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L'épée maudite

Ecrit par FraT29

Chapitre 1 : L'appel du passé   up

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La légende du Héros du Vent

Lui-même héritier d'une ancienne légende,
Le Héros du Vent, au monde légua une offrande,
Triomphant à nouveau du mal de l'Avatar,
En scellant son pantin avant qu'il ne soit trop tard.
Il laissa un monde libre et plein d'espoir,
Et guidant le peuple insulaire hors du noir,
Rebattit le royaume disparu sous les flots,
Lui rendant sa puissance et son féerique halo.
De l'Epée de Légende tant de fois usée,
Depuis plantée dans le crâne de l'ignoble accusé,
Il n'est plus question en ces jours d'en faire mention,
Au passé et au mal qu'elle demeure, souillée de poison.

Tous les enfants recevaient ce poème pour enseignement. Il y avait eu un avant et un après dans l'histoire d'Hyrule, avec l'engloutissement de l'Ancien Royaume pour tournant. Ce poème était une mise en garde, incitant les enfants à ne pas se tourner vers le passé.

- Link ? ... Link !
Le jeune homme sortit de sa torpeur, et jeta un regard paniqué dans la pièce. Des rires se firent entendre. Dans la cuisine, trois paires d'yeux l'observaient avec amusement. Sa mère, Lara, une femme grande et blonde, ses cheveux coiffés en chignon; sa soeur jumelle, Arielle, lui ressemblant énormément, avec ses longs cheveux aussi blonds que ceux de sa mère et qui lui descendaient jusqu'à la taille, des yeux bleus comme des saphirs et un sourire moqueur. Bartus, le chien, se mit à aboyer, content de voir ses maîtres sourire.
- À quoi tu penses, mon fils ? demanda Lara, qui peinait à réprimer son envie de rire.
- Rien, rien, répondit le jeune garçon de 17 ans. Je pensais aux vieilles légendes.
- Encore... soupira sa mère. Et pourtant tu sais très bien que ces légendes sont...
- Prohibées, oui, je sais, coupa Link. J'ai jamais compris pourquoi d'ailleurs. C'est notre passé, ce sont nos racines.
- Les anciens sages ont leurs raisons, tu sais bien, Link.
- Quelles raisons ?
- L'ancienne Hyrule a sombré dans le chaos, ces légendes parlent de malédictions. Ces vieux textes sont maudits, Anguin te l'a suffisamment répété.

Les traits de sa mère s'étaient durcis, et Link n'insista pas. Anguin était le chef du village, aux savoirs immenses, respecté de tous. Son grand âge n'avait altéré en rien sa sagesse. Il faisait partie de l'Ordre des Sages, protecteurs des écrits anciens et conseillers du roi, administrateurs des différentes provinces d'Hyrule. Le village de Firone et la forêt environnante étaient sous la protection d'Anguin. Arielle ne disait pas un mot. Elle partageait le même attrait que Link pour les mystérieux récits ancestraux, et il n'était pas rare que tous deux échangent à ce propos, imaginant le Héros du Vent dans des batailles plus épiques les unes que les autres, avec sa célèbre baguette à la main, bravant les mers immenses et leurs dangers. Depuis tout petits ils avaient cette même passion qui les animait lorsque qu'on évoquait l'ancienne Hyrule. Récréant les combats contre des monstres toujours plus hideux avec des épées en bois, fabriquant leur propre voilier pour naviguer sur le lac de Firone, un vent imaginaire caressant leurs cheveux et leur faisant briller les yeux. Anguin avait tiré une de ses têtes en voyant que les deux enfants avaient taillé dans le bois du bateau une imitation du célèbre Lion Rouge, le compagnon du Héros du Vent.

- Bon, Arielle, Link, maintenant dépêchez-vous de finir de manger, on vous attend dehors.
Link attrapa la miche de pain sur la table et dit :
- Ne t'en fais pas, maman, je mangerai en chemin.
Et après une caresse sur Bartus le chien, il prit la porte, la refermant derrière lui. Devant lui se tenait Oroï, maître épéiste. Lui et sa soeur suivaient des cours avec lui depuis de nombreuses années.
- Je suis prêt pour l'entraînement !
- Et ta soeur ? Elle ne vient pas ? interrogea Oroï.
- Elle arrive. Toujours aussi lente à manger. Je voulais vous demander quelque chose. Est-ce que vous avez parlé à Anguin de la fête d'Hyrule ? Je pourrais l'accompagner demain ?
Le visage d'Oroï s'affaissa.
- Ecoute, mon garçon. Kairo...
- Oh, non, ne me dites pas que c'est ce que je pense ?
Link sentit la rage qui l'habitait bouillonner en lui. Kairo était le fils d'Anguin. Tous deux étaient rivaux. Certes, il s'agissait d'une rivalité amicale, et tous deux aimaient se retrouver pour se défier à l'épée ou s'entraîner au tir à l'arc, mais le statut de Kairo lui octroyait certains avantages dont Link était jaloux.
- Je suis meilleur épéiste que lui ! se plaigna le garçon. C'est ma place d'être aux côtés du chef à la fête !
- Link...
- Vous le savez ! Vous deviez lui en parler !
- C'est effectivement ce que j'ai fait. Mais le chef n'est pas de cet avis. Kairo est son fils, et je conçois qu'il manque d'objectivité.
- D'objectivité ? Anguin a vu de quoi j'étais capable. Il connaît ma valeur.

La fête d'Hyrule était organisée chaque année en l'honneur de l'anniversaire de la princesse Zelda, fille du roi Roxan Nohansen Hyrule. C'était l'occasion de festivités souvent débridées, de banquets somptueux et de diverses cérémonies pompeuses. Mais un élément intéressait Link en particulier. Chaque année, chaque chef de province emmenait avec lui un jeune garçon pour qu'il puisse tenter sa chance au Tournoi des Héros. Le vainqueur pourrait obtenir le titre tant convoité de soldat de la garde royale. Link s'y préparait depuis son enfance, et il avait enfin atteint l'âge minimum requis. Oroï soupira.

- Un père fait passer ses enfants avant tout. Je comprends Anguin, tout autant que je désapprouve. Je suis navré pour toi. Mais sache que l'année prochaine, tu pourras y prétendre.
- C'est injuste, répliqua Link, des larmes commençant à perler sur ses joues.
- Holà, du calme, mon garçon.
Sans s'en rendre compte, Link avait dégainé son épée, le morceau de pain qu'il avait à la main tombant sur le sol.
- Je suis plus habile que Kairo, vous le savez...
- Je le sais et je le déplore. Maintenant calme-toi. Ta colère voile ton jugement. Elle atténuera ta concentration. Montre-moi ce que tu as retenu de ta dernière leçon, plutôt.

Oroï sortit à son tour sa lame. Sans attendre, il porta un premier coup, que Link para facilement, avant de rouler sur le côté et de faire un croche-patte à Oroï. Ce dernier tomba à la renverse. Le temps qu'il comprenne ce qui venait de se passer, l'épée tremblante de Link était pointé sur sa gorge. Oroï, abasourdi, le fixa quelques instants, puis esquissa un sourire.
- Te battre avec tout ton corps, pas seulement l'épée. Bien joué mon garçon ! s'exclama-t-il en prenant soin de repousser la lame de Link avec la sienne.
- Hey ! Frérot !
Link se retourna. Arielle était face à lui, en garde.
- Dis donc, ça ne se fait pas de s'en prendre aux vieux. Où sont passées tes manières ?
- Pardon mademoiselle, commença Oroï, visiblement agacé, je ne suis pas si...

Il fut coupé par le bruit des lames qui s'entrechoquent. Link et Arielle avait engagé un combat féroce. La jeune fille avait un sourire béant, tandis que le visage de Link se détendait, amusé par la situation. Arielle était une très bonne épéiste, excellente, même. Elle se plaisait à dire qu'elle était meilleure que son frère, et c'était peut-être bien le cas. Mais en cet instant, aucun d'entre eux ne prenait l'avantage. Les coups s'achevaient sur des parades, leurs déplacements étaient anticipés par l'opposant. L'agacement d'Oroï avait laissé place à de l'admiration. De si jeunes gens, montrant une habileté rarement vue en Firone, il en était fier. Il ramassa le morceau de pain que Link avait laissé échapper et mordit dedans avec appétit, tout en se délectant du spectacle. Alors que frère et soeur poursuivaient leur combat, bien décidés à montrer leur supériorité, le soleil se couchaient.

- Link...
Le jeune homme se réveilla en sursaut, le coeur battant. Il suait à pleines gouttes.
- Qu'est-ce que...
Il faisait silence dans la chambre. Dans le lit à côté, sa mère ronflait paisiblement.
- Arielle ?
Pas de réponse. Sa soeur dormait elle aussi, en haut du lit superposé. Mais cette voix... un rêve, en conclut Link. La chaleur l'étouffait et sa tête bourdonnait. Il se glissa silencieusement hors de son lit, traversa la pièce sur la pointe des pieds et rejoignit la cuisine. Bartus dormait lui aussi, paisible, dans son panier. Link saisit une serviette et s'épongea le visage, avant de sortir de la maison.

La lune était pleine, les nuages se faisaient rares. Eclairé par la lune et les étoiles, Link alla se rafraîchir en buvant l'eau du puit. L'air lui semblait lourd en cet été chaud, et il peinait à retrouver son calme, la voix qui avait prononcé son nom résonnant encore à l'intérieur de lui. Ce n'était qu'une voix sortie d'un rêve et pourtant, une sensation étrange habitait Link. Il se sentait en état d'alerte, ressentant l'imminence d'un danger.
"Link..."
Cette fois, la voix lui était parvenue clairement. Mais elle lui venait de sa propre tête, comme si quelqu'un lui chuchotait à l'oreille. Link sentit un frisson parcourir tout son corps et ne put s'empêcher de laisser échapper un gémissement. Son coeur battait la chamade, et une bouffée de chaleur l'envahit.

- C'est quoi ce délire ? Qui est là ?
La voix continuait de résonner en lui, comme une sorte d'écho. Elle avait quelque chose de particulier, quelque chose d'inquiétant. Ce n'était pas une voix humaine. Link en avait la certitude. Il observa ses mains, tremblantes sous l'effet de la peur qui le saisissait.
- Link ?
Son sang ne fit qu'un tour, et il fit volte-face en tirant son épée et donnant un coup puissant. Un cri de douleur se fit entendre.
- Oh non...
Kairo se tenait devant lui, les yeux écarquillés, la main sur son épaule, d'où du sang se mit à couler abondamment.
- Kairo... Je suis désolé. Est-ce que ça va ?
Il tendit la main vers son ami, mais celui-ci recula d'un pas. La douleur se lisait sur son visage. Son bras gauche était entièrement recouvert de sang.
- Link, qu'est-ce que tu fais dehors ?
- Et toi donc ? Tu m'as fait une de ces peurs...
Son regard restait fixé sur l'épaule de Kairo.
- Ce n'est rien, anticipa celui-ci, juste une petite entaille. Ça pique un peu.
- Suis-moi, dit Link. Je vais t'arranger ça.
Les deux hommes se rendirent en direction de la maison de Link.
- Je suis vraiment désolé, continuait de répéter ce dernier.
- Tu ne m'as pas répondu, qu'est-ce que tu fais dehors ?
Link hésita, puis répondit :
- Un cauchemar.
Kairo eut un sourire.
- Moi aussi, dit-il. La fête d'Hyrule, ce n'est pas rien. J'ai rêvé qu'un Goron de la montagne m'écrasait littéralement sous son poids pendant le Tournoi des Héros. Puis le roi demandait ma mise à mort.

Link se mit à rire nerveusement, alors qu'il lui ouvrait la porte. Il s'attela à réunir le nécessaire pour soigner Kairo : de l'alcool, des bandages, et des herbes médicinales. Kairo faisait lui-même un diagnostic sur son état, observant l'entaille.
- Ce n'est pas très profond, ça va. Et tu m'as touché de mon mauvais bras, que Farore soit bénie.
- Tu as quand même saigné pas mal. Approche.
Sans plus tergiverser, il appliqua l'alcool sur l'entaille. Kairo poussa un cri, surpris par la douleur.
- Chut... fit Link.
- J'aimerais bien t'y voir, rétorqua Kairo.
Link apposa ensuite les herbes sur la plaie, qu'il enserra de bandages.
- Voilà, ça devrait cicatriser rapidement. Tu seras d'attaque pour demain.
- À ce propos, dit soudain Kairo d'une voix plus douce, je sais que le Tournoi te tenait à coeur, je...
- Ce n'est rien. Saisis ta chance.
- C'était à toi d'y aller, pas moi. D'ailleurs, je t'avouerai que ça ne m'enchante pas tellement.
Son regard se voila, laissant transparaître un brin de tristesse.
- Si je gagne ce tournoi, je quitte le village, continua Kairo. Et j'entre dans la garde royale. Défendre la famille royale, jusqu'à la mort, telle sera ma mission.
- Si c'est la mort qui t'inquiète, répondit Link, tu ne devrais pas trop t'en faire. Oroï nous a très bien entraîné. Je n'ai aucun doute quant à ta victoire au tournoi.
- Non, ce n'est pas ça. Ce serait un véritable honneur. Seulement...
- Seulement quoi ?
- Et bien, j'ai peur de regretter mon ancienne vie. La forêt, les gens du village, le lac...
Link posa une main sur son épaule.
- Aïe !
Link posa sa main sur son autre épaule.
- Tu sais Kairo, dit calmement Link, garde royal ou non, nous sommes tous destinés à quitter le village un jour, pour quelle que raison que ce soit. Tu as cette chance de rejoindre l'élite du royaume, ne gâche pas cette occasion. Et puis, ça nous donnera à tous ici une raison d'aller souvent à la citadelle d'Hyrule.
Il ponctua sa dernière phrase d'un clin d'oeil, qui n'eut pas l'effet escompté. Son ami s'affaissa sur la table.
- Je vais peut-être mourir écrasé par un Goron pendant le Tournoi... soupira-t-il.
- Ils sont trop lents pour ça, et puis ils sont peu à vouloir quitter leur chère montagne, dit Link en souriant. Encore désolé pour ton épaule.
- Ce n'est rien, ça n'aura aucune conséquence. Mais arrête de te balader avec ton épée tout le temps, c'est un endroit paisible ici !

Il avait raison. Mais c'était une habitude qu'avait prise Link depuis des années. Il avait assisté à une scène qui l'avait marqué à vie. Cinq ans auparavant, des bandits attaquèrent le village. Les guerriers de Firone repoussèrent avec succès l'attaque, mais parmi les bandits, l'un d'entre eux parvint à se hisser chez lui. Il menaça sa mère et sa soeur, pour un peu d'or. Sa mère refusant, elle fut violentée. Link assista à la scène dans le dos du bandit, impuissant, son épée étant accrochée au mur de la cuisine. Depuis ce jour, sa mère gardait une cicatrice à l'oeil gauche. Lorsque le bandit fut chassé par Oroï, Link saisit son épée et voulut partir à la poursuite de l'homme qui avait blessé sa mère. Oroï l'en empêcha. Depuis ce jour, son épée demeurait à sa ceinture, au cas où.

Après avoir offert un peu de soupe à Kairo, il le raccompagna chez lui. Ce dernier le remercia, puis prit congé. Alors que Link marchait en direction de chez lui, un frisson lui parcourut le dos à nouveau.
"Link..."
Le sol se mit à tanguer, puis les ténèbres l'enveloppèrent.

Chapitre 2 : Voyage vers la citadelle   up

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Link ouvrit les yeux lentement. Une douleur lui sciait le crâne en deux, il avait chaud. Il s'assit et se rendit compte avec surprise qu'il se trouvait à l'arrière d'une calèche en mouvement, en compagnie d'Arielle. Le jour s'était levé. Sa soeur jeta sur lui un regard inquiet.
- Comment tu vas ? demanda-t-elle d'une voix qui laissait poindre son inquiétude.
- J'ai l'impression d'avoir été piétiné par un cheval, répondit Link en se massant le front. Qu'est-ce qui s'est passé ?
Arielle prit un air grave.
- On t'a retrouvé allongé sur le sol, pas loin du puits du village. Tu étais inconscient. Anguin dit que tu as de la fièvre et qu'il te faut des soins particuliers.
- Anguin ? Des soins particuliers ? Où est-il ?
Arielle répondit par un geste de la main vers l'avant de la calèche. Celle-ci était tirée par deux chevaux blancs. Celui de gauche était chevauché par Anguin, celui de droite par Kairo.
- Tu nous as fait une de ces peurs, mon garçon, déclara Anguin. Heureusement, le plus dur est passé.
- Où est-ce qu'on est ? interrogea Link en se redressant.
- À la lisière de la forêt. Nous atteignons la grande plaine. Nous serons à la citadelle dans environ cinq heures.
- La citadelle ?
Arielle posa sa main sur son épaule.
- Notre chef connaît un excellent guérisseur dans la citadelle, non loin du château. Il pourra te soigner.
- Mais qu'est-ce que j'ai ?

Arielle se contenta de hocher la tête de gauche à droite. Link se tourna vers Anguin.
- Une force maléfique, mon garçon, dit simplement le chef.
- Une force maléfique ? Quelle genre de force maléfique ?
- Tout ça importe peu. L'important est de te débarrasser de cette force avant qu'elle ne te prenne.
- Qu'elle me prenne ?
- Ne te pose pas trop de questions mon garçon, repose-toi. Arielle, ma petite, donne de quoi manger à ton frère.
Arielle fouilla un sac de provisions et tendit à Link un morceau de pain, du fromage et un morceau de viande.
- Le bon côté dans tout ça, c'est qu'on va pouvoir assister au tournoi et voir la princesse Zelda de nos propres yeux, dit-elle.
- Mais qu'est-ce que tu fais ici ?
- Maman a refusé que tu partes sans moi. Elle veut que je te surveille, alors tiens-toi à carreau. Attrape.
Elle lui jeta une gourde remplie d'eau.
- Toi ? Me surveiller ? C'est ça.
Il but à grandes gorgées, tandis qu'Arielle laissa échapper un ricanement.
- Je suis née quelques minutes avant toi, je te rappelle, ajouta-t-elle.
- Arielle est la petite soeur du Héros du Vent, dans la légende...
Link entendit Kairo rire lui aussi.
- Au fait, Kairo, ça va ton épaule ?
- Oui, répondit son ami, grâce à ton pansement, c'est comme s'il ne s'était rien passé.

Link se contenta de manger, tout en réfléchissant à ce qu'il venait d'entendre. Ainsi donc, ils partaient pour le château d'Hyrule. N'y ayant jamais été, il ne put s'empêcher d'éprouver une certaine excitation. Mais son étrange maladie l'inquiétait. Qu'était-ce donc ? Pourquoi fallait-il qu'il quitte Firone pour être soigné ? Et quel était cette force maléfique dont Anguin refusait de parler ? Il fallait qu'il sache.
- Une voix m'a appelé avant que je ne perde connaissance.
Anguin se retourna, le dévisagea un moment, puis retourna son attention sur la route.
- Je sais, dit-il.
Et il ne dit plus un mot.

Le voyage se poursuivit sans accroc et bientôt ils atteignirent les grandes plaines, qui s'étendaient à perte de vue. Link recouvrait ses forces petit à petit, la fièvre semblant le quitter. Bientôt il sauta de la calèche pour se dégourdir les jambes tout en la suivant à pied. Arielle l'imita.
- Je ne veux pas t'inquiéter, lui souffla-t-elle, mais Anguin avait l'air très inquiet quand on t'a retrouvé évanoui. Il s'est disputé avec Oroï.
- Pourquoi ça ?
- Oroï était contre le fait de te faire voyager dans cet état. Anguin s'est énervé, et lui a dit que ce qui se passait était hors de portée de sa compréhension.
- Rien que ça. C'est du sérieux alors. Je suis peut-être possédé par un être démoniaque ? Disons Ganon ? À tout hasard ?
En entendant ces mots et en voyant Link sourire, Arielle baissa encore d'un ton :
- Mais tais-toi, tu sais très bien qu'on a interdiction de prononcer le nom de l'Ancien Fléau. Si Anguin t'entendait...
- Ce n'est qu'un démon du passé.
- Mais ça porte malheur, répliqua la jeune fille.
- Je ne te savais pas aussi superstitieuse, Arielle.

