Le Sang et le Sein
Chapitre 2 : Le Conseil
Chapitre 3 : Réminiscences
Chapitre 4 : La Bataille de Cocorico
Depuis une fenêtre du donjon où elle s'était installée, Zelda, la jeune reine du Royaume d'Hyrule, regardait avec satisfaction cette forteresse que ses armées venaient de reprendre. Elle voyait qu'il y avait de l'agitation en bas, parmi les troupes, mais une agitation sereine. Certains nettoyaient leur matériel, d'autres avaient retiré leurs armures, et se dégourdissaient les membres, d'autres encore jouaient aux dés, et faisaient des plaisanteries salaces. Le tumulte qui venait jusqu'à ses oreilles, porté par le vent tiède du désert, était essentiellement composé de rires, bien que quelques gémissements vinssent également des tentes de l'infirmerie, où le nombre de blessés restait somme toute assez faible par rapport à ce que l'on avait l'habitude de subir.
S'éloignant de la fenêtre, Zelda se tourna vers ses généraux, assis à la grande table centrale, et leur lâcha avec un sourire de satisfaction :
"Eh bien, tout se passe comme prévu jusqu'à maintenant. Reprendre cette citadelle était sans aucun doute la tâche la plus ardue que nous avions à réaliser. Et pourtant, quel succès ! Il ne nous reste désormais plus qu'à reprendre le Temple de l'Esprit. Je suggère de faire un siège, tout ce qu'il y a de plus classique. Je doute qu'il y ait de grandes réserves alimentaires à l'intérieur, elles ne devraient pas mettre bien longtemps à se rendre. Si vous avez des suggestions..."
Les trois généraux s'échangèrent des regards. Link et Viscen ne semblaient pas avoir grand-chose à redire au plan, somme toute assez approprié, que leur avait soumis leur reine. Nabooru, par contre, montrait des signes d'agitation. Elle avait saisi une mèche de ses longs cheveux rouges, et la faisait tourner nerveusement entre ses doigts.
"Nabooru, si tu as quelque chose à dire, je t'écoute."
La Gerudo fronça les sourcils. Ce ton de supériorité qu'avait l'habitude de prendre la reine hylienne l'agaçait au plus haut point. Mais elle parvint à se contenir et déclara :
"Elles sont trop fières pour se rendre, je les connais suffisamment bien pour le savoir. Je pense qu'il vaudrait mieux que j'aille seule négocier avec elles, on pourrait éviter de nombreuses morts inutiles."
Zelda hésita. Laisser les Gerudos régler cette histoire entre elles ne lui plaisait guère. Certes, les loyalistes lui avaient été très utiles dans la reconquête de leur territoire, et elle n'aurait jamais pu s'emparer de la citadelle sans leurs connaissances et leurs conseils. Mais il apparaissait aussi clairement qu'elles n'étaient pas très enthousiastes quand il s'agissait d'affronter leurs compatriotes rebelles, et elles s'étaient davantage cantonnées à des tâches logistiques, laissant le combat aux chevaliers et gardes d'Hyrule.
Nabooru perçut le doute qui traversait Zelda, et ajouta :
"S'il te plaît, ne me fais pas l'affront de douter de ma sincérité. Je t'ai juré mon allégeance, et je n'ai qu'une parole. Mais donne-moi une chance d'éviter un massacre inutile. En te comportant de la sorte, tu conforteras les filles qui te sont loyales dans leur choix.
- Je ne doute pas de toi Nabooru, sincèrement. Mais, au-delà de la question de confiance, il faut..."
Elle fut interrompue au milieu de sa phrase par le bruit de la porte qui s'ouvrit avec fracas. Un messager essoufflé vint se prosterner devant elle.
"Veuillez me pardonner cette intrusion ma Reine. Mais j'ai été mandaté par le Sire Rauru pour vous remettre dans les meilleurs délais un message de la plus haute importance."
La reine saisit le parchemin que levait vers elle l'humble messager, et le déroula. Très vite, elle se figea. Son teint devint livide. Elle resta en apnée, jusqu'à ce que des tremblements de son corps la ramènent à la réalité. Après un soupir, elle balbutia, visiblement très affectée :
"Les Sheikahs nous ont trahis..."
Il ne faisait guère de doute qu'elle devait rentrer au plus vite au château d'Hyrule pour trouver une solution avec ses ministres. Il lui fallait donc décider rapidement pour cette histoire de temple. Le plus simple était de confier le commandement des opérations à l'un de ses trois généraux.
Link était le Héros du Temps, ce qui l'auréolait d'une aura très forte. Il était clair que les soldats le suivraient sans protester. Mais c'était, par nature, un guerrier solitaire. Il n'était pas fait pour diriger un groupe, et n'aimait pas ça. Elle l'avait nommé à ce poste parce que, compte tenu de ce qu'il représentait, ne pas le faire aurait été mal perçu par l'armée. Elle lui avait confié le commandement des chevaliers d'Hyrule, guerriers autonomes qui avaient davantage besoin d'un symbole derrière lequel se regrouper que d'un chef qui leur dise quoi faire. Et Link était ce symbole. Mais gérer une armée composée de trois factions très différentes était une tâche autrement plus complexe.
Viscen était tout le contraire. C'était un militaire expérimenté et compétent. Cependant, il lui manquait l'aura des grands chefs. S'il était unanimement apprécié et soutenu par la garde, il n'avait sans doute pas le charisme nécessaire pour que les chevaliers d'Hyrule et les guerrières Gerudos acceptent de le suivre. C'était un technicien, il connaissait le métier, et son avis était toujours précieux en réunion stratégique. Mais il ne saurait pas trouver les mots pour motiver des chevaliers ou des Gerudos bien plus habitués à fonctionner avec leurs tripes qu'avec leur raison. Et quand bien même il trouverait les mots justes, encore faudrait-il qu'il parvienne à les faire entendre.
Il restait Nabooru, la seule à avoir à la fois les compétences et le charisme nécessaires à la fonction. Elle arrivait sans problème à traduire sa science de la guerre en discours qui faisait vibrer même les plus couards. Et quand elle engageait le combat, elle était aussi redoutable qu'élégante. Elle était un modèle pour toutes les Gerudos loyalistes, mais elle suscitait également l'admiration chez tous les guerriers hyliens. Cependant, Zelda avait quelques réticences à la laisser diriger la guerre contre ses compatriotes. Elle ne pouvait s'empêcher de redouter que sa loyauté ne vacille.
Elle n'avait malheureusement plus de temps. Elle regrettait de n'avoir pas prévu cette éventualité plus tôt :
"Je vais devoir rentrer au château sur-le-champ pour décider de la marche à suivre. Je vais donc vous laisser gérer la fin des opérations. Nabooru, pour te prouver ma confiance, je te laisse prendre la tête de l'armée. Mais diriger, cela impose parfois de prendre des décisions très difficiles. Si jamais les négociations n'aboutissent pas, tu devras être capable d'en tirer les conséquences qui s'imposent. N'oublie pas que ce que nous faisons, nous le faisons pour la paix. Et son prix peut être élevé. Sur ce, mes amis, bonne chance, je compte sur vous !"
Et elle quitta la salle avec le messager, laissant ses trois généraux s'échanger des regards interrogateurs.
