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La tripartition de l'âme dans la pensée de Platon & le mythe de la Triforce dans The Legend of Zelda

Ecrit par Alexis le 29.01.2014

PlatonTandis que Platon s'interroge, au livre IV de "La République", sur les différents caractères que présentent les hommes et sur les métiers à leur attribuer afin que les tâches soient harmonieusement réparties au sein de la Cité, il en vient à dresser un parallèle entre l'organisation politique des hommes dans une société et l'organisation vivante d'une âme dans un individu. Aux yeux de Platon, en effet, trois sortes de caractères se distinguent principalement, chaque sorte conférant aux gens des talents particuliers :

  • Il y a d'abord les hommes chez qui prédomine l'appétit, qui se montrent capables de beaucoup de dextérité pour satisfaire leurs envies et parvenir à leurs fins ; c'est pourquoi ils font de bons commerçants, aptes à enrichir la Cité ; c'est donc à eux que doit revenir la gestion des affaires économiques.
  • Il y a ensuite les hommes chez qui prédomine la raison, qui se montrent capables de mesure et de sagesse ; c'est pourquoi ils font de bons dirigeants, soucieux de l'ordre, et sont aptes à le maintenir dans la Cité ; c'est donc à eux que doit revenir la gestion des affaires politiques.
  • Il y a enfin les hommes chez qui prédomine la volonté, qui se montrent capables de bravoure mais aussi parfois de colère lorsque cela s'avère nécessaire à leur tâche ; c'est pourquoi ils font de bons guerriers et sont aptes à protéger la Cité ; c'est donc à eux que doit revenir la gestion des affaires militaires.

Mais les trois caractères que forment ces trois sortes de prédominances révèlent en fait, plus profondément, trois facultés, trois principes - ou, pourrait-on dire plus simplement, trois forces - qui coexistent dans l'âme de tout individu, et dont la répartition varie pour chacun :

  • L'epithumia - mot grec signifiant désir, convoitise - qui est la part désirante de l'âme, siège de l'appétit, des passions et des affects : c'est l'epithumia qui irrigue l'âme, qui lui fournit sa force vitale. Elle peut être associée à la chair. (Platon associe l'epithumia au ventre - c'est-à-dire aux entrailles, symbole des forces fondamentales de la chair.)
  • Le logistikon - mot grec signifiant raison - qui est la part rationnelle de l'âme, siège de l'intellect, capable d'accéder aux Idées : c'est le logistikon qui régule l'âme, qui lui donne l'ordre et la sagesse ; c'est aussi la part immortelle de l'âme, puisqu'il fréquente les Idées qui sont elles-mêmes éternelles. Il peut être associé à l'esprit.
  • Le thumos - mot grec signifiant souffle, sang - qui est la part irascible de l'âme, siège de la volonté et du courage : c'est le thumos qui maintient l'équilibre entre l'epithumia et le logistikon, et qui, ce faisant, préserve l'âme. Il peut être associé au coeur.

Il pourra donc, dans toute âme, y avoir prédominance de l'une ou de l'autre de ces trois composantes : l'âme sera alors forte et animée si c'est l'epithumia qui domine, sage et posée s'il s'agit du logistikon, ou bien enfin solide et déterminée s'il s'agit du thumos. Mais, précisera Platon, jamais cette prédominance ne doit être excessive : car si l'une des composantes devient trop forte - ou les autres trop faibles, au point de se laisser écraser - alors l'âme entre en déséquilibre. Or, l'équilibre, dans la pensée platonicienne, n'est rien moins que le Bien. Car c'est de l'équilibre que naît toute harmonie : de l'équilibre des formes que naît la beauté, de l'équilibre des activités humaines que naît la prospérité, de l'équilibre des lois que naît la justice... et même de l'équilibre entre deux âmes, vouées l'une à l'autre, que naît la plénitude amoureuse. (C'est là l'idée célèbre des "âmes soeurs", qu'expose le mythe d'Aristophane dans "Le Banquet".) C'est que l'équilibre, quel qu'il soit, rappelle à notre âme la tranquillité et l'éternité de l'Intelligible - ce monde immatériel où elle reposait, avant que nous ne naissions et n'ayons à vivre incarnés dans le monde sensible que nous connaissons depuis.

