La course du Temps
Horreur.
Souffrance.
Douleur.
Tels étaient les mots qui caractérisaient son état d'esprit.
Il y avait un homme, debout au milieu de rien. Sa silhouette était maigre, rachitique, comme s'il n'avait rien mangé depuis des jours et qu'il ne lui restait que la peau sur les os. Son teint était d'une pâleur inquiétante, presque fantomatique. Ses yeux rouges étaient creusés de cernes immenses, et son allure était celle d'une personne malade. Son visage était camouflé par une capuche sombre, couleur de nuit et couleur de sang. Elle tombait sur ses épaules, masquait le reste de son corps à peine recouvert de vêtements qui n'étaient que lambeaux. Lambeaux de poussière, lambeaux de chair. Du peu que l'on distinguait de son expression, on y voyait de la détresse. Une détresse silencieuse, une lutte muette contre un ennemi invisible. L'homme tentait de tenir le cap, de rester debout. De ne pas s'effondrer au moindre pas, malgré la douleur qui irradiait son corps chaque fois qu'il mettait un pied devant l'autre. Où était-il ? Que faisait-il ? Qui était-il ? Que voulait-il ?
Il ne savait pas.
Ses mains tâtaient le vide comme s'il cherchait à agripper quelque chose d'insaisissable. Le vent serpentait entre ses doigts, venait lui gifler les joues et chaque coup était une douleur de plus à supporter, à encaisser pour ne pas chuter. On aurait cru qu'il cherchait ses repères. Parfois, il clignait des paupières comme s'il cherchait à accommoder ses yeux à la lumière. Mais quelle lumière ? Tout était sombre autour de lui. Il distinguait à peine les formes, les ombres. Était-il dans la nuit ou dans le noir ? Y'avait-il des arbres, des montagnes, des dunes ? Était-il perdu au coeur d'une forêt ou avalé par un immense désert de sable ? Y'avait-il de la chaleur, faisait-il froid ?
Il ne savait pas.
Il savait juste qu'il errait. Seul. Seul, sans personne sur qui compter, sans aucune chose sur laquelle s'appuyer. Est-ce que ça avait de l'importance pour lui ? Il ne savait pas. Il ne savait rien et il savait tout à la fois. Il savait qu'on allait bientôt le trouver et le sortir de là, qu'on le nourrirait, qu'on soignerait ses blessures. Il savait qu'on allait lui donner de l'importance, en bien comme en mal, ça il n'en avait aucune idée. Et il savait qu'un jour ou l'autre on le verrait, on le reconnaîtrait et on l'admirerait, ou alors on le craindrait. Deviendrait-il un héros ? Un destructeur ? Ça non plus, il n'en avait aucune idée. C'était comme des images éphémères qui envahissaient son esprit et mourraient dans ses pensées, en une fraction de seconde, sans qu'il ne puisse les mémoriser et pourtant, il comprenait leur impact. Il comprenait leur sens. Il savait ce que cela signifiait. Qu'est-ce qu'il cherchait, en avançant dans le noir ? La vérité derrière ces images. Un appui sur lequel se reposer. Un soutien, un tout, quelque chose pour le guider et l'empêcher de s'effondrer.
Peine.
Détresse.
Regret.
Tant de sentiments qui naissaient à mesure qu'il avançait.
Il avait l'impression qu'il reprenait forme, que sa conscience lui revenait. Elle n'effaçait pas la douleur, mais elle lui permettait de comprendre ce qu'il était. Il savait qu'il avait un but. Et que l'avenir de toute chose dépendait de sa réussite ou de son échec. Et il ne savait pas en quoi croire. Mais quelque chose en lui répétait : "en qui d'autre peux-tu croire, sinon toi-même ? Tu es le seul sur qui tu peux compter, le seul en qui tu peux avoir confiance". Et ces mots tournaient dans son esprit comme une boucle infinie. Et il continuait de marcher, seul face à sa douleur et au poids de ses maux bien trop lourds à porter. Seule, sa bouche s'ouvrait pour crier, mais aucun mot n'en sortait. Que voulait-il crier ? Qui voulait-il appeler à l'aide ? Qui viendrait l'aider ?
Il ne savait pas.
Des larmes roulaient sur ses joues, faites de toute émotion : haine, peur, souffrance, et bien d'autres qu'il n'aurait su définir. Il savait juste qu'elles étaient là, cachées au fond de son maigre coeur qu'elles tentaient de torturer un peu plus à chaque pas. Pourtant, au bout de ce long tunnel d'incompréhension et d'incertitude, il lui sembla voir sa vision floue s'éclaircir. Devenir plus nette, balayant toutes les anomalies. Les formes se définissaient, les sons se précisaient. Il y avait la matière, la lumière. Cette lumière qu'il avait tant cherchée, cette lumière pour laquelle il avait tant lutté, cette lumière qu'il avait pourchassée. On aurait dit que des mains bienveillantes se refermaient sur lui, l'accueillaient, le rassuraient. Il ressentit la chaleur, la douceur, l'impression d'être protégé. On aurait dit que la douleur disparaissait, que la tempête en lui s'apaisait. Il se sentait calmé, le coeur envahi de sérénité. Il y avait la paix et le soleil après la haine et la pluie.
Il reprenait vie.
Surplombée d'un soleil radieux et d'un ciel sans nuages, la citadelle d'Hyrule n'avait jamais été aussi belle. Il n'y avait pas une seule rue qui soit vide de monde. Toutes les maisons, les tavernes et les boutiques étaient décorées de mille banderoles aux couleurs vives et joyeuses. Une entraînante musique remplissait l'air d'une gaieté immense, tourbillonnant continuellement, et guidant la foule dans le moindre de ses pas. Aujourd'hui, Hyrule fêtait ses cent années de paix. Une paix complète, que rien n'avait dérangé jusque-là, pas même le moindre petit conflit. Fini le règne du mal que contaient les légendes. Fini l'oppression et la peur. Ils étaient en sécurité. Le roi d'Hyrule veillait sur eux, et son fils n'était autre que le descendant de Zelda, la légendaire princesse détentrice de la Triforce de la sagesse. Avec un roi aussi sage et aussi droit, et un prince aussi vaillant et dévoué, Hyrule ne craignait rien. Et pour cette occasion, la citadelle qui bordait le château d'Hyrule était plus vivante que jamais. Une fête était organisée en l'honneur des déesses, durant plusieurs jours. Les habitants jouaient, festoyaient... Durant ces journées, chaque recoin de la ville prenait vie de n'importe quelle manière. On fêtait également le règne du roi et l'anniversaire du prince, qui était né le jour de cette fête de la paix. Ce jour-là était un peu spécial et les habitants n'en demeuraient pas moins enthousiastes. Le prince, parti depuis plusieurs jours en expédition dans le désert avec une partie de l'armée, allait faire son retour aujourd'hui même. Les citadins l'attendaient, prêts à l'acclamer. Ce jeune homme était devenu un véritable modèle, sans cesse vanté pour ses capacités. Tout Hyrule plaçait ses espoirs en lui. Il était le seul descendant d'un des personnages légendaires acclamés par les légendes à être connu. Le seul qu'on savait en vie. Beaucoup cherchaient le héros détenteur de la Triforce du courage, espérant qu'un jour il se montrerait, venant siéger aux côtés du prince.
Gabriel peina tant à se frayer un chemin à l'intérieur de la citadelle qu'il dut descendre de cheval. Quand les citadins l'avaient aperçu qui arrivait, ils furent vite déçus de voir qu'il ne s'agissait que de lui. Il avait beau être le guérisseur qui s'occupait souvent d'eux, en ce jour ils n'avaient d'yeux que pour le prince. Il ne put qu'avoir un soupir de déception, tandis qu'il avançait en marchant, les sabots de son cheval claquant contre les dalles de pierres de la citadelle. Gabriel attirait toujours les regards des curieux, car il avait une apparence peu commune pour ceux qui vivaient dans cette ville immense. Ses cheveux d'un blond très clair étaient incroyablement longs, souvent retenus vers le bas par un bandage de fortune pour éviter qu'ils ne le gênent dans ses mouvements. Il avait de petits yeux dans lesquels brillait une douce lueur mauve, et un éclat bleu nuit y miroitait parfois. Son visage était fin et ses oreilles pointues, caractéristiques des Hyliens. Mais c'était surtout sa tenue qui attirait le plus les regards. Il portait une sorte de kimono et un ample pantalon de tissu presque trop grand pour lui aux couleurs pâles, ainsi qu'une sacoche autour de la taille où il rassemblait son matériel qui servait à ses soins. Et par-dessus tout... il était pieds nus. Peu importe où il allait, il était rare que Gabriel porte des chaussures. C'était une habitude qu'il avait. Il se sentait mieux lorsqu'il n'en portait pas. Ça l'avait toujours gêné, perturbé. Il aimait se sentir le plus libre possible de ses mouvements, et le contact avec le sol qu'il soit chaud ou froid ne lui avait jamais causé le moindre problème.
Il éprouva tellement de mal à avancer au coeur de la foule qui se faisait de plus en plus abondante qu'il dût laisser son cheval à l'écurie d'une taverne qu'il avait l'habitude de fréquenter. Le blondinet était originaire de Cocorico, un petit village au coeur d'Ordinn et fondé par un peuple ancien, les Sheikah. Un petit hameau prospère, à l'écart de tout, en communion avec la nature même. Le peuple fondateur avait complètement disparu de la surface d'Hyrule, et les habitants de Cocorico en étaient les derniers survivants. Chaque habitant de Cocorico différait en tout point des habitants de la citadelle. Ils étaient proches de la faune comme de la flore, et certains d'entre eux étaient de grands guérisseurs qui n'hésitaient pas à mettre leurs services à profit des autres peuples. Les moines et prêtres du village faisaient souvent des offrandes aux déesses et certains d'entre eux apprenaient à se battre afin d'assurer la protection du village. Si Cocorico et son peuple restaient tant en retrait des autres, c'était parce que les Sheikah avaient pendant un temps entretenu de difficiles relations avec la famille royale. À cause d'un conflit qui éclata entre eux, la majorité des Sheikah disparut et les derniers durent fuir. Désormais, même si les relations envers la famille royale s'étaient apaisées, Cocorico restait en retrait des Hyliens, évitant de déclarer son existence au grand jour. Les Sheikah redevinrent petit à petit un peuple de l'ombre, dont l'existence était réduite à l'état de rumeurs et de légendes. Gabriel était l'unique Sheikah qui se déplaçait jusqu'à la citadelle d'Hyrule. Il y exerçait ses talents de guérisseur mais... il était aussi l'ami d'enfance du prince. C'était la seule raison pour laquelle, dans son village, on autorisait Gabriel à se rendre jusqu'ici. Si on se méfiait de la famille royale, on croyait en la bonté du prince.
Le blondinet se sentait assez mal à l'aise. Il n'avait jamais aimé les endroits envahis par la population. Il en était presque à longer les murs pour éviter qu'on lui marche sur les pieds. Et au cas où cela arrivait, on lui envoyait une volée de reproches en lui faisant comprendre que les pieds étaient faits pour porter des chaussures. La plupart des citadins ne regardaient pas où ils marchaient, se bousculaient, et les exclamations de la foule étaient si fortes qu'elles en couvraient parfois la musique jouée par les troubadours. Dans sa tête, le jeune homme se répétait à quel point il préférait le calme et la tranquillité de la nature au vacarme assourdissant des villes. Le brouhaha incessant lui donnait mal à la tête. Lui qui prévoyait de passer quelques jours ici, rien ne garantissait qu'il en ressorte indemne... bien sûr qu'il voulait voir le prince et qu'il venait en partie pour ça. C'était son ami d'enfance et il avait une certaine importance à ses yeux malgré tout ce qui les opposait : leur milieu social, leurs obligations... Mais Gabriel se plaignait beaucoup, parfois. Faire le déplacement de Cocorico jusqu'à la citadelle prenait plus d'une demi-journée et le voyage avait tendance à beaucoup l'épuiser. Le prince ne pouvait pas se déplacer, il le comprenait. Cela n'empêchait pas que parfois, le blondinet trouvait que son ami exagérait un peu trop. Il se sentait en même temps si proche et si loin de lui à cause de leurs différences. Il avait parfois du mal à l'accepter et se faisait constamment passer pour un inconnu lorsque le prince rencontrait le peuple. Qui voudrait d'un ami aussi atypique ? Les habitants de la citadelle se révolteraient sans doute à l'idée de savoir que l'héritier du royaume comptait parmi ses proches une personne aussi étrange que lui, eux qui luttaient déjà corps et âme pour l'approcher. Alors il ne s'imposait pas, peu importe combien cela attristait son ami. Il ne voulait pas être un poids pour lui. Gabriel était de ceux qui se souciaient beaucoup de la pensée des gens. Il s'interrogeait sans cesse sur ce que pouvait ressentir la personne en face de lui, et des regards un peu trop désapprobateurs lui faisaient se poser beaucoup de questions, en plus de contribuer à le faire se sentir mal à l'aise.
Mais la priorité du blondinet qui avait causé sa venue à la citadelle en ce jour de fête n'était ni le prince, ni la célébration. Tandis qu'il progressait au coeur des rues, il cherchait à gagner une petite ruelle plus calme, éloignée du centre de la ville. Là au moins, il était certain qu'on ne viendrait pas le bloquer dans sa progression. Déjà, il se sentit bien mieux lorsqu'il parvint à s'extirper du surplus de personnes qui bondaient les rues. Il avait eu la sensation d'être oppressé, écrasé, de pouvoir à peine respirer et avancer. Il se mit à trottiner légèrement, un air presque affolé sur le visage. Il cherchait véritablement à s'éloigner. Non pas qu'il n'aimait pas les fêtes, mais son peuple avait des manières bien différentes de fêter d'importants événements et souvent, cela n'impliquait pas autant de monde. Les quelques marchands devant lesquels Gabriel passait tentaient de lui vendre quelques-unes de leurs possessions, mais le jeune guérisseur n'accepta qu'une pomme. Il n'était pas un grand amateur de babioles brillantes en tout genre, et tout ce dont il avait besoin, c'était de manger quelque chose. Inutile de préciser qu'il n'avait pas assez de rubis pour se permettre de faire d'énormes dépenses, alors si elles ne lui apportaient rien...
Comme pressé, il s'arrêta à peine. Les rues dans lesquelles il s'était engouffré s'éloignant du centre de la citadelle, elles étaient bien moins peuplées et cela suffisait à le soulager. Il tenait sa petite sacoche de tissu contre lui, sacoche dans laquelle il avait rangé tout son matériel de soins, comprenant herbes, bandages, remèdes naturels... Haletant, il finit par stopper sa course devant une petite maison située en coin de rue. Soucieux, il prit le temps de l'observer afin de s'assurer que sa précipitation ne l'avait pas trompé. Il prit une grande inspiration et finit par frapper. Au départ, rien. Il douta réellement de l'orientation qu'il avait prise, mais fit l'effort d'attendre. Il ne se risqua pas non plus à taper du pied pour passer le temps, de peur que les dalles trop dures et rêches ne l'écorchent. Inquiet, il frappa de nouveau. Toujours rien. Alors il patientait. Puis un déclic. La poignée tourna lentement, et dans l'entrebâillement de la porte, le jeune homme put apercevoir un visage lui faire face. Une femme, âgée d'une trentaine d'années, détaillait Gabriel en plissant les yeux. Sans doute les rayons du soleil l'éblouissait-elle. Un sourire chaleureux se dessina sur les lèvres du guérisseur, provoquant la même réaction chez la femme qui s'empressa de lui ouvrir la porte.
- Gabriel ! fit-elle avec une voix mêlée d'enthousiasme et de surprise. Je ne m'attendais pas à te voir ici un tel jour, tu n'aimes pas vraiment ce genre de grandes fêtes habituellement... entre !
Le jeune homme avança doucement à l'intérieur de la pièce, sans véritable hésitation. Lorsque la propriétaire de la maison referma la porte, ils furent absorbés par la pénombre et une fraîcheur indescriptible les entoura. Un frisson parcourut tout le corps de Gabriel qui ne put que soupirer de soulagement, libéré de l'air chaud et lourd de la ville.
- Je t'avais dit que je reviendrais d'ici quelques jours, et pour être honnête je ne pensais pas que les rues seraient aussi... remplies de monde, déclara-t-il, son sourire devenant un peu gêné alors qu'il passait une main à l'arrière de sa tête.