Il fallut un peu plus d'une journée à Zelda et son escorte pour apercevoir les murs de la capitale. C'était le début de l'hiver en Hyrule et, la vallée Gerudo bénéficiant d'un micro-climat la maintenant toujours à des températures relativement élevées, le choc thermique fut assez violent en redescendant dans la plaine.
Néanmoins, ce n'était pas pour cette raison que la reine sentit son sang se glacer dans ses veines. Quelque chose n'allait pas. L'herbe, encore verte, dense et touffue sur l'ensemble du trajet, avait subitement viré au jaune. Elle était de plus très aplatie, et des mottes de terre la souillaient par endroits. En y regardant de plus près, on notait la présence de nombreux déchets, morceaux de bois, de cuir ou de métal, disposés de façon aléatoire. Et plus on approchait des murs, plus ces anomalies étaient nombreuses.
Elle fut alors prise d'un terrible pressentiment. Et c'est avec une angoisse visible sur son visage qu'elle fut accueillie par Rauru, monté sur son cheval, qui était venu à ses devants. Son visage était plus marqué que d'habitude. Ses rides étaient creusées, de grosses poches sous ses yeux trahissaient le manque de sommeil, et sa peau était étonnamment pâle.
Sans s'attarder sur les formules de politesse usuelles, Zelda le questionna :
"Mon Dieu, Rauru, que s'est-il passé ici, est-ce aussi grave que je le pense ? Le message qui m'a été envoyé ne donnait pas beaucoup de détails.
- Hélas oui, j'en ai bien peur. La cité a été assiégée. Oh, ça n'a pas été très difficile de les repousser, malgré l'effet de surprise, mais nous avons tout de même dû livrer bataille. Ils ne disposent pas d'armes de siège particulièrement efficaces, mais ce sont de féroces combattants. Ils semblaient animés par une puissante haine. Pour preuve, ils se battaient jusqu'à la mort, la fuite ne semblait pas être une option envisagée, alors même que l'issue de la bataille ne faisait plus guère de doute...
- Ils nous haïssent donc tant, remarqua Zelda. Mais alors, où sont tous les corps, je ne vois que des flèches brisées, des éclats d'armures ou de cottes de maille, où sont les morts ?
- Une partie dérive le long de la rivière Zora, les autres ont été réunis là-bas..."
Elle suivit la direction indiquée par le doigt du sage, et vit, quelques centaines de mètres sur sa gauche, une imposante pyramide incandescente, de laquelle s'échappaient des volutes de fumée.
"Nous ne pouvions pas risquer de laisser des épidémies se développer..."
Zelda était totalement abasourdie. Elle ne pouvait pas, de sa position, distinguer le nombre de corps en train de se consumer, mais il était clair qu'ils se comptaient au moins en centaines. Qu'est-ce qui avait pu pousser les Sheikahs à de telles extrémités ?
L'escorte traversa très vite la cité. Les gens étaient massés en nombre dans les rues. On sentait beaucoup de nervosité, tout le monde parlant des événements récents. Et, étrangement, il semblait qu'ils se taisaient dès que l'escorte passait à proximité d'eux.
À peine eut-elle mis les pieds dans le hall d'entrée du château, que la jeune reine convoqua sur le champ un conseil extraordinaire avec les ministres disponibles. Les domestiques, désemparés, s'affairèrent dans tous les sens pour répondre au plus vite à la requête de leur suzeraine. Zelda était une stratège, et sa vision à long terme était louée de tous. Par contre, lorsqu'un grain de sable venait se coincer dans l'engrenage, elle cherchait à le retirer au plus vite, quitte à déclencher un vent de panique dans ses rangs.
Une heure plus tard, la réunion pouvait commencer.
Au Conseil étaient présents, en plus de Zelda et Rauru, le ministre de la diplomatie, le ministre des armées, et le ministre de l'économie. La reine, très agitée, ne se sentait pas d'humeur à se perdre en formules de politesse. Elle abattit son poing sur la grande table en bois massif, pour attirer l'attention de tout le monde, et ordonna :
"Racontez-moi en détails tout ce qu'il s'est passé en mon absence, et vite !"
Il y eut un moment d'hésitation. Les ministres avaient beau être des hommes de caractère, la colère de leur souveraine était évidente et les tétanisait. Ce fut finalement Aucané, le ministre de l'économie, qui prit les devants :
"Il y a un peu plus d'une semaine, des émissaires sheikahs sont venus au château pour renégocier les statuts de leur autonomie, notamment concernant les taxations, qui, selon eux, sont écrasantes et les font sombrer dans la misère. Nous avons discuté pendant de nombreuses heures, afin d'essayer de nous mettre d'accord, mais ça n'a pas abouti. Ils demandaient une réduction de moitié des prélèvements, ce qui aurait pesé très lourd dans notre budget. D'autant que les dépenses que nous avons faites pour leurs infrastructures à Kokoriko n'ont pas été encore amorties...
- Mais c'est vous qui les avez reçus ? demanda Zelda, surprise.
- C'est moi qui les ai reçus, fit Logon, le ministre de la diplomatie. Je leur ai proposé une nouvelle date, une pour laquelle vous, Votre Majesté, seriez présente. C'est alors qu'ils ont commencé à tenir des propos assez dégradants à votre égard. Je les ai donc renvoyés chez eux, ainsi que leur ambassadeur. Je ne m'attendais pas à des réactions aussi excessives de leur part."
C'est alors que Rauru prit la parole :
"Logon, ne cherchez pas à dissimuler certaines de vos actions, alors que vous vous efforcez de tout faire publiquement le reste du temps. La vérité ne tardera pas à éclater.
- Ah, reprit Logon avec un ricanement complètement artificiel, je crois que je vois de quoi vous voulez parler. En effet, j'ai fait trancher la langue aux deux émissaires sur la place du marché, avant de les renvoyer. Il fallait bien faire un exemple. Même en considérant que leur autonomie soit admissible, cela ne justifie en rien le manque de respect envers votre personne, dont ils ont fait preuve."
Zelda se sentait de plus en plus crispée. Elle soupçonnait fortement Logon de jouer à un jeu particulièrement malsain, visant à sacrifier la qualité des relations diplomatiques du royaume sur l'autel de sa propre popularité. Et les ambitions qu'il nourrissait ne devaient pas être des plus nobles. Elle s'adressa donc au Sage de la Lumière, qui était la personne présente en qui elle avait le plus de confiance :
"Rauru, qu'ont-ils dit sur moi exactement ?
- Je ne sais pas réellement, je n'ai pas assisté personnellement à la scène. Logon était le seul présent..."
Il avait presque répondu dans sa barbe. Il semblait si fatigué. Il avait conscience d'être dépassé par les événements, d'avoir été manipulé, et il se sentait minable. Lui qui, pendant des années, avait été le cerveau d'Hyrule, acceptait mal de devenir une marionnette. Zelda lui avait confié le gouvernement, il avait choisi les ministres avec elle, et elle comptait sur lui pour tirer le meilleur de chacun d'entre eux. Mais il n'y arrivait plus, cela se sentait. Il en était conscient autant que Zelda elle-même. Et elle fut peinée de voir la détresse qui transparaissait sur le visage de son vieil ami.
"Je ne me permettrais pas de répéter de telles obscénités, reprit Logon avec un sourire narquois. Mais il était indispensable de marquer le coup.
- Le jugement a été très expéditif, remarqua Zelda. Y a-t-il eu une enquête approfondie ?