Or, si le déséquilibre s'installe dans l'âme, c'est à l'epithumia qu'il est dû le plus souvent : c'est lorsque la chair cesse d'être contenue que l'appétit devient démesuré, que les passions deviennent tyranniques... alors la chair se met à agir de façon déraisonnable et destructrice, et l'esprit y assiste, impuissant. Mais réciproquement, si l'epithumia faiblit à l'excès, l'âme se vide de ses forces et dépérit : que peut l'esprit dans une chair à l'agonie ? C'est pourquoi le thumos joue un rôle central dans la préservation de l'âme, quelque part à mi-chemin entre l'epithumia et le logistikon : c'est le coeur, en effet, qui assure cette tâche d'intermédiaire. C'est au coeur que revient - tel au guerrier, tel à l'élu des dieux - de veiller à l'équilibre : réprimer la chair au profit de l'esprit quand le désordre menace et que l'âme se met à céder ; lui redonner courage, au contraire, quand la chair faiblit.

L'un des mérites de cette conception est l'alternative qu'elle propose aux métaphysiques manichéennes : le bien ou le mal, tels que peut en parler un platonicien, ne seront jamais des entités concrètes et substantielles, qui existeraient ou agiraient en tant que telles. Il ne se dit pas chez Platon, par exemple, que la raison serait bonne et le désir mauvais, ni que l'esprit serait pur et la chair impure. Sa pensée n'est pas de ces pensées austères et tristes : le bien, c'est l'harmonie lumineuse et épanouie, qui n'exclut rien mais où chaque composante assume sa fonction et garde sa juste mesure. Il en va ainsi de toute chose, tel qu'il en va de l'âme.

La chair sans l'esprit dégénère.
    L'esprit sans la chair dépérit.
    C'est au coeur d'assurer l'équilibre.

The Legend of ZeldaIl suffit alors de glisser dans le rôle de la chair le féroce Ganondorf, dans celui de l'esprit la sage Zelda et dans celui du coeur le valeureux Link, et l'on réalisera sans peine que tout l'enjeu des jeux The Legend of Zelda prend racine dans une conception platonicienne de l'harmonie : comme équilibre tripartite. Qu'est-ce, après tout, que la quête du joueur selon la formule la plus habituelle d'un Zelda ? empêcher que le monde d'Hyrule ne sombre dans le chaos, suite au soulèvement du seigneur Ganondorf contre la princesse Zelda - de l'exacte façon dont le coeur, chez Platon, peut être amené à empêcher l'âme de sombrer dans le chaos quand les passions de la chair se soulèvent contre l'esprit.

Mais le rapprochement serait faible et décevant s'il ne tenait qu'à cela. Plus que l'objet de la quête - restaurer l'harmonie - et même plus que la tripartition des personnages en présence, c'est l'univers des Zelda dans son ensemble qui mérite d'être observé comme une illustration poétique et fabuleuse de la pensée platonicienne : de ses racines jusqu'à quelques uns de ses plus infimes et plus ravissants détails. Le parallèle, à vrai dire, ne devient tout à fait frappant que lorsque l'on commence à examiner la proximité entre la tripartition platonicienne et le mythe de la Triforce : l'univers de Zelda développe à travers ses différents opus une religion fictive, la religion hylienne, dont il propose l'histoire et la mythologie. Et cette mythologie, selon laquelle le monde aurait été créé par trois déesses - elles-mêmes issues d'une unique déesse originelle, nommée Hylia - fixe trois principes, régissant toute chose terrestre : la force, la sagesse et le courage.

naissance d'Hyrule


Ce qui, chez Platon, n'était qu'une conception de l'harmonie dans les choses humaines, devient alors celle d'une harmonie bien plus vaste : une conception de l'ordre universel, de l'ordre en toute chose, ainsi que le fondement d'un mythe cosmogonique :

"Avant que ne fût le temps, avant que ne naquissent les esprits et la vie, trois déesses d'or et de lumière descendirent sur l'amas chaotique qu'était alors Hyrule. Din, déesse de la force ; Nayru, déesse de la sagesse ; Farore, déesse du courage.
    Din, à la force de ses bras enflammés, pétrit le sol et y fit la terre, rouge et fertile. Nayru recouvrit la terre de sa sagesse, donnant au monde l'ordre et l'esprit de la loi. Farore, de la richesse de son âme, engendra toutes les formes de vie issues de l'ordre et de la loi.
    Leur oeuvre accomplie, les trois grandes déesses s'en retournèrent vers les cieux. Et trois triangles d'or sacrés demeurèrent à l'endroit où elles avaient quitté le monde. Alors, ces triangles sacrés devinrent l'essence de la providence terrestre. Et le lieu où ils reposaient devint le Royaume sacré d'Hyrule."