Elle arrêta sa marche, les mains sur les hanches.
- Maman a pleuré toute la nuit. On a cru que tu ne survivrais pas à la nuit. Une force maléfique, Link ! On ne doit pas rigoler avec ça !
- D'accord, excuse-moi.
- Hey ! cria Kairo. Qu'est-ce que vous faites ?
Ils avaient bien pris une dizaine de mètres de retard sur lui et son père.
- Hâtez-vous, les enfants, dit Anguin. J'ai pour mission de garantir votre sécurité. Il est hors de question que j'affronte votre mère s'il vous arrive quelque chose. Je lui ai fait face une fois, je l'ai bien regretté. J'en fais encore des cauchemars parfois.
Ils reprirent leur marche.
- Tu es bien calme, pour quelqu'un de dangereusement malade, constata Arielle.
Elle avait accentué le mot "dangereusement", et Link comprit qu'il allait devoir se montrer un peu plus préoccupé par sa situation.
- J'essaie de garder mon sang-froid, répondit-il simplement. C'est pas du raisin, que j'ai vu dans le sac, tout à l'heure ?
- Gros goinfre.

Les voyageurs firent une halte au bord d'un étang, afin de permettre aux chevaux de se reposer et de se désaltérer. Tandis qu'Anguin répétait avec son fils des enchaînements à l'épée, Link les observait, ne pouvant refréner sa rancoeur. Il lui était encore plus douloureux de penser qu'il serait là, à observer son ami tenter sa chance, pendant que lui ne serait que spectateur. Il effleurerait son rêve du bout des doigts sans pouvoir le toucher. En poussant un soupir, il s'approcha un peu plus du lac, et s'assit, regardant son reflet dans l'eau. Il y vit un visage fatigué, avec des cernes. Il ne se reconnaissait pas en ce visage morne et sans énergie.

Arielle s'affairait à nourrir les chevaux. Elle avait une affection toute particulière pour eux, ayant pratiqué de longues balades en forêt sur le dos de chacun d'eux. Depuis toute petite, elle avait pris l'habitude de faire des allers-retours entre l'écurie et son domicile pour leur rendre des visites. Link disait d'elle qu'elle préférait les chevaux aux humains. Cela avait le don de la faire sourire. Le soleil commençant à rougir, Anguin les pressa de remonter dans la calèche.

- Nous avons pris un peu de retard, mais nous arriverons à temps pour la cérémonie. Partons quand même, on ne sait jamais ce qui peut arriver.
Link détourna son regard de son reflet, qu'il avait bien dû observer durant une bonne demi-heure.
- Link, mon garçon, approche.
Un peu méfiant, le jeune homme s'avança vers le chef. Celui-ci retroussa ses manches, puis posa sa main droite sur le front de Link, puis ferma les yeux.
- Qu'est-ce que vous faites ?
- Chut... Laisse-moi me concentrer.
Link resta immobile, légèrement irrité par toutes ces questions qu'ils posaient et auxquelles Anguin n'apportait aucune réponse. Au bout de quelques secondes, Anguin retira sa main et sourit.
- Tu as l'air d'aller mieux. J'ai eu des difficultés à percevoir le mal qui te ronge. Il est toujours présent, mais s'est en grande partie estompé. Peut-être même que tu guériras de toi-même. Mais par précaution, je t'emmenerai tout de même chez mon ami Luca. Il est compétant dans tout ce qui a trait à la magie.
- La magie ? J'ai été ensorcelé ?
- C'est plus compliqué. Je sais que tu dois te poser beaucoup de questions, mais je t'assure, l'ignorance n'est que positive pour toi dans cette situation.

Link avala difficilement sa salive.
- C'est grave et vous ne voulez pas me le dire ? demanda-t-il, n'arrivant pas à cacher son inquiétude.
- Grave, ça aurait pu l'être. Mais non, tu n'as rien à craindre.
- Dans ce cas, pourquoi ne me dites-vous pas ce qui se passe ?
Anguin resta très calme et répondit simplement :
- C'est quelque chose de l'ancien temps qui t'a habité cette nuit. Tu n'as pas besoin d'en savoir plus.
- Pourquoi ?
- C'est comme ça, trancha Anguin avec fermeté. Sache que c'est pour te protéger. C'est pour protéger le peuple que nous ne nous tournons plus vers le passé. Seul l'avenir compte. Tu comprendras avec le temps.
Il jeta un regard à Arielle.
- Toi et ta soeur êtes vraiment trop curieux. J'aime les gens curieux. C'est un signe d'intelligence. Mais votre curiosité pourrait vous exposer à de graves dangers si elle se tourne vers l'interdit. Sans trop t'en dire plus, c'est cette curiosité qui est ancrée en toi qui a poussé cette... chose à entrer dans ton esprit.

Link ne chercha plus à argumenter. Anguin savait ce qu'il faisait. Le jeune homme hocha légèrement la tête de haut en bas pour montrer qu'il avait compris le message et grimpa dans la calèche, à la suite d'Arielle. Ils se remirent en chemin. Les discussions se furent plus légère. Avoir inspecté Link semblait avoir rassuré Anguin et celui-ci se mit à leur parler de la citadelle et de la cérémonie avec engouement. Link, Arielle et Kairo buvaient ses paroles, émerveillés par ce qu'ils entendaient.
- ...et c'est comme ça que j'ai rencontré ta mère, Kairo.
- Elle t'a ramené chez elle parce que tu étais ivre et que tu chevauchais un porc ? J'aurais préféré ne jamais entendre cette histoire, papa...
- Ah, c'était le bon temps, dit Anguin, la voix emprunte de nostalgie.

Il avait une curieuse façon de passer du bon temps, pensa Link. Sa femme était morte en donnant le jour à Kairo. Une perte qui l'avait bien évidemment marqué à vie, le plongeant dans une grande dépression dont il eut du mal à se départir. Malgré cela, il éleva son fils, tout en assurant avec courage et force d'esprit son rôle de chef de village. Kairo, lui, n'avait donc pas de souvenirs de sa mère et ne souffrait donc pas du manque qui rongeait son père. Selena, femme du chef, était d'une bonté sans pareille de son vivant. Elle enseignait les sciences naturelles aux enfants dès le plus jeune âge. La forêt, sa faune et sa flore n'avait aucun secret pour elle. Arielle lui devait la vie lorsqu'elle s'était retrouvée empoisonnée par des baies dans son plus jeune âge. Selena avait alors réagi avec sang-froid, courant dans la forêt pour réunir des ingrédients divers, herbes, fleurs, racines, etc. Elle avait concocté une mixture qui avait eu des effets immédiats sur la jeune fille et l'avait arrachée à une mort atroce. Arielle avait beaucoup pleuré sa mort, n'ayant jamais oublié la dévotion dont avait preuve sa sauveuse, et ayant noué de forts liens avec elle.

- Tu vas bien ?
Arielle leva les yeux sur son frère.
- Oui, dit-elle, sortant des méandres de ses pensées. Ce serait pas la citadelle, là-bas ?
Elle pointa du doigt l'horizon. En effet, une lumière se dessinait au loin, dans la plaine, alors que le crépuscule tombait sur Hyrule.

Chapitre 3   up

En entrant dans la citadelle, Link, Arielle et Kairo furent émerveillés. Les rues étaient bondées de monde, lumineuses et animées. Jamais ils n'avaient vu pareil spectacle. L'agitation qui régnait était telle que Link en eut rapidement le vertige. Les enseignes des maisons et commerces attiraient l'oeil, pas une lanterne n'était éteinte, si bien que même si la nuit était tombée, il régnait une impression de jour. Les passants parlaient avec agitation, s'exprimant avec des gestes amples, discutant de sujets en tous genres, ne se souciant pas des oreilles indiscrètes. Les marchands criaient pour attirer de potentiels clients, chacun vantant les mérites de leurs produits respectifs. Ces derniers étaient mis en valeur sur leurs étals, cible de nombreuses paires d'yeux. Link s'arrêta un moment pour sentir ce qui ressemblait à un potage, mais son odeur n'avait rien de familier pour lui. Sûrement une préparation d'une lointaine contrée, pensa Link.

- Suivez-moi les enfants ! dit Anguin en les invitant à s'exécuter d'un signe de la main. Si on se perd de vue, je ne suis pas sûr de vous retrouver avant plusieurs jours.
Ils s'empressèrent de le suivre dans une petite ruelle déserte. Là, la lumière se faisait moins forte. Il y régnait même une pénombre qui contrastait avec tout le reste. Seul deux ou trois personnes y déambulaient. Les maisons y étaient moins luxueuses qu'autre part dans la citadelle, certaines pouvant presque être qualifiées de ruines.
- Plutôt sinistre, commenta Arielle.
Personne ne répondit à son commentaire. Ils poursuivirent leur marche en silence, loin de la foule qu'ils pouvaient toujours entendre. Link sentit sa gorge se nouer.
- Et la cérémonie ? demanda-t-il.
- Oh, nous avons tout le temps nécessaire, le rassura Anguin. Il est temps que je vous présente mon vieil ami Toruk, membre de l'Ordre des Sages.

Il montra une vieille porte en bois noir, tailladée par ce qui semblait être des traces de griffes. La maison était de travers, et Link se demanda comment elle pouvait bien tenir debout. Peut-être une ruse de vieux sorcier. Les fenêtres étaient rendues opaques par ce qui s'avérait être de la poussière. Des mauvaises herbes de tous genres avaient élu domicile sur le palier et sur toute la devanture de la maison.
- Il y a vraiment quelqu'un qui habite ici ? ironisa Kairo.
Son père, comme souvent, ne répondait pas aux questions qu'il jugeait inutiles. Il s'avança dans la broussaille, par dessus les mauvaises herbes, s'approcha de la porte, puis frappa. Cinq coups, nets et réguliers.
- C'est convenu que je frappe cinq coups lorsque c'est moi, expliqua Anguin. Toruk est un peu... disons qu'il est solitaire et reçoit peu de monde. Mais c'est un homme bon. Il m'a été d'un grand soutien jadis.

Des bruits de pas précipités se firent entendre à l'intérieur. Une faible lueur parvint de derrière la porte, puis celle-ci s'ouvrit enfin. Toruk était très différent de ce qu'avait imaginé Link. Il était grand, costaud, et plus jeune qu'il l'aurait pensé, lui qui s'attendait à voir un vieux sage avec une grande barbe blanche. Toruk était au contraire rasé de près, propre sur lui, ce qui étonna Link compte tenu de l'état de la maison. Il avait une chevelure brune hirsute, les yeux vifs (cela se vit malgré la pénombre ambiante).

- En voilà un beau petit monde ! s'exclama Toruk, en décrivant un large cercle avec sa lanterne pour observer chacun.
- Bonjour monsieur, s'empressa de répondre Arielle.
Toruk la regarda de haut en bas, comme surpris d'être salué. Il eut l'air momentanément gêné, puis adressa un sourire à Arielle.
- Bonjour, chère demoiselle. Que me vaut l'honneur de votre visite ?
- Toruk, mon ami, dit Anguin.
Il tendit une main vers l'homme qui la saisit fermement.
- Anguin, quel bon vent t'amène ?
- La cérémonie, Toruk.
- Bien évidemment, la cérémonie. Mais que fais-tu donc chez moi ? Ne devrais-tu pas te saoûler sur la place de la citadelle aux Trois Sangliers avec tes amis, comme chaque année ?
Le visage d'Anguin se décomposa, il s'éclaircit la gorge.
- Voyons, Toruk, qu'est-ce que tu dis ? Ce n'est pas...
- Allez, entrez ! s'esclaffa Toruk. Cette année, c'est moi qui vous paye le premier verre.

Il entra dans la maison et tous lui emboîtèrent le pas. À la surprise générale, l'intérieur était très joliment décoré, lumineux et très chaleureux. La façade sinistre de la maison était sûrement une couverture, pensa Link. Toruk les invita à s'asseoir sur des tabourets, tout autour d'une table qu'il garnit bientôt de nourriture de toutes sortes, et de diverses boissons. Toruk prit son verre de vin et l'avala d'une traite, avant de le reposer un peu bruyamment sur la table.

- Bien ! s'exclama-t-il. Anguin, mon cher, je sais qu'il y a une autre raison à ta venue ici qu'une simple visite de courtoisie.
- Tu l'as senti ? demanda Anguin.
Toruk acquiesça de la tête.
- En effet... le sceau est devenu instable.
Anguin fit silence, puis fixa intensément et avec insistance Toruk. Il y eut un moment de gêne. Link comprit que Toruk avait engagé une conversation qu'Anguin ne voulait pas avoir devant eux. Mais Toruk ne sembla pas comprendre le message et se tourna vers Arielle, Link et Kairo.
- Les enfants, connaissez-vous la Légende du Héros du Vent ?
- Bien sûr qu'ils la connaissent, coupa Anguin, sa voix trahissant un certain agacement. Tout le monde la connaît.
Toruk marqua un temps de pause.
- Bien sûr, tout le monde la connaît à travers les livres. De vieilles légendes, elles-mêmes vieillies par les récits. La moitié des choses que les gens se racontent ont été embellies, ou amoindries. Ce ne sont plus que des fragments du passé. La véritable histoire n'est plus racontée.
- Et vous la connaissez ? demanda Link, soudainement agité.
La perspective d'en savoir plus sur les légendes qui ont bercé son enfance l'avait sorti de la torpeur qu'avait provoqué en lui la coupe de vin qu'il avait bu précédemment.
Anguin regarda Toruk avec une expression désapprobatrice, mais ce dernier n'en tint pas compte.
- Alors laissez-moi vous raconter la Légende du Héros du Vent.
Il se leva de sa chaise, levant les mains au dessus de lui de façon théâtrale.

- Il y a des siècles et des siècles auparavant, le Royaume d'Hyrule fut attaqué par un fléau maléfique. Comme nombre d'entre nous le savons, chaque fois qu'Hyrule fut en proie au mal, un héros tout de vert vêtu se dressait contre ce mal, l'épée de Légende en main, et scellait le monstre. Or en cette période, aucun héros n'apparut. Pour ne point laisser le royaume aux mains de cet homme, du nom de Ganondorf, le roi pria les dieux grâce à la Triforce, et les terres furent ensevelies sous les mers, tandis qu'une poignée d'habitants furent choisis pour repeupler ce qui restait des terres d'Hyrule, c'est-à-dire des îles sur un vaste océan.
Toruk marqua une pause et prit une gorgée dans sa coupe. Un silence profond s'était installé. Même Anguin, réticent au premier abord, s'était pris au jeu et écoutait avec intérêt.
- C'est sur une de ces îles, l'île de l'Aurore, que naquit un garçon, portant le nom de Link. Ce fut lui qui lorsque les mers furent menacées et que sa soeur Arielle fut enlevée, parcourut les mers à l'aide du Lion Rouge, réincarnation du roi déchu en bateau doué de parole. Il entreprit de rouvrir le passage vers l'Hyrule enfoui, et y trouva l'épée de Légende. Il se dressa, lui et la princesse Zelda, contre le terrible Ganondorf. Le combat fut rude, mais Link triompha, plantant l'épée dans le crâne de Ganondorf. Le roi à nouveau reformula le même voeu, celui de noyer l'ancienne Hyrule avec Ganondorf, afin que les habitants des îles puissent construire un nouvel avenir, loin des maux ancestraux.

Toruk se rassit, l'air soudain grave.
- La suite de l'histoire est source de divergence. Pour la plupart, le pouvoir de l'épée de Légende, ainsi que celui de la Triforce, disparurent en même temps qu'Hyrule disparut sous les flots.
- Mais il existe une autre théorie, dit soudain Anguin, sortant de son silence.
Tous se tournèrent vers lui, surpris. Toruk l'invita à poursuivre.
- Cette partie de l'histoire est inconnue du grand public. Nous autres, sages, percevons une force depuis notre naissance, dit Anguin. Quelque chose s'agite, quelque part dans le monde. Nous le sentons. Une force démoniaque. Il existe un cycle. Il nous vient du début des temps. À cette époque naquit le premier héros, dans les cieux. Le mal incarné vit le jour sous les traits de celui qu'on surnomme l'Avatar du Néant. Cet Avatar ne souhaite que chaos et désolation. Il jeta une malédiction sur le Héros et sur la famille royale, de sorte qu'il puisse renaître indéfiniment, parfois sous une forme bestiale, parfois sous une forme humaine. Chaque cycle voit s'opposer les descendants du premier héros et ceux de la famille royale à la réincarnation de l'Avatar. Ce dernier cherche encore et toujours à revenir à la vie. Seulement aujourd'hui, je suis persuadé que ce cycle a redémarré, et que nous devons faire preuve d'une extrême prudence.
- Pardon ? s'exclama Toruk. Comment ça, le cycle a recommencé ?

Son expression avait changé. C'était comme s'il avait peur. Link sentit son estomac se retourner.
- Est-ce que ça a un rapport avec moi ? demanda le jeune homme, sa voix tremblante trahissant son inquiétude.
Toruk fixa Link dans les yeux. Il recula tout à coup et bascula de sa chaise en arrière.
- Nom de ...
Cette fois, Link se leva, le coeur battant.
- Qu'est-ce qui se passe ? Expliquez moi !
Toruk se leva, le doigt pointé vers Link
- Que les Déesses nous viennent en aide, mon garçon. Tu es marqué.
- Marqué ?
- Link...
Anguin avait posé sa main sur l'épaule du garçon.
- Link, c'est pour cela que nous sommes ici. L'épée de Légende t'appelle.
Link se rassit, les mains tremblantes. Il avait des difficultés à assimiler tout ce qu'il entendait. Arielle intervint :
- Et ce n'est pas une bonne chose ?
Toruk se rassit et prit la parole :
- Beaucoup d'hypothèses nous viennent lorsqu'on aborde ce sujet.
Il pointa Link du doigt :
- Je ne pense pas que libérer l'épée soit une bonne chose. Je ressens une énergie en lui, mais il s'agit de quelque chose de mauvais.
- Pourquoi cela serait mauvais ? demanda la jeune fille.
- Il serait totalement inconscient de libérer l'épée. Cela reviendrait à retirer le sceau apposé sur Ganondorf. Hyrule n'a connu aucune trace d'une quelconque manifestation de l'Avatar du Néant depuis des siècles. Cela est bien la preuve que cette épée doit rester scellée.

Anguin avait prononcé ces mots d'un ton assez féroce.
- L'épée est restée bien trop longtemps inerte, poursuivit-il, plantée dans le corps de Ganondorf. Qui sait quelle est aujourd'hui sa véritable nature ? Je l'imagine souillée et sans pouvoir, en tout cas non dotée de ses pouvoirs originels.
- C'est une hypothèse très fondée, acquiesça Toruk. J'imagine que tu as commencé à entendre des voix, mon garçon.
Link le dévisagea. Il perçut sur son visage une once d'hésitation.
- Pourquoi cela m'arrive-t-il à moi ? demanda-t-il.
- L'épée t'appelle, dit Toruk, parce qu'elle t'estime digne de la porter.
Link prit le temps de prendre la pleine mesure de ce que son interlocuteur venait de lui dire.
- Seulement, dit le jeune homme, ce n'est pas un appel emprunt de gentillesse. Ses voix m'attaquent...
Anguin leva tête de bas en haut :
- Oui, mon garçon. L'épée est maudite, mais elle cherche à se libérer. Son essence même semble avoir été pervertie. Elle a vécu bien trop longtemps dans le corps de Ganondorf.
- Mais comment vous pouvez savoir tout ça ?
- Nous le sentons, Link, répondit Toruk. Nous, les Sages sommes les descendants d'anciens Hyliens aux pouvoirs magiques puissants. Nous percevons des énergies que nul autre ne peut voir. Et toi, Link, il semble que le sang du Héros du Vent coule dans tes veines. L'épée t'appelle.
- Et qu'est-ce qu'on va faire ?

Toruk dévisagea Anguin.
- Anguin... Je comprends maintenant pourquoi tu m'as amené ce garçon ici.
- Oui, tes connaissances en Psysalis vont nous aider.
- Une Psysalis ? interrogea Kairo, jusque là resté silencieux. Ce n'est pas dangereux ?
- Qu'est-ce qu'une Psysalis ? demanda Arielle.
- J'en ai subi une il y a quelques années, expliqua Kairo. Il s'agit pour le sujet de pénétrer à l'intérieur de son propre esprit afin d'y supprimer quelque chose d'indésirable. C'est quelque chose d'assez... éprouvant.
Link lança des regards affolés autour de lui.
- Je vais devoir faire ça ?
- Nous allons tout t'expliquer en détail, mon garçon, lui dit Anguin. Nous allons t'administrer un produit qui te plongera dans un profond état léthargique.
- J'adore, commenta Link avec ironie.
- Mais tu ne seras pas totalement endormi. Ton corps le sera, mais ton esprit dérivera. C'est là que Toruk interviendra. Il va te guider dans le monde onirique de la Psysalis. Je dois t'avouer que ce n'est pas forcément l'expérience la plus agréable qui soit. Lorsqu'on s'attaque à l'esprit profond, celui-ci se défend assez bien. Mais seule une Psysalis permet de plonger assez profond.