La coïncidence avait également fait que le prince revenait de mission aujourd'hui, le jour de la Paix. Alors que Gabriel avait quitté la citadelle il y a plus d'une semaine de cela, le prince et une petite partie de l'armée étaient partis en expédition dans le Désert Gerudo, où un membre de ce peuple leur avait signalé quelque chose d'étrange. Rien de bien grave, tout le monde se disait. Si le prince ne s'en inquiétait pas, le blondinet, lui, n'avait pas pu s'empêcher d'être intrigué. À quelques jours seulement du centenaire de la paix, voilà qu'une étrange activité pour le moment inconnue avait été signalée au coeur même du Désert Gerudo. Malgré la curiosité débordante du jeune Sheikah, il n'avait rien dit, rien fait. Ce n'était pas son problème. Il n'avait pas le droit de s'en mêler. Il était un guérisseur, pas un guerrier.
- Comment... comment va Solie ? enchaîna-t-il, l'air soudain anxieux lorsqu'il s'extirpa de ses pensées.
La femme sursauta, puis adressa un sourire plus que ravi à son interlocuteur. Son regard suffit à l'apaiser.
- Elle est toujours malade, mais elle va bien mieux que lors de ta dernière visite, avant que tu ne t'occupes d'elle, le rassura la femme.
- Cela me soulage beaucoup de le savoir. Son état de santé était tellement préoccupant... Pour tout t'avouer, je craignais sincèrement que le temps soit compté pour elle.
En disant cela, le blondinet avait néanmoins baissé la tête, légèrement gêné. La citoyenne posa une main sur son épaule.
- Ne t'en fais pas. Elle va bien, grâce à toi. Ses jours ne sont plus en danger. Je ne suis pas guérisseuse, mais pour avoir veillé sur elle depuis ton départ, je peux te l'assurer. Il lui faudra sans doute un moment avant d'être complètement remise, mais tu as déjà fait beaucoup.
Il rougit. La gêne devenait de plus en plus grande. Il allait dire que c'était normal, que c'était son rôle de guérisseur et qu'il n'avait pas fait grand-chose... il sous-estimait tellement ses capacités que le moindre compliment lui faisait perdre tous ses moyens.
- Je n'ai jamais vu des remèdes d'une efficacité pareille... murmura son interlocutrice, semblant cheminer dans ses pensées. Cela fait deux jours que Solie me disait à quel point elle avait hâte de te revoir. Elle a retrouvé la forme et se remet même à marcher de nouveau !
Le visage de la brune s'illuminait, et face à ces nouvelles, le blondinet ne put que sourire. Solie, c'était une enfant zora qu'il avait retrouvée blessée et inconsciente sur la route de la citadelle. Sans réfléchir, il l'avait emportée avec lui et s'était empressé de la conduire ici, dans cette petite maison dont il connaissait bien les propriétaires. Hors de question de la conduire à Cocorico. Sa vie avait été bien trop en danger. Les premières semaines, elle n'avait cessé de dormir, frôlant parfois la mort. Elle n'avait tenu que grâce aux remèdes et anti-douleurs que lui transmettait le jeune homme, et aux bandages qu'il refaisait continuellement. Il avait dû passer une semaine entière à la citadelle pour s'assurer de traiter correctement la petite. Puisque avec son état, il ne pouvait pas la transporter jusqu'à son village, il était revenu régulièrement la voir. Elle s'était réveillée et semblait reprendre de l'énergie, jusqu'à s'évanouir brusquement devant Gabriel. Il s'était rendu compte qu'elle avait attrapé une maladie due à l'infection et la fatigue, et qu'elle pouvait devenir mortelle si elle n'était pas vite traitée. Le guérisseur avait consacré une nuit complète à la préparation de son remède. Chaque pas qu'il faisait, il l'avait fait en tremblant. À ce moment-là, il avait fait preuve d'une concentration sans faille, rongé par la peur de commettre la moindre erreur. À ses yeux, chaque vie était précieuse et ne méritait pas la mort si elle n'était coupable de rien. Alors en sachant la vie d'une enfant entre ses mains... il devait faire de son mieux. Il n'avait pas le choix. C'est après cela qu'il avait commencé à se demander pourquoi une enfant zora s'était-elle retrouvée abandonnée loin de son territoire. Lorsqu'il avait parcouru la forêt alentour, il lui avait semblé voir des traces de lutte, de bataille, presque effacées par les semaines. Avec le proche départ du prince, il n'avait pas pu s'empêcher de faire le rapprochement avec ce que son ami lui avait raconté : Une voyageuse gerudo avait rapporté d'étranges phénomènes dans le désert, que le prince avait refusé de lui dévoiler. Il avait beau être son meilleur ami, cela ne lui accordait pas tous les privilèges.
Gabriel était sûr du fonctionnement de sa confection, mais jamais il n'aurait cru qu'elle agirait aussi bien. En réalité, tout ce qu'il avait espéré, c'est que sa préparation soit suffisamment efficace pour éradiquer la maladie, mais pas au point de permettre à Solie de se réveiller aussi tôt. Il ne savait pas quoi en penser. À ses yeux, c'était sans doute un miracle. Guérir était tout ce qu'il savait faire et il ne pensait même pas avoir les capacités nécessaires pour proposer ses services dans tout Hyrule. Il ne savait pas se battre ni même se défendre, et physiquement, il était extrêmement fragile. Il avait honte de lui-même et doutait cruellement de ses capacités. Il ne pouvait pas s'empêcher de se dire que tout ceci était dû à la chance, et qu'une chose pareille ne se reproduirait sans doute pas de sitôt... Son souhait le plus cher était de pouvoir aider les autres en les guérissant, parce qu'il était incapable de protéger qui que ce soit d'une autre manière et il en avait terriblement honte. Alors il mettait énormément d'efforts dans ce qu'il accomplissait. Il ne s'était même pas rendu compte d'à quel point il avait progressé.
- Tu veux la voir ? fit la voix de la femme, sortant le blondinet de sa torpeur. Je suis sûre qu'elle en serait ravie. Tu es venu pour ça n'est-ce pas ? Et puis, tu as sans doute d'autres soins à lui administrer.
Gabriel hocha la tête.
- Je vais me contenter de l'examiner... Je ne pensais pas qu'elle se serait réveillée donc j'avais préparé le nécessaire pour l'aider à se rétablir, mais maintenant les traitements que je lui apporterai dépendront de son état.
La femme à la chevelure brune tressée acquiesça, prête à le conduire jusqu'à la chambre de Solie, avant de baisser les yeux vers la main de Gabriel. La main qu'elle observait d'un oeil inquiet était recouverte d'un bandage qui en entourait l'intégralité, allant du poignet jusqu'au bout des doigts. Un bandage immaculé qui malgré tout paraissait tracasser la femme.
- Gabriel, ta blessure va bien ? Tu as beau ne me l'avoir jamais montrée, savoir son ampleur m'inquiète surtout depuis que tu m'as raconté ce qui t'était arrivé. Je ne peux pas m'empêcher de me poser des questions alors que tout paraît aller bien...
A cet instant, le blondinet tourna la tête, cherchant à éviter le regard insistant de son interlocutrice. Il portait ce bandage depuis tant de temps que la cicatrice qu'il cachait était devenue un mystère. Même son peuple, hormis le chef du village, ignorait de quoi il s'agissait. Pourtant, Gabriel refusait de le révéler à qui que ce soit. Il ne cessait de répéter qu'elle était trop humiliante.
- To... tout va bien. Tu sais, c'est une vieille blessure et j'y fais bien attention. Ça ne craint rien.
Elle lui adressa un sourire désolé, n'ajoutant rien de plus. Doucement, le blondinet poussa la petite porte de bois bien entretenue, qui s'ouvrit dans un léger grincement. La lumière du soleil s'infiltrait par les fenêtres, baignant la pièce d'une douce lumière atténuée par l'ombre des bâtiments extérieurs. La chambre était modeste, ne comptant qu'une petite commode sur laquelle trônait une bassine d'eau. Une chaise rapiécée se trouvait de l'autre côté du lit, supportant des livres d'une épaisseur assez surprenante. Quand Gabriel s'engouffra dans l'entrebâillement de la porte, la petite silhouette allongée sur le lit se redressa. Son regard songeur et perdu fut vite balayé par une expression de joie grandissant dans ses yeux. Elle adressa de grands signes de ses mains palmées en direction du visiteur. Son visage s'apaisa et un sourire sincère et chaleureux vint étirer ses lèvres.
- Bonjour Solie. Je suis ravi de voir que tu vas mieux.
Même s'il ne la connaissait pas beaucoup, il n'avait pas les mots pour dire à quel point il était rassuré qu'elle soit en vie, et considérait cela comme une bénédiction des déesses. Il n'avait jamais eu à s'occuper de cas aussi graves que le sien, il avait du mal à croire qu'il ait pu accomplir un tel exploit dès le départ. Si une enfant était morte par sa faute, il ne se le serait jamais pardonné. Cette pauvre fillette se trouvait maintenant très loin de sa famille, seule et au coeur d'un endroit où elle ne possédait aucun repère. Et rien ne garantissait que ses proches avaient survécu à l'attaque supposée. Sur la route de la citadelle, il avait traversé un chemin éventré par les traces d'une bataille. Il n'avait pas vu le moindre corps, mais il n'était pas difficile de penser qu'on avait pu les cacher. Bien sûr que tout ça l'inquiétait. Il retrouvait une Zora blessée loin de son domaine, puis une Gerudo signalait d'étranges faits dans le désert nécessitant l'intervention de l'armée d'Hyrule. Autant de points qui le préoccupaient, bien que le deuxième titillait particulièrement son inquiétude. Les Gerudos étaient des guerrières, elles savaient se défendre ! Que pouvait-il y avoir de si important pour appeler l'armée d'Hyrule, là où habituellement elles réglaient leurs problèmes seules ? Le blondinet s'impatientait et s'agaçait à l'idée de ne rien savoir. Il voulait poser la question à son ami au retour de ce dernier, et tant pis s'il refusait. Après avoir vu l'enfant, Gabriel était déterminé à lui tenir tête, comme il savait parfois le faire.
La petite Solie était une Zora aux écailles colorées d'un beau bleu foncé. Une couleur assez commune chez les Zora, mais que Gabriel ne pouvait pas s'empêcher de trouver belle. C'était un jeune homme très ouvert, qui s'intéressait beaucoup à la culture des autres peuples plutôt qu'à celle des Hyliens. Il n'était pas rare de le voir s'approcher d'un Piaf, d'un Zora, d'un Goron ou d'une Gerudo voyageuse s'il en croisait, et de lui poser toutes sortes de questions. Avec ses obligations de guérisseur et l'amitié qui le liait au prince, il ne pouvait pas se permettre de voyager dans des contrées plus éloignées, d'autant plus qu'il ne savait pas se battre. Alors il essayait d'en savoir le plus possible. Il était extrêmement curieux et intéressé, pouvant être fasciné par de toutes petites choses que les autres races considéreraient comme anodines. Ce n'était pas vraiment le genre de personnes pouvant inspirer la crainte, bien au contraire. Sa naïveté avait quelque chose de très attachant, même s'il était conscient que cela pouvait lui nuire. Avec sa maladresse légendaire, il n'était pas rare que certains de ses proches s'inquiètent en le voyant partir. La médecine était bien la seule chose où il ne faisait pas d'erreurs.
Sa longue chevelure de blé balayant l'air, il vint prendre place sur le bord du lit, à côté de l'enfant qui l'observait avec un air ravi. Elle ne disait rien, mais sa reconnaissance se percevait à travers son regard. Elle n'aurait pas besoin de parler pour le lui faire savoir. Il mourrait d'envie de la questionner à propos de ce qu'il s'était passé avant son accident, mais se doutait bien qu'elle aurait du mal à s'en souvenir clairement tant qu'elle ne serait pas guérie complètement. Au lieu de cela, il se contenta de discuter avec elle. Toute heureuse, elle lui expliqua que son hôte lui avait rapporté deux livres contant l'histoire d'Hyrule et des héros à travers les âges. Elle semblait absorbée, fascinée par ce qu'elle avait lu. Elle évoqua toute son admiration pour ce qu'avaient fait les héros jusqu'à présent. Gabriel ne pouvait s'empêcher de voir les côtés sombres de la famille royale, le conflit qui les avait opposés aux Sheikah, son peuple, dont les descendants avaient presque tous disparu. Qui sait de quoi ils étaient capables ? Si Gabriel cherchait le bon en toute personne, il devait également reconnaître que chaque être possédait une part de mal en lui. Il partageait à l'égard de la famille royale la méfiance de son peuple, atténuée par la présence du prince à ses côtés.
Alors qu'elle se perdait dans ses récits, Solie finit par attraper la main de Gabriel. Surpris, il la regarda droit dans les yeux, se demandant ce qu'il se passait. Elle semblait soucieuse. Allait-elle évoquer sa famille, son passé ? Allait-elle demander ce qu'elle faisait là ? La conversation qu'ils avaient eue quelques jours plus tôt n'avait mené à rien, la mémoire de la Zora demeurait floue. Peut-être était-ce revenu, d'un seul coup ?
- Dis Gabriel... tu crois que le héros de légende va revenir lui aussi ? On a déjà le prince qui nous protège, mais ça serait encore mieux si le héros était là... et puis il connaissait mes ancêtres alors moi aussi, je voudrais pouvoir le connaître.
Elle baissa la tête, devenant presque triste. Le coeur de Gabriel se serra. Voir cette petite au départ si heureuse s'inquiéter tout à coup le chamboulait. Est-ce qu'inconsciemment, toute sa tristesse et sa peur causées par le fait d'être seule surgissaient ?
- Si un jour... le mal revenait chasser la paix d'Hyrule, on serait pas vraiment protégés tant que le héros ne sera pas avec le prince. J'ai lu que la princesse et le héros se complétaient et avaient besoin l'un de l'autre pour vaincre le mal. Il reviendra, hein Gabriel ?
Sans réfléchir, il passa son bras autour de l'épaule de l'enfant et la serra contre lui. L'évocation du héros disparu semblait le bouleverser, lui fendre le coeur. Tout le peuple clamait, criait qu'ils voulaient leur héros, que ce dernier devait se tenir aux côtés du prince. D'autres étaient même sûrs qu'il était là. Ils le disaient lâche de ne pas se montrer devant le peuple, peu importe que la paix soit menacée ou non. Ils avaient leur prince, mais ils voulaient leur héros. Ils avaient déjà beaucoup de choses, mais se montraient incapables de s'en contenter. Comme s'il leur en fallait plus pour se sentir réellement en sécurité.
- Il... il reviendra, Solie, ne t'en fais pas, lui murmura Gabriel alors qu'elle fermait les yeux. Mais pour le moment, le peuple n'a pas besoin de lui, ils ont déjà... ils ont déjà le prince. Et crois-moi, même avec seulement lui comme descendant des légendes, nous sommes bien en sécurité. Il se bat pour nous, pour nous assurer une paix complète et certaine et il est fidèle au peuple d'Hyrule ! Et puis tu sais, son père dirige le royaume d'une main de fer et il n'y a pas plus dévoué que lui pour servir notre royaume ! C'est un homme vaillant, et ça, le héros en a conscience. C'est pour cela qu'il ne se montre pas. Le peuple ne le comprend pas... Mais toi, tu le comprends, n'est-ce pas ?
Elle hocha la tête, avant de porter sur lui un regard inquisiteur.
- Tu as l'air de savoir beaucoup de choses sur tout ça. Tu parles même comme si tu connaissais le prince !
Il écarquilla les yeux et se mit à rougir, se dépêchant de nier en secouant frénétiquement la tête. Même à une enfant, il refusait de dire qu'il était un proche ami du prince. Leurs différences étaient trop grandes pour qu'il puisse se le permettre. Quant à ses connaissances, sa curiosité l'avait poussé à apprendre beaucoup de choses. Il avait lu énormément de livres et avait fait ses propres recherches.
- C'est juste que... je le suppose, en voyant comment le peuple l'admire. Je l'admire aussi tu sais ! Et je suis certain que j'ai raison en ce qui concerne le héros de l'épée.
Voyant sa réaction, elle ne put s'empêcher de lui adresser un sourire taquin auquel il répondit par un rire nerveux. Elle n'avait pas relevé que certains de ses propos sonnaient faux. Solie tomba de fatigue quelques minutes plus tard. Elle avait beau aller mieux, elle avait tout de même besoin de sommeil. Le jeune homme rassura l'hôte de la fillette en lui promettant qu'il restait à la citadelle pour plusieurs jours, et qu'il viendrait se renseigner sur l'état de santé de Solie chaque matin. Une fois guérie, il ignorait ce qu'il devrait faire. Peut-être pourrait-il la ramener à son peuple, mais comment ? Il préféra ne pas y réfléchir. Pour le moment, elle était ici et le plus important était de veiller sur sa santé.