- Il n'y avait que mon témoignage, répondit Logon le plus naturellement du monde. Mais c'est une preuve jugée suffisante par le tribunal. Vous ne douteriez quand même pas de mon honnêteté. Ce serait très blessant...
- C'est surtout parce que tu as choisi le juge toi-même, lâcha d'une voix rauque Melkior, le ministre de la défense.
- Certes, mais c'est un homme très compétent."
Cette fois, Zelda fulminait complètement. Il lui paraissait évident que Logon avait monté cette histoire de toutes pièces pour apparaître comme celui qui défendait l'honneur du peuple hylien, alors même que l'autonomisation des Sheikahs avait ouvert une plaie dans l'orgueil patriotique de la foule, qui peinait à cicatriser.
"Que s'est-il passé ensuite ?
- Eh bien, reprit Melkior, c'est à partir de là que la situation a dégénéré. Une armée sheikah est venue nous assiéger. Nous les avons repoussés à la suite d'une bataille acharnée, mais le mal est fait, nos peuples sont en guerre.
- Mais ce n'est pas tout, ajouta Logon, ils s'en sont également pris aux Hyliens qui résidaient à Kokoriko. Une partie d'entre eux a réussi à fuir jusqu'ici, les autres ont été massacrés."
Comment pouvait-il afficher cet insupportable sourire alors qu'il racontait de telles horreurs ?
Elle avait les poings serrés de rage et de dégoût. Une telle situation n'aurait jamais dû se produire. Même dans ses anticipations les plus pessimistes, elle n'avait pas envisagé pareil scénario. C'était complètement surréaliste, comme un cauchemar, dont l'absence de logique ouvre la porte aux délires les plus sinistres. Mais hélas, elle était éveillée, et alors que tout son univers était en train de s'effondrer autour d'elle, il lui fallait, au moins en apparence, rester forte et concentrée.
"Il faut à tout prix apaiser ces tensions, déclara-t-elle. Nous ne pouvons pas ouvrir un nouveau front. De plus, les Sheikahs sont nos alliés depuis la nuit des temps, on ne peut ruiner une telle alliance sur un malentendu.
- Mais, Votre Majesté, intervint Logon de sa voix mielleuse, pensez-vous vraiment que le peuple acceptera que l'on reste inactif face à cet affront ? Ne craignez-vous pas que ce soit votre légitimité sur le trône qui soit remise en cause par cette affaire ?"
Cette fois, c'en était trop, elle craqua. Elle se leva de sa chaise, sauta sur la table, la traversa en une enjambée, et se jeta sur Logon, qui était assis en face, frappant de ses deux pieds le torse de son ministre. Le fauteuil en bois massif de ce dernier se renversa et se brisa sur le sol de marbre. Folle de rage, Zelda le frappa au visage de ses deux poings, alternativement, et sans la moindre retenue. Les ministres autour ne savaient pas comment réagir. On ne contredisait pas la reine, mais la situation devenait inquiétante. Le visage de Logon était couvert de sang, elle le tuerait si personne n'intervenait.
Puis, quand elle en eut assez de frapper, Zelda saisi la dague qu'elle avait toujours à la ceinture pour parer à toute agression, et vint poser la lame sur la gorge de son ministre de la diplomatie.
"Traître, tu mériterais tellement que je te tranche la jugulaire."
C'est alors que Rauru intervint en saisissant la reine par le bras.
"Je vous en prie, ne laissez pas la haine guider vos choix. Ça n'amènera rien de bon."
Zelda fit mine d'hésiter, puis elle se redressa, le visage pourpre, respirant comme un taureau enragé. Elle essuya d'un revers de manche la bave qui coulait aux commissures de ses lèvres, et le sang qui avait giclé sur ses joues.
Logon cracha deux dents, puis se releva à son tour.
"Quelques soient les erreurs que nous avons pu commettre, ils sont en tort, et leur position est indéfendable. Ce sont eux qui nous ont attaqués, et ce sont eux qui ont massacré des civils. Le peuple attend réparation."
Zelda lui tourna délibérément le dos et s'adressa aux autres membres du conseil.
"Je partirai dès demain à Kokoriko, avec une armée, pour leur demander des excuses. Vous, vous resterez ici pour gérer les affaires courantes. Logon, je ne veux pas avoir à remanier tout mon gouvernement à cause de toi, donc tu présenteras au plus tard demain ta démission à Rauru. Si tu refuses, je ne réponds plus de ce qu'il pourrait t'arriver. Me suis-je bien faite comprendre ?
- Très bien, votre Majesté...", répondit l'intéressé, une lueur mauvaise dans les yeux.
Les premiers rayons du soleil, émergeant à l'horizon, se répandaient à travers la brume matinale, donnant au ciel une teinte rosée qui semblait assombrir les herbes givrées. Bourg-d'Hyrule s'éveillait doucement, comme chaque matin. Certaines professions avaient déjà démarré leur activité, mais la majorité de la population était encore en train de rompre le jeûne nocturne. Néanmoins, les curieux penchés à leurs fenêtres eurent la surprise de voir un défilé militaire dans les rues, qui traversa la ville du château jusqu'à la grille d'entrée, et disparut à travers la plaine.
Alors que son armée longeait le fleuve Zora, en direction de Cocorico, Zelda était perdue dans ses pensées. Elle songeait à son enfance, quand elle ne connaissait rien du monde extérieur. Son père était très occupé à pacifier le pays, après la terrible guerre d'unification, quant à sa mère, elle n'avait jamais montré une sincère affection pour sa fille, et était de toute façon morte très tôt. Si bien que la seule famille qu'elle pensait posséder, en ce temps-là, c'était sa nourrice, Impa.
Dans l'innocence de son enfance, elle ne se posait pas de questions sur les nations ou sur les races. À vrai dire, elle n'avait pas énormément de points de comparaison. En dehors de sa nourrice, elle ne voyait que des Hyliens au quotidien. Ainsi, s'il lui apparut assez vite qu'Impa était relativement différente des autres personnes qu'elle croisait dans le château, elle mettait cela sur le compte d'une originalité individuelle, sans pour autant se poser de questions sur des différences d'origines.
Mais Zelda était très curieuse, elle voulait savoir ce qu'il y avait au-delà des murs du château. Aussi, Impa lui parla du monde, et des différentes tribus qui le peuplaient. C'est ainsi qu'elle lui apprit que, contrairement aux autres habitants du château, elle n'était pas hylienne, mais sheikah.
"Et moi, je suis sheikah aussi alors ?
- Non Princesse, toi tu es une Hylienne.
- Mais je n'ai pas envie d'être hylienne, pourquoi est-ce que je ne peux pas être une Sheikah ?
- Ton père est hylien, et ta mère est hylienne, donc tu es hylienne. Ce ne sont pas des choses qu'on choisit, elles sont, c'est tout. On n'y peut rien changer.
- Eh bien je ne suis pas d'accord, on devrait pouvoir choisir ce qu'on veut être. Et puis, en plus, qu'est-ce que ça fait que Papa et Maman soient hyliens, je ne les vois jamais. Donc je devrais être comme toi, parce que je suis plus avec toi qu'avec eux.
- Ce sont eux qui t'ont fait. Ces choses-là sont fixées à la naissance, et tu es née hylienne. Mais crois-moi, tu as de la chance, la vie des Hyliens est bien plus facile et amusante que celle des Sheikahs.