Ces mots sonnaient étrangement aux oreilles de Link. Il avait l'impression qu'il partait en voyage dans une contrée sinistre, et qu'il allait s'enfoncer dans des marécages peu avenants, au milieu d'une forêt très sombre et dense, peuplée de créatures toutes aussi sinistres. Le genre de voyage d'où on ne revient pas forcément entier. Tandis que d'innombrables pensées se bousculaient dans sa tête, les choses commencèrent à bouger autour de lui. Un canapé dans le coin de la pièce se libéra et Toruk y plaça une large serviette. Il tenait à la main une carafe contenant un liquide étrange, d'un vert fluorescent. Sa lueur se reflétait d'ailleurs sur son visage. Anguin tenait à la main un étrange grimoire rouge à la tranche usée.
- Par ici, mon garçon, lui dit Anguin en le prenant par l'épaule.
Il l'emmena jusqu'au canapé où il le força à s'allonger. Tous prirent place autour de lui.
- Kairo ? demanda Link d'une voix quelque peu tremblante. Tu parlais de risques ? Quels sont-ils ?
- Le pire, dit Toruk, serait que je perde totalement contact avec toi pendant la Psysalis. Ton esprit errerait pendant des jours sans attache et s'en retrouverait grandement affecté à ton réveil.
- C'est super, dit Link. Je voulais ce genre de réponse rassurante.

Toruk lui leva légèrement la tête pour lui faire boire le liquide fluorescent à l'aide d'une louche. À la surprise de Link, le liquide n'avait ni d'odeur, ni de goût. Il eut l'impression de boire de l'eau.
Il ferma alors les yeux.

Chapitre 4 : Psysalis   up

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Un silence total se fit. Link ouvrit lentement les yeux. Il se trouvait baigné dans une étrange atmosphère bleutée. De fines particules de lumière blanche, comme des petites étoiles, flottaient çà et là au-dessus de sa tête. Link se leva brusquement, en état d'alerte.
- Mais qu'est-ce que...
Il reconnut immédiatement l'endroit où il se trouvait. Il était sur la place centrale de la citadelle d'Hyrule, le centre symbolique du royaume. Devant lui se dressait le château royal. La place était déserte, ce qui donnait vraiment une atmosphère inquiétante.
"Link..."
- Bordel de... !
"C'est moi, Toruk. Tout va bien ?"
- Vous m'avez fait peur, vous n'auriez pas pu prévenir ?
"C'est bien ce que je fais là. Trêve de bavardage. Plus tu passeras de temps dans cet espace onirique, plus il deviendra agressif envers toi, alors dépêchons-nous, si tu veux bien. Décris-moi l'endroit où tu te trouves."

Link regarda lentement autour de lui, le coeur encore battant. Un rapide coup d'oeil lui confirma qu'il n'y avait aucun signe de vie. Les bâtisses n'émettaient aucune lumière, ni aucun bruit quelconque. Le ciel lui-même semblait éteint, baigné dans cette oppressante lueur bleutée. Au centre de la place, la fontaine était immobile. L'eau y était figée, des éclaboussures restant en suspens. Le temps lui même semblait suspendu.

- Je suis sur la grande place. Mais il n'y a personne. Et tout est si... bleu. Le temps n'avance plus. C'est normal ? Qu'est-ce que je dois faire ?
"Ecoute-moi bien, mon garçon. Nous cherchons des fragments de ton âme qui ont été corrompus. Elles ne peuvent pas passer inaperçus. Alors concentre-toi et dis-moi si tu vois quelque chose d'anormal."
- Tout est anormal ici ! s'exclama Link.
"D'encore plus anormal !"

Link observa plus lentement les alentours, scrutant le moindre détail. Il se mit à marcher pour se rapprocher de la fontaine centrale. Au même moment, la teinte bleutée passa au rouge et des silhouettes apparurent partout autour de lui, et il se fit entendre une forte clameur. Il se stoppa net. Le rouge repassa au bleu et les silhouettes fantomatiques disparurent dans des volutes de fumée. Le calme revint.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
"Quoi donc ?
- J'ai marché, et tout est devenu... bizarre, il y avait des gens partout !
"Phénomène normal. Tu dois te mettre en tête que plus tu utilises d'énergie dans cette dimension, plus celle-ci va s'altérer et se défendre, donc garde tes forces et va à l'essentiel."
- Mais... ces présences ?
"De simples fantômes de ton subconscient. Des gens que tu as croisés dans la vraie vie, où des projections que tu te fais d'elles. Elles vont rester inoffensives. Pour le moment.
- Pour le moment ?

Link prit une grande bouffée d'air et se remit à marcher, cette fois en direction du palais. Le monde autour de lui se remit en ébullition, Le jeune garçon put voir une mère et son bébé, installé dans son landau, des enfants jouant autour de la fontaine, des gardes royaux effectuant leur ronde... Aucun d'entre eux ne semblait faire attention à lui.
"Link..."
Le château brillait plus que tout le reste, et il sembla à Link que des bruits plus forts s'en dégageaient.
- Toruk, je crois que j'ai trouvé. Le palais.
"Alors dirige-toi sans plus tarder vers lui."

À la fois effrayé par l'expérience qu'il était en train de vivre et l'impatience qu'il avait à y mettre un terme, Link s'y mit au pas de course. Le château se mit à briller encore plus fort, et Link entendit des cris en provenir. Mais ces cris n'avaient rien d'humain.
"Link..."
- Oui, il se passe quelque chose au château !

Tandis que Link entreprit de remonter l'allée royale en courant, il s'efforça d'occulter de son esprit tout ce qui se passait autour de lui. Peut-être cela lui éviterait des cauchemars supplémentaires, car il en était certain, il allait en faire, suite à cette plongée dans son esprit.
Tout à coup, Link entendit un bruit familier : le souffle d'une lame, et d'instinct, il se baissa. Une longue épée passa au-dessus de sa tête. Lorsque Link se retourna, un guerrier lui faisait face, mais d'aucune nature qu'il avait pu connaître. Son visage était squelettique, laissant paraître les saillies de sa mâchoire, et deux rangées de dents serrées. Ses yeux étaient absents, laissant deux lobes oculaires creux. Il portait une large et épaisse armure, érigée de pointes affûtées. Ce fut tout ce que put voir Link avant que le garde lui assène un nouveau coup d'épée. Sans hésiter, Link plongea sur le côté pour esquiver un coup qui lui aurait sûrement été fatal, puis de sa jambe, il balaya celles du garde. Celui-ci perdit équilibre et disparut dans un tourbillon de fumée. L'épée quant à elle tomba au sol dans une série de rebonds qui firent raisonner son bruit métallique contre le sol dans tous les environs.

Allongé sur le canapé, Link se mit à s'agiter dans son pseudo-sommeil.
- Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda Anguin.
- La Psysalis commence à se défendre, répondit Toruk, posant une main sur le front du garçon endormi. Et je ne m'attendais pas à une réaction aussi violente.
Arielle s'approcha du canapé.
- Ce qui signifie ? demanda-t-elle, sa voix ne pouvant cacher son inquiétude.
Toruk eut un air grave.
- Et bien, vous vous souvenez du moment où j'ai expliqué à ton frère que la Psysalis n'était pas une expérience agréable et qu'elle comportait des risques ? J'ai précisé que si je perdais contact avec lui, son esprit pourrait s'en trouver affecté au plus haut point. Et bien nous y sommes, et je me vois dans l'obligation de vous avouer que la tâche va être plus difficile que prévu.

"Link"
- Toruk, il vient de m'arriver quelque chose d'encore plus anormal. Un garde a essayé de me découper avec son épée. Il se passe quoi ?
Il y eut un silence de quelques secondes, puis la voix de Toruk résonna à nouveau dans la tête de Link.
"Bien. Écoute attentivement. Ton esprit est plus torturé que je ne le pensais. Il va falloir qu'on se dépêche. Ne crains rien, je te guide. Mais surtout, reste attentif à ce que je te dis. Je ne dois pas perdre ta trace. Procure-toi de quoi te défendre contre les spectres guerriers qui vont apparaître. Les dégâts que tu subiras dans la Psysalis seront directement répercutés sur ton esprit."
"Réjouissant", pensa Link en saisissant l'épée tombée au sol.

Il se remit à courir vers le château. Plusieurs spectres lui barrèrent rapidement la route, mais avec l'habileté qu'on lui connaissait, ils furent tous défaits en quelques coups d'épée. Link para un premier coup, le rebond de sa lame allant directement transpercer le torse d'un deuxième esprit. Puis sa lame revint sur le premier en le décapitant. Le troisième arrivant n'eut même pas la chance de voir quelque chose arriver et fut tranché verticalement en deux. Le dernier adopta une posture défensive, retranchée, pointe de l'épée vers l'avant.

"Link".
- Oui, je me dépêche ! J'aimerais vous y voir !
Dans un formidable élan, il dévia d'un grand coup la lame de son opposant et plongea sur lui, le renversant à terre. La lame de l'esprit fut totalement balayée et expulsée sur le côté. Link, un genou sur le bassin du guerrier et le pied opposé fermement ancré sur le sol, porta le coup de grâce, avant de se relever, le souffle haletant. Le coeur battant la chamade, Link ouvrit les portes du palais et entra.

"Link".
...
- Link ! Link ! répétait Toruk, de plus en plus fort.
Le corps du jeune garçon était parcouru de soubresauts. Il regarda Anguin, Kairo, puis Arielle.
Allez me chercher de quoi le ligoter. Anguin, dans la commode, derrière toi, il doit y avoir des tissus qui feront l'affaire. Kairo, pourrais-tu aller chercher de l'eau dans le puit au fond du jardin ? C'est tout au bout du couloir, la porte de droite. Quant à toi, ma douce, tiens la main de ton frère, il ne faut pas qu'il perde le contact avec notre monde, je vais chercher quelque chose.

Sur ces mots il s'absenta dans une pièce voisine. Anguin s'approcha d'une imposante commode, alors que Kairo s'empressait de rejoindre le jardin. Arielle prit la main de son frère et la serra. Dès lors qu'elle fit cela, un phénomène s'empara d'elle. Elle fut saisie d'un grand vertige, qu'elle s'efforça de surmonter. Elle entendait des voix dans sa tête. Non, une voix, celle de son frère. Mais ce qu'il disait demeurait incompréhensible. Il s'agissait d'un flot tumultueux de pensées n'ayant aucun lien entre elles.

- Link ? dit-elle. Link, tu m'entends ? Est-ce que tu m'entends ?

Link se trouvait dans cette étrange salle, plutôt confinée, ce qui l'étonna. Manifestement, il ne se trouvait plus dans le château d'Hyrule. Le plafond était rocheux, irrégulier, de même que les murs. On aurait dit une caverne, excepté que le sol lui était lisse. Un monticule rocheux était érigé en plein centre. Et Link la vit : l'Épée de Légende, plantée dans la pierre, en haut de ce monticule.

"Link ! Tu m'entends ?"
Link perçut comme une chaleur, un certain confort l'envahir. Il ressentit comme une force bienveillante l'envelopper. Quelqu'un souhaitait l'aider. Sa soeur.
- Arielle ? C'est toi ? Qu'est-ce qui se passe ?
"Link, oui, c'est moi. J'ai pris le relais. Toruk est allé chercher je ne sais quoi."
- Il se passe quoi en haut ?
"C'est juste que, physiquement, tu supportes mal la Psysalis apparemment, mais Toruk sait ce qu'il faut faire, ne te préoccupe pas pour ça.
- Donc pour résumer, là, en ce moment, je suis en train de risquer de perdre la boule en me baladant dans ma propre tête, et en dehors, mon corps me lâche aussi ?
"Link, concentre-toi. Il se passe quoi où tu es ?"
- Tu n'en croirais pas tes yeux, Arielle. Les anciens ont raison, l'Epée de Légende m'appelle. Elle est juste devant moi. Je fais quoi ?
"Je demande".

Link s'approcha prudemment de l'Epée, pas à pas, au cas où un esprit guerrier ferait son apparition. Mais il n'en fut rien. L'Epée était là, étincelante malgré la pénombre environnante, et envoyait des rais de lumière se perdre sur les murs rocheux. Ne recevant pas de nouvelles consignes, Link se décida à l'approcher totalement. Il la contempla de long en large, fasciné par cet instrument qui avait su tant de fois repousser les ténèbres. Quelle noblesse !
"Link".
- Oui ?
"Link".

C'était l'Épée, elle l'appelait, il le sentait. Il approcha sa main de la poignée et sentit soudain une impression de puissance phénoménale parcourir son corps. C'était comme si tous ses sens s'éveillaient. Une puissance au-delà de l'imaginable, une puissance conférée par les dieux. Et toute cette puissance n'attendait que lui.
"Link".
- Arielle ? Je fais quoi ? Est-ce que je dois la prendre, ou pas ?

L'envie dépassa ses mots. Il saisit le manche à deux mains, et tira de toutes ses forces. À sa grande surprise, la roche autour de la lame s'effrita et il put dégager l'épée sans difficulté. Il la brandit en l'air, s'imaginant déjà comme le prochain sauveur d'Hyrule, tout de vert vêtu, pourfendant le mal avec sa nouvelle amie de métal. Soudainement, un rire s'éleva dans la pièce. Un rire sinistre, démoniaque. Quelque chose sortit de sous terre et attrapa la cheville de Link. Une main. Puis à mesure que le monticule de pierre s'effrita, il se transforma en un homme au teint mat et à la chevelure de feu lever les yeux vers lui avec un sourire mauvais. Ganondorf.

Sur le canapé, le corps de Link était en proie à de violents spasmes, de la mousse écumant de sa bouche.
- Toruk ! hurla Anguin. Il se passe quelque chose ! Reviens vite !
Kairo était déjà de retour, avec un seau qu'il avait posé sur la table et Anguin avait ligoté les bras de Link contre sa taille, ainsi que ses chevilles entre elle. La situation l'exigeait, car le pauvre garçon se démenait contre des forces invisibles, au sein de son propre esprit.
- J'arrive ! hurla Toruk dans la pièce d'à côté. Humidifiez-lui le front avec un torchon. La crise sera amoindrie.
Kairo s'exécuta, plaçant un linge imbibé d'eau sur le front de son ami. Anguin eut la présence d'esprit de placer un chiffon dans la bouche de Link.
- C'est pour éviter qu'il ne se morde la langue, expliqua-t-il. Toruk !
Toruk revint dans la pièce, il y vit le regard terrifié d'Arielle. Celle-ci parvint à balbutier les mots suivants :
- L'Epée de... de Légende... Ganondorf... il faut...

Toruk tenait une nouvelle carafe remplie du liquide fluorescent qui avait plongé Link en transe. Il faillit la lâcher en entendant ce que la jeune fille dit, mais il se contrôla et accourut, déposant avec hâte la carafe sur la table. Il fit signe à Anguin de se pousser et posa sa main sur le front de Link.

- Link ! Link !
Il regarda les autres à tour de rôle.
- Je ne le perçois plus. Mais j'ai vu Ganondorf en flash, dans ma tête.
Puis il ferma les yeux et s'adressa à nouveau au jeune homme allongé.
- Link ! Il faut que tu m'écoutes, tu es trop loin de moi ! Écoute ma voix !
Ne percevant pas de réponse, il saisit le seau d'eau sur la table et aspergea Link tout entier de l'eau qui y restait. Puis il retenta le coup.
- Link, mon garçon ! Tu dois revenir par toi-même, je ne peux pas te ramener sans te transformer en légume !

Toujours rien. Il fixa un coup d'oeil à la carafe qu'il avait rapportée. Il fit un signe de tête à Kairo. Celui-ci la saisit et la porta vers la bouche de Link, alors que Toruk redressait la tête du garçon, et retirait le chiffon de sa bouche. Lentement Kairo et Toruk entreprirent de faire ingérer le liquide à Link.

- C'est risqué, mais il s'est égaré. Une surdose va le stabiliser un tant soit peu, et j'espère pouvoir reprendre le contact. Sinon, je n'ai aucune idée de l'état dans lequel il va se réveiller.
Link avait retiré vivement sa cheville et s'était écarté de Ganondorf. Ce dernier le fixait avec un sourire emprunt de férocité.
- N'approchez pas ! dit Link en brandissant son épée.
- Merci, jeune homme. Merci de m'offrir ton esprit !
Il se jeta sur Link, qui par réflexe essaya de le frapper d'un coup d'épée. Mais à sa grande stupeur, l'épée traversa littéralement le corps de Ganondorf, comme s'il n'était que fumée. En revanche, Ganondorf saisit Link à la gorge, et l'immobilisa contre un rocher.
- Hyrule sera bientôt mienne.

Et il éclata de rire. Son rire résonnait dans la tête de Link, qui luttait pour respirer. Mais alors que l'homme démoniaque semblait avoir le dessus, une énorme lumière bleue envahit la pièce, aveuglante, et Ganondorf fut projeté en arrière. Link en revanche, ressentit un élan de force parcourir son corps.
"Link."
- Toruk ! Aidez-moi, faites-moi sortir !
"Link, je sais ce que tu vis, mais je ne peux pas te faire sortir d'ici. Fuis !"

Avant que Ganondorf n'ait le temps de se relever, le jeune homme défonça la porte qui l'avait mené dans cette caverne. Il se retrouva à nouveau à l'entrée du château. Mais le ciel était rouge sang et un orage avait éclaté. Une violente pluie déferlait sur la citadelle. L'atmosphère était devenue cauchemardesque et des dizaines de spectres guerriers se tenaient dans la rue principale.
- D'accord, se dit Link à lui-même. Aucune autre option : courir.

Et dans un cri de rage, il entama une folle course à travers la ville, déchirant un premier esprit au passage avec l'Epée de Légende. Les autres fondirent sur lui, mais Link ne se préoccupa uniquement que de ceux qui lui barraient la route, esquivant leurs coups d'épées, en tuant plusieurs au passage

- Je vais où ? hurla-t-il, avant d'effectuer une roulade salvatrice en avant.
"Là où tout a commencé, Link. Tu dois revenir directement dans ton corps. Va chez moi. Tu peux situer où c'est ?"
- Non, mais vous pouvez me guider ?

Un saut périlleux lui évita de se faire embrocher. Prenant appui sur l'épaule d'un des spectres, il se projeta sur un balcon, puis monta sur le toit. C'étaient des centaines de spectres qui accouraient vers lui, telle une armée. Il pouvait les voir au loin sur la place centrale.

- Oh là là...
"Repère une horloge, elle surplombe tout un quartier au sud-est de la ville. Donc regarde à quarante-cinq degré à gauche lorsque tu es dos au château."
Link vit en effet une sorte de tour au loin, à quelques centaines de mètres de lui.
- C'est noté !

Il se mit à courir sur les toits, le fait que les maisons soient mitoyennes lui permettant de progresser. Malgré tout, les toits étaient pentus et la pluie rendait le tout glissant. En contrebas, les spectres se tassaient contre les murs, le suivant de près. S'il glissait, c'en était terminé de lui.
Link dut malgré tout sauter d'un toit à l'autre à plusieurs reprises. Après cinq bonnes minutes, il parvint aux environs du clocher. Dès lors il reconnut le chemin et se déplaça vers la ruelle de Toruk, jusqu'à atteindre le toit de sa maison. Mais comment entrer avec tous ces spectres en bas ? Sans réfléchir plus longtemps, Link entreprit de percer le toit avec son épée. Il vit avec horreur que plusieurs spectres avaient réussi à monter sur le toit et s'approchaient de lui. Link donna de grands coups d'épée, en hurlant. Ce fut lorsque la lame d'un spectre fendit l'air en sa direction que le sol s'effondra enfin. Il y eut une lumière aveuglante, accompagnée d'un grand fracas, comme un coup de tonnerre.

Chapitre 5 : Les Trois Sangliers   up

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Link se redressa d'un bond, inspirant difficilement une première bouffée d'air. Il fut saisi par les bras et ramené de force sur le canapé.

- Calme-toi, Link, c'est fini.
Il reconnut la voix d'Arielle et s'immobilisa pour reprendre ses esprits. Quatre visages étaient penchés au-dessus de lui.
- Je... je vais bien, dit Link. Je crois. Est-ce que ça a marché ?

Il s'assit lentement sur le canapé, reprenant son souffle. Il remarqua que ses bras et ses jambes étaient liés, ses habits trempés et il nota les visages inquiets des autres. Anguin défit ses liens et lui tendit une tasse de tisane.

