un casque avec une forme se rapprochant de celle du caméléon... Qui fit tout sauf me mettre à l'aise...
Il fit un pas mal assuré vers moi, chancelant, ayant perdu tout son flegme.
Inquiète, j'esquissai un pas en arrière.
- Tu as peur ? me demanda-t-il, doucement.
Je ne répondis pas immédiatement, laissant perdurer un silence anxieux.
- Je... je ne sais pas.
Oui et non. Je l'aimais avec une fureur incroyable, mais... Il avait changé...
Deuxième pas. Encore moins contrôlé, plus rapide, plus instable, encore.
Et derrière moi, il y avait le vide.
J'eus besoin de comprendre, de me confier, espérant qu'il soit juste troublé par les événements.
- Je ne comprends plus rien... Tout m'échappe, ça c'est passé trop vite... C'est... C'est un cauchemar !
Une larme coula, encore, encore... Si acide, si douloureuse...
Xanto ne dit rien, puis me regarda, sans que je ne puisse discerner ses émotions sous son masque.
- Midona... Aide-moi !
La voix était passée du grave à l'aigu. Nouveau pas, nouvelle frayeur...
- Qu'est-ce qui se passe ? demandai-je, entre mes larmes.
Je sentais que ça n'allait pas, que quelque chose de sournois guettait...
- Donne-moi ton pouvoir !
- Que je te... Mais pourquoi ?
Ma voix s'envola, elle aussi.
- Il me l'a demandé.
- Qui ?
- Mon dieu.
- Ton... Quoi ? Xanto, qu'est-ce qui se passe ?
Il parla en détachant chaque mot, comme s'il les arrachait à sa bouche, d'une voix étrange, qui ondulait entre le grave et le strident.
- Mon dieu a besoin de ton pouvoir. Je dois l'avoir pour lui !
- Je... je ne comprends pas !
- Donne-moi ton pouvoir royal ou je te le prendrai !
Je restai la bouche ouverte, heurtée.
- Tu... tu ne ferais pas ça ?
- Je n'ai pas le choix.
- Xanto !
J'avais crié, sans tenter de réprimer mes larmes qui coulaient, coulaient, rongeant mes joues, mon coeur et mon âme.
- Tu as changé ! Qu'est-ce qui t'arrive ? Ne t'en va pas toi aussi ! Sans toi, je ne peux pas vivre ! Je t'en supplie, reviens !
- Ne m'oblige pas à te faire du mal. Je ne le veux pas.
Je crus que j'allais défaillir, m'évanouir, mourir... Pas lui ! Pas maintenant !
- Ne fais pas ça ! S'il te plaît ! C'est moi, Midona ! Ne fais pas ça...
J'osai faire un pas en avant, emportée par ma hargne.
- Je t'aime toujours !
- C'est faux ! On ne peut pas m'aimer, personne ne le peut !
- Moi, je le fais ! Mon coeur ne bat que pour toi !
- Menteuse !
Je reculai de nouveau.
- Je ne veux pas te faire de mal... Je ne peux plus rien... Alors donne-moi ton pouvoir et va-t-en, ou bien reste ici et meurs !

Je me retournai, regardant l'horizon.
- Je t'aimais, et je t'aime encore. Mais si je t'ai perdu toi, alors j'ai tout perdu. Tu m'as pris la raison, mon coeur, tu t'es approprié ma vie. Si tu t'en vas, alors tue-moi. Je ne mérite pas la vie.

Je sentis qu'il avançait vers moi.

J'étais si seule, il faisait si froid.
Ma vie ne se résumait plus qu'à ça.

Devant moi, la mort.
Derrière moi, le néant.
Le néant de mes sentiments, trahis alors qu'eux-mêmes étaient traîtres, désespérés de ce juste retour des choses.
Il était mon coeur.
Mon coeur qui ne battait que pour mon assassin, ses battements comptés endoloris par cet infâme crépuscule qui s'abattait sur ma vie.
Bientôt, mon soleil se coucherait, répandant son flot écarlate sur ce qu'il restait de moi.
Pour avoir aimé un monstre.

Je le sentis approcher, je sentis le cliquetis des armes qu'il sortait.
Il allait me tuer.
Tant pis pour moi.

Il aurait juste dû le faire dès le début.

Il y eut un très long silence.
J'attendais sans chercher à le voir, trop écoeurée par moi-même pour chercher à le contempler une dernière fois.

J'entendis un bruit de tissu et d'air. Qui revint une fois.
Deux fois.

Quelque chose pénétra brutalement en moi, m'arrachant tout au passage. Je m'effondrais lentement, sans avoir le temps de crier. A quoi bon, de toute façon ?
Puis le choc.
Le sol était dur...

Je ne pensai pas que j'étais morte...
Je tentai de me redresser...

Je me sentis petite, menue...
Mes yeux se posèrent sur mes mains... Minuscules.

Tout avait changé en moi... Avant d'avoir eu le temps de réagir pleinement, j'entendis un mot murmuré, étouffé...
- Désolé...

Je me retournai.
Ne vis personne.

Il ne m'avait pas tuée, il m'avait arraché mon pouvoir. Je sentais son absence, je me sentis incroyablement vulnérable...
Il ne m'avait pas tuée...

Je resterais donc là, impuissante, humiliée... Désespérée...

Le nom du monde est souffrance.

FIN de Twilight Princess - Partie 1 : Fascination   

Prologue

Amour ? Haine ? Peut-être les deux ?
Après le vide, je connus la hargne, les viles pensées qui m'ont rongée si longtemps...
Ce que j'éprouve, je ne sais pas.
Ce que j'ai été, ça je sais.
Qui je suis toujours, je le sais aussi.

Pour réparer ses erreurs, pour oublier son passé, pour permettre aux générations futures de voir encore un monde qui existe...

N'est-ce pas une bonne raison de se battre ?

N'est-ce pas une bonne raison de mourir ?

(Twilight Princess - Chapitre 2 : Tentation
A paraître...)


Remerciements

A Ariane, pour avoir réussi un site aussi magnifique, pour avoir supporté mes e-mails à répétition et pour m'avoir publiée, bien sûr...
A Youyou, qui m'a fait découvrir ce couple insolite, qui m'a d'abord répugné puis que j'ai fini par adorer...
A LinkOrange, qui a corrigé ma fiction, même si une autre personne est intervenue avant la fin de sa correction... ^^' Vraiment désolée !
A ma prof de français et à ma correctrice anonyme, qui m'ont corrigée et commentée, bien que je ne pense pas que ma prof de français ait réellement apprécié... --'
A StellaB pour ses magnifiques oeuvres que j'admire tant et qui m'ont fait reconsidérer ces deux personnages... Autrement...
Et enfin, merci à vous tous, lecteurs, en espérant que mes idées tordues ne vous aient pas trop perturbés...^^
Et à bientôt pour revoir Twilight Princess... Différemment...
 

Ce texte a été proposé au "Palais de Zelda" par son auteur, "Iawë". Les droits d'auteur (copyright) lui appartiennent.

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Mis à jour le 20.04.24