- Oui mais non. Je refuse ! À partir d'aujourd'hui je suis une Sheikah, comme toi. C'est décidé !"
À ce moment-là, elle croyait naïvement que sa décision la transformerait physiquement en Sheikah. Elle voulait ressembler à Impa, parce que c'était la personne qu'elle aimait et admirait le plus au monde. Mais les années passant, rien ne se produisit, si ce n'était qu'elle ressemblait de plus en plus au portrait de sa mère, accroché à un coin de mur de sa chambre. Elle supportait de moins en moins son apparence physique. Un jour, elle était restée à regarder le soleil en face, espérant que ses yeux trop bleus deviennent aussi rouges que ceux de sa nourrice. Elle en était restée quitte pour une bonne réprimande et une semaine angoissante à tout voir flou, avec des taches de couleurs imaginaires qui allaient et venaient sur sa rétine.
Un autre jour, dans un accès de rage, elle avait renversé son miroir au sol, le brisant en milliers de petits éclats que les domestiques avaient eu grand peine à nettoyer. D'ailleurs, des années après, il lui arrivait encore régulièrement de se faire mal en marchant sur une miette de verre oubliée.
"Je ne serai peut-être jamais une Sheikah à l'extérieur, mais je le suis à l'intérieur. C'est vrai, physiquement, il n'y a plus de doute possible, je suis hylienne, parce que mes parents l'étaient, et que je leur ressemble. Mais, dès mes premiers instants, j'ai été nourrie au sein d'une Sheikah, et c'est dans ce lait sheikah que j'ai puisé ma force et mon énergie, et ça aussi ça reste. Derrière cette enveloppe hylienne, c'est une Sheikah qui est animée."
Cette résolution lui permit de mieux vivre ses complexes. Puis, le royaume d'Hyrule étant petit à petit pacifié, son père put passer plus de temps à ses côtés, ce qui la réconcilia progressivement avec sa condition d'Hylienne. Il lui fit aussi comprendre que la race importait peu, qu'il fallait juste apprendre à respecter les différences, parce qu'elles existaient, mais qu'on ne pouvait rien y changer.
"Pendant la guerre, certains de mes généraux pensaient qu'il fallait écarter tous les autres peuples, ou au moins leur imposer nos normes, car ils représentaient à leurs yeux des ennemis potentiels. Mais je m'y suis refusé. Ce n'est pas parce qu'ils ne vivent pas comme nous qu'ils sont moins bien, ni même mieux d'ailleurs, ils sont différents, c'est tout. On ne peut pas comparer, mais on peut apprendre beaucoup d'eux. On doit les comprendre pour apprendre, et apprendre pour les comprendre. Ça a été difficile au début, mais aujourd'hui, nous vivons tous en harmonie.
Et toi, ma fille, tu as beaucoup de chance. Tu es une Hylienne, certes, mais grâce à ta nourrice, tu as appris la culture sheikah. Ainsi, pour chaque question, chaque problème, tu as la possibilité d'adopter deux points de vue, celui d'une Hylienne, et celui d'une Sheikah, et tu peux comprendre les motivations des gens de ces deux peuples. Quand tu seras reine, tu devras être capable d'être juste envers tout le monde. Tes sujets auront des points de vue et des cultures très variés, et plus tu seras en mesure de te mettre à la place de tes interlocuteurs, plus ton règne sera juste et équitable."
C'est ainsi qu'elle se réconcilia avec sa nature hylienne. Elle deviendrait reine d'Hyrule de toute façon, et ses sujets seraient de diverses origines. Elle serait un peu chacun d'eux, Hyliens, Sheikahs, et tous les autres.
Mais, alors qu'elle s'était enfin apaisée sur ses origines, un événement vint tout bouleverser. Cet événement avait un nom: Ganondorf. Elle ne pourrait jamais oublier le visage de ce croque-mitaines qui avait hanté ses nuits. Son père ne percevait pas la menace comme elle, et elle se sentait désemparée, impuissante. Heureusement, elle avait pu compter sur le soutien d'Impa qui, tout en s'efforçant de la rassurer, doutait de la fiabilité du roi des Gerudos. Puis un garçon de la forêt, Link, qu'elle avait également vu en rêve, était apparu au château. Elle l'avait envoyé en mission pour contrer Ganondorf, mais il était déjà trop tard.
L'ambitieux roi du désert, peu de temps après avoir prêté allégeance au roi d'Hyrule, se retourna contre lui, et l'assassina sur son trône. Craignant pour la vie de la jeune princesse, Impa vint la chercher en urgence, et s'enfuit avec elle sur son cheval blanc. En franchissant le pont-levis, elles croisèrent le jeune Link, qui revenait insouciant de sa périlleuse quête. Zelda lui lança l'ocarina de sa famille, qu'elle avait envoûté pour qu'il délivre au jeune héros ses instructions sous la forme d'un message télépathique, et croisa les doigts pour que ce dernier ne soit pas taillé en pièces par Ganondorf.
Galopant à brides abattues sous le terrible orage, elles foncèrent vers le village Cocorico. Là-bas, à côté de la bourgade peuplée d'Hyliens, existait un second village, caché sous la montagne, où s'était réfugiée une communauté de Sheikahs. Ceux-ci avaient décidé de se couper du reste du monde, afin de préserver leur mode de vie. En effet, leur démographie manquait de dynamisme comparée à celle des Hyliens, et même à Cocorico, ils avaient fini par devenir minoritaires. Aussi, l'un d'entre eux, Gahnima, décida de bâtir cette nouvelle communauté. Impa fut peinée de voir les siens quitter ainsi le village qu'elle avait fondé, mais elle n'avait pas osé aller contre leur volonté. De toute façon, elle s'était installée au château, et n'avait aucun droit de leur dicter comment vivre.
C'est pourquoi elle ne fut pas étonnée de recevoir un accueil glacial lorsqu'elle vint demander asile avec la jeune princesse hylienne. Gahnima, en particulier, montra une vive hostilité :
"Nous avons dû nous réfugier ici pour échapper au cancer hylien. Et voilà que tu nous amènes leur princesse héritière, pour contaminer notre dernier bastion. Traîtresse, te rappelleras-tu seulement qui tu es quand nous n'existerons plus que dans les livres d'Histoire ?
- Je n'amènerai jamais d'autres Hyliens ici, Gahnima, mais je dois protéger cette enfant. Je t'en supplie, laisse-nous entrer.
- Jamais ! Ce lieu est notre sanctuaire, et je ne permettrai en aucune façon, à quiconque n'est pas des nôtres, de demeurer ici !
- Alors laissez-moi devenir une Sheikah !", demanda Zelda avec fermeté.
Gahnima refusa, mais les autres membres de sa communauté n'étaient pas aussi rigides. De nature fataliste, ils ne nourrissaient guère de rancoeur envers les Hyliens. Ils avaient, de plus, toujours une forte affection envers Impa, et la détermination que la princesse hylienne affichait était séduisante. Aussi, face aux protestations, Gahnima finit-il, à contre-coeur, par céder. Et c'est ainsi, alors que le royaume dont elle venait d'hériter sombrait dans le chaos, que Zelda devint Sheikh.