La Création d'Hyrule, The Legend of Zelda : Ocarina of time (1998).

Il est par ailleurs intéressant de remarquer que ces trois déesses - et, à travers elles, les trois facultés qu'elles symbolisent - sont associées par un certain nombre de pouvoirs aux trois personnages principaux (qui sont chacun l'élu d'une d'entre elles) ainsi qu'à une série d'attributs respectifs qui, de façon imagée, tâchent chaque fois d'en restituer l'essence :

  • La force - dont la déesse est Din, et l'élu, le seigneur Ganondorf - est représentée par le feu ainsi que par la couleur rouge, synonymes de chaleur et de fertilité, mais tout aussi possiblement synonymes de dureté et de destruction. Le brun profond de la terre ou le gris sombre de la pierre en complètent la palette, ainsi que l'ocre de l'airain, du vieux fer, du bronze et du cuivre - métaux que Platon associait déjà à l'epithumia, et que porte Ganondorf à son armure ou en couronne, ornés d'ambres. Quant aux armes et sortilèges pouvant être acquis dans les terres de Din, ils compteront notamment bombes, masses, embrasement, résistance aux grandes chaleurs, etc. Les thèmes musicaux s'appuieront le plus souvent sur des rythmes tribaux, qu'ils soient solennels ou dansants, suggérant des cérémonials anciens - à base de percussions de timbales ou d'instruments traditionnels, voire parfois de lourdes percussions métalliques, épaissies par des cuivres profonds ou des chants graves. (On songera aux thèmes musicaux de la Montagne de la Mort, des Mines Goron ou des divers temples du feu.) Autant de couleurs, autant d'objets, de tonalités et de textures qui, chaque fois, évoqueront le flamboiement, la pesanteur, les heurts sourds ou la puissance grondante et souterraine des éléments.
  • La sagesse - dont la déesse est Nayru, et l'élue, la princesse Zelda - est représentée par l'eau ou la glace, ainsi que par la couleur bleue, synonymes de paix et d'ordre, mais tout aussi possiblement synonymes de fragilité et de faiblesse. À quoi viendront s'ajouter le blanc des neiges ou l'or des étendues de sables désertiques - or que Platon associait de même au logistikon, et que Zelda revêt en parures ou en diadème, ornés de saphirs. Les armes et sortilèges pouvant être acquis sur les terre de Nayru allieront entre autres arcs, miroirs, insectes espions, possession mentale d'objets ou de statues inanimées, champs de force protecteurs, etc. L'ensemble s'accompagnera de mélodies éthérées empreintes de mélancolie, où la suavité de la lyre et celle des chants se mêleront au ruissellement de l'eau ou à la triste caresse du vent, aux tintements délicats, au lointain, à l'écho... (On songera aux thèmes musicaux du domaine Zora, des Pics Blancs ou - dans des tonalités plus orientales mais tout aussi mélancoliques - ceux du Désert de Lanelle, des divers temples du temps, de la lumière ou de l'esprit.) Tout ce qui, cette fois, saura suggérer la légèreté, la langueur, l'immatérialité et le mystère.
  • Le courage - dont la déesse est Farore, et l'élu, le jeune Link - est représenté par la végétation ainsi que par la couleur verte, synonymes d'épanouissement, de luxuriance et de vie : c'est-à-dire synonymes d'un équilibre harmonieux. Le brun du bois ou celui du cuir s'y ajouteront, ainsi que le gris clair de l'argent - que Platon associait enfin au thumos, et dont l'attirail de Link est en grande partie constitué. Les armes et sortilèges acquis sur les terres de Farore associeront lance-pierre, bâtons, noix, danses et airs sacrés, téléportations, invocations d'esprits sylvains, etc. La clarinette, la flûte ou le hautbois y côtoieront le timbre bougon du basson, tour à tour pataud puis profond, le murmure frémissant des sistres, le tintement moqueur des grelots... (On songera cette fois-ci à l'ensemble des thèmes musicaux liés à la Forêt de Firone.) Tant d'harmonies, de tessitures et de lumières, qui toutes évoqueront la vitalité, la tiédeur, le fourmillement et le verdoiement.

