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Le jardin de Farore

Ecrit par Samantha en 2014
Prologue - La Femme en Rouge

- N'as-tu jamais pensé te faire des amis ?
La jeune fille détourne le regard, une main sur la taille, du mécontentement dans les yeux.
- Jusque là, je m'en sors assez bien.
- Écoute, j'ai une proposition à te faire, dit la femme à la voix grave.
La jeune fille concernée croise à nouveau son regard : ses yeux sont fardés de violet, ses cheveux noirs, elle a les lèvres les plus rouges qu'il lui ait jamais été donné d'en voir. Sa robe est d'un mauve rougeoyant, simple et élégante.
- Je ne suis venue que pour une fois et ne me répéterai pas, dit-elle en fronçant les sourcils. Veux-tu oui ou non repartir pour le monde de la lumière, rencontrer ses habitants, et devenir autre chose qu'une ombre pathétique qui laisse passer les nuits sans rien faire de sa vie ?
Le regard de la jeune fille s'enflamme de colère, elle se sent insultée et furieuse. Mais le courant d'indignation s'estompe et se refroidit bien assez vite. La femme apparue plus tôt dans la soirée, au creux de cette ville délabrée, qui lui parlait à l'instant, avait raison. Elle n'était qu'une ombre, qui se laissait complaisamment aller et flétrir jusqu'à mourir.
- Qu'est-ce que tu imagines ? gronda la femme. Que personne avant toi n'a dû souffrir ce genre de désillusion, ce genre de perte ? Eh bien ils se sont relevés, ils ont pris leur destin en main et fait quelque chose de leur existence. Moi et mes soeurs n'avons pas organisé ce monde pour voir de telles démonstrations de faiblesse.
Aussitôt, la fureur de la jeune fille rejaillit.
- Comment osez-vous ! s'écrie-t-elle, sa voix s'emportant. Ne voyez-vous pas ce qu'il nous est arrivé ? Où nous sommes tous forcés de vivre ? Croyez-vous que j'ai choisi de naître dans un lieu pareil ? Avez-vous jamais eu des parents pareils ?!
La femme aux lèvres rouges reste calme, attendant que sa jeune interlocutrice s'épuise et soupire de dépit. Alors la visiteuse sourit.
- Vois. Tu es si triste. Ta fierté est plus immense que trois fois tes années. Et elle t'empêche de faire ce que tu souhaites vraiment.
- Que croyez-vous savoir de ce que je souhaite vraiment ?
La femme en rouge lève sa main, au creux apparaît la lame fine et noire des cauchemars de la jeune fille. Elle recule et a un hoquet d'effroi.
- J'avais jeté cette arme dans ce maudit lac ! crie-t-elle d'une voix aiguë.
- Personne en ce monde ne la manie aussi bien que toi, dit la femme sans froideur. Tu la fais danser avec la passion et la fureur qui sont le pendant de ta fierté. J'ai le pouvoir de détruire cet objet contre-nature qui blesse la physique de ma terre rouge. Mais... avant de procéder à cet acte irrémédiable, je te répète ma demande. Vas-tu accepter ma quête ?
Immobile, tremblante, l'adolescente guerrière réfléchit quelques instants. Et elle plante son regard dans les prunelles embrasées de l'autre. Elle reprend la lame en main elle-même.
- Que voulez-vous que je fasse ?

Chapitre 1 : La Source aux Lucioles   up

Le bel Hylien voyait vaguement son regard au creux des eaux. Le clair de lune couleur argent nimbait ses traits d'une angélique douceur, qui faisait presque oublier la trace des larmes. Le bois était calme, la source était vive, les lucioles flottaient patiemment autour de lui comme un humble hommage à son courage. Oui, les bois n'avaient pas changé, depuis son enfance, et sa quête. Oui, son enfance... C'était comme si tout s'était produit hier. Hier que la petite fée Navi l'avait emmené auprès de l'Arbre Mojo pour entamer ce périple de beauté et de dangers. "Seul toi as le courage, et le pouvoir de tout changer. Hyrule tout entier ne dépend que de toi..."
Il n'avait pas compris outre mesure le poids de ces paroles. Il avait simplement avancé, fait face, exécuté une par une les tâches qui lui avaient été assignées, par simple sens du devoir. La peur n'avait jamais pu prendre racine dans son coeur. Il avait chassé l'épouvante des monstres et des ténèbres par la vaillance. L'épée dans sa main avait été comme un rai de puissance invincible, le bouclier dans l'autre un simple aspect tactique, le contrepoids de ses attaques, qu'il avait toujours su quand et comment invoquer pour se sauver la mise dans les moments les plus risqués. Il avait filé à l'encontre du danger sans rien mesurer, là où d'autres, comprenait-il maintenant, se seraient enfuis en courant, roulés en boule... même si l'échec, la fuite, n'était pas une solution dans les combats... la peur le leur aurait fait oublier.
Mais maintenant il comprenait. Il comprenait avec la perte, l'incroyable poids que le danger pouvait représenter. Il la revoyait dans ses souvenirs. Toute jeune âme qu'il était, avec ses sept ans de vécu en moins que les autres, il se souvenait encore des retrouvailles, de la félicité dans le noble regard bleu de la princesse, qui savait que bientôt le Royaume allait être sauvé du règne de terreur de cet usurpateur avide de pouvoir et sans merci, grâce à lui, et avec quelle gratitude, quel ineffable bonheur elle l'avait regardé. Et jamais elle ne vivrait pour voir le royaume où la lumière était revenue, le bourg d'Hyrule reconstruit, le château blanc respirant légendes et magies... oui, cela le lui avait été enlevé au même titre que sa vie.
Il serra les dents. Cela aurait pu être son sort. Avait-il failli ? Aurait-il fallu qu'il la protège encore davantage pendant qu'elle invoquait le sceau des Sages ? Le bouclier miroir qu'il avait porté à cet instant... aurait-il pu servir à quelque chose, dévier ce rayon funeste qui avait...
Il secoua la tête, ondulant ses mèches blondes ternies par le chagrin. Ses joues avaient été creusées par son maigre appétit des derniers jours. Ce bel endroit, cette jolie source forestière, seul lui en connaissait l'emplacement, hormis les chères amies à qui il l'avait présenté. Il sourit presque en repensant à Saria, Malon... Zelda. Son image ne voulait jamais quitter sa tête, son coeur se serrait, d'admiration, de fascination, il ne savait quoi. Si majestueuse, si grande, posée et sage, elle avait - presque - toujours su quoi faire pour devancer les funestes événements. Durant les sept années de son sommeil, elle avait tout abandonné, jusqu'à son identité, pour échapper aux griffes de Ganondorf et oeuvrer en silence à mettre fin à sa domination sur Hyrule. Sept ans. Il fermait les yeux et tentait de se figurer ce que cela représentait. C'était trop. Quels sacrifices la princesse avait-elle dû faire ? Comment avait-elle pu supporter de voir son Royaume sombrer sous la tyrannie tout en étant forcée d'attendre le seul moment où elle était sûre de ne pas échouer à emprisonner le Roi Maléfique ? Quelle culpabilité et quel effroi l'avaient étreinte tout ce temps ? Et de toujours se montrer à lui sans jamais dévoiler son vrai visage... Sheik. Poésie, musique, mystère, douce bienveillance. Quel était ce sentiment ? Depuis qu'il avait compris qu'il ne la reverrait pas, il se sentait lentement mourir.
- Tu es amoureux, avait dit Ruto, la princesse Zora, quand il avait été la voir.
- Qu'est-ce que ça veut dire ? avait naïvement demandé l'enfant en costume d'adulte.
- Cela veut dire que je n'aurais pas dû te donner ce saphir, avait-elle dit avec un sourire - qui n'avait duré qu'un fragment d'instant. Je suis désolée.
- Ce n'est pas de ta faute, avait dit Link.
- Non, ce n'est pas ce que je... (Elle s'était tue.) Je ne peux pas ramener la princesse, Link. Mais tu seras toujours traité avec les plus grands égards en ce domaine Zora, je te le promets. Puissions-nous t'apporter un peu de réconfort quand le temps t'aura apaisé.
Elle s'était inclinée, comme tous les gardes de toutes les communautés hyliennes s'étaient inclinés en le voyant, au sortir du conflit. À présent le monde achevait de se reconstruire, seul le château d'Hyrule n'en était encore qu'à ses fondations, et lui qui avait longtemps continué d'arpenter le pays en quête d'un lieu où Sheik aurait pu magiquement réapparaître, venait d'abandonner, las, ses recherches. Le lendemain, il irait tromper sa tristesse au Bourg d'Hyrule, où il avait rendez-vous avec Malon. La jeune femme lui avait formellement interdit d'abuser du vin, et lui n'avait pas compris, tout le monde savait qu'il détestait l'alcool.
- Et pourquoi ?
- Non, non, pour rien, avait dit Malon, confuse.
Il retourna dans le village Kokiri, se coucher dans sa cabane.

Chapitre 2 : Les Oiseaux Chanteurs   up

Le jeune homme s'éveilla le lendemain matin, dans les rayons matinaux et l'air frais de rosée qui passait par la fenêtre. C'était comme si les chants des oiseaux lui souhaitaient le réconfort. Le soleil avait déjà envahi les murs et le plancher de bois de sa belle teinte dorée. Avec un sourire timide, il fit soigneusement sa toilette, se coiffa, se vêtit d'une chemise blanche simple et d'un gilet en lin, d'un pantalon et de sandales. Ses vêtements verts de héros, en plus de lui rappeler trop vivement la fin victorieuse et malheureuse de sa quête, attiraient quantité de regards et de sentiments difficiles à supporter, trop pour un adolescent comme lui. La sagesse sans âge de Saria et les encouragements de la radieuse Malon n'y changeaient rien : il s'y perdait, entre ceux qui l'adulaient comme un héros, libérateur de leur pays, et ceux qui portaient dans le regard le reproche de celui qui n'avait su être parfait, assez parfait pour sauver la princesse.
Il ferma les yeux un instant avec dignité, et enroula un foulard vert autour de ses épaules, avant de sortir.

Il descendit l'échelle avec agilité, et passa outre un groupe de Kokiris jouant dans l'herbe. Saria, jolie petite fille aux cheveux verts et soyeux, l'aperçut et se leva. Tous deux s'échangèrent un sourire.
- Bonjour Link. Comment vas-tu ?
Le jeune homme avait appris à répondre contre sa pensée pour garder une chance de sauver la conversation.
- Bien, merci, Saria. Je sors aujourd'hui avec Malon, au Bourg d'Hyrule.
- Oh, c'est cette jeune femme aux cheveux roux dont tu m'avais déjà parlé, présuma Saria avec un beau sourire. J'ai entendu quelqu'un chanter à la lisière des bois. C'est peut-être elle qui t'attend.
Link sourit de plus belle.
- Sûrement !
- Je te souhaite de passer une très bonne journée. N'oublie pas de m'appeler !
Ils s'échangèrent un regard complice, comme Saria tint contre elle l'ocarina dont elle aimait jouer.
- Bien sûr.
- Et n'attrape pas de coup de soleil !
Link reprit un peu de son sourire et s'éloigna. Les Kokiris s'étaient peu à peu habitués à le voir aller et venir, lui qui, comme tout Kokiri qui se respecte, n'aurait pas dû être capable de quitter la forêt. Encore une fois, l'hostilité lui était tombée dessus, particulièrement de la part de Mido, garçon quelque peu méprisant, qui avait affirmé durant les temps sombres que si Link n'avait pas bravé l'interdit de quitter la forêt, nulle invasion de plantes carnassières n'aurait eu lieu dans leur paisible village. L'indulgence avait fait son retour en même temps que la paix, d'autant que Saria avait, à son tour, rejoint la forêt, son rôle de Sage venu à terme. Cela plus quelques sorties de loisir avec le reste du village avaient achevé de recoudre les ponts. Link souriait à l'idée que la joie revienne progressivement s'installer dans le Royaume. Toutefois il lui persistait un sentiment comme celui de se mentir à lui-même. Pourrait-il vraiment poursuivre sa vie ainsi, lui, qui avait traversé tant de choses, bravé tant de dangers, en soldant son périple de mille dangers par une simple demi-victoire ? Il avait gagné, en quelque sorte, cet horrible homme en armure noire. Du moins il n'avait pas complètement perdu, puisqu'il leur avait ravi leur bonheur. Au moins durant l'épopée avait-il eu un objectif sur lequel focaliser son attention. Maintenant la lassitude l'érodait de jour en jour. Pouvait-il vivre autrement qu'en tant que héros ? Qu'allait-il faire ?
- Ah, murmurait Link pour lui-même. La vie des adultes est si compliquée. Peut-être que je peux comprendre les Kokiris qui ne pensent même pas à quitter la forêt... étant enfant je ne me posais pas tant de questions.

Le soleil de la plaine l'éblouit quand il mit un pied hors des bois. Un ciel d'azur rayé d'à peine quelques bandes nuageuses, s'étendait à l'infini, et comme toujours lorsqu'il contemplait cette glorieuse étendue d'herbe si vaste, un chant se mettait à retentir en lui. Le chant d'une légende intemporelle, toujours à la recherche de nouveaux défis, armée de vaillance et de beauté, un périple dangereux auquel la douceur des rencontres donnait tout son sens. Des larmes d'émotion lui vinrent presque aux yeux, comme il fermait les paupières et écoutait.
- Link...
Il les rouvrit subitement et se trouva face à Malon, qui lui souriait sans pouvoir totalement cacher sa préoccupation. Mais Link essuya ses larmes et la salua chaleureusement.
- Non, ça n'est pas... Bonjour, Malon. Ne t'inquiète pas, je ne pleurais pas pour ça. Enfin... non. C'est juste... la beauté de la plaine qui me rend nostalgique.
- Comme si la perte de Zelda ne t'affectait pas suffisamment, il faut qu'en plus tu te tortures à prétendre aller bien, dit Malon avec de l'ombre dans ses grands yeux bleus. Cela me désole. Les déesses sont si injustes avec toi que ça me met en colère.
Link garda le silence pendant un instant.
- Je ne sais pas si les déesses y peuvent grand-chose... hésita-t-il. C'est juste la vie, c'est ainsi. (Il soupira.) Mais je disais la vérité, tu sais. C'était toi qui chantais à l'instant ?
- Oui, je chantais en pensant à toi.
Link rosit des joues, et sourit.
- Tu chantes de mieux en mieux au fil du temps, dit-il. Tu sais, quand je te voyais si triste au ranch, après mon retour du Temple du Temps, je pensais que tu étais comme un oiseau en cage. Le simple fait de ne pas te voir chanter était si triste ! Cela seul aurait pu représenter toute la tristesse d'Hyrule prisonnière sous la domination de Ganondorf. Un monde où tu ne chantes pas est un monde qui va mal.
Malon sourit, les yeux brillants.
- Mais tu as su ramener le soleil et la paix. (Son sourire se ternit un peu.) Tu as fait ce que tu as pu. Tu as été héroïque. Personne d'autre n'aurait pu le faire, alors je ne veux pas que tu culpabilises.
- Et réapprendre à vivre comme une personne normale ? demanda Link alors que Malon appelait Epona, la belle jument auburn qui paissait un peu plus loin.
- Je... ne sais pas, Link, murmura son amie en l'accueillant en selle, derrière elle. Je ne suis pas comme toi, je ne peux qu'à peine imaginer ce que c'est qu'être en son coeur le Héros du Temps. Mais si je ne peux pas apaiser tes blessures, je veux au moins t'assurer que, chez moi, tu puisses encore, quand tu le veux, faire escale au milieu de tes voyages.
Elle lança le galop en direction de la ville fortifiée.
- C'est à cela que les amis servent.
Link sourit, les longs cheveux roux lui volant un peu dans le visage. Arrivés dans la ville fortifiée, ils partirent s'installer à la terrasse d'un café, sur une place qui regagnait peu à peu son animation festive d'antan.
- Ce marchand de masques m'a toujours mise mal à l'aise, murmura Malon au passage devant l'échoppe concernée.
- Tu trouves ? Je le trouvais gentil, moi, dit Link.
- Trouvais ?
- Hm, oui, je ne sais pas. Quelque chose me dit depuis quelques semaines que je ferais mieux de ne pas trop m'en approcher.
- Eh bien dis donc...
Ils s'assirent à la table de leur terrasse préférée, entourée de bacs d'où jaillissaient de majestueux lis blancs. Malon commanda du lait à la cerise, Link du sirop de menthe.
- Tu sais, Link, je me fais un peu de souci dernièrement.
- À quel sujet ? demanda le jeune homme, les yeux perdus dans les profondeurs vertes de sa boisson.
- Autour du ranch, la nuit, expliqua-t-elle, j'entends parfois des cris.
Aussitôt, le jeune homme cligna, en alerte, et son regard regagna toute sa clarté.
- Des cris ? Quel genre de cris ?
- Des claquements d'os et des rires d'outre-tombe, dit Malon.
- Des Sakdoss et des Spectres, présuma Link en fronçant les sourcils. Mais pourquoi diable...
- Des créatures de cette sorte rôdaient un peu partout en Hyrule depuis bien avant la venue de Ganondorf, murmura Malon. Mais celles-ci se montrent plus virulentes, comme elles l'étaient du temps de son règne. Je trouve ça fort... étrange. Les chevaux y réagissent très fort, ils ressentent ces choses plus clairement que nous les gens.
Link pinça les lèvres. Malon remuait son breuvage avec une petite cuillère et renversa par accident le reste de son verre, tachant sa chemise blanche.
- Oh non !
- Aouch.
- Ma robe toute propre d'hier, soupira Malon. Je vais la rincer à l'intérieur, je reviens vite.
Link opina, et se replongea aussitôt dans ce que Malon venait de lui dire. Son coeur s'était mis à palpiter avec un espoir quelque peu indigne. Si de sombres événements se préparaient, alors ça lui donnerait prétexte à faire quelque chose de ses journées. Et en un éclair il se mit à songer... si l'aventure n'était pas terminée... s'il restait encore un moyen inconnu de ramener Zelda... ! Non, il rêvait, nul ne ramenait les morts...
- Jeune homme...
Il leva les yeux, surpris, et fut ébloui par le soleil qui dessinait une auréole dorée sur la belle chevelure blonde de la passante. Qui n'était pas Zelda, évidemment. Elle, portait une longue robe vert feuille aux manches trois-quarts cerclées d'or, des boucles d'oreille roses en triangle, et lui souriait avec des yeux d'un vert étincelant, presque affolant. Ses traits étaient fins, matures, ses yeux en amande recelaient un certain mystère. Link reprit l'usage de la parole après une poignée de secondes.
- Oui ? Qui...
- Je vois qu'une grande tristesse vous afflige, murmura-t-elle. S'il vous plaît, acceptez ce cadeau que je vous fais.
Link reçut dans ses mains une fiole remplie d'un éclat éthéré. Il fronça les sourcils, suspectant une supercherie. Cette femme avait quelque chose... d'anormal. Il ne devait pas se laisser abuser, pour avoir déjà vu ce qu'il en coûtait d'ouvrir des réceptacles piégés.
- Vous êtes une voyante ou quelque chose... ?
- Non, rassurez-vous, je n'en ai pas après vos rubis, sourit-elle doucement, joyeusement, même. Ouvrez cette fiole ce soir, une fois le soleil couché. Je vous souhaite une belle journée.
Le temps qu'elle s'éloigne, Link eut juste le temps de constater que la dame n'avait eu nulle poche ni sacoche pour y garder la fiole. Et ses mains avaient été libres.
- Alors ça...
- Link ?
Malon était de retour, avec de l'eau sur la chemise.
- Est-ce que ça va ?
Link pinçait les lèvres.
- Tu ne devineras jamais ce qu'il vient de m'arriver...

Chapitre 3 : Larmes dans le Couchant   up

Après une belle journée de promenades, Link et Malon se quittèrent, à l'entrée de la forêt, dans le soleil couchant. Elle était si gentille et chaleureuse.
- C'était une très belle balade, sourit Link. Je me suis bien amusé, merci, vraiment.
- C'est un plaisir pour moi, sourit-elle. Je voudrais tant te voir reprendre des couleurs.
- J'espère qu'on se reverra bientôt.
- Tu passes quand tu veux.
Tous deux restèrent immobiles, se tenant les mains, un instant, sous le vent et la lumière rubis qui les caressaient doucement.
- Je suis content de t'avoir.
- Oh, Link...
- Je... parfois, je...
- Tu ?
- C'est que...
Malon sourit quelque peu tristement.
- Non, Link... je suis ton amie, simplement.
L'Hylien rosit légèrement des joues.
- Excuse-moi.
- Non, ne t'excuse pas. Tout le monde cherche la personne qu'elle aime. C'est normal.
Le jeune homme resta silencieux.
- Seulement je ne suis pas celle-là, murmura Malon. Désolée, Link... je suis une romantique incurable, je l'ai toujours été. Je crois que le destin te liait à elle, pas à moi. (Des larmes vinrent à ses yeux.) Quelque chose de plus... profond, que ça. Ce n'est pas... ainsi que ça devait se passer. Oh, Link, pardon... !
Ils pleurèrent dans les bras l'un de l'autre, et ne bougèrent pas durant longtemps. La nuit était tombée et ce fut Epona qui vint les séparer, d'un petit coup du museau. Link sécha ses larmes.
- Le temps arrange tout, disent-ils, murmura-t-il la voix cassée. Ironique, non ? Dire qu'ils m'appellent le héros. Du temps, je veux dire.
Malon sécha ses larmes et posa ses mains sur ses épaules.
- Quelqu'un de magnifique comme toi ne finiras pas ainsi, mangé par le désespoir, dit-elle les dents serrées. C'est une conviction qui ne me quittera pas. Je le sais, j'en suis profondément certaine.
Comme Link ne répondait pas, elle monta sur le dos d'Epona et s'apprêta à partir.
- ... à bientôt.
Et elle disparut dans le noir et les étoiles. Link inspira fort, chassa toute forme de sentiment, et retourna dans sa maison où il laissa tomber ses affaires. La fiole remplie de lueur éthérée luisait dans l'obscurité. Cet éclat dans le noir lui rappelait Navi. Elle aussi, où, pourquoi était-elle partie ?
- Qu'importe, dit-il sèchement, en s'emparant de l'objet.
Il sortit dans les bois et s'isola auprès de la source aux lucioles. La lune brillait juste de ce qu'il fallait pour voir devant soi. Sans se laisser hésiter, il ouvrit la fiole et la lumière s'en échappa sous forme de brume. Elle dessina la forme d'un miroir ovale en face de lui, dans un sifflement de cristal mystérieux. Une faible couleur rose colora les formes... le visage de la princesse apparut.
- Zelda... ! s'étouffa Link.
Son imagination le précédait déjà. Y avait-il de l'espoir ? Il regarda attentivement la suite des images. Les trois triangles équilatéraux qui en formaient un troisième, la Triforce d'Or, elle pâlissait et se brisait en trois morceaux. Deux disparaissaient, le dernier faiblissait, et des volutes noires finissaient d'engloutir le tout. Des formes monstrueuses naissaient des brumes pour étouffer la terre. Seul un petit éclat demeurait. Bientôt ravivé d'une lueur verte, un courant rouge vint s'y mêler, et sur la plaine une forme encapuchonnée apparut hors des ombres. Dans ses mains fines tournait un des triangles d'or. Alors le soleil se levait... et les yeux bleus de Zelda s'ouvraient. L'image tomba en morceaux peu après.
Link resta interdit un moment. Aucun guide, jamais auparavant, qu'il s'agisse de Navi ou de Rauru, ou de Sheik, ne l'avait malmené. Et cette femme blonde, et les histoires de Malon, aurait-ce pu être un signe ? Son instinct lui criait que cette image ne serait pas moins prémonitoire que ses vieux rêves...
Mais où se rendre en premier ? Il savait qu'il ne saurait pas dormir cette nuit. Alors il saisit une épée simple, revêtit sa tenue verte de héros, et courut vers la plaine.

- Est-ce équipé ainsi que tu pars chercher ta dulcinée ?
Au sortir de la forêt, Link fut figé sur place. Il n'avait vu personne... il se retourna et fut pris d'un sursaut. Une silhouette encapuchonnée le fixait. La voix qui l'avait interpellé était celle d'une femme, grave et peu avenante, et le bas de son visage avait l'air plutôt fin, mais impossible d'en dire plus sur le reste de sa carrure. Méfiant, Link effectua quelques pas en arrière, prêt à brandir l'épée et à se mettre en garde.
- Qui es-tu ?
Il crut voir un éclat rouge là où ses yeux auraient dû se trouver.
- Tu peux m'appeler Shaya. C'est toi, le héros d'Hyrule dont tout le monde parle ?
Link ne dit rien. Shaya sourit.
- Evidemment que c'est toi. Ta tenue bizarre ne laisse aucun doute.
- Je vous trouve bien malpolie, siffla Link, irrité et mal à l'aise.
- Mais c'est plutôt bien, dit l'inconnue, intéressée. Tu as tant de flamme en toi que tu ne sais pas attendre une simple nuit de sommeil. Tant mieux, attendre n'est pas une chose que j'aime.
- Puis-je savoir où tu veux en venir ?
- Que tu auras besoin de moi si tu veux retrouver ta chère Zelda, dit Shaya avec froideur. Et pour commencer il va te falloir t'armer correctement.
- Tu veux dire que Zelda est vivante ? dit Link en sentant un vent de folie lui embraser le coeur.
- Oui. L'autre ordure l'a transportée là où elle avait fort peu de chance de revoir la lumière un jour.
- L'autre, tu parles de.... ?
Les lèvres de Shaya se pincèrent, et elle recula vers un lieu plus ouvert de la plaine.
- Nous partons maintenant te chercher une épée correcte.
- Mais quelle... ?
L'inconnue siffla dans ses doigts, et, semblant percer la nuit, un cheval des plus particuliers se forma à partir de tourbillons de fumée noire, comme courant hors du vide. Il était d'un noir de nuit perçant, ses sabots étaient d'argent et pointus vers l'avant, sa crinière comme de vent et ses yeux de rubis flamboyants. Il ne portait ni rênes ni selle. Shaya sauta agilement sur son dos et se tourna vers Link, qui restait figé, stupéfait, voire effrayé.
- Alors, fit l'inconnue en lui tendant une main gantée. Tu te décides ?
Link avança doucement, et, prudemment, lui prit la main. Elle referma sa poigne dessus, et il faillit hoqueter tant elle lui parut forte. De l'acier dans ses doigts... à peine monté sur le dos du mystérieux destrier, sa très directe compagne lança le galop jusqu'au pont-levis relevé du bourg. C'était comme si le décor s'était brouillé - le trajet avait été si rapide que Link commença vraiment à croire qu'il rêvait. Trop de choses étranges s'ensuivaient. Et elles ne s'arrêtèrent pas quand Shaya sauta de sa monture, brandit une fine lame courte et noire de sous sa cape, et traça un carré dans le bois bardé aussi facilement que dans du beurre. Elle le décoinça et le fit tomber à l'eau dans un coup de pied. Link était alarmé, la coupure avait eu l'air plus fine que l'épaisseur d'un cheveu. Il commença à fort se demander s'il faisait bien de suivre cette inconnue.
- En route, fit celle-ci en lui proposant le passage.
Comme elle était passée en premier, sans crainte de se mouiller les pieds, Link partit après elle et la retrouva dans le calme nocturne de la bourgade. Seules quelques fenêtres brillaient. Shaya rasait les murs comme si elle ne voulait pas se faire voir. Mais elle mena l'expédition jusqu'au lieu auquel Link s'était attendu... le Temple du Temps.
La grande cathédrale austère et majestueuse était ouverte de tout temps et éclairée de l'intérieur. Les jardinets qui la précédaient étaient plantés de tulipes et de pierres étranges ornées d'un oeil sheikah. Tandis que Link avançait, Shaya les scruta durant un instant et entra après lui.
Link observa les alentours qui n'avaient pas changé depuis sa dernière venue. Les trois pierres ancestrales, rubis, saphir, émeraude, ne flottaient plus au-dessus de l'autel, récupérées par leurs gardiens respectifs, tandis que les portes du temps étaient toujours ouvertes, ainsi qu'il les avait laissées. Il plissait les yeux et les lèvres. Remettre l'épée dans son piédestal de granit ne l'avait pas renvoyé dans le passé cette fois. Comme si, sa mission accomplie désormais, il était voué à rester dans ce futur où il avait tant gagné et tant perdu.
Il scruta la forme encapuchonnée de Shaya, qui restait silencieuse, bras croisés, près de l'entrée. Impossible de voir son visage, si ce n'était sa peau pâle. Comme ils ne se disaient rien, Link brisa le silence.
- Donc reprendre cette épée me permettra de retrouver Zelda, tu me le confirmes ?
- Ma foi, tout dépendra de ta façon de la manier.
- Je l'aurais deviné.
Il longea le tapis rouge, passa l'autel, entra dans la haute pièce au piédestal où il avait vu Navi la dernière fois. Il ne pensait plus à ce moment où Zelda s'était faite surprendre par Ganondorf et emprisonner dans le cristal peu après leurs retrouvailles. Il ne pensait qu'à cet endroit sombre dont les brumes et la femme en noir venaient de lui parler, où, peut-être, à nouveau, elle l'attendait.
- Hyrule était en souffrance, mais le soleil brillait encore sur sa plaine, pensa Link en approchant ses mains du pommeau bleu violet de l'épée de Légende. Était-ce encore grâce à toi, Zelda ?
Quand il reprit l'épée dans ses mains, elle siffla contre la pierre, brillante et aiguisée, et ce fut comme si elle brillait dans tout son corps. Le vent addictif de l'aventure venait vraiment de recommencer à souffler. Il le sentait, vif et vert, tourbillonner comme du feu dans ses veines et briller dans son coeur. Levant l'épée vers le ciel, il la sentait à nouveau lui murmurer que rien ne lui serait impossible.
- Si belle...

