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Les enfants de la lune de sang

Ecrit par Chihiro31 en 2021
Chapitre 1 : Êchenn et Leif

Le soleil inondait la mezzanine en bois. En bas, une habitante d'Elimith s'activait en cuisine, écoutant le récit d'une matinée de travail de son mari d'une oreille, les supplications de son aîné de l'autre. Erhêt l'implorait au sujet d'une virée entre amis au lac Sumac. En haut, assise sur son lit, Êchenn soupirait en levant les yeux au ciel. "Quel dommage de perdre son temps de cette manière, il ne fait pas honneur à papi..." pensa t-elle, "à sa place, je..." Les poings posés sur ses cuisses se serrèrent.

Un tintement répété résonna de l'extérieur. Des voix d'hommes indistinctes faisaient écho. Êchenn se redressa tel un piquet droit dans le sol. Ses yeux écarquillés balayaient la pièce rapidement. Ses mains tremblantes s'enfouirent dans ses longs cheveux café pour les nouer approximativement. Sac, pommes, cape, couteau, arc, tout y était. L'adolescente se couvrit de sa cape, empoigna son sac, ouvrit la fenêtre et sortit une jambe. Une seconde de doute lui permit de percevoir quelques derniers mots de ses parents :

- Encore un raid... On croyait être enfin serein maintenant le fléau passé.
- Pas le choix ma chérie. Tu sais bien que les bokoblins perturbent les échangent avec Cocorico et Ecaraille. Même sans Ganon, ils continuent de brigander près des routes. Il faut protéger les marchands.
- Je le sais, mais... mais mon estomac se noue à chaque fois, en pensant qu'un jour ils emmèneront peut-être Erhêt.

Un claquement les coupa. Les yeux de la mère rencontrèrent le regard rassurant de son mari. Un courant d'air avait dû refermer la fenêtre de la mezzanine. Êchenn se laissa glisser le long de la toiture. Une fois à l'arrière de la maison, elle réajusta son sac à dos et sa capuche. D'un pas assuré, elle prit la direction du son de cloche. En rang, les volontaires attendaient les consignes du soldat. Son armure nickel éblouissait la fille. Malgré les raids, le commandant semblait avoir du temps pour s'occuper de son matériel. Depuis quelques années, la paix avait été ramenée par le légendaire duo Zelda et Link. Êchenn éprouvait une immense fierté de vivre au sein du même village que l'Hylien. oeuvrer à cette paix devint son credo.

- Aujourd'hui, j'ai besoin de vous pour sécuriser le fort d'Elimith, le chevalier les jaugea du regard, nous serons de retour à la tombée de la nuit. N'emportez que le minimum.

Lorsque son regard perçant croisa la silhouette encapuchonnée, la nouvelle recrue baissa les yeux, se mordant les lèvres. Son front perlait, son pouls s'accéléra. Un ordre de départ fit taire les murmures et la soulagea de toutes ses craintes. Le moment était enfin arrivé.

* * *

Le bruissement de l'herbe dans le vent, les chants d'oiseaux, le ruissellement du torrent. Aucun son n'échappait aux oreilles attentives de Leif. Il appliquait à la lettre chaque conseil reçu de ses parents. Plus qu'une question de survie, la chasse était devenue pour lui un art de vivre. Les yeux fermés, les doigts glissants le long de la flèche, caressant la plume fauve, le chasseur attendait sa proie. Un craquement de bois sec à vingt mètres l'extirpa de sa méditation. Il ouvrit ses yeux aux pupilles fines et rondes et fonça. Les mois d'entraînement confirmaient ce que Leif constatait : son atout était sa vitesse et non sa discrétion. Le bruit sourd de sa course alerta la biche. D'un bond, elle se lança dans une fuite désespérée. Malgré l'abri de la forêt et des slaloms maîtrisés entre les souches, son prédateur l'arrêta. Le fut de la flèche fila sans résistance dans l'air, la pointe en os meurtri la cuisse arrière du daim. Le tireur n'avait pas raté sa cible. Touchée à la patte, la bête ne tentait plus de fuir. Une torsion brutale de son cou mit fin à la peur et aux souffrances de l'animal.

L'estomac satisfait, Leif déambulait paisiblement dans la vallée. D'apparence calme, seul son visage crispé trahissait ses pensées agitées. L'errance, la solitude, la cruauté de la chaîne alimentaire heurtaient le bon coeur du lynel. Malgré sa nature monstrueuse, ce quadrupède luttait pour ne pas marcher dans les pas de ses ancêtres. Jeune, encore sous la tutelle de ses parents, il connut l'influence de Ganon, dictant leur ligne de conduite. Mais un jour, ces entraves disparurent, le laissant lui et bon nombre de ses semblables sans but ni objectif. Ils devinrent alors un peuple libre. S'illustrant comme chasseurs, les lynels ne présentaient pas moins une menace aux yeux des hommes. D'un commun accord, chacun restait sur son territoire. Mais Leif savait que les hommes cupides étendaient leur influence. Une inquiétude permanente l'invitait à toujours scruter l'horizon de son terrain de chasse. Il n'avait rencontré de bipède qu'une seule fois, signant définitivement sa solitude par la perte de ses parents.

* * *

Après une pause au bord du chemin, la petite troupe de volontaires reprit la route vers le fort d'Elimith. Êchenn se faisait discrète, seule représentante du genre féminin parmi les paysans, marchands, cordonnier, chasseur, éleveur, bûcheron... Sa silhouette svelte camouflée sous sa cape risquait de la trahir. Son minois aux traits fins dissimulé sous sa capuche ne devait pas être démasqué. Au centre du groupe, la jeune femme emboîtait le pas au soldat, faisant preuve d'autant de détermination que les autres membres de cette confrérie d'une journée.

Peu de temps après la mi-journée, les remparts du fort se détachèrent de l'horizon. La pierre grise et recouverte de mousse se dessinait au-dessus d'épais feuillages. Le plan énoncé par le soldat consistait à diviser en deux les manieurs d'armes au corps à corps et les plus adroits à distance. Êchenn se rangea parmi les archers, avec l'instruction de se poster sur les remparts et d'attendre. Le bataillon au sol gagna la plaine de l'autre côté du fort missionné pour désorganiser les bokoblins et les pousser vers le rempart. Droite derrière les créneaux, à l'extrémité nord de la bâtisse, l'habitante d'Elimith scrutait la plaine. Elle gardait le silence, bien que tremblante, en proie à la fois au stress et à l'excitation. Ses doigts se crispaient autour du corps de son arc, ses bras étaient aussi tendus que la corde. Sans la regarder, son voisin de muraille rompit le silence :

- C'est ta première sortie ? Détend-toi, ça va bien se passer. Et puis, tu es posté à côté du plus grand apprenti chasseur. Aucune cible n'échappe à mes flèches.
Cette vaine tentative ne la rassura pas. Cependant un léger sourire s'immisça sur son visage. Tel un défi lancé par un concurrent, elle décocha une flèche et banda son arc.
- Penses-tu en descendre plus que moi ?

Son voisin ouvrit la bouche et les yeux en grand mais un cor sonore prit le dessus sur ses revendications. Une agitation soudaine attira leurs regards sur l'étendu verte. Une dizaine de créatures venaient vers eux, au pas de course. Derrière, d'autres luttaient encore contre des épées, des fourches, des lances et des torches. Comme prévu, ils tentaient de gagner les bois, refuge naturel, pour échapper aux hommes armés. Les premières flèches fusèrent. Les silhouettes rouges paraissaient encore trop éloignées pour tenter un tir du point de vue de la brune. Quelques mètres de plus et elle se décida. Ses doigts relâchèrent la corde, l'arc restitua son élasticité. Le projectile frôla sa cible qui se recroquevilla. Êchenn claqua sa langue dans sa bouche et extirpa une deuxième flèche de son carquois. Sa précision n'était pas parfaite mais elle avait le mérite d'une motivation sans faille. Chaque flèche décochée était remplacée par la suivante sans délai. Sa détermination et sa concentration lui permirent de rivaliser avec son voisin pourtant habitué à l'usage d'arme de jet. Dans l'agitation du combat, l'archère aperçut un bokoblin assez proche de la muraille. Il tenta un lancer de pierre vers eux. En prévention, la silhouette encapuchonnée recula d'un pas. Son pied arrière prit place sur une pierre mal scellée. Sans crier gare, la fille disparut dans les branchages.

La bataille prit fin. Le jeune chasseur quitta son poste, fier de n'avoir point déserté contrairement à sa voisine. La petite troupe se regroupa sous les remparts, se félicitant de leur bataille sans perte. Ils prirent la route avec insouciance vers Elimith.

* * *

Le crépuscule déposa son voile de calme sur la forêt. Un vent léger lissait les sons ambiants. Les couleurs laissaient place à l'obscurité et aux espèces luminescentes. D'une allure tranquille, Leif allait et venait. Régulièrement, il tendait le bras, cueillait, glissait quelques baies dans son sac en peau accroché en bandoulière. Il raffolait particulièrement des fruits de ce bois. Enclavé entre deux monts, le soleil s'y faisait rare, même la journée. Les fruits rouges y poussaient à foison. Au fil des minutes, le lynel dut se guider à la lumière des lucioles et de la lune. Chose étrange, une zone plus loin, près d'un chêne vert, était boudée par les insectes lumineux, pourtant présent par centaine dans le reste de la forêt. Avec prudence et lenteur, le quadrupède s'approcha, une main portée sur la poignée de son épée.

A même la mousse et les feuilles mortes, il put distinguer une silhouette. Bien qu'emmêlée dans un méli-mélo de cape et de cheveux, il devina le corps comateux d'une jeune femme. D'ordinaire il se serait détourné pour reprendre sa cueillette, mais un détail l'interpella. Sur le dos de la main droite de la belle aux bois dormants semblait apparaître une marque ronde étrangement régulière pour une tâche de naissance. Malgré l'obscurité, les yeux de félin surent la remarquer. Leif portait la même depuis plus longtemps qu'il ne pouvait se souvenir. Il ne pouvait pas hésiter plus longtemps, des ricanements de bokoblins approchant, il devait agir rapidement. Le plus délicatement possible, il souleva l'humaine et l'installa contre son dos. Difficile de faire preuve de douceur, manipuler ce genre de créature n'était pas une de ses compétences de base. La cape restée au sol lui servit pour emmailloter l'endormie. Un pan de tissu vint soutenir ses fesses, puis chaque extrémité chemina le long de ses côtes et fut nouée autour du cou du lynel. D'un pas prudent, Leif quitta la forêt, en direction du mont plus au nord, où il passait les nuits dans une enclave rocheuse. Faire un feu la nuit n'était pas dans ses habitudes. Mais la pâleur de l'humaine l'inquiétait un peu. Près du foyer, il l'allongea sur un amas d'herbes sèches et la couvrit de sa cape. Grignotant ses baies, Leif l'observait, dans l'attente de son réveil, non sans inquiétude.

Chapitre 2 : L'éloquent et les chuchoteurs   up

Debout, à l'aplomb d'un piton rocheux, le piaf faisait sonner son accordéon face à l'immensité de la plaine. Comme à son habitude, Asarim appréciait les endroits perchés avec vue. Les paysages verdoyants et le chant des oiseaux l'inspiraient. Quand il ne reprenait pas les poèmes de son maître, il aimait laisser libre cours à ses pensées. Depuis que Link avait percé le secret de ses ballades, seuls les nuages étaient spectateurs de ses chants, ou presque. Depuis la fin du fléau, des oreilles inattendues venaient lui prêter attention. Solitaire et sauvage comme de coutume, ce jeune lynel se montrait pourtant bien curieux. Le musicien appréciait cet intérêt pour les chansons mais gardait toujours ses distances.

Les années passaient, les chansons perdaient de leur sens. Asarim délaissait les mélodies traitant des épreuves du héro. Ce dernier avait su en triompher. Le piaf fouillait les entrailles de sa mémoire pour y redécouvrir des chants plus anciens encore. Une nuit de pleine lune, il l'aperçut à nouveau. Une étrange tâche apparaissait sur l'une des mains de l'équin. Sa rondeur faisant écho à l'astre brillant rappela un vieux chant à l'accordéoniste. Pressant les touches d'une mélodie pleine de mélancolie, il se lança :

- Enfant de la lune de sang, toi qui portes sa marque ronde,
d'étranges échos tu pressens, tel d'obscures ondes.
Le jour de tes 20 ans, la porte s'ouvrira.
Le mystère de son emplacement, les vibrations t'ouvriront la voie.
Hum ? La suite ne me revient pas... il me semble que ça parlait de passage, de miroir, de renaissance... renaissance de qui, de quoi ? ça n'a pas de sens. Je dois me souvenir...

Attentif à ses divagations, Leif pensait que cela n'augurait rien de bon. D'autant plus que, s'il était concerné, sa position de monstre ne faciliterait pas la tâche. Demander de l'aide était exclu. La récurrence de ce chant lui démontrait également que l'artiste n'avait pas connaissance de sa réalisation. En attendant le temps des réponses, la jeune créature continua de venir écouter les fabulations du piaf. Seule son assiduité apaisait son inquiétude.

* * *

Le château d'Hyrule, loin de sa splendeur passée, sa tour centrale filait toujours fièrement vers le ciel. La cour intérieure accueillait à nouveau marchands et visiteurs. Mais d'autres quartiers attendaient leur heure de rénovation. Les quartiers princiers demeuraient calmes, vides, poussiéreux. Ce n'est que dans la petite tour à l'écart, siège d'expérimentations de la princesse, que trônait une agitation atypique.

- Non, Link, ça ne va pas, non ! La blonde retournait et vidait chaque tiroir de son ancien établi. Les habitants de Cocorico s'inquiètent et c'est bien normal. Même si elles étaient faibles et ont disparu, ces lueurs émanant des gardiens m'alarment.
La descendante royale stoppa net ses gestes. Ses bras glissèrent le long de son corps. Ses poings se serrèrent.
- Depuis ce jour, nous n'avons pas réussi à les réactiver. Et si... s'il s'agissait de rémanence de sa volonté... du fléau ?

La voix de Zelda s'affaiblissait au fur et à mesure de ses paroles, comme si l'inquiétude grandissante amenuisait sa volonté. Le héro, debout au milieu de la pièce, affichait un regard plein de détermination, masquant son inquiétude et son impuissance. Il serra la sangle soutenant le fourreau de l'épée qu'il portait sur son dos. L'air siffla entre ses lèvres, suivi de l'écho de fers sur les pavés.

- Si tu crois pouvoir me laisser en arrière, tu te mets le doigt dans l'oeil, mon cher. Je viens aussi, je veux voir ça de mes propres yeux. Les bouquins attendront.

L'hylienne glissa tout de même quelques parchemins dans son fourre-tout avant de rejoindre les chevaux et son chevalier servant, fidèle au poste.

* * *

En quelques clignements timides, Êchenn ouvrit les yeux. Des braises crépitaient encore au milieu des cendres. La douce lumière de l'aube faisait briller la rosée de la végétation. Une odeur de fumée et de fleur venait chatouiller ses narines. Autour du foyer, un sac en peau dont s'échappaient quelques fruits trônait à côté d'un arc et son carquois. La brune se redressa pour s'asseoir en se tenant la tête. La torpeur et sa chute de la veille endolorissait son crâne. On dirait qu'une personne bienveillante a veillé sur moi. Je devrais la remercier. Mais où est la troupe ?

Des bruits de sabots rompirent le silence. Leur écho s'approchait. Êchenn observait silencieusement dans leur direction l'arrivée de son bienfaiteur. A contrejour, elle ne put d'abord que deviner la silhouette du cavalier. Mais au fur et à mesure qu'il s'approchait, les yeux de l'Hylienne s'écarquillaient, l'ouverture de sa bouche devenait béante bien que muette. Toujours préservée par sa famille au village, elle n'en avait jamais aperçu ni de près ni de loin, seules des représentations lui permirent de le reconnaître. Un corps de cheval, un torse d'homme et un visage aux traits de fauve sous une épaisse crinière, elle ne pouvait se tromper. Mais contrairement aux rumeurs, il ne portait pas d'armes démesurées, il n'avait pas de regard assassin, il était calme. Elle ne voulut pas céder à la panique, mais cette vision l'incita à ramper jusqu'à ce que son dos ne rencontre la paroi rocheuse. Une voix rauque et grognante s'éleva :

- Tu sais, j'ai eu toute la nuit pour te tuer. Je ne vais pas le faire maintenant. Le petit-déjeuner...

Êchenn plaqua sa main sur sa bouche, ses yeux écarquillés débordaient de larmes qui terminaient leur course en dansant sur ses doigts. Sa réaction n'était pas une surprise pour le lynel. Il déposa les pommes près du foyer et s'assit sur son postérieur, croisant les bras, fermant les yeux, pour faire preuve de pacifisme. Les minutes passaient. Les yeux dorés scrutaient la fille en silence. Les larmes s'amenuisaient. Elle semblait se décontracter petit à petit.

- Tu... tu connais notre langue ?
- J'ai eu un excellent professeur ! Leif leva les yeux au ciel en rigolant, songeant aux récits d'Asarim. On ne peut pas en dire autant de tes camarades d'infortune. Ils t'ont laissée inconsciente en proie aux stahls.

La brune garda le silence. Discuter avec un lynel, cela dépassait même ses fabulations les plus folles. Comprenant sa réticence, ce dernier abandonna le dialogue et fit rouler une pomme au sol pour l'inviter à avaler quelque chose. Il l'observa à nouveau en silence priver sa pomme de sa chair avec appétit.

- Et bien, la peur te coupe le sifflet mais pas l'appétit on dirait.
- ... Merci... mais je dois rentrer chez moi maintenant.

Sans laisser d'opportunité à son interlocuteur, Êchenn se leva, noua sa cape autour de son cou, récupéra son arc. Un bref regard autour d'elle l'incita à prendre plein est, vers la plaine. Elle prit une grande inspiration avant de passer tout proche de l'étrange lynel. Ce dernier stoppa sa fuite, agrippant son poignet droit, le faisant pivoter pour mettre à jour sa tâche de naissance.

- Et ça... tu n'as jamais voulu savoir d'où ça venait ? Tu penses peut-être que c'est une coïncidence qu'elle soit parfaitement ronde ?

Le chasseur lâcha son poignet rapidement pour ne pas l'affoler. Sans geste brusque, il dénoua le bandage de sa main droite pour dévoiler à son tour la marque ovoïde. L'habitante d'Elimith ne pouvait renier sa curiosité, mais l'énormité de la situation l'incita à prendre la fuite, cette fois à vive allure et sans se retourner. A nouveau seul, Leif soupira profondément. A défaut de l'avoir ralliée à sa cause, il savait déjà qu'il n'était pas un cas isolé. Même si son espoir s'éloignait à toutes jambes, il y avait enfin du progrès.

* * *

Deux cavaliers mirent pied à terre à quelques pas du relais de la rivière. La femme s'approcha d'une carcasse de gardien, munie de quelques parchemins. Pendant ce temps, l'homme attachait les rênes des deux montures au tronc d'un arbre. Profitant de la pause, les chevaux fouillaient l'herbe fraîche de leurs naseaux insatiables. Malgré les rumeurs récentes, un calme absolu régnait chez les automates. Zelda tâtonnait méthodiquement la surface métallique, y apposait son oreille en fermant les yeux régulièrement, consultait ses écrits.