- Bois, mon garçon. Tu as besoin de t'hydrater. Ton corps a beaucoup puisé dans ses ressources.
Puis Anguin saisit le grimoire que Link l'avait vu porter avant son obscure séance d'introspection et l'ouvrit. Toruk faisait les cent pas.
- Est-ce que ça a marché ? répéta Link, d'une voix laissant paraître son impatience.
Toruk revint près de lui et posa une main sur son front. Puis il prit la parole.
- Nos hypothèses étaient fondées, dit-il. L'épée a été corrompue. Grâce à ta plongée dans la Psysalis, nous en avons maintenant la certitude. Je sens à travers toi une force démoniaque prête à tout pour changer la face de notre monde. Le fait est que la connexion entre toi et l'épée est devenue si forte qu'il n'est pas possible de te défaire de ce lien. Pas de cette manière en tout cas.
- J'ai une force démoniaque en moi ? demanda Link.
- L'épée seulement, mon garçon. Mais elle continuera inlassablement de t'appeler. Tu vas devoir te rendre dans divers endroits pour que cela cesse : les temples respectifs des trois déesses fondatrices, Din, Farore et Nayru. Ces temples sont éparpillés en Hyrule, mais je ferai en sorte que tu sois bien accompagné. En ces trois lieux, tu pourras purger ton esprit. Tu y rencontreras des prêtresses aux pouvoirs divins.
- Toruk ?
Anguin tendit le livre à son ami.
- Merci, dit ce dernier, qui commença à marmonner. Voyons voir ce que tu m'as trouvé. Oui... possession corporelle... la prophétie noire... Lune de sang... Oui, bien sûr, le masque de Majora... Hmm... Intéressant...
Toruk referma le livre d'un claquement sec.
- Eh bien, dit-il, il s'agirait de ne pas tarder. Je vous suggère d'aller vous détendre un peu avant le début de la cérémonie. Mais dès demain, revenez me voir pour que je vous donne les dernières directives avant votre périple.
- C'est entendu, répondit Anguin. Les enfants, nous y allons. Merci, mon ami.
Les deux hommes se serrèrent la main.

Quelques minutes plus tard, Anguin, Kairo, Arielle et enfin Link marchaient dans les rues de la citadelle, retrouvant l'atmosphère joviale de la ville. Link, encore crispé de l'expérience vécue, parvint à se détendre un peu.

- Bien, nous avons quelques heures avant le début de la cérémonie, annonça Anguin. Direction les Trois Sangliers ! Et... Link, je sais que tu es un jeune homme physiquement fort, mais dis-nous si tu as besoin que l'on ralentisse un peu. Tu récupères certes vite, mais il peut y avoir quelques effets secondaires.
- Je vais bien, répondit Link. Je me demandais juste, c'était quoi ces histoires macabres de prophétie, de sang, de possession ou je ne sais quoi ?
- Heureusement mon garçon, ça n'a aucune importance. Ce ne sont que des détails que nous n'aurons jamais le malheur de connaître, et c'est très bien comme cela.
Link estima qu'il avait eu sa dose de macabre pour toute une vie et abandonna les questions. Arielle posa une main sur son épaule.
- C'était impressionnant, dit-elle à son frère, mais tu t'en es très bien sorti apparemment. Nous, on t'a vu gesticuler dans tous les sens. Tu paraissais souffrir.
Elle se mit soudain à rire.
- Et tu bavais comme un bébé ! J'ai dû essuyer ta petite bouche en permanence !
Devant le regard noir de son frère, elle cessa de rire.
- Désolé, c'était nerveux. Alors, l'épée t'a réellement choisi...
- Oui, je l'entendais me parler. Et j'ai ressenti quelque chose de fort. Je sentais qu'on était connectés.
- Peut-être que c'est ton destin de t'en emparer ? Pour la purifier, ou quelle chose de la sorte.
- Déjà, si je pouvais me purifier moi, ce serait une avancée.

Le petit groupe arriva sur la grande place. Link frissonna en voyant la fontaine et les bâtiments tout autour. Les choses étaient exactement telles que dans son voyage spirituel. La différence étant que cette fois, il y avait une foule de gens et les bâtiments étaient pleins de vie.

- Anguin !
Un homme attablé sur une terrasse de bar se levait, une chope à la main et prenait Anguin dans ses bras, renversant la moitié de sa chope au passage.
- Balmor ! s'exclama Anguin. Comment va ta femme ? Apportez-moi une chope de bière !
Sans ne prêter plus aucune attention aux jeunes, il alla s'installer avec son ami à sa table, totalement hilare.
- Bon, dit Kairo, essayons de nous intégrer ?
- Vendu, dit Link.

Et il prit la tête du groupe pour entrer dans la taverne. L'intérieur était rempli de monde. Des rangées de tables rectangulaires servaient de terrains de discussion à beaucoup de gens, certains très propres sur eux, d'autres ayant plutôt l'air d'avoir bu un tonneau de vin à eux seuls. Des saucissons par dizaines étaient accrochés au plafond. Sur la droite, le patron de l'établissement discutait avec un client au comptoir, tous deux ayant l'air de plaisanter entre eux. Tout au fond à droite se trouvaient les réserves : de nombreux tonneaux et des caisses en bois. Le tout restait bon enfant et Link ne put s'empêcher de sourire. L'endroit transpirait la joie et la convivialité. C'était la première fois que lui et Arielle entraient dans une taverne. Il y avait bien le Crapaud Hurlant, à Firone, mais celui-ci servait plutôt des tisanes, ou des verres de lait.
Link s'accouda au comptoir, puis fouilla dans sa sacoche.

- Je peux savoir ce que tu fais ? interrogea Arielle.
- Je cherche ma bourse.
- Oh non, Link, on est pas en âge de boire.
Sans prêter attention aux remontrances de sa soeur, Link posa 10 rubis verts sur le comptoir.
- Une chope de bière, s'il vous plaît !
Le patron du bar s'approcha et marqua un arrêt. Il toisa Link du regard. Ce dernier bomba le torse et s'efforça d'afficher sur son visage l'air de quelqu'un d'assuré, de viril et de mature.
- M'ouais... fit le barman. C'est bien parce que c'est jour de fête. Je sers ces deux jeunes gens également ?
- Non merci, refusa Kairo. Je ne peux pas... la cérémonie, vous savez.
- Tu y participes ? Tu as de l'avenir, mon garçon. Tu es le futur de notre royaume, toutes mes félicitations !
- Merci, monsieur.
- Et pour la jolie demoiselle ?
Arielle fouilla à son tour dans sa sacoche, puis sortit un rubis violet.
- C'est bien 50 rubis le pichet de vin ? Alors je veux ça, s'il vous plaît.
Sous le regard effaré de Link, le barman fit un clin d'oeil à sa soeur et saisit le rubis.
- Un pichet de vin ? Mais... d'où tu le sors ce rubis violet ?
- J'ai mes secrets, petit frère, répondit-elle en souriant.

Le barman revint avec la chope de bière et le pichet de vin. Link et Arielle le remercièrent, puis, suivis de Kairo, allèrent s'asseoir à une table au fond du bar à gauche, à côté d'un groupe de jeunes filles que Link remarqua immédiatement. Il prit une pose décontractée, s'écria "à la vôtre !" et but sa chope d'une traite. Kairo connaissait trop son ami pour savoir ce qu'il faisait, et éclata de rire.

- C'est bon, pas la peine d'en faire trop, Link. Tu vas te rendre malade, et aucune fille ne voudra de toi.
- Qu'est-ce que tu racontes ? répondit-il en haussant la voix pour être sûr d'être bien entendu autour de lui. C'est comme ça qu'un véritable homme boit sa bière.
Les jeunes filles, au nombre de trois, avaient tourné la tête vers Link, amusées. Kairo leva les yeux au ciel et se tourna vers Arielle.
- Arielle, dis à ton frère de... Arielle ?

Arielle discutait avec un vieux monsieur aux cheveux grisonnants, transpirant, au teint complètement rouge, visiblement saoul. Elle semblait passionnée par la conversation qu'elle avait entreprise avec lui. Il la vit boire une grande gorgée de vin et acquiescer de la tête.
- Le cours de la carotte est en bien meilleur posture que vous ne le pensez monsieur, écoutez... non, cela n'a rien à voir avec l'inflation du prix de la betterave... écoutez-moi...

Kairo se passa la main dans ses cheveux noirs hirsutes, s'adossa un peu plus contre le mur derrière lui, et ferma les yeux. Il aurait aimé pouvoir se détendre, et enviait leurs amis pour cet instant. Dans quelques heures, il devrait faire ses preuves devant une foule de personnes qui auraient les yeux rivés sur lui, devant le roi et la princesse elle-même. Il fallait désormais ajouter à cela que son meilleur ami était frappé par il ne savait quelle malédiction, et il savait pertinemment que son père mentait à propos de la gravité de la situation.
Link se leva pour aller recommander à boire. Lorsqu'il se leva, une des jeunes filles du groupe lui emboîta le pas. Arrivé au comptoir, il demanda une nouvelle chope de bière.

- Salut, toi.
La jeune fille lui avait parlé.
- Heu... salut, répondit Link, un peu pris au dépourvu.
- Tu n'es pas d'ici, n'est-ce pas ?
- Comment tu peux savoir ça ?
Elle se passa la main dans les cheveux.
- Oh, je pense que si tu venais du coin, je t'aurais remarqué bien avant...
Link rougit et tendit maladroitement sa main.
- Je m'appelle Link. Je viens de Firone.
- Cindy.

Elle lui serra la main. Elle avait une longue chevelure brune qui coulait sur ses épaules, et ses yeux d'un bleu saphir attirèrent immédiatement l'attention du jeune homme. Elle était vraiment très jolie, un nez aquilin, un sourire angélique. Elle portait une robe légère de la même couleur que ses yeux, ornée de rubans, et qui donnait l'impression qu'elle flottait au-dessus du sol.

- Je te sers quelque chose à boire ? demanda Link.
- Non merci, mais c'est gentil de proposer. Je n'accepte pas les cadeaux des étrangers.
- Je ne suis plus un étranger, maintenant, non ?
- Alors disons une chope, mais pas plus. Je ne veux pas abuser de ta gentillesse.
- Ce n'est rien, assura Link. Et donc, tu vis ici, dans la citadelle ?
- Pas exactement, répondit Cindy. J'habite dans un petit village, à cinq minutes à cheval à l'ouest de la citadelle, Loctalie. C'est un endroit très sympa, avec un petit lac. Et toi, donc, tu viens de Firone.
- Exactement. Mon ami là-bas, qui a l'air d'un poisson mort, est là pour la cérémonie, on l'accompagne. Et à gauche, c'est ma soeur jumelle, Arielle.
Cindy regarda Kairo, qui s'était endormi la bouche ouverte dans une position assez grotesque, et laissa échapper un petit gloussement.
- Des jumeaux ? C'est peu commun ! Tu t'entends bien avec elle ? On dit que les jumeaux ont un lien particulier entre eux.
- Oh, tu sais, les filles...
Il esquissa un petit clin d'oeil.
- Tu as l'air sympathique, dit-elle en riant, tu peux m'en dire un peu plus sur toi ?
- Heu... d'accord.

Ils parlèrent ainsi pendant une heure, deux heures, Link ne savait pas. Le temps lui paraissait comme suspendu. Il était totalement fasciné par la jeune fille. Il apprit qu'elle s'occupait d'une écurie à Loctalie, son village, et était la petite dernière d'une famille de cinq enfants. La seule fille. Elle avait pour ambition d'ouvrir une seconde écurie au lac Hylia, pour pouvoir parcourir à cheval les bords du lac et profiter chaque jour du spectacle d'un coucher de soleil sur les eaux miroitantes.
Au fil du temps, ils burent encore quelques chopes et les sujets devinrent beaucoup plus intimes. Il y avait une tension palpable entre eux deux, quelque chose qui les attirait l'un vers l'autre de plus en plus. Bientôt, Cindy avait sa main sur la sienne et lui parlait presque au creux de l'oreille.

- Tu me rendras visite, un de ces jours ? Ce n'est pas compliqué, l'écurie est à l'entrée sud du village, tu ne peux pas louper. Et je t'emmènerai faire une promenade autour du lac. Je te montrerai mon coin secret...
- Oui, bien sûr que je viendrai. J'ai très envie de te revoir, dit Link.
- C'est vrai ? C'est trop mignon, ce que tu me dis.
Elle déposa un baiser sur sa joue. À ce moment-là, une main tapa l'épaule de Link.
- Naaan... J'y crois pas ! Link, c'est bien toi, je rêve ?
Link se retourna. Arielle le regardait, un sourire béant et les yeux légèrement vitreux.
- Mon frère flirte avec une fille ! Je dois avoir trop bu !
- Tu as trop bu, confirma Link.
Gêné, il se tourna vers Cindy.
- Cindy, voici Arielle, ma soeur jumelle. Arielle, je te présente Cindy, de Loctalie.
Arielle se jeta dans les bras de Cindy, qui se laissa faire, amusée.
- Bienvenue dans la famille ! En vérité, je suis sa grande soeur. Juste un peu plus grande. Pas en taille, hein, mais en âge. Juste quelques petites minutes.
Arielle se recula, puis observa Cindy de haut en bas. Puis elle siffla.
- Et bien, Link, tu ne t'embêtes pas, elle est ma-gni-fique ! Je suis même un peu jalouse, tiens.
- Arielle... fit Link.
- Tu sais, Cindy, mon frère est un type bien. Un peu ronchon parfois, mais il a un coeur d'or.
Arielle se mit à effectuer une sorte de danse sur place.
- Arielle, c'est bon, ça suffit.
- Moi, je rêverais de trouver l'amour véritable, celui qui me fera fondre de bonheur.
Elle éclata soudain de rire, puis reprit Cindy dans ses bras.
- J'aime trop ta robe, tu l'as eue où ?
Cindy adressa un sourire désolé à Link. Celui-ci mit sa tête dans ses mains en soupirant. Lorsqu'Anguin vint les chercher plus tard, Arielle dormait sur le comptoir.
- Les enfants, il est temps d'y aller !
Kairo, qui s'était réveillé depuis, le rejoignit. Link tapa dans le dos de sa soeur plusieurs fois avant qu'elle ne consente à se redresser.
- Arielle, il faut y aller.
- Où ça ?
- La cérémonie.
Sa soeur reprit ses esprits. Elle semblait plus lucide. Elle regarda autour d'elle. Cindy était toujours là. Arielle eut l'air embarrassée.
- Contente de t'avoir rencontrée, au revoir. Et désolée.
- C'était un plaisir, Arielle, répondit Cindy avec un sourire. Si on se recroise, je te montrerai où j'ai eu ma robe.
Arielle fila sans plus attendre. Il ne restait plus que Link et Cindy.
- Bien, dit Link, je suis désolé, je dois y aller. Mon ami doit être présent plus tôt pour se préparer.
- Je comprends. On se voit bientôt, j'espère ?
Link sourit.
- Tu peux compter dessus.

Cindy s'approcha et déposa à nouveau un baiser sur sa joue. Puis Link sortit de la taverne, un grand sourire sur le visage. Dehors, il y avait un peu moins de monde qu'auparavant. La population de la ville avait dû migrer vers le château pour être sûre d'avoir de bonnes places pour voir la cérémonie. Anguin, Kairo et Arielle l'attendaient.
- On y va mon garçon ? demanda Anguin.
- Allons-y.
Ils se mirent en route. Link donna une tape amicale à Kairo.
- Allez, mon pote, tu vas tout casser. Et moi j'ai tout cassé dans le bar. Tu te souviens des filles à côté de nous ?
- Arrête Link, ne fais pas semblant.
- Mais tu dormais, imbécile !
- Ne te fais pas passer pour un grand séducteur, vraiment, ça ne prend pas avec moi.
- Non mais c'est pas vrai... Arielle, dis-lui, toi !
Arielle, qui titubait légèrement, se tourna vers Kairo, et se contenta de lever le pouce en l'air.

Chapitre 6 : Le héros déchu   up

La cour royale était noire de monde. Les Hyliens étaient venus en masse pour assister à l'un des évènements annuels les plus importants du royaume : le Tournoi des Héros. En tant qu'accompagnants d'un champion, Link, Arielle et Anguin avait le droit à une place de choix. Le tournoi se déroulait dans la salle du trône, et ils y avaient un accès privilégié. Ils se frayèrent donc un chemin parmi la foule, pour rejoindre la porte de la grande salle. Deux gardes y étaient postés. Anguin s'adressa à eux :

- Nous sommes avec le champion de Firone.
- Vos laissez-passer, je vous prie ?
Anguin sortit trois plaques de métal gravées et les donna à l'un des gardes qui les vérifia longuement, avant d'ajouter :
- Vous pouvez passer.

Ils entrouvrirent la porte, par laquelle les trois arrivants s'engouffrèrent. À l'intérieur, c'était l'effervescence. La salle avait été construite comme un amphithéâtre circulaire, sur plusieurs hauteurs. De nombreuses personnes avaient déjà pris place dans les gradins, et parlaient avec agitation.
- Par ici, les enjoignit Anguin.

Ils escaladèrent les marches sur leur gauche et se frayèrent un chemin jusqu'à ce qu'ils trouvent des places de libres, sur le côté gauche de la salle. Le public s'était regroupé en fonction des régions d'Hyrule, aussi se trouvaient-ils parmi des habitants de Firone. Malgré cela, Link n'en reconnut aucun. Firone était décidément bien vaste. Lui n'avait connu que les alentours de son village natal.
Les champions étaient seuls au centre de l'arène, en ligne face aux trônes encore vides pour le moment. Link aperçut Kairo tout à gauche, au plus près d'eux, dans une armure royale. Il fallait dire qu'il avait fière allure, et la jalousie qu'avait pu éprouver Link à son égard se transforma en fierté. Les autres champions étaient vraiment hétéroclites. Link aperçut plusieurs humains, mais également un Zora, un Goron, et un Piaf. Jamais il n'en avait vu de sa vie. Parmi les champions, il y avait une femme : une guerrière du peuple Gerudo.

- C'est tellement excitant ! s'exclama Anguin à leurs côtés. Toute l'élite d'Hyrule réunie dans une seule salle. Des peuples prêts à porter leur champion et à le vénérer. L'un d'eux deviendra une légende.
Link savait que derrière ce discours, Anguin aurait bien rajouté : "Pourvu que ce soit mon fils ".

- Hey, Kairo ! cria Link en se levant et en agitant la main.
Son ami leva les yeux, cherchant qui l'avait interpellé, puis vit enfin ses proches. Il eut alors un grand sourire et leur fit un signe de la main.
- Il va y arriver, dit Link en se rasseyant. Il a l'air déterminé.
- Les autres participants le sont tout autant, répondit Anguin, qui restait très pragmatique. Il ne faut pas les sous-estimer. Ce tournoi n'est pas seulement une question de physique et de technique. Le mental a toute son importance, il faut savoir se montrer sans pitié. Regardez la Gerudo, là-bas.
Link et Arielle posèrent leurs yeux sur elle.
- C'est Rita, une guerrière redoutable. Elle a déjà eu à défendre son peuple contre des dangers et a déjà tué. Ce n'est pas le cas de Kairo, par exemple.
- Attendez, intervint Arielle, ce n'est pas un tournoi à mort, si ?
- Non, bien sûr, mais cela fera toute la différence en combat. Il faut savoir faire preuve d'abnégation, ne pas se soucier de son adversaire. Si ça peut vous rassurer, leurs épées ne sont pas effilées et leurs armures sont conçues pour encaisser des chocs très violents. Certains pourraient hésiter à porter des coups. Tenez, un autre exemple, le garçon tout au fond, là-bas.
Il désigna un jeune homme blond, bien bâti, portant une fourrure sur les épaules.
- J'ai entendu parler de lui. Toureïm. Il vient des montagnes enneigées de Lanelle. Il a tué un ours pour défendre son père dont la jambe s'était coincée entre deux rochers. Il a tué l'ours à mains nues.
- Impressionnant, admit Link. Et les autres ?

Anguin n'eut pas l'occasion de répondre. Les clairons résonnèrent dans la salle avec force, et la foule se tut immédiatement. Puis un silence de plomb s'abattit. Tout le monde semblait retenir son souffle, attendant patiemment la suite des évènements. Puis une porte derrière les trônes s'ouvrit lentement. Trois personnes en sortirent. Des acclamations sortirent de toutes parts lorsque le roi Roxan Nohansen Hyrule s'assit à son trône, et salua la foule de la main. Il était assez corpulent, ses longs cheveux argentés rejoignant une barbe imposante. Il portait un habit bleu, plutôt sobre pour une tenue royale, et une cape couvrait ses épaules massives. Il dégageait un charisme certain, comme une aura. Puis une deuxième personne s'avança à son tour pour saluer la foule. Une femme blonde, un visage bienveillant, portant une robe bleue de la même couleur que son mari. Elsa, reine d'Hyrule, épouse de Roxan. Elle s'assit à son tour, sous les applaudissements de la salle. Puis vint le tour d'une jeune fille aux cheveux aussi blonds que ceux de sa mère, partageant avec cette dernière les mêmes traits du visage, mais bien plus jeune. C'était elle, la princesse Zelda. Link plissa les yeux pour mieux la voir. Zelda était habillée d'une robe rouge. Ses cheveux étaient tressés en une natte qui lui descendait dans le dos. Elle était d'une grande beauté, et Link en frissonna. Les acclamations se firent encore plus fortes lorsqu'elle adressa un signe de main timide aux gens présents dans la salle du trône.