Gabriel quitta la petite maison en soufflant. L'air lourd vint lui gifler le visage. La rue était déserte et les rayons du soleil s'étaient atténués. Il observa curieusement le ciel, constatant que les nuages recouvraient peu à peu l'étendue bleutée qui lui avait fait face quelques instants plus tôt. Le milieu de l'après-midi approchait. Au loin, le château d'Hyrule se dressait, surplombant et dominant la citadelle de son imposante masse de marbre, dans toute sa splendeur. Gabriel avait beau s'y être déjà rendu de par son amitié avec le prince, il ne pouvait s'empêcher d'être intimidé par cet endroit. Ce n'était pas son milieu de vie, il se sentait toujours mal à l'aise dans ce genre de lieu. Le blond reprit alors sa route, destiné à errer dans les rues sans véritable but. Il logerait dans une taverne, puisque son amie ne pouvait pas le loger. Ce n'était pas plus mal. Au moins, il pourrait rester proche de son cheval et être sûr que l'on s'occupe bien de lui.
L'inquiétude et la curiosité rongèrent simultanément le Sheikah lorsqu'il constata que partout où il se rendait loin de la place, il n'y avait personne. Pourquoi les rues étaient-elles vides, tout d'un coup, elles qui plus tôt regorgeaient de monde ? Il scruta avec attention les bâtiments, les alentours, mais ne trouva rien de suspect. Peut-être le prince était-il de retour, tout simplement. Mais.... si tout se passait bien, les trompettes auraient déjà sonné son arrivée ! Soucieux, il commença à emprunter le chemin de retour en marchant d'un pas pressé. Deux citadines passèrent à proximité en courant. Elles paraissaient terrifiées. Et leur regard intrigua le blondinet. Elles s'arrêtèrent un instant alors que le jeune homme se rapprochait, et il put entendre des bribes de leur conversation. Les mots "terrible", "danger" et "inconnu" montèrent à ses oreilles. Alors qu'elles reprenaient leur route, il attrapa doucement le bras de la plus proche et les regarda dans les yeux. S'apprêtant à se débattre, elles virent néanmoins que Gabriel tentait de les rassurer et réalisèrent qu'il voulait sans doute les questionner. En se calmant, la première tortillait ses cheveux roux entre ses doigts tandis que l'autre tremblait.
- Que se passe-t-il ? Vous avez l'air paniquées, toutes les deux, questionna le jeune homme, désireux d'en savoir plus.
- Le... le prince est de retour, répondit la rouquine.
Il haussa un sourcil.
- En quoi cela vous rend-il terrifiées ? Vous devriez vous en réjouir, non ? Le prince est notre protecteur !
- Tout était censé bien se passer, répondit la deuxième, cinglante. Mais... ils sont revenus en ville avec un prisonnier. Le prince avait l'air sombre et l'homme était enchaîné, blessé et tout en lui était effrayant.
- Si le prince et l'armée l'ont capturé c'est qu'il y a bien une raison !
Gabriel les dévisagea l'une après l'autre. Que disaient-elles ? Un prisonnier ? Était-ce donc lui qui était à l'origine de l'appel des Gerudos ? Avait-il un pouvoir qui les avait empêchées de le capturer elles-mêmes ? Le coeur du jeune homme se serrait lentement. Il remercia les deux habitantes et se dépêcha de courir jusqu'à la place, inquiet, les sens en alerte. Les murmures de la foule le rejoignaient déjà. Il peina à se frayer un chemin parmi les habitants. Éloignés d'eux, il observait une cohorte de chevaux, montés par des gardes armés, qui avançait doucement. Ils avaient tous l'air sinistre. Il peinait à voir le prince, chevauchant en tête. Mais... il voyait parfaitement l'homme qui se trouvait derrière. Et à l'instant où les yeux de Gabriel se posèrent sur lui, il tourna la tête et son regard lui glaça le sang. Des yeux rouges injectés de sang le dévisageaient. Il avait des cheveux blancs maculés de saleté, une peau d'un gris-vert très pâle parcourue d'ecchymoses et de blessures de toutes sortes, et des vêtements en lambeau qui le couvraient à peine. Son air était froid, presque suppliant à l'égard de Gabriel. On aurait pu le prendre pour un fou s'il disait qu'il n'avait pas ressenti de terreur, à ce moment-là. Ce n'était sans doute pas normal que tous les autres soient terrifiés à cause de cet homme, alors que lui ne l'était pas. Il ressentait... de la peine, la tristesse envers lui. Son regard suppliant débordait de sincérité. Et ce qui angoissait encore plus le Sheikah, c'était que sa lecture des écrits anciens lui permettait de supposer qui était cet homme. Un homme décrit comme profondément mauvais, serviteur des ténèbres au tout début des âges. Pourquoi... était-il de retour ? Que se passait-il ? Il aurait dû être anéanti. Le guérisseur ne parvenait pas à le croire. Mais peut-être se trompait-il, peut-être cette similitude n'était-elle qu'une coïncidence ! Alors pourquoi son meilleur ami l'aurait-il capturé ? Il ne comprenait rien. Il était perdu, figé sur place, tandis qu'il observait l'escorte être avalée par les murs de la ville. Berçant les murmures des passants, quelques gouttes de pluie se mirent à tomber, glissant dans la longue chevelure de Gabriel. Il avait les pieds gelés. Les habitants se bousculaient, paniquaient, ne désiraient que rentrer chez eux. Et lui il restait là, debout au milieu de la foule, le regard dans le vague comme s'il essayait de calmer ses pensées, de remettre de l'ordre dans ses idées.
Et alors que le ciel crachait toute sa peine, trempant les rues de la citadelle, Gabriel s'élança vers le château, à la suite des chevaliers. Ses pieds nus claquaient contre les flaques, mouillant ses jambes et son pantalon presque trop long pour lui. Autour, on l'observait, certains semblaient avoir de la peine pour lui tandis que d'autres paraissaient le prendre pour un fou. Il devait rejoindre son ami. Il devait comprendre ce qu'il se passait. Oui, ces choses ne le regardaient pas, parce qu'il n'était pas un héros. Il n'était qu'un pauvre guérisseur peinant à sauver des vies. À ses yeux, le sauvetage de Solie restait un miracle. Mais il avait besoin de comprendre, besoin de savoir. Savoir s'il pouvait se rendre utile, au moins une fois. S'il ne l'était pas pour le prince, il le serait pour la population. Mais il n'en pouvait plus d'être sans cesse mit de côté par son ami qui prenait trop à coeur les tâches qui lui étaient confiées. Il voulait juste apporter son aide, être quelqu'un sur qui on pouvait compter. Ce retour n'annonçait rien de bon. Il devait savoir ce qu'il se passait. L'escorte n'était plus là, presque effacée du morne paysage, mais il devait les rattraper. Il courait à toute vitesse comme si sa vie en dépendait. Il courait, mais ils étaient déjà bien loin. Et rejoindre le château sembla lui prendre une éternité.
- Azra !
Gabriel était trempé. La pluie dégoulinait dans ses cheveux, mouillait ses vêtements et ruisselait sur sa peau. Il venait d'arriver devant le château, mais le prince avait déjà disparu. Autour, plus personne. Le jeune homme frappa rageusement son pied contre le sol, soulevant une traînée d'eau. Au sommet des marches, deux gardes stationnaient devant les immenses portes du château, armés de lances. Décidé, il reprit sa route pour les enjamber une à une. Il faisait peine à voir, tellement la pluie l'avait saccagé. Sa chevelure couleur des blés avait foncé et collait presque à sa peau, alors que le bandage qui les retenait vers le bas s'était misérablement défait. Il s'approcha des gardes, prêt à les dépasser, mais le plus costaud d'entre eux l'arrêta net, plaquant son bras contre le torse du blondinet. Le métal froid contre ses vêtements qui accrochaient à sa peau lui causa un désagréable frisson, en plus de lui couper le souffle.
- Désolé gamin, mais le prince ne reçoit pas de visiteurs aujourd'hui. Enfin, c'est pas comme s'il en recevait en temps normal...
Le blondinet reconnut sans trop de problèmes la voix du garde. C'était souvent lui que l'on postait ici et à qui il avait affaire lorsqu'il voulait rentrer. Et ce n'était jamais chose facile.
- Écoutez, j'ai besoin de le voir, insista le jeune homme.
- Pas aujourd'hui. Il vient à peine de revenir de voyage et les circonstances ne permettent pas de le laisser voir qui que ce soit, même toi.
Gabriel se pinça les lèvres. Il ne devait ni se montrer brute, ni insolent. S'il avait du répondant, physiquement, il ne faisait certainement pas le poids face à ce colosse et il en avait conscience. Il devait donc se faire violence pour éviter d'exploser, même s'il bouillonnait de colère. Il avait besoin de voir le prince. Il voulait comprendre ce qu'il se passait, que quelqu'un lui explique la situation. Mais... il voulait aussi le voir parce qu'il n'avait plus passé de temps avec lui depuis une éternité. Contrairement à Gabriel, l'héritier d'Hyrule était sans cesse débordé et le Sheikah se souvenait avoir passé bon nombre de journées à errer dans la citadelle sans pouvoir voir son meilleur ami, qui n'était pas en mesure de lui consacrer du temps. C'était un sentiment d'abandon et de solitude qu'il détestait plus que tout. Il voulait réparer ça. Mais il semblait qu'aujourd'hui encore, il luttait en vain.
- S'il vous plaît, je...
- Tu écoutes ce qu'on te dit, gamin ? C'est non !
Cette fois, l'autre chevalier, plus petit et plus élancé, avait répondu à la place du premier. Les sourcils de Gabriel se fronçaient, ses joues s'empourpraient.
- Écoute mon garçon. On comprend que tu veuilles le voir, mais vous n'êtes plus des enfants. Le prince n'a pas tout son temps à t'accorder. Tu devrais le savoir.
Le guérisseur grogna. Bien sûr qu'il le savait.
- Laissez... laissez-moi au moins savoir ce qu'il se passe ! En tant qu'ami du prince je voudrais faire quelque chose pour aider... Laissez-moi me rendre utile, vous savez très bien que je peux faire quelque chose !
- Hors de question, rétorqua le colosse sans broncher.
- Et ce n'est pas un gosse comme toi qui va pouvoir nous aider ! Tu es trop faible, tu ne sais même pas te battre ! L'armée d'Hyrule, le prince et le roi n'ont pas besoin d'un vaurien comme toi dans leurs rangs, peu importe les privilèges qu'on t'accorde ! Ta présence ne fait que les gêner.
Le corps de Gabriel n'était plus secoué que par le froid. La colère était venue accentuer ses tremblements. C'était toujours la même chose. Il était faible, et par conséquent il était inutile. Ses talents de guérisseur importaient bien moins que ses talents au combat, qu'il ne possédait pas. Comme si les dons martiaux valaient mieux que n'importe quoi. Même au sein de son peuple, on avait renoncé à lui apprendre à se battre parce qu'il n'était pas assez adroit avec des armes. En réalité, peu des derniers Sheikahs se battaient. La plupart d'entre eux guérissaient ou s'occupaient d'autres choses, car ils refusaient de se mêler au reste d'Hyrule. Gabriel avait toujours eu ce désagréable sentiment de ne pas servir à quoi que ce soit, et il détestait qu'on le lui confirme. Résolu, il baissa la tête et fit mine de revenir sur ses pas. Mais... il avait beau ne pas être fort, il était rusé. À peine les gardes détournèrent-ils la tête que le blondinet pivota sur lui-même, fonçant en direction du château. De justesse, il parvint à esquiver les mains des gardes tentant de le rattraper. Ils abandonnèrent leurs armes et se mirent à sa poursuite. Pourtant, Gabriel était avantagé : il était léger, courrait vite et avait la chance d'être vêtu suffisamment légèrement pour ne pas être handicapé dans sa course. Les armures que portaient les gardes les ralentissaient, et la pluie ne les aidait pas. Le blondinet manqua de glisser à plusieurs reprises en traversant le grand pont qui séparait les portes et la cour du château, mais il se rattrapa toujours. Il n'était pas très adroit, mais il était rapide et agile.
Ses pieds quittèrent le sol de pierre pour s'engager sur une herbe mouillée et froide, mais il était néanmoins plus agréable d'y courir. Le château n'était désormais plus qu'à quelques mètres de lui. Une esplanade de pierre s'élevait devant l'entrée, dont les portes venaient de s'ouvrir et où deux gardes se relayaient. Les jardins auraient pu paraître majestueux avec leur gigantesque fontaine de marbre blanc où l'eau coulait abondamment, leurs nombreuses fleurs et buissons parfaitement taillés et les nombreuses statues représentant les différents héros de la légende. Si seulement la pluie n'était pas venue tâcher ce parfait tableau... La maigre ouverture se présentant à lui, il fallait qu'il se presse s'il ne voulait pas se retrouver pris au dépourvu. Sans hésitation, il fonça à l'intérieur, surprenant les gardes qui ne l'avaient pas vu arriver.
- Arrêtez ce gamin ! fit la voix du colosse qui venait de franchir le pont.
Perdus, les deux autres gardes se mirent à la poursuite de Gabriel alors qu'il s'engageait dans le hall. Il était essoufflé, et ses pieds nus couverts d'eau tachèrent les dalles de pierres et le tapis de soie rouge jusqu'à présent parfaitement entretenus. Mais alors qu'il s'apprêtait à franchir la porte en face de lui, deux gardes le pointèrent avec leur lance. Il n'eut pas le temps de réagir qu'il se fit saisir par le bras. Il tenta de résister, mais la force qu'on lui opposait était telle qu'il risquait de perdre un bras s'il insistait. Il dut se résoudre à abandonner. Il soupira, tentant de reprendre son souffle. Le garde qui s'était moqué de Gabriel fit face au garçon, s'adressant à lui de la manière la plus hautaine possible.
- Qu'est-ce qu'on t'avait dit ? Même pas foutu d'écouter, à toujours se croire plus malin que les autres parce qu'on est le "petit copain" du prince ! Tu crois quoi, qu'être proche de lui t'accorde des privilèges ? Ça change pas des autres, gamin. Mais tu cherches les ennuis, à ce que je vois ! Assume ta faiblesse, n'essaie pas de nous prouver que tu es plus fort qu'une armée entière pour te permettre de t'opposer à son autorité ! Alors maintenant, tu vas sortir d'ici et ne plus jamais revenir, c'est clair ?
- Moi, faible ? Vous parlez ! La plupart de vous joue les chevaliers tout puissants que rien n'arrête, mais vous vous défilez dès que la moindre grosse bestiole se pointe devant vous, tout ça parce que vous êtes trop habitués à votre belle petite paix, rétorqua Gabriel, mauvais. À part le prince, vous avez tous perdu votre habileté au combat ! À cause du talent de son père et du sien vous vous êtes mis dans la tête que seule la puissance comptait pour protéger le peuple, alors que...
La poigne du colosse se resserrant sur lui l'empêcha d'achever sa phrase, le faisant se pincer les lèvres. Il avait les traits crispés.
- Écoute bien, gamin. Avec tes origines, tu es mal placé pour nous dire que nous sommes incapables de nous battre, reprit le chevalier. N'est-ce pas ton peuple qui a presque entièrement été décimé ? N'est-ce pas ton peuple qui, dans son éternelle lâcheté, a jeté les armes et s'est retiré au fin fond de la terre plutôt que d'accepter de se battre jusqu'au bout ?
Gabriel serra les poings, piqué à vif. Des mots de haine pendaient au bord de ses lèvres et pourtant, il ne pouvait rien dire. Entouré de gardes, s'il disait ou tentait quoi que ce soit, il savait qu'il allait le regretter. Si Azra et son père étaient de bonnes personnes, l'admiration que leur vouait le peuple avait fait grandir l'ego des soldats d'Hyrule. Ils se sentaient surpuissants, capables de tout. Et cela attisait sa haine et son malaise envers eux.
- Tu devrais parler pour eux et non pas pour nous ! tonna de nouveau l'officier. C'est vous qui êtes faibles, vous qui vous défilez devant la moindre menace, vous qui n'êtes pas capables de faire face à votre destin et de...
- ASSEZ !