- C'est étrange. On dirait que rien ne s'est passé ici. Link, ils sont exactement comme avant, pas la moindre trace d'activité.

Une heure intensive d'inspection mena la princesse à la même conclusion. Elle avait tout scruté, analysé, frappé, tourné, poussé. Chaque carcasse avait été minutieusement testée. La chercheuse croisa les bras et se tint le menton en soupirant. En relevant les yeux, elle aperçut son binôme lui faisant signe, assis sur une souche, le pochon de viande séchée et de pain à la main. L'heure de la pause sonnait. S'installant à ses côtés, Zelda s'étira dans un long soupir de soulagement. Son compagnon silencieux la fixait étrangement. Sans crier gare, il lui saisit le menton pour y effacer la souillure laissée par les épaves. Avant de réaliser le but de ce geste de gentleman, le rouge monta aux joues de la princesse. Elle le remercia et croqua vigoureusement dans son pain pour qu'il ne remarque pas sa gêne. Les deux Hyliens mangèrent en battant l'air des pieds, profitant des caresses chaleureuses du soleil, oubliant quelques minutes les responsabilités.

A portée de vue, le chemin de terre reliant le relais de la rivière et le fort d'Elimith convoyait de rares roulottes. En l'absence de bokoblins, les marchands profitaient de la trêve. En queue de file, un piéton se hâtait. Bien qu'elle courait, Link reconnut sa jeune voisine. Il se leva pour l'interpeller mais un vrombissement anormal détourna son attention. Le son sourd et diffus émanait d'une carcasse. Comme un écho, les voisins se mirent à bourdonner également. Les deux enquêteurs observaient les gardiens tout autour d'eux, constatant la multitude de sources de ce funeste chant. La clameur régulière se fit de plus en plus faible jusqu'à devenir inaudible. Le silence prit place à nouveau, ne laissant que de nouvelles interrogations. Zelda questionna Link, ses sourcils serrés ridaient son front :

- C'était donc vrai. Les habitants de Cocorico ont parlé d'une lueur. Mais ce son... Il ne ressemble pas à leur activation. Je n'ai jamais rien entendu de la sorte. Pourquoi maintenant ? Et puis plus rien. Je veux que l'on poste des soldats en surveillance dès maintenant, avec un rapport détaillé de toute manifestation émanant des gardiens.

Le héro posa une main rassurante sur l'épaule de la belle blonde. Il ne dit rien, observant avec sérieux l'ombre d'Êchenn disparaître vers le fort.

Chapitre 3 : Pêche et prophétie   up

Les rayons dorés du soleil embellissaient les maisonnettes. Êchenn franchit enfin l'arche en bois taillée matérialisant l'entrée du village. Plusieurs heures durant, la fille avait marché, trottiné lors de regain d'énergie, bu quelques gorgées au détour d'un cours d'eau, grignoté quelques noisettes trouvées en chemin. La journée avait eu raison de son allure. Ces pas lourds l'amenèrent enfin sur le seuil de la maison familiale. Avant qu'elle n'ait pu saisir la poignée, la porte laissa passer la mère déplorée. Elle enlaça sa fille en pleurant :

- Êchenn, où étais-tu ? Tu n'as rien ? Entre vite, tu dois être affamée et exténuée.

Sans questions ni jugement, les parents laissèrent la jeune fille reprendre des forces avec un rôti aux champignons, puis gagner son lit. La lumière la réveilla. La brune ouvrit les yeux comme si elle venait de les fermer. Assise en silence sur son lit, le regard dans le vide, elle se remémorait ses dernières 48h. Sa léthargie fut interrompue par son frère.

- Ça y est, tu es réveillée. Papa et maman t'attendent en bas.

Êchenn était reconnaissante du répit qu'ils lui accordèrent la veille. Après une grande inspiration, elle saisit la rampe de l'escalier et les rejoignit autour de la table. De longues minutes de récit firent pâlir la mère d'effroi et rougir le père de colère. Les détails sur la nature de son bienfaiteur furent omis. Pour le reste, l'histoire était fidèle à la réalité. Le point final des explications fut suivi d'un lourd silence. Les mains posées à plat sur la table massive en bois, la cadette attendait la sentence. Le chef de famille se racla la gorge :

- Donc pour résumer, tu as volé les armes de grand-père, tu as infiltré un raid, passé la nuit dehors avec un inconnu, et pour couronner le tout, tu es rentrée, seule sur la route. Le père marqua un temps de pause, ses yeux ne quittaient pas ceux de sa fille. Tu as toujours été téméraire. Petite, tu tenais tête à ton frère avec l'épée en bois, tu grimpais aux branches les plus hautes pour cueillir les dernières pommes, tu passais des heures à scruter Link panser ses plaies en le questionnant sur leurs causes, et j'en passe. Avec ta mère, nous avons fait une croix sur la possibilité de te marier et t'offrir un nouveau foyer. Mais tu es encore sous notre responsabilité.

Êchenn accepta le blâme. Ses parents prirent la parole à tour de rôle. La suite de la journée fut morne et silencieuse. Pour se racheter une bonne conduite, la fugueuse aida sa mère en cuisine, en lessive, en ménage. Devenir bonne ménagère ne comptait pas parmi ses rêves. Le soir venu, les tensions apaisées, la brune se risqua à quelques questions au sujet de sa tâche de naissance. Aucun membre de la famille n'en présentait. L'énumération des ancêtres ne donna pas plus de résultats. La jeune femme gagna sa couche bredouille.

Bercées par la respiration calme et lente de son frère, l'éclat subtil de la lune, les paupières de la petite dernière vacillaient. Mais le sommeil ne surpassait pas ses interrogations. Par chance, elle avait rencontré une personne connaissant la réponse. Pourtant, envisager retrouver le lynel semblait irréel.

* * *

La haute voûte miroitante faisait résonner les pas des deux invités. L'eau dessinait ses anguleux reflets sur les murs lisses. Bien que l'ambiance était plutôt à l'humidité et au froid, le peuple Zora réservait un accueil des plus chaleureux aux sauveurs d'Hyrule. Les enfants couraient en ronde autour d'eux, les adultes s'inclinaient avec grâce, le prince Sidon les accompagna jusqu'à la salle du trône. La vision de ses invités déposa un voile de mélancolie sur le visage sévère du souverain. Il n'avait jamais éprouvé de rancoeur à leur égard, mais la vision de Link et Zelda lui rappelait sans cesse la perte de sa chère fille.

- Que me vaut cette royale visite ?
- Bonjour Roi Dorefah, Zelda fit une profonde révérence en invitant Link à en faire autant d'un regard insistant.
- Comment se passe la reconstruction du château ?
- C'est justement ce qui nous amène. Link m'a longuement vanté le talent de vos artisans dans l'utilisation du nox pour les voûtes et les colonnes. Nous aurions justement besoin de leur savoir avisé pour reconstruire le clocher de la chapelle. Y aurait-il une possibilité de faire appel à eux ?
- Eh bien, le roi Zora se racla la gorge, ce ne serait qu'un juste rendu. Link, tu nous as bien aidés lors des grandes réparations du domaine suite à la rage de Ruta. Tes dons de gemmes et ton affrontement avec la créature ont sauvé la ville. Disposez d'eux autant que nécessaire.

Les deux Hyliens remercièrent leurs hôtes lorsqu'un son familier les fit frémir. Une lointaine vibration, douce et continue, les interpella. Ils échangèrent un regard inquisiteur. Il n'y avait pas de doute, le phénomène observé sur les gardiens se reproduisait sur Vah'Ruta. Ils s'enquirent du moyen le plus rapide de s'y rendre, sans autres explications. Sidon invita Link à enfiler sa tenue Zora et proposa d'escorter lui-même la princesse jusqu'à la créature. Emmitouflée dans une cape étanche, Zelda accepta l'offre du prince, quelque peu embarrassée de monter sur son dos. De cette façon, ils filèrent sans délai vers la silhouette pachydermique.

La tablette Sheikah fut d'un grand secours. Ils gelèrent la surface du lac tout autour du géant mécanique afin d'oeuvrer en toute liberté. Les lumières bleues jaillissant de l'animal vacillaient. Ses mouvements hachés se raréfiaient. Un bourdonnement incessant prenait le pas sur le chant ruisselant des cascades environnantes. En apposant sa main sur la surface humide, Zelda prit une grande inspiration. Ses pouvoirs pourtant éteints suite à la lutte contre le fléau, une étrange sensation lui parvint, comme un lien, une énergie provenant d'ailleurs. La princesse afficha un léger sourire, galvanisée par l'idée de recouvrer une part de son don. Ces yeux, quant à eux, transcrivaient son souci : la cause du dérèglement leur échappait.

* * *

A l'arrière du chariot, Êchenn profitait de quelques minutes de sommeil supplémentaires. La pluie faisait crépiter la bâche. Aujourd'hui, la chance lui sourit. Son frère avait accepté de lui servir d'alibi, le marchand faisant route pour Cocorico lui permit de faire le voyage avec lui. L'habitante d'Elimith avait décidé de reprendre la route, déterminée à comprendre les mystères entourant cette marque, bien que désolée de décevoir à nouveau ses parents. Elle qui ne s'était jamais sentie réellement à sa place sentait qu'une autre voie s'offrait à elle. Remerciant le marchand, la jeune femme quitta l'abri de la charrette au pont Cocorico. A l'est, elle reconnut le massif rocheux où le lynel semblait vivre. D'un pas mesuré, elle entreprit l'ascension vers sa seule piste. La pluie cessant, la capuche libéra sa longue chevelure ondulée.

Des cendres, un arc, quelques sacs en peau, des herbes suspendues séchant, mais pas de trace de la créature. Les yeux noisette scrutèrent quelques minutes durant. Des hautes herbes attestaient d'un passage par leur angle proche de l'horizontal. L'humaine suivit cette piste prometteuse, percevant le remous d'un cours d'eau. Au fond du ravin, elle l'aperçut, visiblement en pleine séance de pêche dans la rivière Zora. Le lynel était parfaitement immobile, les sabots immergés et statiques comme des rochers, l'eau jusqu'à mi-pattes, une main ajustant sa visée vers les profondeurs, l'autre tendue vers le ciel, pointant une lance pointue vers la surface brillante. Êchenn descendait à flanc de colline, pensant qu'il ferait un parfait modèle pour une statue. D'un geste rapide et net, Leif planta sa lance dans l'eau. Des écailles colorées apparurent au bout de son arme.

- Perche grillée, cela convient ? Sais-tu allumer un feu ?

La brune se figea, à peine à portée de voix, elle avait l'impression de s'être fait prendre comme on surprend un enfant en pleine bêtise. Elle rejoignit le rivage et entreprit de remplir sa part pour le repas. Les flammes jaillirent après quelques minutes d'efforts. Les perches embrochées prirent place autour de l'âtre incandescent. Ravi de la rencontrer à nouveau, le chasseur lui laissa l'initiative de la discussion, ne voulant pas la brusquer.

- Tu as un nom ? questionna la brune, n'osant soutenir le regard de son interlocuteur.
- Leif.
- Moi c'est... Êchenn. Que sais-tu sur cette tâche ronde ?
- Le vif du sujet ! éclata le lynel. Une question chacun veux-tu. Quel âge as-tu Êchenn ?
- Ce n'est pas une question que l'on pose à une jeune fille, se renfrogna-t-elle en se goinfrant de poisson.
- Laisse-moi deviner... Dix-neuf ans et six mois.

L'habitante d'Elimith manqua de s'étouffer. Elle posa son poisson au sol et fixa les yeux dorés. La source de ses connaissances était un vrai mystère, mais Leif connaissait visiblement tout ce qu'elle ignorait. Elle avala bruyamment en observant avec moins d'appréhension cet énigmatique personnage. Son visage était un savant mélange de traits humains et félins. Ses yeux étaient bien ronds, son nez légèrement aplati, ses lèvres fines ou quasi inexistantes, ses dents blanches et effilées. Assis, il était à peine plus grand qu'elle. De moins en moins intimidée, l'humaine se lança :

- Je suis prête à l'entendre. Dis-moi ce que tu sais, d'où tu le sais et pourquoi tu portes aussi cette marque.

* * *

Les deux femmes se faisaient face, installées en tailleur sur le large tatami. La lumière des bougies et le bois mural apportaient un confort chaleureux. Pahya servait le thé. Zelda exposa les faits au sage. Cette dernière acquiesça :

- Les gardiens puis Vah'Ruta. Étranges coïncidences. En quelques jours seulement, ces anomalies seraient donc liées selon toi ? Il ne faut pas s'inquiéter outre mesure, comme tu dis, ils n'ont pas présenté d'activité malfaisante. Néanmoins, le savoir Sheikah ne mentionne pas cette "énergie vibratoire". Ton éternel suivant n'est pas avec toi ?
- Link s'est arrêté en chemin, il a rencontré un vieil ami.

Le soleil chevauchait l'horizon. Dans les hauteurs de Cocorico résonnaient les notes d'un accordéon. L'ensemble du village était visible depuis la butte où Asarim et Link s'étaient retrouvés. Cette fois-ci, leur rencontre n'était pas un hasard. Le piaf exposa au héro son inquiétude vis-à-vis des évènements récents. Quel meilleur moyen de le faire qu'une chanson ?

- Enfant de la lune de sang, toi qui portes sa marque ronde,
d'étranges échos tu pressens, telles d'obscures ondes.
Le jour de tes 20 ans, la porte s'ouvrira,
le mystère de son emplacement, les vibrations t'ouvriront la voie.
Tu devras te rendre au passage, pour décider de sa renaissance.
Le pouvoir de contrôler ce funeste présage, t'est donné de droit par ta naissance.

Chapitre 4 : Méditation et investigation   up

- Donc, tu insinues qu'on aurait des pouvoirs ?

Êchenn était assise en boule, le dos contre la roche. Son professeur d'un jour était assis de l'autre côté du feu, les bras croisés, le regard perdu dans les flammes. Après lui avoir exposé le chant prophétique d'Asarim, Leif se doutait qu'il soulèverait des questions, auxquelles il avait essayé, seul, de trouver des réponses.

- Non, disons plutôt une sensibilité un peu différente. Tu n'as jamais eu de pressentiment, d'impression de déjà vu, d'intuition ? J'ai l'impression de pouvoir sentir certaines choses que les autres ne peuvent voir.
- Maintenant que tu le dis... je sens souvent comme un frisson quand je croise des... créatures. La fille hésita un peu avant d'employer ce mot, vis-à-vis du lynel. Ça n'a peut-être rien à voir, mais je fais des rêves les nuits de pleine lune. Plutôt des cauchemars en fait. Sans être identiques, ils me montrent toujours des scènes sombres, embrumées. Cela se passe dans des endroits que je connais, mais en regardant de plus près, ce n'est pas réellement les mêmes lieux. Il n'y vive que des ombres.
- Je l'appelle l'autre monde. Il m'arrive d'en rêver aussi. Avec un peu d'entraînement, tu arriveras à affiner cette perception. Je crois qu'une tâche importante nous attend. Nous devons nous y préparer avant d'avoir 20 ans. Les vibrations, dont Asarim fait allusion, j'arrive à les sentir. Elles forment un chemin. Mais leur résonance m'échappe. Peut-être qu'à nous deux...

Le jour laissait place à sa jumelle obscure. Quelques chauves-souris entamaient leur chasse nocturne. Des lucioles parsemaient les hautes herbes. Un renard fut dépecé, détaillé, grillé. Les deux marqués continuèrent la soirée dans le silence de leur réflexion, avant de profiter d'un sommeil salvateur.

Un ciel bleu annonçait une belle journée. Le quadrupède proposa un entraînement spécial à la fille. Placée au milieu d'une clairière, debout, les yeux bandés, les oreilles couvertes, seule sa perception fine allait lui servir. Le but était de distinguer la position du lynel autour d'elle. A chaque fois que l'humaine se tournait vers lui, il changeait de position. Au début de l'épreuve, Êchenn passait plusieurs dizaines de secondes à chaque tentative. Au fil des minutes, elle se détendait, calmait ses pensées, restait concentrée sur son seul but. Leif fut bientôt obligé de changer constamment de place. L'exercice fonctionnait. L'humaine ressentit soudainement une énergie plus volumineuse, plus dense, que les effluves agiles émises par son camarade. Avant d'avoir pu ôter son bandeau, elle fut empoignée brutalement. Le souffle coupé, les pieds flottant dans l'air, l'apprentie libéra ses yeux à force de gigotements. Un énorme rocher écrasait la végétation à l'emplacement exact où elle pratiquait. Le bras du lynel enserrait la taille d'Êchenn. Sauvée de justesse, il la ramena au camp au galop. Prise d'une soudaine euphorie, la fille éclata en sanglot :

- Je l'avais senti ! Le lithorok, une grande masse d'énergie froide quasi inerte qui a surgi du sol.
- Espèce d'idiote, tu as failli te faire écraser.

* * *

Zelda quitta la maison d'Impa. Le chevalier, qui avait passé la nuit à l'auberge, la retrouva devant la statue de la déesse Hylia. Suite à l'exposé d'Asarim, ils avaient décidé de se séparer. D'une part, la princesse allait étudier les livres au château, de son côté, Link mènerait l'enquête proche des perturbations des jours précédents. A l'entrée du village, les deux chevaux les accueillirent par des hennissements impatients. Ils se souhaitèrent mutuellement bonne chance. Epona s'éloigna d'un petit galop en direction du relais de la rivière. La princesse éperonna sa blanche monture et fila vers le château. Elle espérait y être pour midi.

Sur la route, elle rencontra quelques marchands itinérants, qu'elle salua d'un mouvement de tête. La blonde savait qu'une salutation plus classique l'aurait menée vers de longs débats houleux sur le scarabée enduro. Elle ne manquait pas de passer au galop lorsque sa route croisait des bokoblins de grand chemin. Les tours du château se dessinèrent bientôt dans la plaine. Elle savait déjà où chercher : la bibliothèque disposait d'une oeuvre, si ses souvenirs ne la trompaient pas, appelée "Recueil sur la lune de sang".

Assise devant l'immense table en bois élégamment sculptée, l'héritière royale dépoussiéra la surface en cuir du livre, sentant le relief des lettres glisser sous ses doigts. La couverture et la reliure étaient décorées de dorures. A l'intérieur, les lignes tracées à l'encre se succédaient, construites de courbes fines et délicates. Pendant de longues minutes, elle avala le bouquin et une part de gâteau aux fruits. Il relatait les informations découvertes par un ancien scribe royal au sujet de l'astre rouge. Pour mieux assimiler son contenu, Zelda lut à voix haute :

- La lune de sang se manifeste cycliquement. Elle tire son énergie du fléau. Ce phénomène est apparu de manière concomitante aux émanations de Ganon. Dans la Triforce, la lune représente la force, le soleil est la sagesse et la terre reflète le courage. Les nuits de lune rouge ouvrent temporairement un passage vers le monde ténébreux, servant de réservoir. Un transfert d'âme est alors possible dans notre monde, permettant aux créatures défuntes de renaître. On peut donc concevoir qu'un lien subtil existe entre la lune de sang et les forces du mal. Link... je refuse de sauver le royaume au prix de vies innocentes. Mais si on trouve ses enfants, il faudra découvrir un moyen de les arrêter.