Que l'on puisse légitimement voir en Din une figuration de la chair, en Nayru une figuration de l'esprit, et en Farore une figuration du coeur, cela devient presque tout à fait évident sitôt que l'on considère les symboliques et les atmosphères rattachées à chacune d'elles : comme chez Platon, la chair est la force souterraine qui gronde, le terreau des affects et la source de toute chaleur ; l'esprit est la demeure de l'ordre et de la sagesse, l'entité éternelle et paisible flottant dans la clarté des hauteurs froides ; le coeur enfin est le siège de la volonté et du courage, le lieu luxuriant et tumultueux, où se compose l'équilibre et où germe la vie.

Comme chez Platon, qui faisait du logistikon l'instance la plus haute et la part immortelle de l'âme - puisqu'elle seule fréquente l'éternité du monde intelligible - de même il se dessine chez Nayru un lien particulier avec Hylia, la déesse mère de toute chose : dans Skyward Sword, notamment, il apparaîtra de façon claire que la déesse de la sagesse est la plus proche de la grande déesse, puisque c'est en Zelda qu'Hylia choisit de s'incarner sous une forme humaine mortelle, avant que celle-ci ne devienne par la suite l'élue de Nayru.

Comme chez Platon, encore, qui souligne néanmoins le caractère premier, indispensable, de l'epithumia - puisque la chair est le support fondamental de toute vie - de même l'on peut constater que Din confère à son élu une persistance particulière : il n'aura pas échappé aux joueurs les plus aguerris que Zelda et Link se réincarnent d'un jeu à l'autre, alors que Ganondorf traverse les âges et demeure ; comme si son existence, même redoutable, était inhérente à ce qu'un monde soit seulement possible.

Comme chez Platon, enfin, qui décrivait dans le thumos l'instance la plus volontaire et la plus décisive de l'âme, de même ce n'est nul autre que Link - l'élu de Farore - que le jeu place entre nos mains : car il serait vain de mouvoir Zelda ou Ganondorf, puisque l'enjeu est de rétablir entre eux un équilibre intermédiaire, en empêchant que l'une ne soit destituée par l'autre. Identiquement, pour l'âme : notre raison ou nos affects nous constituent, mais c'est bien dans notre coeur, notre volonté, que se forment nos décisions et nos actes. La raison - Zelda - est l'entité vulnérable qui se doit d'être protégée ; mais aussi celle, sublime, secrète, qui nous éclaire et nous guide. L'affect - Ganondorf - est l'antagoniste dangereux que l'on doit contenir ; mais celui aussi qui ne peut ni ne doit jamais disparaître radicalement.

Ces aspects sont les plus métaphysiques, ceux qui jettent entre The Legend of Zelda et la pensée platonicienne les passerelles les plus essentielles et les plus profondes. Mais il serait dommage d'en rester à un propos trop abstrait, sans revenir à la simplicité toute pure de ce que Zelda comme Platon nous enseignent : l'harmonie que nous avons à trouver en nous, entre l'eau et le feu, la sagesse et la force, l'esprit et la chair... La nature elle-même, au-delà de nous, s'épanouit sur cet équilibre. Tout, jusqu'à la géographie du Royaume d'Hyrule, en illustre l'idée. Trois grandes terres sont dédiées aux trois déesses : Ordinn, où trône un volcan, terre dédiée à Din ; Lanelle, où reposent un désert de sable, une rivière et des pics enneigés, terre dédiée à Nayru ; Firone, qui est une vaste forêt, terre dédiée à Farore. Et la symbolique devient d'une beauté plus subtile, plus saisissante encore, si l'on considère que la grande rivière Zora - qui irrigue tout le Royaume d'Hyrule et y apporte la vie - prend sa source à l'endroit où se rencontrent les hauts glaciers de Lanelle et la chaleur du volcan d'Ordinn.
    La vie naissant là où la chair et l'esprit s'embrassent...
    Quelle image plus parlante pourrait illustrer la notion d'harmonie ?