Revenant vers l'entrée du temple, il retrouva Shaya qui montra un sourire énigmatique.
- Où que nous devions aller, allons-y sans attendre, dit Link de son ton le plus décidé.
- Pas si vite, l'ami, dit la comparse avec un peu de condescendance. Arc et grappin te seront également nécessaires pour mener à bien ce travail de récupération. Et pas de ceux, cassables, qu'on trouve sur n'importe quel étal de marché. L'arc des fées par exemple serait de mise.
- Je les ai replacés dans leur temple, dit Link.
- Je te demande pardon ?
- Je les ai replacés dans leur temple, répéta-t-il, parce que leur souvenir m'écorchait le coeur, et parce que là était leur place, insista-t-il. Je te rappelle que jusqu'à il y a une heure, ma quête de héros était arrivée à son terme.
Shaya émit un soupir qui ressemblait à de l'énervement, mais contenu.
- Bon, tant pis. Nous irons les rechercher, et ça nous fera de l'entraînement.
- Quand veux-tu y aller ?
- Demain, la forêt est trop dangereuse le soir. Je dormirai au lac Hylia, et je suggère que tu fasses de même.
- C'est comme si j'y étais déjà, dit Link en prenant de sous ta tunique l'ocarina du temps, avant de jouer la Sérénade de l'Eau, qui l'y transporta. Ce fut une question de secondes avant que Shaya n'apparaisse à quelques pas du blason de la Triforce et de l'Eau, sur le promontoire qui s'engageait dans les eaux du beau grand lac. Ce claquement était typique de ce que les Sheikahs pratiquaient pour apparaître et disparaître de nulle part... et ces reflets rouges dans l'ombre de son visage...
- Est-ce que... tu serais une...
Elle s'éloigna et s'installa sous l'arbre unique du promontoire.
- Sheikah, oui. (Elle bâilla.) Bonne nuit à toi.
Link ne ferma pas l'oeil aussi facilement. Toute la nuit il ne cessa de se poser des questions, y compris celle de sa sécurité à rester auprès d'une femme inconnue portant une arme aussi inquiétante. Puis il se rappela des visions dans la brume. Et de ses relations empoisonnées avec les autres. S'il fallait prendre des risques pour essayer de rendre un sens à son existence d'aventurier par nature, alors qu'il en soit ainsi.
Et la nuit passa...

Chapitre 4 : La Rosée sur la Rive   up

Quand l'aube rosée diffusa sa lueur derrière les falaises qui encadraient le Lac Hylia, Link s'éveilla, et put constater, dans la lumière du matin, l'extraordinaire apparence de Shaya dont il ne se serait jamais douté.
Elle était fine et jeune, de la même taille que lui, avec une cascade de cheveux blancs et lisses lui tombant jusque sous la taille. Une courte tunique gris beige la vêtait, ainsi que des bas et des mitaines cousues à la manière brute. Des boucles d'oreilles d'or sombre ornaient les rebords de son visage, et un médaillon rouge orné de l'oeil sheikah brillait sur sa tenue. Elle terminait de lisser sa chevelure devant le miroir du lac, et se redressa pour saluer Link d'un regard rouge sang, à la fois flamboyant et froid, comme un grenat liquide.
- Bien dormi, héros ? demanda-t-elle d'un ton quelque peu narquois, refroidissant Link du plaisir qu'il avait de rencontrer une jeune fille si originale.
- Tu peux m'appeler Link, dit-il, et oui, j'ai bien dormi. Il faut dire que j'ai l'habitude de la belle étoile.
- C'est ce que je me disais.
Elle finissait de se peigner, et rangea l'objet de bois dans la doublure de sa tunique. Comme elle se tournait vers Link et lui proposait quelques baies qu'elle avait dû cueillir dans la matinée, le jeune homme décida de laisser le flot de ses questions s'écouler.
- D'où viens-tu, Shaya ? Et qui t'a envoyée ?
Elle avait l'air bougon et peu disposée à répondre.
- Quelqu'un... m'a promis de m'aider si je t'aidais.
- À quoi, si ce n'est pas indiscret ?
- C'est indiscret. Je ne souhaite pas en parler.
- Ah, fort bien, admit Link en gobant les framboises estivales. Combien de gens as-tu tués pour vouloir rester aussi discrète ?
- Je te déconseille de jouer sur ce terrain-là, dit-elle avec une flamme inquiétante dans le regard. Tu pourrais le regretter.
- Alors qui t'a demandé de m'aider ? Une certaine femme blonde en vert, avec des boucles d'oreilles ?
- Je n'en connais qu'une, se moqua Shaya, et elle se tient à côté de moi...
Link mit un instant à comprendre, et laissa aussitôt tomber sa poignée de fruits rouges. Il fusilla la jeune femme du regard.
- C'est une provocation ?
- Tu voudrais mesurer nos forces ?
- Fais-moi donc voir ce que tu sais faire.
Tous deux brandirent leurs armes, Shaya montrant un intérêt quelque peu malsain. Sa dague noire avait la longueur de son avant-bras et était presque aussi fine qu'un cheveu. Rien à voir avec l'épée brillante et imposante de Link. Elle se jeta sur lui comme si elle n'avait rien tant attendu que de pouvoir tester le talent du jeune homme. Les lames s'entrechoquant créèrent un éclat d'étincelles blanches et noires. Qu'est-ce que c'était que cette matière composant l'arme-aiguille ?
Et la jeune fille était au moins aussi vive et adroite que les Gerudos qu'il avait déjà eues à affronter. Sauf qu'elle ne perdait pas un temps à lui tourner autour ou à l'intimider : elle attaquait sans relâche et sans détour, le prenant de vitesse de telle sorte qu'il doive se concentrer à parer. Mais il la suspectait de ne pas y mettre toutes ses forces, et comment, puisqu'aux dernières nouvelles, ils étaient censés être alliés.
Il la dégagea d'un contre plus puissant, la renvoya en arrière et profita de la demi-seconde qu'elle mit à se remettre d'aplomb pour charger son attaque cyclone. La vague bleue magique qu'il projeta aux alentours toucha Shaya dans la poitrine et la fit tomber au sol. Link sourit et figea la pointe de son épée au niveau du visage de la jeune fille.
- La femme blonde aurait-elle des talents cachés ? demanda-t-il en souriant.
Shaya rosissait un peu des joues.
- Je n'aurais pas dû te sous-estimer. C'est ma défaite.
- Eh bien, tu vois qu'on arrive à s'entendre, dit Link, avant de se reprendre plus sérieusement :
- Ton style de combat est redoutable. Je ne sais pas si j'aurais été de taille si tu avais vraiment tenté de me tuer.
- Nous avons tous nos points faibles, murmura Shaya. Je sais tuer, confondre et capturer, mais dès que ma hanche gauche est touchée, je suis...
Elle se releva et épousseta dignement sa tenue, avant de rengainer son arme à sa ceinture.
- Tu es ?
- J'y ai reçu une blessure, dit-elle lèvres pincées, scrutant le lointain avec une sorte de douleur dans le regard. Mais ça n'a pas d'importance, mettons-nous plutôt en route.
- Très bien. Je te rejoins à l'entrée du temple de la forêt ?
- Oui.

Une fois le Menuet des Bois joué, et Shaya apparue à côté de lui dans la clairière, Link put réaliser combien l'ambiance du lieu s'était détériorée depuis la dernière fois.
- Que s'est-il passé ici ?
Il pouvait même le humer dans l'air. L'ombre, le silence, jusqu'à la sève des babas mojos qui diffusait son parfum de danger si caractéristique.
- C'est comme Malon l'avait dit, dit Link.
- Que veux-tu dire ?
- Il se passe des choses étranges dans le pays.
- Donc tu peux le ressentir.
- Pas toi ?
- Je ne parcours pas ce monde en général, dit Shaya en plissant les yeux. Mais si tu dis que c'est plus sinistre que d'habitude... hum.
- Comment est-ce possible ? Ganondorf avait envoyé ses créatures en Hyrule pour semer la terreur, je m'en souviens. Mais il est censé être scellé, à l'heure qu'il est.
Shaya pinçait à nouveau les lèvres.
- Oui, censé.
- Tu es au courant de ce qu'il se passe ?
- Cela se pourrait bien.
- Mais qui es-tu, à la fin ? demanda Link en se tournant vivement vers la jeune fille. Qui t'envoie, et que sais-tu de ce qui plane sur Hyrule ?
Shaya allait se préparer à répondre, mais à la place de ses mots retentit un hurlement. Des lobos.
- A l'attaque, s'écria-t-elle en dégainant.
Elle se retourna et trancha à travers le corps d'un des monstres. D'un seul coup. La créature à forme de loup avait été partiellement éventrée et tomba sur le flanc pour se vider de son sang, avant de partir en fumée. Link en resta interloqué.
- Mais... !
- Derrière toi !
Link se retourna et bloqua les crocs d'un autre lobo, le dégagea et le frappa à la nuque. L'attaque dura une minute, et les ennemis ne furent bientôt tous plus que fumée.
- Quelle... (Link calma sa respiration.) Quelle est cette arme que tu as ?
- Une lame forgée par la magie noire de mon peuple, les Sheikahs, murmura-t-elle sombrement. Instrument de mort par excellence s'il en est. Je ne dis pas non pour lui chercher une plus noble utilité.
- Je... vois, hésita Link, effrayé. Maintenant... oh, mon grappin... je l'ai oublié.
- Ce n'est pas grave. Protège-toi juste les yeux.
- Mais je...
- S'il te plaît.
- Bon, très bien.
L'opération de Shaya consista à peu de choses près à trancher des pierres et du bois en morceaux pour créer un escalier, sans doute grâce au fil surnaturel de cette épée noire. Link et elle coururent à toutes jambes pour éviter les armées de skulltulas qui leur tombèrent de peu sur la tête, et en quelques minutes, ils furent arrivés dans le temple où la ritournelle angoissante des esprits de la forêt retentissait toujours. C'était comme un ancien lieu de vie réhabilité en donjon truffé de pièges, et, en l'occurrence, de monstres. Link prit le temps de se féliciter de ne pas avoir rangé l'arc des fées trop loin. Il se souvenait encore de sa localisation.
- Allez... dépêchons-nous.
La visite du sombre palais ne prit pas beaucoup de temps, toutes les portes ayant été déverrouillées par avance. En revanche, Link fut pris de court de voir tomber un groupe de stalfos sur eux, comme surgis du néant, dès que le coffre à l'arc fut en vue.
- On réglera ça en un rien de temps...
Les lames brûlantes crissèrent et tintèrent contre sa garde, il perça la leur et les réduisit, de ses coups adroits, en tas d'ossements assez vite.
- Et autant de... !
Il hoqueta et se retourna, un troisième ennemi préparé à l'empaler dans le dos. Mais avant cela, la tête du squelette se détacha et roula par terre. Il vit, derrière le petit tas de fumée agonisante, Shaya qui, le souffle court, avait saisi la cervicale dans la poigne de sa main droite et l'avait réduite en poussière. À la seule force de sa main... elle soupira et se remit en position relâchée. C'était sa main gauche qui était armée.
- Tes réflexes s'amoindrissent, héros, dit-elle avec un sourire pinçant.
- Appelle-moi Link, dit le jeune homme. Qu'est-ce que tu venais de faire ?
- Te sauver la mise.
- Non, avec ta main. Tu as...
Elle ferma les yeux un instant, avant de se détourner.
- J'ai une bonne... force physique, bien que je n'aime pas en faire usage.
- Un don de la nature, présuma Link. Tu es gauchère aussi ?
- Entre gauchers, on se comprend, sourit-elle, taquine.
- Merci de m'avoir protégé, dit Link qui se demandait si elle rechignait à attaquer du bras gauche pour protéger sa hanche apparemment vulnérable.
- Je... (Elle sembla rosir un peu des joues.) Ce n'est rien. (Elle l'observa intensément pendant qu'il allait trouver son arc dans le coffre où il l'avait laissé.) Il faut que tu fasses attention, petit héros. Tu t'es laissé aller et tu manques d'entraînement. Là où on va je ne pourrai pas toujours surveiller tes arrières. (Link bandait l'arc dans toutes les directions, testait sa force et l'acuité de sa vision.) Tu m'écoutes ?
- Hm, oui...
Elle hocha la tête.
- Alors assez traîné ici. En route pour le Temple de l'Eau.
- Faisons ça. Je me prépare et t'y rejoins.
Ils quittèrent le temple ensemble, croisant des tableaux où les spectres de couleur étaient réapparus. Link les sentit les suivre de leur regard fixe, repensant à Navi qui les avait connues, les quatre soeurs, de par leur nom. D'où donc étaient-elles venues... ?

Chapitre 5 : Le Grand Lac   up

- Mais j'y pensais, dit Link, devant Shaya qui venait d'apparaître à sa suite au niveau du Lac Hylia, avec tes pouvoirs de téléportation, ne peux-tu pas remplacer la fonction de ce super-grappin ?
- Et toi, ne peux-tu pas le remplacer tout simplement avec un Vent de Farore ?
- Non, ça... me prendrait trop d'énergie.
- Voilà.
Link était repassé par sa cabane pour retrouver et revêtir son onéreuse tunique Zora bleu outremer, qui avait l'extraordinaire propriété de permettre à son porteur de respirer sous l'eau. Quant à sa compagne de quête, elle avait revêtu un médaillon spécial qui l'avait entourée d'une fine pellicule d'air respirable - un trésor dont il ne lui demanda pas la provenance, bien que la curiosité le piquât. Tous deux plongèrent dans l'eau froide du beau lac limpide, cherchant l'entrée du gigantesque temple où retentissaient, lointains et sinistres, les échos de l'eau. Une fois à l'intérieur, Shaya rejaillit à la surface en respirant très fort. Sa chevelure, qui dans l'eau lui donnait l'air d'une méduse à la dérive, semblait venir de doubler de longueur. Link s'en gaussa, et reçut en réponse un regard noir.
- Alors, où t'es-tu amusé à aller replacer ce super-grappin, dis-moi ?
- Dans sa salle d'origine.
- Dites-moi que ce n'est pas possible.
- Je m'ennuyais, moi.
- C'est ce que je vois.
Au moment où ils durent traverser des vides vertigineux à travers des salles annexes à celle du pilier central, Shaya proposa à Link de lui tenir la main pour qu'elle lance une téléportation groupée.
- Tu peux vraiment faire ça ?
- Oui, ça peut être pratique.
- Tant que tu ne m'écrases pas les phalanges...
- Cela vaudrait encore mieux que de me lâcher la main durant l'opération. Tu te perdrais dans les vides interdimensionnels.
Link déglutit et ne discuta pas. En peu de temps, ils furent arrivés dans cette mystérieuse salle couverte d'eau superficielle, hantée par un espace jaune clair surréaliste, désert à l'exception d'une île plantée d'un seul arbre mort. Link ne comprenait pas.
- Ce n'était pas ainsi quand j'étais venu la fois d'avant, murmura-t-il.
- Charmant, siffla Shaya, mécontente.
- Fais attention à toi, dit Link en s'approchant de l'île centrale.
- Tu as vraiment arpenté tous ces donjons tout seul ? chuchota Shaya, le regard rivé sur les angoissants environs.
- Oui. Mais je crains que...
Shaya ne disait rien comme elle passait, à la suite du héros, sur l'îlot central. Tout seul, dans ces immenses temples hostiles...
Link se tourna vers elle et écarquilla les yeux.
- Attention !
Elle se retourna dans un éclair et para de sa lame l'épée noire l'ombre de Link surgie hors du reflet de celui-ci. Le jeune homme ne tarda pas à se retourner à son tour, voyant une fille aux longs cheveux faite d'ombre, fondant du plafond pour le transpercer de sa lame. Tous deux, chacun de leur côté, se mirent en garde. Et ils parèrent avec énergie, contre-attaquèrent et se battirent furieusement contre le double noir de leur compagnon.
- Qu'est-ce que c'est que ces choses ?! entendit-il crier Shaya.
- Nos doubles d'ombre, dit Link, je crois que c'est le Temple qui a animé nos reflets ! Ah !
Il avait du mal à suivre la cadence extrêmement rapide de la sheikah. Elle était sérieuse, vive et transperçante, avec une arme fine quasi-impossible à stopper du plat de sa lame. Son agilité était bien celle d'une guerrière de l'ombre, du peuple d'Impa, assassins discrets et vifs comme le vent. Alors il attaquait transversalement. Ce fut en croisant le duo combattant à côté qu'il se rendit compte, non sans une sueur froide, que son double noir effectuait, une fois de plus, une mimique parfaite de tous ses propres mouvements. En fait, lui-même et Shaya s'attaquaient mutuellement... !
Il fit part, entre deux souffles précipités, de son observation à la Sheikah, qui eut l'idée fort bien avisée de cesser immédiatement ses assauts offensifs - attitude inutile puisqu'à cet instant précis, leur double se remirent à attaquer, mais dans des assauts purement aléatoires pas moins difficiles à esquiver.
- J'ai une idée, dit Shaya.
- Laquelle ? fit Link au milieu des sifflements de métal.
- Éloignons-nous et chargeons des attaques magiques. Comme ton attaque tournante de tout à l'heure ! Notre double ne déchargera rien et son coup ne nous atteindra pas.
Link avait compris.
- Très bien !
Shaya venait de mimer une charge d'attaque cyclone, ce qui amena son double à l'imiter pendant une paire de secondes. Ce fut suffisant, tout juste suffisant pour que le jeune homme charge son attaque magique et l'envoie tournoyer dans le ventre de l'ombre attaquante, qui partit en fumée immédiatement. Quant au double noir de Link, il avait payé ses deux secondes de charge inutile d'un démembrement méthodique, en bonne et due forme. Le héros détourna le regard pour se dérober à son haut-le-coeur.
- Bravo ! Belle victoire que celle-ci, dit Shaya.
- Certes, balbutia Link en se rendant au fond de la pièce, qui regagnait progressivement ses véritables couleurs de granit bleuté. Il y récupéra, dans un coffre, le fameux super-grappin qui lui serait, une fois de plus, utile.
Pendant qu'il restait plongé dans ses pensées, le regard accroché au vide, l'objet bleu violet en main, Shaya se concentrait à étudier la nature de l'eau présente sur le sol.
- Il se passe des choses anormales ici.
- Que... quoi ? fit Link, revenant à moitié sur terre.
- Cette eau... a l'air de respirer.
- Quoi ?
- Je ne rêve pas, il y a une aura maléfique qui s'est éveillée dans ce temple, dit la Sheikah avec ses yeux rouges flamboyants d'agressivité. Je peux ressentir clairement ce genre d'énergie, c'est un monstre conséquent qui attire l'eau des environs et la concentre ailleurs.
Link plissa les yeux, puis montra les dents.
- Quoi, ça voudrait dire que Morpha a aussi repris forme ?
- Qui est Morpha ?
- L'ancien monstre installé par Ganondorf ici, dit le héros, qui avait asséché le Lac Hylia en absorbant son eau. Tu crois... ce serait possible... ?
Reprenant le chemin de la pièce principale, Shaya fronçait les sourcils, le regard noir et sinistre.
- Pourquoi le retour de tous ces monstres ? murmurait le héros.
La Sheikah ne dit rien. Quand ils furent de retour dans la pièce au pilier, Link se plaça face à la salle du Sage, et s'apprêta à utiliser son grappin sur les cibles situées de l'autre côté des hauteurs pour en rejoindre la porte. Avant cela il tendit le bras à Shaya.
- À moi de te transporter maintenant, sourit-il.
La jeune fille hésita, un regard quelque peu troublé sur le visage, puis montra ce qui ressemblait à un sourire. Ensemble, ils se transportèrent au niveau de la salle du Sage, qu'ils rejoignirent et dans laquelle Link trouva, comme il l'avait redouté, l'eau fluorescente emplissant la piscine du lieu. Le tentacule de l'amibe aquatique géante s'éleva dans les airs, menaçant les deux intrus, bien campés sur leurs gardes et très tendus. Le noyau électrifié filait au creux du tube aqueux à une vitesse déstabilisante, sans pour autant que Link ne tente pas de le percer de la pointe du grappin. Mais sans Navi pour l'aider...
- Link, attention!
Il esquiva de peu, dans une glissade, le tentacule aqueux qui l'avait presque fauché et envoyé voler contre le mur. Il se redressa et rit de nervosité. Shaya tenta une diversion. Elle se jeta sur le noyau au moment où il remontait dans le tentacule sur le rebord, mais le manqua de peu et fit une chute dans la foulée.
- Argh !
- Shaya !
Ce fut l'instant de trop. Link fut saisi par le tentacule et enserré à mi-hauteur. Il avait beau se débattre, le monstre ne changeait pas d'avis et plutôt que le propulser, lentement, l'étouffait. Shaya, de son côté, donnait, dans les deux sens, des coups d'épée dans l'eau. Link put voir la panique vite se répandre sur son visage blanc et entendre sa voix crier son nom. Lentement sa vue se brouilla, sa poitrine se comprima, et ses pensées s'évaporèrent dans le noir, ses esprits le perdant. Ce fut un instant de panique qui le foudroya à l'instant. Non, non, tout de même pas. Il n'allait pas... ?
- LINK !
Il n'eut pas conscience de ce qui se passa ensuite.