* * *

Le village d'Elimith. Il fait nuit. Seules de lointaines clameurs brisent le silence froid. Les habitants errent, affichant des yeux vides et des mines ternes. Êchenn ouvre la porte de la maison familiale. Ils sont attablés. Les parents se font face, son frère est de dos. Une odeur macabre embaume la pièce principale. Saisissant son assiette, Erhêt se retourne. Une mixture marron fume dans la porcelaine. Laissant apparaître un mille-pattes reliant son nez à son orbite oculaire, il lui demande :

- Tu en veux ?
- Non !

La jeune femme se redressa de sa couche en paille, affolée par son cauchemar. La nuit était bien avancée, la lune ronde éclairait fortement le camp de fortune. Pour se rassurer, elle chercha Leif du regard. Les pattes fléchies, il dormait la tête posée sur ses bras croisés lovant un gros rocher. Il lui sembla qu'un miasme pourpre émanait de son ami. Êchenn se frotta les yeux pour en avoir le coeur net. Sa fatigue troublait peut-être sa vision. Pourtant les effluves continuaient de se disperser autour du corps endormi. Cette sombre manifestation tracassait l'humaine. Elle se leva, un poing serré sur la poitrine, l'autre tendu vers le rêveur. Son coeur battait fortement dans ses côtes. Saisissant l'épaule du lynel, elle le remua doucement.

- Leif, réveille-toi. Leif ? Leif ! Elle secoua plus fortement.

Un grognement naquit du fond de sa gorge et gagna en puissance en jaillissant à travers ses crocs. Il résonnait comme un hurlement animal. Le lynel ouvrit des yeux rouges et balaya la fille de son bras musclé. La silhouette féminine heurta la réserve de fagots de bois et de silex, poussée par l'élan. Protégée par ses bras, elle s'en tirait juste avec une entaille le long du poignet. Libéré de son sommeil et de sa sombre aura, Leif retrouva ses esprits. Il découvrit avec effroi sa camarade allongée parmi les souches, se tenant le bras. Un filet de sang glissait le long de ses doigts fins. Malgré ses excuses les plus sincères, il lut la même haine dans le regard de la fille que dans ceux des humains envers son espèce.

- Je suis vraiment navrée, Êchenn. Je crois que mon cauchemar a empiété sur la réalité. Je n'étais pas moi-même.
- Ce n'est pas ce qui m'effraie. Elle garda la tête baissée. Autour de toi, il y avait un halo si sombre. Cette chose a fait ressortir ta vraie nature...
Le solitaire s'approcha prudemment et appliqua un cataplasme d'herbes d'Hyrule sur la plaie et banda le bras de la jeune femme. Sentant son ébranlement, il passa ses bras autour des épaules menues et l'attira contre son torse.
- Désolée, tu te doutes que je ne te ferais jamais de mal intentionnellement. Je crois que la pleine lune m'impacte négativement. Retournons nous coucher. Par précaution, je vais m'installer un peu plus loin.

* * *

Le relais de la rivière débordait d'activité. Les marchands exposaient leurs marchandises, des enfants nourrissaient les chevaux, l'hélice en toile se gonflait du vent matinal. Epona tint compagnie à ses congénères. Link questionna le tenancier.

- Si j'ai vu quelque chose d'étrange le jour du grondement ? C'était déjà assez étrange comme ça... Cela dit, une demoiselle encapuchonnée est passée par ici. Elle était toute affolée et divaguait au sujet d'un lynel qui parle. Sacrée journée, ça oui. Où elle est allée ? Aucune idée, après une pause pour reprendre son souffle, elle est partie par là, fit-il en pointant du doigt la route menant au fort d'Elimith. Quoi qu'il en soit, elle n'avait pas l'air dans son assiette.

Retrouvant sa fidèle jument, le héros continua sa quête vers l'est. La description de l'homme correspondait fortement à sa voisine d'Elimith. Il traversa d'abord la plaine, slalomant entre les gardiens, accompagnés de chevaux sauvages. D'une allure plus modeste, il franchit le fort d'Elimith où des corps inanimés de bokoblins attendaient inhumation. La route jusqu'au village fut familière et sans surprise. Link attacha le filet d'Epona sur la barrière d'entrée du village. Il se dirigea vers la grande chaumière et frappa à la porte.

- Link ? Tu viens m'apporter une autre arme surprenante ? Ou bien... tu sais quelque chose sur ma soeur ? Ça fait deux jours qu'elle n'est pas rentrée.
- Erhêt ? Qui a frappé à la porte ? questionna la mère, la voix trahissant son inquiétude.

L'homme à la tunique bleue s'excusa de ne pas pouvoir leur apporter de réponses. Il exprima ses condoléances et sa volonté de leur ramener leur fille. Le frère ayant servi d'alibi ne put que lui indiquer qu'elle était retournée auprès de la personne qui lui était venue en aide pendant le raid. La piste le ramenait donc quelque part proche du fort d'Elimith. Link retrouva sa monture et rebroussa chemin, dans l'espoir d'apporter des réponses à son binôme de toujours. D'un claquement de langue et de coups de talons, il fila vers l'ouest.

Chapitre 5 : Lecture et joute   up

Le soleil ne brillait pas ce matin-là. D'épais nuages limitaient la luminosité. Êchenn se réveilla seule au lieu de bivouac habituel du lynel. Contrairement à ce qu'elle espérait, la blessure était bien là, sur son poignet. L'incident de la nuit n'appartenait pas à ses rêves. Son compagnon avait réellement perdu le contrôle. Mesurant les risques de la proximité d'une créature aussi puissante, la brune rassemblait ses affaires.

- Tu pars déjà ? interrogea la voix masculine.
- Leif ? Bien qu'hésitante, elle se lança. Je ne peux pas rester ici. C'est trop risqué. Et puis, mes parents vont s'inquiéter. Désolée, mais tu vas devoir résoudre cette histoire de porte seul.

L'humaine ajusta son sac à dos. L'idée de retrouver son quotidien monotone ne l'enchantait guère, mais le danger incarné par son mentor était trop imprévisible. Elle serra les liens de ses chausses et avança vers la plaine. Le lynel la retint, empoignant délicatement mais fermement son avant-bras.

- Non, je ne te laisserai pas filer cette fois. Je m'en veux tellement pour ta blessure. J'aimerais beaucoup que tu puisses retrouver ta vie d'humaine tranquille dans ton petit village, à faire pousser des légumes dans un potager. Mais je ne peux pas y arriver seul.
Êchenn resta silencieuse, le regard planté dans le sol. Il nourrissait son espoir de vie d'aventure.
- J'ignore pourquoi, mes pouvoirs, comme tu les appelles, ne suffisent pas. Quand je me concentre je perçois tout un maillage de chemins d'énergie. Quelque chose me dit qu'ils me guident là où je dois aller. Mais je n'arrive à les sentir que parfaitement immobile, dans un état méditatif profond. Impossible d'y aller seul. Je ne peux pas m'y rendre et me concentrer en même temps. Il faudrait deux cerveaux.

Le bras de la jeune femme se détendit, comme seul signe de résignation. Un long silence répondit à Leif. Celui-ci ne relâchait pas sa prise, attendant fermement une réponse. La voix claire murmura :

- On ne sait même pas ce que l'on va y trouver.
- Je ne connais qu'un seul moyen d'avoir la réponse. Êchenn, je pressens que quelque chose d'important va se produire à nos 20 ans. On ne va pas rester là, les bras croisés, à attendre que je perde toute humanité, que la porte se referme en engouffrant avec elle le mystère de nos naissances.
- D'accord, mais à une condition : en plus de la méditation, tu m'entraîneras aussi à perfectionner mon tir à l'arc !

* * *

La chambre était vide. Le lit était fait. La cuisinière, disposant d'un plateau d'argent sur lequel reposaient les essentiels du petit-déjeuner, prit la direction de la bibliothèque. La princesse y avait passé chaque minute et chaque seconde depuis son retour du domaine Zora. En arrivant dans l'immense salle, elle l'aperçut, absorbée dans un vieux grimoire. Des runes figuraient sur la tranche : "l'autre monde".

- Vous êtes bien matinale, votre altesse, je vous apporte de quoi vous restaurer.

La seule réponse fut un signe de la main, désignant un espace libre sur la table couverte de livres. Le soulignement violacé sous les yeux émeraude témoignait d'une nuit de lecture sans relâche. Les iris parcouraient les pages jaunies de la droite vers la gauche :

- Ce monde parallèle, aussi appelé monde des ténèbres, est semblable au nôtre en tout point, comme le reflet d'un miroir. Cependant, un voile sombre recouvrant le miroir lui confère son caractère obscur. Les habitants de l'autre côté sont nos alter ego ou âmes déchues. Créatures et monstres y naissent et y pullulent. A ce jour, de rares évènements ont perturbé l'intégrité de cette dimension, permettant des échanges. Ces cas de passages résultent d'une magie ancienne, scellée et interdite, usée par les ancêtres du peuple Gerudo. Elle a été retrouvée chez Ganon et le fléau et parfois décrite comme une anomalie au sein d'individus prédisposés. Cette forme de magie pourrait, en théorie, permettre un échange psychique voir physique avec l'autre monde. Comprendre donc un moyen de communiquer avec le monde des ténèbres, pourquoi pas même ouvrir un passage permettant d'y aller ou d'en revenir. Aucun cas n'a été référencé à ce jour. Ses théories restent à étayer.

Zelda referma le livre dans un clap net. Ses pensées tentaient de trouver un lien entre la lune de sang et ce monde parallèle. L'astre était-il un passage entre les deux mondes ? Depuis la fin du fléau, aucune lune de sang n'avait été recensée. Pourtant, une menace semblait encore peser sur le royaume d'Hyrule. La princesse envisagea que ces enfants marqués incarnaient peut-être ce pouvoir d'ouvrir un passage. Extirpant une banane du plateau brillant, elle décida de rappeler Link pour lui faire part de ses découvertes.

* * *

Êchenn était assise sur une souche. Les yeux fermés, les mains posées à plat sur ses cuisses, dans un silence royal. Son esprit luttait pour rester libre, tenté par les réflexions, les bruissements du feuillage, fatigué de rester concentré. Les consignes de Leif étaient claires : faire le vide dans sa tête, respirer profondément, placer l'attention derrière les yeux, sentir. A force d'acharnement et d'application, un maillage de fils aux contours irréguliers se détacha de l'obscurité. Les fibres pulsantes s'arrangeaient de manière désordonnée. La brune resta dans cet état contemplatif, s'habituant à la vision de ce réseau.

Alternant entre une bouchée de viande et une autre de champignons grillés, l'humaine fit son compte rendu à Leif. Elle décrivait de manière précise la façon dont sa concentration permettait aux fils asynchrones d'entrer dans une résonance parfaite, de se regrouper sous un même tissage, indiquant clairement une direction. Elle lui démontra aussi qu'à la moindre distraction, le maillage se dispersait, les battements perdaient leur rythme.

- Je ne l'aurais pas mieux expliqué. Bravo Êchenn, tu as bien progressé ce matin. Tu comprends, maintenant, pourquoi je ne peux y arriver seul. Impossible de maintenir ses ficelles vibrantes ensemble au moindre déplacement. Cet après-midi, tu vas réessayer, mais cette fois, en mouvement.
- En marchant ? Mais je vais tomber au moindre obstacle, les yeux fermés et tout le barda !
- Mais non, sur mon dos, dit le lynel en tapotant la zone légèrement cambrée entre son garrot et sa croupe.

La jeune femme pâlit d'abord à l'idée de débuter en équitation. Elle adorait brosser et nourrir les chevaux mais ne s'était jamais aventurée jusqu'à les monter. Ses parents lui avaient interdit pour lui éviter des fractures, contusions et autres promesses de chute. Puis Êchenn rougit en imaginant devoir enfourcher son ami et l'agripper pour ne pas tomber. Elle finit par accepter, mesurant l'effort dont il faisait preuve pour mettre de côté sa fierté de guerrier indomptable.
- Il n'y a pas de honte à avoir, l'interpella Leif en se grattant la nuque, cachant sa propre gêne. De toute façon, c'est déjà arrivé. Quand je t'ai trouvée inconsciente dans les bois, ne va pas t'imaginer que je t'ai pas portée jusqu'ici à bout de bras.

* * *

A l'aube, Link avait quitté le relais de la rivière. Un indice laissé dans le ciel le guida vers les Monts Géminés, un peu plus au nord. Une fumée grise avait été aperçue, marquant probablement l'emplacement d'un campement. En arrivant à la source du feu, il ne trouva personne. Mais ses recherches furent récompensées par la présence d'un tas de feuillage et de couvertures. Cela confirma la présence humaine aux alentours. D'un point haut, il repéra deux silhouettes dans la plaine. L'une plus imposante que l'autre. D'un saut, il ouvrit sa paravoile et fila se poser en toute discrétion en amont de sa cible. Un lynel lui tournait le dos, cachant la silhouette humaine. Le blond s'approcha lentement, accroupi dans les herbes hautes. Seul le tintement du fil de son épée tirée de son fourreau trahit sa présence. La créature cabra pour se retourner vers son agresseur. La silhouette vêtue de bleu lui rappela le meurtrier de ses parents. Leif ne tenta pas de négocier, envahi par la colère, pas plus que son adversaire, l'épée à la main, en position de combat. Êchenn recula machinalement, évitant de potentiels coups de sabot. Sa nouvelle position lui permit de reconnaître l'assaillant.

- Link ?! Leif, non ne...

Le pas en avant et les bras tendus de la fille ne purent arrêter son ami qui chargea, l'épée à la main. L'Hylien esquiva d'un saut latéral, tentant une frappe lors de sa fuite. En se réceptionnant, il fit rapidement demi-tour, prêt pour le deuxième assaut. Cette fois-ci, la lame entailla légèrement l'épaule du lynel. Blessé et en échec, celui-ci changea de stratégie. Il banda son arc. Plusieurs flèches filèrent avant de s'écraser contre le bouclier en acier. Mais sa tactique fonctionna, le guerrier s'approcha pour un combat rapproché. Link tenta un coup d'estoc, balayé par son opposant d'un mouvement latéral. Il profita de son élan et d'un demi-tour pour lui asséner un coup circulaire. L'épée fut stoppée à nouveau, mais le droitier ressentait la fébrilité de son adversaire, sans doute aidé de l'ascendant psychologique par sa position de parricide.

Leif brandit son épée, poignée vers le ciel, lame vers le bas, les deux mains sur le pommeau, et la planta dans le sol. L'onde de choc produite obligea son opposant à reculer. L'homme en bleu pointa à nouveau son arme vers l'avant. Avant qu'il n'ait pu démarrer un nouvel assaut, une voix télépathique l'interpella.

- Link... Link ! La voix douce mais autoritaire de la princesse résonnait dans sa tête. Viens au château, vite. J'ai trouvé quelque chose.

Êchenn soupira de soulagement en constatant que son voisin rangeait son épée. Pinçant les lèvres, il siffla et s'éloigna en courant. Rejoint par sa monture palomino, il bondit en selle et disparut dans l'écho du galop. Le lynel lâcha son épée et inspecta l'entaille sur son bras. Sa comparse arracha quelques herbes d'Hyrule qu'elle mastiqua longuement. La pâte ainsi obtenue fut étalée avec soin sur la coupure. Une fois recouverte, elle y fit pression avec la paume de la main.

- Tu connais l'assassin de mes parents ?
- Link est mon voisin. Je le connais depuis toute petite. Je suis désolée pour ce qui est arrivé à tes parents.
- Désolé d'avoir essayé de tuer ton voisin... Plus important. Nous ne pouvons pas rester ici. Je ne suis pas sûr de m'en sortir aussi bien la prochaine fois que l'on se battra. Il est plus fort que moi. Demain, on passe directement à la pratique.

Chapitre 6 : Itinérance et source   up

Êchenn fut réveillée par le bruit de l'eau versée sur le feu. Leif lui désigna un sac de denrées pour qu'elle puisse se restaurer avant de partir. Les pommes et noix furent accueillies avec enthousiasme. Contentée, l'humaine l'aida à lever le camp. Un fagot de bois et sa couverture furent ficelés puis fixés de part et d'autre de la croupe du quadrupède, sanglés et ajustés par une ceinture en cuir. Un sac en peau prit place autour de son torse, contenant viande séchée, bandages et herbes médicinales. La brune fixa les armes dans son dos. Le poids de l'épée et de l'arc du lynel la surprirent, en comparaison avec son simple arc en bois. Leif fléchit les pattes arrière pour l'aider à monter.

- Allez, en piste. Partons vite, car j'ignore jusqu'où nous allons.

S'agrippant au garrot de son ami, Êchenn enjamba la croupe chargée pour s'asseoir entre le chargement et son dos. Surprise par le confort de l'assise, elle gigota un peu, ajustant sa position. Ses mains trouvèrent une place rassurante et sécuritaire de part et d'autre du garrot. Ses jambes fléchies sur les flancs lui assuraient un minimum de stabilité. Leif l'entendit prendre une profonde inspiration puis souffler longuement. Il garda le silence, respectant sa concentration. Un doigt tendu vers le nord-est entra dans son champ de vision, dépassant d'au-dessus de son épaule.

- Par là, une majorité de signaux se rejoignent là-bas. Mais... dès que je parle ils se dispersent à nouveau.
- Très bien, répondit Leif en commençant à marcher dans cette direction. Ne t'inquiète pas, nous allons trouver un autre moyen de communiquer si parler te déconcentre trop.

Pour ne pas trop secouer sa cavalière, le lynel s'éloigna de l'ancien campement d'un pas mesuré. En l'absence de manifestation de sa passagère, il maintenait l'allure et la direction. Quand il déviait, il sentait les jambes se serrer autour de ses flancs. Il s'arrêtait. Elle reprenait une grande inspiration. Le calme retrouvé, l'humaine tapotait son garrot du côté désiré. Ils repartaient, progressant au rythme des percussions des mains de l'humaine. Le soleil au zénith les incita à faire une pause. Débarrassé du chargement, Leif sortit la viande séchée.

- Où sommes-nous ?
- Nous avons quitté le Necluda, à l'ouest c'est le château d'Hyrule, à l'est le Domaine Zora. Nous nous dirigeons vers l'Akkala et la Montagne de la Mort.
- Je crois que je préférerais encore visiter Akkala. On n'avance pas très vite, s'inquiéta la jeune femme.
- Peut-être, mais je suis sûr que l'on va s'améliorer. Toi à rester plus concentré, moi à moins te secouer.

Ils reprirent la route dans la même dynamique qu'au matin. Êchenn dirigeait son ami par tapotements. Leif quittait parfois le sentier en faveur des sous-bois, lorsqu'ils croisaient des aventuriers ou marchands. Des détours étaient parfois nécessaires, à l'orée de relais, campement, ou hameau habité. La montagne flamboyante au nord se détachait du ciel. À l'est, les vallons d'Akkala dessinaient d'agréables courbures à l'horizon.

* * *

- Ta voisine et un lynel qui parle ? Link, on dirait le début d'une blague de Terri...

Zelda se tenait debout, face à lui, dans le hall lumineux à l'entrée du château. Elle était venue l'accueillir dans la grande salle vide ponctuée de larges colonnes, pressée de lui faire part de ses découvertes. Cependant, le guerrier, debout, les bras croisés, ne pouvait que lui apporter la nouvelle d'une étrange rencontre.