Un dernier regard qu'il serait amusant de jeter sur cet univers, porterait assurément sur ses créatures et ses peuplades. Outre la créativité merveilleuse qui s'y trouve, rien - une fois de plus - n'est déployé au hasard : dans chaque contrée défile tout un cortège de grands et de petits êtres, affreux, adorables ou agaçants, dont l'esthétique et les caractères parachèvent le sens des emblèmes et des ambiances. Certains de ces êtres figureront les bienfaits respectifs de la force, de la sagesse ou du courage sous leur forme modérée ; d'autres en incarneront au contraire les dérives et les excès. Et toujours une intention pourra s'y lire.

OrdinnOrdinn, en période de paix, est une terre vive, accueillante, où florissent les travaux, les affaires, l'artisanat et les fêtes. (Qu'il s'agisse de la Citadelle d'Hyrule ou du Village Cocorico, au pied du volcan.) La population humaine - les Hyliens - y côtoie celle des Gorons, de gros bonshommes de pierre, trapus et intimidants, avec qui ils commercent. (Et il sera drôle de rappeler à ce propos que Platon faisait de l'epithumia la prédisposition naturelle des marchands.) D'un tempérament simple, parfois méfiant ou renfrogné au premier abord, les Gorons se révèlent vite le peuple le plus joyeux d'Hyrule, et sans doute l'un des plus attachants. Lourdauds mais affectueux, et surtout loyaux, ils montreront entre autres un goût particulier pour les combats de lutte, les roulés-boulés et les sources chaudes, où ils aiment à barboter paisiblement. (En ce qui concerne les activités commerçantes des Gorons ou leurs divers passe-temps, on se réfèrera surtout à Ocarina of time et à Twilight Princess) En période de déséquilibre, néanmoins, le volcan qui les abrite tend à entrer en éruption, semant la désolation à la surface d'Ordinn : la terre se fend et s'embrase, des créatures de feu se mettent à pulluler... et les Gorons eux-mêmes, devenant farouches ou craintifs, retournent à leurs galeries souterraines dans la montagne afin d'y demeurer reclus jusqu'à ce que la tranquillité revienne. Présents à toute époque, on apprendra dans Skyward Sword l'existence des Gorons dès les tout premiers âges d'Hyrule, faisant d'eux l'un des peuples les plus anciens et les plus persistants qui s'y rencontreront - en quoi l'on pourra voir, ici encore, une traduction du caractère premier de l'epithumia.

Qu'en retenir ? Que la chair peut tout engloutir lorsqu'on la laisse tomber dans la voracité et la démesure, mais qu'il serait absurde pourtant de la haïr : car c'est d'elle que proviennent la chaleur, la vie et la joie.

LanelleLanelle, dans ses environs les plus prospères, est une terre calme et recueillie. Les vastes plaines d'herbe tendre qui la recouvraient aux commencements d'Hyrule ayant, avec les siècles, cédé place à un interminable désert de sable, il s'agit de celle des trois contrées qui apparaîtra la moins peuplée. Les anciennes plaines étaient habitées par de petits robots grégaires et organisés, qui passaient leur temps à construire des chemins de fer mais disparurent avant d'avoir fini leur oeuvre. Bien que quelques ruines seulement aient demeuré de leur civilisation, des chronolites (pierres magiques ayant le pouvoir de ranimer le passé) les ramèneront brièvement à la vie, offrant le spectacle émouvant et sublime de bulles de lumière frayant au milieu des dunes des chemins de prés verts, de mer et de coraux multicolores. Bien plus tard, les sables - presque morts - ne laisseront subsister que quelques oiseaux, des insectes... puis viendra une civilisation de femmes guerrières, les Gerudos, qui, après une brève apogée, déclineront et disparaîtront à leur tour. (On pourra d'ailleurs relever une interversion intéressante en ceci que Ganondorf est un enfant du peuple Gerudo, issu de Lanelle, tandis que Zelda est une Hylienne, issue d'Ordinn. Comme si l'un et l'autre venaient compenser une absence... ou comme si Din et Nayru s'appelaient mutuellement, à travers eux.)