Chapitre 6 : Le Jardin de Farore   up

Lentement, très lentement, il se sentit revenir à lui.
Mais il ne sentait pas son corps. Il n'avait pas la force de bouger un doigt ni même battre des paupières. Mais à travers, de la lumière, de la lumière dorée... de la chaleur... il sentit un souffle de vent sur sa peau, rafraîchir sa gorge et son visage, et lui rendre inexplicablement un peu d'énergie. Il ne se souvenait de rien. Quand était-il arrivé ici ? Que s'était-il passé avant ? D'où venait-il et... qui ?...
Sa tête reposait sur les jambes repliées d'une femme au teint pâle, qu'il put entrevoir sur le fond d'un ciel d'or et d'un soleil vert. Il cligna à plusieurs reprises et son coeur s'emballa - aussitôt, son corps retomba en arrière et il crut re-perdre connaissance. Le toucher frais de la main de la femme entra en contact avec sa joue et il se calma. Le son de sa voix résonna comme une brise de plaine, mystérieuse, douce, légère...
- Chut... sois calme, mon enfant...
- Qui... murmura Link.
Tandis que sa vue s'éclaircissait, il put voir le visage de sa sauveuse, en même temps que les images de sa défaite contre Morpha lui revenaient. Son teint était très blanc, ses cheveux vaporeux verts comme les feuilles d'émeraude transpercées par le soleil... des joyaux d'argent ornaient ses joues où du maquillage vert descendait en motifs, et elle portait une robe blanche ainsi qu'un bandeau blanc orné de cet emblème fait d'une sphère entourée de deux croissants. Ses yeux brillaient comme des émeraudes à s'en damner. Link crut comprendre, deviner de qui il s'agissait. Mais comment, comment était-ce possible...
Et tout d'un coup ça le frappa. Son visage, la forme de ses yeux ! C'était la même femme que celle qui lui avait donné la fiole enchantée au Bourg... !
- Sois calme, mon petit, souffla la déesse, d'un ton presque amoureux. Tu es tombé mort entre mes bras, et j'ai bien cru qu'Hyrule t'avait perdu. Mais avec de la douceur, on fait des miracles...
Elle dispensa une nouvelle vague de vent lumineux au-dessus du jeune homme, dont la respiration devint plus aisée et régulière. Il en profita pour tester sa voix et rechercher un mot à dire.
- Je vous avais déjà vue. Vous étiez...
Elle sourit de son regard immensément aimant.
- Farore.
- Fa...
- Ta protectrice et mère spirituelle, murmura-t-elle d'un ton épris. Tu as failli t'éteindre et nous sommes ici dans mon jardin au Saint-Royaume. Celui que mon pouvoir de Courage a choisi pour emblème. Link... je suis si fière de toi.
Celui-ci sentit qu'il pouvait bouger les bras et bientôt le reste de son corps. Il en profita pour se mettre en position assise et constater le jardin enchanteur, vaste et sauvage, qui les entourait. Autour d'eux c'étaient des buissons et des massifs d'hibiscus et de roses, et plus loin, comme une plaine fleurie habitée des fées et des lucioles.
- Vous êtes la déesse ! s'écria-t-il, totalement abasourdi.
- Ainsi me nomment les légendes, sourit la déesse en robe blanche sans cesser de l'observer.
Ce fut à cet instant que Link se sentit rosir des joues.
- J'ai échoué... vous avez dû me... mais comment... mais pourq... Shaya !
- Calme-toi, mon gentil héros, dit Farore d'un ton si doux que Link s'en sentit rasséréné presque malgré lui. Ta compagne va bien. Ma soeur y veillait...
- Votre...
Il se tourna et vit, d'entre les marguerites et arbustes de pivoines, une femme de même carrure que Farore apparaître - sa peau avait les reflets de l'or en fusion, sa tenue était rouge, composée d'une jupe courte et d'un haut ornés d'émeraudes. Ses yeux étaient d'un violet flamboyant, sa chevelure lisse et brillante avait la couleur du rubis, et sur son front brillait l'emblème en trois vagues de la déesse Din...
Link crut que son coeur allait lâcher. Était-il en train de rêver ?
- Je vois que tu as fait durer le plaisir, Farore.
- Ce n'est pas vrai, protesta la déesse verte, j'avais besoin de temps pour sauver mon cher Link...
- Le... le temps presse, lâcha Link, pressé par son sens du devoir, qui toucha Farore mais sembla plus amuser la déesse rouge.
- Le temps ici ne s'écoule pas de la même façon, enfant d'Hyrule, déclara-t-elle de sa voix grave et puissante. Ton monde... notre monde peut attendre que tu te sois remis de ta blessure.
- Comment va Shaya ? Vous la connaissez ?
- Oui, sourit Farore.
- Elle s'en est tirée.
- Il faut que vous répondiez à mes questions... !
Avant que les deux dames ne puissent répondre, un éclat bleu rayonnant se manifesta, grandit et prit la forme d'une troisième femme éblouissante, à la peau bleutée, yeux de saphir, longue robe bleue, chevelure bouclée aux multiples reflets du cyan à l'indigo, infiniment gracieuse, portant l'emblème en trèfle de Nayru sur son bandeau.
- Bienvenue, Nayru, sourit Farore.
- Farore, Din, dit-elle d'une voix cristalline. (Elle replaça son regard sur Link.) Ton protégé va mieux...
- N'est-ce vraiment pas un rêve... ? murmura le héros en approchant lentement sa main de celle de Farore, qui était lumineuse avec des ongles argentés scintillants...
La déesse aux cheveux de vent souriait avec cette même bienveillance amoureuse. Il irradiait d'elle un sentiment plus grand qu'une simple personne... l'énergie déployée autour d'elle reflétait comme un coeur aussi grand que le monde. Link avait le sentiment qu'elle était plus encore fascinée de le regarder, lui, que lui n'était bouleversé par les trois apparitions réunies. Ou alors ne réalisait-il pas encore... si, il réalisait. Les trois déesses créatrices d'Hyrule, dans leur infinie beauté, dans leur force iconique, étaient, à l'instant, matérialisées sous ses yeux... il n'aurait pu inventer cela dans ses propres fantaisies. Leur présence et ce qu'elle impliquait le renversèrent presque, et ses yeux se remplirent de larmes.
- C'est vraiment vous... !
- J'aurais tant voulu te garder en sécurité, près de moi, murmura Farore de sa voix cristalline. Chacune de tes blessures, chacun de tes doutes, est comme une blessure qui m'atteint...
Link était à court de mots. Farore essuya délicatement sa larme.
- Tu as été si brave... si vaillant... si courageux et dévoué, murmura-t-elle. Tout du long de ta quête, même enfant tu irradiais le courage et le sens du devoir. Il était évident que l'emblème de mon pouvoir te choisirait... (elle prit sa main gauche dans la sienne, sur le dos de laquelle le triangle droit de la Triforce brillait.) Et ton coeur est pur, comme le vent des prairies. Quelqu'un comme toi n'aurais pas pu mourir. Pas ainsi, pas comme cela.
- Vous m'avez... (Link toussa.) Ressuscité ?
- Ton coeur a fait le plus grand du travail, murmura Farore. Les portes de mon jardin ne s'ouvrent qu'aux coeurs vaillants et sincères. Les autres sont soufflés, ou alors enserrés et noircis par le regret et la rancoeur, ils arpentent la plaine... et je ne puis rien faire pour eux, finit-elle en fermant les yeux.
Link demeurait muet, Farore releva un sourire vers lui.
- Je voudrais te garder avec moi... mais ta vie est en Hyrule. Là est ta place, là est ta vie, là se trouvent ton destin et ton achèvement. Là seulement tu peux être le héros que tu es voué à être.
Nul ne dit mot pendant une poignée de secondes. Ce fut avant que Din ne s'avance, faisant flamboyer le sol d'herbe verte où elle posait pied.
- Alors... as-tu faim, jeune héros ? proposa-t-elle en faisant apparaître un plateau de fruits somptueusement découpés. Veux-tu boire quelque chose ? Du vin, aux épices, au sirop d'érable...
- Din, sourit Nayru en retenant un rire.
La déesse rouge pinça les lèvres, posa le plateau doré sur l'herbe puis plaqua ses mains sur ses hanches.
- Je tente d'être polie, alors un peu de considération !
Farore éclata d'un rire léger comme des clochettes, et Link fut abasourdi de voir Din rosir des joues - cela se manifesta par un scintillement doré.
- Qu'y a-t-il de si drôle !
- Je ris parce que... Link ne devait pas t'imaginer ainsi, dit joyeusement la déesse verte.
- Bon ! Très bien ! s'écria Din. Link, héros du Temps ! J'ai beaucoup de choses à te dire et aussi à te demander.
- Qu'y a-t-il ? balbutia le jeune homme, qui se sentit frissonner.
- Hyrule est en danger, lança-t-elle, droit au but. Je le dois au Roi Gerudo qui a dérobé ma Triforce et imposé au pays un règne de terreur durant les sept ans de ton sommeil.
- Vous voulez dire, qu'il n'a pas été scellé ? demanda Link, le coeur au bord des lèvres, peu enthousiaste à l'idée de recroiser le regard effarant du Seigneur du Malin.
- Pas correctement, dit Din. La Princesse de la Destinée et Septième Sage, Porteuse du Triangle de la Sagesse, Zelda, a été propulsée par ses soins dans une dimension voisine noircie par les spectres de la haine. Depuis que la Triforce s'est scindée en trois et que ses ondes rayonnent sur le monde extérieur au Saint-Royaume, sa... structure en a été changée, et l'absence du Triangle de la Sagesse dérègle ses vibrations énergétiques. S'il s'était juste agi d'un simple triangle - le mien - scellé dans le Saint-Royaume, alors le pays aurait pu s'en tirer à bon compte, mais en réalisant cet ultime tour de force, Ganondorf savait que sa situation ne resterait pas scellée. En bref, tant qu'il manquera un Triangle à l'appel, les infrastructures du Temple de la Lumière vacilleront et le Seigneur du Malin pourra plus facilement en forcer les portes pour faire son retour. Il faut que vous l'en empêchiez avant qu'il ne puisse refaire surface et prendre à son office les multiples créatures dangereuses renaissant présentement de ses manigances.
Link mit un instant à tout enregistrer.
- Par "nous"... vous entendez.... ?
La déesse rouge fronça les sourcils et hocha la tête vivement.
- Cette jeune fille que tu as rencontrée, je l'ai désignée pour t'accompagner, et pour hériter du Triangle Saint de la Force, dit-elle en prenant un hoquet à Link. Elle a accepté cette quête avec tous les risques que cela implique, ce qui me laisse penser qu'elle en sera digne.
- Digne... ! murmura Link.
Shaya, porter la Triforce de la Force... ? Bizarrement, l'idée lui donnait des frissons... de fascination.
- Oui, digne, murmura Din. Des trois Triangles Saints, celui de la Force est le plus difficile à contrôler. Qui se laisse séduire par son pouvoir finit immanquablement dévoré et changé en monstre démoniaque, à l'image de ce Ganondorf...
Link resta muet pour un moment. Lentement, les mots lui revinrent.
- Ce pouvoir est si beau, si puissant... mais si dangereux... alors pourquoi l'avoir laissé sur Terre ?
Farore fut celle qui répondit.
- Pour que l'humanité puisse vivre son épopée, murmura-t-elle.
- Le Destin fait étrangement les choses, dit Din en glissant un ongle d'or rouge entre ses dents de perle. Il a choisi l'un des Triangles pour s'opposer aux deux autres.
- Et les catastrophes ensuivies ont vu la naissance d'un héros pour les endiguer, murmura Nayru doucement. Il n'est pas de notre... ressort d'intervenir sur Terre.
- Pourtant je suis là, et vous m'avez sauvé, murmura Link.
Farore sourit une fois de plus avec cet amour presque accablant.
- Je suis avant tout le Courage dans ton coeur, dit-elle en caressant sa joue. Je suis ce qui t'a une fois de plus sauvé. Quelqu'un comme toi... ne peut simplement mourir. Même quand tu auras quitté le monde des hommes sous forme physique... ton esprit, ton symbole... ta silhouette, dirais-je même, vivra à travers les âges comme un vent immortel d'inspiration soufflant sur les coeurs. C'est cela qu'être un héros veut dire. C'est cela, être une légende.
Le silence perdura un moment encore. Alors seulement Link put-il commencer à admirer la nature sublime des environs. Le ciel était d'or, le soleil vert olivine, faisant miroiter les rivières comme de l'argent et les feuillages comme d'innombrables pierreries. Ils étaient jaunes, verts, rouges, formaient des forêts riches de buissons, de pierres, de mousses et de sources. Les iris, les joncs et les roseaux jaillissaient paisiblement des étangs, faisant des perchoirs aux libellules multicolores, petits oiseaux, papillons somptueux. Les coquelicots et les bleuets croissaient parmi les hautes herbes des vallons. Mais là, autour d'eux, c'était comme un petit refuge au milieu de cette grandeur de faune et de flore radiante. Des fontaines en cristal, des massifs de roses, des fruitiers, de petites allées sablonneuses, des nénuphars, des orchidées aux formes complexes... le jeune homme soupira. Tout rayonnait de beauté, la beauté de celle qui avait insufflé la vie au monde qu'il connaissait, concentrée en un seul lieu.
- Je suis triste de devoir te laisser partir si vite, murmura Farore.
- En effet, la situation l'exige, dit Din avec sérieux. Il est plus que temps que la Princesse Zelda revienne au pays auquel elle appartient.
Le coeur de Link s'emballa d'un coup. Zelda ! Il allait réellement la revoir ! Il allait lui poser toutes ses questions, lui dire tout ce qu'il avait sur le coeur, lui dire combien elle lui avait manqué... et il rendrait à Hyrule sa souveraine, juste et sage. Il fermait les yeux et voyait la beauté, la joie, la paix, la vie devant eux. Et peut-être même, entre tout cela... quelque chose d'autre.
- Vous avez raison, murmura Link. Ma place est à Hyrule. Ce lieu est sublime... mais j'ai besoin du vent de ses plaines... de ma vie là-bas...
- Où que tu ailles, murmura Farore. N'oublie pas. Mon Vent te transportera.
- Mes Flammes brûleront tes obstacles, dit Din.
- Mon Amour te protégera, finit Nayru.
- À présent va et apprends auprès de ta compagne quelles nouvelles quêtes t'attendent, digne et éternel héros du temps, murmura Farore en lui soufflant un baiser. Va et vogue par vents, forêts et plaines... mon bel enfant...

Chapitre 7 : Danse dans les Bois   up

- Quel beau sourire pour un revenant, dit le ton sarcastique de Shaya à son retour.
Il ouvrit les yeux - il se trouvait à l'entrée de la forêt Kokiri, matérialisé dans une spirale de vent vert et or. Le calme et la félicité avaient, effectivement, embaumé son coeur et son visage, et il se sentait revivre. Puis tout d'un coup il revint au présent.
- Shaya ! Par les grandes fées, tu t'en es tirée...
- Tu aurais dû voir ça, s'amusa-t-elle, j'ai poursuivi le noyau à la nage... et ceci, est à toi.
Elle lui tendit arc, grappin et carquois, qu'il équipa avec gratitude.
- J'ai tellement de choses à te dire !
- Je te crois sur parole, dit-elle avec un plus doux sourire que ce qu'il lui avait connu.
- Tu as dû te.... faire du souci, j'imagine.
- Disons qu'en te voyant disparaître dans un éclat de lumière verte, j'ai eu ma petite idée sur où tu étais parti.
- Vraiment... ! Shaya... tu savais.
- Je savais ?
- Que les... que les déesses veillaient sur nous.
Elle voulut dire quelque chose, mais rien ne sortit, un instant, de ses lèvres. Elle se reprit et répondit :
- Il est vrai. Je... n'avais pas grandi au milieu du culte des déesses. Mais... Din est venue à moi, et...
- Où habites-tu ? pressa Link. D'où viens-tu, Shaya, et de qui veux-tu te venger ? Est-ce de Ganondorf ?
Elle baissa les yeux, l'air préoccupé, les lèvres serrées, puis montra un sourire hésitant.
- Oui, j'ai...
Voyant qu'elle était très mal à l'aise, Link la rassura.
- Ça va, tu n'es pas obligée... de m'en parler maintenant. Dis-moi, maintenant que nous sommes équipés, quelle est notre prochaine destination ?
Shaya posa ses doigts devant ses lèvres, sérieuse.
- Au coeur de la forêt se trouve un sanctuaire où la déesse Farore a caché un médaillon précieux. Une épreuve de courage nous en sépare. Trois médaillons au total nous permettront de recréer le remède qui éveillera Zelda de son sommeil forcé.
- Il me tarde tellement de la revoir, dit Link, mains serrées, en repensant à sa douceur, ses yeux bleus et tendres, sa majestueuse robe rose. L'as-tu déjà vue là où elle est, Shaya ?
- Une fois... mais il est impossible de trop l'approcher... une brume maléfique entoure son... "cercueil."
Comme Link restait muet, un sentiment très puissant visible sur le visage, Shaya se montra songeuse.
- Est-ce que... tu serais...
Le jeune homme pencha la tête sur le côté, pour l'inviter à poursuivre. Mais elle se ravisa au final et ne dit rien.
- Que n'importe... tu loges dans la forêt Kokiri normalement, je me trompe ?
- Oui... ! Et là c'est...
- Link !
Le héros sursauta et manqua de tomber en arrière, tant la petite Kokiri aux cheveux verts l'avait percuté violemment, l'étreignant très vivement.
- Saria ?!
- Link, je me suis tellement inquiétée ! Tu pars comme ça, et tu restes trois jours sans donner de nouvelles, trois jours !
- Trois... jours ?
Link compta dans sa tête et confirma. Déjà trois jours d'absence, il ne les avait pas vus passer...
- Je commençais à craindre que tu n'aies fait une bêtise.
Link comprit après une paire de secondes et baissa les yeux.
- Je... oh...
- Oh, et vous, madame, qui êtes-vous ? demanda Saria à Shaya, qui fit une tentative manquée pour paraître avenante.
- Je m'appelle Sandra, et j'ai veillé sur Link pendant ces trois jours. J'ai eu pitié tant il était larmoyant.
- Quoi ? s'indigna le héros blond.
- Oh, quelle gratitude ! Je vous remercie profondément, dit Saria en s'inclinant, il est vrai que Link, dernièrement, n'allait pas très bien...
- Ce n'est pas... aïe !
Shaya avait marché sur le pied de Link.
- Je ne suis que de passage, dit-elle.
Elle se tourna vers le blond et voulut lui demander un échange en face à face, mais Saria la devança.
- Nous les Kokiris organisons une fête pour le solstice d'été ce soir ! Madame Sandra, ne voudriez-vous pas rester ? Link sera sûrement ravi de vous héberger.
- C'est que... hasarda le blond.
- J'ai l'habitude de la belle éto...
- Non... non, il n'y a pas de problème, dit Link à Shaya. Tu peux rester. Ça te donnera l'occasion de faire connaissance.
La sheikah ne semblait pas montrer un enthousiasme débordant, mais elle ne broncha pas.
- Très bien, et ce sera peut-être l'occasion de prendre une douche chaude.
- Tout ce que vous voudrez, madame !
- Et c'est mademoiselle, se pinça Shaya. Par où faut-il aller ?
- Par ici ! J'ai une tunique de danse pour femme adulte que j'adorerais vous faire essayer !
- Hé, mais je... !
- Je vous l'apporte tout à l'heure !
Et Saria de s'en aller en galopant joyeusement. Shaya passa nerveusement sa main dans ses cheveux et Link l'invita d'un mouvement du bras.
- Je te fais visiter ?
Elle hésita, un peu intimidée et hocha la tête. Link lui fit arpenter les chemins au milieu de l'herbe, lui présenta sa maison en hauteur, lui prépara un lit sur le sol de sa cabane. Saria fut très vite de retour pour lui offrir une tunique verte à pans croisés ainsi que des sandales et un tabard décoratif, qu'elle avait cousu elle-même et "mis de côté pour une éventuelle amie de Link". Elle l'accepta et partit se changer derrière le paravent. Ce faisant, Link déposa son arsenal tout juste récupéré, revêtit une tenue plus décontractée, enleva son bonnet, se coiffa devant le miroir, et se rafraîchit le visage, avant de s'adresser un petit sourire à lui-même. Tout ça... c'était encore presque trop beau pour être vrai. Il n'osait encore totalement y croire, que son désarroi allait prendre fin... que Zelda allait leur revenir. Il fallait dire qu'ils n'avaient pas encore gagné. La route allait-elle être longue, dangereuse ? Il comptait poser ces questions à Shaya une fois qu'elle serait préparée, en attendant le début de la soirée.
Il alla s'asseoir pour l'attendre et trouva qu'elle mettait un certain temps. Ce fut quand elle se montra, qu'il faillit tomber à la renverse et s'étouffer.
- Alors ?
La Sheikah avait revêtu la courte robe verte de Saria et coiffé ses longs cheveux très lisses en deux couettes qui lui descendaient à la taille. La coupe enfantine jurait atrocement avec son expression agressive et glaciale.
- Sha... Shaya, hésita Link. Ça... ça le fait pas.
- Comment peux-tu ! s'écria-t-elle avec un regard qui le fit presque paniquer. Tu pourrais considérer mes efforts pour m'adapter à cette marmaille !
- Ah, désolé, désolé ! C'est... très réussi... bien peigné...
Link fut forcé de songer qu'elle et Din avaient un point commun de personnalité.
Les traits de Shaya se détendirent et elle s'assit sur un tabouret. Link s'éclaircit la gorge et elle releva le menton posé dans sa paume, son regard rouge vers lui.
- Shaya, je... crois qu'il serait temps que tu me parles un peu de toi. Non ?
La jeune fille resta silencieuse, regardant vers l'extérieur et comme réfléchissant.
- Que voudrais-tu savoir ?
- D'où tu viens. Tu es la deuxième... troisième... deuxième Sheikah que je rencontre seulement. Reste-t-il d'autres Sheikahs en dehors de toi et Impa ?
Shaya montra une sorte de sourire un peu disloqué par la tristesse.
- C'est le cas. Je descends des Sheikahs qui ont trahi la famille royale d'Hyrule durant la guerre, bannis dans une dimension voisine d'ombre et de désolation.
- Oh... je suis vraiment...
- Un monde sans lumière du jour, où l'on se complait dans la pauvreté et le délabrement, dit lentement Shaya. Seuls nos talents de guerriers sont encore affûtés pour combattre, occasionnellement, les créatures locales. Je ne promettrais pas qu'il reste encore d'autres ethnies sheikahs ailleurs...
Link restait muet un instant.
- C'est si triste...
Shaya ferma les yeux.
- Mon épée est la clé pour s'y rendre, murmura-t-elle. Ma... mère était la seule à savoir la manier, et elle m'a... transmis ce savoir...
- Alors elle était haut gradée, je suppose, dit Link avec un début d'admiration.
Mais le visage de Shaya se tordit d'une immense douleur.
- Ganondorf a détruit le peu de vie que j'avais là-bas.
Son visage vaillant se déforma et Link vit, bouleversé, que des larmes avaient commencé à brouiller ses grands yeux rouges. Des larmes si douloureuses qu'il en ressentit l'envie de la réconforter, la prendre dans ses bras... mais il ne parvint pas à s'approcher.
- Il a... il est... il...
- Et... non, ça suffit, Shaya, tu n'es pas obligée de me parler de ça...
Elle renifla, sanglotant, Link lui tendit un mouchoir. Elle s'essuya les yeux en tentant de se contenir.
- Il a tout pris, murmura-t-elle. Tout détruit. Maudits Gerudos...
- Shaya...
Elle soupira, inspira, un peu tremblante.
- J'errais, complètement perdue... jusqu'à ce que Din apparaisse et me confie la mission de récupérer le Triangle... en échange d'une possibilité de déchiqueter ce monstre jusqu'au dernier morceau de son âme.
Link resta immobile, les yeux fermés, les mains entrelacées sur ses genoux. Shaya émit un son de dédain.
- De penser que ces femmes voulaient me faire travailler pour lui, cracha-t-elle.
Link redressa le regard.
- Ces femmes... les Gerudos ?
- Oui, elles. Pendant que j'errais dans la plaine à la recherche d'un lieu auquel raccrocher mon coeur, elles me sont tombées dessus et m'ont enfermée dans leur forteresse, bloquant mes bras et ma magie. Elles... voulaient que je mette mes talents de guerrière à leur service. Comme si j'allais accepter pareille chose !
- Pourtant... ça a quelque chose de flatteur... hésita Link, se souvenant qu'il n'était pas facile de gagner l'estime d'une guerrière Gerudo.
- J'ai une éthique ! s'écria Shaya. Je suis peut-être l'enfant d'assassins, mais je ne suis pas et ne serai jamais une voleuse, qui s'empare des biens des autres par la force et l'intimidation !
Elle baissa les yeux, sous le regard figé de Link.
- Quoi qu'il ait pu m'arriver à moi... je ne le ferai jamais repayer par les autres... jamais...
Elle se tenait le visage dans les mains, et Link, lentement, très lentement, tendit sa main vers elle, et la posa à peine sur son épaule. Il fut surpris de voir Shaya se raidir... puis se détendre juste après. Elle redressa lentement le visage, l'air de ne comprendre qu'à moitié ce geste d'affection.
- Où... quoi que tu fasses... où que tu ailles après tout ça... sourit Link tristement. Tu pourras revenir me voir si tu veux. J'essaierai de te donner des choses que tu n'as pas eues. Je te montrerai comme Hyrule est belle...
Shaya resta muette, les yeux grands ouverts, le souffle arrêté. Link était toujours bouleversé, mais sourit un peu malgré tout en se levant.
- Ça commence ce soir, dit-il au son des débuts d'instruments. Viens donc, manger et danser un peu, et tu verras que tu iras mieux après.
Shaya ne dit rien un instant, puis se leva et le suivit sans argumenter.

Autour du feu et d'un banquet, dans la Clairière de l'Arbre Mojo, toute la tribu Kokiri réunie dansait et festoyait au rythme de musiques et de repas variés. Des pains, des fruits, des graines et des boissons fraîches étaient au menu, disposées en harmonieuses rosaces sur des plateaux de bois simplement sculpté ou versées dans des cruches. Tout un orchestre de musique vive et entraînante avait déjà démarré. Link et sa compagne entrèrent doucement dans la lumière des feux.
- Hé, c'est Link ! s'écrièrent plusieurs voix.
- Il a ramené une fille !
- Une fille de l'extérieur !
- C'est sa fiancée ?
Shaya montra des yeux énormes et flamboyants.
- Qu'est-ce que vous venez de dire ?
- Ouuups !
- Hé, venez voir les plats que nous avons préparés !
- Fado, tu nous joues un air de violon ?
Un Kokiri souriant brandit son instrument et joua comme un virtuose, ce qui impressionna même Shaya. Saria se faisait taquiner par Mido et les jumelles, et Link entraîner par quelques-uns de ses petits amis. Les fées, boules de lumière multicolores dans la nuit, tiraient aussi sur ses vêtements pour l'amener au milieu du cercle de danseurs, et, riant, le jeune homme se laissa emporter, sous les yeux médusés de sa compagne Sheikah.
- Qu'est-ce que...
- Viens, toi aussi ! rit Link en lui saisissant ses mains trompeusement fines. Pas de raison que tu y échappes !
- Fais ça, ose, gronda-t-elle, et je ne te pardonnerai jamais !
- Viens !
- Plutôt mourir !
- Allez, je te dis !
Il l'entraîna par les bras et la fit tourner et danser avec lui, le coeur léger, sachant avec bonheur que si elle avait vraiment été déterminée à ne pas danser, elle aurait utilisé sa force phénoménale pour l'envoyer par terre. Elle n'en fit rien. Pour la première fois il la vit progressivement se mettre à sourire...

Chapitre 8 : Un Bouquet de Fleurs   up

Tous deux s'éveillèrent dans le courant du lendemain matin, le visage caressé par le soleil, et en pleine forme. Link ouvrit l'oeil en premier et put voir Shaya en train de dormir sur son matelas, au milieu de sa grande rivière de cheveux blancs. Elle avait l'air doux et paisible. Il se surprit à l'observer en souriant, la joue posée dans la paume de sa main, quelques instants. Il imagina l'arrière-plan de la vie de la jeune fille, songea à quels tristes événements elle avait répondu avec courage. En fait elle semblait tellement plus douce que durant son éveil, qu'il ne put s'empêcher de songer qu'elle ne devait jamais avoir baissé sa garde devant personne, ni sans doute dormi aussi paisiblement. D'un coup, il se mit à sourire et bondit hors de son lit, préparant un petit déjeuner à base de fraises des bois et de cassis, d'avoine grillée, de lait et de jus de pomme. Elle s'éveilla aux sons de la vaisselle de bois, cligna lentement, et sembla mettre quelques secondes à se souvenir d'où elle était. Elle se mit en position assise et regarda Link avec de grands yeux, lequel l'invita, avec un sourire, à se joindre à son repas, autour de la table en tronc d'arbre.
- Bonjour, Shaya, lui dit le jeune homme, auréolé par la chaude lumière du soleil. Tu as faim ? J'ai préparé ça pour toi. Mais tu peux rester dormir encore, si tu préfères, bien sûr. Ce sont des flocons de céréales avec des fruits des bois... et du lait de chez... ça va ?
La jeune Sheikah secoua subitement la tête et sembla reprendre un peu de ses esprits.
- Oui... oui !
Et elle se leva, toujours dans sa robe verte. Elle hésita un peu avant de s'asseoir face à Link, dont elle put partager les regards au-dessus d'un petit bouquet de fleurs. Elle prit doucement sa cuillère et l'approcha lentement de son bol. Puis elle regarda Link de nouveau, dont le sourire était devenu un peu confus.
- Je t'en prie, Shaya, je n'ai rien empoisonné.
- Bien sûr que non, s'écria-t-elle, confuse également. Ce n'est pas... je ne le pensais pas. Je n'ai juste... pas la... (elle regardait autour d'elle.) Ce... le ciel, bleu... et tes amis, et... toi...
Elle chuchotait ses derniers mots, avant de se reprendre.
- Ce n'est... je n'ai jamais vécu ces choses-là...
- Je te mets mal à l'aise, dit Link, l'air navré.
- Mais pas du tout, dit Shaya avec des étoiles commençant à apparaître dans ses yeux. (Link aurait juré que ses pommettes pâles étaient devenues roses.) Tu es si... gentil.
Link peinait à trouver les mots de sa réponse, surtout que le regard de Shaya se perdait vers les fenêtres, vers les fleurs, le soleil, et même vers... lui.
- Pardon, sourit-elle finalement. J'en fais toute une histoire. Merci beaucoup pour ce repas.
- Qu'as-tu pensé de la soirée ? lui demanda Link depuis l'autre côté de la table.
- C'était... mouvementé, mais plutôt... amusant, confia-t-elle en riant presque.
- Ils seraient tous contents de refaire ça, dit Link entre deux cuillerées, les adultes sont rares, les Sheikahs encore plus. Puis il faut dire, tu es...
Il se rendit compte qu'il n'arrivait pas à le dire. Shaya pencha la tête sur le côté. Link se reprit et rassembla sa sérénité pour dire sa pensée comme n'importe quelle autre.
- Tu es exceptionnelle.
- Mais que dis-tu ? s'écria Shaya, désormais franchement rose. C'est... c'est toi, ici, qui es exceptionnel...
Le jeune héros en resta muet. Tous deux rirent doucement, en choeur.
- C'est vrai, renchérit-elle. Tu es si... (elle soupira et croisa, pour la première fois, les yeux bleus et grands de Link, clouée d'un coup d'un seul par leur beauté.) Exceptionnel...
Un nouveau rire fut partagé, et en même temps une sorte de trouble s'installa. Link regarda de biais, sentant quelque chose se tordre dans son coeur. Non, est-ce qu'il n'aurait... il n'était sûrement pas envisageable que...
Il recroisa les grands yeux rouges, qui baignés de la lumière solaire n'évoquaient plus la couleur du sang mais celle du rubis radieux, de la jeune fille aux infinis cheveux, et la torsion à l'intérieur de lui redoubla, d'un coup.
- Je... je ne sais pas quoi dire, sourit-il avec un rire confus.
- Moi non plus... soupira Shaya en le regardant, une main tenant son menton et sa joue. (Elle émit un soupir doux, silencieux, presque... heureux.) Mais nous pouvons toujours prendre la route du sanctuaire en attendant.