- Cela ressemble plus à un kidnapping qu'à un sauvetage. Bon, en envisageant la piste sérieusement, il faudrait trouver un moyen de les séparer pour vérifier si la fille porte la marque ronde. Mais qu'est-ce qu'elle peut bien fabriquer avec un lynel ?

La princesse invita Link à s'attabler pour réfléchir ensemble autour de poisson vapeur et de curry de légumes. Elle lui exposa les informations au sujet de l'autre monde et de la lune de sang. En prenant en considération la chanson d'Asarim, une hypothèse pouvait être formulée : les enfants de la lune de sang pourraient être à l'origine de l'ouverture d'un passage entre les deux mondes. Tout échange entre les deux univers risquerait de perturber l'équilibre enfin revenu en Hyrule. De plus, le fléau Ganon apparaît cycliquement depuis des millénaires. Et si ce monde des ténèbres était depuis toujours son lieu de récupération ? Une faille ainsi créée serait l'opportunité rêvée pour lui de s'immiscer à nouveau dans leur monde. La princesse établit un plan d'action avec son bras droit.

- Link, pourrais-tu aller questionner la famille de la fille ? Ils savent sûrement si elle possède une tâche ronde sur le corps. De mon côté, j'envoie des messagers aux villages Zora, Goron, Gerudo et Piaf pour être prévenue en cas de perturbation des créatures. Je contacte aussi les relais pour qu'ils nous préviennent si les gardiens se mettent à gronder. Si elle passe à proximité, ce sera une première piste pour les retrouver. Pour l'instant, nous n'avons aucune idée de leur localisation. D'autant plus que ta rencontre musclée avec le lynel les aura sûrement motivés à décamper.

La blonde se frotta le visage. La fatigue et le souci pesait sur son crâne telle une chape de plomb. Link délaissa son festin pour aller s'asseoir aux côtés de la princesse. Il saisit ses mains dans les siennes et établit un doux contact front à front. L'homme en bleu respirait calmement et profondément, incita son homologue à quelques instants de relâchement et de paix intérieure.

* * *

- Êchenn, ouvre les yeux, regarde ça.

Incitée par son coéquipier, la jeune femme quitta son état méditatif, d'abord éblouie par la lumière. L'air diffusait une odeur de forêt et d'humidité, de mousses et de fougères. La fraîcheur ambiante et le calme pur de cet endroit démontraient l'absence d'activité humaine. Les mains saisissant le haut du dos de son ami, Êchenn se hissa jusqu'à son garrot pour observer par dessus son épaule gauche. Face à eux, une arche en pierre naturelle délimitait un passage. Au sommet, de grands arbres laissaient pendre leurs longues racines sinueuses, fournissant une moustache végétale à cette bouche béante. Des libellules irisées dansaient entre les fougères rouges, trahissant la présence d'un cours d'eau ou d'un bassin.

- Il faut entrer. Les vibrations mènent ici. Peux-tu m'aider à descendre ?

Un quart de tour pour passer en amazone, l'humaine saisit la main bienveillante de Leif pour retrouver terre ferme. Ils avancèrent avec prudence et lenteur, freinés par l'appréhension et l'engourdissement d'une chevauchée prolongée. Derrière l'arche, les rayons verticaux du soleil formaient un rideau doré opaque. La petite clairière ne s'ouvrit à eux qu'après quelques instants d'habituation rétinienne. La place ronde était entourée d'un cirque de falaises élégamment végétalisées. La verdure et l'eau dominaient dans ce tableau authentique. Un court promontoire en roche plongeait dans un bassin miroitant. Au bout, sous une voûte minérale, des gouttes ruisselantes tombaient sur le sommet d'une statue ovale. La sculpture en granit évoqua la déesse bien connue par l'habitante d'Elimith. La même représentation de la déesse Hylia reposait devant la maison du maire, au village. Emprunte de nostalgie, Êchenn devança son compagnon, approchant du promontoire de roche.

- Une déesse, un écrin de verdure et un bassin. Il s'agit peut-être d'une des sources sacrées. J'en ai entendu parler, c'est un lieu de pèlerinage et de prière. Pourquoi nous avoir amenés ici ?

Leif gardait le silence, contemplant ce paysage apaisant. Tous deux s'imprégnaient de la magie de ce lieu. La berceuse chantée par le ruissellement de l'eau et le murmure des feuilles calmait leurs esprits et siphonnait leur force. Endormis debout, les deux aventuriers s'écroulèrent sur leur tapis de mousse.

* * *

Une pile de lettres trônait sur le bureau en bois. Chaque minute, d'autres venaient lui ajouter de la hauteur. La plume trempait régulièrement dans le liquide noir, tintait contre la paroi en verre, avant de gratter la feuille blanche. Entre chaque page, Zelda profitait de quelques secondes d'étirement pour soulager ses doigts enraidis par l'écriture. Il n'était pas question pour elle de déléguer une tâche dont dépendait peut-être la renaissance du fléau. Les lettres étaient minutieusement pliées, glissées dans leur enveloppe. La cire chauffée par la bougie cachetait le tout, modelée par le tampon portant l'insigne royal aux deux ailes ouvertes.

La princesse se leva finalement pour missionner les messagers. Une soudaine faiblesse la fit tomber à genoux. Son corps était comme attiré vers le bas, soumis à une pesanteur nouvelle. L'Hylienne repoussa le sol de toutes ses forces, les deux mains plaquées entre ses genoux. Des sueurs froides annonciatrices de malaises l'incitèrent à lutter contre une extrême torpeur. Son champ de vision se brouilla de milliers de points sombres et brillants entremêlés. Avant de perdre connaissance, Zelda réussit à percevoir des images, comme projetées dans son esprit.

Une statue de la déesse Hylia, des larmes de sang coulant de ses yeux, tintant de rouge ses joues souriantes. L'hémoglobine dégoulinant jusqu'à la surface du bassin, son eau claire se troublant vers de funestes tintes. Le dragon de feu, Ordrac, survolant le ravin d'Ordinn. Dans un gémissement douloureux, déviant de sa trajectoire habituelle, exhalant de longues flammes rougeoyantes. Une plaine nocturne animée d'âmes errantes, déambulant sans but. Des silhouettes sombres, le regard allumé d'une lueur rouge, se mettant à marcher vers une direction commune. Les pieds écrasant la grise végétation, les bouches ouvertes avides entonnant de lugubres chants. Une porte noire aux contours irréguliers, pulsant comme un coeur vivant. Empêchant toute traversée, la surface lisse opaque s'étendant vers ciel et terre. Des rides troublant sa surface, dessinant des lignes concentriques, une main émergeant en son sein.

Les paupières s'ouvrirent, découvrant des iris émeraude. Impa, assise en tailleur au chevet de la princesse, approcha son visage pour examiner la comateuse.

- Que s'est-il passé votre altesse ? Le manque de sommeil ne justifie pas de perdre connaissance si soudainement.
- Impa, il se passe quelque chose de grave. Zelda s'assit lentement dans son lit. Mon don s'est éveillé quand j'en avais le plus besoin lors de la bataille contre Ganon. Permettant de le sceller cent ans, il s'est amenuisé jusqu'à disparaître. Aujourd'hui, j'en ressens à nouveau de faibles traces. Si mes pouvoirs peuvent revenir, qu'en est-il des ténèbres ?
- Le fléau a disparu princesse. Le vaincre deux fois ne suffit-il donc pas ?
- Et si... s'il s'était juste retiré pour mieux contre-attaquer ? Un cycle sans fin, comme dans la légende. Mais cette fois, mon existence et celle de Link ne sont pas les seules à être impliquées. Je dois te parler des enfants de la lune de sang.

Chapitre 7 : Rubis et flammes   up

Un goût de terre dans la bouche. Réveillé d'un sommeil sans rêve. Leif se releva, en pleine forme. La journée fit place au crépuscule. Le bassin, la statue, la verdure, tout était inchangé excepté des teintes bleutées et des verts plus sombres. Pourtant, le lynel se sentait différent, sans pouvoir l'exprimer précisément. Sa voisine cessa d'être la belle au bois dormant. Assise sur la mousse, elle crachait les résidus de terre immiscés entre ses lèvres pendants son coma. Ils échangèrent un regard interrogateur, comprenant que tous deux s'étaient évanouis. Leif observa ses mains, y ressentant des sensations différentes. Êchenn fermait et rouvrait les yeux, découvrant une évolution dans ses visualisations.

- C'est dingue. Le chemin de fils, il est là, il ne bouge pas. Quand je ferme les yeux je le vois nettement, même en parlant. On dirait que mes pouvoirs ont évolué. Et toi ? Tu sens quelque chose ?
Il ne répondit que par un hochement de tête horizontal. Le quadrupède mentit. Il y avait cette sensation à l'intérieur de la paume de ses mains. Mais ne pouvant en appréhender les effets, il préférait taire ce détail pour le moment.
- Trouvons un abri pour la nuit. Il va faire froid, il faudrait faire un feu. Ne perds pas le chemin, nous repartons demain.

Les deux marqués s'éloignèrent du bassin, observant les alentours à la recherche d'un bivouac idéal, ramassant du bois sec. Êchenn trouva le sommeil facilement, fatiguée par cette évolution dans sa perception. Leif passa de longues minutes à inspecter ses mains, serrer, relâcher, frotter. Une étrange énergie résidait au creux de ses paumes. Sa nature et son utilisation restaient un mystère à éluder. Il finit par s'endormir, fatigué d'inquiétude et de réflexion.

* * *

Link referma la porte derrière lui. Un voile de poussière s'était ajouté au décor inchangé de son salon. Les établis muraux mettaient en valeur ses armes telles d'authentiques pièces de musée. Dans la petite pièce attenante, sa multitude d'armures reposait sur une étagère en bois verticale. Il choisit une tenue légère de voyage, permettant également plus de liberté de mouvement lors des combats. L'Hylien prépara également un harnachement digne des plus grandes excursions pour sa monture : couverture, nécessaire pour le feu, stock de denrées séchées, potions, carquois rempli, carte approfondie des reliefs... Cette fois, il ignorait combien de temps il s'absentait. Il s'éloigna de la maison en bois, lui adressant un dernier regard empreint de mélancolie. Dans l'allée centrale du village, il croisa Erhêt, flânant devant les boutiques. Cette rencontre tombait à point.

- Link, tu tombes bien ! Dame Pru'Ha souhaite te voir. Elle t'attend au laboratoire. Le jeune homme se mit à marcher aux côtés de son idole. Que je t'accompagne ? Pas de problème. Tu veux me parler de quelque chose en particulier ?
Link prit la direction de la colline au sommet de laquelle se dressait le laboratoire. Il tirait délicatement mais fermement le filet d'Epona. Il exposa à son voisin la raison de sa venue.
- Une marque ronde ? Tu veux parler de sa tâche de naissance ? Sur le dos de la main, à droite, Êchenn a une tâche rose plutôt ronde, oui. Notre grand-père l'appelait "son petit soleil" à cause de ça. En quoi ça peut t'aider, une trace sur la peau de ma soeur ?

Comme le héros s'en doutait, l'aîné espérait des explications sur la disparition de sa soeur. Pour ne pas l'inquiéter, il lui annonça l'avoir vue la veille, sans avoir pu la convaincre de revenir au village. Aux portes du laboratoire, Erhêt quitta Link en le priant d'aider sa cadette une fois de plus. Il ouvrit la porte, découvrant la très vénérable Sheikah assise sur un tabouret, battant l'air des pieds comme une fillette. À la vue de Link, celle-ci bondit de son tabouret pour se relever, et le pointa d'un doigt accusateur.

- Ha ! Enfin le voilà. Link, une nouvelle forme d'énergie a fait réagir les gardiens un bref instant l'autre jour.
L'Hylien recula d'un pas, se protégeant de l'index tendu vers lui. Le sujet était grave. Pru'Ha avait une fâcheuse tendance à tourner autour du pot, cette fois-ci, elle allait droit au but. Rien de rassurant.
- Ils sont normalement activés par l'énergie de la tablette Sheikah. Nous savons que le fléau a la capacité également de les manier. Mais là, ce n'était ni l'un ni l'autre. Une autre forme de pouvoir est à l'origine de leurs grognements.
La petite femme monta sur son tabouret, debout, pour être à hauteur de Link.
- On m'a rapporté un cas similaire près du relais de la rivière. Pru'Ha approcha son visage de celui de Link en s'exclamant. Incroyable ! La source serait donc multiple ou... mobile ! Prends garde Link, murmura-t-elle en descendant de son piédestal. Prends garde.
La Sheika s'approcha de la pierre brillante entreposée dans le coin de l'atelier. Cette grande roche avait autrefois servi à améliorer les fonctions de la tablette Sheikah. Elle tapota la surface brillante du bout des ongles, avec un air malicieux.
- Tu te doutes que je ne t'ai pas fait venir uniquement pour te mettre en garde. Le génie que je suis a réussi à isoler le signal à l'origine de l'activation des gardiens. La chercheuse bâilla et s'étira contre la pierre. Peut être que contre quelques rubis, je pourrais envisager de mettre à jour ta tablette afin d'en suivre le signal...

* * *

Le camp levé, Êchenn fixa le chargement sur le dos de son ami. La motivation se lisait dans leurs regards, pour une nouvelle journée de voyage vers l'inconnu. Leif s'abaissa pour la laisser monter. L'apprentie médium lui indiqua de suivre le nord. Plus à l'aise dans son repérage, le dialogue était permis, l'humaine pouvait même profiter du paysage de cette région verdoyante et vallonnée.

- Êchenn, prête-moi ta cape, on va essayer d'accélérer un peu mais il te faut un moyen de te tenir.

Le lynel torsada le tissu sur toute sa longueur. Il l'ajusta au niveau de sa taille, présentant les deux extrémités à la cavalière. Celle-ci s'en saisit, faisant un tour autour de ses poignets, saisissant le tissu fermement avec ses mains. Ses jambes enserrant les flancs se firent plus toniques pour amortir les impacts. Leif entama un trot soutenu, constatant la bonne adaptation de la jeune femme. En une heure de chevauchée, ils arrivèrent bientôt à l'extrémité nord du plateau, constatant l'évolution montagneuse du terrain. La plaine laissait place aux dénivelés rocailleux des ravins d'Ordinn. Un dernier point d'eau entouré de végétation les incita à une halte avant d'affronter un terrain désertique.

- Faisons le plein d'eau avant de continuer. J'avoue qu'une petite toilette me ferait du bien aussi, avoua Êchenn en bondissant au sol.
Elle récupéra la gourde fixée au chargement et s'approcha de l'eau. Un bruit de ronflement lui parvint du milieu du lac. Un îlot de terre servait de paillasse à une immense masse noire endormie.
- Êchenn, chuchota Leif, recule. Sans faire de bruit, c'est un Hinox. Ils ne sont agressifs que si on les réveille.

L'humaine fit une croix sur sa toilette matinale. Elle recula sans se retourner, les yeux fixés sur la grande silhouette enfoncée dans le sol. Une branche sèche craqua sous son pied. Un grognement résonna, gagna en puissance, plissant la surface de l'eau. La maladroite fit demi-tour et s'éloigna au pas de course, sautant par dessus un talus, rejoignant son camarade. Celui-ci s'était déjà armé de son épée et tendait l'arc à Êchenn.

- Je fais diversion. Vise son oeil. Positionne-toi sur le talus, ancre bien tes pieds dans le sol. Vise, inspire et bloque ta respiration pour relâcher la corde. Tu vas y arriver.

L'archère acquiesça et se plaça à son poste, observant le dos du chasseur s'éloigner vers un danger certain. Malgré l'énorme massue en bois balayant l'air, il s'approcha au plus près de la créature agacée. L'hinox frappa à la verticale devant lui. Le lynel esquiva d'un bond latéral. L'arme plantée dans la terre boueuse immobilisa quelques instants son manieur.

- Maintenant, tire !

La flèche pénétra le coin externe de l'unique oeil jaune. Le monstre tomba sur ses fesses, hurlant et protégeant son oeil de ses mains potelées. Leif profita de l'occasion pour lui asséner de multiples coups d'estocs au thorax et à l'abdomen. Chaque frappe réveillait la chaleur naissante à la paume de ses mains. L'étrange sensation de la veille réapparaissait, galvanisée par le combat. Arrachant le fût de son globe oculaire, l'hinox commença à se relever. Profitant d'une dernière occasion, le combattant empoigna le pommeau de son épée à deux mains et frappa de toutes ses forces. La lame perfora les tissus, pénétrant dans l'abdomen de moitié. Des mains serrées jaillirent des flammes noires. Elles parcouraient la lame brillante avant de se répandre sur le corps de la victime. Leif lâcha l'épée et recula, surpris de ne pas être brûlé par l'émanation sombre et incandescente. L'immense créature recula en se secouant, dévorée par les flammes, avant de s'écrouler à plat dos dans l'eau de l'étang. Un long et dernier souffle confirma qu'il ne se relèverait pas. Le lynel récupéra son arme fichée dans le ventre de l'adversaire. Il rejoignit l'archère bouche bée et la félicita.

- Bravo, Êchenn, en plein dans le mile.
- C'est tout ce que tu trouves à dire ? Et ses flammes de l'enfer, là ? Tu vois, finalement toi aussi tu as gagné quelque chose hier, trop classe !

Ils reprirent la route, rafraîchis, défoulés, se félicitant mutuellement de leurs prouesses guerrières. Au pas, cette fois, ils attaquèrent l'ascension des ravins arides, s'étendant à l'ouest à perte de vue.

* * *

Princesse, suite à votre courrier, nous nous devons de vous prévenir. Surveillant sans relâche les allers et venues de Vah'Rudania, le peuple Goron vous exprime son soutien. Habituellement, la créature réalise un tour de montagne de la mort par jour, chaque matin démarrant au nord, puis à l'ouest, puis au sud à midi et à l'est au soleil couchant. Hier matin, elle n'a pas été aperçue depuis le village. On nous rapporte d'Euzero qu'elle a passé toute la journée pointée vers l'est. Ce soir, elle a migré au nord et y est restée quelques heures avant de reprendre son rythme classique. Sa routine pourtant régulière depuis des années a été étrangement détournée. En vous souhaitant une santé de fer et un courage d'acier, Buldo, Chef de la tribu Goron.

Chapitre 8 : Éclair et promiscuité   up

La traversée du ravin fut plus laborieuse que la plaine. Les deux voyageurs alternaient pics et vallées. Êchenn marchait à côté de Leif. Désavantagé sur terrains accidentés, il ne pouvait continuer à la transporter sur son dos. Décrochant des rochers avec ses sabots, la chute n'était jamais loin. Jetant des regards prudents vers le vide, il ne cessait de s'en écarter dès que possible. Sentant la détresse de son ami, l'humaine lui tendit la gourde.

- Tiens, il reste encore un peu d'eau. J'aperçois un peu plus de verdure là-bas.

Leurs pieds foulèrent bientôt des herbes sèches, les doigts de la jeune femme caressaient le sommet des premiers petits buissons, l'horizon était découpé par de lointaines forêts. Leif invita son amie sur son dos pour rattraper le retard occasionné par les ravins. Depuis le passage à la source, sa perception s'était nettement améliorée, permettant au lynel un petit galop modéré. Le cap était toujours à l'ouest, vers un bois dense, survolé de nuages sombres annonçant l'orage. Le chemin des deux vagabonds fut barré par un torrent bouillonnant. Ils décidèrent de le longer en quête d'un pont.