Tout comme les autres, les soldats se figèrent sans dire un mot, permettant à Gabriel de dégager son bras de l'étreinte du colosse. L'homme qui lui faisait face s'était raidi. À l'entente de cette voix, Gabriel avait écarquillé les yeux. Il lui semblait la reconnaître. Sur le pas de la porte permettant de s'enfoncer un peu plus dans le château se tenait un jeune homme aux cheveux noirs d'ébène tombant sur sa nuque et au visage strict. Ses yeux d'un sombre bleu dévisageaient les soldats d'un air sévère et froid. Contrairement à Gabriel, sa tenue était impeccable et propre. S'il avait abandonné son armure, il portait néanmoins une épée à son côté. D'un geste de main simple, il désigna le guérisseur.
- Laissez-le.
- Mais, votre altesse, il...
- Je vous ai dit et vous ordonne de le laisser, fit-il sur un ton froid et tranchant. Ce que j'ai à faire avec lui ne vous regarde pas et vous n'avez en rien le droit de décider si oui ou non il peut me voir. Je suis le seul à pouvoir le faire et votre rôle dans tout ça est simplement de me signaler ses venues. Que vous pensiez bien faire ou non, cela m'est égal. Vous n'avez pas à décider à ma place. Maintenant, retournez à vos activités. Je ne veux plus vous voir.
D'abord hésitants, ils finirent par s'éloigner, oppressés par l'insistance du prince. Lorsqu'il se retrouva seul, Gabriel esquissa un petit sourire gêné, passant une main dans ses cheveux. L'air d'Azra ne changea pas et le blondinet se raidit. Le prince lui fit signe de le suivre. Ils traversèrent les somptueux couloirs du château sans le moindre bruit, Azra se contentant de murmurer quelque chose à une de leurs servantes. Ils finirent par gagner les appartements du jeune homme, et Gabriel déglutit. Il se tenait droit et figé comme une statue au centre de la pièce, tandis que le prince défaisait sa queue de cheval et déposait son épée. Il prit une grande inspiration, et d'un coup, le blondinet put voir tous ses muscles se détendre alors que ses épaules retombaient.
- Bon sang, qu'est-ce que c'est fatiguant de devoir être une figure d'autorité auprès d'une garde qui n'écoute rien.
L'espace d'un instant, il n'y eut aucun bruit. Le Sheikah le dévisageait, perplexe. Et puis, il se précipita dans ses bras, le serrant contre lui avec rage et tristesse. Surpris, le prince referma doucement ses bras sur son ami, son visage s'étirant d'un doux sourire. Ses lèvres libérèrent un léger soupir.
- Toi aussi, tu es irrécupérable. Tu n'étais pas obligé de semer autant de désordre pour venir jusqu'à moi.
- Ils ne voulaient pas me laisser entrer ! Et quand bien même j'aurais réclamé qu'ils t'amènent jusqu'à moi, ça n'aurait rien changé, s'indigna Gabriel. Ils me répétaient que tu étais occupé et ne pouvais voir personne...
- Sur ce coup-là, ils n'avaient pas totalement tort, soupira de nouveau Azra. Le voyage m'a fatigué.
- Mais... murmura le blondinet. Ça fait tellement de temps, Az', je tenais réellement à te voir. Je sais qu'en tant qu'adulte et prince tu as tes responsabilités mais est-ce que c'est vraiment une raison pour rompre tout contact avec moi ?
Le prince ne dit rien. Il se contenta de serrer son ami un peu plus fort dans ses bras. Ils restèrent ainsi durant quelques minutes, dans le silence, enveloppés par la douce chaleur de la pièce. Gabriel se sentait tellement heureux. Son meilleur ami lui avait manqué. La dernière fois qu'ils avaient eu l'occasion de se voir, ils avaient à peine pu s'adresser la parole. Il voulait simplement profiter de cet instant, profiter d'être avec lui. Gabriel libéra son ami de son étreinte lorsqu'on vint frapper à la porte. La servante à qui avait parlé Azra se tenait face à eux, venant lui apporter une serviette et des vêtements de rechange. La remerciant, le prince les tendit au guérisseur.
- Lave-toi et change-toi. Ça sera mieux, plutôt que de rester comme ça.
Le Sheikah haussa un sourcil.
- Mes vêtements me vont très bien, Az'. Tu sais bien que...
- C'est temporaire, Gaby, le coupa le brun. Tu vas attraper froid si tu restes comme ça.
Le garçon aux cheveux de blé dévisagea l'héritier du trône, l'air vraisemblablement indigné.
- Dépêche-toi. Je n'ai pas beaucoup de temps à te consacrer, alors c'est le mieux que je puisse faire pour toi. Je suis rentré de ma mission et...
Il marqua une pause, hésitant.
- Il y a encore quelque chose que je dois faire.
La mine du blondinet se décomposa. Il paraissait déçu. Il serra les vêtements contre lui, tête baissée.
- T'es toujours occupé Az'... murmura Gabriel. Je sais que c'est ton devoir mais... j'ai l'impression de ne plus te connaître tant que ça, l'impression qu'on est plus si proches qu'on l'était avant. On vient de milieux supposés être en conflit, on vit loin de l'autre, alors si en plus tu...
Il se coupa, alors que sa tête affichait un air plus autoritaire lorsqu'il la releva.
- Enfin, tu devrais penser à faire des pauses, de temps en temps. Consacrer du temps pour toi. Je sais que tu as des devoirs mais il faudrait que tu penses à autre chose, quelquefois. Et puis, Hyrule... ne risque aucun danger pour le moment, tu le sais très bien.
Le brun ne sembla pas savoir quoi dire, suite à la déclaration de son ami. Il l'observait, crispé, l'air attristé. Il s'approcha de nouveau de lui, et posa une main sur son épaule. De l'autre, il appuya une main contre sa joue, et soupira.
- Je suis désolé, Gaby.
- T'en fais pas. Je me fais peut-être trop d'illusions.
Et suite à ces mots, il s'éloigna.
Le prince était assis sur son lit, jambes croisées lorsqu'il fut rejoint par la compagnie du guérisseur. Il accorda un sourire gêné au blondinet lorsqu'il vint prendre place à ses côtés. Ses cheveux étaient bien plus propres et soignés, et cette fois demeuraient complètement lâches, le temps qu'il puisse les attacher de nouveau. Ses pieds étaient couverts de bleus, et les vêtements trop sophistiqués qu'il portait le mettaient mal à l'aise. Mais... c'était sans doute mieux que rien. Le jeune homme s'apprêta à parler. Azra lui souriait doucement, pensif. Sauf qu'à peine Gabriel eut-il ouvert la bouche qu'on frappa de nouveau à la porte. Le blondinet se crispa, le brun s'agaça. Une servante s'inclina respectueusement devant lui, l'air pressée.
- Prince, le roi demande à vous voir. Il faut que vous vous rendiez dans les...
- Oui, je sais. J'arrive. Demandez-lui de patienter.
Gabriel serra les poings, tandis qu'Azra referma brusquement la porte. Prenant une grande inspiration, il fit face à son ami en silence. Il alla récupérer son épée qu'il replaça à son côté, et joignit ses cheveux pour les attacher.
- Il semble que le devoir m'appelle... Reste ici autant que tu veux, fais comme si tu étais chez toi. Après tout, ce n'est pas comme si c'était la toute première fois que tu mettais les pieds ici. Je vais m'assurer de revenir vite.
Azra n'eut pas le temps d'ouvrir la porte. Plein de vivacité, il avait attrapé un bout de sa chemise, donnant un léger coup dedans. Obligeant son ami à se retourner, cherchant à attirer son attention.
- Az', je... j'ai vu un homme tout à l'heure, lorsque tu revenais au château. C'est un prisonnier, n'est-ce pas ? C'est lui qui avait causé des troubles dans le désert Gerudo ?
- Gaby, s'il te plaît.
- Je sais qui il est. Je l'ai reconnu. Du moins... je le crois. Mais il m'a regardé avec tellement de peine, tellement de tristesse...
- Gaby, arrête. Ça ne te concerne pas. Tout est sous contrôle.
Sa voix était tremblante. Mal assurée. Tout montrait à son ami qu'il mentait.
- J'ai raison, n'est-ce pas ? ajouta le blondinet, inquiet. Pourquoi tu ne veux rien me dire ? Son retour veut forcément signifier quelque chose ! Aide-moi à comprendre. Je voudrais juste pouvoir me rendre utile auprès de vous, auprès de toi ! J'ai l'impression de n'être que le boulet qu'on a attaché à tes chevilles et qui t'empêche d'avancer, t'entrave dans tes mouvements, qui te regarde grandir, complètement démuni...
- Ne dis pas n'importe quoi ! s'indigna le jeune homme. Tu es...
- Ne t'embête pas à me rassurer, je m'en fiche. Je voudrais juste... avoir un peu plus d'importance. Je sais qu'en tant que Sheikah et pauvre habitant d'Hyrule je ne peux pas me montrer à tes côtés sans tâcher ta réputation, mais laisse-moi me rendre utile d'une autre manière ! Je suis sûr que je peux faire quelque chose, et toi aussi tu le sais, tu...
Brusquement, Azra l'attrapa par les épaules, coupant court à ses paroles. Il le regardait avec un air insistant et dur. Le blondinet se tassa sur lui-même.
- Gabriel, calme-toi. Ne dis plus jamais de choses pareilles. Tu n'as pas conscience de l'importance que tu as à mes yeux. Je ne peux pas te mêler à quelque chose qui ne te concerne pas ! Je fais ça pour te protéger, pour que tu ne te retrouves pas en danger !
- Qu'est-ce qu'il y a de dangereux ? Hyrule est en paix ! cria Gabriel.
Le silence s'installa, de nouveau. Le garçon eut un mouvement de recul et leurs regards s'affrontèrent, pleins de peine et d'incompréhension. Le Prince suppliait. Le Sheikah paniquait.
- ... Est-ce que vous... cachez quelque chose au peuple ? articula le guérisseur.
- Non.
- Alors pourquoi dis-tu que cela me mettrait en danger ? Je ne te comprends pas, Azra.
Si on pouvait reconnaître une qualité au jeune homme, c'est qu'il était tenace et obstiné. Résolu, le prince vint appuyer ses mains contre les épaules de Gabriel, qu'il serrait fermement. Sa tête bougea à peine.
- Écoute Gaby, ça suffit. Maintenant, tu vas rester là. Je n'en ai pas pour longtemps.
Azra libéra son ami de son emprise, avant de pivoter sur lui-même pour gagner la porte. Dès qu'il disparut dans le couloir, le jeune homme aux cheveux de blé serra les poings. Quel imbécile il avait été de penser qu'Azra lui expliquerait, à lui, son meilleur ami. Il aurait mieux fait de rester à Cocorico sans chercher à se mêler de tout ça, ou de rester aux côtés de la petite Solie qui elle, au moins, écoutait ce qu'il avait à dire. C'était peut-être bien la seule... Après tout, il était un Sheikah, et les Sheikahs n'étaient pas concernés par tout ce qui se passait en Hyrule. Les Sheikahs étaient seuls et ils le resteraient. Gabriel en gardait cette désagréable impression. Le prince voulait faire son devoir mais il ne se rendait pas compte à quel point il s'y prenait mal. Le peuple de Gabriel avait besoin d'aide, pourtant, ils étaient encore là à attendre, malgré la promesse qu'on leur avait faite. L'espace d'un instant, ce fut comme si Gabriel regrettait tout ce qu'il avait dit de bien au sujet du descendant de la légendaire Princesse. Comme si tout en lui n'était plus que haine et rage, amertume et méfiance à l'égard d'Azra et de la famille royale. Famille royale qui préférait se concentrer sur les Hyliens, Hyliens qui ne couraient aucune menace, aucun danger, qui n'étaient pas en difficulté. Ces Hyliens qui avaient exclu les Sheikahs, et qui rejetaient sans doute les autres peuples. Le prince prétendait agir pour le bien de tous mais en réalité, il n'agissait que pour lui-même. Le peuple avait une confiance aveugle en lui et il voulait que l'on garde cette image, qu'on continue de le considérer comme un protecteur parce qu'il était l'héritier de Zelda. Parfois, Gabriel se demandait s'il ne rejetait pas son peuple simplement pour entretenir cette image. Selon les écrits anciens, les Sheikahs avaient causé du tort à la famille royale et avaient cherché à la renverser pour prendre le pouvoir. Mais c'était tout autre chose, Gabriel le savait. La famille d'Azra s'était débarrassée des Sheikahs pour ne pas qu'on révèle leurs sombres secrets, ce que leurs anciens serviteurs étaient en mesure de faire. Le guérisseur avait parfois l'impression que leur chef avait raison. Que cette promesse d'aide n'était que du vent et n'aboutirait jamais.
Le blondinet ne tenait pas en place. Il ne pouvait tout de même pas rester ici et attendre ! Plus que jamais il avait la certitude que son ami de toujours lui cachait quelque chose. Le guérisseur n'était pas dupe. Le brun s'était lui-même trahi, dans son hésitation et sa réticence à dire les choses. Tant de possibilités se bousculaient dans l'esprit tourmenté du garçon aux cheveux de blé, mais il écartait toute tentative de dialogue. Il avait essayé et cela avait déjà échoué. Alors quoi ? Le suivre ? Il aurait voulu ne pas avoir à en arriver là mais... cela restait contre toute attente la solution la plus fiable, si ce n'était son unique solution pour espérer aboutir à quelque chose de satisfaisant. Il analysait les obstacles qu'il risquait de rencontrer, la majorité étant des gardes ou des servantes arpentant le château. Il remercia la discrétion naturelle de son peuple dont il avait hérité. Il faudrait juste qu'il sache où se trouvait le prince...
S'approchant doucement de la porte, une douleur irradiant tout son corps le fit grimacer, l'obligeant à se stopper. Ses pieds nus, couverts de bleus, lui faisaient mal. Pour cette fois, il dut reconnaître que courir sous la pluie sans chaussures n'était pas une très bonne chose. Mais l'avantage, c'est que ses pas n'avaient aucune chance de résonner sur le sol. Avec soulagement, il constata que le couloir était désert. Il n'y avait qu'une seule issue, l'autre chemin menant à un cul-de-sac. Au moins, le blondinet n'avait pas d'hésitation à avoir quant à où se rendre pour commencer. Même s'il s'était assuré qu'il n'y avait personne, ses sens demeuraient en alerte alors qu'il s'engouffrait dans le corridor. La plupart des soldats étant en armure, il saurait à quoi s'attendre lorsqu'il entendrait un cliquetis métallique. Heureusement que les allées étaient truffées de statues ou vases assez grands pour lui permettre de s'y dissimuler. Gabriel passa quelques minutes à bifurquer dans les couloirs en cherchant son chemin, évitant les gardes et les serviteurs. Si les premiers étaient plus susceptibles de le gêner, les seconds, en revanche, le laisseraient probablement passer sans dire un mot. Il était déjà passé par la salle du trône, mais plus personne ne s'y trouvait, pas même le roi qui devait sans doutes être retourné dans ses quartiers. Au beau milieu d'un corridor désert, le guérisseur s'accorda une pause. Essoufflé, il s'était appuyé contre une statue brisée qui ne représentait plus grand-chose. Quand allait-on la changer ?
- Réfléchis Gabriel, il a dit qu'il avait quelque chose à faire, se murmura le garçon à lui-même. S'il est déjà allé voir son père et n'est pas revenu dans sa chambre, c'est forcément qu'il a dû aller ailleurs...
Petit à petit, il se remémora les événements qui avaient précédé sa rencontre avec Azra, l'étrange homme, les paroles de la servante... Puis, il sursauta. Elle allait mentionner un mot avant d'être coupée net par le prince. C'était certain que le brun n'avait pas voulu qu'il entende ce que la femme avait eu à dire. Il fit stupidement le lien entre cela et l'homme aux cheveux blancs. C'était un prisonnier. Et si... si c'était là-bas, dans les prisons qu'il avait eu à se rendre ? Ce ne serait pas idiot. Azra n'avait rien souhaité lui dire. Si son but était d'interroger le captif, nul doute qu'il s'était rendu là-bas ! C'était bien le seul et unique endroit où on aurait pu l'enfermer. Des prisonniers, Hyrule n'en avait plus fait depuis des lustres, et même si Gabriel jugeait sa conclusion tirée par les cheveux, il devait admettre qu'il ne voyait pas d'autres solutions. Et il ne pouvait pas compter sur la collaboration des habitants de ce château, puisque tout le monde était sans doute remonté contre lui à présent. De plus, franchir les prisons représentait un véritable problème. Elles étaient gardées et on ne le laisserait probablement pas passer. Il allait devoir feinter s'il voulait savoir ce qu'il se passait. Il se fichait bien qu'Azra le déteste après tout ça. Sa curiosité prenait le dessus. Le guérisseur voulait simplement comprendre ce qu'on s'évertuait à lui cacher. Le retour d'une telle personne, si c'était bien elle, ne signifiait rien de bon. Et le Prince n'accepterait jamais que la paix du royaume si cher à son cœur soit perturbée. Il ne voudrait pas passer pour un menteur, alors il voulait taire le mal, le tuer dans l'œuf avant qu'il ne puisse renaître.