Tous deux s'habillèrent, revêtant leur tenue de voyage et gaine d'armement. Ils firent leur échauffement, puis se rendirent à la clairière de l'Arbre Mojo, se concentrant chacun de leur côté à discerner l'entrée du sanctuaire. L'entrée se trouvait derrière le grand arbre, mort... le bourzeon de l'Arbre Mojo était trop occupé avec les enfants pour remarquer leur passage.
- Ils sont mignons, dit Link.
- Ce qui nous attend est moins mignon, dit Shaya en plissant les yeux. Au fond de ce couloir d'arbres doit se trouver l'entrée du Sanctuaire de l'Est, là où Farore a protégé son médaillon.
- Comment va-t-on le trouver ?
- On avance et on voit.
Il hocha la tête. C'était une tactique qui le connaissait.
- D'accord, allons-y.
Le couloir de verdure était étrangement uniforme et silencieux. Au fur et à mesure de leur avancée, les pépiements des oiseaux laissaient place au silence et les lucioles se raréfiaient. Link plissait les yeux, se demandant s'il était bien prudent de s'engager dans cette direction. Puis il se souvint de tout ce qu'il avait déjà traversé et émit un son de dédain. Quoi qu'il se dissimulât comme supercherie dans le lointain, il la démasquerait à temps et irait où il l'entendrait.
- Je n'étais jamais venu dans cette région par le passé, dit-il à Shaya tout en avançant. En fait je n'avais même jamais distingué l'entrée d'un passage. Pourtant ce n'est pas faute d'avoir arpenté le monde, mais... j'imagine que j'étais pris à mes autres quêtes. Est-ce que le monocle de vérité aurait pu nous aider ici ? Hm non, c'est quelque chose qui sert surtout dans les temples Sheikahs... Sha... Shaya ?
Cela faisait un moment qu'elle ne lui avait pas répondu, et à l'instant, il la vit disparue. Outre la pierre qui lui tomba dans la poitrine, la peur commença à l'enserrer, comme l'espace blanchissait et que le silence s'épaississait. Remplaçant les lucioles, des formes blanches aux airs de fantômes étaient à peine discernables entre les arbres au fond des lieux. Mais Shaya ? Où était-elle passée, que lui était-il arrivé ?
- Sha... ?
Il commença à ressentir de la peur, et ce n'était pas tant à cause du froid qui s'insufflait dans sa chair et son âme, des souffles glacés sur sa nuque, que par peur qu'il lui soit arrivé malheur. Il garda son calme, fort de son expérience dans les milieux dangereux. Ceci était une épreuve de courage. Il devait avancer avec contenance, et ce malgré le blanc de plus en plus opaque qui lui masquait les environs. Le fond du couloir n'avait pas possiblement changé de place. Non, les seules menaces étaient ces cris qui jaillissaient dans son dos sans crier gare, figeant n'importe quel intrus sur place.
N'importe lequel sauf lui.
Il leva les bras et murmura des incantations en ancien hylien, des chants qu'il avait déjà entendu les fées proférer. Le vent vert qui jaillit hors de ses mains était tiède et agréable. Il s'y fondit et se transporta sous cette forme. Ne faisant qu'un avec le vent, il put sentir la vraie disposition des lieux, et la nature féroce des esprits de peur qui gardaient l'endroit. Et aussi le lieu où sa compagne se trouvait, avancée mais tournée dans le mauvais sens. Elle semblait lutter contre le froid avec beaucoup de difficulté. Mais dès que le vent de Farore invoqué par Link l'effleura, elle sentit sa présence. Elle releva les yeux, et aussitôt tout trouble disparut de ses pupilles. Elle qui avait jusque là été terrifiée embauma soudainement de force et de passion, et de son coeur rayonna un feu qui irradia toute la zone, et dissipa les présences spectrales. Ses sentiments seuls avaient suffi à éloigner les esprits. Elle regardait aux alentours, l'air de ne croire qu'à moitié à ce qu'elle venait de réaliser.
Elle scruta les alentours clarifiés en se tournant et se retournant, ne comprenant pas. Elle murmura...
- Link... ?
Dans un éclat de vent vif et vert, le héros se rematérialisa et lui sourit.
- Bravo ! Tu nous as ouvert le chemin.
- Qu'as-tu fait ? hésita Shaya.
- Moi ? C'était toi. Tu as éloigné les spectres par la seule force de ton émotion. (Il sourit.) C'est peut-être cela, la vraie force prônée par Din. Celle des émotions...
Il se douta de pourquoi Shaya rosissait des joues, et se dépêcha d'avancer.
- Vite... le médaillon...
Il la suivit jusqu'au bout du couloir végétal, où l'entrée du sanctuaire était facile à distinguer. Deux statues vertes de femmes aux cheveux ornés de fleurs et tenant une perle gravée du symbole de Farore en encadraient les battants brillants. Un lierre luxuriant en ceignait l'embrasure. Link sourit, heureux de la tournure des événements - de leur victoire, et de découvrir un nouveau lieu en Hyrule qu'il n'avait jamais soupçonné exister là.
- Allons voir !
Shaya sur ses talons, il ouvrit les portes vert brillant et tous deux entrèrent dans une salle aux murs de marbre, épurée, au plafond percé de rais lumineux verts. Tout au fond, après une courte série d'escaliers, se tenait un autel circulaire comme une colonne triangulaire coupée transversalement. Une colonne de lumière en jaillissait du centre, de fines étoiles y remontant vers le plafond envahi de plantes. Et au creux de cette colonne de lumière flottait paisiblement un magnifique médaillon...
En forme de triangle, il était plus petit que la paume de la main, fait de verre de couleur verte, de différents reflets selon l'inclinaison à la lumière. Il contenait plusieurs teintes de vert à l'intérieur, et les deux croissants de lune de Farore y apparaissaient en hologramme. Après un regard et un hochement de tête échangé avec Shaya, il le prit en main et la colonne de lumière s'éteignit.
- Le voilà donc...
- Le premier des trois.
- A-t-il un pouvoir particulier ?
- Je ne pense pas qu'il serve à quelque chose sans les deux autres. Mais je propose que tu le portes.
Link sourit.
- Très bien, dit-il en le passant autour de son cou. Merci encore de m'aider, Shaya.
La jeune Sheikah sembla confuse, mais elle souriait aussi, maladroitement.
- C'est normal.
- Tu le penses vraiment ?
Elle eut l'air sérieux.
- Il y a peut-être... plus que la vengeance qui vaille de se battre dans ton monde. Merci de m'en faire prendre conscience.
Elle eut soudain l'air plus distant et s'éloigna, Link aurait juré qu'elle avait les poings serrés.
- Par où se trouve notre prochaine destination ? demanda-t-il très prosaïquement, comme pour protester contre son retour de froideur.
- Mont du Péril.
- D'accord, et plus précisément ?
- Dans le cratère.
- C'est très dangereux. Es-tu équipée pour résister à sa chaleur ?
- J'ai un talisman pour.
- Comme pour respirer sous l'eau ? Où donc as-tu trouvé ces choses ?
Shaya sortit de son décolleté un cristal en losange, plat et incolore.
- Din me l'a remis jusqu'à la fin de cette quête.
- Eh bien dis donc... murmura le héros. Dans ce cas tu peux t'y téléporter et m'y attendre. Moi, je vais chercher ma tunique Goron et je te rejoins.
- Très bien.
Elle baissa les yeux et disparut dans un éclat de lumière. Link retourna dans sa maison kokiri et se changea, un peu maussade.

Chapitre 9 : Parfums Flamboyants   up

Au milieu des effluves brûlantes du Cratère du Péril, à deux pas de l'entrée du Temple du Feu, Shaya serra les poings et se mettait en furie contre sa faiblesse. Elle s'était toujours targuée d'être quelqu'un d'indépendant et de tout à fait autosuffisant. Ses passions étaient l'ombre, le vent, les nuits et les voyages, la liberté et l'horizon. La solitude était sa meilleure amie après son cheval d'ombre, Gema. Seule et forte, elle était en sécurité. Et voilà que son coeur se mettait à s'emballer, à ne plus se contrôler, pour les beaux yeux d'un Hylien qui avait percé sa carapace comme le ciel bleu perce des nuages de pluie. Elle se rassura en l'espace d'un instant, et cela la fit même sourire de soulagement. Elle se fichait de cela. Une fois sa vengeance effectuée, elle retrouverait sa paisible solitude, Zelda la princesse retrouverait son héros, et le héros sa princesse. Il n'était pas question qu'elle se mette à aduler quelqu'un qui avait de toute façon toute la gent féminine d'Hyrule à ses pieds...
C'était au moment où elle s'administrait à elle-même une gifle que Link apparut dans une série d'étoiles rougeoyantes sur la dalle de marbre à proximité. Il s'avança, l'air curieux.
- Que faisais-tu, Shaya ?
- Rien, dit-elle avec un mélange d'hostilité et de sourire tordu qui, elle le vit, inspira au héros un léger mouvement de recul. Sortons d'ici et remontons par l'extérieur, le sanctuaire est au sommet.
- Hm, oui, dit Link en la suivant.
Alors qu'ils traversaient la plus haute rambarde rocheuse avant la cime enfumée du volcan, Shaya se demanda si elle n'était pas en train de faire une bêtise. Elle ne voulait pas de ces mièvreries. Et elle ne voulait surtout pas que Link s'imagine... non. Mais elle était en train de le blesser et elle le savait. Et ça, c'était insupportable. Insupportable de penser le quitter en mauvais termes. Et pourtant il faudrait bien qu'elle se rende à l'évidence...
"Tu es exceptionnelle."
Elle rosit des joues, mécontente d'être effrayée, prise au piège de ses pensées. Le héros du temps la suivit à l'intérieur du cratère à nouveau, et ainsi jusqu'au recoin éloigné où elle l'amena.
- Alors ? finit-il par demander, caustique, tandis qu'elle restait sur place.
Sans tourner son regard vers lui, elle lança un coup de pied dans le mur qui brisa les roches, et il s'enclencha une réaction en chaîne qui leur révéla le chemin d'un autre couloir, rougeoyant dans ses profondeurs.
- Alors voilà.
Il la suivit sans un mot. Ils débarquèrent au milieu d'un couloir dallé de pierres lisses comme du verre, qui reflétaient la danse des candélabres enchantés au détail près. La chaleur était enivrante et un parfum improbable, fleuri et épicé, emplissait les environs. Un parfum délicieux, même, auraient-ils dit. Mais comme ni l'un ni l'autre n'en mentionna mot, ils ne purent réaliser que l'endroit avait justement revêtu le parfum le plus susceptible de les envoûter, et qu'ils ne respiraient par conséquent pas le même.
- Il n'y a rien de particulièrement menaçant à l'horizon, dit Link, sourcils froncés.
Une fois de plus, le charme de l'endroit avait mis une petite minute à opérer. Après un tour sur lui-même pour voir, malgré son irritation, où se trouvait sa compagne, il sentit ses esprits progressivement le quitter, et les piques de son irritation fondre comme de l'or dans une forge. Ce qu'il avait devant ses yeux était non plus Shaya, mais une femme rappelant les Gerudos, avec le nez plus fin mais les yeux tout aussi doux et séduisants. Le parfum qu'elle dégageait était rose, dense, sablonneux. Sa peau était mate et la robe qu'elle portait d'une fine soie rouge. Elle portait quelques bijoux dont l'or était assorti à celui de ses paupières, pas trop voyants, juste suffisants pour sublimer l'éclat soyeux de sa peau. Ses cheveux étaient coupés aux épaules et étaient roux comme une flamme à l'état matériel. Elle lui souriait tendrement et s'approchait en se déhanchant légèrement.
- Bonjour, susurra-t-elle d'une voix aussi soyeuse que ses cheveux. Comment vas-tu, jeune homme ? Tu me sembles soucieux.
- Non, ça va... dit le héros qui oubliait avec une dangereuse rapidité qu'il était dans un sanctuaire gardé par un sortilège. Juste... des problèmes avec ma guide. Elle se comporte... biza...
- Tu es beau, le coupa la femme, qui était légèrement plus grande que lui, comme Zelda. Sa déclaration le fit un peu sursauter. Tu es d'une beauté complètement séduisante, le sais-tu ?
La peau douce de ses mains effleurait doucement sa joue. Vicieusement, juste assez pour qu'il ait envie d'en ressentir davantage.
- Le bleu de tes yeux et l'harmonie de ton visage sont peu comparés à ta prestance, ta naturelle majesté, continua-t-elle. N'importe quelle femme serait folle de te contempler.
- Pourquoi folle ? dit Link en se prétendant être l'enfant qu'il n'était plus.
- Oh, ne fais pas l'innocent, sourit-elle en s'approchant juste un peu plus. Ce disant, elle lui avait saisi le menton entre ses doigts et le regardait droit dans les yeux. Je sais ce que tu souhaites. Une femme à la hauteur de ta stature. Je serai ton obligée, héros aux cheveux d'or.
- Mais que racontez-vous... ! dit Link qui commençait à avoir peur pour sa conscience - son état de panique redoubla quand il vit la femme lentement serrer le manche d'un poignard doré - et lui était complètement embrumé par le parfum qu'il avait inhalé. Avant qu'il ne s'en rende compte, la femme rousse lui avait entaillé le torse d'une éraflure de sa pointe d'or.
- Mais pourq... !
- Je te veux pour moi, beau héros de noblesse, susurra-t-elle avec un éclat de folie dans le regard - elle lécha les quelques gouttes de sang sur le fil de sa lame en ce disant. Je te veux comme esclave et tu m'exauceras.
Link dégaina son épée et se mit, incertain, en position de garde.
- Jamais tu ne m'auras.
- Penses-tu ? inspira la diablesse avec folie et langueur. Penses-tu que je ne connais pas les coeurs purs que je dévore à longueur de mon existence ? Vous les êtres nobles et innocents êtes fascinés par la sensualité des plus cruelles et cela vous perd toujours.
Elle pointa son poignard vers lui, en sortant un deuxième, avec lequel, sans plus de procès, elle l'attaqua.

- Tu sais que tu vaux plus que cela. Nul ne sait t'apprécier à ta juste valeur, mais moi... moi, je sais voir qui tu es réellement. Je vois quelle splendeur tu recèles et quelle chance tu représenteras pour qui tu choisiras...
L'homme aux cheveux rouges mi-longs, aux yeux d'un bleu indigo irréel, lui tournait autour avec une main posée sur son épaule. Son visage élégant était si séduisant qu'il était dangereux. L'air était rouge, les souvenirs de Shaya se faisaient flous, et pourtant ses émotions étaient comme revenues à la surface, plus claires et fortes que jamais.
- Laisse-moi passer. J'ai un médaillon à récupérer.
Le séduisant hologramme lui barra le chemin.
- Je ne te laisserai pas.
- Pourquoi ?
- D'abord, murmura-t-il, je veux goûter à la flamme de ta force. (Un sabre d'or lumineux se matérialisa dans sa main droite.) Montre-moi comme tu es digne du médaillon de Din, et vaincs-moi si tu le peux.
Elle engagea le combat avant qu'il n'ait pu finir sa phrase, il para et il dévia. Il l'affronta avec tant d'élégance et de maîtrise qu'elle se surprit, un instant, à espérer qu'il fût vrai et non pas un simple hologramme. Parce qu'elle aurait voulu admirer ce jeu d'épée plus longtemps, passionnée par sa beauté fluide. Pourtant la passion ne perçait pas. Elle avait le coeur imperméable, frais et libre. Un moment d'inattention valut à l'homme d'être transpercé dans le ventre par l'épée noire.
- Ma prévalence, murmura-t-elle. Ma victoire.
Dans un hurlement strident, l'apparition se fondit en flammes orange et alla reprendre la forme d'une statue aux yeux d'or au fond de la pièce. Shaya parcourut les environs avec de grands yeux et vit un second hologramme, féminin cette fois-ci, ayant enchaîné Link à terre par des liens faits de feu. Elle lui avait pris l'épée de légende et lui traçait une coupure sur le torse, un de ses talons pointus lui torturant le flanc. Elle était d'une beauté outrageante, ce qui ne fit pas perdre une demi-seconde à Shaya - elle se fondit en un éclair noir, trancha la femme en deux, laquelle partit à son tour rejoindre, en criant, son réceptacle de l'autre côté de la porte. Shaya s'agenouilla et, bouleversée, tint doucement l'épaule du jeune homme.
- Link...
Il ouvrit grand ses yeux bleus et elle le vit s'empourprer.
- Je ne me suis jamais senti si honteux de ma vie, confia-t-il dans un murmure à peine audible.
- Pauvre, que t'a-t-elle fait ?
- C'était une épreuve de force et j'ai presque échoué. Merci, Shaya.
La jeune Sheikah aux longs cheveux resta en silence, immobile, un instant, un air angoissé sur le visage. Puis elle reprit ses esprits d'un coup.
- Tiens ! dit-elle en sortant une potion rouge de sa sacoche. Cela te fera du bien.
Elle se leva et se retourna, les mains sur les hanches, yeux plissés et lèvres serrées, pendant que Link se régénérait. Sa tunique était en piteux état.
- Nous avons réussi, c'est le principal...
Link hocha la tête avant de la rejoindre, vers ce portail derrière lequel se tenait une pièce plus grande, éclairée par des joyaux scintillants et deux statues flamboyantes de femme à la coiffure ornée de plumes, tenant une perle orangée gravée de l'emblème de Din. Derrière, dans une salle épurée faite d'alcôves blanches, de pétales de cristal flamboyant, et embaumée d'une senteur de terre chaude, flottait, dans la colonne lumineuse de l'autel central, le médaillon. Disque rond, de multiples teintes ondoyantes, le symbole en vagues apparaissait plus ou moins clairement selon l'inclinaison. Tous deux l'observèrent un instant avec déférence, puis Shaya le prit en main et le garda. Ce fut alors que tous deux bâillèrent.
- Oh, quelle fatigue !
- Je ne m'étais pas rendu compte.
- Il faudrait aller dormir quelque part, dit Shaya, la nuit est sûrement déjà tombée.
- J'ai des amis chez les Gorons, dit Link. Sûrement sauront-ils nous préparer une chambre.
Shaya montra un petit sourire.
- Bonne idée.
Le coeur plus léger qu'à leur arrivée, et parés de leur trésor, ils quittèrent le cratère et se rendirent au village vertical, où Link fut accueilli aussi bruyamment que de coutume - ils étaient heureux de le revoir, fêtant chaque jour le retour de la paix qu'ils devaient au héros, aux sages dont leur grand chef faisait partie, et à la princesse dont ils honoraient le souvenir malgré cette certaine distance qu'ils entretenaient par rapport aux Hyliens. Link, pour sa part, n'avait plus de raison de se morfondre, et il se sentait revivre, plein d'émotion. C'était avec une contenance calme et souriante qu'il les salua tous - résistant tant bien que mal aux accolades qui faillirent le faire tomber par terre. Enfin, peu après, il put leur présenter son amie, dont il hésita à parler de l'héritage en devenir qui lui avait été attribué par l'une des trois déesses.
- Mon vrai nom est Shayalen, dit-elle doucement, mais on me... surnomme Shaya.
Elle venait de rosir des joues, comme si elle avait réalisé trop tard qu'elle était en train de donner son vrai nom. Elle se renfrogna un peu, mais ce fut à son tour de recevoir des tapes dans le dos.
- Mais c'est un beau nom ! Particulier, mais joli.
- Vous passez la soirée ?
- Oui, nous avons eu une longue journée et aimerions faire halte ici, exprima Link. Nous aurons juste besoin d'aller chercher de quoi dîner.
- C'est vrai que vous les humains mangez des choses bizarres. Des légumes et tout ça, comme des lapins.
À ce moment-là, Link entendit un son léger et chantant, qui le fit sursauter, et qui n'était autre que le rire de Shaya.
- C'est vrai, comme des lapins, s'amusa-t-elle.
Link souriait, pensant qu'il irait se ravitailler pour eux deux dans le village Cocorico, au pied des pentes. Shaya agréa en souriant et Link la laissa faire connaissance avec les mangeurs de pierre qui s'étonnaient de cette jeune fille qui tenait fort bien sous la puissance de leurs énergiques saluts.

Link arriva dans la pièce qui leur avait été alléguée, avec un lit supplémentaire, chargé de pains, de légumes et de fruits secs. Shaya avait été occupée à regarder par la fenêtre, l'horizon de cimes dans le bleuté de la nuit, et elle se retourna vers lui en lui souriant.
- Tu tombes bien Link, dit-elle d'un ton plaisantin, je commençais à mourir de faim.
- Je t'imaginais plus endurante, la taquina Link.
- Oui, sourit-elle avec ses beaux yeux rouges brillants dans le noir. Je crois que je m'affaiblis en te fréquentant. M'habituer au confort ainsi...
- Ce n'est pas de la faiblesse que d'apprécier la douceur d'un foyer, sourit Link. Bien sûr, ça a un goût totalement différent de celui de l'aventure...
- Oui... oui, tu as repris exactement mes pensées.
Ils restèrent muets un instant, et Link finit par s'éclaircir la gorge.
- Y allons-nous ?
- Je te suis.

Alors que les Gorons faisaient un festin tonitruant des pierres qu'ils minaient dans la caverne Dodongo, les deux compagnons dégustaient leur dîner, sursautant à chaque fois que l'un de leur hôtes remportait une partie de bras de fer : Les tables et même le sol se mettaient à trembler.
- C'est... bien de voir que la bonne humeur revient après le règne de Ganondorf, dit Link avec un sourire.
- Oui, dit Shaya. Ton pays est décidément plein de peuples surprenants.
- Oui, j'aime ça ici... murmura le jeune Hylien avec une joue sur la paume. Et une fois la princesse revenue, ce serait vraiment comme si tout était... redevenu complet.
Un petit silence plana entre eux, sur le fond des rires et des clameurs d'encouragements.
- Comment est la princesse ? demanda Shaya dans un murmure.
- Comment cela ? répéta Link.
- Quel genre de personne est-ce, dit Shaya. Vous deux devez... vous connaître.
Link souriait un peu, en jouant avec une pomme à moitié croquée dans ses mains.
- Oui, je l'ai vue une fois... deux fois, étant enfant. Puis durant sept ans elle s'est cachée pour échapper au seigneur sombre... quand je suis sorti de mon sommeil, tout avait changé... elle s'était déguisée en homme pour tromper les sbires de Ganon. En homme Sheikah, c'est dire la coïncidence. - Je suis donc la première sheikah que tu rencontres en dehors de cet... homme qui n'en est pas un ?
- Non, je connais aussi Impa, la fondatrice de Cocorico.
Shaya resta figée un instant.
- Ça va ?
- Oui, oui, chuchota-t-elle. Impa. On parle beaucoup d'elle dans mon pays. Mais continue, je t'en prie. Comment as-tu revu la princesse Zelda ?
- Elle ne m'a révélé son identité qu'au tout dernier moment. Mais cela a suffi pour que Ganondorf l'enlève. Je suis parti l'affronter dans son palais, là où les trois Triangles Sacrés auraient dû à nouveau fusionner... mais il a été vaincu, et entre temps Zelda a disparu.
- Ainsi la victoire n'était pas complète, dit Shaya.
- Je ne pense pas qu'elle aurait pu l'être de toute façon, dit Link. Cet être était si imprégné de magie noire, je m'en souviens encore. Sa magie a transcendé son âme, je ne pense pas qu'on puisse réellement le détruire.
- J'aimerais parier, dit Shaya en plissant les yeux vers son verre de vin.
- Tu parles toujours comme si tu avais quelque chose de personnel contre lui, disait Link dans un regard quelque peu inquiet.
- Ce qu'il a fait à ton pays pourrait suffire, maugréa-t-elle, les yeux fermés.
- Et est-ce le cas ?
- Non. Il a fallu qu'il en ajoute une dose, de cruauté. Quelque chose de personnel.
- Ce que tu dis m'intrigue toujours autant.
A nouveau, Shaya eut l'air triste.
- Je... ne sais pas si je peux en parler. Mais je te guiderai jusqu'au prochain sanctuaire, cela je te le promets. (Elle releva un regard rouge et sérieux vers lui.) Ainsi, tu retrouveras celle que tu aimes et tu sauveras ton monde. Intégralement. (Elle se mit à sourire, et ses yeux étaient brillants.) Que je serais heureuse de te voir heureux.
Link ouvrit de grands yeux.
- Tu es si... oh, je ne sais que dire. Merci...
Elle sourit, et repris son repas. Jamais elle n'avait pensé ainsi pour personne. Voir quelqu'un heureux, simplement, et en être heureuse. Son coeur chanta au creux de sa poitrine pendant un petit instant. Jusqu'à ce qu'une secousse fasse voler son pain hors de son assiette.
- Quoi ! Ca suffit ! s'écria-t-elle en tapant du poing sur la table. (Elle n'aimait pas qu'on interrompe ses rêveries, et c'était particulièrement vrai pour celles qu'elle venait d'avoir.) Ne peut-on pas avoir le calme ?
Les Gorons incriminés s'échangèrent un regard quelque peu médusé, puis d'un coup, une idée jubilatoire sembla germer dans l'esprit de la Sheikah.
- Pardonnez-moi. Je vais me joindre à votre championnat...
Link s'étouffa et toussa dans sa coupe, avant de se redresser et de reprendre son souffle.
- Quoi ?
- Jeune fille, es-tu sérieuse ? demanda un Goron. Nous risquerions de te briser le bras.
- Essayez juste.
Elle se leva et s'installa face au dernier vainqueur, le bras sur la table, le plus sérieusement du monde. L'assemblée tout entière se figea quand elle abattit le bras de son adversaire contre toute résistance. Des murmures éberlués s'échangèrent, et Shaya rit allègrement.
- Me batte qui pourra !
- Shaya, mrumura Link avec une main plaquée sur les yeux.
Mais elle avait l'air de tant s'amuser qu'il ne chercha pas à la raisonner.