Devant eux s'élevaient deux statues aux allures de fauves, encadrant l'entrée d'un pont de pierre. L'obscurité du nuage était telle qu'ils n'iraient pas plus loin sans un moyen de s'éclairer. Fouillant le chargement, ils dégotèrent un pan de tissus et de l'huile. Roulant le chiffon imbibé à l'extrémité d'une branche, ils allumèrent une torche grâce au savoir-faire de Leif et d'un sylex. Le pont était solide. Ils s'enfoncèrent dans l'obscurité. Parmi les arbres morts, des colonnes effondrées et des murs sans toit marquaient l'emplacement d'un ancien temple. L'absence de vie animale et végétale dénonçait le manque de lumière permanent de ce lieu lugubre. Les sensations éthériques les menèrent au coeur de la forêt, dans un bâtiment mieux préservé. Les pierres murales étaient taillées de motifs arrondis et sinueux. Le toit ouvert mais non effondré présentait une ouverture ovale en son centre. Les aventuriers se placèrent sous cet oeil formant une fenêtre sur le ciel. Les nuages s'agitaient, tournoyaient, comme animés par une attraction vers un point culminant au centre de l'oeil. La foudre tinta le ciel. Dans un réflexe presque animal, Leif se pencha sur la brune, l'entourant de ses bras, la protégeant sous son torse. Le tonnerre frappa, déchirant le ciel, traversant l'ouverture du toit. Le sol trembla, les deux silhouettes s'effondrèrent et le calme revint.

* * *

Deux cavaliers arrivèrent au relais de la forêt. En provenance du château d'Hyrule, ils avaient chevauché toute la matinée. Un accueil chaleureux fut réservé aux sauveurs du royaume. Viandes et poissons grillés leur furent offerts par la maison. Link questionnait le tenancier, pendant que Zelda câlinait tendrement son chien de troupeau. Malgré le léger signal émis par la tablette, personne alentour n'avait remarqué d'évènements inhabituels. Ils s'approchaient de la disparue, mais sa voisine n'était visiblement pas passée par ici. La princesse profita de l'équipement et de la présence de professionnel pour pouponner sa jument. Dans le même laps de temps, le héros faisait les cent pas autour de la grande yourte. Les yeux rivés sur la tablette, il cherchait quelle direction augmentait son tintement. Rejoint par sa comparse, tirant les filets des deux montures, il accrocha la tablette à sa ceinture.

- Alors, monsieur le détective, où allons-nous maintenant ?

Le soleil révélait toute la splendeur de sa longue chevelure dorée et ses iris émeraude. Link resta quelques instants immobile et silencieux, à l'observer. Il fit un hochement de tête pour indiquer la direction avant d'aider la souveraine à monter à cheval. La journée était très belle, bien qu'assombrie en direction du nord.

- Ah, ce que j'aime cette liberté, loin de mes obligations au château. La forêt est si belle et à la fois inquiétante, tu as vu la couleur du ciel là-bas ?

Ils s'approchaient d'une forêt morte couverte d'épais nuages impénétrables. Aucune lumière ne parvenait sur la terre désolée. Le chevalier raconta sa dernière visite aux ruines obscurcies : les arbres morts, le torrent mortel, les monstres, les traces d'anciennes civilisations, le sanctuaire, l'hinox. Pendant son récit, ils atteignirent le pont de pierre gardé par deux statues de lions.

- On y est. Tu es bien sûr que ce pont est la seule issue ? Nous n'avons qu'à attendre ici que ta voisine quitte la forêt.

Zelda eut juste le temps de descendre de cheval avant de ressentir un malaise familier. Une énorme pesanteur l'écrasait au sol. Link s'agenouilla à côté d'elle, la soutenant avec ses bras pour l'empêcher de s´allonger à même la terre. Pâlissante et affaiblie, elle susurra quelques mots rassurants avant de perdre connaissance. Bien qu'endormie, les paupières de la comateuse se contractaient et remuaient, preuve d'une intense activité visuelle.

Des nuages noirs condensés clignotant, se répandant sur le pays. Les habitants levant les yeux, abandonnant toute occupation. Les oiseaux cessant tout envol. Les fleurs refermant leurs pétales. La vie s'arrêtant. Les secousses faisant vibrer la terre. La plaine se fissurant, des lueurs violettes émanant du sol éventré. La croûte se soulevant, dévoilant les entrailles de la terre. Survolant la masse nuageuse, Rordrac, dragon de foudre, perdant de l'altitude, rejoignant la terre des hommes. Interrompant sa ronde, inquiet pour le sort de ce monde.

* * *

Êchenn se réveilla d'un coup. Un poids l'empêchait de se redresser. Allongé sur le flanc, Leif était étendu à côté d'elle, ses bras englobant ses épaules. L'humaine se faufila à l'extérieur de l'étreinte protectrice et s'assit. Il faisait moins sombre, la masse nuageuse amoindrie après l'orage. La totalité de la salle était visible. Un coin attira l'attention de l'humaine. Elle cligna des yeux pour s'assurer de ce qu'elle voyait. Une grande masse en forme d'hinox dormait au sol. Mais ses contours étaient flous, sa couleur transparente.

- Leif réveille-toi, chuchotait la jeune femme encore assise à côté de lui. Un... un hinox... dort... juste là, reprit-elle en secouant doucement mais fermement son ami par les épaules.
- Où ça ? Je ne vois rien. Nous sommes seuls ici. Tu vois des fantômes maintenant ? ricana le lynel.
- Ne crois pas si bien dire. Je ne le vois que les yeux fermés. Comme si mes paupières étaient un filtre vers l'au-delà. C'est affreux Leif, je n'ai pas envie de parler aux morts !
- Calme-toi, ils ne vont rien te faire. Et puis, je suis sûr que ce don peut avoir une utilité.
- Et toi, tu te sens comment ?
- Après m'être fait foudroyer et réveiller violemment, tu veux dire ? Eh bien, c'est comme si l'éclair était toujours là. Je le sens dans mes sabots. Éloigne-toi, je vais essayer quelque chose.

La brune s'exécuta, s'approchant du coin de la pièce où elle put vérifier l'inexistence de l'hinox. À sa hauteur, elle approcha ses mains tremblantes vers l'énorme masse ténébreuse. Ses doigts traversèrent le fantôme sans rencontrer de résistance. Rassurée, Êchenn se retourna pour observer son ami. Il prit une grande inspiration, amena le poids de son corps sur ses pattes arrière et cabra. La jeune femme entre-ouvrit la bouche de fascination. Une étincelle s'alluma dans les sabots qui frappèrent le sol comme un coup de tonnerre. Le flash lumineux obligea l'humaine à fermer les yeux, révélant à nouveau le lugubre hinox endormi.

- Des armes enflammées, l'invocation de la foudre avec tes sabots, tu deviens un redoutable combattant Leif ! Ça te dirait de partir, avant que tu ne réveilles mon copain imaginaire ?

* * *

Zelda rouvrit les yeux sur un visage bienveillant aux sourcils froncés par l'inquiétude. Elle était allongée au sol, couverte par sa cape de voyage, la tête posée sur les cuisses de Link. Elle le réconforta d'une caresse sur la joue. Recouvrant son énergie, la blonde se redressa en expliquant ce qu'elle avait vu cette fois et la précédente. Elle cherchait encore un sens à ces images. À l'autre bout du pont, deux silhouettes s'apprêtaient à traverser. Un humain et un lynel. Le héros se releva et dégaina son épée, révélant son éclat aux deux inquiétés. La princesse le rejoignit et posa sa main sur son épaule.

- Attends Link, il y a encore beaucoup de choses à comprendre sur cette prophétie. J'aimerais privilégier le dialogue et éviter des blessures inutiles.

Le chevalier serra la mâchoire mais ne discuta pas l'ordre. Il s'assit en tailleur, au milieu du chemin, et déposa la lame sur l'extrémité de ses genoux. En l'absence de signe d'hostilité, Êchenn et Leif s'approchèrent d'un pas tranquille. Les mains du lynel discrètement posées sur le pommeau de son épée. S'éclaircissant la voix, la princesse entama les négociations :

- Êchenn, c'est ça ? Il faut que tu nous suives. Un sujet crucial nécessite que l'on t'examine.
- Je n'irai nulle part sans Leif. Quel que soit le sujet de votre requête majesté, je suis au regret de devoir décliner votre invitation.
- Comment se fait-il, d'ailleurs, qu'une créature aussi brutale t'accompagne, et que tu sois indemne ?
- Ce préjugé me navre, votre altesse, répondit ladite créature en s'inclinant avec le plus de respect possible. Nous sommes nous-mêmes en pleine quête initiatique, sur les bons dires du célèbre conteur Asarim. Ma comparse n'oserait me laisser à mon triste sort.

Tous restèrent en silence, les femmes s'expliquaient pendant que les représentants du genre masculin se toisaient du regard, préférant l'expression de leur lame aux beaux discours. Une tension combative électrisait l'air. Les voix féminines récitèrent la prophétie à voix haute, espérant que sa verbalisation éclairerait leur réflexion :

- Enfants de la lune de sang, toi qui portes sa marque ronde, d'étranges échos tu pressens, telles d'obscures ondes. Le jour de tes 20 ans, la porte s'ouvrira, le mystère de son emplacement, les vibrations t'ouvriront la voie.
Êchenn commença à expliquer qu'elle ressentait effectivement une forme d'énergie la guidant vers divers endroits. Mais à sa grande surprise, Zelda continua seule de réciter la prophétie. Le regard planté dans celui de Link, le quadrupède dégainait lentement sa lame.
- Tu devras te rendre au passage pour décider de sa renaissance. Le pouvoir de contrôler ce funeste présage t'est donné de droit par ta naissance. Nous sommes venus vous arrêter avant qu'une trop grande menace ne puisse revenir en ce monde.
L'habitante d'Elimith fit un profond soupir, mélange subtile d'inquiétude et de joie d'en apprendre plus sur leur destin. Devenu étanche à ce qui l'entourait, son coéquipier pointait sa lame en direction du guerrier en bleu, se relevant pour répondre à son invitation martiale.
- Majesté, vous dites "contrôler" ce funeste présage, insista Êchenn. Contrôler n'est pas déclencher. Peut-être qu'en réalité, nous sommes votre seul moyen de l'empêcher.
- Arrêtez ça, vous deux ! entonnèrent en coeur les deux humaines pour freiner les ardeurs des deux combattants.

Chapitre 9 : Bulles et brouillard   up

Le feu crépitait. Le bivouac se tenait à l'écart du chemin, dans une vasque naturelle de la plaine. Assises sur une souche, les jeunes femmes apprenaient à sa connaître, laissant de côté les questions plus graves le temps d'une soirée. Link et Leif, près du feu, tombaient d'accord sur la bonne méthode pour griller la viande. Ils avaient enterré la hache de guerre. Le héros n'avait aucune raison d'écourter la vie d'un lynel inoffensif. Ce dernier avait réalisé que la vengeance ne ferait pas revivre ses parents, et qu'Êchenn et lui avaient besoin de leurs savoirs. D'un commun accord, ils avaient décidé de continuer la route ensemble. Les plus jeunes souhaitaient découvrir et accomplir leur destinée. Les plus expérimentés espéraient maintenir la paix en empêchant toute intrusion dans leur monde, s'assurant de garder un oeil sur les enfants de la lune de sang.

- Link ne parlait que de vous, princesse. Sous couvert d'histoires de combats épiques et d'exploration sans relâche. Je l'ai toujours connu cherchant à vous libérer. Et maintenant, vous êtes là. Je peux vous parler, vous écouter. Ça a l'air irréel.
- Êchenn, tu peux me tutoyer. Je crois qu'on va passer pas mal de temps ensemble. Tu sais, je ne suis pas si incroyable qu'il le dit. Mes pouvoirs ne m'ont pas permis de sauver les prodiges. Il s'en est fallu de peu pour Link, souffla Zelda en serrant les poings.
- Princesse, vous... tu as réussi à contenir le fléau pendant 100 ans. Tes pouvoirs et ta volonté n'ont jamais faibli. Si ça, ce n'est pas incroyable...
- Justement, suite au combat contre le fléau, ils ont disparu. Cela fait des mois que je n'ai rien senti. Étrangement, il y a eu de faibles manifestations dernièrement. Sous d'autres formes qu'auparavant. Peut-être y a-t-il un lien avec la prophétie et vos propres pouvoirs à Leif et toi. J'espère pouvoir me rendre utile, moi aussi, dans cette nouvelle épreuve.

Les estomacs pleins, les yeux fatigués, chacun gagna sa couche. Lits de camp pour certains, couvertures au sol pour d'autres. Instinctivement, les deux groupes s'étaient scindés de part et d'autre du feu. Ne voulant pas donner de bonne raison à Link de passer à l'acte, les deux marqués furent rassurés de constater que la lune n'était pas pleine. Leif eut du mal à trouver le sommeil. La complicité entre les trois humains lui rappelait sans cesse sa différence, son épée de Damoclès. Il se raccrochait fortement à cette marque ronde sur sa main et celle de son amie.

* * *

- Alors Êchenn, quelle direction devons-nous suivre ?

Leif avait la tête tournée, regardant par dessus son épaule pour questionner sa cavalière. Quelques secondes de concentration lui suffirent pour tendre fièrement son index vers le sud. Tous s'en remirent à son indication, impuissants et curieux de la prochaine destination. Le lynel prit la tête du convoi. L'éternel binôme suivait un peu en retrait. Un trot soutenu les éloigna peu à peu des ruines toujours survolées de son nuage noir. Par habitude, Leif quittait la route dès qu'un cavalier se présentait en face, préférant couper par la plaine lorsque son chemin n'était pas barré d'un cours d'eau. Malgré une chevauchée plus agitée que sur chemin, les deux Hyliens suivirent sans contester, voulant éviter toute altercation en présence d'un lynel. Ils contournèrent l'immense et brumeuse forêt korogu avant d'apercevoir le château d'Hyrule, droit au sud. Comme toutes les petites filles rêvant de princesses, Êchenn ne put retenir son enthousiasme en apercevant les hautes tours effilées.

- C'est la première fois que je le vois en vrai. Par là, il faut le contourner par l'est.
- Je dois admettre que vous, les humains, vous êtes des êtres plutôt ingénieux. Ça excuserait presque votre lenteur et votre fragilité.
- Retire ce que tu as dit, râla la cavalière en lui talonnant furieusement les flancs. Et vous, les lynels, vous êtes bien trop fiers et maladroits.

Leurs rires authentiques faisaient presque oublier à Link et Zelda l'étrangeté de la situation. Surplombant les eaux de la Divinéa, un solide pont en bois les conduisit aux vastes plaines d'Hyrule. Le décor montagneux et forestier laissait place aux étendues verdoyantes. Tenté par l'appel de la plaine, Leif attrapa les mains de son amie pour l'inviter à enserrer sa taille. Croisant les doigts contre le ventre du lynel, l'humaine s'agripa de toute ses forces, devinant son intention. Le quadrupède cabra, légèrement déséquilibré par le poids de sa passagère, avant d'entamer un galop soutenu. Les endorphines de la course le rendaient euphorique. La cavalcade fut de courte durée. Sur un nouveau terrain, ses sabots s'enlisaient, freinant sa course. Usant d'une trajectoire plus sinueuse, il évitait minutieusement les flaques marécageuses. Link et Zelda les rattrapèrent et décidèrent de laisser les chevaux avant de pénétrer dans ce bourbier.

- Je crois qu'on se rapproche. Le chemin est de plus en plus net. Ça va aller Leif ? Laisse-moi descendre.

Ils progressèrent précautionneusement. Les marais se faisaient plus denses au fur et à mesure qu'ils avançaient. Les parcelles marécageuses de plus en plus larges. Au milieu de la plus importante se dressait un dôme blanc et lisse avec des cornes, crâne d'un démon d'antan. Les eaux boueuses s'agitaient de bulles perçant difficilement la surface visqueuse. Link déclara qu'il s'agissait des marécages sans fonds, autrefois lieu d'une bataille de haute voltige. Ils profitèrent d'un dernier carré d'herbe sain pour prendre une collation, écoutant le récit chevaleresque. Fort heureusement, aucun lynel n'y avait élu domicile lors de son précédent passage.

* * *

- Courage Leif, ne regarde pas en bas ! l'encourageait sa camarade de route.

Le lynel avançait pas à pas sur le ponton en bois qui grinçait sous ses sabots. Les trois bipèdes l'attendaient de l'autre côté, dans l'ouverture buccale d'un immense crâne démoniaque. Déglutissant bruyamment et retenant sa respiration, il progressait à la vitesse d'un enfant qui apprend à marcher. La fin de la traversée ne le rassura pas pour autant, le retour étant inévitable. Mais pour l'heure, il observa l'endroit. L'intérieur du crâne formait une voûte ovale sombre. De larges planches de bois formaient un parquet troué au-dessus du marais bouillonnant. Des caisses en chêne trahissaient l'ancienne présence de créatures. Des tas de paillages devaient leur servir de couchages. Leif rejoint Êchenn au centre de la plateforme, cette dernière énumérait les âmes défuntes qu'elle percevait. Sans signes précurseurs, tous deux s'effondrèrent dans un coma inexplicable, sous les yeux inquiets des deux blonds. Bientôt, Link fut seul éveillé dans cet antre de monstres, constatant le même malaise chez la princesse qu'à l'orée des ruines obscurcies. Il l'allongea sur le dos et rehaussa sa tête avec sa cape savamment pliée.

L'eau brunâtre du marais dégoulinant hors de son lit. Son empreinte marron recouvrant la plaine, y effaçant fleurs et insectes. La couche boueuse recouvrant la surface de la terre d'un voile froid et mort. Nedrac, dragon de glace, s'enlisant dans un bassin visqueux, tentant de prendre son envol. Gelant sa cage d'eau, craquant la surface, regagnant les cieux auprès de ces congénères. L'obscurité recouvrant le pays, des lueurs violettes émanant de la faille plus béante. Deux immenses mains spectrales quittant les ténèbres, agrippant les berges de la plaie de la terre pour les éloigner. Les trois dragons survolant, puisant de leur force, jugulant l'hémorragie démoniaque.

* * *

L'homme en bleu guettait le réveil des trois comateux. Il était assis près de sa protégée, observant ses traits redevenus paisibles. Ses paupières se plissèrent avant de s'ouvrir. Elle répondit au léger sourire que lui adressait le héros. Puis elle assouvit sa curiosité en résumant ses visions :

- La prophétie va bientôt s'accomplir. Ce n'est pas Ganon lui-même qui franchira la porte, mais des milliers de ses funestes émissaires. Ils viendront répandre la mort pour préparer son ascension. Si nous ne parvenons pas à fermer la faille, nos quatre âmes ne suffiront pas à les arrêter. Ils déferleront sur Hyrule comme un ras-de-marée mortel.
L'agitation de leur nouveau compagnon de route attira l'intention de Link et Zelda.
- Êchenn, Êchenn ! Qu'est-ce qu'il t'arrive ? Reste avec moi, Êchenn !