Trouvant le chemin qui menait jusqu'aux prisons, Gabriel n'avait pas quitté sa discrétion. Pas question de relâcher sa vigilance. Si on l'apercevait, on saurait qu'il tramait quelque chose peu importe son attitude. Alors il valait mieux pour lui qu'on ne le remarque pas du tout. Lorsqu'il fut à destination, ses traits se tordirent de déception et tous les muscles de son corps se tendirent. Les portes de la prison étaient bel et bien gardées. Il y avait là deux hommes, des gardes en armure qui avaient néanmoins abandonné leur casque et avait adopté une attitude grossière. Adossés contre le mur de pierre, ils semblaient peu attentifs à ce qui se passait autour d'eux, bien que l'activité ne fut pas très présente. L'un était grand et gras, aux cheveux presque rasés, armé d'une masse ; l'autre petit et musclé, cheveux blonds en bataille, armé d'un fléau d'armes. Gabriel fouilla dans sa sacoche, espérant mettre la main sur quelque chose qui pourrait l'aider à se débarrasser des deux soldats. Il désespéra de ne rien trouver. Il n'avait surtout pas envie de refaire ce qu'il avait fait précédemment, c'est-à-dire foncer entre les deux gardes tandis qu'on le poursuivait. Hors de question. Si on le suivait, Azra ne serait pas là pour le défendre et ce serait fichu. Il ne devait pas se laisser abattre.
Le garçon fouilla de nouveau, jusqu'à ce que ses doigts ne viennent effleurer quelque chose. En tant que guérisseur, il avait avec lui toutes sortes de baumes, de produits ou d'herbes afin de pouvoir soigner, mais ce fut quelque chose de bien particulier qu'il trouva. Il avait mis la main sur un petit paquet d'herbes aux feuilles épaisses et d'un vert très sombre, parcourues de petits points mauves à peine visibles. Un rictus victorieux se dessina sur son visage. Il connaissait les propriétés de cette plante par cœur, comme beaucoup d'autres. Gabriel était la personne la plus fiable lorsqu'on voulait se renseigner sur les attributs des végétaux. Nommé "Sporae", le végétal faisait un antidouleur d'une efficace redoutable s'il était dissout et mélangé avec de l'eau et d'autres plantes bien précises. À l'état brut, il était réputé pour son odeur extrêmement forte, soporifique avant d'être envoûtante. On le faisait respirer aux blessés en cas de blessures trop graves et douloureuses à soigner, afin de les préserver le plus possible de toute souffrance. Elle endormait dans un délai d'à peine quelques secondes tous ceux qui l'inhalaient trop longtemps. À ce moment précis, elle représentait un atout indéniable pour le guérisseur. Mais comment faire pour la faire respirer aux deux hommes ? Avec toute la bonne conscience dont il faisait preuve, le blondinet n'allait pas risquer de se planter devant les gardes sans justification aucune. Ça semblerait suspect. Il n'allait pas non plus attendre caché qu'un autre garde passe pour lancer la plante derrière lui, même si on pourrait croire qu'elle lui appartenait et qu'il l'avait laissé tomber. Ça prendrait bien trop de temps et le temps, Gabriel n'en avait que très peu. Plissant les yeux, toujours caché dans son angle de mur, le Sheikah plissa les yeux, avec pour but de détailler ses adversaires de circonstance. Des bâillements leur arrachaient la gorge, comme s'ils semblaient prêts à sombrer dans le sommeil à tout instant. Parfait. L'herbe ferait effet deux fois plus vite. Plus fourbe que jamais, une idée germa dans la tête du garçon aux cheveux de blé. C'était risqué, mais autant tenter le tout pour le tout. L'herbe faisait parfois dormir si profondément que dans ces moments-là, elle faisait oublier ce qu'il s'était passé avant l'inhalation. C'était un de ses effets secondaires qui, même s'ils étaient inoffensifs, pouvaient se montrer gênants. Avec un peu de chance, cela allait fonctionner. Prenant une grande inspiration, il sortit de sa cachette et avança devant les gardes d'une démarche mal assurée, le regard faussement perdu, feignant de ne pas trouver son chemin. Celui armé d'une masse l'interpella.
- Eh gamin, qu'est-ce que tu fabriques ici ? T'es pas censé traîner par-là. Estime-toi déjà heureux que le prince t'ait laissé rentré, parce que si c'était moi je...
Un bâillement vint le couper dans ses paroles. Le chassant d'un geste las de la main, il reprit aussitôt.
- ... t'aurais chassé d'ici depuis longtemps.
Faisant mine de prendre un air gêné, Gabriel agita doucement la tête, confus.
- Je suis désolé, je me suis perdu en voulant m'aventurer un peu plus dans le château. Vous savez, je n'ai pas un très bon sens de l'orientation et...
- C'est bon, c'est bon, on te pardonne pour cette fois, râla l'autre.
Il bâilla à son tour, provoquant la même réaction de la part de son compatriote. Gabriel les observa, semblant surprit.
- Si je peux me permettre, vous avez l'air épuisés...
- De quoi tu te mêles ? fit sèchement l'homme armé d'un fléau.
Le blondinet secoua de nouveau la tête.
- Vous n'êtes pas sans savoir que je suis un guérisseur, et...
- Et alors ? s'impatienta le soldat à la masse.
- Laissez-moi finir ! s'indigna Gabriel. J'ai juste de quoi vous requinquer un peu, alors je pensais que ça pourrait vous intéresser...
Ils se fixèrent.
- On n'a pas besoin de ton aide, rétorquèrent-ils en cœur.
Deux bâillements jumeaux s'échappèrent d'entre leurs lèvres, à chacun d'eux.
- Vous en êtes certains ? insista le blondinet, penchant la tête sur le côté, sourcil haussé. Vous savez, je suis guérisseur. Je suis le mieux placé pour savoir ce qui peut vous aider, et je vois que vous avez besoin de quelque chose pour vous revigorer. Laissez-moi faire quelque chose.
Un sourire angélique étirait son visage. Ils soupirèrent. Il n'y avait plus qu'à espérer qu'ils ne connaissent pas la nature de l'herbe... mais au vu du savoir possédé par les soldats d'Hyrule, Gabriel n'avait pas grand-chose à craindre. Sans même leur laisser le temps de répondre, il tira le petit paquet de sa sacoche et le brandit devant les deux hommes, qui s'étaient approchés pour l'observer, sceptiques. Gabriel dut faire un effort monstrueux pour ne pas montrer que l'herbe l'affectait aussi. Il n'y était pas immunisé et elle commençait à le fatiguer. Et il était loin d'avoir envie de rejoindre ses adversaires dans leur sommeil. Puis, d'un coup, alors que le blondinet attendait péniblement, les deux gardes vacillèrent, tentant d'articuler quelques mots incompréhensibles. Ils s'entrechoquèrent et tombèrent, comme sonnés. Reprenant sa respiration, Gabriel souffla un bon coup. Il souhaita de tout cœur que le choc de leur armure, la chute et la plante leur ferait oublier ce moment.
Le blondinet s'enfonça à toute vitesse dans le passage, après avoir calé les gardes contre le mur. Il se sentait un peu coupable de ce qu'il avait fait mais il se disait que "c'était pour la bonne cause". Les pierres formant les escaliers étaient froides, et dès que ses pieds blessés entrèrent en contact avec elles, son corps tout entier fut parcouru d'un frisson. Une douce lueur bleutée dansait sur des torches accrochées au mur, et des ombres couraient sur les murs sombres. Gabriel descendit doucement les marches, un pas après l'autre. Il n'y avait pas un bruit. Le silence devenait presque oppressant à mesure qu'il s'enfonçait dans les entrailles du château. Il parcourut le premier sous-sol, mais ne trouva que des cachots vides et abandonnés dans chaque partie. Et il en fut de même pour le second. Gabriel grogna de désespoir. S'ils avaient un prisonnier, il était forcément dans les cachots ! Mais... où, alors ? Déterminé, le blondinet fouilla le deuxième sous-sol de fond en comble. C'est alors qu'il remarqua une petite porte de fer entrouverte, et haussa un sourcil. Il y avait donc encore un sous-sol. Hésitant, le jeune homme s'en approcha, et l'ouvrit en tentant de faire le moins de bruit possible. La lumière éclairait à peine l'escalier en colimaçon qui se déroulait sous les pieds du jeune homme. Il s'appuya contre le mur alors qu'il le dévalait, intimidé. Un instant, il s'immobilisa. En tendant l'oreille, il lui sembla entendre comme une voix venant des tréfonds du château. Déglutissant, il reprit sa descente, peu rassuré.
Il fut stoppé net alors qu'une immense porte de bois se dressait devant lui. Cette dernière étant entrouverte à son tour, il pouvait désormais clairement distinguer la voix qui s'en échappait. Il n'y avait plus aucun doute. C'était Azra. Il passa doucement la tête dans l'entrebâillement, avant de voir de nouveau le prince, debout devant le prisonnier. Ce dernier était enchaîné par les poignets et les chevilles, pouvant à peine se mouvoir, à l'intérieur d'une salle gigantesque et complètement vide. Il était sale et ses vêtements étaient presque complètement déchirés, et Gabriel pouvait clairement distinguer les plaies qui le recouvraient. Il réprima un cri de surprise lorsqu'il s'aperçut que certaines blessures étaient encore fraîches. Si c'était bien la personne à laquelle il pensait... pourquoi était-il aussi vulnérable ? Pourquoi ne se défendait-il pas ? Azra, quant à lui, se tenait droit. Il paraissait plus menaçant que jamais. Gabriel était effrayé par ce qu'il voyait. Il venait de poser la pointe de son épée sous le menton de l'homme, l'obligeant à le soulever. Un filet de sang dégoulina le long de la lame.
- Je te dis que je ne sais rien... cracha l'homme d'une voix étouffée.
Sa voix était étranglée, tordue de toute la douleur qu'il pouvait ressentir à cet instant.
- Menteur ! cria Azra. Tu sais forcément quelque chose, ton retour ne peut PAS être dû au hasard ! Et tu vas me dire que tu es réapparu comme ça, par magie, sans même avoir quelque chose avec ça ?
L'homme hocha la tête.
- La seule chose... dont je peux être sûr... c'est que je me suis réveillé en plein milieu d'une... j'étais faible, je n'avais aucune idée d'où je pouvais aller... je ne sentais plus l'influence du mal qui... me contrôlait jadis et était à l'origine de mes pouvoirs... je me souviens... avoir fui jusqu'au désert.
- Où est ton maître ? insista le prince, la voix glaciale.
Un rire sarcastique s'éleva des lèvres du prisonnier.
- Il est mort, il y a des millénaires de cela. Tu devrais... le savoir, puisque... tu as été en mesure de me reconnaître malgré mon ancienneté... et que tu descends toi-même de la princesse...
- Ce n'est pas possible. Tu étais l'âme de son épée, tu as été détruit avec ! Comment pourrais-tu... tu ne peux pas être revenu à la vie seul, quelqu'un est forcément à l'origine de ton retour !
- Je... n'en sais pas plus... que toi... répondit l'homme, crachant une gerbe de sang. Son épée... a beau avoir été détruite, une partie de mon âme a subsisté pendant toutes ces années et... elle a fini par se libérer. J'ai simplement été... libéré de son emprise.
Furieux, Azra appuya un peu plus la lame de son épée contre le menton de l'homme, qui grimaça. Il ne le croyait pas. Et camouflé derrière la porte, Gabriel assistait à la scène, atterré par ce qu'il voyait. Parfois, il avait l'impression que le captif l'avait remarqué. Que son regard s'attardait sur lui. Qu'il lui envoyait des signaux de détresse, qu'il lui adressait des mots silencieux, comme un appel à l'aide. Comme s'il voulait que Gabriel fasse quelque chose, parce qu'il avait reconnu en lui un sauveur, quelqu'un d'assez compatissant pour le tirer de sa misère, peu importe tout le mal qu'il aurait fait.
- Pourquoi ai-je l'impression que tu ne me dis pas toute la vérité ? Que tu choisisses de me cacher des choses ne changera rien à ton sort, reprit le brun, menaçant.
- Je... ne te fais pas confiance... pour un descendant de la princesse, tu es bien plus... argh !
Il n'eut pas le temps d'achever sa phrase. Azra venait de lever son épée pour lui assener un coup sur le torse, qui le plia en deux. La blessure n'était pas profonde, mais sa taille et la quantité de sang qui s'en échappait suffirent à déchaîner Gabriel. Il se fichait bien de ce qui pourrait se passer par la suite. Peut-être que cet homme avait toute la part de culpabilité du monde, mais il était vulnérable et mal en point, et le blondinet détestait la brutalité de la torture. Il ne comptait pas laisser son ami s'en prendre à lui de la sorte. Franchissant les barrières invisibles, il s'était rué dans sa direction, la haine plus que la terreur ayant bravé les frontières de son visage.
- Az', je t'en supplie, arrête !
Il venait de lui attraper le bras. Ramenant son épée contre lui, le prince se retourna lentement, faisant face au Sheikah. Leurs regards se rencontrèrent, s'affrontèrent dans un duel infernal, long et silencieux.
- Qu'est-ce... qu'est-ce que tu fais ici ? tonna Azra. Ne t'avais-je pas dit de m'attendre ?
- Ton autorité ne marche pas sur moi, répliqua son meilleur ami sans se démonter. Tu crois vraiment qu'après tout ce que tu m'as dit, j'allais rester à t'attendre bien sagement ? T'as jamais su mentir. En tout cas, jamais devant moi. J'ai tout de suite su que tu me cachais quelque chose, tu t'es trahi !
Le prince cligna des yeux. Il était perplexe.
- Comment... es-tu entré ici ?
- Les gardes dormaient. Il faudra penser à renforcer la sécurité du château, railla-t-il, sarcastique.
Azra prit une grande inspiration. Tous les muscles de son corps étaient tendus. Et il se tenait toujours droit face à Gabriel, comme s'ils n'avaient jamais cessé la lutte de leurs regards. À cet instant, on aurait pu croire qu'ils étaient ennemis tant leurs yeux témoignaient de l'hostilité qu'ils éprouvaient l'un envers l'autre.
- Ce que tu as fait est inacceptable.
- Et toi alors ? Ne crois-tu pas que ce que tu fais n'est pas inacceptable ? Tu abandonnes mon peuple à son sort sous prétexte qu'ils sont encore capables de se débrouiller seuls, tu t'en prends à un homme qui a à peine suffisamment de forces pour parler ! On s'en fiche de ce qu'il a fait auparavant, est-ce que tu crois vraiment qu'il est en état de te dire quoi que ce soit ? Te moque pas de moi ! T'es pas parfait Azra. Descendre de la lignée de la princesse légendaire ne fait pas de toi un saint !
Les paroles du blondinet sidérèrent Azra. Il était figé sur place, impressionné par la ténacité de son ami. Il soupira longuement, tentant de reprendre ses esprits. Puis, calmement, il demanda :
- Gabriel... est-ce que tu as seulement conscience de qui est cet homme ?
- Je... commença le guérisseur.
- C'est Ghirahim, le monarque démoniaque qui servait l'avatar du Néant à l'aube des temps. Il me l'a confirmé lui-même. Cet homme a bien failli condamner Hyrule tout entier. Il ne mérite pas notre clémence.
- Mais bon sang, Azra, est-ce que tu t'entends parler ?! cria Gabriel. Je ne sais pas si tu es sourd ou juste complètement borné ! Il t'a dit que l'avatar du néant n'avait plus la moindre influence sur lui puisque lui, il a bel et bien été anéanti ! On va la trouver, la raison de pourquoi il est de retour. Mais te montrer aussi menaçant n'arrangera pas les choses, au contraire. Il peut à peine dire quelque chose ! Crois-tu vraiment que s'il était le même Ghirahim que dans l'ancien temps, il serait resté là à te répondre, acceptant même tes blessures ? Il t'aurait déjà tué, mon pauvre ! C'est pas de petites blessures de rien du tout ou des chaînes qui l'auraient arrêté !