Elle passa donc son adolescence parmi les Sheikahs. Une adolescence normale, si l'on mettait de côté le contexte particulier de l'époque. Globalement, les Sheikahs n'eurent guère de difficultés à l'accepter comme l'une des leurs. Seuls Gahnima et ses sous-fifres ne manquaient pas une occasion de l'humilier et de la rejeter, ce qui engendra quelques bagarres assez violentes, qui eurent au moins le mérite de l'endurcir. Mais c'est aussi là-bas qu'elle eut ses premières vraies amitiés avec des jeunes de son âge, ses premiers émois amoureux, et qu'elle forgea sa personnalité d'adulte. Elle adopta complètement le mode de vie des Sheikahs, au point que l'étiquette de la monarchie hylienne lui paraissait, aujourd'hui encore, complètement exotique.
Finalement, alors qu'elle était âgée de 17 ans, Impa la présenta à Rauru. Celui-ci la mena à travers Hyrule pour lui faire découvrir les anciens temples, afin de préparer le retour de Link. Il comptait sur elle pour guider le héros à travers sa quête à venir. Ainsi, Zelda termina son séjour chez les Sheikahs, et dut affronter un monde bien plus hostile, où des créatures sauvages et agressives pouvaient commettre toutes sortes d'exactions en parfaite impunité. Elle fut terriblement choquée en découvrant comme Hyrule avait changé pendant son exil. Son royaume était complètement livré à l'anarchie, son château avait laissé place à une horrible tour. Les gens avaient peur, souffraient. Les maladies et la mort semblaient avoir gagné chaque centimètre carré du territoire. Elle passa des nuits extrêmement difficiles, peinant à trouver le sommeil pour finalement sombrer dans des cauchemars angoissants et se réveiller en sueur, et très fatiguée.
Mais au bout du compte, elle mena sa mission à bien, et grâce à son aide, Link délivra Hyrule de Ganondorf. Elle fut alors officiellement couronnée, et une de ses premières mesures fut de donner une autonomie importante aux Sheikahs, afin qu'ils puissent vivre pleinement comme ils le souhaitaient sans avoir à rester cachés du reste du monde.
Cette mesure ne fut pas facile à faire passer. Il y eut d'abord des difficultés côté Sheikahs. En effet, les plus radicaux d'entre eux craignaient pour leur légitimité politique, aussi demandèrent-ils toujours plus. Afin de les marginaliser, Zelda proposa un grand plan de construction pour les doter de très bonnes infrastructures, ainsi que d'un certain nombre de privilèges valables dans Cocorico. Ces cadeaux devaient témoigner de la volonté d'ouverture et des sentiments amicaux du royaume d'Hyrule envers les Sheikahs réintégrés. C'est alors du côté hylien que surgirent de nouvelles difficultés. D'une part, le plan de construction coûtait très cher, d'autre part, le traitement de faveur fait aux Sheikahs passa mal auprès d'une partie de la population, notamment à Cocorico, qui vécut cela comme une profonde injustice. On mit alors en place un système fiscal exceptionnel assez complexe à Cocorico, qui touchait essentiellement les Sheikahs, et ne devait durer que quelques années. Cependant, cette imposition s'avéra plus lourde qu'anticipée pour les Sheikahs qui eurent de plus en plus de difficultés à faire face à leurs dépenses. Puis vint l'agression des Gerudos rebelles, qui fit passer cette affaire complètement au second plan. Occupée par sa campagne militaire, Zelda avait délégué les affaires courantes à ses ministres. Le cas Sheikah étant principalement traité par Logon. Les succès militaires de la reine avaient permis à sa popularité d'atteindre des sommets. Naïvement, elle avait imaginé que la situation à Cocorico finirait par s'améliorer d'elle-même, et qu'elle pourrait enfin trouver cette paix intérieure qu'elle recherchait depuis son enfance. Malheureusement, il semblait que l'orgueil et l'ambition de quelques inconscients avait fait dégénérer la situation pendant qu'elle avait le dos tourné, menaçant un équilibre et une harmonie qui semblaient pourtant à portée de main.
L'armée arriva à proximité de Cocorico au milieu de la nuit. Des nuages s'étaient entassés au pied des montagnes, et se délestaient de leur neige, qui tombait par paquets, comme s'ils cherchaient à s'alléger pour franchir cet obstacle sur leur route. On établit un bivouac, afin d'être prêts à entrer dans le village dès le lever du soleil. La journée du lendemain serait sans doute, pour Zelda, la plus importante depuis le début de son règne.
Posté à l'entrée du village, pour surveiller les éventuelles menaces, le jeune garçon était très fier de la confiance qui lui était accordée. Aussi, même si d'ordinaire, il ne se passait rien, il restait très concentré sur l'horizon. Les Sheikahs étaient en guerre, et sa communauté comptait sur lui. Toute oisiveté était hors de question pendant son tour de garde.
Statique dans la neige fraîchement tombée, il sentait que ses orteils gelaient dans ses bottes. Les lobes de ses oreilles aussi commençaient à devenir douloureux, et les fluides qui s'accumulaient dans son nez rendaient sa respiration plus difficile. Mais il ne devait pas se laisser déconcentrer par ces détails mineurs. D'autant qu'il lui semblait bien apercevoir comme des scintillements au loin.
Il attendit, plus concentré que jamais, d'en savoir plus. Les scintillements avaient l'air de se rapprocher. Puis, petit à petit, ils prirent l'apparence d'une grosse masse humaine. Les scintillements étaient en fait dûs aux reflets du soleil matinal sur les lourdes armures argentées que portaient les soldats. Il n'avait jamais vu une armée aussi vaste, aussi impressionnante. Il réalisa alors que la guerre n'était pas un jeu, et il ressenti une peur d'une intensité qu'il n'avait jamais connue jusqu'à présent. Il se précipita vers l'intérieur du village pour avertir les officiers en place de ce qu'il venait de voir.
Son histoire fut tout de suite prise au sérieux. Il ne pouvait pas s'agir d'une mauvaise blague, il avait réellement l'air terrorisé. Et puis, ce n'était pas vraiment une surprise non plus, on se doutait bien que les Hyliens finiraient par réagir. Quoi de plus naturel chez un peuple aussi arrogant ?
On envoya alors un diplomate pour discuter avec les potentiels agresseurs. Il franchit la grille d'entrée, et se dirigea, seul, vers la puissante armée. Derrière la grille, des lanceurs de dague prenaient position, prêts à tout pour protéger leur village.
"Qu'est-ce que c'est que ce type ? s'étonna un des officiers hyliens en voyant l'ombre noire découpée sur la neige, qui s'avançait vers eux d'un pas assuré.
- C'est un représentant du pouvoir Sheikah, répondit Zelda, autant pour elle-même que pour ses hommes. S'il est envoyé alors que nous ne sommes pas encore au pied des grilles, ça signifie vraisemblablement que nous ne sommes pas les bienvenus. Ce qui n'est pas une surprise en soi.
- Que fait-on dans ce cas ?
- Pour le moment, on arrête ici. Vous deux, vous venez avec moi, ajouta-t-elle en désignant deux de ses gardes du corps, je vais discuter directement avec lui."