- Waouw, murmura Arielle. Quelle allure !
Lorsque la princesse Zelda fut assise, Roxan, son père, se leva pour prendre la parole.
- Cher amis venus de toutes les contrées d'Hyrule, je vous souhaite la bienvenue au Tournoi des Héros. Aujourd'hui est jour de fête, c'est l'anniversaire de ma chère fille.
- Vive la princesse Zelda ! se mit à scander la foule.
Le roi attendit que la clameur redescende et poursuivit :
- Nous célébrons aujourd'hui l'existence de Zelda, mais également de tout le royaume. Chaque région de notre magnifique héritage, en ce lieu rassemblé, va concourir pour un prestige qui lui vaudra d'entrer dans l'histoire. Nos champions ici réunis, vont mettre leur habileté, leur courage et leur force physique et mentale à l'épreuve. Le vainqueur se verra attribuer le noble titre de chevalier servant de ma fille, et intègrera sa garde rapprochée. Chers Hyliens, il est temps de découvrir nos champions.
Les applaudissements reprirent de plus belle.

- Notre premier champion, représentant Firone et sa forêt luxurieuse, Kairo !
Le jeune homme salua, tandis que dans les gradins autour de Link, Arielle et Anguin, les gens se levaient, clamant haut et fort le nom de leur champion.
- Hassan, de la paisible région d'Élimith !
Ce furent les gens situés directement à leur gauche qui se levèrent.
- Silon, le Piaf, de la région... Piaf ! Garia, le Zora, du domaine du Lac Hylia ! Jonath, du plateau d'Akkala ! Gramdur, le Goron, des Montagnes d'Ordinn ! Rita Maria, notre unique participante féminine, du désert Gerudo ! Et enfin Toureïm, des Sommets de Lanelle !
Les huit participants posèrent un genou à terre, pour honorer le roi.
- Relevez-vous, enfants d'Hyrule. Maintenant va se jouer votre destin. Combattez avec dignité, et triomphez pour remporter le tournoi. Je me permets de vous rappeler les règles. Le dernier en lice sera élu vainqueur. Vous êtes éliminés si vous êtes désarmés ou si vous sortez de la zone de combat. Vous pouvez abandonner en levant la main. Une chute ne signifie pas la défaite. En revanche, si vous vous retrouvez immobilisés, les juges considèreront que vous êtes battus. Vous vous battez chacun pour vous-même. Pour arme, seule l'épée est autorisée.
Dans sa poitrine, Link sentait son coeur battre d'excitation.
- Link, dit soudain Anguin. Regarde attentivement. L'année prochaine, tu seras dans l'arène. Ce sera à ton tour de prouver ta valeur. Tu peux tirer des enseignements précieux de ce que tu vas voir.
Le jeune garçon fut mêlé de gratitude et de peur par les mots du chef de son village. Il n'avait jamais songé à la pression qui incombait aux champions.
- À vos places, jeunes prodiges. Zelda, ma fille, va vous donner le signal.

Les huit champions se dispersèrent, à la limite de la zone de combat délimitée par un cercle rouge, à égale distance les uns des autres. Zelda se leva lentement de son trône et s'avança, un mouchoir rouge à la main. Le signal était simple. Lorsque le mouchoir toucherait le sol, le combat serait engagé. Un silence total se fit. Tout le monde était figé, dans l'attente. Enfin, Zelda lâcha le mouchoir. Link eut l'impression de le voir tomber au ralenti, comme si une force invisible le maintenait dans les airs. Il retint souffle. Puis le mouchoir toucha le sol et tout bascula. La foule en délire se mit à hurler de toutes parts, et déjà les champions se précipitaient sur l'arène. Link vit beaucoup de chose qui l'ébahirent. Le Goron porta un coup si puissant qu'il envoya voler la Gerudo de plusieurs mètres. Celle-ci roula sur le côté, mais parvint à garder son épée en main, et se relevant, porta un coup à Kairo, qui passait par là. Heureusement, celui-ci l'avait anticipé et un pas en arrière lui suffit à l'esquiver. Toureïm, le garçon de Lanelle avait engagé un combat des plus féroces contre le Zora, leurs épées s'entrechoquant avec force et rapidité. Leur dextérité était telle que Link peinait à suivre ce qu'il se passait. Silon, le Piaf avait décollé du sol et dans un plongeon spectaculaire fondit sur le Zora, le renversant au sol. Sous la force du coup, le Zora lâcha son épée. Sans attendre, Silon bondit par-dessus Toureïm, passant par-dessus sa tête et tenta de le toucher. Toureïm lui porta un coup d'épaule qui le déstabilisa, mais dut se retourner pour parer la première attaque de Jonath, le champion d'Akkala. Kairo, de son côté était engagé dans un duel à trois avec la Gerudo et le Goron. Esquivant avec justesse plusieurs coups, il toucha le Goron, ce qui n'eut pas beaucoup d'effet. Il se rabattit alors sur Rita la Gerudo, qui se trouvait proche de l'extérieur de l'arène, et, d'un coup de génie, plaça un coup d'estoc qui l'éjecta de l'arène.

- Allez, Kairo ! hurlèrent Link et Arielle en même temps.

C'était vraiment spectaculaire de voir ça, et Link se sentit soudain faible comparé aux champions qu'il voyait accomplir des miracles. Silon, le Piaf, était très difficile à toucher, car il avait un style de combat très aérien. Il fendait l'air à toute vitesse portant des coups si rapides qu'il désarma bientôt Toureïm, puis dans un même élan, Jonath. Au cours de son vol, il reçut un coup sévère de la part d'Hassan d'Élimith, qui s'était contenté d'observer jusqu'à présent mais qui avait choisi le moment opportun pour entrer dans le combat. Le coup projeta le pauvre Silon contre un des gradins, bien à l'extérieur de l'arène. Le Piaf demeura immobile, sans doute sonné par le choc. Ils n'étaient donc plus que trois en course, Kairo, luttant contre Gramdur, le Goron imposant, et Hassan, qui se rapprocha dangereusement d'eux. La tension était à son comble. Link suait d'angoisse pour son ami. Il observa la tribune royale et son regard croisa celui de la princesse Zelda, totalement par hasard. Elle resta le fixer. Tous d'eux s'immobilisèrent.

- Link, qu'est-ce que tu fais ?
Link entendit à peine la voix d'Arielle. Il s'était levé, l'épée dégainée. Une étrange pulsion de rage l'avait envahi, en même temps que sa vue se brouillait.
"Link."
Cette voix... Link la reconnut. L'Épée de Légende l'appelait. Elle était toute proche.
- Link, rassied toi ! hurla Anguin, en lui attrapant l'épaule.

Mais le jeune garçon le repoussa d'un mouvement de bras, et d'un bond inhumain, sauta soudainement par dessus plusieurs gradins, épée toujours à la main, pour venir la planter dans le sol de l'arène. Insensible aux vociférations du roi qui appelait à son arrestation, Link marcha tranquillement vers le centre de l'arène, le regard déterminé. Plusieurs gardes royaux lui barrèrent la route. Link en défit trois à l'épée, et planta sa lame dans le torse du quatrième, provoquant l'horreur chez les spectateurs. Il vit Hassan s'approcher de lui, mais lui trancha le mollet d'un coup sec. Hassan s'effondrant au sol dans la douleur et le sang, Kairo se planta devant lui.

- Qu'est-ce que tu fais Link ? Arrête tout ! supplia son ami.
Mais Link ne le reconnaissait plus et s'apprêta à le combattre. Soudain le sol se mit à trembler sous leurs pieds, et le sol céda. Kairo et lui tombèrent dans un petit trou pour se retrouver dans une caverne. Et là Link sut qu'il était au bon endroit. La caverne était exactement celle qu'il avait vue lors de sa Psysalis. L'Épée était bel et bien là, plantée sur un monticule de roche. Kairo se leva difficilement parmi les gravats.
- Link, tu n'es pas toi-même, arrête. Tu connais la nature de cette épée.
- Ne me dis pas ce que je dois faire, Kairo ! hurla Link d'une voix qui n'était pas la sienne.

Il s'approcha de l'épée et la saisit d'une main. Il sentit à nouveau ce sentiment de puissance extrême envahir son corps tout entier. Rien ne pourrait l'arrêter, désormais. Link bondit hors du trou dans lequel il était tombé et refit surface dans la salle du trône. Dans les gradins, un mouvement de panique s'était créé. Link vit le roi et la reine disparaître derrière le trône. Son regard croisa à nouveau celui de la princesse Zelda.

- Je suis Link, cria-t-il, héros choisi par l'Épée de Légende. Elle me revient légitimement. Je ne laisserai personne m'arrêter. Cela fait longtemps que le véritable pouvoir a disparu de cette civilisation. Je suis porteur d'un message. Je m'adresse à tout le peuple d'Hyrule pour annoncer l'anéantissement de l'ordre actuel. Bientôt, l'ombre recouvrira vos terres et je restaurerai l'équilibre qui m'a été arraché il y a des millénaires.

Il y eut un éclair de lumière rouge et l'Épée de Légende prit la même teinte. Zelda disparut à son tour derrière les trônes, et d'un coup, la tête de Link devint très douloureuse. La douleur était telle qu'il se mit à vaciller en hurlant. Il posa un genou à terre. Puis la douleur s'arrêta et tout s'arrêta. Link reprit conscience de qui il était, de ce qui venait de se passer, et constata avec horreur qu'une vingtaine de gardes s'approchaient de lui.

- Je... balbutia-t-il, je ne comprends pas. Ce n'était pas moi, je ne contrôlais rien.

Link prit le temps d'analyser la situation. Il regarda Anguin et Arielle, leurs visages décomposés. Il regarda Hassan qui rampait, une mare de sang derrière lui. Il regarda les quatre gardes qu'il avait froidement abattus dans sa folie meurtrière, immobiles sur le sol rougi. Il regarda les gardes royaux qui s'amassaient autour de lui, épées pointées sur lui. Il savait qu'il avait une chance de tous les éliminer s'il le pouvait. Devait-il se rendre ? Comment justifier ses actes ? Qui le croirait ? Et même si on le croyait, comment effacer ce qui venait de se produire ? Comment allait-on le traiter ?
Link regarda Anguin. Celui-ci eut un air grave, et hocha la tête de gauche à droite. Il demandait à Link de ne pas fuir. Dépité, le jeune homme lâcha l'Épée de Légende qui toucha le sol comme pour sonner le glas. Sa lueur rouge disparut au même moment. Link posa le second genou à terre et leva les deux mains en l'air, pour indiquer qu'il se rendait. Il fut alors violemment plaqué au sol et sentit des menottes se refermer sur ses poignets.

Chapitre 7 : Messes basses   up

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Link comptait les secondes, enfermé dans sa cellule, dans les geôles du château. Assis sur sa couchette, il observait le sol pavé et terne. Sur une vieille table en bois était posé un pichet d'eau, ainsi qu'une miche de pain. Le repas minimum garanti à un prisonnier récent. La seule lumière qui lui parvenait était celle d'une torche accrochée au mur, de l'autre côté des barreaux. Il n'y avait aucune fenêtre dans sa cellule. Les menottes de Link lui avaient été retirées, mais il sentait encore la douleur qu'elles avaient laissée à ses poignets. En soupirant, Link se demanda comment il avait pu en arriver là. Il réfléchit à sa crise de démence passée et se posait mille questions. Apparemment il avait été possédé par quelque chose. Mais quoi ? Est-ce que cela risquait de se reproduire ? Qu'allait-il lui arriver maintenant ? Link savait qu'Anguin avait de l'influence en tant que membre du conseil des Sages. Il allait sûrement trouver une solution. Link s'aperçut qu'il avait la gorge sèche, et se leva donc pour prendre le pichet d'eau. À ce moment là, il entendit une porte grincer pas loin et des voix retentirent dans les cachots. Il se rassit en vitesse et attendit patiemment. Il vit quatre silhouettes se découper à travers les barreaux de sa cellule.

- Link ?
Le jeune garçon reconnut la voix d'Anguin.
- Oh, c'est vous ! s'exclama Link, sentant son corps s'apaiser.
Quelqu'un s'approcha, une torche dans la main et fit la lumière sur les personnes présentes. Arielle était là aussi, ainsi que... le roi d'Hyrule en personne, et la princesse Zelda.
- Votre majesté... dit Link en s'inclinant machinalement.
- Debout, répondit fermement le roi.
Un peu perturbé, Link s'exécuta, puis regarda le roi dans les yeux. Il y perçut une once de colère.
- Votre majesté, je n'y suis pour rien dans ce qui s'est passé tout à l'heure, je...
- Anguin m'a tout expliqué, le coupa Roxan. Tu es malheureusement devenu une menace pour le royaume tout entier. Sais-tu exactement ce que tu es devenu ?
- Non, votre majesté, mais j'aimerais le savoir.
Anguin s'approcha plus près des barreaux.
- C'est pire que ce que nous aurions imaginé, dit-il. En libérant l'épée, tu n'as pas seulement laisser une entité maléfique te posséder, tu as déchaîné les ténèbres dans tout Hyrule.
- Déchaîné les ténèbres ?
- Oui, Link. De nombreuses créatures hostiles se sont éveillées aux quatre coins du royaume, et ont déjà commencé à oeuvrer pour le mal. Ce que nous craignions est arrivé.
- Mais vous n'auriez pas pu me prévenir avant ? Et m'emmener ici ? C'était la pire idée qui soit, si je comprends bien. J'aurais dû rester à Firone.
- Et tu serais mort, dit le roi. Tes proches ont tout tenté pour te sauver. C'est ta vie contre le destin d'Hyrule, en quelque sorte.

En commençant à prendre la mesure de ce qu'il se passait, Link ressentit un énorme élan de culpabilité.
- Je suis désolé, dit-il. Je n'ai pas contrôlé ce que j'ai fait. Et ces morts... Je les aurai toute ma vie sur la conscience.
Le roi le fixa intensément, comme s'il le sondait.
- Tu es le pantin d'une force destructrice comme jamais je n'ai vu. Tu n'es pas digne de confiance.
- Mais, père...
La princesse Zelda avait ouvert la bouche pour la première fois.
- Ma fille...
- Ces visions que j'ai eues...
- Foutaises ! s'emporta le roi. Nous avons à nous préoccuper d'autres choses que de rêves idiots.
Link se sentait totalement vidé.
- L'entité me contrôle-t-elle toujours ? demanda-t-il.
- Nous l'ignorons, avoua Anguin.
- Et qui est-elle ?
- Nous l'ignorons.
- Où est l'épée ?
- En sécurité, déclara Roxan.
- Que va-t-il se passer maintenant ?
Il y eut un long silence, pesant.
- Je m'assurerai de la protection du royaume, dit simplement le roi. Je vais renforcer toutes les zones à risque. Quant à toi, jeune homme, tu vas rester moisir ici en attendant que je prenne une décision à ton sujet.

Sur ce, ils s'en allèrent. Link se rassit, totalement anéanti. Anguin n'avait aucunement pris sa défense, et cela lui brisait le coeur. Son protecteur n'avait même pas l'air de savoir lui-même ce qui se passait. Résigné, Link s'allongea sur sa couchette et ferma les yeux. Pris de fatigue, le sommeil le gagna très vite.

...

- Psst, Link.
Link se réveilla en sursaut, bondissant de son lit en hurlant.
- Qu'est-ce que...
Puis il se figea. Devant lui, la princesse Zelda laissait échapper un petit rire.
- Excuse-moi, dit-elle, je ne voulais pas t'effrayer.
- Princesse ? Mais que faites-vous là ?
- Père ne sait pas que je suis là, mais il fallait que je te parle.
- De quoi voulez-vous me parler ? interrogea Link, sur la défensive.
- Quand nos regards se sont croisés, pendant le tournoi...
- Vous voulez dire quand je me suis transformé en tueur contre ma volonté ?
- Si tu veux, oui. Et bien j'ai ressenti quelque chose à ce moment-là. J'ai ressenti ta haine. Quelque chose de fort, qui t'habitait.
- Et on a vu le résultat.
- Oui, mais j'ai vu autre chose. J'ai vu une puissante force qui se défendait contre ce mal. Une force bienveillante, elle aussi extrêmement puissante.
- Et qu'est-ce que c'était ?
- Ton âme. Aussi corrompu soit ton esprit, ton âme est d'une pureté sans pareil. Je l'ai ressenti aussi clairement que je te vois devant moi.
Link se rapprocha de Zelda.
- Et qu'est-ce que cela signifie ?
Zelda prit un temps pour répondre :
- Tu n'es pas le danger que pense mon père. Je crois qu'au contraire les choses étaient prédestinées, que tu te serais emparé de l'épée quoiqu'il arrive et que c'est toi, Link, qui ramènera la lumière.
- C'est un peu paradoxal, fit remarquer Link. Si je suis votre raisonnement, je libère moi-même des forces maléfiques pour ensuite les combattre ?
- Oui, ça peut sembler étrange, mais j'ai le sentiment que c'est ce qu'il faut.

Link la regarda dans les yeux. Même dans la pénombre, il vit le bleu intense des siens le fixer.
- Comment pouvez-vous me faire confiance, alors que votre père n'envisage pas cette possibilité ? demanda Link, un peu confus.
- Et bien, c'est à propos d'un rêve...
- Ah oui, vous avez mentionné ce rêve tout à l'heure.
- Oui, j'en ai parlé hier soir.
- Hier soir ?
- Oui, nous sommes en plein après-midi, Link
- Mon dieu, j'ai vraiment dormi comme un bébé. Pardon, je vous ai interrompue. Poursuivez.
- En réalité, il s'agit de plusieurs rêves. J'ai rêvé de toi Link. Et ce alors que je ne t'avais jamais rencontré. Et ces rêves semblaient si réels... Je t'ai vu avec l'Épée de Légende, abattre des créatures tout droit sorties des enfers. J'ai vu le courage qui habite ton coeur.
- Mais vous n'aviez pas perçu le mal qui me ronge ?
- Non, admit la princesse. Mais je peux peut-être t'aider pour cette partie.
- C'est-à-dire ?
- Fais-moi confiance, et attends-moi ici, dit Zelda en s'écartant.
- J'aimerais vous faire remarquer que je risque difficilement d'aller quelque part.

Zelda disparut et Link se rassit, la tête prête à exploser. Il avait trop d'informations à assimiler, et plus le temps passait, moins il comprenait ce qui se passait. Il s'écoula ainsi une heure ou deux pendant lesquelles il se tortura l'esprit.

- Link !
Il se leva à nouveau. Cette fois, c'est Arielle et Kairo qui étaient là.
- Comment ça va ? demanda Kairo.
Link haussa les épaules et désigna le peu de mobilier de sa cellule.
- Oui, dit Kairo, question idiote. Tiens le coup, d'accord ? Anguin et le roi discutent beaucoup en ce moment par rapport à toi. Le roi est méfiant, mais il en va du peuple d'Hyrule tout entier.
- Et vous, dit Link, qu'est-ce que vous en pensez de tout ça ?
- Ça fait peur, dit Arielle d'une voix légèrement tremblante. Tu n'étais plus toi. On ne sait pas si ce genre d'épisode peut se reproduire. Anguin dit que tu as rompu le sceau et que l'épée devrait avoir moins d'influence sur toi, mais on ne peut être sûrs de rien.
- Alors quoi ? Je vais attendre ici dans cette cellule pour combien de temps encore ?
Personne ne répondit. Link soupira :
- Écoutez, la princesse Zelda est venue me voir tout à l'heure. Elle dit que je ne suis pas si mauvais que j'en ai l'air et qu'elle peut m'aider.
- Zelda ? s'étonna Kairo. Mais qu'est-ce qu'elle voulait ?
- Tout simplement m'aider, selon ses dires.
- Et alors, tu le sens comment ?
- L'avenir nous le dira, dit Link dans un soupir.

...

Le troisième jour seulement, Zelda réapparut. Elle avait troqué sa jolie robe pour ce qui semblait être un pyjama et portait plusieurs objets avec elle. Elle avait recouvert sa tête d'un châle blanc. Link se leva et s'approcha de la grille.