Leif, genoux au sol, tentait de réveiller l'humaine encore étendue par terre. Ses grandes mains essayaient d'agripper les épaules de la jeune femme. Mais son corps devenu transparent ne pouvait être touché. Seuls ses contours restaient nets, bien que d'un bleu vaporeux pouvant évoquer les représentations des esprits défunts. La silhouette fantomatique se redressa.

- Pas la peine de crier Leif, je suis juste à côté de toi, râla l'humaine d'une voix encore endormie. Pourquoi es-tu si inquiet ?

Les mains vaporeuses frottèrent les yeux transparents. La jeune femme poussa un cri en observant son propre corps, ou plutôt en voyant à travers son corps. Impuissant, le lynel tendit sa main marquée, paume ouverte vers elle, l'invitant à essayer de le toucher. Des larmes ruisselaient des yeux livides, dessinant les rondeurs de ses pommettes.

- Calme-toi, ce doit être ton nouveau pouvoir. Souviens-toi de notre premier entraînement. Respire, ferme les yeux, concentre-toi. Tente de toucher ma main.

Êchenn approcha sa main, retenant son souffle jusqu'au contact. Elle sentit la chaleur irradiante des paumes l'une contre l'autre. Son corps retrouva petit à petit ses couleurs et sa densité. Rassurée mais pas moins apeurée par sa "forme astrale", l'humaine éclata en sanglots, se blottissant contre le torse de son ami.

- Des pouvoirs ? interrogea Zelda.
- Nous en avons développés à chaque étape du voyage, dans des lieux similaires à celui-ci, où nous étions attirés. Le premier était un bassin dans un écrin de verdure où repose une statue de votre déesse. Êchenn y a décuplé ses capacités de perception, pour ma part je peux invoquer des flammes noires en frappant avec mon épée. Le deuxième lieu fut les ruines obscurcies, comme tu les appelles, Link. Depuis, Êchenn peut voir les défunts, quant à moi je fais tomber la foudre autour de moi en frappant le sol avec mes sabots. Et enfin, ici. On dirait que tu peux te dématérialiser, comme si ton corps passait de l'autre côté, mais pas ton âme, ajouta Leif en s'adressant à l'humaine toujours lovée entre ses bras, l'inondant de larmes.
- Et toi, tu sens quelque chose ?
- Cette fois, j'ai l'impression que le pouvoir siège entre mes côtes.

Le lynel prit une grande inspiration et bloqua l'air dans ses poumons quelques instants. Êchenn se redressa et leva ses yeux rougis et brillants pour observer son ami. Il relâcha l'air emprisonné dans son torse. Un épais brouillard sombre glissa de ses narines et emplit l'intérieur du crâne. Le silence prit place. La fumée se dissipa peu à peu vers l'extérieur.

Chapitre 10 : Chevauchée et explosion   up

Les étangs brillaient, l'herbe se tintait de doré, l'astre lumineux glissait vers l'horizon. Trois humains, une créature et deux chevaux gagnaient la plaine aux dépens du marais.

- Trouvons un point d'eau et un sol plat pour le bivouac, ordonna machinalement Zelda.
- Vous ne retournez pas au château pour la nuit ?
- Non, Êchenn, maintenant qu'on vous a trouvé, on reste. Et puis, on doit vous aider à maîtriser vos pouvoirs, surtout le dernier. Personne ne souhaite te voir disparaître. Il faut aussi suivre ton chemin jusqu'à la porte de la prophétie.
- Maintenant que tu le dis, je ne sens plus rien. Enfin, si, je perçois le maillage des filins d'énergie. Mais ils ne se regroupent plus pour me montrer le chemin. Peut-être faut-il juste attendre nos 20 ans pour trouver le passage.

Tous s'arrêtèrent de marcher. Le lynel questionna sa camarade du regard, presque perdu de ne plus avoir de but à suivre. L'inquiétude le gagnait au fur et à mesure que les deux Hyliens passaient du temps avec eux. Il sentait qu'il n'avait pas sa place dans leur monde. Son terrain de chasse et sa rivière poissonneuse lui manquaient. Link et Zelda déchargeaient leurs chevaux, décidés à monter le camp sur une belle étendue moelleuse et sèche. Êchenn se posta face à Leif, plantant son regard noisette dans les yeux du fauve.

- N'espère pas pouvoir te défiler. On a commencé l'aventure ensemble, on la finira ensemble. C'est même toi qui m'as poussé presque contre mon gré là dedans. Et s'il faut dormir par terre et faire une monodiète de viandes et poissons pour continuer le parcours avec toi, je suis prête. Il faudra quand même un jour que je te fasse goûter des légumes...

Pendant que la jeune femme divaguait sur les citrouilles meilleures que les carottes, le chasseur posa sa grande main sur sa tête. Frottant affectueusement sa tignasse brune mal peignée, il cachait discrètement ses yeux brillants du regard déterminé de son amie. Chargés de repas, ils gagnèrent un cours d'eau proche, guidés par ses remous bruyants. Êchenn se posta en amont, jetant des pierres à l'eau pour rabattre les poissons vers son coéquipier, en aval, prêt à les embrocher de sa lance effilée. Côté plaine, Zelda et Link fomentaient un plan d'entraînement pour leurs jeunots tout en allumant le feu. La nuit portant conseil, aucune décision ne fut prise pendant la soirée.

* * *

- Au château, nous aurons le confort, le gain de temps pour les repas, les armes à volonté, la sécurité. Les filles, on travaille sur la maîtrise des pouvoirs d'Êchenn, les garçons, vous vous entraînez au combat. Je suis sûre que les dons de Leif trouveront une place dans de merveilleuses tactiques à deux. Il nous reste quelques semaines pour nous préparer. Quelque soit l'épreuve à venir, nous serons prêts.
- Désolé de mettre en doute vos plans, votre altesse, mais prenez un instant pour imaginer : un lynel à la cour.
Leif tendait très respectueusement le sac de pommes rouges à la princesse. Sa remarque plus que pertinente provoqua une euphorie nerveuse générale, à l'exception de Link, un peu à l'écart, qui aiguisait minutieusement sa lame.
- Soit... alors ne perdons pas de temps. Ce matin, tâchons de rendre notre camp plus durable et cet après-midi : entraînement général !

Link et Zelda profitèrent du temps restant avant le zénith pour aller et revenir du château. Munis de toiles et de bois, ils couvrirent le campement, conscients que la météo ne serait pas toujours aussi clémente que la nuit précédente. Êchenn et Leif récupérèrent feuillages et bois pour isoler le sol et faire du feu. L'après-midi, deux ambiances opposées séparaient les binômes. Les combattants s'agitaient à l'élaboration de stratégies mêlant adresse à l'épée et pointes de magie. Les méditantes restées au camp partageaient leurs ressentis. Toutes deux, à force de calme intérieur et de concentration, percevaient des picotements au creux des mains. Elles s'assirent à genoux face à face, les bras ouverts sur les côtés, les paumes tournées au centre du cercle. Puisque l'union fait la force, elles tentèrent de libérer leurs énergies en un point commun. Les paupières closes, les mains ouvertes et détendues, elles laissèrent libre cours aux picotements devenus brûlures.

Près d'un petit lac aux eaux pures, Link et Leif se restauraient après une heure d'escrime, d'esquive, de bottes et de bras de fer. Le débriefing permit de mettre en avant les points forts et les faiblesses de chacun. Le lynel présentait une endurance et une force brute supérieures à l'Hylien. Cependant, la situation s'inversait en terme de vitesse et de réflexes. Une complémentarité intéressante pour les combats à venir. Le son d'un cor attira leur attention. Une dizaine de bokoblins montés avait repéré leur emplacement. En bons opportunistes et voleurs, ils n'hésitèrent pas à annoncer la charge sur les deux combattants. Le héros et la créature échangèrent un regard. À pied, Link était clairement désavantagé dans ce combat. Leif fit une exception de plus en invitant le chevalier à monter sur son dos. Le lynel armé d'une épée, son cavalier d'un arc, ils répondirent à l'appel. Leif constata l'aisance avec laquelle son compagnon s'adaptait à sa monture. Il était sans aucun doute expérimenté en matière d'équitation et de chevaux sauvages. Le combat n'allait en être que plus intéressant. Il ne se retint donc pas et fondit sur les ennemis d'un bon galop. Derrière son dos, il percevait le son de l'arc qu'on bandait et des pointes de flèches glissant hors du carquois. Link abattait habilement ses adversaires un par un, profitant des slaloms maîtrisés du quadrupède. Les trois derniers bokoblins tentèrent une ultime charge, l'un attaquant de l'est, l'autre du sud, le dernier du nord.

- Accroche-toi Link !
Leif attendit que les cibles soient suffisamment proches, Link le ceintura, paré à toutes secousses. Déportant son poids en arrière, fléchissant les pattes arrière, le chasseur cabra. La chute fut intentionnellement accélérée et non amortie pour permettre aux sabots de marteler la terre avec puissance. Une lumière intense et furtive éblouit chaque être vivant. Tous ceux présents à l'extérieur du périmètre du lynel s'effondrèrent dans une paralysie soudaine. Bokoblins et chevaux respiraient encore mais resteraient inanimés pour quelques temps. Link mit pied à terre et invita son coéquipier à regagner le camp. Leif lui présenta une main ouverte et tendue. Paume contre paume claquèrent, signant une complicité naissante. Comme un écho à la tape amicale, une explosion retentit. Tous deux écarquillèrent les yeux, en direction du campement d'où émanait une fumée fluide et légère.

* * *

La fumerolle ne venait pas du camp, encore intact, mais des deux femmes allongées au sol, à plat dos, décoiffées, l'une à quelques mètres de l'autre. Quelques égratignures aux visages témoignaient d'une réaction musclée à leurs tentatives de symbiose énergétique. Le silence laissa place aux éclats de rires. Saines et sauves, les deux magiciennes se redressèrent en regardant alternativement leurs mains et l'allure fatiguée de leur voisine.

- Que s'est-il passé ici ? questionna Leif tout en examinant les petites blessures de son amie.
- Zelda et moi, on a essayé de fusionner nos énergies. Visiblement, elles sont très complémentaires mais aussi très explosives à la moindre déconcentration.
- J'ai senti une force incroyable avant que...

La princesse ne termina pas sa phrase devant l'évidence de la chute. La blonde retrouva son sérieux, se remémorant la sphère sombre et lumineuse qu'elles avaient créée. Il en était découlé une magie plus puissante mais aussi plus chaotique que celle qu'elle avait toujours connue. Zelda se sentit soulevée du sol puis enlacée dans les bras du chevalier fou d'inquiétude. Elle s'excusa, sachant que chaque blessure représentait l'échec de Link à la protéger.

- Et vous, cet entraînement ? interrogea Êchenn.
- Rien à signaler, affirma Leif, n'osant avouer la satisfaction partagée suite à ce beau combat. En tout cas, c'était bien moins dangereux que par chez vous. Si tu pouvais voir ta tête : on dirait que tu as joué trop près d'une bombe.
Leif continua sa moquerie en décrivant les cheveux et les vêtements craqués de la brune. Celle-ci se renfrogna et lui fit passer l'envie de la taquiner, sa silhouette s'effaçant au regard du lynel.
- Non, non, non, Êchenn, t'en va pas ! Je retire ce que j'ai dit, tu es très bien comme ça, le look sauvage te va à ravir. Regarde comme on est assorti ! Et quelle puissance...
Leif ponctua sa phrase d'un sifflement.

* * *

- Donc, quand tu fermes les yeux, tu vois l'autre monde. Et quand tu prends ta forme astrale, ton esprit reste ici mais ton corps passe de l'autre côté, c'est bien ça ?
- C'est à peu près ça, oui. En fermant les yeux, je vois les âmes de l'autre monde ainsi que le chemin. Mais il n'y a pas de paysage. Tout est obscur. Quand je disparais, je sens une extrême légèreté dans tout mon corps. Dans cet état je vois et j'entends ce qui se passe autour de moi, mais je ne sens rien. Comme une spectatrice, j'observe sans ressentir la caresse du vent, la chaleur du soleil, le contact d'un être vivant. C'est comme une cage... une cage sensorielle.
- Regarde les choses autrement : cet état te rend invincible à toutes attaques. Je suis sûre que tes peurs s'atténueront en apprenant à t'en servir.
Zelda proposa à Êchenn de s'y entraîner avec une approche de suggestion proche de l'hypnose. La brune s'allongea confortablement sur sa couche. La voix douce mais autoritaire de la princesse la guida.
- Laisse-toi partir, accepte cette légèreté dans tout ton corps. Concentre-toi uniquement sur cette apesanteur.
La silhouette allongée perdait progressivement ses teintes. Zelda percevait la couleur de la couverture à travers les contours flous de son amie.
- Super Êchenn, ça fonctionne. Écoute ma voix, essaye de revenir avec moi maintenant.
- Ça ne marche pas, il ne se passe rien. Je t'entends mais mon corps ne pèse qu'un gramme.
- Reste calme et concentrée, accroche-toi à ce petit gramme. Prends de grandes inspirations, chaque gramme d'air vient gonfler ton corps et l'alourdir. Tu te sens lourde. D'abord, tes talons s'enfoncent dans ton lit. Puis tes mollets, l'arrière de tes cuisses, ton bassin. Maintenant tu peux sentir tes mains s'alourdir, tes coudes appuyer contre la couverture, tes épaules, ta tête.
Zelda constatait la réussite de son apprentie. Ses couleurs s'opacifiaient, ses yeux s'ouvrirent en grand. Elle se redressa et enlaça la princesse autour du cou, poussant un soupir de soulagement.
- Merci Zelda, merci ! Je ne resterai plus bloquée là-bas. Je garde en mémoire chacun de tes mots bien précieusement.
- Bien, ravie d'avoir pu t'aider. Faisons une pause. Allons voir où en sont les garçons.

Chapitre 11 : Défunts et pleine lune   up

Midi sonnait. Dans la plaine, les épées se choquaient à chaque rencontre. Link chevauchait sa fidèle jument. Leif lui faisait face pour une joute champêtre. En combat monté, le rapport de force s'inversait. Le héros profitait de ce redoutable adversaire pour perfectionner sa maîtrise en équitation. Epona réalisait chacun de ses ordres avec confiance et sérénité. Séparé d'une centaine de mètres, les deux quadrupèdes cabrèrent, se donnant l'élan nécessaire pour un galop soutenu. Link apprenait à lire les feintes latérales de son opposant. Après plusieurs tentatives, il n'hésitait plus. Chaque slalom du lynel était compensé par une indication à sa monture. Perdre sa cible et se laisser surprendre n'était plus son point faible. Le deuxième enjeu était de force : ne pas se faire désarçonner lorsque leurs épées se rencontraient dans un fracas puissant. De nombreuses chutes lui apprirent une solution pour ne pas tomber : enserrer les flancs de sa jument fermement avec ses deux jambes, faire un bloc en contractant ses muscles abdominaux, prendre une grande inspiration et bloquer l'air dans les poumons au moment de l'impact. Cette ultime tentative fut un succès. Satisfaits, les deux gladiateurs du jour regagnèrent le camp sous les applaudissements de Zelda et Êchenn.

- Link, viens par ici, je vais m'occuper de ces petites plaies, imposa la princesse en entraînant le chevalier sous la yourte.
- Êchenn, il faut que je te parle.
Profitant d'être seuls à l'extérieur, Leif entraîna sa camarade à l'écart pour plus de discrétion.
- Il faut que je parte. Avant ce soir.
- Quoi ? Pourquoi veux-tu partir ? Et l'entraînement ? Tu veux tout laisser tomber ?
- Mais non, écoute-moi. Cette nuit, ce sera la pleine lune. Je ne peux pas prendre le risque de blesser quelqu'un ou de donner une bonne raison à Link de se débarrasser de moi.
- Très bien, fit Êchenn en détournant le regard et en croisant les bras. Mais je pars avec toi.
- Négatif, tu dois continuer à t'entraîner et maîtriser tes pouvoirs.
- Pas la peine de prendre tes grands airs, je te rappelle qu'on a le même âge. Je continuerai à m'entraîner sans Zelda. Juste une journée. Trouvons un prétexte pour ne partir qu'une journée. La pleine lune passée, nous pourrons revenir ici, n'est-ce-pas ?
- Tu as raison. Une idée ?

L'humaine se tenait le menton en regardant le sol et en le grattant avec son talon. La perspicacité des deux blonds méritait un prétexte solide.

- Ce serait l'occasion de rendre visite à mes parents. Et puis, c'est vrai, ils me manquent depuis mon départ. Je n'ai aucune nouvelle ni n'ai pu en donner. Je n'ai pas de cheval donc tu pourrais m'accompagner. En partant cet après-midi, nous pourrions y être pour le soir.
- Je ne peux pas entrer dans ton village. Et tu penses qu'ils te laisseront repartir, une troisième fois ?
- Tu marques un point. Êchenn soupira en regardant les nuages danser dans le ciel. J'aimerais au moins pouvoir les apercevoir. Trouvons un gué près du village, voir ma maison et ma famille travailler au champ suffiraient à me remonter le moral.

Leif tendit un poing fermé à son amie. Cette dernière répondit à l'invitation, appliquant son propre poing contre celui du lynel.

- Je vais aller leur parler. Souhaite-moi bonne chance Leif !

* * *

Le paysage défilait à toute allure. Êchenn profitait enfin d'une chevauchée en toute liberté. Pas de chemin à suivre, pas de concentration à garder, elle s'imprégnait pleinement des sensations de vitesse. Leif prenait cette occasion comme un défi, une tentative de record. Sa cavalière avertie, il s'en donnait à coeur joie : galop démesuré en plaine, saut d'obstacles à la rencontre de souches et de petits ruisseaux, slaloms étroits dans les forêts. Ils s'évadaient de leur quotidien studieux. L'humaine fermait parfois les yeux longuement, observant quelques âmes errantes. Des bokoblins, des sangliers, des humains, des lynels. Un mélange lugubre porteur d'espoir, d'une vie après la mort, bien qu'une promesse d'errance éternelle.

- Stop Leif, arrête-toi !

Face à l'invisible urgence, le quadrupède planta ses sabots avant dans le sol, dérapant sur un bon mètre avant l'arrêt total. Sa cavalière glissa le long de son garrot, évitant l'éjection grâce au dos du lynel où elle fut plaquée par la décélération. S'inquiétant de l'intégrité physique de son amie, Leif tourna la tête par dessus son épaule pour l'observer.

- Je vais bien, ça va. Devant nous, je vois les âmes de deux lynels. Tu as la carrure de l'un, le visage de l'autre.
- C'est ici, souffla Leif en baissant la tête et en serrant les poings, c'est ici que mes parents sont morts.
- Si seulement je pouvais te les montrer...

Êchenn voulut essayer. Totalement à l'improviste, elle dégagea ses jambes pour les croiser autour de la taille du lynel, de la même manière qu'elle le faisait lorsqu'elle montait sur le dos de son grand frère. Cette prise lui permit de libérer ses mains qu'elle plaça sur les tempes de son ami. Elle inspira, ferma les yeux et se concentra sur sa vision et ses paumes. L'humaine tentait de dessiner un trajet entre ces deux extrémités.

- Je ne vois rien.
- Chut. Ferme les yeux et ouvre un peu ton esprit. Remémore-toi leurs visages, leurs voix.