Elle s'avança alors, encadrée des deux soldats, vers l'ombre encapuchonnée. Le contraste entre la reine et ses hommes était saisissant. Les gardes du corps étaient des chevaliers hyliens typiques, portant de lourdes armures, le visage entièrement dissimulé derrière un solide heaume en fer, n'ayant pour ouverture qu'une fine raie au niveau des yeux leur permettant de voir, et une grille au niveau de la bouche, pour parler et respirer. Ils étaient armés de grosses épées, les plus lourdes qui puissent être portées d'une seule main, et de boucliers hyliens, dont la réputation n'était plus à faire. Zelda, elle, portait une armure légère en alliage indigo. Une pièce unique, forgée par l'armurier royal, qui épousait parfaitement les lignes de son corps. En guise de casque, elle avait une couronne renforcée qui protégeait le haut du crâne, mais ne dissimulait en rien son noble visage. Elle portait enfin une épée, longue mais légère, qui pouvait tenir dans une main, mais dont la garde était assez grande pour permettre une prise à deux mains. D'ailleurs, elle n'avait pas souhaité s'encombrer d'un bouclier, elle préférait garder sa deuxième main libre pour multiplier ses options. Elle n'avait jamais réussi à adhérer à l'escrime hylienne, basée sur la force et la puissance. Elle préférait encore la précision, la légèreté et la vélocité des techniques sheikahs. Ainsi, la présence des deux molosses à ses côtés faisait-elle ressortir sa grâce et son élégance. Cela n'enlevait rien à la crainte qu'elle inspirait. Son regard glacial et déterminé aurait fait trembler le plus téméraire des ennemis.
Arrivée à hauteur du Sheikah, elle déclara :
"Je suis Zelda, reine d'Hyrule. Je suis venue demander au peuple sheikah des excuses officielles pour les outrages injustifiés que vous avez infligés au peuple hylien."
Le représentant sheikah eut un rictus nerveux.
"Voilà qui est contrariant. Car nous attendons également des excuses de votre part. Et il est bien sûr hors de question que nous vous en présentions pour le moment."
Zelda soupira. Toute cette histoire commençait à sérieusement l'agacer, et elle ne voulait pas perdre son temps avec un intermédiaire qui se contentait de répéter les positions de ses dirigeants, sans jamais prendre la moindre initiative personnelle. N'avait-il pas une famille à protéger pour l'amour de Nayru ?
"Laissez-moi parler à Impa !
- La politique étrangère n'est pas du ressort de notre Grande Prêtresse.
- Politique étrangère ? Vous êtes rattachés au royaume d'Hyrule, je suis encore votre souveraine !
- Ce n'est pas notre position. Bien, tant que vous ne nous aurez pas présenté des excuses officielles, nous n'avons plus rien à nous dire."
Et il s'en retourna, sans les regarder, vers le village.
Grande Prêtresse, c'était donc comme ça qu'ils tenaient Impa à l'écart des affaires politiques. Il fallait reconnaître que c'était plutôt malin. Elle était toujours populaire auprès de la population, et son titre de Sage de l'Ombre lui donnait une autorité naturelle, ce qui la rendait gênante pour ses adversaires. Cependant, cela la rendait aussi complètement légitime pour le titre de Grande Prêtresse. Ainsi, elle n'était pas humiliée, elle avait un titre digne de son rang, et en plus, elle ne posait plus de problème.
Les officiers s'étaient rapprochés de leur reine pour connaître la marche à suivre.
"Qu'allons nous faire Votre Majesté ? Ils ont continué à se moquer de nous, et les hommes trépignent à l'arrière. Certains d'entre eux avaient de la famille à Cocorico...
- Ils ne me laisseront pas voir Impa de leur plein gré. Peut-être imaginent-ils que je n'oserai pas intervenir...
- Mais nous ne pouvons pas rester inactifs face à un tel affront, c'est toute votre légitimité qui serait remise en cause par vos soldats !
- Je le sais bien, et je n'ai pas l'intention de rester sans rien faire ! Écoutez, voici ce que je propose. On enfonce la grille avec le bélier. Il faudra envoyer les archers en couverture, car ils ont sans doute placé des lanceurs de dagues pour nous accueillir. Une fois qu'on a une ouverture, on rentre dans le village. À ce moment-là, n'hésitez pas à être féroces, il faut marquer le coup. Je veux que le combat soit le plus court possible, alors faites-les céder. Si un soldat sheikah se rend, ou se retrouve isolé, faites-le prisonnier. Par contre, tant qu'ils sont en groupe, et combatifs, pas de pitié, montrez-leur de quel côté est l'autorité ! Moi, je vais essayer de trouver Impa. Il n'y a probablement qu'avec elle que je pourrai mettre fin à ce conflit de manière raisonnable. Des questions ?
- Non Votre Majesté ! À vos ordres, Votre Majesté !"
L'imposant bélier avançait, doucement mais sûrement, vers l'entrée du village. Soutenu par un châssis monté sur roues, protégé par un toit en bois, et renforcé par une tête en acier stylisée, il n'était pas seulement conçu pour détruire des murs, mais aussi pour anéantir le courage des assiégés. Il fallait une vingtaine de gardes pour le manoeuvrer, péniblement, dans la neige. Comme l'avait demandé la reine, des archers étaient placés juste derrière, et envoyaient des volées de flèches pour repousser les lanceurs de dagues sheikahs. Et en effet, les lanceurs de dagues, dont la portée était inférieure à celle des archers hyliens, après avoir subi quelques pertes, renoncèrent à arrêter le bélier. La bataille se tiendrait dans le village, c'était désormais inévitable.
Le lourd tronc d'arbre vint percuter la grille d'entrée avec fracas. Celle-ci trembla, vibra, et finalement céda, volant en éclats. Les rues de Cocorico étaient ouvertes aux assaillants.
Le choc entre belligérants se fit de manière frontale. L'infanterie sheikah, armée de sabres traditionnels, la pointe de la lame légèrement recourbée, attendait les chevaliers hyliens avec détermination. Malgré leur apparence frêle - ils n'étaient protégés que par des armures légères, avec quelques renforcements métalliques pour les plus costauds - les Sheikahs posèrent d'entrée beaucoup de problèmes aux lourds et puissants soldats de la reine. Les lanceurs de dagues s'étaient repliés sur les toits, et criblaient l'envahisseur de leurs missiles meurtriers.
Zelda cherchait désespérément sa nourrice des yeux, mais impossible de la voir. Elle était submergée par la masse des combattants. Ses gardes du corps s'étaient resserrés autour d'elle, écartant les assaillants, si bien qu'elle n'avait encore eu que peu à lutter. Et pourtant, elle se sentait encore plus mal que la première fois qu'elle avait foulé un champ de bataille. Non par peur, mais par dégoût. Elle était en train de diriger la bataille entre ses deux nations, et c'était un déchirement.
Soudain, un de ses gardes du corps s'effondra, une dague fichée dans la visière de son heaume.
"Que les hommes situés à l'arrière passent par les toits. Il faut faire le ménage au plus vite sinon on ne s'en sortira pas !"
On n'y voyait plus grand-chose. Chacun se battait contre les adversaires à sa portée. L'armée hylienne avançait, péniblement. Chaque mètre gagné était extrêmement coûteux en vies humaines. Lorsque le soleil atteignit son zénith, après une matinée entière de rudes combats, les positions respectives des deux armées n'avaient que peu sensiblement évolué. Par contre, les effectifs fondaient, les rangs se desserraient. Zelda avait perdu la moitié de ses gardes du corps et était de plus en plus souvent contrainte de repousser elle-même ses ennemis. Heureusement qu'une part importante de ses hommes avaient réussi à monter sur les toits, afin de les nettoyer, car elle faisait une cible facile à présent. Contre l'avis des quelques gardes du corps qui lui restait, elle profita d'une brèche qui s'était ouverte dans les rangs pour commencer à courir entre les habitations, dans l'espoir de retrouver Impa et de mettre un terme à ce carnage.