- Princesse, dit Link, je commençais à perdre espoir.
- Excuse-moi, j'avais beaucoup à faire. Attrape ça.
Elle lui tendit une sorte de médaillon.
- À quoi ça sert ? demanda Link en le prenant.
- Mets-le autour de ton cou. C'est Toruk qui me l'a donné.
- Toruk le sage ? Vous le connaissez ?
- Je connais tous les sages. C'est une amulette inhibitrice. Elle protège son porteur de la magie. Tant que tu l'auras autour du cou, tu ne subiras aucune influence de la part de l'Épée de Légende. Tu peux même porter l'épée sans en craindre sa malfaisance.
- Très bien, dit Link. Mais à quoi va me servir votre amulette inhi... chose, dans cette cellule ?

Zelda sortit une clé de son dos et déverrouilla la porte de la cellule. Celle-ci s'ouvrit dans un grincement assez sinistre.

- Qu'est-ce que vous faites ? s'étonna Link.
- Mon devoir, répondit la princesse. Dépêche-toi, on n'a pas vraiment beaucoup de temps. Si mon père nous trouve...
- Ah, parce que ton père n'est pas au courant ? s'alarma Link.
Zelda posa une main sur son épaule.
- J'ai parlé avec Toruk, ces derniers jours. Il faut que tu le rejoignes. Il t'attend au village de Loctalie, à l'ouest d'ici. Tu iras malheureusement à pied, tous les chevaux sont gardés.
- Qu'est-ce que Toruk a dit ?
- Il partage avec moi la conviction que ton rôle dans tout ça n'est pas de rester dans un cachot.
- Mes compagnons ?
- Arielle est avec Toruk. Kairo a intégré la garde royale. Lorsque mon père s'apercevra que tu as disparu, tu seras recherché. Je suis désolé, mais ni Anguin, ni moi, ni même Toruk n'avons pu lui faire entendre raison. Mais Link...

Elle sortit quelque chose de derrière elle : l'Épée de Légende, qu'elle découvrit de sous un linge sombre.
- Mais... ?
- Oui, Link, l'épée te revient de droit. Elle t'a choisi, peu importe sa nature actuelle.
Link hésita à la prendre, et la saisit prudemment. Aucun évènement particulier ne survint.
- L'amulette fonctionne, constata-t-il.
Zelda acquiesça. Elle lui tendit une cape.
- Allons-y, dit-elle.
- Où donc ?
- Il existe un passage pour te faire sortir d'ici incognito. J'espère que tu sais nager ?
- Oui, mais j'ai peur de regretter que ce soit le cas. Où m'emmenez-vous ?
- Les égouts sont un véritable labyrinthe, mais qui sait s'y repérer, sait qu'ils mènent directement à l'extérieur de la citadelle.
- Bon, j'imagine qu'on n'a pas le choix.
- Tu y vas seul, prévint Zelda. Suis-moi.

Ils montèrent un escalier de pierre en colimaçon sur plusieurs étages pour parvenir à l'air libre, dans une petite cour. Le coeur de Link faillait s'arrêter. Plusieurs soldats effectuaient leur ronde nocturne. La lune était pleine, rendant la nuit claire, ce qui n'arrangeait pas leur cas.

- Ne dis rien, couvre-toi bien avec la cape, et suis-moi, murmura Zelda.
Ils traversèrent ainsi la cour en silence. Zelda salua un des gardes au passage, mais Link se garda de faire de même, de peur de se trahir. Au bout de la cour se trouvait un large puit, que Zelda montra du doigt.
- Rentre dans le puit. En descendant, tu atteindras les égouts. Ils te permettront d'atteindre l'ouest de la citadelle. Ne te perds pas en chemin, et prends soin de toi. Je vais faire diversion. Attends-moi ici.
Elle s'avança vers le puit qu'elle dépassa, et alla attirer l'attention d'un garde.
- Princesse, que me vaut l'honneur de votre présence ? demanda le garde.
- Et bien, en fait, je cherche mon père. Vous ne l'auriez pas vu, par hasard ? Il m'a semblé qu'il traînait dans les environs.

Tandis que le garde avait tourné le dos vers Zelda, Link surgit de derrière une botte de paille et courut vers le puit, sur la pointe des pieds. Il y vit une échelle et s'empressa de descendre. Le puit était relativement profond et sombre. Il y avait bien une dizaine de mètres de profondeur. Cela dit, le puit était vide, et lorsque Link en atteint le fond, il vit un couloir qui en partait et se perdait dans l'obscurité.

"Ne pas se perdre", pensa-t-il. Comment faire sans lumière ? Zelda n'avait pas pensé à tout. Au moment où il avait pensé cela, un bruit sourd le fit sursauter. Quelqu'un venait de faire tomber quelque chose dans le puit. Link ramassa un paquet et déchira le papier l'enveloppant. Il y trouva des fusées éclairantes. Alors il en alluma une première, et laissa les étincelles vertes qu'elle produisait éclairer de leur lueur le premier couloir menant aux profondeurs de la citadelle.

Chapitre 8 : Un ange parti trop tôt   up

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Une pluie glaciale s'était abattue sur le petit village de Loctalie, la pleine lune avait disparu depuis longtemps derrière d'épais nuages. Perchée à la fenêtre de l'auberge, Arielle ne cessait de penser à son frère. La machination de la princesse allait-elle fonctionner ? Link était-il en chemin ? C'est avec toutes ces ruminations qu'elle décida d'aller faire un tour à l'extérieur. Elle aimait la pluie. Voir la nature en mouvement, les gouttes d'eau ruisseler de toutes parts et le bruit blanc de la pluie l'apaisait, et lui rendait toujours les idées claires. Elle s'enveloppa d'une épaisse cape rouge et quitta l'auberge dans laquelle elle séjournait avec Toruk depuis la veille. Dehors, il n'y avait pas âme qui vive. Quelques bâtiments projetaient encore une faible lueur sur la ruelle, mais la plupart des habitants dormaient probablement.
Arielle traversa la ruelle pour s'abriter sous un chêne massif contre lequel elle s'adossa. Elle ferma les yeux et se concentra sur le doux son de la pluie, qui lui procurait des frissons dans la nuque. Le calme, associé à la pluie, lui permit d'apaiser quelque peu son esprit. Elle demeura là une dizaine de minutes, se laissant bercer, un léger vent lui caressant les joues. Un léger bruissement se fit entendre sur sa gauche, et elle ouvrit les yeux. C'était un chien errant, qui la rejoignit sous l'arbre.

- Que fais-tu ici, mon beau ? dit Arielle avec douceur.

Le chien la regardait, sans bouger. Elle approcha la main et il s'enfuit précipitamment dans la ruelle, apeuré. Tandis qu'elle l'observait disparaître au loin, quelqu'un la rejoignit sous le chêne. Toruk.

- Arielle, il faut rester prudent, tu ne devrais pas rester dehors comme ça.
- S'il y a un danger, je le verrai arriver plus tôt, répliqua-t-elle.
Toruk soupira.
- Link a du chemin à faire avant de nous rejoindre. Nous devons nous attendre à ce que peut-être il n'arrive qu'à l'aurore, voire même qu'il n'arrive pas.
- Et en attendant, je ne peux pas dormir.
- Je te comprends. Mais Link est seul maître de son destin en cet instant.
Il posa une main sur l'épaule de la jeune fille, comme pour la réconforter. Et ils restèrent là, sous la pluie, côte à côte.

* * *

Il fallut deux heures à Link pour sortir des égouts. Ses dernières fusées éclairantes avaient pris l'eau lorsqu'il avait dû emprunter quelques passages à la nage, et il s'était mu dans une quasi-obscurité, ce qui avait considérablement ralenti sa progression. Lorsqu'il atteignit l'extérieur, il s'aperçut qu'une pluie battante s'était déclenchée. Il se trouvait devant un pont en bois qui traversait les douves. Or celui-ci était gardé par deux hommes. Jetant un coup d'oeil aux alentours, Link chercha un itinéraire alternatif : il n'y en avait pas. Il s'avança alors sur le pont, en direction des deux hommes.

- Halte là ! cria l'un des deux hommes. Identifiez-vous !
Link continua de marcher à leur rencontre, sans un mot.
- Je répète ma question, dit le garde. Qui êtes-vous ?

Lorsque Link ne fut qu'à quelques mètres d'eux, il vit l'homme dégainer son épée. Sans hésiter une seule seconde, Link se jeta sur eux et les poussa chacun leur tour dans l'eau, avant de prendre la fuite en courant vers la grande plaine. Il courut ainsi plusieurs minutes, pour être sûr de ne pas être poursuivi, puis il prit une pause. Essoufflé, trempé, frigorifié, Link se tenait les côtes, et se laissa une bonne minute pour récupérer un peu, puis se mit en marche vers sa destination. Il vit un point lumineux à l'horizon. Il s'agissait vraisemblablement du village de Loctalie. Dans l'obscurité, il lui était impossible d'estimer à quelle distance il se trouvait du village. Il poursuivit néanmoins. Bientôt un éclair déchira le ciel, suivi du bourdonnement ahurissant du tonnerre qui l'accompagnait.

Link se dit qu'il avait vraiment touché le fond, lorsqu'il entendit des grognements dans sa direction. Il vit trois ombres s'approcher de lui, assez rapidement. Par réflexe, il sortit son épée. À la faveur d'un éclair, les trois ombres furent illuminées et Link reconnut trois bokoblins. Leurs yeux globuleux injectés de sang et leurs visages difformes lui apparurent clairement, ainsi que des massues qu'ils tenaient à la main. Que faisaient-ils ici, il n'en avait aucune idée. Sa seule certitude était qu'ils étaient hostiles. Link s'approcha du premier et lui trancha la tête, qui roula au pied des deux autres. Au lieu de combattre, les deux restants se figèrent, puis prirent la fuite en émettant des hurlements bestiaux. Link remarqua qu'ils avaient laissé quelque chose en partant. Un tas de chiffons, semblait-il, avant que Link ne se rende compte qu'il y avait quelque chose d'enveloppé dans un drap. Il s'approcha lentement, puis ouvrit le drap.

- Oh, c'est pas vrai...

Un enfant était là, inerte, et avait été enroulé par les bokoblins, sûrement pour être dévoré par la suite, songea Link. Une petite fille, il le vit à ses traits fins et au fait qu'elle portait une robe. Link lui donnait à peu près l'âge de huit ans. Il porta son oreille au visage de l'enfant. Pas de souffle. Paniqué, Link porta sa main à son cou, et ne détecta aucun pouls. L'évidence était là, l'enfant était morte. Devant l'horreur de la situation, Link recula de plusieurs pas, et trébucha dans la boue, tombant en arrière. Ainsi donc, Anguin avait dit vrai. Link avait réveillé des créatures du mal en retirant l'épée de la pierre. C'était certain, car les bokoblins n'avaient existé pour Link que dans les contes pour enfants. Malheureusement, la petite fille avait vu son cauchemar se réaliser. Des larmes perlèrent sur les joues de Link, se mêlant à la pluie. Plus le temps passait, plus l'ampleur des conséquences de ses actes l'assaillait. Il avait semé le chaos, il avait tué d'honnêtes hommes. Là, en cet instant, il avait l'impression d'avoir tué en personne la petite fille. Abattu par le désespoir, Link resta assis dans la boue à se lamenter sur son sort, allant jusqu'à se dire qu'il n'aurait pas dû exister. Mais peu à peu, les paroles de Zelda lui revinrent en tête.

"Aussi corrompu soit ton esprit, ton âme est d'une pureté sans pareil."

Ces mots résonnèrent longtemps dans sa tête. La princesse avait confiance en lui, il n'avait pas le droit de se laisser aller. Il se remit alors debout, puis regarda longuement la dépouille de l'enfant, se sentant à la fois triste et coupable. Il ne pouvait pas la laisser là. Elle méritait au moins des funérailles décentes. Il la souleva alors sur ses épaules, puis avec une détermination nouvelle, il se remit en chemin, d'un pas lent mais certain.

- Je ne sais pas qui tu es, ni comment tu t'es retrouvée dans cette situation, mais je ne t'abandonnerai pas, je te le jure.
Ce nouvel objectif, aussi triste soit-il, permit à Link de tenir moralement, et il ne se laissa pas perturber par les douleurs qu'il commençait à ressentir aux jambes et aux épaules.
- Allez, ma belle, on arrive bientôt. Un petit effort.

Bientôt, il fit une pause, physiquement éreinté. Il déposa délicatement la petite fille sur son drap, au sol, et s'assit à côté d'elle. Regardant son visage pur, il essaya d'imaginer à quoi sa vie avait dû ressembler. Elle avait probablement une famille aimante quelque part, qui ne la verrait plus jamais. Link remarqua une gourmette au poignet de la petite fille. Avec une peu de chance, son nom y était inscrit, se dit-il. Et il avait vu juste. Il sentit des inscriptions sous ses doigts. Mais l'obscurité ne lui permettait pas de lire quoique ce soit. Il attendit qu'un éclair se produise pour apercevoir rapidement le nom de l'enfant: Ange.

- Alors, tu t'appelles Ange. Moi, c'est Link.

Remarquant qu'il parlait tout seul, le jeune homme décida de se remettre en route. Il reprit Ange sur ses épaules et marcha vers la tâche lumineuse qui lui indiquait l'emplacement de Loctalie. Celle-ci s'élargissait au fur et à mesure qu'il s'en approchait. Lorsqu'il en fut suffisamment prêt, Link distingua des bâtiments... en flammes. Son coeur manqua un battement.

- Non, non, non...

Il se mit à trottiner, ignorant la fatigue, et avec une boule au ventre, se mit à imaginer les pires scénarii. Lorsqu'il arriva au village, il vit que les flammes s'étaient grandement estompées. Seul un bâtiment demeurait en proie aux flammes. Un bokoblin lui fit face. Totalement désarmé, et pris par surprise, Link se retourna, protégeant Ange de son corps. Un bruit de lame retentit, suivi de celui d'un corps qui s'effondrait.

- Link !
Le jeune homme se retourna et vit sa soeur, épée en main, essuyer le sang de sa lame sur le cadavre du bokoblin. Puis elle lâcha son épée et se jeta dans les bras de son frère.
- Oh Link, on a tous eu tellement peur...
- Mais qu'est-ce qu'il se passe ici ?
- Des bokoblins. Il paraît qu'il y en a beaucoup qui rôdent sur la plaine. Une dizaine d'entre eux ont attaqué le village pendant que tout le monde dormait. Ils avaient des flèches incendiaires. Mais Toruk et moi étions réveillés, et nous avons pu réagir à temps. Par miracle, personne n'a été blessé, et les dégâts matériels sont peu importants. Plus de peur que de mal. Qui est-ce ? ajouta-t-elle, en désignant la défunte Ange du doigt.
Link répondit d'une voix vidée de toute émotion :
- Nous avons rencontré des bokoblins, nous aussi.
Puis il s'effondra en larmes, incapable de se maîtriser plus longtemps. Arielle saisit la situation, et porta une main à sa bouche, horrifiée.
- Elle était déjà morte quand je l'ai trouvée, dit Link entre deux sanglots. Je ne pouvais pas l'abandonner...
- Link, dit Arielle, tu dois te reposer. Viens avec moi. Nous sommes installés dans une auberge sympathique, avec Toruk.
- Non ! s'écria Link. Je ne la laisse pas. Elle mérite qu'on lui rende hommage.
- Je ne te parle pas de la laisser, Link. Mais tu dois te reposer.

Au petit matin, le temps restait assez couvert. Pas de pluie, mais les rues étaient encore boueuses de la veille, et les arbres dégoulinaient toujours. Au pied d'un grand chêne, Link, sa soeur, et Toruk se tenaient debout, immobiles, et dans un silence de plomb. Dans la brume épaisse, Ange allongée sur un bûcher, partait en cendres, tourbillonnant sous le grand chêne, éparpillées par le vent matinal. Link tenait fermement dans sa main la gourmette de la petite fille. Il avait passé le reste de la nuit sans parvenir à fermer l'oeil. De profonds cernes creusaient son visage larmoyant.

- Link, tu dois partir pour la Montagne de Feu. Le temple de Din t'y attend.

Toruk avait dit cela d'un ton grave, calme. Le jeune homme se tourna vers lui, puis leva les yeux au loin. Il put voir la Montagne de Feu s'élever au-dessus de toutes choses, loin à l'horizon. Le voyage serait long, il le savait.

- Et ensuite ? demanda-t-il.
- Ensuite, va au Lac Hylia, chercher le temple de Nayru. Enfin, reviens dans la forêt. Tu devras chercher l'enfant maudit. Il te conduira au temple de Farore.
- C'est tout ?
- Oui, c'est tout. J'ai laissé des affaires pour toi à l'auberge.
- Non, mais je veux dire... C'est tout ce que vous avez à me dire ? Vous ne trouvez pas que vos explications sont un peu vagues ?
- Je n'ai aucune autre information. Ces temples sont cachés, scellés depuis longtemps. Mais l'Epée devrait te guider jusqu'à eux.

Link, dépité, ne dit pas un mot de plus et retourna vers l'auberge, rangeant la gourmette dans sa sacoche. Alors qu'il s'apprêtait à ouvrir la porte, des bruits de pas retentirent derrière lui. Il se retourna et fut plaqué contre le mur sans pouvoir réagir. À sa grande surprise, il reconnut le visage de Cindy, la fille qu'il avait rencontrée aux Trois Sangliers. Elle avait le visage déformé par la rage et avait pointé un poignard directement sur le cou de Link, ne laissant que quelques millimètres entre sa peau et la lame tranchante.

- Sale traître ! hurla-t-elle.

Link ne réfléchit pas une seconde et d'un mouvement rapide, saisit le poignard, retourna Cindy pour la plaquer à son tour contre la porte de l'auberge. Avec une de ses mains, il porta la lame au cou de la jeune fille, inversant les rôles. De sa seconde main, il la bâillonna. Elle se mit alors à se débattre, mais Link la tint fermement.

- Calme-toi ! Je n'étais pas moi-même ! Arrête ! supplia-t-il.

En guise de réponse, il reçut un coup de genou dans ses parties intimes. Sous l'effet du coup, il lâcha totalement son emprise sur Cindy et s'effondra à genoux, les mains plaquées sur son bas ventre, gémissant de douleur. Lorsqu'il releva la tête, Cindy le fixait d'un air féroce, pointant son arme vers lui.

- J'ai été envoûté, je t'en prie... dit Link dans un souffle.
- Je t'ai vu hier, avec cette petite fille. Qu'est-ce que tu lui as fait ? Encore une de tes victimes, n'est-ce pas ?
Cindy hurlait, sans retenue. Déjà, quelques personnes étaient sorties de chez elles. Ils attiraient tous deux bien trop l'attention.
- Cindy... je t'en supplie, tu ne comprends pas. Ce n'est pas moi.
- Menteur !!!
Et à la grande horreur de Link, elle plongea sur lui, poignard en avant. Celui-ci eut tout juste le temps de basculer sur le côté, et la lame se pointa dans le bois de la porte de l'auberge.
- Tu... tu as essayé de me tuer ? dit Link, si choqué que sa voix resta plate, sans aucune émotion.
- Je suis de sang noble, vociféra Cindy, j'ai assisté à la cérémonie. L'un des gardes que tu as tué était mon père ! Espèce de sale...

Devant cette horrible vérité, Link comprit que rien ne pourrait la raisonner. Il la poussa d'un coup de pied, n'en ayant plus rien à faire de la galanterie masculine, et roula en arrière, esquivant un second coup de poignard qu'il entendit siffler dans l'air. Se relevant dans la foulée, il observa autour de lui et vit Arielle et Toruk au loin se diriger vers lui, l'air totalement paniqués. Des dizaines de Loctaliens, intrigués par le spectacle s'étaient rapprochés. Il ne devait pas mêler sa soeur à sa quête, surtout pas.

- Je vais mener ma destinée seul ! hurla-t-il à son attention, mais sans la regarder. Je prouverai mon innocence !

Sans demander son reste, il se mit à courir à toute vitesse à travers le village, à la recherche d'une monture, qu'il ne trouva pas. Il poursuivit sa course hors du village, et lorsqu'il se retourna, aperçut en un coup d'oeil une dizaine de personnes, dont Cindy, lui courir après.
"Quelle poisse..." songea-t-il.