Il la rejoignit un peu plus tard, alors que joyeusement, elle dansait et chantait un chant dans une langue étrangère dans une pièce voisine, où sa voix résonnait contre les murs. Elle se rendait utile en cassant des pierres au gré de la mesure, et se redressa en voyant Link arriver.
- Re-bonsoir, dit-elle avec un sourire.
- Je ne t'avais jamais vue de si bonne humeur, dit Link avec un sourire.
- Oui, tes... tes amis sont vraiment sympathiques, je les aime bien.
- Je suis bien heureux de te voir ainsi, dit-il avec un tendre sourire. Et... ce que tu m'as dit tout à l'heure, ça m'a vraiment touché.
Elle resta immobile, lèvres entr'ouvertes, avant de reprendre un sourire humble.
- Je suis sincère.
- Et je t'en remercie.
Link inspira, il aurait voulu trouver des mots à poser sur le trouble qui lui habitait le coeur, mais il n'y parvint pas. Au lieu de cela il aborda un autre des sujets qui l'intriguaient.
- C'est tout de même incroyable, cette force que tu as malgré ta minceur.
Shaya se tourna vers lui et montra un sourire mystérieux.
- Ce qui compte, ce n'est pas la taille, c'est de quoi c'est fait.
- Fait ? demanda Link en penchant la tête sur le côté.
- Hm hm, agréa-t-elle. Mon monde recèle beaucoup de mystères. J'ai hérité une part de la force de mon père, et l'autre part vient, je pense, d'une source à laquelle j'ai bu...
- Une source ?
- Accidentellement, dit-elle. Je n'étais pas au courant, mais bizarrement, après ça je suis devenue beaucoup plus forte. Beaucoup de gens n'ont pas compris, la plupart de ceux qui s'y sont risqués n'ont pas survécu.
Link resta muet un petit instant.
- C'est incroyable. Mais ton monde a l'air fort effrayant...
- Ce n'est pas un paradis, ça c'est sûr, murmura Shaya. Mais au moins personne ne nous attaque, et globalement nous ne nous battons pas entre nous.
- Je vois, dit Link. Et la nuit éternelle, n'est-ce pas embêtant pour la faune et la flore ?
- Elle s'adapte, dit Shaya. Nous buvons principalement du jus de baies et des infusions de buissons spécifiques à ce lieu. Cette dimension est spéciale, nous ne savons pas vraiment où et quand elle a commencé à exister. Mais elle s'étend à l'Est d'Hyrule, je pense.
Link hocha la tête. C'était beaucoup de choses apprises, d'un coup. Il se sentait fatigué et le confia à sa compagne, qui montra signe de compréhension.
- Très bien, Link. Je te souhaite une bonne nuit.
- Dors bien aussi. Fais attention à toi.
Elle resta sur place, tandis qu'il s'en allait, sans le quitter des yeux. Quand il fut hors de vue, après lui avoir adressé un dernier regard souriant, elle soupira, s'adossa contre le mur et se laissa tomber assise sur le sol accidenté. Elle soupirait de ce trop plein d'émotions contradictoires qu'elle ressentait. Comment pouvait-elle être si joyeuse, si sereine, et en même temps sur d'autres plans si effrayée, angoissée, hésitante à retrouver sa solitude une fois la mission menée, et pourtant avec une telle envie de rester... ?
- Tu te ferais du mal en restant, se murmura-t-elle, yeux fermés. Qui sait ce que tes sentiments pourraient bien devenir. Maîtrise-les et une fois l'ordre rétabli, tu pourras entreprendre une vie plus calme et bienfaisante qu'avant.
Ne pense qu'à cela.

Chapitre 10 : Le Sanctuaire Cascade   up

- C'est donc toi qu'elle a choisie... la plus impétueuse et forte des trois déesses. Que le destin nous réunisse... il ne fait décidément que nous jouer des tours. Bientôt je serai libre et toi...
L'ombre noire en fumée révélait la forme trouble d'un profil aux traits forts et agressifs. Sa longue cape noire était encore restée, découpée dans la nuit bleutée éclairée par la lune.
- Toi, vas-tu savoir résister ?
Le spectre se fondit en spirale de brume et s'engouffra par les lèvres entr'ouvertes de la jeune fille endormie. Aussitôt son expression se crispa et elle se retourna.

* * *

Le soleil s'était levé et était venu illuminer la pièce, aux tapisseries tribales et nattes rustiques. Link s'éveilla de bonne humeur, pour rencontrer le regard d'une Shaya dont on ne pouvait pas en dire autant. Elle avait l'air maussade, même un peu trop quand il repensait à sa bonne humeur de la veille.
- Hm... Shaya, ça va ? Tu as mal dormi ? lui demanda Link après avoir replié les draps.
Elle se leva et le dévisagea d'un regard qui lui inspira du recul.
- Euh... quelque chose ne va pas ?
- Si, tout va bien, dit-elle en plissant les yeux. Dépêchons-nous de nous mettre en route.
- Tu n'as pas faim ?
- Non. Je t'attendrai au lac.
Elle attrapa sa tenue et se changea dans la pièce voisine, laissant un Link perplexe dans la pièce. Lequel s'habilla en se disant que, comme hier, cela allait sans doute passer.

Tous deux avancèrent dans le soleil éclatant qui se levait par-delà les falaises du lac Hylia. Link resta sur place, comme toujours, absorbé par la beauté de l'aube qui venait transformer l'ombre fraîche en vives lumières de couleurs.
- Tu te dépêches ? lança la jeune fille.
Link, les yeux fermés, fronça les sourcils et l'observa.
- Tu n'es pas obligée d'être si désagréable.
- Tu as un problème avec ma façon de parler ?
- Ecoute, je ne sais pas ce qu'il t'est arrivé cette nuit, dit le jeune homme, mais j'apprécierais si tu évitais de reporter ton énervement sur moi. Je ne t'ai rien fait, pour autant que je sache.
Ses yeux rouges brillaient d'un éclat inquiétant, qui le mit mal à l'aise.
- Tu ne comprends vraiment rien, n'est-ce pas ?
- Qu'est-ce que tu racontes ! s'écria-t-il, hérissé de colère et de plus en plus blessé.
- Tes mièvreries me donnent la nausée, crissa-t-elle d'une voix qui n'était pas la sienne. Vivement qu'on en finisse et que je ne doive plus te supporter.
Avant qu'il n'ait compris ce qu'il faisait, Link lui avait flanqué une gifle sur la joue. Elle resta figée, en même temps que lui qui avait toujours la main levée, et elle se touchait le visage. Le temps de croiser leur regard, elle avait bondi et lui avait envoyé un coup de poing dans la mâchoire qu'il n'avait qu'à moitié évité. Un filet de sang coula de sa lèvre, il se redressa et se lança aux prises avec elle. Ils se débattirent un instant, heureusement Link était agile et avait de bons réflexes ; il réussit à la plaquer sur l'herbe et à l'empêcher de bouger. Il voulut crier son venin au visage de celle qui le regardait désormais avec une vraie haine, mais quelque chose l'en retint. Il y avait une ombre noire au fond de son regard. Quelque chose d'anormal. Il resta immobile et elle le dégagea d'un coup de pied dans l'abdomen, qui l'envoya tomber plus loin. Il cria de douleur, se redressant lentement, la regardant du coin de l'oeil. Elle s'était levée et regardait les alentours d'un air glacial. Elle s'en alla, contournant le lac jusqu'à un alignement de pins assombris par le contre-jour, et Link la suivit, silencieux, et pas aussi furieux qu'inquiet.
Entre les falaises apparut d'elle-même l'entrée du sanctuaire.
Elle était superbe. L'endroit était clair, frais et poétique. Des oiseaux blancs se perchaient dans les aulnes et les saules bleu argent. La lumière faisait briller les portiques et une grande cascade d'eau pure tombant entre deux statues bleues tenant une perle frappée du blason de Nayru, le trèfle bleu foncé, des figures féminines semblables à des sirènes en ample robe de soie. Comme Shaya restait, muette, sur place, Link s'avança, sans lui adresser un regard, et porta, insouciant, sa main sous le rideau aquatique. Le toucher était lisse et frais comme du cristal liquide... et soignait ses ecchymoses d'un peu plus tôt, instantanément. Il ne résista pas à y passer son bras, et à lui exposer son visage. Pour peu il se serait bien déshabillé pour s'y baigner entièrement. Comme il se retournait, il voyait que Shaya le scrutait et n'avançait pas.
- Qu'y a-t-il ? Tu vois bien que c'est sans danger.
Comme elle n'effectuait, le regard profondément hostile, aucun pas en avant, il résolut d'aller la chercher et lui prit le bras. Mais elle se dégagea d'un mouvement brusque, de la force écrasante qu'il lui connaissait. Il tenta de la tenir par les épaules et de l'amener à nouveau.
- Mais enfin, qu'est-ce que tu as ? s'écria-t-il. Tu vois bien que...
- Laisse-moi ! cria-t-elle d'une voix aiguë. Cette eau, je ne veux pas... je ne peux pa... AH !
Il lui avait mis le bras en contact avec l'eau pure et la réaction fut d'un effet tel que son coeur se retourna.
- Déesses !
Là où l'eau avait touché la peau de la Sheikah, la chair était comme à vif, écorchée comme par le plus virulent des acides. Elle hurlait de douleur, se tenant le bras et brûlant là où les gouttes l'avaient touchée. Mais la brûlure se répandait sous sa peau, sous ses vêtements, et Link fut pris de panique. Il ne pouvait rien faire, pas même la toucher, il ruisselait de l'eau qui la brûlait !
- Shaya, cria-t-il en s'agenouillant à son côté. Déesses, que se passe-t-il...
La jeune fille se tordait de douleur sur le sol, le corps contorsionné et le visage tordu par la souffrance. De ses plaques de peau rougie se décalqua une fine ombre noire, et ce fut une question de secondes avant que Shaya ne crache une répugnante substance noire, et tombe inerte sur le sol. La chose s'évapora comme un spectre et elle sembla reprendre une teinte de peau normale... comme si après avoir recraché ce mal, elle guérissait des dommages que la cascade avait causés. Bien sûr ! Un mal... que s'était-il passé ?
- Shaya... gémit-il en tenant et secouant un peu les épaules. Elle était tombée au rebord du lit de pierres, et des larmes avaient perlé au bord de ses yeux. Elle battit des cils et releva le regard vers lui - limpide, elle avait repris ses esprits.
- Dieu d'ombre, chuinta-t-elle tout bas. Link... qu'est-ce que je t'ai fait... ?
Il restait une trace légère de son coup à la lèvre du héros, de tout à l'heure. Elle le frôla du bout des doigts et aussitôt, son visage se décomposa.
- Je suis tellement désolée !
- Tu n'étais pas toi-même ce matin, dit Link, troublé, effrayé et triste - mais en même temps soulagé. Tu as... été possédée par quelque chose, je ne sais pas...
- Non, gémit-elle. Cette... chose a utilisé mes émotions et les a rendues incontrôlables. (Elle ferma les yeux.) Je suis si désolée...
- Ce n'est rien, assura Link en lui prenant la main - leurs regards se croisèrent.
- Il... il faut continuer d'avancer, dit Shaya.
- Non, dit Link. D'abord, tu... tu dois me répondre. Y a-t-il une chose que tu voudrais me dire ?
Shaya resta silencieuse.
- À quel sujet ?
- Au sujet de ton comportement.
Elle rougit fort des joues.
- Je suis désolée de ne pas m'être contrôlée. J'ai été victime d'un sort. Peut-être les monstres qui reviennent.
- Je ne parle pas de ça, je parle d'hier, dit Link avec un froncement de sourcils. Tu devenais distante tout d'un coup, puis joyeuse... j'aimerais que tu m'expliques.
La jeune fille ignora sa main tendue et se redressa de ses propres forces. Avec une main sur la hanche, elle se tourna, le regard en biais.
- Je me sens bizarre quand je suis avec toi, lâcha-t-elle du bout des lèvres. Il vaudrait mieux qu'une fois la quête achevée, nos chemins se séparent.
Link en resta abasourdi.
- Mais... mais enfin, qu'est-ce que tu...
Elle croisa son regard bleu, juste un instant, avant de regarder ailleurs.
- Ce serait mieux.
- Je ne comprends pas.
- Tu n'as pas besoin de quelqu'un comme moi, dit-elle.
Link fut désarçonné par la déclaration.
- Mais ça n'a rien à voir, dit-il. J'ai besoin de tous mes amis.
- Je ne peux pas être ton amie, dit-elle.
Link resta immobile, la regardant quelques instants.
- Je préfère partir avant de ne plus en être capable, dit-elle en reprenant sa marche. All...
Le jeune homme l'arrêta en lui tenant le poignet, et elle se retourna sans se débattre. Link serrait les lèvres.
- Tu es... vraiment une belle personne, dit-il.
- Rien comparé à toi, dit-elle d'un ton doux-amer. Si seulement tu pouvais te voir.
- Je ne veux pas oublier que je t'ai rencontrée, persista-t-il. Pourquoi veux-tu donc tant partir ? N'es-tu pas contente de faire ce voyage avec moi ?
Elle se dégagea et s'éloigna, regardant ailleurs.
- C'est bien le problème, souffla-t-elle. Je ne me suis jamais autant attachée à quelqu'un en si peu de temps. Je ne veux pas être prisonnière de ce sentiment, je préfère être libre.
Link abaissa lentement son bras, en silence, avec le sentiment que quelque chose s'était déchiré en lui.
- S'il te plaît... murmura-t-elle.
Il baissa le visage.
- D'accord, murmura-t-il. Je te comprends. Et je respecterai ton choix. Juste... je veux te remercier, pour tout ça. Pour ton aide. Et le reste que tu m'as apporté. Merci, Shaya.
Elle hocha la tête. Tous deux s'avancèrent dans l'intérieur du temple. Au milieu des acanthes turquoise et de la glycine mauve, une colonne de lumière habitée d'un médaillon brillait. Du même verre que les deux autres, bleu enchanteur, il était en forme de goutte et l'emblème de Nayru y apparaissait en relief. Link s'en empara, et après un instant de contemplation, le passa autour de son cou.
- Voilà. J'imagine que nous en avons fini ici.
Shaya hocha la tête.
- Maintenant nous devons nous en retourner au Temple du Temps, dit-elle.
- Au Temple ?
- Oui... y jouer un certain chant, pour fusionner ces médaillons.
- Les fusionner ? répéta Link, perplexe.
- Tu verras, dit Shaya dans un petit sourire. Je t'y rejoindrai.
Elle s'éloigna et lança son sort.

Chapitre 11 : Le Diamant du Temps   up

Link joua le Prélude de la Lumière, et il fut transporté par le courant d'étoiles dorées, qui le déposa sur l'emblème au centre du grand temple épuré et austère. Le soleil descendait en rais par les hautes fenêtres en alcôve, la porte du Temps était toujours ouverte et l'autel désert. Il s'avança, près de Shaya qui était déjà là, à le contempler en silence. Elle avait déjà déposé au centre, le médaillon de Din. Link ajouta les deux autres. Les caractères sur la stèle de marbre noir se mirent alors à briller, et les trois objets à léviter. Link sentit son battement de coeur s'accélérer.
- Cela fonctionne...
- Il faut jouer le chant du Temps, dit Shaya.
- Et que va-t-il se passer ?
- Les trois médaillons fusionneront pour créer le Diamant du Temps, expliqua-t-elle. C'est la Quatrième Pierre Ancestrale, qui détient bon nombre de pouvoirs, dont ceux de la Vie et de la Guérison. Ce diamant aura le pouvoir de sortir la princesse de son sommeil là où elle se trouve, sans danger.
Link ouvrit de grands yeux fascinés.
- Il est temps de le jouer, dit Shaya en reculant d'un pas.
Le jeune homme prit l'ocarina hors de sa sacoche, inspira longuement, et joua les notes mystérieuses et douces du chant du Temps. Une vive lumière bleue fusa hors des trois médaillons, avant de virer vers des teintes dorées. Les formes se mêlèrent, s'additionnèrent, formant un losange encerclé d'or, incrusté d'une plaque dorée représentant la sphère dispensant ses rayons, emblème du Temps. Le Diamant tournoyait lentement sur lui-même. Sa beauté arc-en-ciel était envoûtante. Link adressa un regard à Shaya, qui lui sourit, et il prit la pierre en main. Il la lui tendit, elle la toucha du bout des doigts.
- Le succès de notre quête, sourit Link.
Shaya souriait également.
- C'est une très belle chose de faite. Mais nous ne sommes pas au bout.
- Tu m'aideras jusqu'à la fin, n'est-ce pas.
- Je te le promets.
Le jeune homme montra un tendre sourire.
- Mais avant, je voudrais faire des achats et aller voir Impa.
- Impa.
- Tu as juste entendu parler d'elle, dit Link avec l'air un peu navré. C'est la seule Sheikah connue d'Hyrule, pour autant que je sache. C'est la nourrice et la garde du corps de la princesse.
- Hmmm, dit Shaya avec intrigue.
- Il faut que j'aille la voir pour lui donner des nouvelles !
- Entendu.

Le jeune homme sortit de la boutique de potions en refermant sa sacoche, et trouva une Shaya qui ne devait pas avoir l'habitude des bains de foule, à en croire son regard irrité et ses poings tendus. Puis il s'en fallut d'une seconde pour qu'il se heurte à la couleur bleu pâle de ses yeux.
- Mais, qu'est-ce que tu leur as fait ? s'écria-t-il.
- Les Sheikahs gardent de nombreux secrets, sourit-elle, et il vit dans son regard qu'elle se retenait de faire taire par la force les deux chamailleurs que Link connaissait bien, qui s'excitaient sous un arbre à proximité.
- Bon, allons vite au château ! fit Link avec précipitation, et tous deux quittèrent la place du marché pour rejoindre les chantiers de reconstruction du château d'Hyrule - blanc, immaculé, à l'identique, voire même en mieux, Link n'était pas sûr de bien se souvenir. Tous les travailleurs du Royaume s'y attelaient, sous les instructions de la grande Impa, femme forte et polyvalente s'il en était - et les ouvriers avaient tout intérêt à ne pas se laisser aller à chômer.
Au milieu des fondations et des échafaudages, dans la vive lumière du midi, Link trouva la grande femme en tenue bleue noire, qui tourna ses yeux rouges souriants vers eux. Elle décroisa les bras, prit congé des travailleurs, et s'approcha de Link et Shaya.
- Mon enfant. Quelle joie de te voir ainsi sourire.
- Impa, rayonna Link. Je te présente Sha... Shaya, une amie à moi.
Impa posa un regard sur la jeune fille, qui s'inclina avec un salut particulier. Impa sourit.
- Ton déguisement est réussi, dit-elle doucement. Je te souhaite la bienvenue.
La jeune fille se redressa et échangea un regard avec la grande femme. Cette dernière la fixait du regard.
- Tu as les yeux de ton père, murmura-t-elle.
Link comme Shaya furent parcourus d'une décharge électrique.
- Que dites-vous ? demanda-t-elle, et Link lut une sorte de peur sur son visage. Vous connaissez mon... mon père ?
- C'était mon jeune frère, dit Impa sous le regard éberlué de Link. Ta mère t'a légué sa beauté...
Link réalisait avec stupeur que Shaya n'était autre que la nièce d'Impa, et que cette première n'en revenait pas beaucoup plus.
- Il... il ne m'a jamais parlé de vous, avoua-t-elle tristement.
- Je sais, murmura Impa. La vie a été... dure, avec nous. Et maintenant je sais qu'ils se sont éteints.
- Vous le savez ? murmura Shaya, et Link enchaînait les stupéfactions.
- Oui... je l'ai ressenti, quand sa présence a disparu, murmura-t-elle.
Shaya paraissait plus blanche que blanche, et Link ne savait à quoi s'en tenir. Impa fut celle qui lui reparla.
- Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Il se souvint alors de ce qu'il était venu lui dire.
- Impa, écoutez ! dit-il. Zelda est encore là, quelque part. Elle n'est pas morte ! Shaya et moi avons pour objectif d'aller la retrouver, et de la ramener en Hyrule. Je voulais que vous le sachiez.
Impa ferma les yeux et sourit.
- Merci, Enfant du Temps, dit-elle en reposant son regard sur lui. Et, jeune fille, merci de tout coeur.
Shaya inclina la tête à nouveau. Link voulait lui demander ce qui n'allait pas. Mais Impa la sollicita pour autre chose. Elle lui enseigna une série de sortilèges Sheikahs, dont un sort de soin pour lequel elle lui indiqua de s'entailler elle-même la main, pour tester. Link se détourna, avec un courant froid dans le dos. Il n'en était pas certes à sa première blessure, mais l'idée de se faire lui-même du mal, sans l'adrénaline du moment, avait quelque chose de nauséeux.
- Merci, dit Shaya à la fin de la leçon.
- Et n'oublie pas, n'emploie ce sort que sur toi-même, dit Impa gravement. Ces sorts Sheikahs sont faits pour les guerriers solitaires.
- Je comprends, dit la jeune fille en bougeant les doigts de sa main nouvellement soignée.
Impa se redressa et les regarda tous deux avec bienveillance.
- Il me tarde de vous voir revenir, et de vous écouter me conter votre périple. Je ne vous retiendrai pas plus longtemps.
- Merci, Impa, dit doucement Link.
- Oui, merci à vous, ajouta Shaya. Je... à bientôt.

Et ils s'en furent tous deux pour la plaine.

Chapitre 12 : Soleil Nocturne et Ciel Indigo   up

Link descendit du dos d'Epona et Shaya de son cheval noir à crinière de brume, dans un lieu reculé entre deux falaises escarpées, vers l'est de la plaine, au sud de la Forêt Kokiri, où Link n'avait jamais rien vu de spécial à l'exception de quelque esprit venant le narguer.
La jeune fille dégaina sa fine épée noire et la tint droit devant elle, à bout de bras.
- Shh... ne dis rien, murmura-t-elle.
Link resta sur place et observa. Rien de notable n'arriva, tandis que Shaya semblait rechercher un point d'accroche invisible dans l'air. Et soudain, l'espace se brouilla comme la surface de l'eau. Elle décrivit une grande déchirure en diagonale qui ouvrit l'air, dévoilant une fenêtre sur un monde totalement noir. Elle ouvrit grand les yeux, rengaina, et hocha la tête devant Link, qui avança, tout intrépide qu'il était, avec un peu de méfiance. Il regarda aux alentours, le temps que ses yeux oublient le soleil éclatant et s'habituent à l'obscurité. C'était incroyable, c'était comme un monde tout entier régi par... l'ombre.
Le ciel était d'un bleu noir à teintes d'indigo, extrêmement sombre, et le soleil, s'il était visible, n'était qu'un disque mat et lointain d'une vague couleur orangée, caché derrière des nappes de brume et une atmosphère sombre et épaisse. Le temps était lourd et avait comme une senteur métallique d'orage. Aux alentours, c'était une ville étrange, délabrée, faite de constructions en bois, en minéraux et en métal, pointues, branlantes et inachevées, tenues en place par des cordages et des échafaudages. Des buissons épineux envahissaient les allées et les bâtiments. Link regarda tout autour d'eux. Là où il y avait eu la plaine d'Hyrule plus tôt, il se trouvait une falaise de roche charbonneuse. Puis, surpris, il croisa le regard de deux jeunes gens au teint pâle et aux yeux rouges - qui le fixaient en silence, froidement. Il se sentit mal à l'aise. C'était comme s'il était de trop, un intrus ici. Il lui semblait lire la rancune et l'hostilité d'un peuple envers celui qui les avait laissés mourir par centaines durant la guerre. Une guerre au fait de laquelle Link ne se trouvait pas vraiment - il n'avait jamais su précisément en quoi elle avait consisté et qui elle avait vu s'opposer, il savait juste que sa mère y avait laissé sa vie. Il inspira et soupira. Et tout ce qui avait été perdu durant le règne de Ganondorf... autant de choses qui jamais ne reviendraient. Shaya le tira de ses pensées en lui effleurant l'épaule, et en lui désignant d'un mouvement du visage le fond d'une longue allée.
- Ne fais pas attention à eux. Viens, c'est par ici.
Il hocha la tête, marcha à côté d'elle, particulièrement sur ses gardes, à l'affût du moindre bruit. Au fond de l'allée, entre de grands massifs de ronces, s'élevait une très haute tour pointue, aussi dégradée que les autres, avec des ornements de flèches, de pointes et de croix. Des entrelacs déformés et bancals en ornaient la façade.
- Quel est ce lieu ? murmura Link tout bas.
- Une sorte de temple, dit Shaya sans se soucier de parler discrètement. Si l'on vivait dans une ville comme les autres, on pourrait presque l'appeler mairie.
- Comme un château, ou un lieu de réunion ? demanda Link.
- Oui, mais il est rarissime qu'il soit fréquenté, dit Shaya dont les cheveux apparaissaient violets dans la pénombre. Les gens d'ici n'ont ni ordre, ni la moindre autorité au-dessus d'eux. La seule chose qui nous tienne ensemble est le désir de rester en paix. En d'autres termes, on se laisse tranquilles.
- Je vois, murmura le héros en levant les yeux vers le clocher pointu. C'est presque comme cette construction... on a l'impression que les gens qui l'ont construite n'avaient pas les moyens de leurs ambitions. Enfin, je ne sais pas comment le dire précisément...
- Oui, elle a été jetée pêle-mêle et ne tient en place que par sortilège.
- C'est ainsi que je le voyais.
Ils s'approchèrent et Link fut stupéfait de la voir aussi haute. Ses tours tenaient en place, maintenues par des câbles, des cordages et des pinacles formant des contrepoids incertains. Shaya, de sa sacoche, sortit le Diamant du Temps qui étincelait sous l'ombre de soleil orange. Elle se tourna vers Link et le posa contre le coeur de celui-ci. Ce fut comme si l'éclat de la pierre s'était ravivé et avait pris de nombreuses couleurs.
- Il te guide vers ton destin, lui dit la jeune fille.
- Comment cela ?
- Il tisse des liens entre le monde et ton coeur. Je pense qu'il te protégera pendant la montée de cette tour.
- C'est ici que Zelda se trouve, devina Link.
Shaya hocha la tête. Elle fronça les sourcils et plongea son regard rouge, plus sincèrement que jamais, dans les vastes et beaux yeux bleus du héros.
- Je peux mourir après avoir rencontré quelqu'un comme toi, dit-elle en le faisant sursauter. Tu m'as fait connaître des émotions que j'ignorais. Tu es la plus belle personne que j'aie jamais rencontrée et c'est un inestimable présent qu'avoir voyagé à tes côtés. Je te souhaite de tout coeur le meilleur, pour toute ta vie. Sois béni pour ta bonté.
Elle ferma les yeux. Link sentit les larmes lui monter aux yeux. Il n'arrivait pas à la toucher, à la prendre dans ses bras, à lui dire quoi que ce soit tant elle était différente des gens qu'il connaissait. Elle n'avait pas l'air de demander une quelconque reconnaissance, un quelconque sentiment en retour des siens, elle lui disait simplement purement et franchement ce qu'elle ressentait, et lui, il en était complètement égaré. Mais il serra sa main et la tint contre sa joue où une larme perlait.
- Je ne sais... je ne sais quoi répondre...
- Tu n'as besoin de rien répondre, dit lentement Shaya sans reprendre sa main. Je voulais juste que tu saches ce que j'avais à te dire.
Elle respira amplement. Link la laissa aller. L'amplitude des sentiments qu'il avait à la fois pour la princesse, et pour sa compagne guerrière, étaient presque trop à supporter.
- Est-ce que ça va aller ? se sentit-il demander.
- Aller pour quoi ?
- Je veux dire... murmura-t-il. Tu n'es pas triste ?
- Triste ?
- Que je retrouve Zelda.
- Pourquoi le serais... ah.
- Oui.
- Non, je ne suis pas triste. Je suis heureuse parce que tu seras heureux.
- Es-tu altruiste à ce point ?
Elle inspira, comme étranglée.
- J'ai pu toucher ton coeur et tes larmes... voir la beauté de ton visage pendant plusieurs jours. Je ne réclame rien de plus, je ne réclame d'ailleurs rien. Hormis, peut-être juste, si possible, que tu ne m'oublies pas. C'est tout.
Ils restèrent immobiles, devant l'entrée en alcôve de l'édifice en pierre et bois noir. Link sourit tout doucement.
- Jamais.
- Merci.
Il hésita.
- Es-tu sûre de vouloir partir loin de moi ?
La jeune fille inspira et se tourna vers l'entrée, en serrant ses mains.
- Nous pourrons nous revoir quand tu voudras.
- Merci.
- Je n'ai pas l'habitude, confia-t-elle, de gérer les émotions liées à l'amitié. J'ai besoin de temps, j'aurai besoin d'être seule. Ce sera mieux ainsi. (Elle s'avança dans l'encadrement, rempli de noir, et lui adressa encore un regard.) Je ne fais pas partie de ces gens qui ont besoin qu'on s'accroche à eux, dit-elle comme pour bien clarifier les choses. Je n'essaye pas d'obtenir quelque chose de toi en disant tout ça. Je suis bien seule et j'aime la solitude. Simplement, tu m'inspires de l'émerveillement et des sentiments forts. Je voulais juste que tu le saches. Mais ta vie est avec celle que tu as choisie - elle, elle peut partager ton temps et ton espace. Ne pense pas que je vais être malheureuse ou jalouse éternellement, ou toute sorte de ces bêtises. On se reverra parfois, mais ne le prends pas comme une contrainte. Je ne le supporterais pas.
Alors Link se mit à sourire.
- Tu es merveilleuse.
Elle sourit également et son maintien parut alors plus léger.
- Ravie que tu le reconnaisses, dit-elle en dissimulant un rire. Allons, dépêchons-nous. Elle t'attend.