Elle avait beau bien connaître le village, la violence des combats et les cadavres répandus un peu partout jouaient des tours à son sens de l'orientation. Aussi, ses déplacements étaient erratiques, elle privilégiait les endroits les plus accessibles plutôt que les plus logiques. Soudain, le toit d'une ferme qu'elle contournait s'effondra avec un pan du mur. Elle plongea en avant et roula sur elle-même pour éviter de se retrouver ensevelie. Lorsqu'elle se redressa, ses gardes du corps n'étaient plus là, vraisemblablement restés bloqués derrière le tas de gravas qui l'empêchait de rebrousser chemin. Avec leur lourd équipement, ils n'avaient pas réussi à suivre la cadence qu'elle leur avait imposée. Elle ne pouvait pas non plus continuer à avancer trop en avant, car le chemin débouchait sur une des nombreuses cassures de terrain caractéristiques du village, qui l'entraînerait dans une chute d'au moins huit mètres en contrebas.
"Alors princesse, nous t'avons manqué ?"
Sans qu'elle sache comment il était arrivé, un Sheikah s'était dressé devant elle. Il était vêtu d'un long manteau à capuchon rouge grenat, qu'il portait par-dessus l'armure légère classique. Grand, ce tenant droit, il avait la stature charismatique d'un meneur d'hommes. Le genre d'homme à ne souffrir ni du froid, ni du vent, ni de la violence des combats. Il pointait sa lame vers elle en affichant un sourire cruel. Elle aurait reconnu ce regard haineux entre mille.
"Gahnima..."
Voilà qu'elle se retrouvait face à son ennemi intime. Ce rival honnit ressorti de son adolescence en exil. Il avait joué un rôle dans toute cette affaire, elle en était certaine. Le massacre des civils hyliens, l'appel à la guerre... Il n'y avait que lui qui détestât suffisamment les Hyliens. Il n'y avait que lui qui fût capable de communiquer sa haine à la communauté, et de la pousser à de telles extrémités. Était-il l'étincelle qui avait déclenché le feu, ou la bûche qui l'entretenait ? L'éliminer suffirait-il à mettre un terme au conflit ? Elle croisa le fer avec lui, tenant fermement son arme de ses deux mains.
"En t'éliminant princesse, je libérerai mon peuple, ainsi que tous les autres, du joug de l'infâme impérialisme hylien !
- C'est moi qui vais t'éliminer, avant que ton orgueil sans limite ne conduise l'ensemble du peuple sheikah à l'auto-destruction !"
Gahnima frappa le premier. Zelda para son coup, mais il en enchaîna un deuxième avant qu'elle ait pu riposter. Elle se retrouvait déjà en position de faiblesse, subissant les assauts répétés de son adversaire, les parant in extremis sans pouvoir prendre l'initiative.
Elle fit alors une roulade de côté pour sortir de sa zone de garde. Ils étaient maintenant séparés d'environ deux mètres, et s'observaient tout en restant très mobiles sur leurs appuis. On était dans un cas typique d'escrime sheikah, qui privilégiait la vitesse, la souplesse et la technique à la force brute. Ils prirent simultanément l'initiative de l'assaut. Bondissant l'un vers l'autre, leurs larmes s'entrechoquèrent avec fracas, et ils durent mobiliser l'ensemble de leurs muscles pour encaisser l'énorme quantité d'énergie cinétique qui en résulta.
Ils restèrent ainsi au corps-à-corps une vingtaine de secondes. Bien que cette position soit extrêmement gênante pour enchaîner les coups, aucun des deux ne souhaitait s'écarter, au risque d'être frappé pendant l'esquive. Zelda sentait cependant que son adversaire exerçait une plus grande force, et elle peinait à retenir sa lame, la sentant glisser vers elle, lentement mais sûrement. De plus, le grincement des épées était une torture pour les oreilles. Sentant qu'elle risquait de céder, elle s'écarta d'un coup. La surprise déséquilibra Gahnima qui plongea vers l'avant. Elle chercha à profiter de la situation pour lui porter un coup de taille, mais il se retourna avec une dextérité de félin et para son attaque.
Ne se laissant pas démonter, elle avança d'un pas vers lui pour frapper à nouveau, mais il para une nouvelle fois et envoya une riposte qu'elle écarta de justesse. Les attaques se firent de plus en plus incisives de chaque côté. Chacun était animé par la volonté suprême de terrasser son adversaire. La défense était de plus en plus négligée, et les parades étaient toujours réalisées au dernier moment, par des réflexes salvateurs.
Zelda sentait ses bras qui commençaient à brûler. Son coeur résonnait sous son armure. Elle avait la bouche ouverte pour aspirer un maximum d'air. C'était de plus en plus dur, elle sentait son endurance qui fléchissait, mais elle se rassurait en s'imaginant que Gahnima souffrait tout autant. Elle diminua le rythme de ses attaques, se concentrant sur la défense, le temps de retrouver son souffle. Elle se contenta à nouveau de parer les assauts de son adversaire, espérant qu'il y laisse de précieuses forces. Mentalement, elle préparait l'ultime attaque. Celle qui jaillirait, et qui devrait mettre fin au combat. Tournant autour de son adversaire, elle avait le mollet gauche qui frémissait, prêt à se contracter en une fraction de seconde pour la faire décoller. Mais Gahnima semblait inépuisable, il attaquait de façon continue. Cependant, elle remarqua que le temps entre ses assauts était régulier. Il reprenait son souffle, réassurait ses appuis sur le sol enneigé et boueux, et attaquait à nouveau. Aussi choisit-elle de profiter de cet instant, de cette inspiration pour déclencher sa contre-attaque.
Gahnima, surpris par la vitesse de l'assaut, se recroquevilla, et plaça, dans un réflexe de survie, sa jambe en opposition. Concentrée sur son attaque qui visait la tête, Zelda ne remarqua pas assez vite cette jambe qui traînait, et la botte de son adversaire, dont la semelle avait été ferrée et cloutée pour une meilleure stabilité, vint la percuter au foie, enfonçant son armure. Elle eut le souffle coupé. Une vive douleur traversa son corps comme un éclair, ses doigts se tendirent sous le choc, lâchant l'épée. Elle perdit ensuite l'équilibre et termina son saut en roulant et glissant au sol sur plusieurs mètres, parvenant de justesse à s'arrêter avant de tomber dans le vide.
Gahnima mit une bonne seconde à se ressaisir. Voyant que son adversaire était au sol et désarmée, il avança vers elle en préparant le coup de grâce. Dans un ultime réflexe, Zelda saisit la dague qu'elle portait à la ceinture, et la lança en direction de son assaillant. La petite lame vint se loger avec une précision impitoyable dans la carotide du Sheikah.
Il s'arrêta net, choqué, mais au lieu de s'effondrer, il resta droit, quoique parcourut de tremblements, serrant fort la garde de son arme, comme s'il s'accrochait à une branche pour ne pas tomber. Il se savait condamné, mais ne voulait pas partir seul. C'est alors qu'un des gardes du corps parvint à franchir le tas de gravats, et de sa lourde épée, coupa le tronc du Sheikah en deux, de l'épaule gauche à la hanche droite. Il alla ensuite proposer son aide à sa reine, prostrée au sol et couverte de boue, qui se tenait le côté en toussant et crachant.