Après de longues minutes, la magie opéra. Quelques larmes réussirent à glisser des paupières closes. Leif rencontrait ses parents pour la première fois de sa vie d'adulte. Son amie, bien que concentrée, partageait son émotion, un sourire déformé par la tristesse faisait trembler ses lèvres. Elle souhaitait pouvoir faire plus qu'une simple image pour son coéquipier et tenta de rassembler toute son énergie dans sa vision.

- Leif, prononça une voix claire et rauque, tu as bien grandi. N'aie aucun regret. Nous t'observons depuis ce jour et nous sommes fiers. Tu as su t'adapter au nouveau monde. Prends garde, il se passe quelque chose ici. Les esprits s'agitent, se déplacent de manière moins désorganisée. Une étrange magie s'éveille, les rassemble. Tu dois t'al...ec...hom...ur....inc...

Êchenn, essoufflée, rassemblait ses dernières forces. Ses mains moites tombèrent, elle s'affaissa de fatigue. Leif croisa les bras dans son dos pour la soutenir, la maintenant ventre contre dos.

- Désolée... je vous ai coupés... en pleine conversation...
- Repose-toi, il reste de la route.

Le lynel reprit le chemin, continuant de maintenir la cavalière avec ses bras. Le silence fit place, entre sommeil et mélancolie.

* * *

Le mouvement qui la berçait disparut. Êchenn se réveilla. Ses yeux endormis n'eurent aucun mal à s'habituer à la lumière du crépuscule. Toujours soutenue par les bras de Leif, elle se redressa pour découvrir le point d'arrivée. La souche creuse d'un arbre millénaire promettait un abri tranquille pour cette nuit. Sa face exposée était recouverte de mousse. Ils choisirent sa portion sèche, vers le sud, pour s'installer.

- Voilà qui est parfait, tu vas pouvoir continuer ta nuit ici Êchenn. Demain matin nous serons au village.
- Et toi, où dors-tu ? Tu vas me laisser seule toute la nuit, en proie aux bêtes sauvages et aux stahls ?
- Je refuse de prendre le risque de te blesser. Je fais partie de ces bêtes sauvages, comme tu dis. J'irai dormir aussi loin que nécessaire pour l'éviter. Un beau feu te protégera des nuisibles et du froid.

La pleine lune éclaire le monde d'une lueur rougeâtre. Toutes les teintes s'harmonisent en nuances de pourpre. Les cauchemars troublent le sommeil des endormis. Les éveillés tremblent d'effroi à la vue de l'astre rouge. En réponse aux reflets de la lune de sang, un lac émet d'épais faisceaux lumineux flamboyants. Penchée au-dessus de l'eau, la jeune femme observe son reflet évoluant. Le blanc des yeux est envahi de sang. L'autre côté du miroir bouge de sa propre volonté. La silhouette aqueuse tend son bras vers la surface. Les rides d'eau laissent passer le membre dont l'extrémité s'ouvre. La main squelettique saisit la gorge battante de la vivante.

Êchenn se réveilla brutalement, vérifiant son cou et reprenant son souffle. L'aube éclaircissait le ciel de l'est. Trop agitée pour se rendormir, la jeune femme partit en quête du trésor des bois. Baies et miel réconforteraient en douceur les estomacs encore endormis. La route vers Elimith se fit en silence. La colline voisine offrait un point de vue idéal sur le village. Le lynel s'éloigna, laissant le temps nécessaire à son amie pour s'imprégner de l'ambiance du marché, l'odeur des cheminées, les façades en colombage et les cris des enfants.

- Tu as pu les voir ? questionna Leif, rejoint par sa coéquipière.
- Ils ont l'air en forme. Retournons vite au camp, nous avons perdu assez de temps.

Leif invita l'humaine à monter sur son échine. La tristesse de sa voix faisait naître les questions mais sa détermination froide incita le quadrupède à taire sa curiosité.

* * *

La nuit avançait. L'obscurité nocturne rivalisait avec les lueurs rouges de la pleine lune. Les combattants voyaient suffisamment pour mener la bataille avec une détermination proche de la rage. La multiplicité des adversaires incitait les vivants à rester groupés. Jamais une lune de sang n'avait propagé un tel flot de monstres. Des bataillons de bokoblins encerclaient les quatre vaillants. Au centre, Zelda et Êchenn vidaient leur carquois avec acharnement, ne comptant plus le nombre d'ennemis tombés sous leurs flèches. À quelques mètres d'elles, Link et Leif faisaient face à la marée grognante. L'humain misait sur des attaques circulaires pour rivaliser contre le flot interminable. Le lynel frappait le sol de ses sabots entre deux estocs pour faire reculer ses opposants. Le cercle se refermait malgré leurs efforts combinés. Constatant le recul inexorable des deux épéistes, la princesse fit un amer constat :

- Il faut à tout prix trouver un moyen d'atteindre la porte. La fermer est le seul moyen de couper les renforts de cette horde. Et ce n'est que la première ligne...

Une agitation naquit dans les rangs ennemis. Les sbires observaient tout autour d'eux, alertés par les cris de leurs congénères. Dépassant de deux têtes les petites créatures, le groupe de résistants constatait l'origine de cette terreur. Des dizaines de bokoblins étaient soulevés du sol par une immense massue en bois, alternativement à gauche puis à droite. Un hinox assoiffé de combat fondait sur eux en balayant tout sur son passage. Son armure massive reflétait les clartés écarlates de l'astre rond. Jambières, genouillères, plastron, épaulettes et même un casque à visière, Link n'avait jamais affronté d'hinox pareillement équipé. Alors que les hordes laissaient place à la brute, s'écartant en ricanant, les combattants firent front, se reposant sur leur surnombre et leurs stratégies.

Chapitre 12 : Âmes et reflet   up

- Vous voilà, alors, tes parents vont bien, Êchenn ?

De retour sur la terre ferme, l'habitante d'Elimith fit quelques pas pour se dégourdir les jambes. Leif déposait leurs affaires de voyages sous la yourte. Link taillait des fûts de flèches dans du bois clair pendant que Zelda découpait en biseau des plumes d'échassiers des marais. L'interrogée s'installa auprès d'eux, entreprenant de les aider en glissant les plumes dans les fentes aux extrémités des futures flèches. Elle leur fit un récit succin de leur escapade : la rencontre avec les géniteurs du lynel, le cauchemar alarmant de cette nuit, l'inchangé village d'Elimith.

- Alors c'est pour bientôt... conclut la princesse.
- La prochaine pleine lune, pour être exacte.
- Ce lac, dans ton rêve, pourrait signifier que le passage prend la forme d'une surface miroitante et non d'une faille dans le sol.
- Oui, de l'eau. Ce n'est pas ce qui manque ici. J'espère que le chemin reviendra à temps.

Êchenn ferma les yeux et soupira, tentant en vain de mettre de l'ordre dans les filins d'énergie vibrants au sol. Le maillage demeurait emmêlé en un enchevêtrement illisible. Le groupe gardait l'espoir que la voie s'offrirait de nouveau à elle le moment venu.

Les jours suivants furent rythmés par l'entraînement, les nuits reposantes malgré l'angoisse de constater les quarts de lune se remplir. Un passage au château, la dernière semaine, leur offrit suffisamment d'armes, de munitions et de vivres pour tenir un siège. La journée précédant la pleine lune fut calme. Aucun nuage ne vint entacher le ciel bleu. Aucun bruit ne perturba la méditation et les siestes du groupe. Le vent ne s'était pas levé. Comme le calme avant la tempête, personne ne s'entraîna ce jour-là. Gardant leurs forces pour plus tard, chacun s'accorda un bien-être intérieur, se préparant à une nuit sans repos. Au crépuscule, Leif rejoignit sa coéquipière dans l'espoir d'un cap à suivre, dans l'attente de pouvoir se mettre en marche. Cette dernière était assise au sommet d'un piton rocheux. Le nez pointé vers l'horizon, les yeux fermés, Êchenn quitta sa méditation contemplative en percevant les pas approchants.

- Link et Zelda équipent les chevaux. Nous sommes prêts à partir. Tu as quelque chose ?
- Pas de chemin. Les fils sont toujours aussi immobiles. Leurs contours sont même plus nets que jamais. C'est comme un quadrillage régulier dessiné au sol. Je sens qu'il ne bougera pas. Jamais.
- Comment trouver la porte si on ne nous montre pas le chemin ? Leif tourna son visage vers le bas en serrant les poings de frustration.
- Laisse-moi finir de parler, souffla Êchenn en tirant le menton de son ami pour trouver son regard. Les âmes. On peut suivre les âmes. Cela fait quelques minutes que je les observe. Elles ne se rassemblent pas mais toutes se sont mises en marche. Et cette marche macabre n'a qu'une seule direction. Je suis sûre qu'elle nous mènera au lac de mon cauchemar.

Dans un regain d'espoir, le lynel souleva son amie pour la jucher sur son dos sans ménagement. D'un saut maîtrisé, il bondit à terre. D'un trot soutenu, il rejoignit le camp. La yourte ne fut pas démontée, preuve matérielle du désir de revenir tous sains et saufs. À nouveau les yeux fermés, Êchenn guidait le groupe du son de sa voix, tentant de maîtriser au mieux son tremblement. Les dizaines, les centaines de défunts convergeaient. L'obscurité chassa le jour. Une lune rouge perça l'horizon de ses lueurs flamboyantes. Malgré l'effroi, tous contemplèrent ce spectacle rare, absent depuis des années.

* * *

- Êchenn, princesse, attendez une ouverture et visez son oeil. Je sais que les interstices de sa visière sont étroits mais il faut tenter. Link et moi allons faire diversion.

Les bokoblins s'étaient retirés en toute hâte, laissant place au spécimen d'un tout autre niveau. L'hinox en armure dépassait de deux fois la taille du héros. Sa masse corporelle lui prodiguait une force sans pareille. Pas question de rivaliser contre sa massue. Les deux épéistes misèrent sur des esquives. Link, étant plus agile, faisait face. Ses grands gestes incitaient l'énorme bête à s'en prendre à lui. Chaque fois que l'arme en bois frappait le sol, le héros réalisait une esquive latérale millimétrée. Profitant de l'attention détournée de l'ennemi, Leif le contourna pour se placer dans son dos. L'armure massive et totale présentait deux failles : une à la nuque, l'autre à l'arrière des genoux. Inférieur en taille face au mastodonte, le lynel pointa son épée vers le creux poplité et perça l'articulation de toutes ses forces. La lame s'enfonça à peine. En réaction à cette piqûre, l'hinox grogna. L'énorme masse pencha à gauche, libérant sa jambe droite qui frappa l'abdomen de son agresseur. Recroquevillé sur lui-même, Leif fut projeté quelques mètres en arrière. Débarrassé de lui comme s'il s'agissait d'un vulgaire nuisible, l'immense guerrier renouvela ses assauts sur Link. Constatant le besoin de récupération de son coéquipier, l'homme en bleu changea de tactique. Il fit un signe aux deux archères qui bandèrent leurs arcs en réponse. La massue enfonça à nouveau la terre humide. Cette fois-ci l'esquive fut rapide et courte, permettant à l'Hylien de bondir sur la massue de son adversaire avant que celui-ci ne la brandisse à nouveau. Ce qu'il fit sans prendre en compte le petit homme agrippé à son arme. Une fois la masse en l'air, et avant qu'elle ne frappe le sol à nouveau, Link bondit sur le casque lisse. Il saisit la visière des deux mains et la souleva largement, manquant de tomber à la renverse. Les deux cordes tendues furent relâchées. Les deux flèches filèrent en sifflant vers l'orbite orange grande ouverte.

Leif prit quelques instants pour reprendre une respiration normale, coupée par le choc subi au diaphragme. Lorsqu'il redressa son regard, il découvrit son allié suspendu à l'arrière du casque de la créature, proche de la chute. Profitant de l'agonie du monstre, il fonça vers lui, gardant tout son élan pour percuter l'arrière de ses genoux avec son corps d'équin. L'hinox tomba à la renverse, d'abord déséquilibré vers l'arrière, puis ployant les genoux, s'affaissa en avant. Link lâcha la visière du casque et tomba directement sur la croupe du lynel. Ce dernier récupéra son épée encore plantée dans le membre inférieur du monstre. Avant que celui-ci ne se relève, il en fit le tour. Les deux mains massives protégeaient l'oeil endolori. Leif n'en fit rien. Il cabra pour se mettre à hauteur, pointa la lame vers sa cible, les deux mains sur le pommeau. Puis il frappa. La lame glissa entre les doigts serrés et pénétra le globe. Toujours accroché à son épée, le lynel ferma les yeux et concentra son énergie dans ses paumes. Des flammes noires jaillirent de ses mains, le long de sa lame, et brûlèrent les mains et l'unique oeil de sa victime. Profitant de l'attaque frontale, Link descendit au sol et s'aida des interstices de l'armure de l'hinox pour escalader son flanc. Il passa dans son dos pour contourner son épaule et atteindre son cou. Assis à cheval sur l'épaulière métallique, il saisit son épée à deux mains et planta la lame d'un mouvement oblique vers le bas dans le cou nu, transperçant le thorax, les poumons et le coeur du monstre. Leif retira son épée et recula pour éviter de se faire écraser par la bête qui s'effondrait dans un long gémissement. Il rendit son dernier souffle dans un grognement sourd.

* * *

Êchenn ré-ouvrit les yeux lorsqu'elle sentit sa monture s'arrêter. Elle les guidait depuis plusieurs minutes, suivant les âmes vers une lugubre destination, gardant les yeux fermés pour mieux les apercevoir.

- Que se passe-t-il, pourquoi s'arrêter ? Les âmes continuent.
- Lève les yeux, on nous barre la route.

Elle remonta jusqu'au garrot du lynel pour regarder par dessus son épaule. Des dizaines de bokoblins formaient une ligne organisée face au groupe. La bataille était inévitable avant de pouvoir continuer. Les chevaux furent attachés en amont. Tous s'armèrent, épée pour les garçons, arcs et flèches pour les filles.

- Zelda et moi allons vous assister depuis cette petite butte. Nous y serons plus à l'abri. Espérons que leur nombre ne dépasse pas cette première ligne.

Légèrement surélevée, elles ouvrirent le feu, profitant d'une meilleure portée. Les bokoblins se mirent à charger, stimulés par les premières pertes. L'assaut fut freiné par les deux épéistes. Les lames dansaient, les peaux s'ouvraient, les viscères tombaient, le sang giclait. Malgré l'entraînement, ils furent vite débordés par le nombre. Plutôt que d'attaquer de toutes parts, les bokoblins avancèrent sur leur flancs, contournèrent même la bute, encerclant totalement les quatre combattants. Ils s'inquiétaient de voir une stratégie commune à ces stupides créatures, s'attendant au pire pour la suite, s'ils arrivaient à en venir à bout.

* * *

Privé de leur chef, les bokoblins s'étaient dispersés dans la plaine. Aucun obstacle n'empêchait les humains et le lynel de progresser à nouveau vers leur but.

- Ce n'est plus très loin. Là-bas, les âmes se sont rassemblées autour de quelque chose.

Ils suivirent la direction indiquée par Êchenn, apercevant des émanations rouges monter dans le ciel. En s'approchant, le parfait reflet rond de la lune à la surface de l'eau les émerveilla. Un petit lac au sein d'une vasque naturelle formait ce passage prophétique. Le cercle rouge servait de porte vers l'autre monde. Les piétinements au sol attestaient de l'origine des monstres rencontrés plus tôt. Comme un écho au reflet, les tâches de naissance d'Êchenn et Leif se mirent à rougir et brûler.

- Allons-y, tant que personne n'en sort. Leif, tu prends ce côté, je me place en face.

Link et Zelda restèrent au bord de l'eau, guettant la surface avec inquiétude. Des rides troublaient la surface, annonçant un autre visiteur. Les deux marqués se faisaient face, diamétralement opposés. Personne ne savait ce qu'il fallait faire pour refermer le passage. La seule certitude était cette tache sur leur main. Ils s'agenouillèrent au bord de l'eau et plongèrent leurs poings fermés dans l'eau. Cela eut pour effet, d'abord de soulager la brûlure, puis d'illuminer tout le volume de l'eau.

- Faites vite, Êchenn, Leif, on compte sur vous, clama Zelda, faussement rassurante.

Les deux blonds s'armèrent à nouveau. Une sombre main griffue puis un avant-bras puis un bras émergeaient. Si la porte n'était pas fermée à temps, il faudrait affronter cet ultime adversaire.

Chapitre 13 : Lumière et renaissance   up

Leif gardait les yeux clos, le poing fermé plongé dans l'eau. Malgré l'obscurité dans laquelle il se maintenait, un monde de sensations s'ouvrait à lui. Une aura douce et claire émanait de l'autre côté du lac sous les traits de sa coéquipière. L'atmosphère au-dessus de l'eau était presque calme en comparaison à ce qu'il percevait du monde immergé. Un chaos démesuré et sans fin s'agglutinait sous la surface. L'énergie maléfique emplissait l'espace, gonflant la frontière des deux mondes au point de la percer. Un filet concentré de cette force sombre filtrait dans leur monde. Le lynel respirait lentement et concentrait toute son attention au bout de son bras. Son énergie combinée à celle de son amie avait pour effet d'opacifier le passage. La porte matérialisée par le film aqueux se refermait. L'eau devenait glace. Le lien entre les deux mondes s'effilochait.

Vidé de sa force, Leif rouvrit les yeux. En face Êchenn pâlissait. Entre eux, la force sombre qui s'était faufilée s'incarnait en une créature grande, svelte, hérissée de pointes tranchantes. Le lynel n'eut que le temps de l'apercevoir. Une aspiration l'entraîna dans les profondeurs du lac. Sous l'eau, Leif découvrit une ambiance froide emplie d'âmes affamées. Cette vision ressemblait aux errances que lui avait décrites Êchenn plus tôt. Êchenn, justement, qu'il aperçut couler près de lui. Le corps frêle et inerte gagnait les fonds obscurs sans résistance. D'une brasse, il la rejoignit. Saisissant son visage, il insuffla le reste d'air présent dans ses poumons à travers les lèvres pâles. Dans un dernier effort, il la prit aux hanches et la propulsa vers la lumière. Privé d'oxygène, son regard se troubla. Ses dernières sensations furent deux paires de mains agrippant ses épaules.

* * *

Le premier bras dépassant de l'eau fléchit, la paume ouverte prit appui sur la surface miroitante. Le deuxième membre en fit autant. L'ombre se hissa hors de l'eau. Le fluide ruisselant sur son corps dévoilait une silhouette osseuse et maigre. Deux cornes incurvées vers l'arrière coiffaient son crâne sans peau ni chair. La colonne vertébrale était hérissée de lames effilées et étagées de haut en bas. Deux lueurs rouges éclairèrent les fosses orbitaires vides et se braquèrent sur la princesse. Link s'interposa immédiatement, sentant une menace imminente. Il recula, incitant Zelda à en faire autant derrière lui. La promesse de confrontation les empêcha d'accourir aider leurs camarades engloutis dans les flots sombres.

- Link, qu'est-ce que c'est ? Il dégage une sensation de mort sans être armé. Quel monstre...