Chapitre 13 : Bouton d'Or   up

A l'intérieur, le noir était total. Impossible de voir à un mètre devant soi. Aucune lumière ne perçait, d'aucune fenêtre, nulle part. Link fronça les sourcils, prêt à rebrousser chemin pour allumer une torche à l'extérieur, mais Shaya le devança - elle utilisa son pendentif transparent pour diffuser une lumière blanche... qui ne servit à rien. Eux brillaient bel et bien, mais les alentours ne reflétaient aucun éclat, rien. Link resta proche d'elle, épée dégainée, prêt à parer à un éventuel assaut.
- Il fait trop noir, on ne verra rien, dit-il. Si un ennemi s'approchait en silence...
Shaya fronçait les sourcils.
- Es-tu déjà venue à l'intérieur ? demanda-t-il.
- Oui, dit Shaya. J'étais enfant. Mais il ne faisait pas si noir. Ce lieu est hanté par des spectres, ce sont eux qui font régner le noir en maître.
- Quoi, et c'est maintenant que tu me le dis ? s'écria Link, effrayé.
- On n'a pas le choix, les infrastructures externes sont impossibles à escalader, dit sombrement Shaya. Mais je crois me souvenir où se trouve l'escalier. Il faut avancer tout droit.
- Bon, d'accord.
Link resta sur ses gardes, lame au clair, la suivant de près. Puis l'éclat de son pendentif commença à faiblir. Tous deux ouvrirent d'énormes yeux.
- Non !
- Non, s'écria Shaya. Link, écoute ! Tu ne dois pas perdre ton sens de toi-même ! N'oublie surtout pas que tu es là ! Je te retrouve bient...
Et sa voix disparut, en échos, laissant le jeune homme complètement dans le noir, ne se voyant pas lui-même. Il se mordit la lèvre, rangea son épée dans son dos, et serra ses mains ensemble pour les ressentir. Tout était fait de néant, si cela continuait, il risquerait vraiment d'oublier qu'il avait des sens, voire une existence... et il lui faudrait attendre que Shaya le retrouve ? Cela lui rappelait le Sanctuaire de l'Est, dans la forêt. Ses sens, peut-être, le trompaient, mais il lui fallait rester concentré, attentif. Le décor ne changerait pas...
Mais l'ombre se faisait épaisse, songea-t-il en se caressant les lèvres du bout des doigts. Elle était lourde et s'était comme matérialisée pour le séparer de sa compagne, remplissant l'espace. Non, pas question de perdre sa notion des environs, et encore moins de se faire poignarder par un spectre, pas maintenant, pas avec Zelda qui l'attendait en haut de la tour ! Il était encore équipé des flèches de Lumière... rien ne l'engageait à en décocher une vers les hauteurs, pour voir ce qu'il se passait.
Il se prépara à se saisir de son arc, mais avant cela, un petit rire lui parvint aux oreilles. Aux aguets, il se tint immobile. Et, hors des ténèbres, il vit s'avancer un tout petit point doré.
- Hé hé hé ! dit une toute petite voix aiguë, qui était d'un timbre bien particulier, mais Link crut qu'il devait se tromper. Ce n'est pas courant d'avoir de la visite...
Une fée ? songea Link.
- Qui es-tu ? demanda-t-il à haute voix.
Le petit point lumineux diffusait des étoiles et décrivait des cercles joyeux. Il pouvait voir ses deux paires d'ailes de libellule.
- Moi, je m'appelle Dora ! Dis, tu veux jouer ?
- Pas particulièrement, dit Link, les yeux plissés. Ne veux-tu pas m'aider ? Je dois accéder aux étages supérieurs.
- Je veux bien t'aider, dit la petite voix fluette. Mais d'abord, je veux jouer !
- Mais à quoi veux-tu jouer ici ? s'écria le héros, tendu.
Aussitôt, la petite voix devint larmoyante et ses ailes tombèrent tristement.
- Tu ne veux pas jouer, tu ne m'aimes pas ! Personne ne m'aime, tout le monde me laisse toute seule. Bouh, je me sens tellement seule...
Link secoua la tête et se reprit.
- Mais non, pas du tout ! Écoute, je veux bien jouer avec toi.
Aussitôt, la petite créature dorée se remit à frétiller de joie.
- Super ! Tu es trop gentil, le monsieur vert. Viens, on va jouer à chat ! Attrape-moi !
- Hé non, attends !
Et la boule de lumière de s'enfuir à toute vitesse. Link ne perdit pas une seule seconde. Il rangea son arc en courant déjà et poursuivit la petite lueur à toutes jambes. Elle avait, semblait-il, le pouvoir d'éclairer un rien le sol.
- Je vais te semer ! Je vais te semer !
- Mais attends ! cria Link, qui était au bord de l'essoufflement. Ce n'est pas un j...
Un point de côté lui perça le flanc et il tomba à genoux. Le rire aigu de la petite fée se poursuivit, résonna et se perdit dans les ténèbres. La gorge douloureuse et fou d'inquiétude, Link sentit qu'il s'engourdissait et que le noir prenait possession de ses pensées. Il lui semblait déjà ne plus tout à fait ressentir l'air et le sol. Sentir son arc dans son dos lui demanda un grand effort de concentration, et sa flèche de lumière, trop de magie. Il serra les dents, fit un effort, la chargea, et la décocha vers le plafond. Un bref éclair de lumière et son halo persistant dessinèrent les alcôves et les charpentes du plafond, et la silhouette de Shaya, un peu plus loin, demeura claire une seconde supplémentaire. Link se redressa, ignorant la fatigue, et courut jusqu'à elle. Elle avait un genou à terre et un poing serré, dans lequel la petite boule de lumière était enserrée. La Sheikah avait l'air furieux.
- Alors, qui est-ce qui s'amuse bien, maintenant ?!
- Lâche-moi, pleurait la petite voix. Lâche-moi, méchante, je n'ai rien fait !
- Méchante ? cria Shaya. Non mais tu as vu ce que tu as fait ?! Tu as égaré mon ami avec tes jeux imbéciles, et maintenant qu'est-il devenu, où est-il ?!
- Je ne sais pas !
- Je vais te broyer les ailes et t'écraser !
- Aaaah !
- Non ! Shaya, arrête, je suis là !
La Sheikah ouvrit de grands yeux, dans un cri d'émotion, et se leva.
- Link !
Elle le serra brièvement dans ses bras, tout de suite. Le jeune homme faillit étouffer à cause de l'acier de ses bras. Quant à la petite fée, dans sa prison, elle gémissait et criait qu'on la laisse sortir.
- Link, bonté des dieux, j'ai cru que je t'avais perdu ! déplora-t-elle, presque en larmes. J'ai eu si peur...
- Non, ça va, Shaya, je suis là, la rassura-t-il sans savoir se retenir de sourire. Dans la pénombre, il pouvait voir le visage de la jeune fille et ça lui faisait plaisir. De même qu'il ressentait tout de suite plus clairement ses propres membres.
- Je suis si rassurée, dit la Sheikah en tremblant.
- Tout va bien...
Et il reporta son regard sur la petite boule terrifiée qui cognait sans succès contre les doigts de Shaya. En rencontrant le regard de Link, ses ailes s'affaissèrent de nouveau, et elle sembla pleurer.
- Est-ce que tu vas me gronder aussi, monsieur vert ?
Link consulta Shaya, qui adressait un regard foudroyant à la petite chose, tremblante de peur. Le héros soupira.
- Non. Mais tu as bien failli nous faire mourir.
- Je ne savais pas, je ne voulais pas, pleura la fée en agitant pathétiquement les ailes. (Elle se mit à sangloter.) Je voulais juste des gens avec qui jouer, je suis toute seule tout le temps, depuis si longtemps...
Les deux soupirèrent. Link incomba à Shaya de la laisser voler et Dora flotta à mi-hauteur. Mais elle ne s'enfuit pas.
- Tu veux bien nous emmener au sommet ? demanda le jeune homme. Aide-nous juste à ça. Et après nous jouerons ensemble tant que tu voudras.
Aussitôt, la petite fée frétilla de joie.
- Oh, oui, tout de suite ! Suivez-moi !
Et elle se déplaça, sans filer, en décrivant de petits cercles devant eux. Link et Shaya s'échangèrent un regard, encore froids des sueurs glacées qui leur avaient trempé le dos. Puis le jeune homme eut un rire à moitié tremblant.
- Tu vois, fit-il, il suffit de savoir demander.

Chapitre 14 : Belle de Rose   up

Ils débarquèrent à un étage fait de planches de bois et de passerelles, où la lueur du soleil d'ombre faisait doucement se dissiper les ténèbres du rez-de-chaussée. Link soupira, profondément, de soulagement.
- Voilà, nous y sommes, dit la petite fée.
- Merci, Dora, soupira le jeune homme.
- Je m'amuse bien, avec vous ! dit Dora en décrivant une voltige énergique. Est-ce que je peux vous accompagner ?
- Quoi ? s'écria Shaya, consternée.
- Bouuuh... sanglota la fée.
Link se passa la main dans les cheveux, un peu gêné.
- Allons... je suis sûr que tu peux nous accompagner sans problème... n'est-ce pas, Shaya ?
- Tant qu'on ne me tapera pas sur les nerfs, dit la Sheikah avec les mains sur les hanches et la mâchoire serrée. Que diable, faites ce que vous voulez.
- Eh bien voilà !
- Ouiii ! chanta la fée en faisant de nouveaux grands cercles rapides.
- Et par où sera la suite du chemin ? demanda Link en observant les environs, où des rideaux bâclés, tissés avec des fibres brutes et clairsemées, longeaient les murs, transparents comme du tulle. On aurait presque pu penser à un quartier résidentiel, habitable. Il eut juste fallu plus d'ouvriers pour peaufiner le travail.
- Retrouvons le haut palier, dit Shaya. Si les lieux n'ont pas tant que ça changé, nous devrions y être bientôt. Mais restons sur nos gardes.
- Entendu.
Ils continuèrent dans le couloir jusqu'à un grand escalier principal, qui les fit monter plus haut encore. Une nouvelle, grande double-porte les fit arriver dans une pièce où soufflait un vent inquiétant. Il traversait des lucarnes sans vitre où le pâle crépuscule orangé du soleil voilé perçait et recouvrait les meubles et les tentures comme d'un linceul à peine luminescent.
- Il fait froid, dit Link en s'avançant. Mais au moins on y voit plus clair.
Le plafond n'en était pas moins baigné de ténèbres opaques. Shaya tenta de distinguer les charpentes, sans succès, marchant à la suite de son ami. Ce fut seulement une fois qu'ils furent engagés sur l'escalier qu'un souffle plus inquiétant encore se manifesta.
- Oh oh... fit la voix fluette de Dora.
Shaya ouvrit de grands yeux.
- Qu'est-ce que...
Des ombres. Des ombres, tout autour d'eux, grandissaient. Il y en avait partout. Elles avaient des formes crochues comme des serres. Link sentit son coeur prêt à lui jaillir hors de la poitrine.
- Non !
- Pas ces choses ! cria Shaya.
- Vite ! Dora, cache-toi dans mon bonnet, dit Link. Shaya, par ici !
Il la prit par les épaules et se concentra. À distance raisonnable de lui-même, pour ne pas carboniser ses deux alliées, il invoqua une puissante magie en une suite de murmures.
- Din, par les pouvoirs que tu m'as conférés, murmura-t-il, prête-moi ta force enflammée...
Un dôme de flammes rageantes prit forme et se déploya autour d'eux, carbonisant les énormes mains noires tranchées qui tombèrent par dizaines dans la pièce. Elles fondirent en une bouillie noire répugnante, qui coula entre les planches et les poutres brûlées par le Feu de Din. Dès que le sort fut achevé, Link attrapa la main de Shaya et se précipita vers l'étage suivant.
- Vite, cours !
Il s'en était fallu de peu. Ils se reposèrent sur le plancher, au bord du vide, une fois à l'abri de la chute. Tous deux soupirèrent.
- Quelle terreur, murmura Link.
- Il n'y avait pas tant de menaces auparavant, dit Shaya tout bas.
- Les forces de Ganondorf s'infiltreraient-elles ici aussi ?
- Comme de tout temps, dit-elle avec dépit, sombrement. Les Sheikahs n'ont pas coupé à ses intimidations. Simplement Hyrule ne pouvait pas nous voir.
- Je... je vois, soupira le héros, les yeux clos.
Shaya posa sa main sur son bras, et son front sur son épaule.
- Ça va aller, lui dit-elle. Tu as pu le battre une fois. Nous saurons le sceller une autre fois.
- Je l'espère, dit Link. Et en même temps...
- En même temps quoi ? interrogea-t-elle en se relevant.
- J'ai l'impression que j'arrêterai de vivre le jour où mes quêtes seront achevées, confia Link. Je sais que ce ne sont pas des choses à dire, qu'il ne faudrait que se réjouir d'arriver à la paix. Mais je...
- Je te comprends, dit-elle dans un léger soupir.
- Oui ?
- Oui, je sais ce que tu veux dire, murmura-t-elle. Ce n'est pas... pareil, d'accepter le bonheur une fois qu'on a tant lutté pour le trouver. On a peur qu'il ne paraisse fade.
- C'est vrai, dit Link, les pieds pendant dans le vide. J'ai peur que ma vie ne se retrouve achevée...
Shaya sourit un peu.
- Il y aura toujours des choses à faire, des lieux à explorer, des zones à protéger, dit-elle. Mais prends au moins le temps de savourer tes victoires aussi. Tu n'y penses pas assez.
Le héros hocha la tête et sourit.
- Tu as raison. Merci...
Elle se releva et il l'imita.
- Viens vite ! Ta bien-aimée attend...
Tous trois se dépêchèrent de rejoindre la pièce suivante.

Dans le grand hall ombragé qui les attendait un étage plus haut, les fenêtres étroites laissaient passer davantage de lumière. Mais au moment où Link fit un pas en avant pour s'attaquer aux marches, Shaya le retint brusquement en arrière et il manqua lui tomber dans les bras. Une fine aiguille noire venait de tomber sur le lieu où il s'était engagé. Elle s'arrêta au niveau du sol et s'évanouit dans un tremblement, avant de le transpercer.
- Oh déesses, chuinta-t-il avec de la sueur au front.
Shaya leva les yeux vers les grands lustres qui descendaient des croisées d'ogive. Le lieu était comme un frère du Temple du Temps, sauf qu'il était vide, noir, figé - comme une sombre image ne voyant rien changer, son jumeau inversé presque, si l'on avait un peu d'imagination.
- Qui a mis ces choses ici ? demanda Link en scrutant les gargouilles tenant les lustres faits d'aiguilles de glace noire, prêtes à se laisser tomber et à se régénérer dans l'instant.
Shaya tenta de répondre.
- Ce lieu est enchanté par des spectres pour garder des choses. Les miens ont scellé la princesse ici quand Ganondorf l'a propulsée chez nous.
- Tu es sérieuse, dit Link. Ils ne l'ont pas... maltraitée ?
- Non.
- Pourtant ils doivent avoir de la rancune envers la famille royale.
- Oui, mais ils ne l'ont pas blessée pour autant. Ils l'ont juste laissée là, dormir.
Link ferma les yeux, dans un faible soupir.
- Mais ils ne l'auraient pas ramenée non plus.
- Je... je vois.
Shaya releva le regard vers la porte suivante, haute, grande et plus soigneusement sculptée que les précédentes.
- J'ai pu la voir il y a quelques semaines. (Elle ferma les yeux.) Sa beauté a fait taire tout désir de lui nuire.
Link inspira fort.
- Mais les spectres sont toujours là, et ils renforcent les sorts, dit-elle soucieusement en regardant le plafond. Je ne sais pas comment nous allons passer...
- Ne pouvons-nous pas simplement nous téléporter de l'autre côté ? demanda-t-il.
Shaya pinça les lèvres.
- Je vais essayer.
Elle se concentra. Levant un bras, elle s'apprêta à lancer la décharge, mais elle s'arrêta pile avant.
- Non...
- Non ?
- Ces épines sont spéciales, hésita-t-elle. Elles diffusent une onde qui brouille l'espace. Je n'ai pas confiance...
- Alors nous trouverons une autre solution, dit doucement Link, d'un ton rassurant - il réfléchit en se tenant le menton et regardant partout aux alentours. Et il sourit.
- Recule un peu.
- Que vas-tu faire ?
- Voir.
Elle fronça suspicieusement les yeux, alors que Link brandissait son arc et chargeait sa flèche de glace. Dans un éclat bleu luminescent, ses projectiles se fichèrent dans les lustres et répandirent un givre glacial, blanc et hérissé de cristaux, sur les ornements et les bandes de métal. Une fois qu'il en eût gelé toute une rangée, il montra un sourire agressif et chargea la flèche de feu. Le choc thermique fit exploser tous les dispositifs de défense en une pluie de débris acérés. Shaya et Dora applaudirent son ingéniosité.
- Magnifique, Link !
- Et nous y voilà !
Ils s'engagèrent sur l'escalier, au milieu des éclats glacés. Ils se dépêchèrent d'avancer, ne souhaitant pas s'attarder sur ces marches incertaines... qui tremblèrent. Le choc les avait fragilisées. Link et Shaya n'eurent pas besoin de se concerter pour courir vers les hauteurs, mais le héros trébucha et prit sur le dos un dernier pieu d'un lustre qui n'avait pas été intégralement détruit - seul son bouclier hylien l'en protégea. Mais le sol s'était dérobé sous ses pieds et il se retrouva suspendu dans le vide. Shaya s'arrêta, se retourna et cria.
- Link !
- Non !
Un hurlement jaillit de la gorge de la jeune fille. La planche à laquelle Link s'était rattrapé se brisa, et Dora jaillit en décrivant des cercles désespérés.
- Oh, non, non !
- Link, cracha Shaya dont le sang coulait hors des lèvres, non...
Elle s'effondra, morte de douleur, touchée à la hanche par l'une des aiguilles noires. Et Link était tombé...
La pointe de son grappin se planta dans la base du parquet, et elle soupira de soulagement, entre ses larmes, de le voir remonter.
- Oh...
- Shaya ! cria le jeune homme en se jetant à côté d'elle.
Il la prit vite avec lui et la ramena, en sécurité, sur le haut de l'escalier, doucement pour tenter de ne pas la blesser. Elle n'avait pas été touchée pile sur la hanche gauche, mais juste à côté, et toute sa chair s'était instantanément déchirée et nécrosée. Il ne comprenait pas.
- Shaya ! Est-ce que ça va aller ? Tu m'entends ?
Elle soupira dans une souffrance qui lui coupait souffle et parole. Link débouchonna avec les dents une potion bleue et la lui fit boire, ce qui n'eut que peu d'effet. Quelle était cette blessure, de quel type était-elle pour montrer un effet pareil ?
- Shaya...
Elle ouvrit lentement les yeux. Link était bouleversé.
- Je suis désolé... je suis allé trop vite.
Elle plissa fermement les yeux, serrant les dents, gémissant. Et elle rencontra ses yeux à nouveau. Elle parvint même à montrer un sourire.
- Ça va aller, chuchota-t-elle d'une voix rauque. Tu peux y aller, elle n'est plus très loin...
- Tu n'es pas en train de mentir pour me rassurer ? s'écria le jeune homme blond en tenant ses joues dans ses mains. Oh déesses. Où as-tu reçu une blessure pareille ?
Elle ne lui répondit pas, elle lui souriait simplement.
- Dépêche-toi plutôt d'y aller. Je survivrai, rien que pour revoir ton beau sourire.
- S'il te plaît, Shaya, ne plaisante pas...
- Je ne plaisante - agh - pas, insista-t-elle. Dépêche-toi, je panserai ma plaie ! Le plus vite on partira, le plus tôt je pourrai me soigner !
Link secoua la tête, mais elle ne dut pas le redire deux fois. Dora la fée resta au chevet de Shaya et sembla donner de sa force magique pour apaiser la blessure.
Dans la lueur mauve orangée du crépuscule perpétuel, il courut, de plate-forme en plate-forme, jusqu'au sommet de la tour. Là où, entre une série de rideaux noirs, de travées vides, ou en vitraux noirs, bleus et rosés, austère pièce de pierre rêche donnant sur des lointains de déserts de roches et de forêts épineuses, la princesse lévitait, dans un cercueil de cristal rose, figée dans le temps, totalement immobile. Seuls les rideaux bruissaient et volaient sur le vent. Le coeur battant follement, Link s'approcha, avec révérence, et oublia l'espace d'un instant ce qu'il devait faire pour l'en sortir. Quelle joie, quelle indicible félicité que de revoir la majestueuse princesse... enfin. Tout lui revenait dans ses souvenirs... Enfin il pourrait lui parler, enfin ils pourraient se dire tout ce qu'ils avaient à se dire. Mais il n'était pas encore temps. Il fallait faire vite. Il ne fallait pas perdre un instant de plus !
Il tira le Diamant du Temps de sa doublure et le déposa sur le cercueil de cristal. Une puissante lumière blanche et or en émana, et lentement, les étoffes de sa robe, les mèches de ses cheveux, se remirent en mouvement, le cristal disparut et elle ouvrit ses grands yeux d'azur.
Elle resta immobile, le visage figé, à la vue de celui de Link. Et elle tomba de sa lévitation dans l'instant - le jeune homme dut la rattraper.
- Link... !
- Altesse, murmura-t-il, agenouillé, en tenant sa main gantée dans les siennes. Zelda...
- Link, je... où... où sommes...
- Zelda, nous devons partir d'ici et vite ! dit Link en l'aidant à se relever. Vite, j'ai...
- Comment m'as-tu retrouvée ? J'ai ressenti tant de... choses, dans mon sommeil... qu'est-ce que ce...
Link prit sa main, replaça le Diamant du Temps dans la doublure de sa tunique et emmena vivement Zelda hors de la pièce.
- Je t'expliquerai après ! J'ai une amie gravement blessée, qui m'a aidé à te retrouver ! Elle est en bas, viens, dépêche-toi !
Ils descendirent les escaliers précédents en courant et débarquèrent sur le palier où Shaya gisait, dans son sang, apparemment inconsciente. Dora avait épuisé ses forces à tenter de la sauver.
- Link, jolie dame, gémit-elle. Je n'ai rien pu faire...
Link cria de désespoir, se jetant à son côté et tenant sa main glacée - tandis que Zelda, sourcils froncés, auscultait la plaie gravement et en silence.
- Cette blessure est imprégnée de magie noire, murmura-t-elle.
Elle n'amena pas Link à répéter encore une fois l'urgence de leur situation - avec l'aide de ses indications, Zelda les transporta tous les quatre, ses pouvoirs magiques intacts, hors de la dimension noire, dans leur pays d'Hyrule, au niveau des remparts de la ville, où la lune illuminait la plaine et le parc reboisé devant les fondations du château. Zelda regarda gravement tout autour d'elle.
- Le bourg a été reconstruit...
Link hocha la tête. La princesse scruta les alentours.
- Impa...
Elle siffla dans ses doigts et un son cristallin fut émis. Peu après, la femme Sheikah jaillit hors de nulle part, les yeux écarquillés, bouleversée.
- Zelda, princesse !
- Impa, c'est toi !
Elles s'enlacèrent fort mais brièvement. La grande femme reporta son attention sur la jeune fille aux cheveux blancs.
- Non ! Que lui est-il arrivé ?
- Nous devons trouver un lieu où s'installer pour tenter de la soigner, dit Zelda. Le reste attendra.
- Allons loger dans ma résidence.
Moins d'une minute après, ils s'installaient tous les six, accompagnés encore de la petite fée, dans la pièce supérieure d'une villa qui surplombait l'ouest des plaines, sans doute située à quelques rues de la place du marché. Shaya fut allongée sur le large lit, qui faisait face à un balcon, et Zelda et Impa étudièrent la blessure.
- Elle est imbibée de magie noire, dit Impa, confirmant ce qu'avait apprécié Zelda.
- Penses-tu qu'elle va s'en tirer, Impa ?
- Je pense que c'est possible. Il faudrait de la poussière de fée, et tout cautériser. Elle se remettra avec du sommeil et une bonne potion bleue.
Link expira, s'autorisant à être soulagé. Zelda et Impa s'affairèrent jusqu'à ce que Shaya ait sa plaie désinfectée, suturée et compressée, et dorme paisiblement sous une couverture, veillée attentivement par Dora, posée sur l'oreiller. Link observa son visage blanc avec tendresse, un instant. Puis il reporta seulement son regard sur la princesse, qui se tenait, noble et altière, à son chevet. Elle échangea, avec Link, puis Impa, des regards qui traduisaient le fou battement de son coeur. Elle inspira fort et des larmes perlèrent au creux de ses yeux.
- Où étais-je passée... qu'est-il arrivé... je ressens une présence maléfique sur tout le...
Link s'approcha et posa ses mains sur les épaules de Zelda.
- Cela fait quatre mois, murmura-t-il. Quatre mois qu'Hyrule se mourait sans toi. Et maintenant... maintenant tu es là.