"Par pitié, ne restez pas ici Ma Reine, vous n'êtes pas à l'abri avec ces foutus projectiles qui peuvent frapper à tout moment.
- Ça va aller, répondit-elle dans un râle, j'ai juste besoin de reprendre mon souffle."
Ils franchirent le tas de gravats en sens inverse, et furent rejoints par les autres gardes du corps. Il était très difficile de repérer la ligne de front, les combats étaient dispersés un peu partout autour. Il y avait encore quelques projectiles qui tombaient, presque aléatoirement, sur le sol ou sur des hommes. Mais on sentait que le nombre de lanceurs de dagues avait fortement diminué.
Zelda était complètement désemparée, elle n'avait aucune idée de l'endroit où se trouvait Impa, elle ne savait même pas si elle était encore en vie. Elle ne savait pas non plus où étaient passés ses différents officiers, et il était donc impossible de donner des ordres. Chaque soldat était livré à lui-même dans une totale anarchie, jouant sa survie à chaque instant. Il ne fallait plus s'attendre à ce que qui ce soit fasse preuve de clémence envers son ennemi. Elle assistait, totalement impuissante, à un déferlement de violence.
Faute de mieux, elle décida d'aller vers l'avant. Circulant entre les cadavres, sursautant quand quelqu'un tombait d'un toit, elle se rapprocha petit à petit d'une zone de combats plus dense. L'armée avait retrouvé une certaine cohérence. Et soudain, elle aperçut celle qu'elle cherchait depuis le début, sa nourrice, Impa.
Les toits désormais sécurisés, les derniers guerriers Sheikahs étaient acculés. Repoussés jusqu'au moulin, qui surplombait le village, ils s'étaient regroupés derrière leur championne, bien décidés à défendre jusqu'au bout leur honneur et leur liberté retrouvée. L'armée royale les encerclait, laissant un rayon d'une trentaine de mètres. Bien qu'ayant subi au moins le double de pertes, ils étaient encore nettement plus nombreux, ce combat avait été inégal depuis le début. Les lanciers pointaient leurs armes sur les derniers survivants, afin de protéger la ligne d'archers, située juste derrière, qui avaient déjà tous une flèche à leur corde. Déjouant une nouvelle fois la vigilance de ses gardes du corps, Zelda passa devant la première ligne, et interpella directement son ancienne nourrice:
"Impa, je t'en prie, cesse cette folie ! Cette guerre n'a aucun sens, et vous n'avez aucune chance. Abandonnez maintenant, et je te jure, sur tout ce que j'ai de plus précieux, que vous ne serez pas poursuivis. Mais par pitié, ne m'oblige pas à être celle qui causera ta perte !"
Les yeux écarlates d'Impa fixèrent la jeune reine avec insistance, pénétrant au plus profond de son coeur. Puis, de sa voix grave et jadis si réconfortante, elle déclara doucement:
"On ne peut plus revenir en arrière Zelda. Notre combat est juste. Malheureusement, ce monde ne l'est pas. Si je me rends, je trahis mon peuple. Nous préférons mourir libres que vivre enchaînés. Je sais que tu as toujours agi en pensant faire le bien, mais hélas, tu t'es fourvoyée. Considère ceci comme la dernière leçon que j'aurai à te transmettre. Un jour viendra où tu la comprendras."
Zelda voulut protester, mais elle ne trouvait pas les mots. De toute façon, elle savait que c'était vain. Impa était, de loin, la personne la plus déterminée qu'elle ait jamais connue. Elle ne revenait jamais sur ses décisions. C'était sans issue.
"Que devenons-nous faire, Votre Majesté ?"
Elle ne se retourna même pas vers son capitaine, préférant garder les yeux rivés vers sa nourrice. Mais, déjà, les derniers Sheikahs couraient vers eux, brandissant leurs sabres et poussant leur dernier cri de guerre.
"Finissons-en...", consentit-elle d'une voix à peine perceptible.
Le capitaine acquiesça, bien que le manque de conviction flagrant dans la voix de sa reine l'embarrassât quelque peu. Il fit un signe du bras, et une volée de flèches s'abattit sur les Sheikahs qui s'effondrèrent au sol. Puis, lanciers et épéistes chargèrent à leur tour pour finir le travail. Malgré tout le courage et toute la volonté des derniers survivants, la vague hylienne les submergea, et l'affaire fut réglée en quelques coups d'estoc. Ainsi prit fin la rébellion des Sheikahs.
Lorsque la garde royale se retira, elle laissa derrière elle un spectacle glaçant. Les corps des guerriers sheikahs étaient figés dans la neige, qui avait été entièrement repeinte en rouge. Impa gisait au milieu d'eux, le corps transpercé de deux flèches. Zelda se précipita sur elle et la prit dans ses bras. Les soulèvements de sa poitrine étaient rapides et irréguliers, signe de ses difficultés à respirer, mais elle vivait encore.
"Ne fais pas de mouvements inutiles, je vais t'envoyer nos meilleurs médecins, ils réussiront à te sauver !"
Impa afficha un timide sourire. Elle caressa délicatement la joue de la princesse, sur laquelle se mélangeaient la sueur, le sang et les larmes. Puis, d'une voix épuisée, mais de laquelle avait disparue toute hostilité, elle répondit:
"Ne sois pas ridicule ma belle, tu vois bien que c'est la fin...
- Non, je t'en supplie, accroche-toi ! On reconstruira ce monde ensemble, un monde meilleur, je te le jure !
- Zelda... Mon esprit quitte déjà mon corps... Je suis tombée... face à une adversaire valeureuse... Je suis fière... fière de ce que tu es devenue Princesse... J'espère... que tu comprendras...
- Impa... Impa !"
Elle la secouait, cherchant désespérément à la faire réagir. Mais déjà, les iris écarlates de la guerrière avaient viré au bordeaux, un filet de sang s'échappait des commissures de ses lèvres, et sa respiration avait cessé.
Par pudeur, les soldats s'éloignèrent des deux femmes, afin de ne pas s'immiscer dans leurs adieux. De toute façon, ils avaient encore du travail. Les corps, que la neige commençait déjà à recouvrir, devaient être évacués au plus vite pour éviter les épidémies. Après tout, le village venait d'être réintégré au royaume d'Hyrule. Le vent glacial de l'hiver transportait jusque dans la plaine l'odeur du sang versé et les hurlements de détresse de la reine.
Elle resta un long moment ainsi, serrant dans ses bras la dépouille de sa nourrice. Elle ne sentait ni la morsure du froid sur sa peau, ni la fatigue de ses muscles. Elle ne voyait plus les minutes passer, et n'était même plus consciente d'être reine. Son esprit s'était pudiquement éloigné, afin de laisser l'enfant orpheline faire son deuil. Puis il revint, lentement, discrètement, reprendre sa place. Zelda caressa alors le visage d'Impa, afin de fermer ses paupières. Ce feu, qui l'avait toujours réchauffée et éclairée, s'était éteint. Mais elle continuerait, seule, elle affronterait le froid et les ténèbres.
"C'est si cruel de me laisse vivre sans toi..."
FIN
Ce texte a été proposé au "Palais de Zelda" par son auteur, "Anthaus". Les droits d'auteur (copyright) lui appartiennent.