C'est au creux des roches solitaires, finalement, sous les neiges éternelles et dans les eaux froides des hauteurs, qu'il faudra s'aventurer pour rencontrer un autre peuple millénaire : celui des Zoras. D'un naturel délicat et intelligent, quoique quelquefois arrogant, ces créatures aquatiques - dont l'apparence deviendra de plus en plus humaine au fil des ères successives - habitent la grande rivière d'Hyrule qui porte leur nom. Des contrebas, dans les profondeurs du Lac Hylia, jusqu'à sa source où trône leur domaine finement ouvragé et où siègent leurs rois, les Zoras mènent une existence pacifique, d'après un ordre social précis et hiérarchisé. Parfois méfiants à l'égard des hommes, ils se montreront fragiles et désoeuvrés en l'absence de leur souverain, mais doux et rassurants dans leur état habituel. En période de déséquilibre, toutefois, le froid des hauts glaciers tendra à se répandre et à s'installer, ne laissant plus à Lanelle que l'aspect d'une terre morne et désincarnée : le blizzard viendra gémir sur les crêtes, laissant les Zoras de la source prisonniers des glaces ; des vents de tempête se lèveront sur le désert, le rendant presque impraticable ; et seules demeureront, çà et là, quelques créatures gelées et hostiles, quelques revenants ou les fossiles de machines antiques.

Quel amoureux de Zelda n'a pas éprouvé, sur les hauteurs des Pics Blancs ou dans les ruines des Gerudos, ce sentiment étrange mêlé de tristesse et d'enchantement ? Quand un bruissement vient à nous, qui semble traverser le temps - tout juste perceptible, là, vacillant dans l'air figé : comme si une vie lointaine, à l'extrême limite de l'absence, revenait d'un autrefois pour nous murmurer son souvenir... La mélancolie même.

Qu'en retenir, cette fois ? Que l'esprit recèle des beautés invraisemblables, mais qu'il serait irréel pourtant de vouloir s'y abandonner : car l'esprit seul est d'un chagrin empoisonné.

FironeFirone, enfin, est - dans ses secteurs habités, du moins - une terre suave, empreinte de drôlerie et de magie. Une quantité de petits êtres et d'esprits sylvestres s'y côtoient, cohabitant avec plus ou moins de bonne volonté : braves et aventuriers pour les uns, ronchons et trouillards pour d'autres. Mais tous se montrent sensibles à l'équilibre d'Hyrule, la forêt semblant elle-même tributaire de ses aléas - ainsi, en période d'instabilité, celle-ci se corrompt et fane : les arbres tombent malades, des plantes carnivores et autres animaux venimeux se mettent à proliférer, les clairières se recouvrent d'émanations toxiques... et l'air même paraît alors terne, épais. L'animation claire et colorée qui y règne d'ordinaire tourne à la bestialité, faisant de Firone une contrée dangereuse, grouillante et sauvage. Cependant, plus qu'ailleurs encore, les êtres qui s'y trouvent tiennent à la prospérité de leur écosystème et se montreront investis dans sa protection : on pensera notamment aux Tikwis de Skyward Sword, de frêles boules de poils au dos camouflé sous les herbes et les bourgeons, qui, pour le bien de la forêt, vaincront à quelques reprises leur naturel maladivement peureux ; aux singes de Twilight Princess, qui face au temple de la forêt s'avèreront d'une aide indispensable... puis, surtout, aux Korogus de Wind Waker, ces minuscules êtres feuillus prêts à traverser un océan pour replanter des arbres, et à Dumoria, le plus vaillant d'entre eux : un violoncelliste miniature jouant sa musique sur une brindille et qui, entre deux airs, prêtera main forte à Link pour reconquérir le temple du vent... Viendront encore les Mojos, de petits vauriens cracheurs de noix ; les Skull Kids, des sylvains espiègles jouant de la flûte sur les souches ou disparaissant dans un tourbillon de feuilles mortes ; les Kokiris, une communauté d'enfants à l'apparence humaine, ne grandissant pas et vivant sous la tutelle d'un vieil arbre sacré...

Tantôt facétieuse et chatoyante, tantôt obscure ou inquiétante - mais toujours riche, et belle, et surprenante - Firone, au fond, ne dépeindra que l'ambivalence de Farore face à ses soeurs... l'ambivalence même du coeur ; puisque tel est le coeur : se tenant là, quelque part entre la force de la chair et la sagesse de l'esprit, cherchant l'harmonie intermédiaire - sombre, rude et farouche lorsque celle-ci lui manque ; vif, brave et généreux lorsqu'il la trouve.

Qu'en retenir, une dernière fois ? Que dans ces jours trop rares où notre coeur nous paraît suave et limpide comme pourrait l'être Firone au matin, alors, sans doute, nous touchons du doigt quelque chose de semblable à ce qu'un platonicien appellerait "le bien pur".


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Mis à jour le 20.04.24