Chapitre 15 : Les Étoiles et la Lune   up

Il avait passé près d'une demi-heure à tout lui raconter, sans s'épancher davantage sur la question de ses sentiments personnels. Zelda, une fois de plus, montrait beaucoup de contenance et de sens du devoir, la main sur le coeur, songeuse, inquiète.
- Alors le sceau risque de se briser...
- Mais si la Triforce de la Force devait sortir de sa possession, dit Link, il ne devrait plus être capable de se libérer par la suite.
- Je l'espère, dit Zelda. Peut-être même pourrait-il mourir.
- C'est-à-dire que son Esprit rejoindrait le Saint-Royaume ?
Il ne sut si Zelda était convaincue.
- En tout cas, avec l'aide de ton amie, nous pourrons l'affronter et le neutraliser.
- Tu as confiance ?
- Je crois au jugement des déesses, dit Zelda en reportant son regard vers Shaya au chevet de qui Impa était assise. Et aussi à ce que tu me dis. Elle t'a aidé et protégé avec vaillance. Ensemble... oui, ensemble nous récupérerons le dernier Triangle et redresserons la balance qui maintient l'équilibre d'Hyrule. Alors seulement nous fêterons, pleinement, notre succès et le retour de la paix.
Link rechercha le regard d'azur de la princesse, qui était doux et mélancolique en même temps. Il chercha ses mots pour dire ce qu'il voulait.
- Zelda... tu as des regrets ?
Elle le regarda.
- Des regrets, Link ?
Il hocha la tête.
- Des... choses, que tu aurais voulu empêcher, voir se passer autrement. Tu sais... ces sept ans...
Zelda resta lèvres entr'ouvertes, puis se déplaça au balcon et perdit son regard dans les étoiles et la lune.
- Nous avons... tant perdu, dit-elle. (Elle ferma les yeux.) Et pourtant l'espoir et la joie de vivre reviennent. L'ardeur à reconstruire notre monde aussi. Si je pouvais, si j'avais un voeu... je voudrais ramener les vies volées, si seulement. Si seulement...
Mais il lui sembla alors seulement réaliser qu'elle s'épanchait de façon peut-être indigne d'une princesse, alors elle se retourna vers Link et lui sourit.
- Focalisons-nous, plutôt, sur l'oeuvre qu'il nous reste à mener. Le Temple du Temps est la porte vers le Saint-Royaume. Là où notre combat nous attend.
- Toi aussi, tu nous aideras, Zelda ?
Elle hocha la tête et le regarda profondément.
- Nous n'avons pas le droit d'échouer, dit-elle. Pas pour tous ces gens, tous ces êtres dont nous avons la vie entre les mains. Nous avons sauvé tout ce que nous avons pu durant ces sept années. Il n'est pas question de les abandonner, pas maintenant.
- Nous réussirons, dit Link en hochant la tête.
Zelda resta immobile, le regardant, qui se levait, et plissait les yeux, poings serrés.
- Jamais le Courage ne m'a-t-il égaré, dit-il en regardant le triangle doré brillant au dos de sa main. Je pense qu'il ne me fera pas défaut cette fois non plus, finit-il en rabaissant le bras, le ton grave.
La princesse sourit. A cet instant, Impa se leva.
- Shaya va s'en sortir. Elle devrait reprendre connaissance d'ici quelques heures.
- Youpi ! fit Dora en décrivant des cercles.
Link eut soudain l'air maussade et Zelda s'en enquit de la raison. Le héros du temps haussa sombrement les épaules.
- Navi... ma fée, a disparu peu après toi, expliqua-t-il. Je ne comprends pas pourquoi.
Zelda resta silencieuse, confuse. Les joues de Link s'empourpraient et, sans qu'on n'ait eu le temps de s'y attendre, la colère brilla dans ses yeux d'ordinaire si purs.
- Qu'ai-je fait pour que mes proches veuillent s'éloigner de moi, me délaisser toujours ainsi ? dit-il en se tournant vers la princesse. Pourquoi, Zelda ? Ai-je fait tant d'erreurs que ma présence devienne insupportable aux gens que j'aime ?
- Non, Link, dit Zelda en tremblant. Non, pas du tout...
Ses yeux bleus percèrent dans le visage de la princesse, qui se détourna en se tenant le bras. Il avait compris ce qu'elle aurait compté faire.
- Je... ne veux pas que tu souffres à cause de moi...
- Mais pourquoi souffrirais-je à cause de toi ? s'écria-t-il, en s'approchant et la tournant vers lui. Tu ne comprends pas que je t'adule ? Tu ne comprends pas que tu illumines mon monde plus que le soleil ? J'affronterais n'importe quelle armée pour défendre un monde où tu règnes. Ce n'est pas une servitude. C'est le plus grand de mes désirs que de combattre pour toi. Ma vie ne fait sens qu'en cela ! Tu ne le comprends pas, ça ?
Zelda baissa les yeux.
- Je t'ai pris sept années de ta vie...
- Sept années me sont bien égales, trembla-t-il. Tu ne veux pas me priver de tout ce que j'ai connu ? Du souvenir de t'avoir retrouvée ? Envoyer tout ce voyage au néant ?
- Link, s'il te plaît, gémit-elle. Je... j'ai besoin de réfléchir.
Il la laissa partir à l'extérieur, avant de se laisser tomber assis sur le lit, criant en se serrant les cheveux. En un rien de temps, il débordait de larmes, de dépit, de malheur.
- Est-ce là tout le genre de futur qui m'attend ? gémit-il entre ses sanglots furieux. Ne peut-on avoir un peu de compréhension pour ce que le monde a fait de moi ? Aaah...
Impa se leva et posa doucement sa main sur son épaule.
- Link.
Il ne répondit pas, la voix et le souffle saccadés.
- ... Zelda a beaucoup de mal à vivre avec ses erreurs, expliqua lentement la dame Sheikah. Elle s'en veut terriblement et se prend pour seule responsable de ce qu'il est arrivé au Royaume - et à toi. Elle est ainsi... elle ne supporte pas de ne pas être irréprochable.
- Ne peut-elle pas comprendre que je ne lui en veux pour rien ? s'écria le héros vivement. Ce n'est pas elle qui a dérobé la Triforce et mit le pays à feu et à sang, pour autant que je sache. Toutes ces histoires d'adultes me dépassent. Oh, comme cela ne me donne pas envie de devenir comme eux ! Avec leurs maudits prestiges et leur orgueil qui étouffe tout ce qui les entoure !
Il avait craché ces derniers mots avec presque de la haine. Impa eut l'air désolée, triste.
- C'est ainsi... celle que tu aimes est ainsi.
Le visage dans les mains, il sanglotait comme un enfant. Impa se leva et se rendit dans une autre pièce. Shaya s'éveilla lentement.
- Link ?...
Il ne répondit pas, toujours en pleurs. Elle voyait flou, mais elle l'entendait, et elle porta lentement sa main vers lui.
- Link... pourquoi pleures-tu ?... (elle inspira) Arrête, ne pleure pas...
Il toussa une dernière fois et se retourna, Shaya lui ayant pris la main.
- Link, pitié, gémit-elle. Je ne veux pas te voir comme ça.
- Toi aussi, tu veux partir loin de moi ? siffla-t-il en plissant ses yeux brillants. Toi aussi, tu veux m'abandonner pour mon propre bien ?
- Non, jura-t-elle. Je te promets que je serai toujours là. Je resterai près de toi et à disposition tant que tu le voudras. N'importe quoi pourvu que tu ne pleures pas. Promesse de mes promesses. Je te le jure.
Il soupira et serra sa main contre sa joue, immobile pendant un moment. Entre les brumes de son sommeil, Shaya parvint à sourire.
- Je... je ne suis pas habituée à avoir des amis, confia-t-elle. Mais... si tu m'apprends, nous pourrons être heureux autant que tu le voudras. Je ne suis pas sûre d'être une aussi bonne amie que toi mais j'essaierai. Promis.
Il resta là, un instant, gardant sa main contre sa joue, et soupira, plus doucement, le coeur un peu plus serein.
- Je jure, murmura-t-il, que je ne te laisserai pas tomber. Jamais. Je serai digne de ton amitié.
Elle sourit et laissa retomber sa main, bâilla et se reposa sur l'oreiller.
- Tu devrais... aller lui parler...
Elle se rendormit. Link jugea qu'elle devait avoir raison. Il rejoignit le balcon de l'étage inférieur, dans la douce lueur des lampes et du clair de lune, où la princesse se trouvait.
- Zelda, dit-il en s'approchant.
Elle resta immobile, sans se déplacer. Link fronça les sourcils.
- S'il te plaît. Non, je veux dire, excuse-moi de m'être emporté. Comprends... j'imaginais que nous vivrions un futur joyeux ensemble. N'avons-nous pas une terre assez belle pour nous réjouir d'être là ensemble ? Ne peux-tu regarder ce que nous avons au lieu de ce que nous avons perdu ?
Il posa ses mains sur ses épaules, le regard compatissant.
- Tu ne peux pas simplement changer le passé pour le faire correspondre à ce que tu aurais voulu qu'il se passe, dit Link, dents serrées. Ce qu'il s'est produit est triste, déchirant même, pour toi, je sais... mais toi, tu as été brave. Tu as fait ce que tu as pu. (Il se plaça devant elle, lui serrant sa main dans les siennes.) Ensemble nous pouvons créer un futur de toute beauté ! Ne peux-tu pas cesser de regarder le passé et, avec moi, avec tous les autres, rêver du futur ?
Tout doucement, elle s'était mise à sourire et elle leva les yeux vers lui.
- Un futur, avec toi, murmura-t-elle.
Il hocha la tête. Elle ferma les yeux, lentement, longtemps. Elle vit le soleil, les saisons, les fleurs. Le château tel qu'il serait reconstruit, blanc et or, élégant et majestueux... les enfants qui naîtraient sous le règne de la lumière. Les enfants...
Ce fut à son tour d'agréer. Ils joignirent leurs mains et elle se leva. Lentement, ils s'enlacèrent. Ils avaient tant d'émotions à discerner. Ils avaient tant à faire. Une nuit n'aurait pas suffi à dire tout ce qu'ils ressentaient. Le crépuscule du lendemain était tombé au moment où, tous trois, soignés et reposés, se présentèrent devant la Porte du Temps pour, une fois de plus, en ouvrir les sceaux de lumière.

Chapitre 16 : Un Voeu   up

La lumière d'or rouge du coucher de soleil baignait les murs du temple. Une ambiance angoissante régnait dans l'air. Aussitôt la porte du temps passée, l'impression se confirma par la présence de curieuses lézardes dans le piédestal octogonal, d'où émanait une forte lumière et des lueurs montant vers le ciel. Elles étaient rythmées de lentes pulsations lumineuses, mais les manifestations étaient encore faibles. Link et Shaya s'échangèrent un regard, tandis que Zelda, entre eux, s'avançait sans un mot. Elle plaça ses mains au-dessus de la lumière et sembla en sonder les messages. Elle se retourna vers ses compagnons, armés et parés à combattre.
- Soyez prudents, dit-elle.
Link hocha la tête. Shaya en particulier avait le visage tendu et les poings serrés. Zelda leva ses bras au ciel et les transporta dans la dimension noire et bleue du Saint-Royaume. Ils marchaient sur un sol invisible et gardèrent leur formation. L'air alentour vibrait de la présence du Seigneur Sombre.... elle se diffusait, intimidante et oppressante, d'un grand ballet de flammes ayant le visage et la silhouette de Ganondorf. Un rire ténébreux emplit les environs.
- Ahaha... comme on se retrouve. Le héros, sa belle princesse et un fantôme du passé.
- Toi, dit Shaya en s'avançant. Link et les Sages t'ont renvoyé à l'enfer auquel tu appartiens, et je compte bien m'assurer que tu y restes.
- Je sais ce que tu comptes faire, dit Ganondorf dont la voix et la carrure prirent consistance, dans son armure noire parée de joyaux de feu. Me détruire et récupérer le Triangle de la Force pour en faire ce que tu estimeras juste. (Shaya plissa les yeux.) Mais vous, tous nombreux que vous ayez été, n'avez pas réussi à me sceller. Votre monde s'éteint et vous avez été forcés de rouvrir la Porte du Sceau pour y remédier, m'apportant gentiment les deux autres Fragments. (Son aura devint flammes et étincelles.) Désormais je ne vous laisserai plus vous échapper.
Link leva les yeux vers le Seigneur du Malin et fronça les sourcils, froidement. Autour de lui, un halo bleu-vert avait commencé à scintiller : le Saint-Royaume faisait écho aux rayonnements de son sentiment.
- Ganondorf, dit-il, tu ne peux pas gagner.
- Oh je pense que si, jeune héros, dit le roi Gerudo dans un sourire diabolique. Ta princesse, à tes côtés, est dévorée par la culpabilité. Toi, pour la première fois, tu ressens la peur, ta seule peur qui est celle de te voir dénié par tes semblables. Quant à votre avatar de la Force, à vos côtés... (il rit en posant les yeux sur Shaya, autour de lui, un brasier s'allumait.) Elle est déjà brisée depuis longtemps.
- Que veux-tu dire ? demanda Link en dégainant vivement son épée étincelante.
- Jeune fille, sourit le Seigneur Sombre en direction de la Sheikah. Ne leur as-tu pas dit ce que tu as fait, le soir où tes parents ont refusé de me porter allégeance ? Tu ne leur as pas dit ce qu'il s'est passé, je le sais.
Link et Zelda virent les yeux rouges de Shaya se troubler, et ce fut luttant contre les larmes qu'elle parvint à solliciter sa voix, sans trembler.
- Ce n'est pas moi, siffla-t-elle tout bas. C'était toi qui étais derrière tout ça.
- Tu les haïssais, dit le Seigneur Sombre dans un sourire flamboyant de cruauté. Tu haïssais leur violence, leurs talents de meurtriers, l'enfance qu'ils t'ont donnée. Tu connaissais leurs excès et tu étais heureuse d'enfin pouvoir y mettre un terme. Mais tu ne savais pas qu'avant que je ne les ensorcelle pour qu'ils t'attaquent, ils m'avaient défendu de te faire du mal, et choisi de changer de vie pour toi...
Autour de Shaya, la lumière devint d'un bleu pâle. Elle fut frappée de rayons rouges et la jeune fille s'effondra à terre. Tout autour d'elle devint d'un noir opaque et ses doigts sur le vide se tordaient. Ganondorf sourit.
- Vois comme tu es faible, dit-il avec ses yeux maléfiques étincelants. Tu te laisses dominer par les remords et les regrets. Quelqu'un comme toi ne saurait jamais tirer parti du meilleur de la Triforce de la Force. Tu es incapable de désirer le vrai pouvoir, la vraie ambition, la vraie puissance !
Il leva son poing où le Triangle doré brillait.
- Comprends-tu ? Tu pourrais être forte, mais ton obsession à vouloir être immaculée te poursuit et te rend faible. Et en cela, tu as déjà perdu...
Link resta figé sur place, en état de choc complet. Qu'est-ce que Ganondorf venait de dire ? Il venait de dire que Shaya avait... qu'elle avait...
- Tuer ses parents est un acte qui a été maintes fois vu chez les rois et les empereurs, pour faciliter l'avènement de leur règne, sourit Ganondorf dans son aura de flammes d'or irradiantes. Ce n'est qu'un simple dommage collatéral pour ceux qui aspirent vraiment à la grandeur. Les grands ne s'encombrent pas de scrupules pour laisser leur marque dans l'Histoire. Ceci est leur première raison d'être et ceci est leur force. Et je suis celui qui marquera la vôtre... pour toute l'éternité !
Zelda s'était interposée, au coeur d'un cristal bleu radiant, qui dévia l'attaque que Ganondorf allait porter sur Shaya. Elle se reposa en tournoyant sur elle-même, elle l'avait fait reculer.
- Tu peux être un monstre flamboyant, murmura-t-elle, mais tu n'en restes pas moins un monstre. Shaya a défendu sa vie au lieu de se laisser mourir par tes manigances. Aujourd'hui je n'échouerai pas. Je te scellerai en ces lieux et tu ne t'en sortiras pas !
Ganondorf rit fortement.
- Que j'aimerais te voir réussir, faible princesse Zelda !
Cette dernière cria, propulsée en arrière par l'onde de choc que Ganondorf provoqua en frappant le sol. Link manqua de tomber et se réceptionna par une roulade sur le côté. Zelda était retombée à genoux et Shaya demeurait effondrée. Link lui serra fort l'épaule et l'incita à se relever.
- Cesse, Shaya, siffla-t-il. Relève-toi et combats, on ne gagnera pas sans toi.
Une attaque d'énergie sombre les amena à esquiver vivement sur le côté. Leurs regards se croisèrent juste un instant.
- J'ai promis, Shaya, lui murmura-t-il. Et toi aussi. Ne pense pas qu'il me fera t'aimer moins.
Elle ouvrit les yeux, serra les dents, dégaina sa fine lame et se lança à l'assaut. Ce fut un enchaînement de coups rapides et violents. Les explosions lumineuses des sorts de Zelda faisaient éclater les nuages mauves d'énergie sombre de Ganondorf. Link perçait dans chaque brèche pour lui administrer des dommages. Shaya luttait pour rassembler ses forces. Son atout était la vitesse et son coeur violemment blessé la ralentissait.
Au moment où Zelda parvint à désarçonner critiquement leur ennemi, Link prépara son estoc le plus puissant et frappa en chargeant sa lame de magie. L'éclair qui en résulta frappa tous les alentours, comme si le hurlement de fureur du Seigneur Sombre était devenu arme. Link et Zelda furent jetés à terre, mais Shaya avait disparu. Elle réapparut dans un claquement de lumière au-dessus de leur ennemi, tomba à toute vitesse, et déchira à travers sa cape et son armure dans un mouvement précis. Le tranchant de la lame noire avait tranché dans ses vertèbres et il s'effondra, le corps en morceaux. Seule son aura combative d'or orangé perdurait avec un souffle irréel. Shaya se redressa et s'avança, se préparant à décapiter le corps. Mais elle n'y parvint pas. La lame noire restait bloquée dans son bras figé. Ses yeux rouges avaient beau flamboyer de haine, il y avait autre chose sur son visage. Quelque chose d'indéfinissable.
Link se releva, aidé par Zelda, regardant Shaya et lui murmurant avec des frissons dans la voix :
- Shaya... tu as...
Elle resta immobile, yeux écarquillés, tremblante, et reprenant très lentement la parole :
- Il... a...
Sa voix était cassée. Elle hurla soudain et acheva le Roi Maléfique des deux mains, agenouillée avec le sang lumineux rouge lui entachant les bras. Elle s'arrêta en haletant. Link courut à côté d'elle, ses mains sur ses épaules. Elle se releva. Il soupira.
- Tu as... c'est fini. C'est fini...
Elle resta immobile, le regard profondément perdu dans le vide.
- Ses mots... il m'a...
Elle ferma les yeux.
- Non... pardonne-moi.
Zelda s'approcha doucement, compatissante devant le désarroi de la Sheikah.
- Ce qu'il t'est arrivé est quelque chose de terrible, murmura-t-elle. Pas tout de suite, mais ne serait-ce qu'un peu, j'espère que nous saurons t'apporter le réconfort.
La jeune fille leva les yeux vers Zelda, qui lui montra un doux sourire. Alors Shaya réussit à sourire un peu aussi.
- Merci, dit-elle, un poids enlevé du coeur.
- Maintenant son esprit peut à nouveau être scellé, dit Zelda en s'avançant. Ton règne est définitivement... terminé.
Le bleu et le noir étaient revenus. Une faible aura dorée émanait encore du corps détruit. Les petites lueurs s'élevèrent, se rassemblèrent et enveloppèrent la jeune fille. Sur le dos de sa main gauche, les trois triangles apparurent, celui du haut brillant davantage que les autres. Elle montra un sourire... c'était fait. C'était fini.
Au moment où Zelda s'apprêtait à les sortir de ce monde-là, elle avait froncé les sourcils et s'était discrètement emparée de la tiare de Ganondorf. Pas question que leurs destins se séparent si vite, non... elle devait garder le souvenir.

Mais avant que le sort ne soit jeté - avant même qu'ils n'aient pu se féliciter - le décor changea et fut remplacé par le beau jardin de Farore. Il devait se trouver dans les environs du Saint-Royaume. Sous le ciel doré, les trois déesses se tenaient face à eux.
- Félicitations, mes chers enfants, dit tendrement Farore, encadrée par Din et Nayru. Enfin les trois Triangles sont entre vos mains.
- Savez-vous ce que cela signifie ? demanda Nayru en souriant.
Zelda joignit ses mains avant de prendre la parole.
- Cela veut dire qu'Hyrule est définitivement sauvée...
Les déesses sourirent.
- Pas seulement cela.
- Pas seulement ?
- Vous souvenez-vous de la Légende ? rappela Din. Celui qui touchera la Triforce verra tous ses voeux exaucés.
- Plus précisément, le coeur de celui qui la reçoit teindra l'avenir aux couleurs de son coeur, dit Nayru de sa voix lisse et profonde. En d'autres termes, vos trois coeurs purs sont à même de faire venir l'Âge d'Or sur la contrée.
Link resta bouche bée. Il en allait à peu de chose près, de même, pour les deux autres.
- Êtes-vous sérieuses ?
Les trois déesses hochèrent la tête.
- Maintenant nous vous écoutons. Quel est votre voeu, enfants ?
Les trois s'échangèrent un regard illuminé, un peu fou. Ils laissèrent l'honneur à Zelda de se prononcer en premier.
- Si... je pouvais reconstruire Hyrule à la pareille... non, plus belle encore qu'elle ne l'était. Et si je pouvais... revoir un moment ceux que j'ai perdus. Leur dire combien je les aime. S'il vous plaît.
- Ton voeu sera exaucé, Zelda, dit Nayru.
Link reçut les regards des autres et s'avança un peu.
- J'aimerais... qu'en Hyrule, toute âme en détresse trouve un foyer. Que la bonté et la compassion y fassent loi et que la paix permette aux coeurs éreintés de s'y reposer. Et...
Il observa Zelda, qui regardait dans le vide, et se ravisa.
- Ce sera tout.
- Est-ce tout ?
Farore le regardait, il croisa son regard et serra les lèvres.
- Ne me renvoyez pas dans le passé, finit-il par implorer. Quoiqu'il arrive, je ne veux pas de cela.
Zelda baissa les yeux. Farore hocha la tête.
- Ton voeu sera exaucé, Link.
Enfin les regards se tournèrent vers Shaya.
- Qu'en sera-t-il du tien, jeune fille ? demanda Din.
Elle baissa les yeux.
- Rouvrir les barrières entre le monde des Sheikahs et celui d'Hyrule, murmura-t-elle. Que lentement ils puissent revenir vivre dans la lumière. Que le monde soit protégé des guerres, des convoitises, des assoiffés de pouvoir. Que le monde soit libre, heureux et en paix. Voilà tout.
- Ton voeu sera exaucé, Shaya.
De la lumière d'or les entoura, et le décor, à nouveau, changea. Ils se trouvaient au milieu de tulipes qui poussaient hors du sol comme des graines d'étoiles. La vive lumière était multicolore à dominante blanche et dorée. Elle dessina les murs et les arbres du cloître que Link avait visité la première fois qu'il avait rencontré Zelda.
Mais cette fois-ci il était plus élancé, plus harmonieusement dessiné. Le jardin n'était pas planté que de tulipes mais aussi de lis et d'arums blancs. Devant eux se dessinait un grand jardin ouvert, et le reste du château apparaissait dans un tourbillon de lumière bleue et dorée, se dressant vers le ciel étoilé. Tous les trois regardaient les alentours se reconstruire avec un déferlement d'émotion intraduisible en mots. Sous ce ciel mauve et bleuté, dans ce moment à nul autre pareil, ils ne réalisaient pas bien encore la portée de ce qu'ils venaient de réaliser. La beauté sublime des fleurs de lumière irradiait de plus de magie que ce qu'ils n'avaient jamais vu ailleurs. L'or et le diamant des fontaines bruissaient dans une symphonie cristalline. La terre entière respirait d'une magie encore jamais rencontrée. La même qui scintillait, à eux trois, au dos de leur main.
Aucun des trois ne dit rien durant un bon moment. L'air lumineux se troublait comme par une pluie luminescente. Tout avait l'air si beau...
Au milieu des arabesques lumineuses, tous les trois se regardèrent, avec un sourire timide. Link s'adressa d'abord à Shaya.
- Jamais je n'aurais cru que tu aies traversé tant de souffrances, dit-il tout bas. Je comprends mieux pourquoi tu as cherché la solitude, et pourquoi tu craignais de te rapprocher de moi. S'il te plaît, fais ce qui te rendra heureuse, ou ce qui t'apaisera. Je ne souhaite que cela. (Il s'approcha, lui tendit la main, et Shaya y plaça la sienne en souriant.) Tu n'as aucune promesse à tenir qui vaille cela.
La Sheikah lui sourit.
- Veux-tu toujours de moi ?
Link hocha la tête.
- Oui, toujours. Je veux que tu reviennes me voir souvent, que tu me parles de ce que tu aimes, des mystères de ton monde. Et je veux t'apporter tout le réconfort possible. Rien de tout cela n'a changé...
Elle sourit de nouveau, de l'amour dans les yeux.
- Je te l'ai dit et je te le redis. Tu es la meilleure chose qu'il me soit arrivé. Ce n'est déjà que trop de sentiments à contenir... je ne réclame rien de toi, souviens-t'en. Je ne ressens nulle tristesse. J'ai été bénie de pouvoir te voir et je le suis encore. À présent...
Elle inclina la tête avec une main sur le coeur et porta son regard sur Zelda.
- Je m'en vais parcourir la plaine un moment.
- Sha...
- J'ai besoin de réfléchir... À tout à l'heure...
Et elle disparut dans les lueurs bleues des jardins.
Link et Zelda se tournèrent alors l'un vers l'autre. Zelda avait l'air coupable et Link cherchait ses mots.
- Maintenant c'est certain, dit le héros en s'avançant d'un pas. Nous allons pouvoir vivre ensemble.
- Link... dit Zelda, tremblante d'émotion.
Le jeune homme aussitôt, mit un genou à terre, main serrée sur le coeur.
- Princesse, que veux-tu que je sois pour toi ? (Il releva le regard vers elle.) Je serai à tout jamais celui qui gardera ton Royaume. Je serai tout ce que tu voudras, tant que tu me garderas près de toi. Ne me prive pas de ma raison d'être... s'il te plaît.
Une tendre lumière brilla dans les grands yeux bleus de Zelda.
- Et... si je te demandais d'être mon prince ?
Il releva subitement les yeux.
- Zel... p... prince ?
Elle le fit se relever, de sorte qu'ils se tiennent debout face à face, et elle lui tenait ses deux mains dans les siennes.
- Oui, un prince pour partager mon coeur et ma vie, dit-elle, tout doucement.
Leurs regards se rencontrèrent et Link sourit à son tour.
- Je... !
- Prends ton temps pour répondre, dit-elle en lui donnant un léger baiser sur le front. Ce soir est un soir si unique...