Chapitre 9 : Vite, un abri...   up

Allongé dans un buisson, Link put enfin se reposer. Il lui avait fallu de bonnes minutes pour semer ses poursuivants, et il savait qu'il allait devoir se déplacer à nouveau s'il ne voulait pas courir le risque d'être découvert. C'est ainsi qu'il quitta la plaine et s'enfonça dans un petit bois. De hautes herbes gênaient sa progression, et il se frayait un chemin à coups d'épée. Il réalisa alors la chance qu'il avait eue de l'emmener avec lui pour la crémation d'Ange. D'après Toruk, il ne trouverait pas les temples sans l'Epée de Légende. Link songea aux affaires qu'il n'avait pu récupérer à l'auberge, car il avait été interrompu par Cindy. L'idée qu'il avait tué le père de la jeune fille ne l'affectait même plus, tant il était conscient d'à tel point il était allé loin dans ses actes. Il n'était même plus choqué. Voilà qu'il était recherché pour meurtre, sans l'avoir prémédité. Il était devenu un fugitif, vagabondant dans des bois inconnus, avec pour seule piste de vagues indications sur la démarche à suivre, et pour seul équipement une épée maudite.

Son estomac se mit à gronder. Instinctivement, Link porta la main à sa sacoche, mais tout ce qu'il y trouva était la gourmette d'Ange et quelques rubis. Panser sa faim allait attendre un petit peu. Pour le moment, la fatigue prit le dessus sur le jeune homme, qui s'adossa contre un arbre et ferma les yeux. Cette fois-ci, aucune pensée négative ne l'empêcha de sombrer dans le sommeil. Autour de lui, quelques rayons de soleil parvenaient à pénétrer le bois, diffusant des rais de lumière çà et là, et lui caressant le visage d'une douce chaleur.

À la croisée de l'âme et de l'esprit,
Lentement le mal fait son nid,
Ouvrant un passage minuscule,
Vers le royaume du Crépuscule.
Le vent d'Hyrule, soufflant si fort,
Bientôt au peuple causera du tort.
Et la princesse issue de l'ombre,
Finira chassée de sa pénombre.

Link s'éveilla en sursaut. Il lui semblait avoir entendu une voix dans sa tête. Comme un chant, ou un poème, il ne savait pas trop. Peu importe, pensa-t-il, il avait rêvé. Se relevant avec peine, il sentit sa tête lui tourner. Depuis quand était-il resté là inanimé ? La forêt était baignée de la douce lumière du soleil.
"Manger", pensa Link.
Il chercha longuement dans les environs s'il pourrait trouver des baies comestibles, ou des champignons. Malheureusement, ses connaissances en botanique étaient limitées à la région de Firone, et manifestement la flore ici était bien différente de ce qu'il avait connu. Il s'essaya à des baies rouges, qu'il recracha immédiatement tellement le goût en était acide. C'est qu'il ne fallait pas en plus qu'il s'empoisonne ! Il ramassa un peu de tout, et trouva bientôt des champignons verts, dont il reconnut la variété : il ne se rappelait plus du nom, mais savait qu'ils étaient comestibles, et c'était la seule chose qui lui importait.

Un bruissement se fit entendre à sa gauche et il se retourna, alerte. Une biche. Machinalement, Link tendit la main en arrière, pour atteindre son carquois, avant de se rendre compte qu'il n'en avait pas. La biche détala sans demander son reste. Link avait manqué une occasion de se nourrir de viande. La faim le tiraillait tant qu'il commença à manger les champignons tout crus. Le goût n'était pas fameux, mais bientôt, il put se satisfaire d'une sensation de satiété.

L'après-midi se déroula dans la monotonie la plus totale. Link avançait péniblement dans cette forêt dense, se repérant à l'aide du soleil pour progresser vers la montagne. Il sut qu'il était dans la bonne direction, car bientôt le chemin devint pentu, ce qui rendit la marche bien plus pénible. À bout de souffle, les oreilles sifflantes, Link s'assit à l'abri sous un rocher, alors que le ciel s'assombrissait. Les arbres se faisaient plus rares, et Link avait une bonne visibilité sur le contrebas. Il pouvait vérifier ainsi que personne ne le suivait. Il pensa à Arielle et Toruk. Avaient-ils subi les conséquences d'avoir été éventuellement aperçus avec lui ? Il se remémora les paroles de Toruk. Trois temples : Din, Nayru et Farore. Comment les trouver ? Pour le moment, il se dirigeait vers le domaine des Gorons. Il pourrait peut-être demander des renseignements au prochain village qu'il croiserait. S'il en trouvait un... Le sifflement dans l'oreille de Link était vraiment désagréable, et le jeune homme secoua la tête pour tenter de le faire partir. C'est en secouant la tête de droite à gauche qu'il vit quelque chose et comprit la source du sifflement. Il plongea sur le côté, évitant une nuée de chauve-souris qui fondaient sur lui. Son esquive lui fallut de rouler sur quelques mètres en contrebas, mais un arbre arrêta sa chute. Il se releva et constata avec horreur l'immensité de la nuée : des dizaines de chauves-souris apparemment affamées le toisaient du regard, au-dessus de lui. Link dégaina son épée sans hésiter et donna un coup vertical qui fit traverser sa lame dans la nuée. Il toucha quelques bêtes, mais la plupart d'entre elles évitèrent bien évidemment le coup et passèrent à côté de lui. Link sentit à leur passage des griffes lui érafler le haut du corps de toutes parts. La douleur lui arracha un cri, mais il garda sa concentration et vit volte-face, pour apercevoir la nuée de chauve-souris à nouveau fondre sur lui. Cette fois, il opta pour un coup à l'horizontal, qui toucha davantage de créatures. En traversant l'essaim, Link sentit à nouveau sa peau se déchirer çà et là. Mais alors qu'il se retournait à nouveau pour faire face à ses adversaires, il les vit s'en aller au loin, redescendant la montagne. Il était parvenu à les effrayer. Poussant un soupir de soulagement, il put enfin ranger son épée dans son fourreau. Haletant, il entendit des hurlements de loup, et il ne lui fit aucun doute que passer la nuit ici relevait du suicide. Il détala sans demander son reste en direction du haut de la montagne.

- Un village, un abri... s'entendit-il marmonner.

Le coeur battant, il poursuivit sa route à flanc de montagne, pour contourner le sommet et se retrouver de l'autre côté. De là, il aperçut une petite vallée et... de la lumière. Link ne se posa pas de question et redescendit la montagne en direction de ce qui semblait être un petit village. Un quart d'heure plus tard, il entrait dans un hameau constitué de bâtisses en pierre. Il comprit qu'il se trouvait dans le domaine des Gorons. Il prit soin de rester dans l'ombre. Il ne lui faisait aucun doute que désormais, le royaume d'Hyrule entier connaissait son existence, le roi ayant dû envoyer des messagers dans toutes les contrées du royaume. Conscient d'être la personne la plus recherchée dans Hyrule, probablement demandé à être capturé mort ou vif, Link se dit que plus rien n'avait d'importance pour lui au niveau moral. Le vol était devenu pour lui une nécessité, il se dit que menacer des civils pour obtenir de l'équipement ne serait pas plus mal pour lui. Il se trouvait dangereusement dépourvu de vivres, d'armes et de matériel. Continuer la route dans ces conditions était trop dangereux. S'il devait se trouver face à une quelconque résistance, peut-être devrait-il tuer des innocents. Après tout, sa quête était plus importante que tout. Plus importante que la vie d'un innocent ? Non, se dit Link, indigné par ses propres pensées. Il allait trouver un moyen de s'en sortir sans faire de mal à personne.

- Excusez-moi ?
Alerte, Link se retourna, prit son épée et la pointa en direction de la voix. Une femme Goron le regarda les yeux écarquillés, les mains devant elle pour se protéger.
- Qui êtes-vous ? demanda-t-elle d'une voix tremblante. Rares sont les humains à s'aventurer ici.
Link ne sut que répondre.
- Êtes-vous le meutrier maudit ? Celui qui a tué des gens lors du tournoi ? Vous ressemblez à sa description. Oui, c'est vous.
- Bien, dit Link, ne cherchant pas à nier, c'est bien moi. Vous savez alors à quel point je suis dangereux. Donnez l'alerte et je tue tout le monde.
Il n'osait croire que c'était lui qui prononçait ces mots. Le visage de la Goron se décomposa, autant qu'un visage dur de Goron le pouvait.
- Ne me tuez pas !
- Silence, dit fermement Link, en avançant un peu plus son épée. Je ne veux juste que des provisions et du matériel. Je ne veux pas vous faire de mal, ne m'y obligez pas.
La jeune femme Goron le dévisagea avec étonnement et baissa les bras.
- Je vous crois, jeune homme. Je ne vous causerai pas de tort. Par pitié.
- Conduisez-moi chez vous, dit Link, essayant de garder le ton de sa voix le plus sec possible, mais déjà le sentiment de culpabilité qui grandissait en lui avait éteint légèrement l'amplitude des ses propos.
La femme resta le regarder quelques secondes, visiblement troublée, puis hocha la tête.
- Suivez-moi.
- Vous vivez seule ?
- Mon mari dort.
- N'essayez rien de dangereux.

Ils marchèrent en silence vers une des bâtisses en pierre. La femme ouvrit une porte en bois et invita Link à entrer. Celui-ci abaissa son épée. L'endroit était très petit, pour une habitation goron. Seule une cheminée dominait la pièce, laquelle contenait une unique table, deux chaises, un lit, dans lequel un homme Goron se redressait et un grand panier dans un coin de la pièce. Il était tombé sur des habitants pas vraiment riches. La poisse, pensa-t-il.

- Qui êtes-vous ? demanda le Goron qui était dans le lit.
- Chéri, ne pose pas de question. Il a besoin de provisions.
- Et pourquoi nous lui donnerions ce qu'il demande ?
Levant les yeux au ciel, Link sortit à nouveau son épée et la pointa cette fois-ci en direction de l'homme Goron. Sa femme émit un petit gémissement, puis se reprit.
- Chéri, fais ce qu'il te demande. C'est Link, l'humain maudit.
- C'est comme ça qu'on m'appelle ? s'offusqua Link.
- Oui, dit l'homme Goron en se levant et en s'approchant de Link. Tu es celui qui est possédé par le mal. Un danger mortel pour Hyrule.

L'homme avait dit cela d'une voix si calme que Link avait baissé son épée sans s'en rendre compte. Le Goron se jeta sur lui et le poussa en arrière. Sous le choc, Link fut projeté contre un mur en pierre, puis s'effondra.

- Ne te relève pas, jeune humain, où tu le regretteras, dit le Goron.

Pris d'une forte douleur dans le dos, Link ne songea même pas à se relever. Ce fut une énorme main de Goron qui le souleva dans les airs. Le minuscule corps de Link se retrouva à hauteur du visage des yeux du Goron.

- Tu es maudit, mais tu n'es qu'un enfant sans force.
Et il le laissa retomber au sol. Le souffle coupé, Link fut soudain celui qui se mettait à supplier :
- Ne me faites pas de mal. Je n'y suis pour rien dans tout ce qui arrive.
- Je sais, coupa le Goron.
Il se rassit sur son lit et sa femme alla le rejoindre.
- Viens t'assoir, jeune humain.
Il lui montra une chaise à côté de la table.
- Vous manquez de me briser le dos, et vous m'invitez à prendre le thé après ça ?
- Qu'est-ce que du thé ?
- Peu importe, s'impatienta Link en se relevant douloureusement.
Il parvint à s'équilibrer sur ses jambes en s'appuyant sur son épée.
- Pourquoi vous n'appelez pas de secours ?
Le Goron se mit à rire.
- Je peux te tenir en échec à moi seul, pourquoi je le ferais ?
- Qu'est-ce que vous attendez de moi ? demanda Link, fortement vexé par les propos du Goron.
- Je ne pouvais pas être sûr de tes intentions, mais j'ai vu dans ton regard, petit humain. Tu as peur. Tu es perdu.
Link ne pouvait pas démentir ces mots. Il laissa le Goron s'exprimer.
- Il se trouve, petit humain, que des messagers sont venus nous quérir la nouvelle d'un homme armé et dangereux, d'une menace pour Hyrule. Pourtant, le lendemain, de nouveaux messagers nous ont trouvés pour nous dire que tu étais une victime plus qu'autre chose. Peux-tu nous expliquer ce revirement de la part du roi ?
- Les seconds messagers ne sont probablement pas envoyés par le roi, dit Link.
Et Link tenta de leur expliquer sa situation en quelques minutes.
- La princesse Zelda est de mon côté, conclut-il. Alors, que comptez-vous faire de moi ?
Le Goron se leva, le dévisagea un instant, puit dit :
- Je vais t'aider, petit humain. Je te crois quand tu dis que la princesse t'aide. La politique du roi m'a toujours semblé déplorable. J'ai toujours trouvé ses jugements hâtifs. À vouloir protéger son royaume, il en oublie de protéger ses sujets.
- Vous me croyez sur parole ? demanda Link, méfiant.
- Je sais reconnaître un menteur, dit le Goron. Tu peux dormir ici cette nuit. Je n'ai rien d'autre que le sol à te proposer. Demain, j'irai au marché te chercher de quoi poursuivre ta route.

Le reste de la soirée se déroula dans une ambiance très étrange. Link restait méfiant et demeura assis dans un coin de l'unique pièce de la maison, l'épée à la main. L'homme Goron semblait faire comme s'il n'existait pas. Sa femme passa une heure à le fusiller du regard. Elle était évidemment sous le choc d'avoir été menacée.

- Je m'excuse pour tout à l'heure, lui dit Link. Je ne savais pas comment vous alliez réagir.
- Ce n'est rien, petit homme, répondit-elle, d'une voix légèrement cassante qui contrastait avec ses paroles.
Néanmoins, elle sembla se radoucir avec le temps et proposa même une boisson à Link au milieu de la nuit.
- Merci.
Lorqu'il avala une première gorgée, il eut l'impression de boire du feu liquide. Le breuvage lui brûla tour à tour la bouche, la gorge, l'oesophage et lui provoqua de vives brûlures à l'estomac.
- Non mais ça va pas ? Vous cherchez à m'empoisonner ? réussit à prononcer Link, entre deux étranglements.
La femme Goron se contenta de rire, et de lui tendre un morcau de pain que Link enfourna dans sa bouche sans attendre, pour soulager le piquant qu'il ressentait dans sa bouche.
- C'est notre spécialité, dit-elle. C'est très nourrissant.
- Et dégueulasse, poursuivit Link, qui soufflait par la bouche pour tenter de se rafraîchir.

La femme eut l'air exaspérée et alla se coucher auprès de son mari. Link demeura assit, puis se décida à poser son épée et à s'allonger sur le sol dur. Le sommeil le gagna assez vite.

Chapitre 10 : Fidélité et devoir   up

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Kairo était rongé d'angoisse alors qu'il patrouillait sur les remparts de la citadelle d'Hyrule. Le monde dans lequel ils vivaient semblait se teindre de noir, et son meilleur ami semblait en être responsable. Son père était à ses côtés, debout comme un roc, alors que tous deux supportaient le vent fort qui soufflait sur Hyrule en cette soirée noire. Au cours des deux derniers jours, ils avaient vu des bokoblins se déplacer en masse aux alentours. Les monstres étaient partout en ce moment.

- Papa, qu'est-ce que je dois faire ?
- Rien d'autre que ton devoir, répondit Anguin.
- Qui est ?
- Qui est ? Et bien servir le peuple d'Hyrule. Tu es dans la garde royale, fais ton travail.
Kairo soupira. Son père posa une main sur son épaule.
- Link emprunte un destin différent du nôtre, désormais. Il est fort, nous devons garder espoir.
- Toi et Toruk, vous l'avez envoyé à la mort ! La princesse Zelda également ! Qu'est-ce qui lui a pris de le libérer et de le laisser seul face aux dangers du royaume ?
- Et qu'aurais-tu voulu ? demanda Anguin. Que Link demeure dans sa cellule jusqu'à ce que le roi trouve une solution qui n'existe pas ? J'ai essayé de raisonner le roi, mais il est encore plus têtu que moi. Pour lui, Link est une menace à l'extérieur. Tout ce que j'espère de mon côté, c'est que ce n'est pas trop le cas. Allons, fils, viens avec moi. Nous allons assister à la séance de discipline de Zelda. Elle a beau être la fille du roi, elle s'est mise dans un sacré pétrin en offrant la liberté à Link.

Anguin prit son fils par l'épaule et l'invita à prendre les escaliers avec lui pour descendre avec lui de la muraille. Il traversèrent ensemble la citadelle, sous les sifflets de quelques soldats. En effet, Kairo n'était malheureusement pas très bien vu au sein de la garde royale. Son meilleur ami avait tué au sein de la garde, et chacun connaissait le lien qui le maintenait à Link. Le roi avait intégré tous les participants à la garde, jugeant bon pour la sécurité d'inclure non pas une mais huit personnes de talent. Parmi ces huit personnes, l'une d'elles, Hassan, jeune garçon d'Elimith, se remettait encore de la blessure que Link lui avait infligée à la jambe. Si certains des huit étaient adulés, il n'en était pas de même pour Kairo qui était qualifié de "traître", ou encore de "faux gagnant". Kairo avait le moral fort, et encaissait les insultes sans broncher, attendant le moment de faire ses preuves.

- Toujours là, le morveux ? s'entendit-il dire alors qu'il passait la porte du château d'Hyrule.

Il répondit tout simplement par un geste obscène, avant de se faire rappeler à l'ordre par son père. Trois gardes éclatèrent de rire et Kairo lança un regard noir à son père. Tous deux entrèrent donc dans la salle du trône. Celle-ci était bien vide, si l'on se référait au monde qu'il y avait eu au tournoi. Une vingtaine de gardes, dont les sept autres champions se tenaient derrière la princesse Zelda, debout au centre de la pièce. Le roi et la reine surplombaient tout ce monde, assis sur leur trône. Quelques-uns adressèrent à Kairo un signe de tête pour le saluer, par politesse. Kairo répondit également par un signe de la main. Toruk se tenait dans les gradins, avec Arielle. Ainsi, ils étaient rentrés du village de Loctalie, où ils étaient censés rejoindre Link. Kairo se sentit rassuré pour eux, mais davantage inquiet pour son ami laissé seul. La princesse Zelda, habillée d'une simple robe blanche, se tenait face à son père, l'air coupable. Elle allait être soumise au jugement du roi, pour avoir aidé un criminel à s'enfuir.

- Je te retrouve plus tard, fils, dit Anguin en lui tapotant l'épaule.

Anguin alla s'installer dans les gradins, avec Toruk et Arielle. Ils allaient constituer la défense de Zelda, avec quelques autres personnes dont l'identité lui était inconnue. En face d'eux se trouvait l'autre partie, les accusateurs. Au nombre de trois, Kairo reconnut Cindy parmi eux, l'air profondément abbatue par la mort de son père. Il y avait également le général Saïtor, responsable de la garde royale. C'était un homme aux cheveux blancs, d'une cinquantaine d'années, rasé de près et propre sur lui, avec des traits plutôt marqués, qui lui donnait un air assez sévère.

- Zelda, ma fille, commença le roi.
Le jugement démarrait. Kairo alla se joindre aux autres gardes, rassemblés derrière la princesse.
- Te voilà ici pour répondre de tes actes. Tu ne peux imaginer ma déception.
Zelda baissa la tête.
- Tu as désobéi à ma manière de voir les choses, tu as libéré un prisonnier dangereux et agi sans mon consentement. Être princesse Hyrule t'octroie certains droits, mais aussi certains devoirs. Ce n'était pas dans tes droits et tu as failli à ton devoir. Je laisse la parole aux accusateurs.

Le général Saïtor se leva lentement. Son charisme était évident, et il dégageait une aura qui forçait le respect. Kairo l'avait rencontré à son intégration dans les rangs de la garde royale. Malgré le ton accusateur qu'il allait prendre, il était de ceux qui l'avaient respecté malgré le fait qu'il soit ami avec Link.

- Hyliens, je me tiens ici devant vous non pas pour accabler encore plus la princesse, mais pour vous énoncer des faits réels, qui se sont produits ici même, dans cette salle. Cet individu, Link, a tué quatre hommes vaillants que j'ai entrainés durant des années. Des frères d'armes, des maris, des pères.
Il s'interrompit pour montrer Cindy de la main. Celle-ci semblait retenir ses larmes.
- Il a également blessé un champion.
Saïtor désigna Hassan du doigt. Le jeune garçon brun leva la main. Sa jambe droite était bandée de tissus, mais il tenait debout.
- Autre fait qui s'est produit dans les murs de ce château : la princesse Zelda a libéré l'individu Link, l'humain maudit. Comme son père l'a si bien dit, elle n'en avait pas le droit. Elle assumera donc les conséquences de ses actes, j'en suis persuadé, car malgré son irresponsabilité passagère, elle demeure sage.
Il se rassit. Le roi se leva à son tour.
- Merci, cher Saïtor. La défense a-t-elle un mot à dire ?
À la surprise de Kairo, il vit Arielle se lever.
- Oui, dit la jeune fille, nous avons à parler. Mon frère n'est pas un meurtrier.