Muet, le prince secoua la tête. Il n'en revenait pas. Jamais il n'avait vu son meilleur ami aussi fougueux et tranchant dans ses paroles, jamais il ne l'avait vu faire preuve d'autant de convictions. Il avait l'habitude d'un garçon doux et discret, qui osait à peine lever la voix. À cet instant précis, il eut un pincement au cœur en réalisant à quel point tous les deux s'étaient éloignés. Il n'avait même pas été capable de voir à quel point le jeune homme avait changé...
- Je... me fiche de savoir s'il est mauvais ou pas, Gaby, balbutia Azra, tentant de reprendre ses esprits. Mais son retour signifie forcément quelque chose, comme la petite Zora que tu as retrouvée blessée, loin de chez elle... je ne veux pas voir la paix d'Hyrule menacée sans pouvoir rien faire, je... je veux agir pour le royaume avant qu'il ne soit trop tard. Mais... s'il ne me dit rien, je...
La froideur dans les yeux d'Azra avait petit à petit laissé place à une détresse indescriptible. Attristé, le jeune homme appuya sa main bandée contre la joue de son ami, d'un geste qui se voulut rassurant. Aussi étrange que cela puisse paraître, une douce chaleur en irradiait, apaisant le garçon.
- Laisse-moi essayer de lui parler, d'accord ? Il ne te fait pas confiance parce que tu as peur, et donc tu te montres hostile. En revanche, peut-être que...
- Gaby, c'est trop dangereux, répliqua Azra.
- Ça m'est égal, Az'. Tu n'as pas besoin de me protéger. Je ne suis pas qu'un concentré d'inutilité, je suis aussi capable de faire des choses.
Il eut un sourire désolé. À contrecœur, le prince finit par accepter. Gabriel inspira. Il n'était pas vraiment rassuré à l'idée de se retrouver face à lui, mais... son regard suppliant paraissait d'une sincérité sans faille. S'il voulait lui montrer qu'il pouvait lui faire totalement confiance, avant de lui poser la moindre question, il allait devoir s'occuper de sa blessure. Le blond était toujours dégoûté par le geste du prince, et même si la peur pouvait servir d'excuse, il trouvait cela difficilement pardonnable. D'autant plus que Ghirahim, puisque c'était bien lui, n'avait pas tenté de résister une seule seconde. L'occasion de comprendre s'offrait à lui.
Gabriel fouillait l'intérieur de sa sacoche tout en s'agenouillant face au prisonnier. Il récupéra l'herbe précédemment utilisée après avoir saisi quelques bandages, un petit bol et un pilon. Il écrasa soigneusement l'herbe, la mélangeant avec un peu d'eau qu'il fit couler d'une fiole. L'homme ne disait plus rien. Il avait l'air complètement sonné et respirait faiblement. Gabriel ne put empêcher son cœur de se serrer. On l'aurait dit fou, à avoir de la pitié pour un homme qui avait failli contribuer à la fin d'Hyrule et du monde il y a des millénaires. Pourtant, il le croyait, lorsqu'il disait ne plus être sous l'influence du mal. Il le sentait. Il aurait presque dit qu'il avait la preuve même sous les yeux. Le guérisseur souleva doucement le menton de Ghirahim afin de l'aider à boire. Pendant que l'antidouleur faisait effet, il appliqua délicatement un baume sur la plaie. Azra l'observait, en silence. Bras repliés contre lui, il pouvait difficilement masquer son inquiétude. Mais il se devait de faire confiance à son meilleur ami, aussi insensé cela pouvait-il paraître.
- Demande... ce que tu veux savoir... parvint-il à articuler. Je n'ai... de toute manière pas... grand-chose à te dire.
Avec surprise, le jeune homme acheva d'abord son bandage sans se presser, toujours avec la même prudence, la même délicatesse. Il aida le prisonnier à se redresser, de sorte à ce qu'il se tienne plus confortablement contre le mur d'une froideur sans pareil. Il respira lourdement, comme s'il avait retrouvé une respiration qu'on lui avait ôtée partiellement.
- Pourquoi as-tu... fui dans le désert Gerudo ? osa finalement demander Gabriel. Comment as-tu fini dans un état pareil ?
- Je... ne m'en rappelle plus vraiment. Je sais simplement qu'un homme... était avec moi quand je suis réapparu... je me souviens l'avoir entendu dire qu'il avait réussi quelque chose... il m'a... proposé de le rejoindre, d'être son nouveau serviteur... mais... il avait quelque chose de... mauvais... comme mon... maître autrefois et... quelque chose en moi ne voulait pas de nouveau... succomber à l'influence du mal. J'ai suffisamment... servi... et agi contre mon gré auparavant...
Il s'arrêta, sous le silence des deux garçons. Il semblait souffrir, parler représentait pour lui un effort colossal.
- Il m'a blessé mais... j'ai réussi à m'enfuir.
- Est-ce que tu sais à quoi ressemblait cet homme ? questionna Gabriel, de l'espoir dans la voix.
- J'aurais juré... que c'était un Gerudo, cracha Ghirahim.
Le blondinet s'immobilisa. Il sentait la stupeur d'Azra, qui se tenait à quelques mètres derrière lui. Un Gerudo... et il... voulait un serviteur. Qu'est-ce que cela signifiait ? Ganondorf ne pouvait tout de même pas être de retour, il avait été détruit pour de bon cent ans plus tôt ! Il fallait s'attendre au pire. Tous les cent ans, un homme naissait chez les Gerudos, destiné à être leur roi. Et cela avait toujours été le cas de Ganondorf. Mais cet homme... ne pouvait pas être lui. Alors pourquoi ? Pourquoi avait-il demandé à Ghirahim de le servir ? Était-ce lui qui était à l'origine de son retour ?
- Je... je vais repartir pour le désert, déclara Azra. S'il ne peut rien nous dire, peut-être que nous trouverons des informations sur cet homme.
Gabriel acquiesça en silence. Il demanda au prisonnier s'il savait pourquoi il lui avait demandé de le servir, mais lui-même ne savait pas. Il put simplement lui confirmer qu'il avait senti en lui quelque chose de profondément mauvais, quelque chose qu'il n'expliquait pas. Le guérisseur vérifia une dernière fois le pansement qui couvrait la plaie du captif, mais il était si bouleversé par ses propos que c'est à peine s'il prêtait de l'attention à ce qu'il faisait. Il ne savait plus ce qu'il devait dire ou faire. Tout portait à croire que la paix d'Hyrule était menacée de nouveau, traversée par une plaie béante qui continuerait de s'ouvrir si l'on n'agissait pas à temps. Le jeune homme se redressa. Tremblant, il était prêt à rejoindre son ami, à quitter cet endroit et à essayer de s'éclaircir les pensées. Il ne comptait pas pour autant abandonner l'homme seul ici, à son propre sort. Il se jura qu'il tenterait de faire quelque chose pour lui. Il eut à peine le temps d'effectuer quelques pas que la voix de Ghirahim s'éleva de nouveau, toujours aussi faible. Elle appelait Gabriel. Un frisson de panique secoua son corps, mais il s'efforça de ne pas le montrer. Se retournant vers le prisonnier, il le vit qui levait lentement la tête pour plonger son regard fiévreux dans le sien.
- Toi... murmura-t-il.
Intimidé, il ne dit rien.
- Ton aura... irradie tellement le bien qu'elle m'aveugle et... je pourrais presque dire qu'elle me blesse de par... sa force...
Les yeux écarquillés, les tremblements qui secouaient le corps de Gabriel s'intensifiaient alors qu'Azra les dévisageait. Il était bouche bée. Faiblement, suivi par la chaîne métallique qui retenait sa main, l'homme aux cheveux blancs l'approcha du poignet de Gabriel. Sans laisser au garçon le temps de riposter, de faire quoi que ce soit, il s'empara avec une étonnante douceur d'une des bandelettes qu'il fit glisser vers lui, découvrant petit à petit son bras.
Gabriel restait muet, mais la panique agitait tout son être. L'héritier du trône s'était précipité vers lui, épée dégainée, prête à éventrer la chair. Mais ce qu'Azra vit sur le poignet de son meilleur ami le figea sur place. Accompagnant son geste, son arme quitta sa main et vint s'écraser durement sur le sol, dans un fracas métallique insupportable qui résonna à peine. Son bras, le bras supposé blessé du jeune Sheikah... était parfaitement intact. Aucune trace d'ecchymoses, aucune trace de blessures ou brûlures. Le prince comprit alors de quoi provenait cette chaleur qui l'avait apaisé, lorsque le guérisseur avait posé sa main sur sa joue. On aurait dit à cet instant que tout prenait un sens douloureux aux yeux du prince. Il réalisa alors que si le symbole de lignées s'illuminait en présence de Gabriel, ce n'était pas sans raison. Ce n'était pas non plus parce que la marque reconnaissait Gabriel comme quelqu'un de pur, de bon, de vertueux. Même si le symbole ne brillait qu'aux côtés du garçon aux cheveux de blé, Azra n'avait jamais pris conscience de la vérité. Jamais il ne l'aurait soupçonné.
Sur le dos de la main de Gabriel brillait la marque de la Triforce du courage, entrant en résonance avec celle du prince, qui portait la Triforce de la sagesse.
Il n'y avait que le silence. Muet, Ghirahim avait doucement laissé retomber sa main. Azra, lui aussi, ne disait plus rien alors que Gabriel semblait sonné. Il paraissait intimidé, tremblant. Le prince ne croyait tout simplement pas ce qu'il venait de voir. Son meilleur ami, le descendant de Link et héritier de la Triforce du Courage ? Depuis si longtemps qu'il le connaissait, il ne s'en était jamais rendu compte... et maintenant qu'il le découvrait, il ne pouvait tout simplement pas y croire. Avait-il toujours sous-estimé Gabriel au point d'être incapable de le penser détenteur de la force qui lui était complémentaire ? Il l'avait toujours vu comme quelqu'un de très timide et innocent, peu sûr de lui et incapable de se battre. Mais... maintenant qu'il fouillait dans sa mémoire, il se rendait compte qu'il en savait de moins en moins sur lui. Parce qu'il s'en était inconsciemment éloigné à mesure qu'ils grandissaient. Et si Gabriel luttait pour renforcer leur amitié, faire en sorte que tout reste pareil, c'était Azra l'unique fautif. Parce qu'il le repoussait, parce qu'il faisait passer son devoir avant lui alors que la paix s'était installée en Hyrule. Désormais qu'elle se montrait peut-être menacée, il réalisait son erreur.
- Tu... restes ici, parvint-il à articuler à l'intention de Ghirahim. On décidera de ton sort... dans les jours qui viennent.
Le prisonnier leva à peine la tête, semblant ne même pas prêter attention à ce qu'il se passait. Nerveusement, le prince quitta lentement la cellule, suivi par Gabriel. Le blondinet se tenait la tête basse, ses cheveux masquant toute expression devant son visage. Il aurait voulu disparaître, il aurait voulu que cela ne se sache jamais. Il avait l'air abattu, déboussolé. Le blondinet n'avait jamais été blessé au poignet. Tout ça, il l'avait toujours inventé. On lui avait dit de cacher son symbole, de ne pas le montrer tant qu'il n'avait pas grandi. Et il avait fini par réaliser que c'était mieux qu'il ne le révèle jamais. Parce qu'il était faible. Il ne savait pas se battre. Comparé à Azra, il n'était rien. Il se terrait dans son ombre, peinant à l'épauler. Il savait guérir mais était bien moins utile que d'autres personnes. Il avait toujours admiré son meilleur ami, ses talents naturels et son sens de la chevalerie. Mais... il s'était toujours senti inférieur à lui et inconsciemment, Azra n'avait jamais arrangé les choses. Et puis, la paix avait jusqu'à présent supporté Hyrule, alors pourquoi se dévoiler ? Les habitants allaient sans doute le huer, de savoir que le descendant du héros légendaire faisait partie du peuple rejeté. Ils ne voudraient sans doute pas d'un enfant sachant à peine tenir une épée dans ses mains. Quelle importance cela avait, qu'il se montre comme l'héritier de Link ? Il ne s'en sentait même pas digne. Si c'était nécessaire qu'il le fasse un jour, alors il le ferait. Mais pour le moment... il voulait juste le garder pour lui. Pas le partager au prince. Même s'il ne pouvait pas lui en vouloir à cause de sa faiblesse, Ghirahim avait tout fait échouer. Azra referma la porte de la prison à la suite de Gabriel, s'assurant qu'elle était bien verrouillée. Le choc se fit hésitant, ne se ressentant presque pas. Le blondinet profita de cette distraction pour commencer à grimper les marches, en espérant de tout coeur qu'il ne l'arrêterait pas. Il n'éprouvait aucune envie de parler avec le prince, et la vue de son épée maculée de sang le dégoûtait du plus profond de son être. Mais... sentir son ami demeurer immobile, sans faire le moindre pas dérouta le guérisseur, qui ralentit la cadence après avoir enjambé trois marches.
- G... Gaby, fit la voix d'Azra, faible.
Il osa à peine tourner la tête, ne répondant rien. Il tentait de rester impassible, sous sa carapace de verre et d'acier.
- Pourquoi... pourquoi ne me l'as-tu jamais dit, que c'était toi qui détenais la Triforce du Courage ? insista le prince.
Aucune réponse ne se fit entendre. Le blondinet cherchait ses mots.
- J... je... commença-t-il. Cela fait des années que le peuple d'Hyrule attend et réclame son héros... pourquoi n'as-tu rien dit ? Je ne t'aurais pas rejeté !
- Ça n'a aucune importance, nous sommes en période de paix. Le peuple t'a déjà toi comme héros, tu remplis deux rôles sans même t'en rendre compte, cracha Gabriel, amer. Prince, et héros. Tu devrais t'en réjouir.
Azra serra les poings. Le ton de son ami le dérangeait, parce que c'était un ton qu'il n'avait pas l'habitude d'entendre.
- Cette paix est sur le point d'être brisée, Gaby. Il va bien falloir que tu...
- Mon peuple attend et réclame son héros, Azra, toi ! Pourtant tu ne t'es jamais montré malgré tout ce que tu as promis, alors pourquoi devrais-je le faire pour un peuple qui n'est pas le mien ? C'est égoïste, comme raisonnement, pourtant c'est le tien.
Le prince baissa la tête.
- Écoute Gaby, tu...
- Tu as dit ces mots toi-même, Az'. Tu as dit que tu ne t'occuperais pas en premier d'un peuple qui n'était pas le tien, alors que nous sommes sûrement plus en difficulté. Et j'ai beau être le descendant de Link, je suis incapable de les protéger. Je ne sais pas... je ne sais pas de quelle manière m'y prendre. On a cru en tes mots. Jusqu'au bout. Mais... on attend toujours que tu agisses.
Azra fut comme frappé de plein fouet, alors que son coeur se tordait. Tant de choses dont il ne s'était jamais rendu compte lui étaient présentées par son meilleur ami. Était-il un si mauvais prince ? Il avait été aveuglé par son devoir au point de passer à côté de tant de choses, au point de se moquer complètement des personnes extérieures qui avaient besoin de lui. Son ami... avait raison. Mais il n'osa même pas s'excuser. Il avait juste l'impression que peu importe ce qu'il dirait, Gabriel le rejetterait. Et à mesure que le temps avançait, le silence pesait. Aucun des deux ne parlait, aucun des deux ne bougeait. Cela devenait si lourd... Azra ne savait plus ce qu'il devait faire. Bravant son hésitation, il finit par reprendre.
- C'est... vraiment la seule raison ?
Un rire amer s'échappa d'entre les lèvres de Gabriel, happé par les murs de la prison.
- Depuis que je suis enfant, on m'a demandé de le cacher pour éviter d'attirer les regards. Puis, j'ai fini par réaliser que je n'en étais même pas digne, parce que j'étais trop faible. Trop faible, trop maladroit, pas assez courageux. Ironique pour quelqu'un qui possède ce morceau de la Triforce, tu crois pas ? Je peux rien changer à ce fait. Mais... tant que la paix sera présente, jamais je ne le dirai à qui que ce soit. Tu sais très bien que je serais rejeté. Et même si ce ne sera pas ton cas, ce sera le cas du peuple. Mais ça, tu ne l'as probablement pas réalisé. Mais ça n'a pas d'importance. Tu es suffisamment un grand héros, je ne suis rien comparé à toi. J'ai toujours été...
Il s'interrompit. Azra avait fait un pas en avant, alors que la détresse se lisait sur son visage. Gabriel était sombre, les poings fermés.
- J'ai toujours été dans ton ombre.