Le guerrier planta ses pieds dans le sol et son bouclier contre son torse. Son épée patientait dans son fourreau dorsal. Zelda recula d'encore quelques pas. Contrairement à leur précédent adversaire, lent et lourd, celui-ci était élancé et promettait d'être rapide et agile. La main et l'avant-bras gauche de l'ombre se déformèrent. Les os fusionnèrent, s'aplatirent, s'allongèrent pour former une longue lame courbée. Son bras droit gonfla, se disloqua et prit la forme d'un filet. D'un bond, la silhouette noire fonça sur Link. La lame heurta violemment le bouclier et le fit reculer de plusieurs mètres. Dans le même élan, il balança son bras droit. Le filet tournoyant s'abattit sur Zelda. Le poids des mailles lui fit courber l'échine.

Réagissant rapidement, le héros contre-attaqua. Son adversaire portait le handicap d'un bras occupé. L'estoquant de front, Link l'assaillait de multiples coups. La lame brillante rencontrait tantôt la résistance de l'arme adverse, tantôt les os d'acier. Loin d'espérer l'abattre ainsi, le héros espérant l'occuper suffisamment pour laisser le temps à Zelda de se libérer. Celle-ci tenta l'approche physique pour se dégager du filet. Muées d'une force constrictive reptilienne, les mailles l'enserraient. Ses gigotements étaient vains. La princesse s'en remit à ses sentiments. La peur de perdre son coéquipier avait réveillé ses pouvoirs il y a un siècle. Aujourd'hui, cette même crainte nouait sa gorge. L'avenir de Link, mais surtout celui de Leif et Êchenn étaient compromis.

Une lumière brilla au travers du filet. La créature poussa un cri strident. Son bras droit se désagrégeait comme aspergé d'un puissant acide. Zelda ramassa son arc. La pointe de la flèche scintillait de la même lumière. La princesse visa le thorax. Le projectile fila se ficher entre deux côtes du démon. L'aperçu d'une victoire fut vite effacé par un cri désespéré. Êchenn, assise au bord de l'eau, hurlait vers la surface.

- Leif ! Leif !!!

* * *

Elle croyait rêver. Êchenn flottait dans un liquide froid mais pourtant réconfortant. Les sons ambiants assourdis dans l'eau la berçaient. L'ivresse du manque d'oxygène lui faisait oublier le danger imminent. L'esprit de l'humaine s'éloigna au lointain. Mais un second souffle chaleureux l'attira à nouveau au présent. Le rêve se brisa. Son corps fut projeté vers la surface. Privée de ses divagations, la jeune femme rouvrit les yeux, devinant le visage paisible de son ami s'éloigner. À la surface, elle prit une douloureuse et profonde inspiration. Regagnant le bord, elle rampa sur la terre boueuse avant de s'asseoir à genoux. Elle passa quelques instants à cracher l'eau de ses poumons. Ses larmes sans sanglots se mêlaient à cette eau. Retrouvant son souffle et ses esprits, l'humaine se pencha au-dessus du miroir ondulant. Rien. Les minutes passaient. Rien. Assaillie de désespoir, elle hurla :

- Leif ! Leif !!!

L'écho de sa voix ondula dans l'eau, s'atténuant de mètre en mètre. Tout au fond, Leif ouvrit les yeux. Il était à court d'air. Derrière lui, il observa les doigts, les poignets, les bras jusqu'à découvrir des visages bienveillants. Loin de vouloir l'entraîner avec eux, ses parents le poussèrent, l'expulsant de leur monde, le ramenant vers la lumière. De l'ombre à la lumière, de l'eau à l'air, le lynel crut naître à nouveau. Êchenn aperçut une masse flottante près du bord. Au toucher, elle comprit qu'il s'agissait de la crinière dense de son ami. Elle pensa qu'il n'était pas mort, pouvant le voir les yeux ouverts. Les pieds ancrés dans le sol, elle tira sur son bras inerte pour le sortir de l'eau. S'enlisant dans la boue, elle reculait sans cesse, tirant davantage. Mais la différence de poids criante et la terre glissante la privaient de tout espoir de le sortir de là. Elle s'assit au bord, les pieds dans l'eau et saisit le lynel par les côtes, entourant son thorax avec ses bras comme une bouée. L'humaine le maintint ainsi la tête hors de l'eau.

- Allez, réveille-toi, respire, respire ! Leif, tu m'entends ?

Êchenn ne pouvait observer son visage depuis sa position. Elle constatait seulement sa tête tombant vers l'avant. Son angoissante attente fut rompue par un gargouillis sourd. Elle sentit une contraction entre ses bras. Desserrant sa prise, elle laissa la cage thoracique se gonfler pour mieux se vider. Jamais elle n'avait été aussi heureuse d'entendre quelqu'un tousser.

* * *

- Tiens, bois ça.

Êchenn avait sorti deux fioles en verre de son fourre-tout en cuir. Les bouchons en liège s'ouvrirent dans un "plop" caractéristique. La liqueur verte à base d'insectes les revigora instantanément. Plus loin, un lourd silence pesait. Link avait rejoint Zelda, adoptant une attitude défensive. Ils observaient, muets et impuissants, le démon arracher la flèche de son corps sans le moindre signe de souffrance ou de faiblesse. Son corps matériel, non transformable, semblait résister aux pouvoirs de la princesse, contrairement à ses membres. Le filet ayant échoué, lui aussi changea de stratégie. Ses bras se remodelèrent. Ses carpes gauches s'accolèrent et gonflèrent en une sphère épineuse. Son avant-bras se segmenta pour suspendre le boulet au bout d'une chaîne en os. Côté droit, le bras resta bras. Mais sa consistance évolua. Les os semblaient mous, gélatineux et dégoulinaient d'une glaire collante. Le craquement d'une branche morte attira l'attention du monstre derrière lui. Êchenn et Leif s'étaient positionnés dans son dos, prêts à en découdre. Acculé, il se recroquevilla, enroulant son dos méthodiquement. Les lames de sa colonne vertébrale se mirent à vibrer avant d'être éjectées dans toutes les directions. Le bouclier de Link protégea les deux blonds. Leif dévia celles qui lui étaient destinées en les frappant à l'épée. Êchenn disparut un court instant, le temps de laisser les projectiles la traverser.

À nouveau mise en échec, l'ombre s'ouvrit, debout, les membres écartés, les yeux vers le ciel et hurla de tout son saoul. Le son ainsi émis força les quatre individus à se couvrir les oreilles. Paralysés, Link, Zelda et Êchenn tombèrent à genoux. Le lynel, moins affecté, tenait bon tout en gardant un oeil sur l'ennemi. Celui-ci agitait son bras droit. Des gouttelettes denses en tombaient. Frappant l'air autour de lui, il en envoya aux pieds et aux pattes de ses opposants. La glu embourba le groupe, les privant de toute mobilité.


Link tenta de se libérer avec son épée mais elle s'enlisa dans la glaire noire. Zelda usa de sa lumière dont le seul effet fut d'éclaircir la substance toujours aussi collante. Même dans sa forme immatérielle, Êchenn était bloquée. Leif, quant à lui, réussit à la solidifier avec ses flammes noires. Puis il s'en libéra en la craquant comme de la terre sèche. Afin de gagner du temps pour libérer ses camarades, il prit une grande bouffée d'air frais. Il souffla un épais nuage noir assez large pour tous les camoufler. Êchenn, à côté de lui, fut la première libérée. Guidé par son odorat, le lynel la quitta, contournant l'ombre pour libérer les deux autres.

Profitant d'un temps mort, la brune ferma les yeux et observa. Devant elle se dressait un guerrier. Il mesurait, à vue de nez, la même taille que leur puissant ennemi. Son armure était forgée dans un métal sombre n'émettant aucun reflet. Dans son dos et à sa ceinture étaient fixés de nombreuses armes et accessoires de combat. Deux cornes incurvées en arrière décoraient son casque. Aucun doute, il s'agissait bien de leur adversaire. Ou bien l'ombre en était plutôt la projection dans leur monde. En le détaillant davantage, elle remarqua une lueur similaire aux éclats rouges animant le regard de l'ombre. Mais sous cette forme presque humaine, elle scintillait au milieu de son sternum. Misant sur ce point faible, Êchenn partagea sa découverte, indiquant à tous de frapper en ce point. Le brouillard dissipé, libérés de leurs entraves, ils se préparèrent tous à l'assaut final.

Chapitre 14 : Sang et au revoir   up

La lune rouge tombait vers l'horizon. Son reflet ne miroitait plus sur le lac. La nuit et la lutte avançaient. L'ombre continua d'agiter son bras droit, projetant sa glu vers ses quatre adversaires. Prévenus et attentifs, ils esquivaient sans relâche d'un bond latéral, d'un pas en arrière, de zigzag. Chacun s'approchait petit à petit, motivé par la volonté d'en finir d'un coup net et précis au milieu de son thorax. Zelda restait en arrière, l'arc bandé, elle attendait une ouverture pour décocher en plein coeur. Mais la créature s'agitait bien trop à essayer de les capturer. Les trois autres n'étaient plus qu'à quelques mètres. Le guerrier maléfique relâcha son bras droit et commença à tanguer, dessinant des ronds avec le haut de son corps et son bras gauche. Le boulet roula au sol, puis décolla, tractée par la chaîne. Le mouvement répété du bras fit tournoyer la boule épineuse dans les airs, tout autour de lui. Elle menaçait à tour de rôle Êchenn, Link, puis Leif. Cette protection à 360 degrés était totale. L'ennemi réalisait un tour haut, en faisant passer son bras au-dessus de sa tête, puis un tour bas, en réalisant un tour sur lui même, bras à hauteur de hanches. Le héros en bleu s'approcha prudemment. Lorsque le boulet se présentait en haut, il s'accroupissait entre deux enjambées. Quand il faisait des tours en bas, il profitait de son élan pour bondir par dessus et plus en avant encore.

- Leif, il faut trouver un moyen d'arrêter son boulet. Sinon Link ne pourra jamais l'attaquer.
- J'ai bien une idée, mais... il n'y a que toi qui puisses le faire. En utilisant ta forme astrale...

Leif exposa son plan au creux de l'oreille de l'humaine. Dangereux mais ambitieux. Ils s'approchèrent de l'arme noire. Êchenn se plaça juste en périphérie de la trajectoire circulaire. Le lynel campant derrière elle. La brune laissa le boulet passer une fois devant elle puis fit un pas en avant, entrant dans la zone dangereuse de plein gré. Le passage suivant, elle disparut et reparut en une fraction de seconde. La masse piquante la traversa. Elle eut juste le temps de revenir pour empoigner la chaîne juste au-dessus du boulet. Entraînée par l'inertie du mouvement, ses pieds décollèrent du sol, mais elle resta fermement agrippée.

Leif entra en scène. Il saisit les deux chevilles de son amie, lui évitant un tour dans les airs. L'immobilisation du bras droit fit perdre l'équilibre au monstre en pleine rotation. Profitant de cette ouverture, le lynel fit un pas en arrière, tirant fermement sur la chaîne. L'ombre tomba à la renverse, le dos plaqué au sol. Le privant de toute tentative de transformation, Link bondit, dégaina son épée, pointe vers le bas, et planta sa lame au centre du sternum noir. Pas un cri, seul le craquement des os confirma au reste du groupe qu'il avait atteint sa cible. Le squelette se désagrégea sous leurs yeux. La fine poussière noire ainsi déposée au sol demeurait l'unique preuve de leur combat.

Leif aida sa camarade à se relever, la soulevant du sol en l'attrapant sous les aisselles. Une fois sur pieds, la jeune femme tanguait. Un contact humide interpella le quadrupède qui s'empressa de vérifier sa main gauche. La surface de sa paume était tintée de sang. Accompagnant son amie au sol, il l'allongea sur le dos, découvrant son flanc gauche meurtri. Le boulet avait déchiré sa tunique et arraché la peau de ses côtes. Par chance, les os semblaient intacts.

- Princesse, venez vite ! Êchenn... Êchenn a besoin de soins.

La voix tremblante de Leif trahissait son sentiment de culpabilité et la peur d'être responsable du malheur de sa coéquipière. Installant la blessée sur son dos, ils quittèrent le champ de bataille. L'aube colorait le ciel de mille nuances d'orange.

* * *

Elle ouvrit les yeux. La toile de la tente atténuait la lumière du jour. Une douleur vive rongeait ses côtes. N'essayant pas de se redresser, Êchenn se contenta d'observer autour d'elle. Elle reconnut les couches et la toile de la yourte leur servant de campement. Des voix lui parvenaient de dehors mais les paroles demeuraient inaudibles. Elle entendait un souffle tout près d'elle. Tournant la tête de l'autre côté, elle découvrit Leif, endormi, pattes fléchies et torse appuyé contre la couche voisine. Elle se rappela. Le boulet. Sa dématérialisation incomplète. L'ennemi vaincu puis le néant. Malgré la douleur, une immense joie l'envahissait. Ce plan, bien que risqué, c'était un coup de génie. Elle voulut exploser, le féliciter, hurler sa gratitude, mais sa blessure ne lui permit qu'un murmure :

- Leif ?

L'intéressé sursauta. Réalisant que la voix qui l'avait réveillé venait de son amie convalescente, il se redressa d'un bond et s'approcha sans attendre. Il découcha la fiole donnée par Link et lui fit boire le contenu en l'aidant à se redresser.

- Link a dit que ça calmerait la douleur. Il a parlé de fée... Bref, bois vite. Tes parents sont là.

Êchenn manqua de recracher l'élixir à la figure de son ami. Elle réalisa que les voix à l'extérieur lui étaient familières.

- Ils t'ont vu, Leif ?
- Je crois que l'explication que sont en train de leur faire Link et Zelda est bien assez dure à avaler pour aujourd'hui. La prophétie, leur fille qui sauve le monde. Pas besoin d'apprendre, en plus, la vérité sur ton sauveur qui parle.

- De quoi parlent-ils ?
- Tu as disparu plusieurs mois. Tu pourras les remercier. Ils les ont fait venir ici pour que tu n'aies pas besoin de t'expliquer une fois rentrée. Vu ta blessure, c'est la moindre des choses. C'est leur manière à eux de te remercier aussi. Il paraît même qu'il y aura une cérémonie en l'honneur des sauveurs du royaume. Selon Link, notre adversaire était une réminiscence de Ganon qui a autrefois détruit le royaume des hommes. Donc, en théorie, on aurait sauvé le monde de cette menace, une nouvelle fois.

- Et toi ?
- Mon sort t'inquiète ? Je vais retourner près de ma montagne, mon terrain de chasse favori. Là-bas, si j'y croise Asarim, je le remercierai. De m'avoir appris à parler avec ses chansons, de m'avoir transmis cette prophétie.
- Alors c'est fini ? Êchenn fixait le plafond d'un regard vide d'expressions. S'il te plaît, Leif, amène-moi près de mes parents.

* * *

Dans l'incapacité de marcher, Leif aida son amie. Il l'assit sur son dos, en amazone. Êchenn posa une main sur sa croupe, la deuxième sur son épaule. Il dépassa son appréhension, voulant à tout prix préserver la blessée de sa tristesse. D'un pas lent et très amorti, le lynel traversa la porte en tissu. Ils furent étonnés de trouver autant de monde dehors. Des soldats étaient venus en renfort éliminer les bokoblins en fuite ; une guérisseuse du clan Sheikah arrivait juste pour examiner la blessée ; la cuisinière du château s'activait sur un chaudron suspendu au-dessus d'un feu ; Link et Zelda discutaient avec les parents d'Êchenn.

Leif s'approcha, ménageant au possible sa cavalière en déposant délicatement ses sabots au sol. Son regard vers le bas comptait les fleurs, évitant minutieusement de croiser celui des humains. Il s'arrêta en apercevant quatre paires de pieds et fit un quart de tour pour positionner son amie face au groupe. Dépassant toute ses espérances, un miracle se produisit. Ses deux mains furent saisies chaleureusement par celles des parents. La reconnaissance plutôt que la pierre. Le lynel ne put retenir les perles d'eau de rouler de ses yeux. Les jours précédents avaient été très éprouvants. Jamais de sa vie, des inconnus ne l'avaient traité avec autant d'égards.

- Leif c'est ça ? Merci, merci d'avoir pris soin de notre fille.
- Papa, maman, je suis désolée. Mais je ne regrette pas d'être partie. Maintenant que j'ai découvert la vie de nomade, d'aventurier, de chasseur, de cueilleur, je ne peux pas revenir à une petite vie de village. Je vous rendrai visite, mais, s'il vous plaît, acceptez que je ne revienne pas à Elimith.
- Tu as pris un coup sur la tête ? Êchenn, ce n'est pas une vie pour une jeune femme célibataire.
- Écoutez jusqu'au bout. Je dormirai dans les villages ou dans les relais. Je cueillerai et chasserai pour vendre des peaux et des remèdes. J'apprendrai les différentes cultures des peuples d'Hyrule.
- C'est trop dangereux de voyager seule, s'inquiétait la mère.
- Elle ne sera pas seule. En dehors des villages en tout cas, les interrompit Leif. Enfin, si tu m'autorises à t'accompagner bien sûr. J'adorerais chasser tous les gibiers que ce monde a à offrir.

Le regard du lynel avait changé. Il était fier, sûr et bienveillant. La convalescente s'agitait dans son dos, autant que sa blessure le lui permettait. Sa surprise dépassait presque celle de ses parents. Link et Zelda s'étaient éloignés, constatant la bonne évolution de la situation. La jeune femme avait gagné son ticket pour l'indépendance, la créature redorait le blason de son espèce aux yeux des hommes.

Êchenn fut soignée par la Sheikah. Malgré les moyens rudimentaires du camp, la cuisinière réalisa un vrai festin : poisson grillé aux herbes, viandes mijotés aux champignons, curry de légumes et fruits à foison. Tous, sans exception, se réunirent autour de ce prodigieux repas, célébrant le calme revenu.

* * *

Zelda invita les deux enfants de la lune de sang à venir lui rendre visite au château autant qu'ils le souhaitèrent. Link leur proposa de refaire des entraînements, galvanisé par l'action plus que la discussion. Tout deux se retirèrent en bonne escorte vers le château à nouveau radieux. Les habitants d'Elimith s'apprêtaient à reprendre la route en compagnie de la guérisseuse de Cocorico.

- Partez devant, je vous rattrape.

Êchenn resta près de Leif en silence, en attendant d'être seuls. Une réelle complicité avait grandi entre eux. Partager une nouvelle aventure ensemble les emplissait de joie.

- Je dois faire un saut au village. Il me faut des vêtements chauds, quelques provisions et une vraie couverture. Ce serait pas mal, aussi, que je trouve un cheval. Je ne vais pas éternellement monter sur ton dos. Ça doit pas être plus difficile sur un cheval, si ? On se retrouve dans trois jours là où tout a commencé : la forêt du fort d'Elimith.

L'humaine tendit son poing droit fermé, faisant apparaître sa marque ronde. Son interlocuteur apposa son poing retourné sur celui de la jeune femme. Paume vers le ciel, sa marque recouvrait parfaitement celle de son amie.

- Ne sois pas en retard. Sinon il n'y aura plus de viande pour toi !

FIN

Ce texte a été proposé au "Palais de Zelda" par son auteur, "Chihiro31". Les droits d'auteur (copyright) lui appartiennent.

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Mis à jour le 20.04.24