Cette prise de parole n'était visiblement pas convenue par la défense, car Anguin son père tira à plusieurs reprises sur la robe bleue d'Arielle. Malgré tout, celle-ci poursuivit.

- Mon frère est serviable envers son peuple, envers son royaume, envers sa famille. Il n'est que l'instrument d'un mal que nous devons redouter. Ce n'est pas Link le fautif.
Un murmure général se fit entendre. Des débats silencieux s'étaient déclenchés.
- La princesse a fait ce qu'elle estimait faire pour protéger son royaume, car permettez-moi de vous dire à tous que nous sommes plus en sécurité maitenant que mon frère n'est plus enfermé. Il a une nouvelle destinée à accomplir.
- Celle de tuer des gens ? répliqua Cindy d'une voix cinglante. Il veut "l'anéantissement de l'ordre naturel", pour reprendre ses termes.
- Ce n'étaient pas ses mots, tu le sais aussi bien que moi. Toutes mes condoléances pour ton père. Il n'a pas mérité tout ça. Mais lui et Link se sont retrouvés tous les deux au même endroit au mauvais moment. D'ailleurs tu sais que Link n'est pas quelqu'un de mauvais, tu as pu le rencontrer toi-même aux Trois Sangliers, si je ne m'abuse.

Cindy se rassit, la colère se lisant dans sa voix. Il était évident que la raisonner serait très difficile, son jugement étant altéré par ses émotions, au même titre que le roi. Ce dernier reprit d'ailleurs la parole.

- Ma fille, as-tu quelque chose à dire ?
Zelda parla avec une voix tremblante.
- Oui, père. Je m'excuse, mais il fallait que je le fasse. Vous m'avez autrefois parlé de mes pouvoirs divins, de ma proximité avec les esprits-dieux d'Hyrule. Vous m'avez dit que je pourrai un jour les écouter, lorsque que je serai suffisament mûre pour percevoir leurs paroles. J'en suis convaincue, père, ils m'ont insufflé des rêves. Link devait être libre. Il nous sauvera. Il a un coeur pur.
- Bien.
Le roi avait conclu sur ce mot avec une fermeté sans nom.
- Mon roi...
Toruk avait pris la parole.
- Doutez-vous de ma fidélité envers le royaume ? Pourtant j'approuve les dires d'Arielle, la soeur de Link présente à mes côtés. Nous avons vogué dans l'esprit de Link, ce garçon n'est qu'une victime dans cette histoire.
- Les gens qu'il a tués ne sont-elles pas les seules victimes ? s'offusqua Saïtor.
- Et bien non.
C'était Anguin qui avait répondu et qui s'immisçait dans le débat.
- Link est une victime aussi bien que les autres, poursuivit-il. Ce n'est pas lui qui a fait tout cela. Toruk et moi soupçonnons l'âme de Ganondorf d'avoir réussi à subsister dans l'épée qu'a sortie Link du sol. Cette épée appelle Link, qu'il soit enfermé ou pas, ça ne change rien. Plus vite ce garçon aura vu les prêtresses des trois temples et plus vite nous serons en sécurité.
- Inepties, déclara le roi. J'en ai assez entendu. Il est trop risqué de laisser vagabonder un garçon maudit sur nos terres. Je déplore ce que je vais dire, mais il doit être détruit.
- Détruit ? s'écria Arielle.
- Détruit. Il doit mourir. Pour notre survie à tous. J'ai déjà dépêché plusieurs messagers dans nos différentes régions pour les avertir que Link était recherché, mort ou vif.
- Mais...

Kairo le comprit, mais le roi n'avait jamais eu l'intention de changer d'avis et avait même pris des dispositions à l'encontre de son meilleur ami, il aurait dû s'en douter. Des éclats de voix retentirent d'un peu partout. Arielle paraissait furieuse. Anguin et Toruk essayaient de la calmer tandis qu'elle vociférait des mots qu'il ne put entendre.

- Que comptes-tu faire, fils de la forêt ?
Kairo mit quelques secondes avant de se rendre compte qu'on lui adressait la parole. Hassan le dévisageait avec interrogation.
- Comment ça ?
- Le roi est impossible à raisonner. Mais je ne partage pas son avis.
- Tu ne partages pas son avis, et alors ? C'est notre roi.
- Je t'aurais cru un peu plus rebelle que ça, mon ami. C'est de la vie de ton ami que l'on parle, tout de même.
- Je ne suis pas ton ami, et nous n'avons rien à nous dire, si ce n'est pas dans l'optique de notre travail : obéir au roi.

Hassan se retira, un petit sourire en coin. Kairo sentit son coeur battre à tout rompre. Hassan essayait clairement de le faire craquer. Il fallait qu'il reste impassible face à ces manipulations mentales.

- Tu as bien parlé, fils de la forêt, entendit Kairo de la bouche de quelqu'un mais il ne sut pas qui. Tu es moins pitoyable que tu en as l'air.
Bientôt le silence se fit.
- Ma fille, déclara le roi. Je ne peux me résoudre à appliquer la loi en vigueur sur la trahison. Pas sur mon sang. Mais tu demeureras dans ta tour, gardée par tes serviteurs, jusqu'à ce que ta conscience soit davantage éclairée. Je te confie à la garde des huit champions. Il se relèveront pour s'assurer que tu demeures dans ta chambre.

* * *

C'est ainsi que ce soir-là, Kairo se trouva aux côtés de Hassan devant la porte de la chambre de Zelda. Immobiles dans l'air glacé, ils se toisaient, silencieux. Devant la lourdeur de la situation, Hassan eut bientôt l'air embarrassé et prit la parole :

- Excuse-moi pour tout à l'heure.
Et il tendit sa main. Kairo la regarda un petit moment, hésitant, puis se décida à la serrer.
- Pas de soucis.
Et le silence se réinstalla. Quelques minutes passèrent et Hassan reprit la parole.
- Tu sais, on risque de travailler ensemble pendant longtemps, alors il serait peut-être judicieux qu'on aprenne à se parler ?
Kairo poussa un long soupir avant de répondre.
- Qu'est-ce que tu veux savoir ?
- Link est-il le gentil garçon que sa soeur prétend ?
- Bien sûr que oui !
- Il m'a tranché le mollet.
- Qu'est-ce que je vais répondre à ça ? Comme il a été dit, il était influencé.
- Je veux bien le croire, Kairo, mais ça justifie qu'on le laisse partir ?
- Oui, ça le justifie.
Une voix s'était élevée de derrière la porte de Zelda. La princesse avait parlé.
- Excusez-nous, princesse. Nous parlons trop fort, s'excusa Hassan.
- C'est toi qui voulais parler, hein, souligna Kairo à l'adresse de son collègue.
- Je vais sûrement moisir ici un bon moment, alors parler à quelqu'un ne me dérange pas. Même à vous deux.
La princesse avait dit cela d'une voix dépitée.
- Princesse ? interrogea Kairo.
- Oui ?
- M'en voulez-vous de vous garder ici prisonnière ?
- En effet. J'aurais cru que tu aiderais ton ami.
- Je l'aide en essayant de garder le contrôle ici.
- Tu ne contrôles rien. Mon père a envoyé du monde à sa recherche. Tu ne peux pas l'aider d'ici. J'ai déjà envoyé d'autres personnes de confiance tempérer les messages de mon père.
- Des personnes de confiance ?
- N'êtes-vous pas à mon service avant d'être au service de mon père ?
Hassan regarda fixement Kairo et lui fit un signe de tête, que Kairo ne comprit pas.
- Quoi ? chuchota-til.
- A qui es-tu fidèle ? Ton ami et la princesse ? Ou le roi et son obstination ?
- Je suis fidèle au royaume, répondit sèchement Kairo.
- Et le royaume est en déperdition, assura la princesse Zelda de l'autre côté de la porte.
- L'histoire se répète, on dirait, dit Hassan.
- Quelle histoire ? demanda Kairo.

Pour toute réponse, Hassan enfonça la porte de la chambre de Zelda, qui s'ouvrit sans problème. Zelda en sortit, un châle sur le visage.

- Je suis fidèle à la princesse. Partons d'ici.
Kairo pesa rapidement le pour et le contre. S'il aidait Hassan et la princesse à s'enfuir, ils seraient recherchés à leur tour. Mais si...
- Arrête de réfléchir, Kairo, on bouge.
- Non mais...
- Allez, allez, on va retrouver ton ami ! Et chercher sa jolie soeurette...

Tout ça allait mal finir, pensa Kairo.

Chapitre 11 : Chevauchée vers Gorloth   up

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C'est en pleine nuit que Kairo, Hassan, et désormais Arielle, accompagnaient la princesse Zelda à l'extérieur de la citadelle. La princesse s'était changée et était méconnaissable, si bien que les gardes ne leur posèrent pas de question lorsqu'ils reconnurent Hassan et Kairo. Ils parvinrent à sortir de la ville sans encombres.

- Bien, dit Hassan. Nous n'allons pas prendre de risque. Nous allons nous mettre en formation de protection. Je me mets à l'avant, Arielle, tu te mets au niveau de la princesse Zelda. Kairo, tu couvres nos arrières. On ne s'arrête pas. En cas d'attaque, et c'est plus que probable, princesse, vous continuez d'avancer. Nous saurons nous débrouiller.
- Pourquoi est-ce que c'est moi qui suis à l'arrière ? demanda Kairo.
- Parce que je me suis proposé en premier pour aller devant, répondit simplement Hassan en lui adressant un clin d'oeil qu'il parvint à voir malgré l'obscurité.

Arielle éclata de rire. Ils se mirent aussitôt à chevaucher vers l'ouest. Le vent leur sifflait aux oreilles. La situation était vertigineuse pour Arielle et Kairo. Voilà qu'ils étaient à leur tour des fugitifs qui allaient être recherchés. Ils avaient tous décidé de se rendre à Gorloth. C'était la capitale de la province Goron. De là ils obtiendraient peut-être des informations sur un éventuel temple ou un éventuel humain qui y était passé. Hassan impressionnait Kairo par son courage et son esprit d'initiative. Il semblait totalement avoir oublié sa blessure à la jambe et scrutait l'horizon à la recherche d'une possible menace. Il se rappela qu'il devait couvrir leurs arrières et tourna la tête. Rien. Rien que le bruit du vent et celui des sabots de leurs chevaux lancés à pleine vitesse.

- Ombres sur la droite !

Arielle, dont la vue était réputée excellente, venait de donner cet avertissement. Des chevaux se collèrent à eux. Trois pour être exact, chacun monté par des bokoblins armés. Kairo n'hésita pas une seconde.

- Hiiyaa !

Il chargea un premier bokoblin et le renversa. Dégainant son épée, il porta un coup au deuxième qu'il rencontra. Le bokoblin contra le coup avec sa massue et l'épée se coinça dedans. S'engagea alors une bataille de force, chacun tirant sur son arme pour tenter de faire perdre l'équilibre à l'autre.

- Kairo, attention !

L'avertissement d'Arielle lui permit de voir le troisième bokoblin décocher une flèche en sa direction. Il se pencha en arrière et sentit la flèche lui siffler de l'air au visage en le frôlant. Il se redressa et poussa sur son épée. Le bokoblin à la massue commença à perdre l'équilibre. Hassan arriva de la gauche.

- Recule !

Kairo fit cabrer son cheval, son épée se dégageant de la massue. Hassan mit un coup de pied au bokoblin qui finit par basculer et tomber. Au même moment, de nouvelles ombres arrivèrent de parts et d'autres.

- Princesse, replacez-vous au milieu ! s'exclama Arielle.

La jeune fille sortit son arc et décocha, une, deux, trois flèches qui atteignirent toutes leur cible. Kairo vint se placer à la droite de Zelda pour la protéger d'un groupe de bokoblin qui chargeaient. Il enfonça son épée dans le torse d'un premier, trancha la tête d'un second, puis bouscula un troisième d'un coup d'épaule. Ce mouvement le déséquilibra et il manqua de tomber, mais saisit fermement les rennes de son cheval pour se remettre en position. Il vit un ennemi le viser avec son arc, ou potentiellement viser la princesse. Il saisit son bouclier contre lequel vint s'écraser la flèche. Arielle abattit l'archer d'une de ses flèches bien placées.

- Hue ! cria Hassan.
Ils accélérèrent le rythme.
- On doit les semer, ils sont nombreux ! hurla le garçon d'Elimith.

Alors qu'ils augmentaient leur vitesse, Arielle continuait de décocher des projectiles. Un de ses tirs fit mouche. Il toucha un cheval qui s'effondra, faisant trébucher deux ou trois autres dessus. Quelques minutes plus tard, les bokoblins n'étaient plus visibles.

- Bien joué, les amis ! s'écria Hassan. Kairo, tu es fêlé, mais c'est parfait. Jolis tirs, Arielle.
- Merci, Hassan, répondit la jeune fille en rangeant son arc avec un petit sourire.

En effet Kairo était impressionné par les capacités d'archère d'Arielle. Il est vrai qu'elle était une jeune femme pleine de ressources, et qu'elle était au moins autant entraînée que son frère. Elle s'était révélée fort douée en archerie, mais Kairo ne le réalisait que maintenant, Arielle aimant s'entraîner à l'arc loin des regards extérieurs. Ils laissèrent le village de Loctalie défiler sur leur gauche et poursuivirent leur chemin. Zelda restait particulièrement silencieuse alors qu'Arielle et Hassan s'étaient lancés dans une discussion enflammée.

- Princesse ? Vous allez bien ? Vous ne parlez pas.
- Je n'ai juste rien à dire, répondit-elle.

Kairon la dévisagea. Le ciel s'était légèrement éclairé. L'aube allait pointer le bout de son nez. En effet, elle était méconnaissable avec son visage en grande partie caché, les lentilles rouges qu'elle avait mises sur ses yeux, et son costume bleu et avec un oeil comme motif. Elle avait demandé à ce qu'on l'appelle désormais Sheik, et qu'elle devait être considérée comme un homme. Sa couverture semblait parfaite.

- Vous avez fait un choix difficile, princesse. Mais si vous vous fiez à votre instinct, il me semble que vous avez fait ce qu'il fallait. Vous n'avez rien à regretter. Votre père ne peut être raisonné. Anguin et Toruk ont essayé.
- Je ne sais pas, Kairo. Je vous ai entraîné dans une quête dangereuse malgré vous. L'attaque que l'on vient d'essuyer me le rappelle. Vous risquez vos vies dans cette histoire. S'il t'arrive malheur, à toi ou un autre, j'aurai tout cela sur ma conscience.
- C'est notre métier, princesse Zelda. Rappelez-vous que nous sommes à votre service. À la vie ou à la mort. C'est bien pour ça que nous nous sommes engagés, non ?
- Et de me tutoyer. Cela paraîtrait suspect.
- Je le ferai lorsqu'il y aura du monde avec nous, assura Kairo. Pour le moment, il ne me semble pas que ce soit nécessaire.
- Essaie de prendre cette habitude, s'il te plaît.
Kairo lui adressa un sourire.
- Là, dit soudain Hassan. Nous allons emprunter le col de Duval. C'est le plus rapide. Et nous devons ménager nos chevaux.

Il pointait en effet un col très lointain. Ils commencèrent leur ascension. L'avancée fut bien plus lente et bien plus pénible pour les chevaux. Bientôt, ils descendirent et marchèrent à leurs côtés pour les laisser se reposer un peu. La citadelle n'était plus qu'un point à l'horizon. Il leur fallut bientôt traverser une rivière au courant assez fort. Ce fut une tâche d'une grande difficulté, les chevaux ayant tendance à paniquer. Ils avancèrent avec prudence, résistant au fort courant qui avait tendance à les faire vaciller. Zelda perdit plusieurs fois l'équilibre, mais Kairo veillait sur elle et l'aida à chaque fois à se relever. Il leur fallut bien un bon quart d'heure avant de réussir à atteindre l'autre rive. La rivière était en effet assez large.

- Je propose qu'on fasse une pause, ça ne vous dit pas ? proposa Hassan, complètement trempé.

Kairo, qui n'avait plus de souffle, leva le doigt en signe d'approbation. Il retira son haut et l'étendit sur un rocher pour le laisser sécher. Il remarqua que Zelda le regardait et il en fut gêné. Il partit s'assoir un peu plus loin, mais la princesse le suivit.

- Tu es pudique ? s'amusa-t-elle.
- Non, mentit Kairo.
- Tu n'as pas à l'être avec moi, ne t'en fais pas.

Sa phrase sonnait bizarre et Kairo ignora comment le prendre. Il ne répondit pas. Comme pour faire écho à leur discussion, Hassan se déshabilla, gardant son caleçon, et se jeta dans la rivière en riant.

- Il est fou, celui-là, remarqua Kairo.
- Et il le faut dans ce monde de fous, répondit Zelda. Regarde Arielle.

Il n'aurait pas dû regarder, car il la vit se déshabiller à son tour pour se mettre en sous-vêtements et se jeter à son tour à l'eau. Kairo détourna le regard et se mit à rougir. Zelda le remarqua et se mit à rire nerveusement.

- Je te rassure, je vais garder mes habits, dit-elle. Attrape.
Elle lui lança un morceau de pain brioché qu'il saisit au vol.
- Hassan est vraiment courageux, observa Kairo, tout en croquant avidement dans son morceau de pain.
- Et pas toi ? s'enquit la princesse.
- Je ne trouve pas. Je n'ai pas les épaules d'un leader.
- Je ne te demande pas d'être un leader, Kairo. Ce que tu es me suffit largement. Tu as montré ta vaillance tout à l'heure. Pourquoi ai-je l'impression que tu es le champion le moins sûr de lui ? J'ai eu l'occasion de converser avec vous huit et tu me sembles bien réticent à tout ça.
- C'est mon père qui voulait que je sois dans la garde. Il voulait que je participe au tournoi.
- Et toi, qu'est-ce que tu voulais ?
- La même chose. Mais sans mon père, je n'y serai jamais arrivé. Link aurait très bien pu se présenter à ma place, en fait. C'est simplement que je suis le fils du chef, alors j'ai eu le droit à la priorité. Link devait participer l'année prochaine. Je ne suis pas aussi fort que lui. Si seulement...
- Si seulement il n'avait pas été maudit par l'âme d'un démoniaque trépassé et n'avait pas tué quatre hommes ?
- Voilà.
- On en a déjà parlé. Ce n'est pas de sa faute. Nous allons faire ce que vous nous avez dit : aider Link à purifier son âme. Mon père n'aura pas d'autre choix que de le gracier. Et de nous féliciter plus qu'autre chose pour ce que nous nous apprêtons à faire.

Elle s'interrompit et Kairo la regarda. Ses yeux regardaient au loin.

- Vous êtes loin de l'idée que je me faisais d'une princesse.
- Comment ça ?
- Et bien, vous n'hésitez pas à passer à l'action.
- Parce que les princesses se contentent de ne rien faire, d'habitude ?
- Non, ce n'est pas ce que je voulais dire. Mais regardez, vous. Vous chevauchez avec nous dans des régions plus que dangereuses, alors que des monstres rôdent partout aux alentours. Et vous ne semblez pas avoir peur.
- Oh que si, j'ai peur. Mais je ne peux pas rester enfermée dans une tour pendant qu'autour de moi, le royaume court à sa perte. Des forces puissantes sont entrées en jeu. Je peux le sentir. Il est de mon devoir... Non, de notre devoir d'agir.
Kairo ne put s'empêcher de rester bouche bée à la regarder, pris d'une forte admiration.
- Tu sais quoi, Kairo ? Dit-elle après un long silence. Je crois que tu es loin de l'idée que tu te fais de toi-même. Je t'ai vu te battre comme un dieu pendant le tournoi.

Les quatre aventuriers purent se détendre quelques heures sans que rien ne vienne les perturber. Ils mangèrent, burent, se séchèrent, discutèrent de choses plus légères. Ils en avaient besoin, car les précédents jours avaient été particulièrement éprouvants. Ressentir cette forme de légèreté leur parut salvateur. Ils se sentaient prêts pour la suite de leur périple.

Le soleil s'était levé lorsqu'ils atteignirent le col de Duval. La vue qui s'offrait à eux était vraiment magnifique. Derrière eux s'étendait la plaine d'Hyrule, gigantesque. D'où ils étaient, ils voyaient les Monts de Lanelle à l'est, à l'horizon. Devant eux s'offrait à leurs yeux une vaste colline, ainsi que plusieurs lacs. Ils virent ce qui ressemblait à une ville.

- Gorloth, capitale des Gorons, annonça Hassan.

A suivre...

Ce texte a été proposé au "Palais de Zelda" par son auteur, "FraT29". Les droits d'auteur (copyright) lui appartiennent.

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Mis à jour le 20.04.24