Ses paroles furent accompagnées d'un silence. Un silence lourd, un silence oppressant, qui sembla durer une éternité pour les deux garçons. L'horrible sensation que quelque chose s'était brisé en lui avait saisi Azra, et elle ne voulait pas le lâcher. Elle était cramponnée à lui comme un poison. Il réalisa l'importance de Gabriel à ses yeux quand, à cet instant, il crut qu'il était en train de le perdre.
- G-Gaby... murmura doucement Azra, venant percer le silence.
Sa voix était tordue et elle fendit le coeur de son meilleur ami, qui essayait malgré tout de garder sa contenance.
- Je... je sais qu'un pardon ne suffira pas avec tout ce que j'ai pu faire sans même m'en rendre compte. Je voudrais que tu me pardonnes, mais comment faire ? Siège avec moi ici, aidons-nous, aidons le peuple d'Hyrule, montrons-lui que tu es là ! Et si... si tu ne le veux pas, alors simplement, reste à mes côtés, je te promets de faire quelque chose pour ton peuple...
- Hors de question.
Sa réponse cingla, secouant le prince d'un frisson d'angoisse alors qu'il gardait les yeux grands ouverts.
- Je veux pouvoir être reconnu en tant que Gabriel, pas en tant que le descendant du héros de la légende. Je veux qu'on soit reconnaissant envers moi pour mes véritables valeurs, pas qu'on place une confiance en moi juste parce que je suis le héros. Et je n'ai plus envie de croire tes paroles, toi qui tardes depuis si longtemps à accomplir tes promesses.
Le brun serra les poings.
- Est-ce vraiment... impossible que tu me pardonnes ?
Lentement, le blondinet descendit les deux marches sur lesquelles il s'était haussé pour faire face à son ami. Son air était alors devenu plus doux et inquiet. Mais il avait cherché à lui faire comprendre ce qu'il ressentait, ce qui le tracassait depuis tant de temps.
- Je veux juste... que tu me portes plus d'attention, que nous redevenions les amis que nous avons toujours été. Je me fiche d'être acclamé par le peuple d'Hyrule. Je voudrais que tu tiennes ta promesse envers mon peuple. Et... laisse-moi être responsable de Ghirahim. Après ce que j'ai vu je... je serais incapable de te faire confiance. Tu as trop peur, tu serais trop instable. Il n'est plus une menace, il est délivré de tout mal, il n'est sous le contrôle de personne.
Le brun demeura silencieux l'espace d'un instant, résigné.
- Je... je te le promets. Je ferai tout ce que je peux.
Le reste de la journée, les deux garçons ne s'adressèrent plus la parole. Un sentiment d'amertume avait envahi tout entier le Sheikah. Il ne ressentait plus l'envie de voir Azra, plus le moindre désir d'échanger avec lui. Il n'était retourné au château d'Hyrule qu'à la nuit tombée, parce que la famille royale avait la gentillesse de lui offrir le gîte. En journée, il était hors de question pour le garçon de conduire son cheval dans les écuries du palais, alors il attendait que les rues se vident. Ce soir-là aussi, il parla à peine à son ami. Son esprit était envahi d'interrogations sans réponses, qui lui causaient un mal de crâne atroce. Mais quoi qu'il soit décidé pour le sort de Ghirahim, il était certain qu'il prendrait sa défense. Et ce peu importe combien on lui dirait qu'il était fou. Il s'en moquait éperdument. Quant à Azra... il n'osait même pas approcher Gabriel. Il hésitait à le regarder dans les yeux, peinait à aligner de simples mots. Jamais on ne l'avait vu avec aussi peu d'assurance que ce soir-là.
Il n'arrivait pas à digérer tout ce que le guérisseur lui avait dit. Était-il véritablement indigne de son rôle de prince ? Il était trop aveuglé par son devoir pour réaliser la véritable souffrance des personnes dont il était pourtant plus proche que n'importe qui d'autre. Il avait tout fait de travers. Il avait protégé un peuple en paix alors qu'un autre attendait son aide. Et maintenant que la paix était sur le point d'être brisée, il serait sans doute trop tard pour faire quelque chose. Le prince craignait d'aider les Sheikah. Du temps où sa mère régnait, du temps où il n'était pas encore là, une guerre avait éclaté entre les deux peuples. Ceux qui avaient toujours protégé la famille royale s'étaient rebellés contre elle, car elle s'était maintes fois retournée contre eux. Les Hyliens avaient toujours convoité beaucoup de choses chez les Sheikah. Leurs talents martiaux, leur magie, leurs aptitudes... mais également leur technologie et leurs artefacts anciens, propre à ce peuple. Comparé à la famille royale, ses protecteurs étaient bien plus développés et avaient souvent attisé la jalousie du roi et de la reine, qui, au fil du temps, les avaient traités avec d'horribles manières, frôlant presque l'esclavage.
Les Sheikah s'étaient révoltés, et tous se sont fait massacrer. Impa, leur fondatrice, avait survécu avec sa fille, qui n'avait alors que trois ans. Avec les derniers survivants, elle rebattit le village Cocorico de sorte à ce qu'il reste isolé du monde, et avait nommé un de ses plus précieux alliés à la tête du clan. Afin de taire la présence de son peuple, elle avait tenu à disparaître, à effacer son existence même, en espérant que son successeur parviendrait à faire prospérer le clan. Même le clan ne savait plus ce qu'il était advenu d'elle. Et tout ça était arrivé deux ans avant la naissance d'Azra, vingt-cinq ans plus tôt. Gabriel était venu au monde quatre ans après Azra. En réalité, si les deux garçons ne s'étaient jamais rencontrés, la famille royale n'aurait sans doute jamais su que les Sheikah avaient subsisté et jamais ces derniers n'auraient demandé de l'aide. Ils avaient vu en la personne d'Azra quelqu'un de différent de ceux qui les avaient détruits, et ils lui avaient fait confiance jusqu'au bout. Et encore aujourd'hui, ils attendaient. Azra ne savait plus ce qu'il devait faire. Après son altercation avec son ami, il était resté dans sa chambre durant le reste de la journée. Assis sur son lit à réfléchir, à lire, il avait refusé de parler à qui que ce soit en prétextant qu'il voulait être seul. Et le soir, au retour de Gabriel, il avait simplement salué ce dernier sans même l'interpeller. Il avait perdu tous ses moyens et son ami lui avait à peine adressé un regard. Un regard perdu, mais dans lequel le prince avait lu tant de choses à la fois. Mélange de tristesse et de déception, sentiments qui lui prenaient son coeur.
Le porteur de la marque de la sagesse s'était réveillé avec une migraine insupportable. Il s'était retourné dans son lit, n'arrivant pas à trouver le sommeil. Il était perturbé, secoué par les événements de la veille et il ne parvenait toujours pas à faire le vide dans son esprit. Il avait eu du mal à glisser hors de ses couvertures. La fatigue l'enveloppait. Il sentait ses jambes molles, comme si toute son énergie l'avait abandonné. Il lui avait fallu du temps avant de s'habiller, avant de se décider à enfin sortir de ses appartements. Et lorsqu'il avait frappé à la chambre de Gabriel, ce dernier n'était déjà plus là. Le prince avait mal, il avait l'impression que quelque chose le dévastait. Il tenait tellement à son ami, son meilleur ami... il lui était presque impossible de dire à quel point il s'en voulait de l'avoir tant rejeté sans y prêter attention. C'était quelque chose d'indescriptible tant ce sentiment était infini. Durant toute la matinée, le brun erra à l'intérieur de la bibliothèque du château. Il n'avait pas eu le courage de rechercher le guérisseur. Il avait sans doute envie de respirer, de s'aérer un peu l'esprit, et ce ne serait pas l'aider que de partir à sa poursuite. Le prince n'avait pas de véritable but, en réalité. Ses doigts parcouraient lentement chaque livre qui peuplait les étagères, alors qu'il avait le regard absent, qu'on aurait même pu qualifier de vide. Il était ailleurs. En érudit qu'il était, il lui arrivait souvent de se réfugier au coeur de la bibliothèque lorsque quelque chose le tracassait. Et même s'il ne lisait pas, il s'y retrouvait souvent seul et cela lui faisait du bien. Le calme de l'endroit le reposait, lui permettait de penser à autre chose. Et aujourd'hui plus que jamais.
Assis à une table, la tête dans ses mains, le prince réfléchissait. Qu'allait-il faire de Ghirahim ? Était-il vraiment prudent de le laisser en prison ? Ne fallait-il pas mieux s'en débarrasser ? Maintenant qu'il se remémorait la scène, il se sentait idiot. À ce moment-là, ce n'était pas le captif qui avait eu l'air dangereux, mais... lui. Il l'avait menacé, blessé alors qu'il ne lui avait montré aucun signe d'hostilité, et n'avait même pas cherché à se défendre. Mais comment lui faire confiance avec ce qu'il avait fait par le passé ? Était-il judicieux de laisser Gabriel veiller sur lui ? C'était sans doute la meilleure chose à faire. Le brun devait admettre que le Sheikah avait eu raison en tous points. Il ne pouvait pas nier les choses. Il fallait qu'il les accepte, il n'en avait pas vraiment le choix. Mais il lui fallait absolument retourner dans le désert Gerudo. Il fallait qu'il interroge son peuple, qu'il demande des informations, fasse des recherches sur cette mystérieuse personne qu'avait mentionnée l'ancien monarque. Il ne pouvait pas laisser Hyrule tout entier courir un tel risque. Et il irait sans doute seul, peut-être escorté par un ou deux gardes tout au plus. Il était prêt à laisser Gabriel s'occuper de Ghirahim mais n'accepterait pas qu'il sorte de prison ni même du château. Tout cela ne dépendait pas que de lui... mais il ne pouvait pas laisser l'ancien monarque être vu du reste d'Hyrule. Et tout resterait ainsi tant qu'il n'aurait pas la preuve de la confiance du prisonnier. Et à ce moment-là il consentirait à chercher une solution.
Gabriel avait préféré quitter le château d'Hyrule dès son réveil. Il avait arpenté les rues de la citadelle sans but précis. Il voulait juste... respirer. Il n'en voulait plus autant à Azra que la veille, et il espérait du fond du coeur que ses paroles l'auraient secoué. Il avait gardé tant de choses en lui depuis tout ce temps, et force est de constater que cela l'avait beaucoup soulagé. Au dehors, le temps était toujours aussi frais, aussi morose que la journée précédente. Des nuages arborant toutes teintes de gris surplombaient les bâtiments, annonciateurs d'une pluie prochaine. Il n'avait pu que soupirer d'agacement. C'est en se perdant dans les rues qu'il se rappela qu'il devait passer voir Solie, la petite Zora dont il avait sauvé la vie. Et après cela... il retournerait voir son ami, au moins dans le but de s'expliquer. Il devait avouer qu'au fil des heures, la distance entre eux se faisait pesante. Et pourtant, ce sentiment entrait en directe contradiction avec l'amertume qu'il ressentait. C'était... c'était quelque chose qu'il ne pouvait pas expliquer.
- Gabriel !
Il venait à peine de frapper à la porte que cette dernière s'ouvrit, et le garçon se retrouva face à une jeune femme inquiète, qui semblait soulagée de le voir arriver. Incrédule, il leva un sourcil en l'observant, curieux. Comme elle regardait tout autour d'elle en tremblotant, il posa doucement une main sur son épaule d'un geste qui se voulait simplement rassurant.
- Tout va bien Maureen ? questionna-t-il. Tu n'as pas l'air dans ton assiette.
- C'est... c'est Solie, commença-t-elle.
Cette seule et unique phrase suffit à secouer le jeune homme qui se sentit aussitôt mal à l'aise. La petite n'était-elle donc pas guérie ? Faisait-elle une rechute ? Sa maladie d'origine inconnue s'aggravait-elle ? Gabriel ne sut pas quoi demander à la jeune femme. Maureen replaça nerveusement sa natte blonde sur son épaule, avant d'adresser un sourire au Sheikah. Sourire qui se voulait très forcé.
- Ne t'en fais pas, elle va bien... du moins je crois. C'est juste que son état m'inquiète. Elle...
- Elle s'est blessée ? Sa maladie a refait surface ? la coupa Gabriel.
On aurait su dire s'il était agacé ou angoissé.
- Calme-toi, je t'ai dit ! Elle ne va pas mal, c'est simplement son attitude qui m'inquiète.
Le garçon à la chevelure couleur de blé inspira longuement. Parfois, il en fallait peu pour le paniquer. Il s'appuya contre le mur alors que ses yeux aux couleurs changeantes se promenaient sur la pièce. Hormis la petite bougie qui l'éclairait, elle était plongée dans une atmosphère plutôt sombre qui avait quelque chose de très calme, de très paisible. Il y avait une table ronde de bois sur laquelle était déposée une pile de livres, et qui était recouverte d'une fine nappe bleue brodée de soie rouge. Il y avait également un parchemin et un pot d'encre dans lequel était déposée une plume. Quatre chaises entouraient la table, dont le pied de l'une était légèrement rongé, mais pas suffisamment pour ne plus supporter son poids. Quelques étagères supportaient des babioles en tous genres, tels que des vases, d'autres livres, du matériel...
- Explique-moi, demanda le jeune homme. Je suis venu pour prendre des nouvelles d'elle et... je l'ai soignée donc, c'est mon rôle de l'aider.
- Hier quand tu es parti, elle s'est réveillée quelques heures après complètement reposée, conta Maureen alors que le guérisseur l'écoutait silencieusement. Tout allait bien, nous sommes même sorties toutes les deux parce qu'elle n'avait pas pris l'air depuis une éternité et se sentait mieux, capable de marcher... et elle était extrêmement heureuse de voir de la pluie.
Un très léger sourire, presque imperceptible, vint étirer les lèvres du garçon.
- C'est une Zora, ajouta-t-il. Nul doute que l'eau lui a fait du bien.
- Je faisais quand même attention à elle car rien ne garantissait sa totale guérison, reprit Maureen sans se soucier des paroles de Gabriel. Nous avons vu les passants s'abriter et les marchands ranger leurs étals, pleurant le gâchis du festival. J'ai... entendu de drôles de rumeurs sur le retour du prince et sur un mystérieux prisonnier.
Le garçon tiqua. Mais il préféra ne rien évoquer à la jeune femme.
- Et puis... lorsque nous nous sommes rapprochées un peu plus du centre, nous avons vu des gardes en armure. Et là... j'ai senti que Solie était terrifiée. Elle les fixait avec les yeux grand ouverts et elle ne disait plus un mot. Lorsqu'ils nous ont aperçues, ils nous ont froidement demandé de dégager le passage et Solie s'est mise à pleurer. Je l'ai ramenée à la maison. Et depuis ça, elle ne me parle presque plus... elle me dit qu'elle veut te voir parce qu'elle a des choses à te raconter, des choses qui ne me regardent pas. Elle n'a pas voulu manger et semble perdue dans ses pensées.
Ces paroles intriguèrent d'autant plus Gabriel. Il se rappelait que Solie avait été incapable de lui dire ce qu'il s'était exactement passé parce que ses souvenirs restaient terriblement flous. Était-il possible... qu'elle se soit rappelé certaines choses ? Elle n'avait voulu parler ouvertement qu'à ce dernier car c'était grâce à lui qu'elle était restée en vie, et elle avait une confiance aveugle en lui, contrairement à Maureen en qui elle avait encore du mal à croire malgré le soin et le confort qu'elle lui apportait. Confiant, il posa les mains sur les épaules de la jeune femme avant de simplement lui dire qu'il allait s'occuper de Solie. Elle était dans sa chambre, comme la dernière fois où il l'avait retrouvée. La porte était simplement entrouverte et lorsque Gabriel la poussa, lentement, il trouva la petite Zora assise sur le bord de son lit, fixant le mur d'un air absent. Il s'était fait si discret qu'elle ne semblait pas avoir remarqué ne serait-ce que sa présence. Il en profita alors pour venir s'asseoir à côté d'elle, avant de lui secouer l'épaule. Tirée de sa transe, l'enfant Zora sursauta, et la queue de poisson sur sa tête s'agita. Elle manqua de tomber du lit. Il réprima un rire, mais la jeune fille le remarqua et prit un faux air boudeur.
- Gabriel, c'est pas drôle, j'aurais pu me faire mal !
- Désolé Solie, s'excusa-t-il. Mais c'était si mignon que j'ai eu du mal à m'empêcher de rigoler. Elle se rassit confortablement auprès du jeune homme, baissant la tête. On aurait dit que quelque chose la tracassait. Elle ne semblait pas d'humeur à plaisanter. Il posa une main réconfortante sur la tête de la fillette.