Chapitre 17 : Les Fleurs du Désert   up

La lumière bleue pleuvait sur la plaine, enchantant incroyablement tout le paysage. Le ciel rayonnait de couleurs indigo et les astres étaient cyan. Partout tout semblait fleurir de pétales blancs opalescents. Shaya galopait sur le dos de Gema, son cheval d'ombre et de vent. Elle s'arrêta au sommet d'un promontoire, devant la mer de lumière qui se profilait sous la voûte céleste rayonnante. Au loin le lac Hylia miroitait sous la lune. Tant de sentiments, dans son coeur, s'entrechoquaient. Plus en sept jours que durant tout le reste de ses années. Elle regarda, au dos de sa main, le Triangle doré qui scintillait. Il lui disait qu'elle était dans son droit, son droit de voir cette splendeur s'étendre sous son regard. Imaginer ce qu'il en serait de l'aube suivante était bien au-delà de son pouvoir d'imagination. C'en était presque trop. Son coeur s'alourdissait devant toute cette beauté qu'elle n'aurait jamais imaginée.
- J'ai souhaité pour la paix des peuples d'Hyrule, murmura-t-elle à l'oreille de Gema, caressant sa crinière. C'est presque comme si ma vie était faite, désormais. Oui, déjà.
En dépit de cela, son coeur saignait. Parviendrait-elle, elle, à vivre avec ce qu'elle avait fait ? Link avait levé la promesse qu'elle lui avait fait de toujours être à ses côtés. Peut-être serait-il plus sage qu'elle...
Lisant dans ses pensées, Gema rua pour la secouer.
- À quoi je pense, oui, tu as raison, soupira-t-elle tout bas. Sûrement arriverai-je un jour à vivre avec ce déchirement. Ce qu'il s'est passé n'était pas vraiment de ma faute. Pas vraiment.
Leur errance les avait amenés aux frontières de la Vallée Gerudo. Shaya se demanda si c'était là le travail de son inconscient. Fort bien, elle brûlait de revoir ces belles de feu et leur repayer sa dette.
- Laisse-moi ici.
Elle descendit et le laissa se refondre dans le vent de la nuit.
Et elle s'avança dans les allées rocailleuses. Les gardes en sarouel violet et armées de lances avaient délaissé leur poste pour regarder les chutes de pétales et tenter de les comprendre. Shaya vint sans gêne s'inviter au milieu d'elles, se joindre à la contemplation. Elle s'amusa du temps que les femmes rousses mirent à remarquer sa présence. Aussitôt les fers se braquèrent sur elle, et elles lui demandèrent ce qu'elle faisait là, mais d'une façon incertaine, le temps les ayant pour le moins sûrement troublées.
- Qui va là ? Qui es... non ! Tu es là...
- Je suis flattée que vous vous souveniez de moi, sourit-elle.
- Tu n'es pas la bienvenue, dit l'une des gardes aux cheveux courts et habillée en blanc, se tenant le menton dans une main et le bras dans l'autre. Tu ne ressortiras pas d'ici librement.
Shaya montra un sourire perçant.
- Je vous trouve bien sûres de vous, pour une tribu qui vient de perdre son roi. Est-ce là tout le deuil que vous en faites ?
- La mort de notre Roi fut une grande perte, déclara la femme en blanc, les yeux plissés. Ce qui ne veut pas dire que notre tribu cessera d'exister. Elle perdurera dans la beauté et la solidité de ses traditions.
Shaya montra un regard sombre, et en même temps triste, endolori. Et peut-être même compatissant dans sa lassitude.
- Vous ne saviez rien, n'est-ce pas ?
- Qu'es-tu en train de dire, impudente femme blanche ?
Les lances se rapprochaient dangereusement.
- Que votre roi n'est pas celui que vous pensiez, dit-elle en relevant ses yeux rouges vers elles. Celui que vous preniez pour un fier guerrier ne reculait devant rien pour assouvir ses soifs de pouvoir. Il persécutait les faibles, s'en prenait aux victimes de tous âges, aînés et enfants, et a commis force meurtres durant son règne de terreur.
Les regards s'étaient prodigieusement écarquillés.
- Comment ose-t-elle ! s'indignèrent-elles.
- Comment oses-tu remettre en cause notre code ? Nous les Gerudos ne tuons pas, il en a été ainsi de tout temps.
- Vous étiez aveuglées, dit farouchement la Sheikah. Et si vous l'aviez arrêté à temps... bien des choses... bien des choses nous auraient été épargnées...
Elle inspira et sortit de sa poche le diadème orangé dont elle avait dépourvu Ganondorf au Saint-Royaume, et le laissa choir à ses pieds.
- C'est avec ravissement et fierté que j'ai délesté le Seigneur Sombre de sa tête remplie de maléfices. Maintenant vous pouvez être certaines qu'il ne vous reviendra jamais.
Les regards alentours se chargèrent de rage.
- Sacrilège !
- Tu vas nous le payer.
Les guerrières la saisirent et lui immobilisèrent les bras. La femme aux cheveux courts dégaina un sabre et s'avança vers elle, les yeux plissés, et elle plaqua le tranchant sur la gorge de la jeune fille. Puis, au terme d'une hésitation, elle rabaissa son arme.
- Azayel, que fais-tu ? sifflèrent les gardes.
La dénommée sourit, l'air maléfique.
- Nous allons lui présenter Lena.
Les airs courroucés se changèrent en sourire.
- Merveilleuse idée.
Elles propulsèrent l'intruse en avant, et, hors de la forteresse, armée de deux sabres argentés, s'avança une Gerudo toute habillée de blanc, aux très longs cheveux noués en queue-de-cheval, sa coiffure ornée d'un cristal et le corps paré de bijoux d'argent. Ses yeux fardés étaient glaçants et son corps de guerrière sculpté d'expérience faisait impression.
- Donc le Seigneur Ganondorf n'est plus, dit-elle gravement, en se plaçant face à Shaya, un sabre déjà dégainé.
Shaya s'arma à son tour. Lena plissa les yeux.
- J'espère que tu valais sa mort.
Et elle l'attaqua dans la seconde. Les sabres et la lame noire se heurtèrent dans un torrent d'étincelles. Shaya dut redoubler de vitesse pour parer aux doubles coups fort bien assénés de la guerrière en blanc. Elle était précise, froide et sans hésitation, d'un style sobre et glacial en contraste avec la richesse de ses parures. Aux alentours, le combat était suivi de près par les gardes, qui huaient, riaient ou encourageaient dans le courant de l'action. Shaya ne se souvenait pas avoir mené un duel aussi vif. Elle dut se surpasser pour se glisser entre les traits de son jeu d'épée, trouver une brèche et blesser un de ses bras. Dans le premier instant qu'elle le trouva, elle se jeta dans son périmètre et la désarma, sa lame noire bloquant puis fendant dans le métal. Le sabre se cassant, elle poursuivit son tour dans son élan et frappa la Gerudo en travers du ventre, taillant une plaie sous la poitrine qui saigna du sang noir. Elle s'effondra au milieu de sa cascade de cheveux de feu. Shaya se redressa, le visage glaçant.
Ce fut le silence pendant un moment. Un murmure effaré et scandalisé se reconstitua, et les gardes se préparèrent à l'attaquer toutes en même temps. Mais une petite voix les fit s'arrêter.
- Qu'est-ce qui s'est passé ?...
Elles tournèrent la tête.
- Mia, cria l'Azayel aux cheveux courts. Qu'est-ce que tu fais là ?
La voix appartenait à une toute petite fille aux yeux verts, devant laquelle les armes s'immobilisèrent. Elle s'avança lentement, regarda Lena, puis Shaya.
- Est-ce que ma maman est morte ?
La Sheikah ouvrit de grands yeux. Elle ne comprit pas elle-même comment sa voix s'était glacée, stable, naturelle.
- Non. Elle vit.
Des femmes avec un brancard vinrent chercher leur blessée critique et la ramenèrent à l'intérieur.
- On prend ce genre de risques quand on vit dangereusement, l'épée à la main, dit calmement la Sheikah. Sûrement tes aînées te l'ont-elles déjà enseigné.
Mia hocha lentement la tête.
- Merci, de ne pas l'avoir tuée.
Shaya respira.
- Est-ce vrai que le méchant Ganondorf est mort ?
Elle fut d'abord surprise, puis répondit avec calme.
- Absolument. À présent Hyrule peut dormir tranquille.
- Que s'est-il passé ici ?
Toutes les têtes se tournèrent vers la porte d'où venait de jaillir une femme en rose, parée d'or et de rubis, sévère et mécontente. Toutes les gardes s'inclinèrent, genou à terre.
- Honorée Nabooru !
La grande chef des Gerudos parcourut l'assistance du regard, avant de s'arrêter sur l'intruse.
- Shayalen des Sheikahs, présuma-t-elle. J'ai entendu parler de toi.
- Nabooru des Sept Sages, chuchota Shaya, tout bas.
- Qu'est-ce qui te fait venir ici ?
Shaya montra un fin sourire.
- Je brûlais de toutes vous revoir.
Nabooru plissa les yeux.
- J'aimerais que tu me suives, dit-elle en se décalant. J'ai des choses à te dire en privé.
La Sheikah regarda aux alentours, elle n'était plus menacée. Quand bien même les Gerudos étaient sans pareilles pour capturer, même des guerriers de l'ombre comme les Sheikahs, elle ne pensait pas qu'on puisse lui faire de tort particulier. Pas en ce soir-là. Et puis, la curiosité la piquait...
Elle suivit Nabooru à travers les couloirs, jusqu'aux appartements de celle-ci, où elle lui indiqua de s'asseoir sur un coussin. Un feu et des photophores roses éclairaient la pièce de façon tamisée, les coussins et les rideaux étaient rouges, un parfum d'épices et d'encens embaumait l'air. Shaya se dit qu'il y avait du bon dans la vie de Gerudo. Elle, la louve solitaire, ignorait tout de la vie en communauté.
- Je vois à ta main gauche que tu as été Élue, lui dit Nabooru, une main sur la hanche.
- C'est exact, Dame Nabooru, murmura Shaya.
- Et tu as ainsi concouru à nous ramener la paix, dit-elle. Ganondorf a jeté le déshonneur sur notre tribu. Je me désole que nos agissements t'aient inspiré une haine telle que tu doives encore venir nous l'exprimer, maintenant.
Shaya se mordit la lèvre.
- Je suis navrée. Je n'ai pas réfléchi.
- J'ordonnerai à mes guerrières de ne plus te pourchasser, murmura-t-elle. Les Sheikahs, réellement, ne peuvent être domptés.
La jeune fille resta muette un petit instant.
- Pourtant les miens servaient les dieux et les déesses, et les rois et les reines, murmura-t-elle, disent les histoires de mon peuple.
- Car tel était leur sens de l'honneur et de la justesse, répondit la femme rousse. Je pense que même ceux qui se sont révoltés durant la guerre étaient menés, au fond, par leur sens de ce qui était juste. Ainsi en allait-il.
Shaya resta immobile, ne disant rien. Puis elle confia ce qu'elle avait ressenti plus tôt dans la nuit, au moment de son combat final.
- Les mots de Ganondorf ont trouvé un écho en moi, avoua-t-elle.
- Quels mots ? demanda la chef Gerudo.
- Il disait que les forts et les ambitieux ne calculaient pas ce qu'il leur fallait pour se réaliser, s'accomplir, murmura-t-elle. Tout ce qui ne touchait pas à la réalisation de ses projets n'était qu'un détail d'importance mineure, un dommage collatéral pour eux. (Nabooru resta silencieuse.) Alors j'ai compris pourquoi le Triangle de la Force l'avait choisi.
- Tu l'as compris ?
Elle hocha la tête.
- Je crois, oui. Je crois que le véritable pouvoir de la Force de Din n'est autre que la passion.
Nabooru ouvrit grand les yeux.
- Et la passion de Ganondorf pour le pouvoir était sans limites, murmura-t-elle. Cela seul lui a permis d'embrasser la puissance écrasante de ce Triangle d'Or. Il a trouvé son écho en lui. (Elle ferma les yeux.) Et j'ai...
- Qu'y a-t-il, Shaya ?
- J'ai le sentiment que je lui ressemble, avoua-t-elle, ébranlée. Je trouve du réconfort dans cette façon de raisonner. Cela me permet de supporter ce qu'il m'est arrivé. Je me dis que l'horreur de ce que j'ai fait aura au moins amené une épopée intéressante. (Nabooru ne répondit pas.) Mais je ne sais pas comment je vais réussir à vivre avec tout cela, car je ne suis pas comme lui.
- Oui, dit Nabooru. Son absence totale de scrupules et de retenue l'a amené à sa perte. Toi, tu n'es pas comme lui. Mais ainsi en va ton destin de porteuse de la Triforce. C'est sur ta force, ton sens de la passion, que reposera le nouvel âge qui se présente à nous. Il te faudra montrer du courage et de la raison.
Shaya sourit doucement.
- Le Courage.
- Est-ce que cela va aller pour toi ?
Elle referma les yeux, une larme sur le visage.
- Parfois... je voudrais remonter le passé. Le présent est si intenable que je donnerais tout ce que j'ai vécu pour y retourner et changer ce que je n'arrive pas à supporter.
- Vraiment tout ?
Shaya ferma les yeux et revit Link sourire dans son esprit. Et sans le réaliser, elle aussi recommençait à sourire.
- Non. Je ne veux pas oublier cela. Il a choisi de ne pas changer le passé. Alors je ne contreviendrai pas à son voeu le plus cher. Pour lui, moi aussi je serai courageuse.
Nabooru sourit.
- Va où bon te semble. Tu n'es pas une ennemie ici.
Elle alla se placer ailleurs dans la pièce. Et Shaya sourit. C'était inestimable qu'elle soit libre. D'aller où elle voulait, d'être qui bon lui semblait, d'emprunter le chemin qu'elle voudrait. Elle voulait choisir le meilleur, voir la beauté du monde, et laisser le temps, s'il pouvait, laver ses plaies.

Chapitre 18 : Pétales Rouges-Blancs   up

À la nuit d'étoiles et de pétales bleus avait succédé un jour d'or, de pluie fine et d'arcs-en-ciel. Le soleil d'été battait son plein et chaque feuille, chaque brin d'herbe était une émeraude miroitante.
La suite de l'histoire avait été consignée dans les archives du palais. Et pour célébrer la nomination de Link comme Premier Garde de la Princesse, et Prince Consort d'Hyrule en plus de son héros, toute la ville s'était parée de blanc, d'étoffes et de drapeaux aux armoiries de la famille royale brodées en or, de bouquets de fleurs, de lis, d'orchidées et d'arums. De la musique résonnait déjà dans l'air et la cérémonie qui aurait lieu dans le grand hall verrait tous les peuples d'Hyrule conviés, pour danser, festoyer et rendre hommage. Un mois s'était écoulé depuis le retour de Zelda, et les préparatifs avaient duré un mois supplémentaire. Les Six Sages avaient composé le bouquet multicolore de Zelda. Une sublime rose jaune et rose, une anémone violette à coeur noir, du myosotis bleuté, des pivoines et des marguerites, dans une couronne de feuilles de robinier doré. La princesse resplendissait dans sa longue robe blanche et or, le voile translucide descendant sur ses cheveux, son front et sa coiffure tressée ornés de diamants, comme les broderies satinées de ses longs gants.

Le temps saluait la fête avec son plein soleil et son ciel bleu intense. Les convives étaient déjà nombreux à se rassembler sur la place du marché et dans les allées du jardin. De son côté, Link regardait le diadème d'or orné d'un diamant, posé sur un coussin de velours, qu'il allait devoir revêtir durant la cérémonie. Tout cela le mettait un peu mal à l'aise. Il n'avait pas l'habitude des rituels et moins encore des sacrements solennels, mais Zelda avait insisté. De plus, ce serait elle et Rauru qui présideraient à son adoubement. "Pour que tout Hyrule sache qui tu es", avait-elle dit. Et après seulement les choses redeviendraient douces et normales, telles que tu les connais. Il fallait dire que dans ses magnifiques atours blanc et or, le jeune homme se reconnaissait à peine. Il restait silencieux et presque tremblant, mains jointes devant les lèvres, face au miroir. Dans le reflet, l'épée de légende était encore posée derrière lui, sous l'appui de fenêtre en pierre blanche enlacée par le lierre. Elle n'avait pas regagné son socle de granit, pas cette fois-ci, non. Il la garderait ici, auprès de lui, en signe des sept années sacrifiées au profit du partage de ses souvenirs.
La seule qu'ils n'aient pas encore vue était Shaya. Et on l'avait rarement croisée au cours des dernières semaines. Pourquoi tant de silence ? Avait-elle décidé, après tout, de couper les ponts et de s'éloigner ? Ou avait-elle besoin de plus de temps pour changer de style de vie ? Il aurait voulu l'inviter à vivre auprès de lui. Mais compte tenu de ses sentiments à son égard, et de ceux qu'il avait pour elle, aurait-elle trouvé plus judicieux, au final, de s'en aller ? Lui-même n'aurait su dire laquelle d'entre elle et Zelda il aimait le plus. Il n'avait pas de préférence. Autant demander à choisir entre la nuit et le jour, le soleil et la lune. Laisse tes émotions être, ne les étouffe pas. Aimer n'est pas un mal. Jamais ce ne le sera.
Il ferma les yeux. Avait-il fait le bon choix ? Avait-il eu raison de réclamer avec tant de passion de rester dans le futur ? Il inspira, leva les yeux vers les tentures et les draperies immaculées tendues sous le plafond penché, dans le vent frais et lumineux de printemps. Tout était si magnifique, tout promettait d'être si beau, aussi beau qu'un rêve. Il ne réalisait pas bien encore. Il ne réalisait pas que tout puisse être aussi parfait. Et lui... (il prit l'épée, en caressa la lame, et la tint face à lui, face au miroir dans lequel la tiare se reflétait.) Il protégerait ce futur parfait. Aussi longtemps que durerait son temps. Il serait là... c'était la mission pour laquelle il vénérait les Déesses de l'avoir choisi.
- Messire Link ?
Il se tourna vers un garde, en tenue d'apparat, venu lui déposer un message.
- Bonjour, sourit Link. Qu'y a-t-il ?
- Une lettre avec une fleur pour vous.
- Je vous remercie.
Il la prit en main, le garde prit congé, et il alla la détailler au milieu de la pièce. Le papier était orné d'une fleur d'hibiscus... non, une rose trémière blanche à coeur rouge. Il sourit, n'ayant pas besoin de deviner de qui le mot provenait. Il était superbement calligraphié.
"Toujours avec toi."
Il embrassa le papier et le déposa sur la commode.

***

- Et je suis aujourd'hui, avec vous tous, témoin du sacre par la Princesse Zelda Daltansen Hyrule, du Héros du Temps, comme Premier Garde du Royaume et Prince Consort, Link Lyliansen Hyrule ! Longue vie à la Famille Royale, et longue vie à Hyrule et son peuple !
Rauru achevant sa tirade, Zelda, le visage resplendissant, posa la tiare sur le front de Link, agenouillé devant elle, et prit ses mains pour le faire se relever. Leurs regards se croisèrent, brillants, et ils s'enlacèrent, très fort, sous les clameurs de la foule, dans les jardins faisant la façade du château blanc. Les applaudissements allaient à tout rompre, et les coiffes et chapeaux s'envolèrent. Link et Zelda s'avancèrent parmi les citoyens d'Hyrule, les sages en premier, leur touchant la main et les félicitant. Au milieu des mots et des regards de joie, Link regarda aux alentours, et rencontra, en haut, sur un balcon, lui souriant, les yeux rouges de Shaya. Elle portait un chapeau blanc orné de lis blancs, sa coiffure était tressée de rubans volant au vent, et sa robe printanière était légère et vert pâle. Elle avait l'air doux, tendre, tout en étant un peu mélancolique. Mais elle lui fit signe en souriant, de ce regard toujours aussi pur, ouvert et sincère.
- Merci, lui chuchota Link, et il sut qu'elle avait lu sur ses lèvres.
Elle sourit plus fort, de joie, aurait-il dit. Puis soudain il lui sembla se souvenir de quelque chose. Elle enleva son chapeau, le tint au bord du balcon, et s'en envolèrent deux boules de lumière, une dorée et une argentée. Link ouvrit de grands yeux, croyant à peine ce qu'il voyait.
- Hé !
Cette voix...
- Hé ! Link !
- Non... (Il accueillit la fée, qui se posa dans ses mains, un sourire incrédule sur le visage.)
- Link ! Tu m'as tellement manqué !
- Navi !?
Il la serra contre lui au point qu'elle se débatte en s'étouffant.
- Hé ! Fais attention !
Il rit et la regarda, pendant qu'elle secouait ses ailes dans ses mains.
- Je n'arrive pas à le croire... tu es là...
- Link, pardon pour tout ça...
- Mais où étais-tu ?
Shaya était descendue du balcon de la maison à colombages et venait de se poster devant eux, accompagnée de Dora.
- Elle s'était perdue dans les bois, expliqua-t-elle. Tes amis Kokiris et l'Arbre Mojo m'ont aidée à la retrouver.
- Oh, déesses, dit Link avec une larme dans l'oeil. Je... je ne sais pas quoi dire...
Navi décrivit des cercles joyeux autour de lui en faisant pleuvoir des lueurs aux alentours.
- Comment savais-tu ? demanda-t-il à Shaya.
La jeune fille baissa le visage en souriant.
- Disons que... j'écoute.
- C'était... oh, c'était le soir où tu dormais, et que je...
Elle hocha la tête. Aussitôt il la prit dans ses bras et la serra fort.
- Ah !
Surprise, puis souriant, détendue, elle se laissa se perdre dans son étreinte et l'enlaça en retour. Il dégageait un parfum enivrant... elle ne bougea pas pendant plusieurs secondes, avant de s'éloigner.
- Je suis si heureuse de te voir.
- Et moi donc... tu es partie si longtemps.
- Et je vais bientôt repartir.
- Quoi ? Comment ça, déjà ?
- C'est ainsi, dit-elle doucement. J'ai beaucoup de choses à faire et... mieux vaut que les choses soient clairement définies. Que nous ne serons que simples amis.
Link resta silencieux. Puis il hocha la tête avec résolution.
- Entendu. Mais... tu vas rester pour la fête, quand même ?
- Cela se pourrait fort bien, sourit-elle.
- Et où iras-tu ensuite ? Quand te reverrai-je ? Tu partiras loin ?
Elle montra un sourire espiègle.
- Je serai au village Cocorico.
Une seconde s'écoula, puis tous les deux éclatèrent de rire.
- Vraiment ! Et moi qui craignais que tu ne disparaisses pour des années !
Leur rire partagé se prolongea, et Link fut amené à rejoindre Zelda, puis saluer ses amis et le reste des convives. Shaya resta sur place en souriant tendrement, et eut un murmure pour elle-même.
- Jamais tu ne seras qu'un ami, chuchota-t-elle tout bas. Tu as toujours été et tu demeureras beaucoup, beaucoup plus que cela...
Les deux fées se posèrent chacune sur une de ses épaules.
- Mais un vrai ami, n'est-ce pas plus merveilleux que tout ? murmura-t-elle encore.
Navi et Dora se secouèrent de haut en bas.
- Sha ! Il y a une kermesse avec des jeux là-bas !
- On y va ? On y va ?
Elle montra un grand sourire et leva son chapeau vers le bout de l'allée.
- Allons rafler tous les prix !
- Ouiiii !

Chapitre 19 : Plume et Encre (Epilogue)   up

Le soleil couchant d'or vermeil étendait son océan de lumière sur les plaines, et sur les clairières du village aux toits rouges, encerclé du pied des montagnes. Derrière sa fenêtre, Shaya écrivait dans son journal et regardait le crépuscule avec sa plume sur les lèvres. Deux semaines avaient passé. Elle avait enfoui, loin de son présent, la lame dangereuse et douloureuse qui faisait saigner ses souvenirs, dans le cimetière... profondément, mais juste assez proche pour veiller dessus.
De sa main gauche, avec une tasse de thé, elle traçait lentement ses pensées, telles qu'elles lui venaient.
Au bout de ce long combat qui a amené la lumière à prévaloir, de multiples entailles reçues dans le coeur, il ne reste plus qu'à cesser de regarder le passé, mais s'en souvenir juste assez pour que l'Âge d'Or puisse durer. Qui aurait cru que je le connaîtrais ? Qui aurait su que tout cela arriverait ?
Au final, rien de tout cela n'aurait été possible si je n'avais pas commencé par accepter cette quête. Il faut toujours dire oui pour un voyage. Toujours dire oui pour l'épopée.
Elle durera pour toujours, nous sommes emportés par le temps, par nos vécus et nos mésaventures, par nos victoires et nos erreurs, ça et là dans les flots tumultueux de ce fleuve éternel.
Et c'est ainsi que, par nature, nos adieux ne sont que des aux revoirs. Regarder l'avenir, seulement l'avenir, oublier ses hontes et ses blessures, ne songer qu'à ce jour-là où enfin, dans le ciel, tu ne verras que le ciel. Sa beauté sublime et surprenante qui déploie, libres et immenses, les champs de l'imagination. Un ciel infini plus sûr que tous les sanctuaires, un ciel de nouveaux départs, un ciel de joie et de changements, de paix et d'imprévus, fugace et éternel, tout à la fois.
Elle replaça la plume dans l'encrier, joignit ses mains et croisa ses doigts sur la table. Le mobilier était simple et sobre à l'extrême, à l'image du ciel : rougeoyant, aussi vide et calme, riche et inspirant, qu'une page vierge de papier blanc. Demain elle irait au lavoir et au marché, elle chanterait parmi les villageois en se joignant aux tâches qui n'étaient prétexte qu'à se rencontrer. Et ainsi, jusqu'au prochain orage de vent, la vie irait. De soi, comme de l'encre sur le papier.

FIN

Ce texte a été proposé au "Palais de Zelda" par son auteur, "Samantha". Les droits d'auteur (copyright) lui appartiennent.

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Mis à jour le 20.04.24