- Maureen m'a dit que tu n'allais pas fort depuis hier, et que tu voulais me parler, fit-il, rompant le silence. C'est vrai ?
Au départ, elle ne répondit pas, et il la crut vraiment en colère. Mais... ce fut finalement au bout de quelques minutes que l'enfant Zora reprit la parole, d'une voix confuse et mal assurée.
- Je voulais parler qu'à toi, parce que c'est toi qui m'as sauvée et qui m'as posé des questions. Et je... veux pas embêter Madame Maureen, sinon elle va s'inquiéter encore plus, déjà qu'elle panique tout le temps. Je me souvenais de rien... jusqu'à hier, quand elle m'a emmenée en ville. On a... croisé des gardes d'Hyrule et là, les souvenirs de comment je suis arrivée là me sont revenus. C'est... encore un peu flou mais ça... me fait peur.
- Tu... veux bien me raconter ce dont tu te souviens ? hésita Gabriel.
- J'étais avec mes parents et ma grande soeur, qui est l'une des gardes du corps de la famille royale Zora. En fait je... je crois qu'on est partis avec la reine qu'elle protégeait, et mon père et ma mère. On se rendait vers la citadelle d'Hyrule quand on nous a attaqués. Dans les souvenirs qui me sont revenus, j'ai vu ma soeur allongée par terre qui essayait de se relever, qui tendait la main vers des hommes en hurlant qu'on l'aide... des hommes... qui portaient les mêmes uniformes que les gardes d'Hyrule. Je suis sûre que c'était eux. Moi j'étais trop faible, j'étais en train de m'évanouir, je pouvais rien faire... je l'entendais crier "pourquoi est-ce que vous ne nous aidez pas ?". Elle suppliait qu'on nous aide elle, qu'il en allait de la survie de notre peuple et... après je ne me rappelle rien. Je crois que c'est à ce moment-là que je me suis évanouie.
Le Sheikah était bouche bée. Lorsque le silence s'installa entre les deux camarades, il inspira longuement, en proie à une intense réflexion. Qu'est-ce que... qu'est-ce que tout cela voulait dire ? Pourquoi Solie et sa famille avaient-ils dû partir vers la citadelle, avec la reine des Zora qui plus est ? Gabriel avait toujours douté de la fiabilité des gardes d'Hyrule, du peu qu'il en avait côtoyé. Il n'arrivait pas à avoir les idées claires. Tout cela avait beau être flou, beaucoup d'informations lui avaient été données, d'un seul coup. Il mourait d'envie de questionner Solie à ce sujet, et sa curiosité le rattrapa lorsqu'il brisa le silence. Il savait que la jeune fille n'avait sans doute pas toutes les idées claires mais... il voulait savoir. Il devait savoir.
- Solie... commença-t-il. Est-ce que tu te souviens de pourquoi vous avez dû quitter le domaine Zora ? Et qui vous poursuivait ?
Elle sembla troublée par cette question, comme si la réponse pendait au bout de ses lèvres mais qu'elle ne parvenait pas à s'en souvenir, à mettre un mot dessus, tentant en vain de la saisir.
- Je... je sais pas. C'est comme si on fuyait quelque chose... je sais que la reine voulait partir et que Solie a insisté pour nous emmener avec elle, nos parents et moi. Quant aux créatures qui nous ont attaqués, je sais juste qu'elles ne semblaient pas communes.
- Qu'est-ce que tu veux dire par-là ?
- Je sais pas... que j'en avais jamais vues des comme ça auparavant, malgré tous les livres que j'ai pu lire et les choses que j'ai pu voir. Les Zora vivent longtemps, tu dois le savoir, et c'est pour ça que j'ai toujours l'air très jeune même si j'ai dix-sept ans. Si on devait me comparer aux enfants hyliens, je crois que j'aurais à peu près neuf ans ?
La nouvelle de l'âge de Solie fit hausser un sourcil au jeune homme. Sa manie d'être distrait lui avait fait oublier que toutes les races n'avaient pas la même longévité, car son peuple lui-même vivait plus longtemps que la normale. La croissance ne se faisait simplement pas de la même manière ; si les Sheikah grandissaient comme des Hyliens et vieillissaient bien plus lentement vers l'âge adulte, les Zora devenaient adolescents puis adultes beaucoup plus tardivement.
- Ce que je veux dire Gaby, c'est que... je pourrais presque penser que ces monstres viennent d'ailleurs. Je... mes souvenirs sont flous et j'ai du mal à m'en rappeler à partir d'un certain moment. J'ai oublié tout ce qui précède mon arrivée ici, la raison de pourquoi on a quitté notre domaine. Je me souviens... de choses pas vraiment importantes.
- Si tu finis par t'en rappeler, fit Gabriel, s'il te plaît, dis-les-moi dès que je reviendrai te voir.
- C'est promis.
Il était bouleversé. Il avait salué Maureen dans la précipitation en lui disant de ne pas s'en faire pour Solie, parce qu'elle n'avait rien. Et il n'avait rien ajouté d'autre. Au lieu de la calmer, ça avait davantage inquiété l'Hylienne qui n'avait pas pu s'empêcher de demander des explications à l'enfant aquatique qui s'était retrouvée déboussolée suite au questionnement de son hôte. Dehors, la pluie avait recommencé à tomber. Le garçon aux cheveux de blé sentit son corps frissonner lorsqu'il posa le pied dans une flaque. Et quand il promena son regard sur les rues, il constata qu'elles étaient toujours les mêmes. Vides, mornes. Il n'avait pas l'habitude de voir la citadelle aussi calme, parce qu'à chaque fois qu'il y mettait les pieds, les allées grouillaient de monde et on entendait des cris partout. Dans sa poitrine, il sentait quelque chose bouillonner. De la colère mêlée à une immense incompréhension. Machinalement, il avançait vers le château. Il était bien déterminé à obtenir des réponses, et ses questions allaient se tourner vers Azra s'il ne pouvait pas interroger le roi en personne.
Plus il approchait du palais, et plus il pressait le pas. C'était comme s'il sentait quelque chose arriver, quelque chose d'inexplicable. Comment faire confiance à la pluie, quand des évènements s'étaient toujours produits par ce temps-là. D'abord la découverte de Solie, puis la capture de Ghirahim. Lorsqu'il lisait des livres d'aventure, il avait toujours ri de voir que des choses graves ou majeures se passaient souvent en plein jour de pluie. Mais là... le climat ne lui laissait vraiment pas un bon pressentiment, surtout pour lui qui avait tendance à s'en faire très vite. Prudemment, il s'engouffra dans la longue allée qui le conduirait auprès des marches du château. Et tout en avançant il ne pouvait pas s'empêcher de regarder sans arrêt autour de lui. Toujours personne. Comme si la ville avait été complètement désertée. Il soupira en essayant de se convaincre que c'était simplement parce que les citadins n'avaient pas l'habitude de temps pareils.
- Répondez-moi !
Un sursaut secoua le corps du guérisseur. Une voix venait de résonner depuis le bout de la rue. Voix de colère, voix de détresse qui fit s'immobiliser Gabriel. En tant que Sheikah, il avait l'avantage d'avoir certains de ses sens un peu plus développés et, là où cette voix serait apparue pour d'autres comme un murmure, lui, il l'entendait clairement. Et c'est ce qui le poussa à accélérer le pas. Il s'était mit à courir alors qu'une angoisse lui rongeait le ventre. Ses pieds soulevaient des nappes d'eau qui se répandaient sur le sol et sur ses vêtements, mais il ne s'en souciait même pas. Quand enfin le château se présenta au loin devant lui, il cerna ce qui clochait. Au sommet des marches de pierre se tenait une femme, encerclée de gardes, qui les menaçait tous de la pointe de la lance. Et... le roi lui-même était à leur côté, dévisageant cette inconnue de son air impassible, l'unique air que le jeune homme lui connaissait. Il se tenait droit, fièrement dans son armure rouge et or. Il ressemblait bien plus à un vétéran de la guerre qu'au dirigeant d'un royaume. Sa course continua de s'accélérer, si rapide qu'il en perdait son souffle. Cette femme... même s'il ne l'avait vue que de loin, il en était sûr : c'était une Zora. Une Zora aux écailles de saphir.
- Qu'est-ce que vous avez fait de ma soeur ? Où est-elle ? Répondez-moi !
Elle criait de plus belle alors que le blond était arrivé au pied des marches. Et personne ne semblait avoir repéré sa présence. Les gardes étaient trop occupés à pointer l'aquatique de leurs lances impeccables, là où la sienne était brisée à certains endroits. C'est lorsqu'il put la voir plus nettement qu'il remarqua qu'elle était très mal en point. Et son coeur s'était serré.
- Ma soeur... rendez-la-moi... Rendez-moi ma Solie !
Et dans un élan de rage, elle avait tenté de frapper l'un des gardes qui n'avait eu aucun mal à la repousser avec sa lance. L'impact fut tel que la jeune femme se retrouva propulsée, forcée à laisser tomber son arme dans un fracas de métal que même l'eau présente sur le sol n'atténua pas. Le regard de la Zora bouillonnait de haine. Et Gabriel, lui, observait la scène, muet. Solie... oui, il était certain de l'avoir entendue prononcer ce nom. Cela voulait donc dire que... cette femme était celle dont Solie venait de lui parler ? Sa... grande soeur ? Il devait faire quelque chose.
- Vous êtes bien comme je le pensais, cracha-t-elle avec un rire amer. Lâches, égoïstes... vous prétendez être là pour le peuple mais vous n'êtes même pas capables de sauver de pauvres personnes en danger. N'aviez-vous pas dit... que vous étiez prêts à aider tout le monde, peu importe la race à laquelle il appartenait ?
Personne ne dit mot. Tous avaient renforcé leur emprise sur leurs armes, alors qu'elle leur faisait face, chancelante, se tenant le bras de sa main valide.
- Pourquoi est-ce que vous ne nous avez pas apporté votre aide quand on gisait sur le sol, presque morts ? Pourquoi après avoir fait face à ces créatures vous m'avez observée et êtes partis sans faire preuve de la moindre considération à mon égard ? Est-ce à cause de la peur, de la honte ? En refusant de nous aider, vous avez condamné la reine, vous avez condamné mon peuple...
Le roi s'était avancé sans dire un mot, et malgré tout les gardes n'avaient pas lâché leurs armes. Comment pouvaient-ils se tenir de la sorte face à une personne dans un état pareil ?
- Si vous êtes... si bons que vous le prétendez, murmura la jeune femme, dans un élan de désespoir, alors je vous en supplie, aidez-nous... Faites quelque chose...
Son regard s'était tourné vers Gabriel lorsqu'elle avait prononcé ces derniers mots. Elle s'était penchée pour récupérer sa lance. Dans un acte désespéré, elle s'était ruée vers le roi en espérant que son acte le ferait réfléchir, le pousserait à faire quelque chose. Lui s'était apprêté à recevoir le coup, comme s'il acceptait les propos de la jeune femme. Pourtant, les deux plus puissants de ses gardes avaient barré la route à la Zora et la frappèrent de plein fouet de leurs lames, la projetant en arrière et son corps tout entier heurta le sol. Elle hurla. À une vitesse fulgurante, le Sheikah avait grimpé les marches, secoué par la scène à laquelle il venait d'assister. Il agissait avec rage et on aurait dit que son esprit avait pris le contrôle total de son corps, qu'il n'était pas maître de ses mouvements. Il s'était interposé entre les soldats et elle, avec un regard de défi destiné à tous.
- Baissez vos armes ! hurla-t-il. Vous ne voyez pas dans quel état elle est ? Vous n'avez pas honte de vous comporter comme ça ?!
- Te mêle pas de ça, gamin, répliqua un des hommes en armure en le désignant de son arme. T'as déjà causé suffisamment de problèmes.
Il serra les poings. Toutes les armes venaient de se tourner vers Gabriel.
- C'est pas toi qui vas nous intimider, reprit l'homme. Tu...
- BAISSEZ VOS ARMES !
La voix du roi tonna comme un éclair fracassant tout ce qui vivait aux alentours. Les plus proches de lui lâchèrent leurs armes sous la surprise. Bien qu'il ne semblait pas rassuré, intérieurement Gabriel ne pouvait empêcher une vague de soulagement de l'envahir ; le roi semblait raisonnable. Avec les derniers événements, il avait presque manqué de perdre toute confiance en la famille royale. Au même moment, quand le jeune homme détourna la tête, il vit une silhouette franchir les portes du pont du château. Silhouette essoufflée qu'on avait sans doute voulu empêcher de sortir. Quand son regard rencontra celui d'Azra, il lut la même incompréhension, identique à celle qu'il avait pu ressentir. Mais... il l'avait aussi vu empli de tristesse, et son ami avait baissé les yeux. Le prince s'était avancé vers la horde de gardes. Et le guérisseur sentit qu'on lui avait agrippé le bras. C'était la Zora qui l'observait, suppliante. Elle peinait à se relever et il était le seul qui lui permettait encore de tenir debout. Elle aurait sans doute continué de gésir au sol s'il n'était pas arrivé près d'elle. Par réflexe, il la prit contre elle d'un geste qui se voulait rassurant, comme pour lui faire comprendre qu'il ne lui voulait aucun mal et qu'elle était en sécurité auprès de lui. Quant au roi, il avait levé une main en direction des gardes, leur faisant comprendre qu'il en avait assez et qu'ils pouvaient disposer. L'inquiétude rongea Gabriel.
- Majesté, commença-t-il, assez fort pour l'interpeller. Est-ce que...
- Occupe-toi d'elle Gabriel, déclara l'homme. Je te fais assez confiance pour ça. Il faudra que je lui parle lorsqu'elle ira mieux.
Sous le regard circonspect du blond, le roi s'éloigna pour finir par passer les portes, croisant Azra qui ne prit même pas la peine de le regarder. Le Sheikah n'avait jamais vu son ami aussi affolé, aussi perdu. D'un pas hésitant, il avait rejoint Gabriel mais ce dernier était plus préoccupé par la Zora dans ses bras. Elle ne disait plus un mot. Elle respirait faiblement. On aurait dit... qu'elle avait perdu conscience.
- Qu'est-ce qu'il... qu'est-ce qu'il vient de se passer ? fit la voix peu sereine d'Azra. J'ai entendu des cris à l'extérieur mais les gardes m'ont empêché de rejoindre mon père, et là je vois... je vois ça !
Il avait fait un grand geste de main pour décrire la scène.
- C'est... une longue histoire, balbutia le blond. Moi-même je n'ai pas tout compris mais c'est pas le plus important. Je vais avoir besoin de toi, là.
Avec surprise, le prince hocha la tête. Mais avant que son ami ne puisse lui demander quoi que ce soit, il lui coupa la parole.
- Attends Gabriel, je...
- On verra ça plus tard ! s'exclama le Sheikah, irrité. Soit tu m'aides et tu viens avec moi, soit tu retournes au château.
Il vit la mine attristée et coupable du jeune homme, et poussa un soupir. Azra venait de voir Gabriel s'exprimer sur un ton qu'il ne connaissait pas, et ça le perdait complètement.
- Écoute Azra, je suis désolé d'être aussi brusque avec toi. Mais sa vie est peut-être en danger et elle est dans un état pitoyable.
- J-je... je sais, grogna le brun.
- Je dois la soigner. Et après, quand les choses seront rentrées dans l'ordre, on reparlera de tout calmement. D'accord ?
- ... entendu.
- Est-ce que tu peux la prendre dans tes bras ? Elle n'est pas en état de marcher, et je crains de ne pas avoir assez de force pour la porter.
Azra hocha silencieusement la tête. Après s'être massé les tempes, le guérisseur descendit les marches, reprenant la direction qui lui avait servi à venir ici. Le prince allait le questionner, mais il s'abstint. Avec ce qu'il s'était passé, Gabriel avait sans doute ses raisons de ne pas l'emmener au château pour la guérir. Les deux jeunes hommes se mirent alors en route, et le blondinet avait la ferme intention de retourner d'où il venait : chez Maureen. Parce qu'il était presque sûr que la soeur dont parlait Solie, c'était elle. Et elle serait sans doute soulagée de revoir cette dernière lorsqu'elle ouvrirait les yeux. Bercés par la pluie, ils dévalaient les rues de la citadelle, sans prononcer le moindre mot. L'air était si lourd, aujourd'hui.
A suivre...
Ce texte a été proposé au "Palais de Zelda" par son auteur, "Lyra Wainwright". Les droits d'auteur (copyright) lui appartiennent.